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  • Staline et le stalinisme

    Staline et le stalinisme


    Joseph Vissarionovitch Staline est mort le 5 mars 1953. Ce ne sont pas ses détracteurs qui lui ont collé l’étiquette de plus grand criminel dans l’histoirede l’humanité, mais les preuves accablantes des crimes commis par son régime. Le régime stalinien est non seulement une page de l’histoire de l’Union Soviétique, mais aussi de bien des nations, en raison de son impact sur la période 1945-1991.


    Le stalinisme, la plus horrible des gouvernances politiques, est synonyme de tyrannie. Une tyrannie poussée à l’extrême, mais qui a bénéficié de l’accord des individus et de la société, de la soumission aveugle à l’idéologie qu’elle promouvait. Selon Liviu Rotman, professeur à l’Ecole nationale d’études politiques et administratives de Bucarest, c’est justement l’attachement à cette idéologie et au dirigeant qui l’incarne qui explique l’apparition et la survie du stalinisme : « Je voudrais souligner le fait qu’il existe plusieurs approches quand il s’agit de définir le régime communiste. Il y a, tout d’abord, celle que l’on véhiculait du temps de Staline, lorsqu’on considérait que l’on avait affaire à la forme supérieure de l’idéologie communiste et de sa pureté. A cette époque précise, on parlait d’écrivains, d’historiens, d’acteurs, de peintres ou encore d’activistes staliniens dans le sens positif voire mélioratif du terme. Rattachée aux activistes, cette épithète désignait les communistes les plus déterminés et zélés entre tous, mais aussi les plus durs. A propos de cette dernière caractéristique, il faut rappeler que Staline est en fait un pseudonyme et que «stal» est le mot russe qui désigne l’acier. Autrement dit, on pensait que c’était une politique dure comme l’acier, mais très appropriée pour l’accomplissement des idéaux communistes. »


    La perception populaire du stalinisme peut s’avérer trompeuse. Et ce parce que, tout en imposant sa propre volonté aux autres, le tyran se doit de rester crédible aux yeux de ses tenants et son discours politique doit avoir du sens pour ses auditeurs. L’historien Cristian Vasile de l’Institut d’histoire Nicolae Iorga de Bucarest nous livre la synthèse de la pensée politique de Staline : « Erik Van Ree, un spécialiste du système politique soviétique, a publié un livre très important, intitulé «La pensée politique de Staline». Pourquoi est-il si important? Parce qu’Erik Van Ree a eu le privilège d’étudier dans les archives russes un certain type de source historique et de documents. Il s’agit des nombreuses annotations de Staline sur les livres de sa bibliothèque. Cette excellente source d’information, qu’Erik Van Ree a très bien su mettre à profit, a quelque peu modifié la perception sur Staline et le stalinisme, notamment sur les sources d’inspiration de celui-ci. A la question de savoir d’où Staline a pu s’inspirer pour forger sa doctrine, Van Ree affirme tout d’abord que l’on a affaire à une pensée politique cohérente. Ensuite, il rappelle que l’historiographie occidentale est partagée sur la question de la source d’inspiration prédominante de Staline. D’aucuns trouvent qu’il s’est inspiré de la tradition russe autocratique, depuis Ivan le Terrible jusqu’à Pierre le Grand, deux despotes modernisateurs que Staline prend pour modèle.D’autres pensent au marxisme occidental, au mouvement révolutionnaire d’Occident. Van Ree a découvert que la source d’inspiration de prédilection a été pour Staline la tradition révolutionnaire occidentale, jacobine. Il est même tombé sur des annotations de Staline prouvant que ces idées-là, bien évidemment filtrées par la pensée léniniste, lui avaient servi de source d’inspiration».


    Après la chute du communisme, de nombreuses voix ont mis ce désastre sur le compte de l’échec des leaders soviétiques à mettre en oeuvre les idées de Marx. Liviu Rotman souligne le caractère essentiellement stalinien du régime communiste, un régime que seule la tyrannie peut faire fonctionner, à son avis : «Je pense que, par la terreur et par sa politique, Staline a instauré le communisme dans sa forme la plus pure. Une fois sorti des clichés staliniens, le communisme commence, dès Khrouchtchev, à battre de l’aile et à manquer son but. C’est pourquoi même les Soviétiques retournent au stalinisme. Sans rien affirmer officiellement, Brejnev tâche — sans succès, d’ailleurs — de revenir aux pratiques staliniennes. Dans les pays-satellites de l’URSS — dont la Roumanie — l’image de Staline est affectée, il est critiqué, ses statues sont enlevées de leurs socles. Pourtant ce fut là uniquement l’apparence des choses, car pour que le communisme puisse continuer d’exister, le stalinisme devait être conservé, d’une façon ou d’une autre, même si personne ne l’affirmait ouvertement. Si je le dis, c’est parce que l’on considère d’habitude que les critiques visant le communisme de Staline visent en fait Staline lui-même. Comme si le communisme d’avant ou d’après Staline avait été plus humain, plus proche de la nature humaine, de la marche normale de l’histoire. »


    Staline et le stalinisme n’ont pas été des modèles uniquement pour les sociétés non-démocratiques. Ils ont eu des sympathisants dans le monde de la démocratie aussi — ce qui prouve que la démocratie n’est pas infaillible. Elle a eu ses Staline, plus grands ou plus petits, qui ne cédaient en rien à l’original. Pourtant, la vérité, qui est une notion non seulement philosophique, mais aussi historique, refait toujours surface. (aut.Steliu Lambru; trad. Mariana Tudose, Dominique)

  • Le sociologue Dimitrie Gusti (1880-1955)

    Le sociologue Dimitrie Gusti (1880-1955)


    Dimitrie Gusti a été la plus importante personnalité de la sociologie roumaine de la seconde moitié du 20e siècle. La plupart des réalisations de ce domaine en Roumanie sont liées à son nom.Il a été professeur d’université, membre de l’Académie roumaine, ministre de l’Enseignement en 1932-1933, il a créé l’Institut social roumain et dirigé des publications spécialisées. Dimitrie Gusti a lancé les fameuses « équipes mixtes » constituées d’étudiants et de chercheurs spécialistes de plusieurs domaines différents, qui faisaient des études sur le terrain. Ce travail aboutissait sur la rédaction de monographies des villages roumains.


    Dimitrie Gusti a également été un promoteur du service social, qui réunissait recherche académique, action sociale et pédagogie sociale. Son idéal était l’émancipation des paysans, qu’il voulait sortir de l’état d’arriération économique, politique et culturelle, pour en faire des citoyens de l’Etat roumain constitué après 1918. En 1936, Gusti a créé l’institution publique qui a bénéficié de la plus grande visibilité jusqu’à nos jours : le Musée du Village de Bucarest.


    Dimitrie Gusti est considéré comme le fondateur d’un courant de pensée sociologique dont est issue la plus importante école roumaine de sociologie. Dimitrie Gusti et l’«école Gusti» ont été réévalués par la revue française Les Études Socialesdans un numéro double paru en 2011 sous le titre : « Sociologie et politique en Roumanie (1918-1948) ». Dimitrie Gusti a-t-il été un novateur ? Le sociologue Vintilă Mihăilescu explique: « Dimitrie Gusti n’est pas un novateur, il n’est pas un pionnier, il s’inscrit dans la tradition roumaine des études rurales. Le problème qui se pose là est très délicat. Quelqu’un qui se propose de faire une sociologie nationale est libre de le faire, pour servir la nation. Ce qu’il ne devrait pas faire, c’est une sociologie nationaliste. Et Gusti l’a affirmé clairement: tant que la construction nationale est le principal enjeu de la sociologie actuelle, la sociologie doit s’en occuper aussi. Par contre, si au 21e siècle, la sociologie s’occupait uniquement de l’état d’asservissement de la paysannerie, ce serait étrange. »


    Après la seconde guerre mondiale, la sociologie devait changer de contexte. Pourtant, dans les conditions où 85% de la population roumaine était rurale, accuser un sociologue de s’occuper uniquement de la paysannerie est plutôt bizarre.


    Dimitrie Gusti a été le fondateur de l’école de sociologie de Bucarest, qui étudiaient les changements au sein de la société, ainsi que la manière dont on pouvait prévoir les tendances et analyser les processus sociaux. Il a été un promoteur de la méthode de recherche monographique selon laquelle on pouvait considérer qu’un sujet était connu si on l’abordait par le biais de plusieurs disciplines.


    Le sociologue Dumitru Sandu a répondu à la question posée par la revue Les Études Sociales, à savoir si l’école créée par Gusti a vraiment été une école : « Tâchons de répondre à la question : quelle sorte d’école était celle de Gusti ? Car, à mon avis, Gusti a vraiment créé une école. Les étiquettes, on les connaît déjà : l’école Gusti, l’école sociologique de Bucarest, l’école monographique, l’école roumaine de sociologie. En fait, en sociologie, il y a 3 types d’écoles : l’école de méthode, l’école de théorie et l’école de méthodologie-épistémologie. A cette classification s’ajoute l’école de promotion d’un modèle d’action sociale, à savoir une école d’intervention. Or, l’école de Gusti avait toutes ces composantes. »


    L’un des reproches que la revue française fait à Dimitrie Gusti dans son dossier était d’avoir été un sympathisant du fascisme. Antonio Momoc, lecteur à la Faculté de journalisme et des sciences de la communication de Bucarest, explique la raison d’une telle accusation : « L’Institut social roumain organisait des débats auxquels toute l’élite intellectuelle de l’époque était présente. Or, lors d’une de ces rencontres il a fait une affirmation à propos des doctrines des partis politiques. C’était en 1922. Le fascisme italien était à ses débuts. En Roumanie, à l’époque, le mouvement fasciste était pratiquement inexistant. Il allait naître en 1922-1923, en tant que réaction à la Constitution de 1923. Dans les années ’20, avec ses scrutins, l’appui de la population aux partis extrémistes était très faible — soit 3-4% des suffrages. Dans les années ’20, le fascisme était une curiosité. Le seul à se rapporter au fascisme — à celui de Mussolini — a été Dimitrie Gusti. Aucune des personnes présentes ne considérait que ce qui se passait en Italie avait vraiment de l’importance. Dans quel contexte Gusti faisait-il sa remarque pour que l’on puisse en tirer brusquement la conclusion qu’il était fasciste ? Dimitrie Gusti parlait de la distinction entre les différents partis politiques. A son avis et jugeant d’après le système de la sociologie politique et éthique qu’il avait adopté, il existait deux types de partis : les partis dotés d’un programme et les partis opportunistes. Selon lui, le parti fasciste faisait partie de la première catégorie, celle des partis dotés d’un programme politique. Et il affirmait que ce parti avait suscité un certain enthousiasme, une certaine émulation. Un point c’est tout. Et c’est tout ce qu’il a dit du fascisme italien. Mais de là jusqu’à l’accuser de fascisme, le chemin est long. »


    Après la guerre, Gusti a collaboré discrètement avec le parti communiste. Ce qui prouve que — tout comme les autres intellectuels qui ont marié science et politique — lui, non plus, il n’a pas pu se soustraire aux influences que le temps et l’époque a exercées sur lui. (aut.: Steliu Lambru; trad. : Dominique)

  • Lettres des années 1980

    Lettres des années 1980


    Dans les archives des Services de renseignements, on trouve généralement des informations portant sur les missions secrètes, le travail des agents, les coulisses diplomatiques ou les intérêts politiques. A l’instar des autres Services secrets des régimes communistes, l’ancienne police politique roumaine, la Securitate, contrôlait la société dans son ensemble. Or, parmi ses principales sources d’informations, la correspondance a contribué de manière importante à l’obtention des renseignements et au chantage des citoyens.






    Liviu Taranu, chercheur au Conseil National pour l’Etude des Archives de l’ancienne Securitate est également l’éditeur de l’ouvrage « Les Roumains à l’Epoque d’or. La correspondance dans les années ’80 », qui regroupe une partie des lettres adressées par les citoyens roumains aux institutions de l’Etat. Création de la propagande, le syntagme « l’Epoque d’or » servait au culte de la personnalité de Nicolae Ceausescu, en se proposant de mettre en lumière les performances enregistrées par la Roumanie sous les communistes. Pourtant, la réalité était tout autre: le régime du dictateur Ceausescu avait poussé le pays au bord du précipice, en pleine crise matérielle et spirituelle sur fond d’une profonde dégradation psychologique.






    Nous passons le micro à M. Liviu Taranu pour une brève caractérisation de la Roumanie des années 1980, telle qu’elle apparaît dans la correspondance de l’époque: « Elle était pessimiste, tragique. Dramatique, c’est ça le mot juste. Il y a des lettres, des documents pleins d’humour, puisque les Roumains savent faire bonne mine contre mauvaise fortune. Pourtant, le contenu est dramatique, en raison de la pénurie quotidienne. Ce sont notamment les familles nombreuses qui se plaignent de toute sorte de difficultés: manque d’aliments, d’électricité, majoration des prix, insécurité de l’emploi. C’est incroyable de parler de l’insécurité de l’emploi dans les années ’80, mais on en parle fréquemment! »






    La Securitate passait au peigne fin toute la correspondance de l’époque, avec une attention particulière accordée à celle adressée aux institutions publiques. Liviu Taranu: « Toutes les lettres adressées aux journaux, au Comité Central, aux personnes morales, notamment à celles de la capitale , passaient à travers le filtre de la Securitate. Sur leur ensemble, plusieurs arrivaient à destination, mais d’autres, comportant des messages durs à l’adresse du régime, étaient confisquées et attachées par la suite au dossier ouvert par la police politique. Comme vous voyez, la liberté d’expression était généralement entravée. Mais, il y avait aussi des cas heureux quand les Roumains arrivaient à s’adresser par écrit aux responsables politiques ».





    Les mécontentements liés au niveau de vie étaient dominants. Et pourtant, l’insécurité de emploi est également évoquée, ce qui était inimaginable dans un régime qui prétendait être un régime des ouvriers. Cette peur contredit en effet le cliché qui affirme que dans les années du socialisme les emplois étaient garantis. Liviu Taranu : « Cette peur était très justifiée par la désorganisation des entreprises au plus haut niveau, en raison des changements opérés du jour au lendemain dans les structures d’Etat qui géraient différents secteurs de l’économie. Puis, il y avait aussi le problème de la commercialisation des produits roumains qui s’avérait de plus en plus difficile. Alors, les entreprises accumulaient des stocks. Le plan de production n’était plus respecté parce qu’à leur tour, les entreprises ne possédaient plus la matière première nécessaire pour produire. Les gens ne touchaient plus leurs salaires, la direction essayait de réduire le personnel afin de pouvoir payer les autres salariés. Toutes les réorganisations et les difficultés endémiques au niveau macroéconomique ne faisaient que produire l’insécurité de l’emploi et le chômage. Certains salariés étaient simplement virés et c’était à eux de trouver un nouvel emploi. »






    La violence de la révolution anti-communiste roumaine s’explique notamment par le fait que la voix des gens était étouffée. C’est une des choses que l’on peut observer dans la correspondance éditée dans ce volume. Tous les pays communistes se confrontaient à cette crise, mais nulle part la liberté d’exprimer son mécontentement n’était punie avec une telle sévérité qu’en Roumanie à l’époque de Nicolae Ceausescu.





    Est-ce qu’il existe un lien entre la fermeté du régime dans les années ’80 et la violence de la révolution anticommuniste de décembre 1989 ? Liviu Taranu : « Oui, j’en suis convaincu. Les tensions ne se sont pas dissipées de manière progressive. Elles couvaient avant de se manifester sous différentes formes, tant au niveau des minorités qu’à la périphérie de la société. La majorité n’aboutissait pas à esquisser des points de riposte. Au moment où ces points sont apparus, ils se sont multipliés dans tous les pays. Ces tensions étouffées pendant plus d’une décennie, même si les choses avaient commencé à ne plus aller bon train avant 1980, n’ont fait que produire ce mouvement violent. Les mécontentements étaient trop importants pour que les choses puissent se dérouler calmement, sans violence, comme en Tchécoslovaquie ou dans d’autres pays de la région. »





    Un des effets traumatisants de l’époque communiste a été d’inoculer à la population un état d’esprit névrosé. Cet état d’esprit s’est fait sentir dans les années 1990, dans le nouvel espace public démocratique roumain….(trad. : Ioana Stancescu, Alex Diaconescu)

  • Symboles nationaux sicules

    Symboles nationaux sicules


    Les Sicules constituent la plus ancienne minorité de l’espace roumain. En 1116, ils sont mentionnées comme une avant-garde de la chevalerie magyare tout comme les Petchénègues, un autre peuple nomade d’origine turque. Guerriers chevronnés au Moyen Age, les Sicules ont été colonisés par le Royaume de Hongrie sur la frontière est longeant les Carpates Orientales afin de la défendre contre les invasions des peuples migrateurs provenant d’Asie. Le premier document qui les mentionne à l’intérieur de l’arc carpatique date de 1210 et affirme qu’une armée formée de Sicules, Saxons, Roumains et Petchénègues a participé à la répression d’une révolte contre le tsar bulgare Borila.


    Ce fut toujours à cette même époque, plus précisément en 1217, que les Sicules figurent parmi les combattants de l’armée du roi hongrois André II, lors de la 5e croisade contre les Arabes. Dès lors, les Sicules habitent sans interruption les mêmes territoires appelés le pays Sicule, qui s’étend sur les actuels départements de Harghita, Covasna et Mureş. Ils comptent aujourd’hui 650 mille personnes, soit environ 45% des 1.430.000 membres de l’ensemble de la communauté magyare et 6,6% de l’entière population de la Roumanie.


    L’Académicien Pál Antal Sándor explique quelle était la place et la condition sociale des Sicules dans la Hongrie médiévale, mais aussi après l’occupation autrichienne : « S’ils remplissaient des tâches militaires, ils ne payaient plus d’impôts. Les premières obligations fiscales envers la cour royale hongroise étaient celles que les sujets devaient payer trois fois pendant le règne d’un roi : à son intronisation, à la naissance de son héritier et lors de son mariage. Cette tradition a été valable jusqu’en 1555, quand à eu lieu la dernière collecte. Sur six bœufs, par exemple, il fallait en donner un. Les obligations fiscales n’ont pas existé jusqu’en 1657, lorsque les Sicules ont commencé à payer des taxes à la Sublime Porte ottomane, suite à la campagne militaire entreprise par Gyorgy Rakoczy II en Pologne, qui s’est achevée par une défaite cinglante. Pendant l’occupation autrichienne, ils ont été exemptés de la prestation de tâches militaires en 1711, parce que leurs façon de lutter était déjà obsolète. Ils sont devenus contribuables, mais leur état social était celui de personnes libres, bénéficiaires de tous leurs anciens droits. Devant la justice par exemple, ils bénéficiaient des mêmes droits que la noblesse. »


    Après 1989, des présences publiques des Sicules ont facilité l’expression des sentiments de nationalisme les plus exacerbés, alimentés par les perceptions de leur passé. Le plus récent épisode de ce genre date de février 2013, lorsque le drapeau hissé dans la ville de Sfântu Gheorghe, département de Covasna, a provoqué un nouveau scandale. Ce geste a été vu comme une nouvelle tentative des Sicules de demander l’autonomie territoriale sur des critères ethniques. Même s’il est une création récente, les origines du drapeau Sicule datent de plusieurs siècles. Pál Antal Sándor explique comment ce drapeau est apparu : « La bannière a été instituée en 2004, sur l’initiative du Conseil national Sicule, d’après un projet imaginé par Konya Adam, muséographe de la ville de Sfântu Gheorghe. Ce drapeau s’inspire d’un étendard militaire de 1601, celui des fantassins de Moïse Secuiul, le seul prince transylvain d’origine sicule. Les couleurs jaune et bleu en ont été puisées dans les documents historiques, tandis que l’étoile à huit branches est une innovation récente. Jadis, on utilisait plutôt des étoiles à cinq ou six branches… La symbolique renvoie aux huit régions habitées par des Sicules, des contrées appelées aussi « chaises ». Le croissant de lune, lui, a la forme et la signification traditionnelles. »


    Bien que très anciens, les symboles nationaux des Sicules n’ont pas été constamment utilisés tels quels. Ils ont été adaptés aux différents contextes historiques, explique Pál Antal Sándor : « Au fil des siècles, les Sicules n’ayant pas d’origines hongroises ont été magyarisés vu notamment les missions militaires qu’ils devaient assumer ; ils bénéficiaient d’un statut particulier au sein de la communauté de souche hongroise. Les Sicules vivaient sur un territoire très bien délimité, mais durant la révolution de 1848, ils ont explicitement renoncé aux droits qui les différenciaient des autres Magyars, intégrant la nation hongroise. En octobre 1848, après le rassemblement national de Agyagfalva–Lutiţa,les assemblées des régions Sicules ont reconnu toutes les lois hongroises et ont déclaré leur appartenance à la nation hongroise unique. Depuis, au sein de la Hongrie, les Sicules n’ont plus utilisé de bannière spécifique. »


    Après 1918, lorsque s’est constituée la Grande Roumanie, les symboles Sicules ont été inclus sur les armoiries de la Transylvanie. Peu de monde est cependant au courant du fait que certains d’entre eux étaient identiques à ceux faisant partie des armoiries des Principautés roumaines médiévales. Pál Antal Sándor: « Moi, j’attends la réponse des historiens roumains à ce sujet. La question est de savoir quelle est l’origine de ces symboles. En tout cas, ils sont orientaux, turcs le plus probablement. Ils ont été utilisés par les populations d’origine turque et la Valachie a subi la domination des Coumans pendant 200 ans. Il est tout à fait normal que ces symboles soient également présents dans l’héraldique de la Valachie. De telles influences existent probablement aussi dans le cas de la Moldavie. Ce n’est pas une affirmation de ma part, c’est une question que je pose. Le croissant de lune apparaît partout, mais il est possible que nous rencontrions une étoile à la place du Soleil. »


    Les Sicules sont une minorité à forte conscience ethnique, qu’ils entendent conserver. Ils investissent donc leurs symboles nationaux de la même importance que d’autres communautés ethniques et nations attribuent à leurs propres symboles. (trad. : Ileana Taroi, Alexandru Diaconescu, Andrei Popov)

  • Smaranda Brăescu, première femme parachutiste et première femme pilote de Roumanie

    Smaranda Brăescu, première femme parachutiste et première femme pilote de Roumanie


    L’aéronautique a été un domaine très à la mode dans la Roumanie des années 1920 — 1940. Ce fut une période d’effervescente émulation parmi les jeunes qui s’engageaient dans tout ce que ce domaine supposait : aéroclubs, programmes, entraînements, concours. Certains ont obtenu des performances notables et se battaient d’égal à égal avec les grands compétiteurs de pays à tradition dans le domaine.


    Un des grands noms de l’aéronautique roumaine est celui de Smaranda Braescu. Elle fut une présence assez inattendue parmi les pilotes et parachutistes roumains non seulement parce qu’elle était femme, mais aussi parce qu’elle ne provenait pas des couches supérieures de la société roumaine de l’époque.


    Smaranda Braescu a été la première femme pilote, parachutiste et instructrice de pilotes de combat de Roumanie. Avec son caractère fort elle a suivi sa passion avec une ténacité extraordinaire. Elle a été championne européenne au parachutisme en 1931, à 34 ans, lorsqu’elle a sauté de l’altitude de 6 mille mètres pour établir un record européen, et championne mondiale en 1932, à Sacramento, aux Etats-Unis, avec un saut réalisé à l’altitude de 7400 mètres. Ce fut un record du monde imbattable pendant pas moins de 20 ans. Elle fut décorée de l’ordre de la Vertu aéronautique, classe croix d’or.


    La ténacité avec laquelle Smaranda Braescu a pratiqué son hobby est assez surprenante si on prend en compte le fait qu’elle avait étudié les Beaux arts à Bucarest, à la section art décoratif et poterie. Ce qui plus est, pendant la guerre, Smaranda a servi dans la fameuse « escadrille blanche » formée d’avions sanitaires, active sur le front est jusqu’à la steppe kalmouke, au delà de Stalingrad, et puis d’ouest en Transylvanie, Hongrie et Tchécoslovaquie. Aux côtés de 11 personnalités, elle a signé un mémorandum qui condamnait la falsification des élections de novembre 1946. Poursuivie par les autorités communistes, Smaranda Braescu a disparu. Il paraît qu’elle a trouvé refuge dans un couvent, où les religieuses l’ont ensevelie sous un faux nom après son décès le 2 février 1948, à seulement 51 ans.


    Ana Maria Sireteanu est l’arrière petite-fille de la grande championne roumaine. Elle se souvient de la force du caractère de Smaranda Braescu, que même un accident très grave n’avait pas pu briser : « Après un saut à Satu Mare, elle fut traînée par le parachute et s’est blessée aux jambes. Ceci pourrait être un indice pour ceux qui découvriront sa dépouille. Les effets de ce grave accident aux jambes seraient toujours visibles. Elle a passé 5 mois dans un hôpital où un médecin providentiel l’a opérée. Après sept mois de plus, une personne qui avait subi un accident si grave a obtenu deux records, l’un européen et l’autre mondial, en 1931 et respectivement en 1932. Ces exploits prouvent la motivation et le désir acharné de produire des performances pour son pays. »


    Les historiens découvrent des détails sur les personnalités de l’histoire en étudiant des sources écrites. Parmi elles figurent aussi les journaux personnels. Celui de Smaranda Braescu indique le fait qu’elle avait une personnalité forte. Ana Maria Sireteanu: « Dans les notes personnelles qu’elle ne voulait pas faire publier pendant sa vie, on apprend que Smaranda Braescu avait une personnalité passionnelle. Souvent elle évoque des mots pas vraiment polis au sujet de personnalités de l’aéronautique roumaine qui la chicanaient. Ceux-ci ne lui ont pas délivré de laissez passer, elle devait attendre beaucoup de temps avant les audiences où elle avait été invitée. Ses collaborations et son activité à l’Association roumaine de parachutisme et d’aéronautique et notamment le côté propagation de l’aéronautique sont moins connues. Cette partie de son activité a été très intense, puisque Smaranda Braescu était très populaire et très aimée par tous les Roumains et non seulement pas ses camarades de l’aviation. A l’époque le grand public soutenait avec enthousiasme l’aéronautique roumaine. »


    Ana Maria Sireteanu se souvient aussi du célèbre épisode où Smaranda a volé son avion qu’elle avait tant attendu : « Fabriqué en Angleterre en 1935, Milles Hawk était un avion léger et très performant pour cette époque-là, le bois y étant prédominant. La carlingue était bien évidemment ouverte et Smaranda ressemblait à une reine lorsqu’elle pilotait cet appareil qui lui offrait une très bonne visibilité. Smaranda avait acquitté l’avion, grâce à une loi émise par le Secrétariat d’Etat et les autorités de l’époque: ceux qui se montraient performants se voyaient accorder un bonus représentant la moitié du prix d’un avion. Le reste de l’argent était obtenu suite à une donation publique, réalisée par le quotidien Universul, qui a mis en place une campagne. Elle a commandé l’avion, qui était presque achevé, mais les responsable de la société ne voulaient pas le lui remettre, faute d’argent pour le carburant, arguaient-ils. Smaranda les a d’ailleurs très mal notés dans son journal. Face à cette situation, Smaranda Braescu a volé l’avion et quitté l’Angleterre, en traversant la Manche et défiant le brouillard pour finalement atterrir en France, où l’histoire a fait couler beaucoup d’encre dans la presse. Le colonel Andrei Popovici, secrétaire au Club aéronautique roumain, a présenté ses excuses mais il n’a cessé de lui créer des ennuis, comme par exemple, il refusa de lui donner le permis de traverser les pays européens. »


    Smaranda Braescu avait obtenu son brevet de pilote aux Etats-Unis en 1932, sur Roosevelt Field, soit l’aéroport d’où avait décollé Charles Lindbergh pour son vol transatlantique. Elle s’est finalement vu délivrer le permis par le Club aéronautique français. (trad.: Alexandra Pop, Alex Diaconescu)

  • Iuliu Maniu, le gentleman de la démocratie roumaine

    Iuliu Maniu, le gentleman de la démocratie roumaine


    Quand ils prononcent le mot « politique », la plupart des Roumains deviennent suspicieux. Pour eux, la politique telle quelle se présente aujourdhui est synonyme de corruption, darrogance, darrivisme, quelques-uns des pires traits de caractère de nous autres humains. Seulement, voilà, les exceptions sont là pour confirmer la règle ; cest le cas de Iuliu Maniu qui vient infirmer la majorité de nos préjugés.


    Iuliu Maniu est né en 1873 dans le nord-ouest du territoire actuel de la Roumanie, dun père avocat et dune mère qui était la fille dun prêtre uniate (grécà-catholique). Il suit lexemple de son père et choisit une carrière davocat, soutenant sa thèse de doctorat en 1896, à lUniversité de Vienne, capitale de lempire austro-hongrois. Le jeune Maniu entre en politique et adhère au Parti national roumain de Transylvanie, à lépoque sous la domination de lAutriche-Hongrie.


    En 1906, il est élu député au parlement de Budapest ; en 1915, il est mobilisé dans larmée austro-hongroise qui combat sur le front italien et en 1918, à la fin de la Grande guerre, Iuliu Maniu et plusieurs autres leaders des Roumains de Transylvanie décident de lunion de cette province historique avec le Royaume de Roumanie. En 1926, Maniu et Ion Mihalache fondent le Parti national paysan, un des partis politiques les plus importants de lentre-deux-guerres en Roumanie.


    Entre 1918 et 1945, Iuliu Maniu occupe trois fois le fauteuil de premier ministre. Démocrate convaincu, il refuse de collaborer avec la dictature fasciste et surtout avec celle communiste. Jeté en prison en 1947, lorsquil avait déjà 75 ans, Iuliu Maniu meurt le 5 février 1953, à cause des mauvais traitements appliqués aux détenus dans la geôle de Sighet.


    Incorruptible, charismatique, tenace, Maniu a vraiment été lhomme dont les Roumains avaient besoin pour traverser les moments difficiles de leur histoire de la première moitié du 20e siècle. Tous ceux qui lont connu se souviennent de lui comme dun modèle à suivre en politique et dans la vie courante. Parmi les innombrables témoignages, nous en avons choisi deux, archivés au Centre dhistoire orale de la Radio publique roumaine. En 2000, Ioana Berindei, fille de Ioan Hudiţă, un des ténors du Parti national paysan, se souvenait de celui quelle appelait « Monsieur Iuliu Maniu » comme dune personne exceptionnellement généreuse et modeste : « Maniu était dune modestie rare ! Cétait quelquun de très gentil, avec une voix très douce. Je me souviens quun jour il est venu déjeuner chez nous et ma sœur et moi lavons accueilli ; “bonjour, mes chères demoiselles”, nous a-t-il saluées. Moi, jai remarqué une tache sur le col de sa veste et je lui ai demandé de me permettre de la nettoyer. “Aïe, quelle honte !”, sest-il exclamé. Alors je lui dis que cela peut arriver et quil me laisse enlever la tache pour pas quil lemporte aussi ailleurs. M. Maniu était très malade à lépoque, il se laissait pratiquement choir sur la chaise. Ses genoux lui faisaient mal et il avait des difficultés à marcher, mais je ne lai jamais vu nerveux ou irrité par quoi que ce soit. Il était dun calme reposant. En tant quhomme politique, il était intransigeant. Cest ce que mon père aimait chez lui, dailleurs. Il ne cédait jamais ! Les mauvaises langues disaient qu’il avait du mal à se décider. Mais ce sont des méchancetés faciles, tous les hommes politiques ont des ennemis, personne nest parfait ni ne peut vivre sans avoir des opposants. Mais pour M. Maniu, je vous dis que je ne lui ai pas trouvé de failles, et je ne dis pas ça parce que mon père laimait bien, ni parce que moi je lai connu. Il sest opposé de toutes ses forces au roi Carol II. Maniu a été déçu par le roi dont il a vu toutes les erreurs. »


    Sergiu Macarie, militant de la jeunesse nationale paysanne, racontait en 2000 que lentrée des Soviétiques en Roumanie à la fin de la seconde guerre mondiale a été un signal dalarme pour la société roumaine qui sest mobilisée contre ces ennemis. Malgré son âge et sa maladie, Iuliu Maniu na pas hésité à sy impliquer activement : « Il ne passait pas deux-trois jours sans un accrochage avec les bandes communistes. Il y avait des réunions plus importantes et on savait tout de suite que ceux-là allaient venir. Nous nous rassemblions tous sur la Place du Palais et acclamions le roi, et puis le roi sortait au balcon et nos ovations faisaient résonner la grande place.Et à chaque fois, des véhicules transportant des ouvriers armés de matraques faisaient leur apparition. Le 15 mai 1947, par exemple, cétait lanniversaire des 98 ans depuis le discours d’affirmation nationale de Simion Bărnuţiu, au Champ de la Liberté de Blaj, en Transylvanie, et Maniu sest joint à nous. A la fin, on a vu de ces véhicules. On a peiné pour évacuer le président du parti de là. »


    Iuliu Maniu a été un symbole de la démocratie. Entre 1944 et 1947, le poids de son nom a attiré les espoirs des Roumains et la considération des Occidentaux qui lont tenu pour leur plus important partenaire de dialogue. Son intransigeance lui a coûté la vie, mais son sacrifice la transformé en un repère de la politique roumaine du 20e siècle. (trad. : Ileana Taroi)