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  • La santé mentale des travailleurs roumains

    La santé mentale des travailleurs roumains

     

    Plus récemment, en février 2025, une entreprise roumaine a été condamnée en justice pour l’épuisement professionnel d’une employée. C’est la première fois qu’une telle condamnation est prononcée. L’entreprise est désormais obligée de verser des dommages et intérêts à son ancienne employée. Les données confirment que le stress lié au travail n’est pas un phénomène isolé. Une étude récente analysant les réponses de 3 500 employés en Roumanie montre que 48 % d’entre eux ressentent souvent ou très souvent des symptômes d’anxiété au travail et que 43 % ne consacrent pas plus de trois heures par semaine à la détente.

    Corina Neagu a plus de 20 ans d’expérience dans les ressources humaines et est la fondatrice d’un cabinet de conseil qui aide les organisations à cultiver le potentiel de leurs employés et à les aider à découvrir leurs talents. Elle estime que le faible niveau d’éducation en Roumanie au cours des 35 dernières années et le manque d’éducation émotionnelle sont des facteurs déterminants pour les problèmes de santé mentale liés au travail. Corina Neagu estime que les écoles roumaines ont encore beaucoup de chemin à faire pour former les futurs travailleurs.

     « L’école en Roumanie n’apporte pas aux enfants les compétences dont ils auront besoin, nous ne nous occupons pas de l’émotivité de nos enfants. Les parents travaillent à l’étranger ou ne sont pas disponibles émotionnellement, les relations familiales sont dysfonctionnelles, il y a aussi de la pauvreté – dans les zones rurales – ou toutes sortes d’abus. Les parents ne savent même pas comment être bien avec eux-mêmes alors ça leur est difficile de gérer la relation avec leurs enfants. Tout cela a fait que notre état émotionnel et mental n’est pas ce qu’il devrait être. Oui, dans un pays civilisé, sain et normal, il existe des politiques de prévention, des stratégies au niveau national, des programmes au niveau organisationnel, des programmes de prévention et de bien-être – pour encourager le bien-être et la sécurité psychologique sur le lieu de travail ».

     

    Le poids du passé

    L’experte estime que le passé de nos concitoyens a donné naissance à des modèles de comportement qu’il nous faut désormais abandonner. À cet égard, la peur, principal instrument de contrôle sous le communisme, est toujours présente dans nos relations hiérarchiques. L’absence d’une culture du travail en équipe, un individualisme mal compris et la honte dans nos rapports avec les autres sont d’autres héritages culturels. L’experte poursuit :

     « Un autre modèle culturel est que nous n’avions pas le droit d’avoir une opinion. Nous ne savions pas ce que signifiait un retour d’information. Si nous ouvrions la bouche, on nous disait « va dans ta chambre, les adultes parlent maintenant ». Sans parler des instruments de coercition qui existaient à la maison et à l’école. Là encore, il s’agit d’un modèle qui s’est perpétué ».

    De nombreuses voix éminentes dans le domaine des ressources humaines affirment de plus en plus que les organisations jouent un rôle clé dans le bien-être des employés et, par conséquent, de la société en général. Corina Neagu le confirme :

    « Les entreprises ne sont pas des tiers, elles sont dirigées par des personnes qui doivent prendre des décisions. La décision de prendre soin de ses employés doit être une priorité pour tout type d’organisation et pour tout type de dirigeant. Pourquoi s’occuper de son personnel ? Votre personnel s’occupe-t-il de vos clients ? C’est très simple. Oui, aussi bien les clients internes que les clients externes. Richard Branson l’a dit, je ne l’ai pas dit, mais il l’a très bien dit. Je veux dire que c’est extrêmement important – et vous ne vous occupez pas seulement de leur donner un salaire à la fin du mois, vous vous occupez de créer l’espace, le climat, la culture, l’environnement où ils se sentent authentiques et où ils peuvent venir et s’exprimer d’une manière authentique. Une authenticité consciente. Je ne veux pas dire que nous devons laver notre linge sale en public, mais que nous devrions pouvoir donner un feed-back sans en craindre les conséquences.

    Une enquête menée par la plateforme BestJobs l’année dernière a révélé que la satisfaction professionnelle des employés roumains était à son niveau le plus bas depuis trois ans, avec seulement trois personnes interrogées sur dix qui se disent satisfaites de leur travail. Dans la même enquête, six employés sur dix ont déclaré que leur travail entraînait également des répercussions négatives sur leur vie personnelle. En même temps, de plus en plus d’ONG et de personnes formées aident les entreprises et les employés à développer des environnements de travail plus sains, où une communication saine et empathique anime les relations interpersonnelles.

  • La santé mentale – une priorité pour la société actuelle

    La santé mentale – une priorité pour la société actuelle

    Réunis au sein du hub des Global Shapers de Bucarest, parrainé par le Forum économique mondial, plusieurs jeunes enthousiastes s’activent dernièrement pour relever les défis de notre monde. Appuyés par la Société des Etudiants en Médecine de la capitale roumaine, ils ont lancé une série de conversations sur le sujet controversé de la santé mentale. Un premier rendez-vous a déjà eu lieu à l’Université de médecine et de pharmacie « Carol Davila » de Bucarest. La conseillère présidentielle Diana Loreta Păun, du Département Santé publique, passe en revue les principaux problèmes auxquels se confrontent les psychiatres roumains:« Il y a tout d’abord des difficultés liées à la gestion des ressources humaines, un aspect qui caractérise tout le système sanitaire de Roumanie. Les jeunes s’en vont pour terminer leurs études ailleurs. A la pénurie de personnels médicaux s’ajoutent des problèmes financiers et d’infrastructure. On doit avouer que la prise en charge des patients souffrant de troubles psychiatriques est assez limitée. Une fois le diagnostic fixé, on se concentre sur le traitement médicamenteux. Or, pour une prise en charge correcte, il faudrait s’occuper aussi de la réinsertion sociale du malade, qui devrait bénéficier d’une thérapie comportementale et sociale, ce qui n’existe pas chez nous. »



    Les longues décennies de régime communiste ont influencé elles aussi le regard que la Roumanie a posé sur les personnes souffrant de troubles mentaux. Malheureusement, le mauvais héritage communiste perdure de nos jours encore, ce qui explique les problèmes de vision dont souffre la psychiatrie roumaine. De retour au micro, Diana Loreta Paun: « On souffre toujours d’une bonne partie des tares du communisme. Je pense que la discrimination et la stigmatisation des malades mentaux viennent de ces années-là. Après, il y a aussi le stress qui nous accompagne au quotidien et, souvent, on a du mal à faire avec. Du coup, on développe des troubles psychiatriques, on plonge dans la dépression ou, plus grave encore, on risque le suicide. Ce sont autant d’aspects à prendre en considération pour une approche correcte. Si on les ignore, les conséquences ne tarderont pas à faire irruption. Les patients ont du mal à demander de l’aide, ils évitent de se rendre chez le psychologue ou le psychiatre, du coup, ils ne sont pas diagnostiqués et donc, ils ne bénéficient d’aucune prise en charge. »



    Avant que le régime communiste ne la place dans un cône d’ombre dans les années 1970, la psychiatrie roumaine avait connu une période fleurissante au début des années 1940, quand les experts de Roumanie se ralliaient aux tendances occidentales. Julien-Ferencz Kiss, psychologue et auteur du livre « L’Histoire de la psychanalyse en Roumanie »: « Avant 1940, la Roumanie s’enorgueillissait d’une riche tradition psychologique. Il suffit de penser au congrès international de psychologie qui aurait dû avoir lieu à Bucarest, si la guerre n’avait pas commencé. N’empêche. C’était pour la première fois qu’un pays en dehors du bloc occidental était choisi pour accueillir un tel événement. Attention, il était question de psychologie, non pas de psychanalyse. Car, ce domaine n’a pas eu d’écho en Roumanie. D’ailleurs, après 1948, le pays rejette aussi la psychologie, qui ne trouve plus sa place dans les universités. En 1977, les facultés de psychologie ferment leurs portes et le métier de psychologue n’existe plus. »



    La sociologue Leyla Safta-Zecheria, de l’Université d’Ouest de Timişoara, s’est penchée sur le sort des institutions à profil psychologique à travers les différentes époques de l’histoire roumaine. A ses dires, la situation précaire et la perception souvent erronée du système médical psychiatrique ne semblent pas s’améliorer. « Malgré les idées progressistes d’Obreja et de Parhon, de faire construire de nouvelles infrastructures psychiatriques améliorées après la Deuxième Guerre Mondiale, on apprend de la bouche du Pr Parhon qu’au centre psychiatrique de Socola, près de Iaşi, les conditions d’hygiène sont précaires et que les patients ne mangent pas à leur faim. De tels problèmes persistent, malgré les efforts des autorités, y compris communistes, d’y trouver une solution. Dans les années 1940-1950, les communistes mettent en place des foyers d’accueil médicalisé destinés aux malades mentaux, avant de doter les hôpitaux généraux d’une section de psychiatrie et de faire construire des laboratoires de santé mentale dans les années 1970. En 1990, des rapports font état de plusieurs établissements où l’on enfermait les patients souffrant de troubles psychologiques, qui, du coup, étaient privés de liberté et de services de base. De telles pratiques existent parfois, de nos jours encore. »



    Les statistiques internationales sur la santé mentale font état d’une recrudescence sans précédent des cas de troubles mentaux. Partout dans le monde, la situation est inquiétante. Dans ce contexte, la Roumanie devrait renouer au plus vite possible avec une tradition médicale qu’elle s’est vu forcer d’abandonner. Ştefan Bandol, à la tête de l’Association ARIPI (Ailes), au service des personnes soufrant de troubles psychiatriques, explique pourquoi un tel domaine est si important: « Partout dans le monde, les patients souffrants de maladies mentales sont discriminés et stigmatisés. En 1990, l’OMS estimait que 25% de la population de la planète aurait besoin de consulter un psy au moins une fois dans la vie. Or, ce pourcentage a grimpé à 33% dans les années 2000 et à 50%, dans les années 2010. Si on pense que chacun d’entre nous a, dans sa famille, au travail ou parmi ses copains quelqu’un qui accuse des troubles de nature psychologique ou psychiatrique, on pourrait conclure que toute la population de la Terre en est touchée, plus ou moins directement. »



    « L’Histoire des troubles mentaux en Roumanie » s’inscrit dans le projet mené dernièrement par le hub Global Shapers, de Bucarest, sur plusieurs thèmes importants en rapport avec la santé mentale. L’événement sera suivi par deux autres conférences: « The Reality of Mental Health » (« La réalité de la santé mentale ») et « Digital Revolution Meets Mental Health » (« La révolution du numérique à la rencontre de la santé mentale »), prévues le 5 et respectivement le 9 mars. (Trad. : Ioana Stăncescu)