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  • La vie privée des travailleurs étrangers de Roumanie

    La vie privée des travailleurs étrangers de Roumanie

    Plus de 200 000 étrangers résident en Roumanie

     

    D’après l’enquête réalisée fin octobre 2023 par le Centre pour l’étude comparative des migrations, il y a en Roumanie un peu plus de 200 mille citoyens étrangers dont 87 % détiennent un permis de séjour temporaire. Le taux de refus des demandes d’asile étant de 83%, cette catégorie d’étranger est numériquement très faible.

     

    Bucarest réunit 26% des étrangers installés dans le pays en raison des opportunités d’emploi, de l’offre éducative et des possibilités offertes par une grande ville. 10% sont dans le département limitrophe d’Ilfov et pour le reste du pays, 7% sont à l’ouest dans le département de Timisul, 6% dans la région de Cluj et 6% également à Constanta. Les népalais sont le groupe le plus important, 9% du total des étrangers, suivi des turcs, 8%, puis des italiens, des Sri Lankais et des moldaves, 7% chacun. Si les migrations de travail des italiens, des moldaves et des turcs relèvent de liens anciens et de similitudes culturelles et économiques, les arrivées de travailleurs du sud-est asiatique s’expliquent quant à elles par des accords élaborés récemment au niveau étatique et restent peu connues.

     

    Une recherche sur la vie  des travailleurs asiatiques en Roumanie

     

    La recherche « Bridging communities : une étude exploratoire sur l’immigration de travail en Roumanie », s’est penchée sur les droits des travailleurs asiatiques, leurs conditions de travail et de vie et la mesure dans laquelle ces droits sont effectivement respectés. Le Code du travail roumain dispose en effet que les travailleurs immigrés bénéficient des mêmes droits que les citoyens roumains, des mêmes conditions de travail, des périodes de repos, des bénéfices sociaux, des salaires et de la protection contre les discriminations.

     

    Pourtant les chercheurs ont découvert que l’exploitation au travail était le problème le plus fréquemment signalisé par les travailleurs étrangers, un problème pouvant avoir un impact décisif sur la décision de remigrer vers un autre pays. Le travail de livreur de nourriture et le travail en cuisine sont les deux types d’emploi les plus susceptibles d’exposer le travailleur à des formes d’exploitation et de négation de ses droits. Ce risque croit encore dans le cas des personnes sans papiers ou en attente de régularisation.

     

    Le cadre législatif n’est pas toujours respecté

     

    Anatolie Coșciug est le coordonnateur de la recherche menée par le Centre pour l’étude comparative des migrations. Il considère que l’Etat devrait contrôler les conditions de travail et s’assurer du respect des droits des travailleurs. Mais il insiste également sur le non-respect du cadre législatif encadrant l’immigration de travail, à savoir le manque de contrôle de la qualification et des compétences des immigrants.

     

    ” Si on regarde la liste de l’Inspection générale de l’immigration, on constate qu’il y a quelques preuves à apporter, soit un diplôme, soit un test pratique. Or il y a des choses qui ne marchent pas et notamment au niveau de la langue. Il faut que les personnes qui arrivent parlent roumain ou au moins une langue de circulation internationale. Or on ne leur demande qu’une déclaration sur l’honneur qui ne prouve rien. Très souvent des personnes arrivent et ne sont pas compétentes dans le domaine dans lequel elles sont embauchées ou n’ont pas de qualification. C’est quelque chose d’inconcevable dans un pays comme l’Allemagne où c’est l’Etat qui gère cet aspect-là des choses et c’est super contrôlé. On n’a pas le droit de faire venir quelqu’un qui ne sait pas faire de soudure pour faire des soudures. Il y a d’autres problèmes, avec la santé par exemple. Certaines mesures sont mises en place juste pour permettre aux autorités de se laver les mains. Ainsi ce sont les entreprises qui font venir les travailleurs qui sont responsables de l’accès aux soins. Or ces entreprises doivent être contrôlées par les institutions de l’Etat. Par exemple, on contrôle si les travailleurs ont leurs papiers en ordre et si ce n’est pas le cas, l’entreprise perd son droit à faire venir de la main d’œuvre de l’étranger. On ne peut pas se contenter de légiférer et de dire : si c’est respecté c’est bien sinon tant pis”.

       

    A quoi occupent-ils leur temps libre ? 

     

    Un autre aspect demeure mystérieux concernant ces nouveaux-venus en Roumanie : à quoi occupent-ils leur temps libre ? En octobre, les Arènes romaines de Bucarest ont accueilli le temps d’un concert le groupe de musique le plus populaire du Sri Lanka. Des centaines de personnes sont venues les acclamer, venant parfois de l’autre bout du pays pour cette occasion. L’un des participants l’a assuré à Radio Roumanie, lui aussi serait allé jusque là-bas pour ce concert.

     

    Un restaurant bucarestois, le lieu de rencontre de nombreux Sri-lankais 

     

    Par ailleurs, un restaurant a ouvert récemment à Pantelimon, dans le nord-est de Bucarest. Il est rapidement devenu le lieu de rencontre de nombreux sri-lankais de la capitale. C’est un jeune couple arrivé avec des visas de travail qui a anticipé le besoin de ses compatriotes d’avoir un lieu où se retrouver, un lieu empreint de leur culture. En plus de la nourriture traditionnelle, le lieu propose des évènements musicaux, invitant des DJ sri-lankais installés en Roumanie ou des artistes européens. Les participants racontent que dans leur pays de nombreuses fêtes de ce genre sont organisées sur la plage. On oublie souvent que les nouveaux venus n’apportent pas qu’une force de travail. Ils arrivent avec leur musique, leur cuisine, leurs business et un mode de vie différent qui petit à petit vient se mêler à la société et enrichir la culture du pays d’accueil. (trad. Clémence Lheureux)

  • Les nouveaux visages qui sillonnent les rues de la Roumanie

    Les nouveaux visages qui sillonnent les rues de la Roumanie

    Un déficit profond de main d’oeuvre

     

    Dans un contexte de déclin démographique, causé par le vieillissement de la population et une émigration importante, la Roumanie fait face à un déficit de main d’œuvre. Ce déficit particulièrement marqué dans certains domaines a constitué dans les dernières années un défi majeur pour le gouvernement roumain, qui y a répondu en ouvrant les portes à une immigration légale de travail. C’est ainsi que le visage des rues de Roumanie, de Bucarest notamment, mais aussi des différentes villes de province, s’est rapidement modifié, accueillant de nouveaux-venus arrivant de loin pour travailler dans les pâtisseries, les restaurants, les usines et les services de livraison, tous avec l’espoir d’une vie meilleure.

     

    Les chiffres le confirment

     

    Chaque année depuis 2022, environ 100 000 visas de travail sont accordés à des travailleurs non européens en Roumanie. En 2023, selon les données de l’Inspection générale de ‘l’immigration, 101 253 permis de travail ont été délivrés, majoritairement à des ressortissants d’Asie du sud, notamment du Népal (plus de 23 000 visas), du Sri Lanka (22 000 visas), du Bangladesh (18 000) et du Pakistan (plus de 8 250). Ces données révèlent également une importante inégalité de genre, 90 % des arrivants étant des hommes. Les principaux domaines dans lesquels ils travaillent sont l’hôtellerie-restauration, le tourisme, les usines, le BTP et le ménage.

     

    Selon d’autres sources, en 2022, les visas de travail accordés à des ressortissants sri-lankais représentaient plus de la moitié des visas délivrés dans toute l’Union européenne aux citoyens de ce pays.

     

    Quelles conditions de vie et de travail ?

     

    Cette situation nouvelle pose la question des conditions d’accueil et de travail de ces travailleurs. En effet, de nombreuses enquêtes de presse ont révélé comment la vulnérabilité de ces personnes qui ne connaissent ni le roumain ni la législation roumaine, les expose à de nombreux abus, situations d’exploitation, arnaques ou illégalité forcée, des situations contre lesquelles ils n’ont pas toujours les moyens de se prémunir.

     

     

    Dans la plupart des cas, les travailleurs migrants ont payé des sommes exorbitantes à des intermédiaires qui prennent en charge les démarches administratives. Ces sommes comprises entre 4 000 et 10 000 euros, ont été réunies en vendant les bijoux de famille ou des terres, en contractant des emprunts ou en hypothéquant la maison ou les terres abritant toujours les familles restées au pays. Ils envisagent de les rembourser peu à peu, grâce aux salaires gagnés en Roumanie. Cette dette contractée fait peser sur ces personnes une menace qui les rend particulièrement dépendantes aux employeurs et donc potentiellement vulnérables à des atteintes à leurs droits fondamentaux.

     

    Une enquête nécessaire 

     

    Anatolie Coșciug est chercheur et directeur adjoint du Centre pour l’étude comparée des migrations. Il a accepté de nous parler des cas d’abus révélés par ses recherches de terrain.

    “On a cherché à savoir si les cas d’abus dont on a entendu parler au cours de nos recherches ou dans d’autres travaux, constituent des exceptions, des cas isolés ou s’il s’agit d’un système. Et s’il s’agit d’un système, comment l’expliquer ? Or, ici il faut prendre en compte à la fois des facteurs liés à la migration et des facteurs liés à notre politique sociale en général. Donc ce n’est pas seulement une question de migration, mais il faut aussi bel et bien comprendre comment notre société est organisée. Or cette organisation rend les migrants ultra-vulnérables. On propose dans nos travaux une approche basée sur les droits humains. Ça peut sembler surréaliste, mais il s’agit d’une approche inhabituelle, car personne ne parle jamais de ces travailleurs comme de gens ayant des droits, qui sont vulnérables et doivent bénéficier de protection le cas échéant. Ça me semble tout à fait extraordinaire que dans les entretiens avec les migrants, avec les ONG ou d’autres intervenants, personne ne fasse jamais référence aux droits humains”.

     

    Plusieurs droits fondamentaux sont souvent ignorés

     

    Quelles sont les principales situations d’abus recensées ? Anatolie Coşciug nous fait part de ses découvertes.

    “On a pris les droits humains un par un et pour chaque travailleur on a essayé de voir quelle était la situation, afin de mettre en évidence des cas spécifiques. Par exemple, on a pris en considération le droit à un travail décent, à un logement, les droits liés à la famille, les droits liés à l’éducation. Donc, on a cherché comme ça, que cela vous surprenne ou pas, on a découvert que dans tous ces domaines il existe des formes de violation des droits fondamentaux. Il y a des formes parfois très graves, comme dans le cas du logement. La majorité des travailleurs immigrés affirment vivre dans des logements surpeuplés, parfois sans accès à l’eau courante. De même, souvent leur nourriture ne correspond pas à l’effort du travail accompli. Sans doute, il y a également de nombreuses situations où les problèmes ne sont pas aussi durs ou fréquents et où les violations des droits humains sont moins visibles. Par exemple, si on prend le droit à la réunification familiale, le droit de faire venir sa famille, ce n’est pas formellement interdit, bien sûr, mais les démarches sont extrêmement compliquées et découragées, tant par les employeurs, que par les gouvernements des pays de départ et le gouvernement roumain”.

     

    De nombreux observateurs craignent en outre que la route ne soit longue avant que la Roumanie ne se dote d’une politique d’accueil plus respectueuse, les institutions publiques, le milieu privé mais aussi une partie de la population n’y voyant peut-être pas une priorité pour le pays. (trad. Clémence Lheureux)