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  • Ștefan Augustin Doinaș

    Ștefan Augustin Doinaș



    Poète, essayiste, traducteur, membre de lAcadémie roumaine et homme politique, Ștefan Augustin Doinaș, dont on vient de marquer le centenaire de sa naissance, est notamment connu pour son poème « Mistrețul cu colți de argint/Le sanglier aux crocs dargent », longtemps étudié en cours de roumain par les élèves de Terminale.



    Ștefan Popa, qui sest choisi le nom de plume Ștefan Augustin Doinaș, est né le 26 avril 1922, dans une famille aisée, dans le département dArad (ouest) ; il sest éteint le 25 mai 2002 à Bucarest, à lâge de 80 ans. Durant ses années de lycée, dans la ville dArad, il se familiarise avec les œuvres décrivains roumains importants des XIXe et XXe siècles, tels que Vasile Alecsandri, Dimitrie Bolintineanu, Mihai Eminescu, Tudor Arghezi, ainsi quavec celles de poètes français, comme Stéphane Mallarmé et Paul Valéry. En 1941, il se rend à Sibiu, pour suivre les cours de médecine de lUniversité de Cluj, qui y avait trouvé refuge après 1940, lorsque le nord de la Transylvanie avait été cédé à la Hongrie. Mais il arrête les études de médecine et se tourne vers la Faculté des Lettres et de Philosophie, dont il obtient le diplôme final en 1948. Ștefan Augustin Doinaș enseigne le roumain entre 1948 et 1955, lorsquil abandonne la carrière enseignante et déménage à Bucarest. En 1956, il rejoint la rédaction de la revue « Teatru ». En 1957, il est condamné à un an de prison, ce qui lui fait perdre son emploi et lui vaut aussi une interdiction de publier, qui dure jusquen 1963. Après la prison, il réussit à se faire embaucher à la revue « Lumea », grâce à lintervention de George Ivașcu, un homme de culture influent de lépoque. En 1969, Ștefan Augustin Doinaș rejoint la rédaction de « Secolul 20 », une des meilleures revues littéraires de Roumanie, à laquelle il restera lié jusquà la fin de sa vie. Entre 1964 et 2000, il a publié treize recueils de poèmes existentialistes, six volumes de critique littéraire et dessais, deux livres de littérature pour enfants, une pièce de théâtre et un volume de prose.



    Le poète et historien de la littérature Ion Pop a rendu hommage à la personnalité de Ștefan Augustin Doinaș, précisant que celui-ci pouvait inventer un langage poétique en sappuyant sur la rigueur des sciences exactes et sur la liberté dun jeu sans contraintes. « À une première vue, la création poétique de Ștefan Augustin Doinaș semble très éloignée du monde du jeu, que de nombreuses voix considèrent comme un espace dédié à des activités libres et dépourvues de responsabilité envers le sérieux existentiel. Doinaș est lui aussi un artisan raffiné du verbe et son image, retenue dès ses débuts par la mémoire du lecteur, a été plutôt celle dun auteur de vers soumis aux rigueurs classiques, strictement contrôlées du point de vue intellectuel. Lui, il est « lhomme au compas », selon le titre dun de ses livres importants. »



    Ștefan Augustin Doinaș a également été un traducteur réputé, à qui lon doit trente volumes de poèmes traduits en roumain. Il a traduit deux chefs-dœuvre de la littérature universelle, « Faust » de Johann Wolfgang Goethe et « Ainsi parla Zarathustra » de Friedrich Nietzsche, ses traductions étant considérées comme des monuments de recréation des deux œuvres en roumain. Par ailleurs, les livres de Ștefan Augustin Doinaș ont été traduits en une dizaine de langues européennes, dont le français, langlais, lallemand, litalien et lespagnol. LAcadémie roumaine lui a ouvert ses portes en 1992.



    Ștefan Augustin Doinaș a fait partie dune génération de Roumains traumatisés par le régime communiste. Il sy est confronté tout de suite après linstallation de ce régime en Roumanie, à la fin des années 1940, lorsque ses parents ont été qualifiés de « chiaburi », équivalent des « Koulaks » en URSS, cest-à-dire des « exploiteurs des paysans », selon lidéologie marxiste-léniniste. Lannée 1957 apporte un grand changement dans la vie de Ștefan Augustin Doinaș. Après la mort de Staline en 1953, Doinaș, comme tous les Roumains dailleurs, sattendait à de grands changements qui ne se sont pas produits. Après la liquidation de la révolution anticommuniste de Hongrie, en 1956, Ștefan Augustin Doinaș est arrêté le 3 février 1957 et il est condamné à un an de prison pour « non-dénonciation ». Il avait reçu la visite de lécrivain Marcel Petrișor, qui avait parlé de la révolution anticommuniste hongroise et dune éventuelle solidarisation des Roumains avec les changements mis en place de lautre côté de la frontière. Arrêté et torturé, Petrișor avait avoué aux enquêteurs les noms de ses interlocuteurs. Après la chute du régime communiste en 1989, lopinion publique roumaine allait apprendre que le prisonnier politique Ștefan Augustin Doinaș, lui-même victime dune dénonciation, avait à son tour dénoncé deux autres écrivains, Ion Caraion et Ion Omescu, arrêtés en 1957 également en lien avec la révolution de Hongrie ; Doinaș avait été le témoin à charge. Mis en liberté une année plus tard, Ștefan Augustin Doinaș épouse Irinel Liciu, danseuse à lOpéra de Bucarest, le 8 avril 1958. Leur mariage allait durer 44 ans. En 2002, quelques heures après le décès du poète, Irinel Liciu avale le contenu dune boîte de somnifères et se donne la mort.



    Ștefan Augustin Doinaș sest aussi impliqué dans la vie politique. Après 1989, il a signé des dizaines darticles de presse anticommunistes virulents et il a adhéré au Parti de lAlliance civique. Il a rempli un mandat de sénateur de 1993 à 1996. (Trad. Ileana Ţăroi)




  • La politique extérieure de la Roumanie dans les années 60/70

    La politique extérieure de la Roumanie dans les années 60/70

    Dans les années 1960-1970, la Roumanie cherchait à se définir une place bien à soi dans la politique internationale, et tout cela dans le contexte délicat de la guerre froide. Tombée dans l’escarcelle soviétique, à l’instar de toute l’Europe de l’Est, dès 1945, la Roumanie a d’emblée souffert d’importants bouleversements tant sur le plan intérieur que sur le plan de sa politique extérieure, l’abandon de ses anciens alliés occidentaux étant la première exigence de Moscou à l’égard du gouvernement roumain. Dès 1948, lorsque le régime communiste s’instaure de plein pied, et jusqu’au début des années 1960, la politique isolationniste et l’adversité affichée envers le monde occidental ont fait office de politique étrangère pour l’État communiste roumain. Toutefois, après 1953 et la mort de Staline, après la condamnation des crimes staliniens par son successeur, Nikita Kroutchev, après surtout la révolution hongroise de 1956, qui avait secoué le bloc communiste, les lignes de politique étrangère se mettent à bouger au sein de ce dernier. L’Union Soviétique commence de plus en plus à faire profil bas et à diminuer la pression exercée sur les dirigeants communistes qu’elle avait amenés au pouvoir dans les États occupés dans l’Est de l’Europe et devenus autant d’États satellites après 1945.

    C’est dans ce contexte international que la Roumanie cherche donc à se trouver une place et une identité dans le concert des nations de l’époque. Le ministère roumain des affaires étrangères ressentait à son tour le besoin d’un leadership ouvert aux réformes et aux nouveaux équilibres internationaux. Et il ne tardera pas à le trouver en la personne de Corneliu Mănescu, anciennement ambassadeur en poste à Budapest. Rappelé à Bucarest par le secrétaire général du parti communiste de l’époque, Gheorghe Gheorgiu-Dej en personne, Mănescu se voit nommé à la tête de la diplomatie roumaine, en 1961. À son arrivée, la Roumanie n’avait noué des relations diplomatiques qu’avec une trentaine de capitales de par le monde. Corneliu Mănescu porte d’abord son attention vers l’ONU, dont la Roumanie faisait partie depuis 1955, et où il comptait trouver des appuis pour la nouvelle ligne d’ouverture de la politique étrangère du pays. Il en trouvera mieux, il trouvera des amis à l’ONU, d’abord et par-dessus tout en la personne du troisième secrétaire général de l’organisation, le Birman U Thant.

    En 1994, à 78 ans, Corneliu Mănescu avait donné une interview au Centre d’Histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, au cours de laquelle il remémore le moment : « U Thant a été un véritable ami de la Roumanie. Il nous avait épaulés pour que l’on devienne un membre de poids de l’organisation. Il nous a aidés à fonder à Bucarest le Centre Démographique de l’ONU-Roumanie (le CEDOR), où l’enseignement est donné en français. Il a fait de son mieux pour nous aider à développer nos relations internationales. C’est lui encore que j’avais appelé en premier, en 1968, lorsque la menace d’une invasion soviétique devenait évidente. U Thant s’était alors engagé à initier une conférence internationale extraordinaire pour nous soutenir, le cas échéant. Cet homme mérite notre respect et toute notre reconnaissance. » Corneliu Mănescu était ainsi parvenu à recoller les morceaux, à renouer les relations avec les États occidentaux. Avec la France, en premier : « En 1961, lorsque j’avais pris les rênes du ministère, nos relations diplomatiques se limitaient presqu’exclusivement aux États membres du Pacte de Varsovie. Après 1945, nous étions presque en état de guerre avec nos anciens alliés, avec les États aux côtés desquels nous avions combattu contre l’Allemagne nazie. Des relations gelées, moribondes. Mais dès 1961, la politique étrangère de la Roumanie prend un véritable tournant. Tout d’abord avec la France. En cette année-là, les relations entre la Roumanie et la France étaient au point mort, ou presque. Mais dès la première année de mon mandat, j’avais rencontré mon homologue français, le ministre des Affaires étrangères, Monsieur Couve de Murville, à New York, et il m’avait adressé l’invitation de lui rendre visite à Paris. J’avais accepté sur place. C’était inhabituel, surtout selon la coutume communiste, de prendre de telles décisions sur un coup de tête, sans avoir consulté la hiérarchie du parti. Mais j’avais ensuite obtenu l’accord de Bucarest pour mener à terme cette initiative diplomatique. »

    L’autre État occidental qui incarna l’intérêt des diplomates de Bucarest a été l’Italie. Corneliu Mănescu : « La position roumaine à l’égard des institutions internationales était impardonnable. Nous les repoussions, nous refusions leur aide et leur appui. Je me rappelle encore comme si c’était hier l’échange que j’avais eu à Bucarest avec le président de Conseil italien, Amintore Fanfani, lorsque je lui avais fait part de la nécessité, pour nous, d’être soutenus par les pays industrialisés, par l’Italie en l’occurrence. Il m’avait répliqué, je le cite de mémoire : « C’est maintenant que vous me demandez cela ? Nous vous attendions depuis longtemps, et vous n’êtes pas venus. Nous avons offert notre aide, notre coopération, à tous ceux qui nous l’avaient sollicitée, la Yougoslavie par exemple. » Ce furent ses propos presque mot pour mot. »

    C’est en 1967 qu’un grand pas en avant allait être franchi par Bucarest, qui établissait avec fracas des relations diplomatiques avec la République fédérale d’Allemagne :« J’avais accordé à l’époque une interview au journal Christian Science Monitor, à un nommé Rossi, qui travaillait à New York pour ce journal. Il m’avait questionné au sujet de notre attitude par rapport à la RFA, si nous désirions nouer des relations économiques, diplomatiques, si nous envisagions d’établir des relations formalisées, dotées d’un caractère pérenne. Et il m’avait entre autres posé cette question, si je pensais que l’Allemagne d’alors était un pays fasciste. J’avais démenti formellement. Or, cette interview avait provoqué une véritable tempête dans les capitales du Pacte de Varsovie. Mes homologues étaient révoltés par mon attitude. J’avais été attaqué de toutes parts. Le fer de lance a été la RDA, qui avait protesté de manière véhémente. Ils me reprochaient tous mon attitude pacifiste, amicale, à l’égard de la République fédérale. Mais, bon, peu importe, les choses devaient être clarifiées. Il fallait le faire. »

    Corneliu Mănescu a été le ministre qui avait amorcé le changement d’orientation de la politique étrangère du gouvernement de Bucarest. Certes, pour ce faire, il avait bénéficié de l’appui politique nécessaire au sommet du parti communiste roumain. Le 19 septembre 1967, il sera élu président de la 22e session de l’Assemblée générale des Nations Unies. Une consécration, car c’était pour la première fois qu’un représentant d’un État socialiste était élevé à une telle dignité. L’image externe de la Roumanie s’améliorait considérablement, ce qui ne tardera pas d’avoir des conséquences extrêmement bénéfiques pour la Roumanie de la décennie suivante. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

  • Les villes Staline

    Les villes Staline

    Apres la victoire de mai 1945 sur l’Allemagne nazie, l’Union Soviétique s’est retrouvée maître de la moitié de l’Europe, lui imposant son propre modèle politique, économique et social. Le culte du dirigeant suprême, le célèbre Josèphe Staline, était partie prenante du modèle. En effet, la propagande exigeait de tout un chacun une adoration sans limites du commandant suprême soviétique. Des villes d’Albanie, de Bulgarie, de Tchécoslovaquie, de la RDA, de Pologne, de Roumanie ou d’Hongrie ont été rebaptisées du nom du dirigeant sans autre pareil du monde communiste.

    A l’instar de Staline, d’autres apôtres du communisme ont été mis à l’honneur dans ces mêmes pays. Aussi, en 1953, en RDA, la ville de Chemnitz se voit-elle adouber du nom de Karl Marx Stadt. En Yougoslavie, où le nom de Staline était banni, la ville de Podgorica, actuelle capitale du Monténégro, était devenue Titograd, en l’honneur du maréchal local, le célèbre Josip Broz Tito, et cela depuis 1953 et jusqu’en 1992.

    En Roumanie, c’est la petite ville d’Oneşti qui a eu l’insigne honneur de porter dans l’histoire le nom du leader communiste roumain, Gheorghe Gheorghiu-Dej, et puis la ville de Stei – le nom du premier président communiste de Conseil, Petru Groza. Nicolae Pepene, directeur du Musée d’histoire du département de Braşov, a conçu le projet des villes qui avaient pris le nom de Staline, projet qui a été financé par l’Union Européenne, en 2017, année du centenaire de la révolution bolchévique.

    On est allé à la rencontre de M. Pepene, pour mieux comprendre comment se fait-il que la ville de Braşov avait pris à l’époque le nom du célèbre Staline :« Il existe une explication officielle que l’on retrouve dans les journaux de l’époque, prétextant de la volonté des cheminots de rendre hommage au dirigeant suprême, à sa bienveillance envers le peuple, et surtout envers les ouvriers roumains. Pourquoi les cheminots ? Là, c’est plus compliqué à expliquer, mais c’est que le secrétaire général du parti communiste roumain, Gheorghe Gheorghiu-Dej, était lui-même cheminot. C’était juste de la propagande. Et la ville de Braşov s’est retrouvée rebaptisée au nom de Staline, la veille du 23 août 1950, le jour de la fête nationale du régime communiste. Il ne s’agissait, évidemment, que du servilisme à l’état pur de la part des autorités de Bucarest envers le Grand Frère soviétique. A l’époque, la présence soviétique dans la vie culturelle roumaine était déjà très marquée. Le monument à la gloire du soldat soviétique avait été érigé dès 1949 au beau milieu du parc central de la ville de Braşov. ARLUS, l’Association d’amitié soviéto-roumaine, était, elle aussi, fort active dans la ville. Des écrivains soviétiques débarquaient régulièrement dans la ville, des ouvriers et des professeurs soviétiques venaient connaître Braşov, dans le cadre des échanges dits culturels. Braşov était historiquement une ville industrielle, avec une présence ouvrière importante. Alors, après la prise de pouvoir par les communistes, elle est devenue le fer de lance de leur propagande. Bombardée pendant la guerre, son industrie s’est relevée grâce aux investissements massifs consentis par les communistes. »

    Par la suite, des propagandistes zélés ont marqué le nouveau nom de la ville en défrichant la montagne qui la surplombe pour marquer le contour des lettres du nom de Staline. Ce nom s’était répandu, à l’époque, comme une traînée de poudre à travers les pays d’Europe centrale, dont de nombreuses villes furent marquées à son sceau. Nicolae Pepene nous rappelle le contour de la carte des villes qui avaient le nom de Staline :« On doit commencer par l’Union Soviétique, car c’est de là que cette mode est partie. D’abord, la ville de Volgograd devient Stalingrad. Ensuite, la ville de Donetsk a été appelée Stalino. Bien sûr, après 1945 et l’occupation soviétique de l’Europe centrale et de l’Est, l’effet de mode a dépassé les frontières de l’URSS. La ville bulgare de Varna est devenue la ville de Staline. J’ai commencé avec Varna, car les Bulgares ont été les premiers à changer le nom d’une de leurs villes, c’était en 1949. Et ils n’avaient pas choisi n’importe laquelle, car à ce moment-là, Varna était la deuxième ville de Bulgarie, juste après Sofia, la capitale. Ensuite, la ville polonaise de Katowice, une ville ouvrière de tradition, a repris le nom de Staline. Les Polonais ont été les dindons de la farce dans cette histoire. Ils ont changé le nom de la ville en 1953, peu après la mort de Staline, pour revenir à l’ancien nom de Katowice dès 1956. Une autre ville, de Hongrie cette fois, a été nommée Stalinvaros, soit, en hongrois, la Citée de Staline. Bâtie au bord du Danube, elle s’appelle de nos jours Dunaujvaros. C’est toujours la ville sidérurgique la plus importante de Hongrie. En Albanie, on a choisi de rebaptiser une petite ville minière, Kutova, située au sud de la capitale, Tirana. En la République démocrate d’Allemagne, Eisenhüttenstadt, ville ouvrière, dotée d’une industrie sidérurgique importante, a eu l’honneur de changer de nom. Seule la Tchécoslovaquie a échappé à l’engouement général pour le nom du dictateur soviétique, même si des quartiers et des arrondissements de certaines villes ont quand même porté son nom. Ce fut le cas à Prague, mais aussi à Ostrava. »

    Les villes de Staline ont disparu plus ou moins facilement après la mort du dictateur, en fonction des situations particulières dans chaque pays. Katowice et Varna ont repris leurs anciens noms en 1956, Braşov en 1960, Eisenhüttenstadt et Dunaujvaros en 1961. Toujours en 1961, Volgograd et Donetsk ont reçu leurs noms actuels, et en 1991, Kotovo a été la dernière ville de Staline à abandonner ce nom tristement célèbre.
    (Trad. Ionuţ Jugureanu)

  • Les échos de la déstalinisation en Roumanie

    Les échos de la déstalinisation en Roumanie

    En 1956, 3 ans après la mort de Joseph Vissarionovich Staline, le nouveau leader soviétique, Nikita Khrouchtchev, condamnait les excès de la politique menée par le premier et prônait une autre politique. Son discours, connu comme le rapport du XXe congrès du Parti communiste de l’URSS du mois de février, document resté secret, allait être considéré comme le début de la déstalinisation. Khrouchtchev y dénonçait les pratiques ayant permis des crimes atroces, parmi les victimes figurant aussi plusieurs membres dévoués du parti et dont la fidélité envers Staline n’avait jamais été mise en doute.

    Toutefois, le rapport de Khrouchtchev dénonçait les seuls crimes de Staline contre les activistes du parti et de l’Etat, passant sous silence les crimes de masse commis par le régime stalinien. Les pays du bloc socialiste ont réservé un accueil différent à ce rapport. Alors que certains d’entre eux tentaient timidement de petites réformes, d’autres maintenaient la ligne dure du socialisme qu’ils avaient adoptée après 1945. Les contestataires de la déstalinisation entamée par Khrouchtchev saisirent l’occasion de la révolte anticommuniste qui a éclaté à l’automne 1956 en Hongrie pour montrer les risques que l’on courait en cas de politique socialiste plus détendue.

    En Roumanie, les échos du discours de Khrouchtchev ont été contradictoires, en ce se sens que le dirigeant stalinien Gheorghe Gheorghiu-Dej a maintenu sa position, au détriment de ses opposants, Miron Constantinescu et Iosif Chişinevschi. En 2002, dans une interview pour le Centre d’Histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, Ştefan Bârlea racontait qu’en 1957, en sa qualité d’activiste du parti, chargé de la Jeunesse, il avait participé à la réunion pendant laquelle on avait débattu des positions exprimées par Miron Constantinescu et Iosif Chişinevschi contre Dej. Aux réunions où l’on devait décider des mesures organisationnelles ne pouvaient participer que les membres du Bureau politique, précisait Ştefan Bârlea. : « A la deuxième réunion à laquelle j’ai participé, Gheorghiu-Dej s’est absenté. C’est Nicolae Ceauşescu qui a présidé les travaux. Y étaient présents aussi Constantin Pârvulescu et quatre autres membres importants, ainsi que Liouba Chişinevschi, la femme de Iosif Chişinevschi, elle aussi impliquée dans ce conflit. Les deux contestataires, Constantinescu et Chişinevschi, n’étaient pas là. Ceauşescu a présenté la situation, secondé par Pârvulescu. J’oubliais de mentionner Alexandru Moghioroş et surtout l’acteur principal, Petre Borilă. Gheorghiu-Dej, Miron Constantinescu, Iosif Chişinevschi et Petre Borilă avaient compté parmi les participants à la réunion tenue à Moscou pendant laquelle Khrouchtchev avait dénoncé le culte de la personnalité construit autour de Staline. De l’avis de Constantinescu et de Chişinevschi, le culte de la personnalité commençait à se manifester en Roumanie aussi. Ils ont même affirmé que même Gheorghiu-Dej n’y était pas étranger, propos mal digérés par Borilă, qui les a rejetés. »

    La lutte pour le pouvoir menée au sommet du parti était certes acerbe, mais elle n’allait plus jusqu’à la liquidation physique, comme cela était arrivé du temps de Staline. Ceci étant, l’intellectuel Miron Constantinescu et son camarade Iosif Chişinevschi n’eurent à subir que le blâme et la démission des hautes fonctions qu’ils détenaient. Ştefan Bârlea: « A l’insu de Gheorghiu-Dej, les deux sont allés faire du prosélytisme au sein du Bureau politique. Ils ont cherché à gagner à leur cause Constantin Pârvulescu et Moghioroş, sans pour autant y parvenir. La situation n’a pas tardé à être mise en débat au sein du Bureau politique. Gheorghiu-Dej avait l’air d’être mis devant le fait accompli. Pârvulescu et Moghioroş ayant pris leurs distances, Miron Constantinescu et Iosif Chişinevschi se retrouvèrent isolés. Comme Miron Constantinescu s’était exprimé de manière irrévérencieuse à l’égard de Gheorghiu-Dej même devant Staline, lorsqu’il avait été question de l’évincement d’Ana Pauker, Dej a assez violemment réagi. Il a donc décidé de soumettre ce problème au plénum du Comité central. Nous avons appris du jeune Ceauşescu qu’il avait été décidé que Miron Constantinescu et Iosif Chişinevschi informent la réunion plénière de la manière dont ils avaient conçu le rapport destiné au Bureau politique. Autrement dit, on les poussait à se démasquer eux-mêmes. Il fut décidé de les écarter du Comité central et des fonctions qu’ils occupaient. Miron Constantinescu avait été un proche collaborateur de Gheorghiu-Dej et détenu des fonctions importantes au sein du parti. Miron Constantinescu et Iosif Chişinevschi ont donc échoué dans leur lutte pour le pouvoir, Gheorghiu-Dej s’étant avéré plus habile. »

    Pour conclure, disons que la déstalinisation n’a pas eu de très grands échos en Roumanie. Le fait que Gheorghe Gheorghiu-Dej ait maintenu intacte sa position de leader suprême en dit long. L’effet le plus important de la déstalinisation reste le retrait des troupes soviétiques, en 1958, événement qui n’a pas pour autant marqué un tournant dans l’évolution ultérieure de la Roumanie.

  • L’achitecture soviétique en Roumanie

    L’achitecture soviétique en Roumanie

    Aujourd’hui le café des francophones remonte dans le temps. Nous allons évoquer les grands monuments construits à l’époque soviétique en Roumanie. Si, en général, l’histoire paraît limpide, les formes évoluant peu du centre de domination soviétique vers ses périphéries, nous verrons que les choses sont beaucoup plus complexes. En effet la réception est toujours surprenante. Un entretien avec Fabien Bellat.



  • Déstalinisation et contestation dans la Roumanie de Gheorghe Gheorghiu Dej

    Déstalinisation et contestation dans la Roumanie de Gheorghe Gheorghiu Dej

    Les effets de ces propos se sont fait sentir dans tous les pays socialistes, y compris en Roumanie, où Gheorghe Gheorghiu-Dej était un des leaders staliniens les plus durs. Selon le modèle construit par Khrouchtchev, les communistes roumains ont essayé d’opérer certains changements. Miron Constantinescu était l’intellectuel idéaliste qui s’était inscrit au Parti communiste roumain par conviction. Profitant du régime de Gheorghe Gheorghiu-Dej, il a réussi à progresser dans la hiérarchie supérieure du PCR. Membre de la délégation des communistes roumains au 20e congrès du PCUS, il a estimé que le moment était venu de confronter l’autorité indiscutable du leader Gheorghe Gheorghiu-Dej.

    L’historien Gheorghe Onisoru, de l’Institut national d’étude du totalitarisme, affirme que le changement produit à Moscou a surpris les leaders communistes des pays satellites, donc les Roumains aussi. « Le rapport de Khrouchtchev n’a pas été bien reçu par Gheorghe Gheorghiu-Dej. C’était un moment lorsqu’il estimait très bien contrôler la situation en Roumanie. En 1952, il avait liquidé le groupe accusé de déviation de droite, formé par Ana Pauker, Vasile Luca et Teohari Georgescu. En 1954 il a même fait exécuter Lucretiu Patrascanu, un autre poids lourd du parti. Dej a su comment manœuvrer les réunions du bureau politique en 1952 et transformer son infériorité face aux trois et énoncer la théorie du groupe qui minait l’autorité du parti. On pourrait considérer Dej comme un stalinien authentique. Dès le retour de la délégation roumaine participante au Congrès du PCUS, tant le rapport secret de Khrouchtchev que le rapport de la délégation roumaine ont été publiés plus tard que d’habitude. Ce ne fut que les 23 au 25 mars 1956 que la présentation du rapport de la délégation roumaine au Congrès du PCUS a figuré en troisième position de l’ordre du jour d’une réunion plénière du Comité central du Parti des Travailleurs de Roumanie. Dej lui-même en était le rapporteur. Miron Constantinescu a lu le Rapport secret relatif au culte de la personnalité et à ses conséquences. Constantinescu affirmait dans le cadre du plénum qu’il était entièrement d’accord avec le rapport de Dej, donc aucune rupture entre les deux n’était à envisager. Elle allait se produire durant la première grande réunion du Bureau politique du début du mois d’avril 1956. »

    Le lendemain, Miron Constantinescu a lancé l’attaque contre Gheorghe Gheorghi-Dej, raconte l’historien Gheorghe Onisoru : « A l’ordre du jour de la réunion du Bureau politique du parti d’avril figuraient les tribunaux spéciaux du ministère de l’Intérieur, l’exécution de criminels de droit commun, les arrestations abusives, la filature par les organes du renseignement du ministère de l’Intérieur de personnes membres du Comité d’Etat de la planification, dirigé par Miron Constantinescu et de Constantinescu lui-même. Des sources non officielles évoquaient même le fait que les membres du Bureau Politique avaient peur à s’exprimer. Les gens déploraient aussi le fait que la délégation participante au congrès du PCUS n’arrivait toujours pas à présenter son rapport. Lors de la première journée de réunion plénière, Constantinescu a été dans l’offensive et il a parlé de la question du culte de la personnalité, soulignant qu’en Roumanie aussi le culte de la personnalité avait joué un rôle négatif. Constantinescu a également affirmé qu’après 1952, soit après la liquidation du groupe Pauker, le parti avait subi un assainissement, mais que de nouvelles inquiétudes visant l’activité du ministère de l’Intérieur étaient apparues. En effet, les organes de la Securitate pouvaient facilement s’adonner à des abus. Constantinescu a même affirmé qu’après 1953, la Securitate n’avait plus respecté les consignes du Parti et raconté qu’en tant que chef du Comité d’Etat de la planification, nombre de ses subordonnés avaient été recrutés par la Securitate. Puis il a poursuivi son offensive et traité du problème du culte de la personnalité. Le rapport de la délégation roumaine au 20e congrès du PCUS est né difficilement, a martelé Constantinescu. Et lui d’ajouter : « le camarade Dej est un des dirigeants de proue du parti, mais il n’est pas le seul. »

    Mais Dej était beaucoup trop fort et sa position n’avait pas été affaiblie par les attaques de Miron Constantinescu. Dej a très attentivement modifié son discours afin de préserver sa position au sein du parti et se conformer en même temps à la nouvelle ligne idéologique venue de Moscou. Gheorghe Onisoru. « Ceux qui étaient majoritaires au Bureau politique sont intervenus et ils ont appuyé leur ami Dej, en critiquant Constantinescu. Le lendemain ce dernier s’est excusé pour la manière dont il s’était exprimé devant le Bureau politique et a affirmé qu’il était prêt à se soumettre à toute décision. La déclaration de Constantinescu doit être analysée tenant compte du fait que quatre ans plus tôt, le numéro 3 du parti, Vasile Luca, avait été destitué de ses fonctions et arrêté. La réunion s’est achevée par un discours de Dej. Finalement, les choses avaient été réglées et la petite tentative de rébellion de Constantinescu s’était achevée. »

    Gheorghe Gheorghiu Dej a continué à diriger la Roumanie d’une main de fer et dit qu’il était hors de propos de déstaliniser la Roumanie, puisque ce fut lui qui l’avait fait avant la mort de Staline. L’animal politique Dej a survécu à nouveau pour commencer en 1958 une nouvelle phase de son règne, la phase national-communiste. (trad. Alex Diaconescu)

  • Le trésor de la Pologne en Roumanie

    Le trésor de la Pologne en Roumanie

    A l’automne de 1939, peu de temps après la conclusion du Pacte si détesté Ribbentrop-Molotov par l’Allemagne nazie et l’Union Soviétique, les deux puissances totalitaires commençaient à partager leurs zones d’occupation et d’influence comme elles s’étaient accordées. La Pologne était la première sur la liste noire et après la mi-septembre, elle allait être rayée de la carte.

    L’attaque soviétique du 17 septembre 1939 allait s’ensuivre à l’attaque allemande du 1er septembre et la Pologne, prise entre ces deux colosses, n’a pas pu résister plus de deux semaines. Suivit le calvaire du refuge des militaires polonais survivants et de la population civile, ainsi que celui de la protection des biens polonais. Parmi eux, le trésor de la Banque nationale de Pologne, la plus grande partie en provenance du château de Wawel de Cracovie.

    Vu que depuis mars 1939, la Tchécoslovaquie avait été occupée par l’Allemagne et démantelée en tant qu’Etat, et que la Hongrie était alliée de l’Allemagne, la seule voie d’échappement pour les richesses de la Pologne passait par la Roumanie. Après la fin de la Première guerre mondiale, la Roumanie redevenait voisine de la Pologne, après que la Moldavie eut eu au Moyen Age une frontière avec la Pologne et que les relations avaient été importantes jusqu’au début du XVIIIe s. Ainsi commençait l’odyssée de collections impressionnantes de plusieurs centaines d’objets de valeur.

    Les plus importantes étaient les plus de 300 tapisseries Jagellon en plusieurs mètres de soie, brodées aux fils d’or et d’argent, dont 110 d’entre elles remontaient à la première moitié du XVIe s, l’épée de couronnement Szczerbiec (pronunţă: Şcerbieţ) des rois polonais entre 1320 et 1764 et un exemplaire original de la Bible imprimée par Johannes Gutenberg en 1455.La route par la Roumanie était encore libre et les autorités roumaines ont collaboré étroitement avec les autorités françaises et britanniques, qui ont autorisé l’évasion du trésor polonais.

    Traian Borcescu, officier au Service spécial du renseignement, a été témoin à l’opération de traversée de la Roumanie par les valeurs polonaises sous une surveillance maximale. Il a été interrogé par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine en 2003 : « Je travaillais à l’Etat major et j’étais délégué auprès du colonel Diaconescu, qui était chargé de surveiller le transfert de population et d’autorités de Pologne en Roumanie. Les Polonais étaient plus amis avec les Hongrois, ils n’avaient pas reconnu le rattachement de la Transylvanie à la Roumanie, ils étaient plus favorables aux Hongrois. Et ce sont justement les Hongrois qui ne les ont pas aidés. Et les seuls qui les avons aidés, c’étaient nous, à l’exhortation franco-anglaise d’envoyer le trésor par la Roumanie. Armand Călinescu a accepté à condition que l’armée soit désarmée à la frontière, qu’elle soit triée, qu’il n’y ait pas d’agents étrangers, que l’armement soit déposé, que le trésor soit emmené de manière complètement secrète, un jour où ni les Russes, ni les Allemands ne le sachent. Parce qu’il pouvait être attaqué. »

    La frontière roumano-polonaise, qui allait disparaître après 1945, commençait à être traversée par un convoi de camions, de voitures et de trains le 3 septembre 1939. Traian Borcescu a refait le trajet des valeurs polonaises jusqu’à la mer Noire, où elles allaient être embarquées sur un sous-marin : « On a fait deux transports : de Visnita à Cernauti et puis de Cernauti à Constanta. Nous avons retenu une partie du trésor pour l’entretien des troupes et des réfugiés polonais, mais les franco-anglais nous ont sommé de permettre à ce trésor composé d’environ 70 caisses en bois et autres colis d’être embarqués à Constanta dans un sous-marin britannique commandé par un certain capitaine Brett. Ce transport s’est fait en voitures entre Visnita et Cernauti, puis en train entre Cernauti et Galati. Puis de Galati à Constanta, je ne me souviens plus si la cargaison a été transportée en train ou en voiture. A Constanta il a été reçu par l’armée roumaine, la Sûreté roumaine, les services secrets polonais et les agents franco-britanniques. Le trésor ne pouvait pas rester chez nous malgré nos offres de le garder. Les Anglais se sont rendu compte que la Roumanie allait partager le même sort que la Pologne en raison du Pacte d’août 1939, selon lequel les zones d’influence de la Russie allaient jusqu’à la mer Baltique, alors que celles de l’Allemagne incluaient la Roumanie et la Bulgarie et ainsi de suite. En cas d’occupation de la Roumanie le trésor ne devait absolument pas tomber aux mains des Allemands. »

    Une petite partie du trésor polonais est toutefois restée en Roumanie. A l’été 1944, cette petite partie de 3 tonnes s’est ajoutée aux 242 tonnes d’or du trésor de la Banque nationale de Roumanie qui ont été envoyés au monastère de Tismana, dans le sud du pays, à l’abri de toute invasion soviétique. Le nom de code de cette opération était Neptune. L’or est arrivé dans le plus grand secret dans une grotte tout près du monastère. En 1947, l’or de la Banque nationale de Roumanie est rentré à Bucarest et les 3 tonnes du trésor polonais ont été remises à leur propriétaire légitime.

    L’odyssée de l’or polonais a été racontée dans un film, une coproduction Pologne-Roumanie « Le train d’or » réalisé en 1986 par le cinéaste Bohdan Poręba. Les rôles sont interprétés par des acteurs polonais et roumains. Une fois échappé au risque de la capitulation par les Allemands, le trésor polonais a commencé un autre voyage via Malte, la Suisse, le Vatican et la France. Mais il n’est pas resté trop longtemps en France non plus, puisque ce pays allait lui aussi être occupé par les Allemands. Le trésor polonais est parti ensuite vers le Canada et les Etats-Unis où il fut finalement mis à l’abri de tout danger.

  • Fête de l’indépendance de la République de Moldova

    Fête de l’indépendance de la République de Moldova

    Le président de la Roumanie, Traian Băsescu, a assuré son homologue de Chişinău, Nicolae Timofti, que Bucarest serait toujours aux côtés de la République de Moldova. « Ses aspirations européennes et la prospérité de ses citoyens, auxquels nous sommes liés par une longue histoire, et surtout par une profonde amitié, seront le projet que je porterai toujours dans mon cœur », écrit le chef de l’Etat roumain, qui exprime de manière peut-être plus explicite et plus ferme que ses prédécesseurs une permanence de la politique roumaine post-communiste. Nonobstant leur couleur idéologique, tous les présidents, les premiers ministres, les ministres des Affaires étrangères de Bucarest ont fait une priorité du soutien accordé à la République de Moldova.



    Lorsque, le 27 août 1991, le Parlement de Chişinău se conformait au désir unanime des centaines de milliers de personnes rassemblées au centre ville et proclamait l’indépendance vis-à-vis de l’Union soviétique, la Roumanie a été le premier Etat au monde à avoir reconnu, le même jour, le caractère étatique de son nouveau voisin. Un demi-siècle d’occupation soviétique, marquée de tragédies et de souffrances, prenait fin.



    La République de Moldova actuelle est constituée sur une partie des territoires roumains de l’est, annexés à l’été 1940, suite à un ultimatum de Moscou sous Staline. Des centaines de milliers d’ethniques roumains se sont alors réfugiés devant les occupants, dans la Roumanie minorée. D’autres dizaines de milliers — des familles entières, considérées incompatibles avec l’idéologie soviétique — ont été déportés en Sibérie. Arrestations abusives, procès sommaires, dont la décision était connue d’avance, exécutions sommaires — rien n’a manqué à l’arsenal de la répression stalinienne contre la population autochtone.



    A la place des réfugiés et des déportés, le régime a fait venir des colons recrutés dans l’ensemble de l’empire rouge. Blessée, traumatisée, ses élites décapitées, la communauté roumaine est pourtant restée debout, et la faillite de l’URSS l’a trouvée prête à rompre avec Moscou. Pourtant, la proclamation de l’indépendance n’a été que le premier pas d’une longue traversée du désert.



    En 1992, la région sécessionniste pro-russe de Transnistrie (est) est sortie, de facto, de sous le contrôle de Chişinău, après un conflit armé soldé par des centaines de morts et tranché lors de l’intervention de Moscou du côté des séparatistes. Durant la première décennie des années 2000, à Chişinău, le pouvoir a été exercé de manière discrétionnaire par le parti communiste pro-moscovite impénitent, dirigé par l’ancien général de milice Vladimir Voronine.



    C’est à peine depuis 2009, suite à l’installation de l’administration tripartite pro-occidentale actuelle, que la République de Moldova a pu assumer et promouvoir sa vocation européenne. Lié maintenant à l’UE par des accords d’association et de libre échange, Chişinău est considéré par les responsables de Bruxelles comme l’histoire à succès du Partenariat oriental. Le courage et l’esprit de suite avec lesquels tant les hommes politiques que les segments dynamiques de la société ont assumé des réformes douloureuses permettent à la République de Moldova d’espérer que l’indépendance, proclamée voici 23 ans, deviendra effective et qu’elle sera doublée de la prospérité et de l’Etat de droit que seule l’intégration européenne peut lui offrir. (Trad. Ligia Mihaiescu)

  • Des stratégies pour légitimer le pouvoir de Nicolae Ceauşescu.

    Des stratégies pour légitimer le pouvoir de Nicolae Ceauşescu.

    Nicolae Ceauşescu est arrivé à la tête du Parti Communiste Roumain en 1965, lors du fameux 9e Congrès. Son image de « jeune loup », ouvert au changement et prêt à réparer les erreurs du passé, lui a valu le soutien de militants et de responsables plus anciens. Son attitude lors de l’écrasement du Printemps de Prague a connu un succès colossal. Nicolae Ceauşescu introduit un nouveau style de direction des affaires, avec plus de transparence dans la prise des décisions et une apparente réceptivité pour les demandes et les opinions de la population. En adoptant cette approche, Ceauşescu voulait créer la différence par rapport à son prédécesseur Gheorghe Gheorghiu-Dej, le « Staline » roumain. Malgré la dose d’authentique du début, ce ne fut qu’une stratégie censée légitimer son propre despotisme, mais c’est justement cette apparence qui lui a attiré l’adhésion des gens ordinaires.



    L’historienne Mioara Anton, de l’Institut d’histoire « Nicolae Iorga » de Bucarest, croit que cette stratégie de début a servi à la création d’une identité qui porte la dissociation d’un passé compromettant. Mioara Anton a étudié la relation du régime Ceauşescu avec les citoyens, telle qu’elle ressort de leurs pétitions et de leurs lettres, des documents divisés en 3 catégories : les lettres — invitations, les requêtes et les demandes d’adhésion au parti.



    Mioara Anton: « La première catégorie a été la conséquence directe du décret sur l’IVG (interruption volontaire de grossesse) d’octobre 1966 et de celui de janvier 1967 qui établissait une indemnité mensuelle de 1000 lei pour les mères qui allaient avoir un troisième enfant. La même somme était aussi versée pour tous les autres enfants au-delà de 3, et même accrue dans le cas des familles nombreuses. Le plan qui prévoyait 4 enfants par famille et surtout cette indemnité produisent une quantité impressionnante de lettres. La propagande est repensée, sur fond de politique pro natalité et dinterdiction de se faire avorter. Les lettres dinvitation parlent de limmense joie de la naissance dun nouvel enfant, mais aussi de la précarité qui frappe la plupart des solliciteurs. Tous ces documents cachent autant de drames familiaux et limplication médiatisée du chef crée de la solidarité, ainsi quune nouvelle image du secrétaire général du parti – celle dun frère, dun père affectionné, dun parent protecteur. Nicolae Ceauşescu est invité à des événements importants de la vie des citoyens – mariages, baptêmes. Ceux qui souhaitent lui toucher le cœur donnent à leurs fils le prénom de Nicolae ou sarrangent pour fêter le baptême autour du 26 janvier, sa date danniversaire. »



    Réhabiliter ceux qui avaient souffert les affres du régime Gheorghiu-Dej fut un autre point fort de la nouvelle politique de légitimation de Ceauşescu.



    Lhistorienne Mioara Anton: « La réunion plénière du Comité central du PCR, davril 1968, a déclenché une vague de requêtes et de mémoires sollicitant la révision et la correction dabus contre danciens adhérents du parti, de simples citoyens ou danciens agents des services de sécurité et de défense. Les commissions de révision examinent les accusations aussi bien politiques que pénales. La plupart des requêtes placent les abus des Services de sécurité dans les années 1958-1959, sur la toile de fond du dégel idéologique. Suite à la plénière mentionnée, une autre génération de militants et dadhérents se construit des biographies irréprochables. Lhistoire du parti est réécrite dans un contexte nouveau et dans la perspective de ces lettres daprès 1956. Les requérants demandent la reconnaissance des stages de formation politique organisés par le parti, des pensions de retraite, la réinsertion dans les structures du parti et de lEtat, la reconnaissance de leur ancienneté professionnelle et des bénéfices explicites : retraites, logements, montée en grade pour les gens de larmée ou des services de sécurité. Le processus de réhabilitation a cependant des limites auxquelles se heurte lévêque grec-catholique Alexandru Todea; dans une lettre à Ceauşescu datée du 7 avril 1968, le haut prélat constate amèrement, avec douleur et dégoût, que ce processus navait changé en rien lattitude des autorités envers son cas. Lévêque ne savait pas que la direction du parti ne sétait pas proposé de revoir la série de procès politiques organisés en Roumanie après 1947. »



    Cest en 1968 que Ceauşescu commence à flatter, quil transforme en principe essentiel de sa conduite politique jusquà sa chute, en 1989.



    L’historienne Mioara Anton, de l’Institut d’histoire « Nicolae Iorga » de Bucarest: « En août 1968, lémotion générale a produit une forte réaction anti-soviétique parmi les gens de la rue, qui ont interprété lintervention en Tchécoslovaquie comme une agression potentielle contre la Roumanie. Rusu Mihai, contrôleur technique, suggérait dorganiser une souscription publique pour acheter des avions de combat et des chars dassaut, afin de mieux défendre le pays. Un anonyme se disait abasourdi par linvasion de la Tchécoslovaquie et assurait le secrétaire général du PCR que tous les ouvriers de la République Socialiste de Roumanie étaient étroitement unis autour du parti, tel un mur en granite dressé devant tout ennemi qui aurait essayé de violer la souveraineté de notre patrie, la RSR. La grande majorité des lettres, envoyées par des gens quelconques, anonymes ou non, de milieux sociaux des plus divers, place Ceauşescu dans la galerie des héros de la nation, qui ont écrit des pages dhistoire exceptionnelle par leur résistance devant les menaces de létranger. »



    A commencer par 1974, le régime personnel de Nicolae Ceauşescu devient tout le contraire des apparences des années 1965-1971, un régime de plus en plus despotique, ressemblant de plus en plus au régime stalinien dont il avait tellement voulu se détacher. (trad. : Ileana Taroi)