Tag: socialisme

  • Pourquoi les femmes ont eu une meilleure vie sexuelle sous le socialisme?

    Pourquoi les femmes ont eu une meilleure vie sexuelle sous le socialisme?

    Kristen Ghodssee est ethnographe et
    professeure d’études russes et est-européennes à l’université de Pennsylvanie.
    Dans son dernier ouvrage Pourquoi les
    femmes ont une meilleure vie sexuelle sous le socialisme?, traduit de
    l’anglais par Charlotte Nordmann et Laura Raim elle propose une réflexion
    documentée sur la position des femmes dans les Etats socialistes du
    XXe siècle jusqu’à la chute du mur de Berlin. Un ouvrage qui a attiré
    l’attention de Roxanne Verron, libraire à Kyralina et qui sera notre coup de
    cœur de cette semaine.

  • Les politiques roumaines de coopération et les boursiers des pays en voie de développement

    Les politiques roumaines de coopération et les boursiers des pays en voie de développement


    Le vent de liberté qui a commencé à
    souffler à travers le monde après la fin de la Seconde Guerre mondiale et le
    processus de décolonisation enclenché peu après a modifié la carte du monde et
    la géopolitique des relations internationales. En partant d’Afrique, en passant
    par l’Océanie, l’Asie et jusqu’en Amérique latine, les anciens empires
    coloniaux ont laissé la place à une myriade de nouveaux Etats indépendants,
    représentant la volonté de leurs nations. Dans le contexte de la guerre froide,
    ces nouveaux Etats se sont laissés tenter d’adopter par des voies différentes de
    développement, souvent dans une volonté affichée de se démarquer de l’ancienne
    puissance coloniale. Le bloc socialiste ne pouvait pas laisser passer sans
    réagir l’opportunité de se faire de nouveaux alliés parmi ces Etats
    nouvellement apparus sur la scène internationale. Et la Roumanie socialiste,
    membre du bloc communiste, prit forcément sa part dans la constitution de
    nouveaux équilibres. La Roumanie, occupée par l’Armée rouge à la fin de la
    guerre et dirigée depuis 1945 par le parti communiste, devenu de facto parti
    unique en 1947, avait suivi à la lettre les directions de Moscou en matière de
    politique étrangère pendant la première décade de son régime communiste. Ce n’est
    qu’à partir de 1960 que la Roumanie commence à chercher sa voie propre en matière
    de politique étrangère, et c’est dans le développement des relations privilégiés
    avec les pays en voie de développement qu’elle trouvera une manière pour sortir
    du lot. A l’époque, si le Sud global était assoiffé d’investissements, il était
    surtout demandeur de compétences, cherchant à constituer une élite
    administrative et de cadres qui soient capables de diriger ces pays récemment libérés
    de la tutelle des anciennes puissances coloniales. La Roumanie socialiste lança
    alors des vastes programmes de bourses destinés aux étudiants des Etats
    partenaires des pays en voie de développement.


    Aussi,
    dans un rapport rédigé par les experts du ministère des Affaires étrangères de
    Bucarest en 1961, l’octroi des bourses d’études aux étudiants en provenance de
    ces pays avait été identifié comme un moyen privilégié pour accroître l’influence
    de la Roumanie dans ces pays. A partir de là, le parti communiste roumain
    développa une stratégie de ce que l’on appellerait aujourd’hui une politique de
    soft power à destination de ces Etats du sud à travers le développement des
    relations culturelles et éducationnelles. Mais l’historien Ștefan Bosomitu, qui
    s’est plongé à corps perdu dans les archives roumaines de l’époque, affirme que
    les premières pierres de cette politique d’influence avaient été posées dès la fin
    des années 1940.


    « Ces
    programmes ont débuté assez tôt, dès le début des années 1950, et se sont
    poursuivis jusqu’à la fin du régime communiste, fin 1989. Mais au début, dans
    les années 1950, les bourses accordées étaient peu nombreuses. Elles étaient
    réservées à certains activistes communistes, membres des mouvements
    indépendantistes des pays du Tiers monde ou de divers partis frères. Il y avait
    aussi des réfugiés, tels les étudiants communistes grecs, qui avaient dû
    quitter leur pays après l’issue de la Guerre civile grecque, et qui s’étaient
    réfugiés dans les autres pays socialistes de la région. Ensuite, les étudiants
    coréens.
    »


    Ce
    n’est qu’après 1970, que les bourses d’études accordées par le gouvernement de
    la Roumanie socialiste s’orientent résolument vers l’Afrique. Il s’agissait en
    moyenne de 250 bourses universitaires, accessibles par l’intermédiaire des
    représentances diplomatiques de la Roumanie dans la région. Mais l’historien
    Ștefan Bosomitu rappelle que même si le budget alloué était destiné en priorité
    aux étudiants qui suivaient des études universitaires et post universitaires,
    le système roumain des bourses subventionnées ratissait bien plus large :


    « Il
    y avait, certes, d’une part, les bourses destinées aux études universitaires et
    post-universitaires, auxquelles était alloué entre 80 et 90% du budget
    disponible. Mais il y avait aussi des bourses pour certaines écoles
    professionnelles et aux lycéens. Malheureusement, les sources disponibles sont
    assez pauvres. On se fie souvent aux témoignages oraux pour reconstituer le programme
    de ces bourses. Il y avait ainsi des bourses de 3 années pour des élèves qui suivaient
    certaines formes de l’enseignement professionnel. Dans la ville de Moinesti par
    exemple, dans le lycée technique de la ville étaient formés les futurs techniciens
    africains qui allaient travailler sur les plateformes pétrolières ».


    Les bourses
    offertes par le gouvernement de la Roumanie socialiste étaient assez convoitées.
    Les candidats ne manquaient jamais, d’autant que le financement couvrait, du
    moins au début, car ensuite les choses se sont progressivement gâtées, aussi
    bien les frais de scolarité que les frais nécessaires aux étudiants boursiers pour
    mener une vie décente pendant leurs études en Roumanie. Mais même lorsque les
    frais de scolarités n’étaient plus couverts par le gouvernement roumain, la
    demande demeurait forte. De toute manière, ces frais de scolarité demeuraient
    raisonnables. Aussi, en 1963, la Roumanie comptait mille étudiants étrangers,
    presque sans exception boursiers. Les années 70 marquent un tournant. Leur
    nombre augmente de manière conséquente. En 1981, la Roumanie socialiste comptait
    pas moins de 20 mille étudiants étrangers. Ils payaient leurs frais de
    scolarité en devises, et cela représentait une source importante de rentrée de
    devises pour le régime. Le régime de Nicolae Ceausescu avait besoin de ces
    rentrées en devises alors qu’il avait accéléré le règlement de sa dette
    extérieure et dans le contexte d’une crise économique sans précédent.


    Les étudiants
    étrangers bénéficiaient par ailleurs d’un régime singulièrement favorable,
    étant souvent perçus comme de véritables nantis par leurs collègues roumains. En
    effet, les étudiants étrangers bénéficiaient de conditions d’hébergement bien
    meilleures que leurs collègues roumains. Et alors que les Roumains n’avaient
    pas le droit de détenir ou d’échanger des devises, les étudiants étrangers non
    seulement y avaient droit, mais ils avaient encore accès à un réseau d’approvisionnement
    spécialement conçu pour les détenteurs de devises, dans lequel des produits qui
    remplissaient les étalages n’étaient accessibles aux Roumains que sur le marché
    noir. Une situation qui ne pouvait pas ne pas faire des jaloux. L’historien Stefan Bosomitu a eu l’occasion d’interviewer bon
    nombre d’étudiants étrangers de l’époque pour comprendre leur ressenti sur leur
    expérience roumaine. Ștefan Bosomitu :


    « Relisant
    ces récits, l’on observe une tendance à idéaliser le passé. Les étudiants
    africains parlent aussi de l’étonnement que leur couleur de peau provoquait
    parmi des gens qui n’étaient pas habitués à croiser des étrangers, à plus forte
    raison des étrangers en provenance d’autres continents. Certains se signaient
    sur leur passage. L’on remarque cette image d’une société figée dans un passé
    où l’étranger est une sorte de bête curieuse. »


    Le vécu de ces
    étudiants étrangers durant leur études roumaines demeure encore une page blanche
    que les historiens devront remplir dans les années à venir. (Trad. Ionut jugureanu)



  • Les voitures de la Roumanie socialiste

    Les voitures de la Roumanie socialiste

    L’automobile est un objet d’intérêt fondamental pour l’être humain contemporain. La voiture est un élément constitutif de l’existence de son propriétaire, mais dans le cas des passionnés de quatre roues, il faut ajouter aussi la curiosité, le désir de connaître l’histoire du véhicule. Le « Retromobil Club România », fort de plus de 3000 adhérents à travers le pays, a récemment organisé l’exposition « Les socialistes de la ville », pour laquelle il a collaboré avec le Musée national d’art contemporain. Plusieurs dizaines de voitures ont investi l’esplanade devant l’institution muséale bucarestoise, afin de montrer aux visiteurs une partie du passé automobile de la Roumanie. Les véhicules exposés, propriétés d’Etat ou privées, avaient parcouru les routes nationales et locales entre 1964-1989, à l’époque où le parti communiste régnait en maître sur le pays. Le choix du nom de l’exposition évoque les voitures, la période historique et le quotidien des Roumains de ces années-là.Șerban Cornaciu, vice-président du Retromobil Club România et organisateur de l’exposition « Les socialistes de la ville », a expliqué la conception de l’événement : « C’est un événement qui vient contrebalancer l’exposition d’objets d’art-hommage ouverte à l’intérieur du Musée national d’art contemporain, par une sélection d’automobiles fabriquées entre 1964 et 1989 et qui ont circulé dans cette ville. Nous avons voulu reconstituer l’atmosphère de ces temps-là à travers des voitures qui avaient vraiment circulé dans la capitale. Nous essayons de raconter comment ces automobiles avaient été achetées, qui et comment s’en servait, quelle était leur place dans la vie des gens à l’époque socialiste. »

    C’est ainsi que 20 automobiles, une camionnette, un bus, un camion et 4 motos ont été réunis dans une exposition captivante. La plupart des voitures étaient fabriquées en Roumanie, dont sept Dacia 1300, le modèle le plus populaire avant 1989, fabriqué à Pitești (sud). C’était en fait une Renault 12 fabriquée sous licence en Roumanie. Un modèle extrêmement longévif puisque produit de 1968 à 2004. Trois d’entre elles étaient des Dacia 1300 version de base, une Dacia Sport (version coupé de la 1300), une Dacia 1100 (soit une Renault 8 produite en Roumanie) une Dacia 1300 qui avait servi de véhicule utilitaire de la Milice et une Dacia 2000, le modèle utilisé par Nicolae Ceaușescu et par les membres de la direction du parti communiste. Ce dernier véhicule était en fait une Renault 20 assemblée en Roumanie et portant le badge Dacia. Une autre marque de voiture roumaine, Oltcit, a été représentée par le modèle Oltcit Special, fabriqué à Craiova (sud) avant 1989. L’OLT-cit est en fait une Citrën Axel.

    La troisième marque roumaine présente dans l’exposition « Les socialistes de la ville » a été Aro, avec quatre véhicules: deux Aro 243, un Aro M461 C et un Aro Dacia 10. Toutesz ces voitures tout-terrain étaient conçus et fabriqués intégralement en Roumanie. Les marques étrangères sont elles aussi représentées dans les collections des passionnés de voitures vintage. Trois marques soviétiques, les célèbres Moskvitch, Volga et Lada, étaient visibles sur l’esplanade du Musée national d’art contemporain de Bucarest. Une Volga M 21, fabriquée en 1961 et utilisée par les institutions d’État et par les hauts dignitaires, a attiré de nombreux curieux. La Moskvitch 403 a été un des premiers modèles vendus à la population et la Lada 1200 s’est attiré les appréciations de ceux qui l’avaient achetée. L’expo aurait été incomplète en l’absence de la Trabant 601, la fameuse « Trabi », fabriquée dans l’ex RDA et très demandée dans les années 1980, mais aussi sujet de quelques blagues savoureuses. Quant aux marques occidentales, l’on a pu admirer une Mercedes 2200, deux « coccinelles » Volkswagen et une Fiat 850, des modèles très populaires à l’époque. La camionnette TV, le bus Roman Diesel et le camion Carpați, tous les trois fabriqués en Roumanie, ont été des présences inédites, remarquait Serban Cornaciu : « Tous les objets exposés ici ont une histoire spéciale. Ils ont fait partie des équipements de l’Etat roumain. Je pense au bus Roman Diesel, long de 11,3 mètres, aux automobiles exportées durant la période socialiste et récupérées par nos adhérents, dans une démarche de récupération du trésor technique de la Roumanie. Ce sont des voitures exportées en Hongrie, en France, que mes collègues ont récupérées et remises en état. Nous avons également un objet unique en Roumanie, une camionnette TV, qui a roulé dans les années 1970, une des premières utilisées par l’Etat roumain, exposée pour la première fois parmi « Les socialistes de la ville ». Et puis, il y a un camion militaire Carpați, à traction intégrale, qui a été restauré jusqu’à la dernière vis de carrosserie. »

    Deux motos allemandes BMW, une roumaine, la très connue Mobra, et le scooter Carpați, de fabrication également roumaine, avaient rejoint les quatre roues. Pour Șerban Cornaciu, l’exposition est un acte de culture et un devoir assumé par les membres du Retromobil Club România. Track: « C’est en quelque sorte un devoir pour nous autres, membres du Retromobil Club România, de montrer au public et à notre communauté les objets et les voitures de cette collection. Notre plus grande joie est d’avoir réussi à présenter des véhicules que vous pourriez voir circuler dans la rue. »L’exposition « Les socialistes de la ville » a été une occasion d’évoquer la civilisation de l’automobile dans la Roumanie d’avant 1989. Une évocation difficile à réaliser en l’absence des passionnés de voitures anciennes.

  • Cent ans depuis la mort de Constantin Dobrogeanu-Gherea

    Cent ans depuis la mort de Constantin Dobrogeanu-Gherea

    Le 7 mai 1920 s’éteignait à Bucarest,
    dans sa 64e année, Constantin Dobrogeanu-Gherea, sans doute le plus
    important penseur marxiste roumain du 19e siècle. De son vrai nom
    Solomon Katz, Gherea est né en 1855 dans la ville de Slavianka, située dans
    l’Ukraine d’aujourd’hui, dans une famille de commerçants juifs. La famille Katz,
    bien intégrée, faisait partie de la classe moyenne de la société russe de
    l’époque. Avec un père brasseur et un frère médecin, le futur Constantin
    Dobrogeanu-Gherea suit des études universitaires à Kharkov, où il entre en
    relation avec les mouvements révolutionnaires russes, marqués souvent par la pensée
    des anarchistes. Il prend part au mouvement estudiantin de 1874, qui tenta
    d’essaimer l’idée de la révolution parmi les paysans.

    Poursuivi par la police
    du Tsar, Constantin Dobrogeanu-Gherea trouve d’abord refuge en Roumanie, à
    Iaşi, l’ancienne capitale de la principauté de de Moldavie, ensuite en Suisse,
    où il se mettra en relation avec les groupes des révolutionnaires russes. Rentré
    en Roumanie, il s’occupe du trafic de littérature révolutionnaire subversive,
    qu’il s’ingénie à transporter en sous-main de Iasi vers la Russie. En parallèle,
    il s’adapte à son nouveau pays, et obtient la nationalité roumaine en 1890,
    alors même que, fait remarquable, l’octroi de cette nationalité aux allochtones
    était alors conditionné par leur appartenance à la religion chrétienne
    d’Orient. Il ne prendra pour nom celui de Constantin Dobrogeanu-Gherea que
    lorsqu’il s’affirmera en tant que critique littéraire, au moment où il mettra
    les bases, en tant que cofondateur, du Parti social-démocrate ouvrier roumain,
    soit en 1893.


    Accompagnés par Călin Cotoi, de
    l’Université de Bucarest, essayons de remonter le parcours de l’aventure
    roumaine de celui qui deviendra le plus important penseur socialiste roumain du
    19e siècle. Călin
    Cotoi : « Dobrogeanu-Gherea a eu une vie assez aventureuse. A un certain moment,
    en 1877, il se fait enlever par la police secrète du Tsar, pour se retrouver en
    Sibérie. Il s’évade, puis, via la Norvège, il regagne la Roumanie. Il
    abandonnera par la suite son attachement à la perspective anarchiste, et
    devient l’un des représentants de poids de l’orthodoxie marxiste, partisan du
    penseur marxiste allemand Karl Kautsky. Il traduit son ouvrage, intitulé
    « Le programme d’Erfurt », tout en essayant d’adapter les préceptes
    de Marx à la réalité de cette société agraire, située à la périphérie de
    l’Europe, qu’était la société roumaine de l’époque ».


    Polyglotte
    averti et doté d’un sens aigu de l’observation, Constantin Dobrogeanu-Gherea deviendra
    très vite un terrible diagnosticien des maux qui rongent la société paysanne de
    Roumanie. Il écrira « La nouvelle servitude paysanne », ouvrage de
    référence pour le mouvement socialiste roumain naissant. Călin Cotoi : « Gherea n’était pas le seul penseur de gauche de son époque. Ces
    mouvances de la gauche roumaine étaient travaillées à l’époque par le désir
    d’adapter la pensée marxiste aux réalités locales, qu’il s’agisse de cette
    Roumanie un peu excentrée par rapport à l’Europe occidentale ou encore du sud
    de la Russie, soit de ces régions charnière entre l’Empire russe et l’Europe. Gherea
    faisait donc partie de ce courant de pensée plus ample, censé repenser et
    adapter le socialisme au profit d’une société périphérique et agraire.
    L’héritage le mieux connu qu’il nous a légué tient en fait en cette
    expression : la nouvelle servitude paysanne. C’est le titre de son
    ouvrage, qui demeure une référence dans les sciences sociales et dans
    l’histoire de l’évolution sociale de la Roumanie. Dans ce livre, il donne la
    réplique à Constantin Stere, ancien partisan, tout comme Gherea, du mouvement
    des Narodniki. Et il essaye d’expliquer pourquoi la pensée socialiste prend
    tout son sens dans le contexte roumain, s’érigeant même en tant qu’unique
    pensée progressiste adaptée à la
    région ».


    Et
    parce que les idées devaient bien trouver un champ d’application politique, il
    s’attelle à fonder, avec d’autres, en 1893, le Parti social-démocrate des
    ouvriers de Roumanie. Călin Cotoi : « Le Parti social-démocrate des ouvriers de Roumanie fait dès le départ
    face à toute une série de défis. Il y avait tout d’abord la question de la
    nationalité roumaine, qu’une partie de la classe ouvrière, encore balbutiante, ne
    détenait pas. Les ouvriers comptaient parmi eux beaucoup de Juifs, des
    Hongrois, des Allemands, des Roumains citoyens de l’Empire d’Autriche-Hongrie.
    Et, sur ce fond, surgissaient de façon régulière des crises à caractère
    antisémite, au sein même de la classe ouvrière. Des crises que le parti
    social-démocrate de Gherea essaiera d’atténuer. Finalement, le parti implosera,
    suite à ce genre de situations inextricables. Gherea, qui était lui-même
    d’origine juive, venait juste de recevoir la nationalité roumaine. Et il refuse
    de se laisser couler avec son bébé, le parti. Il va donc trouver la parade en
    s’investissant dans la culture roumaine, devenant l’un de ces critiques
    littéraires dont l’opinion faisait autorité dans l’époque, surtout une fois la
    rupture avec Titu Maiorescu, l’autre grand critique littéraire du moment,
    consommée. Et voilà comment l’un des plus importants penseurs politiques de son
    époque fera reconnaître son nom par la postérité : non pas grâce à son
    activité politique, ni même grâce à ses traités en sciences sociales, mais
    surtout grâce à son œuvre de critique littéraire. »


    Au mois
    de novembre 1917, à la faveur de la Révolution d’octobre, le régime bolchévique
    faisait son entrée dans l’histoire. Avec lui, Gherea, assez âgé, selon les normes
    de l’époque, prendra ses distances. Călin Cotoi croit savoir que l’attitude de
    Constantin Dobrogeanu-Gherea ne fut pas tant dictée par des considérations
    d’âge, mais plutôt infléchie par l’évolution de sa pensée politique, par son
    adhésion à un socialisme démocratique, plutôt que révolutionnaire. Călin Cotoi : « Constantin Dobrogeanu-Gherea a toujours été un social-démocrate, adepte
    de Kautsky. Selon ce dernier, la mouvance bolchévique s’avérait une sorte
    d’hérésie. Pourtant, Gherea garde ses contacts. Il parle à Racovski, son fils
    même adhère au mouvement bolchévique, mais lui, il essaye de s’aménager une
    sorte d’espace de liberté, une sorte d’autonomie. Il restera fidèle au mouvement
    social-démocrate inspiré par le modèle allemand. »


    100 ans
    après, l’héritage laissé par Constantin Dobrogeanu-Gherea dans l’évolution de
    la pensée de gauche en Roumanie ou encore à l’égard de l’état social de la
    paysannerie roumaine de l’époque, demeure toujours essentiel. (Trad. Ionuţ Jugureanu)



  • La Bulgarie et le coronavirus

    La Bulgarie et le coronavirus

    Cette semaine nous revenons dans les pays de l’est puisque nous allons parler de la Bulgarie dans le contexte de pandémie de coronavirus. Comme nous le verrons, les autorités de ce pays ont géré assez différemment cette situation vis-à-vis d’autres pays européens. Nous en discutons avec notre invité, Momchil Hristov, sociologue et enseignant à l’Université de Sofia.