Tag: totalitarisme

  • 80 ans depuis l’occupation soviétique de la Bessarabie et de la Bucovine

    80 ans depuis l’occupation soviétique de la Bessarabie et de la Bucovine

    Les 26 et le 27 juin 1940, la Roumanie recevait, avec l’accord de l’Allemagne nazie, deux ultimatums successifs de la part de l’Union soviétique, qui la sommait de lui céder incessamment les provinces de Bessarabie, et le Nord de la Bucovine. Ces ultimatums s’érigeaient en de véritables actes d’agression, reconfirmant, si besoin, la nature proche et violente des deux régimes totalitaires, le nazisme et le communisme. Cette violence se traduira sous peu dans les déportations, les brimades, les assassinats et les exactions, dont bon nombre des Roumains qui vivaient entre les rivières Prut et Dniester allaient tomber victimes.Les relations russo-roumaines ont depuis toujours suivi un chemin tortueux.

    L’espace roumain avait d’abord connu une certaine russophilie au niveau politique, cette dernière incarnée notamment par le prince Dimitrie Cantemir, voïvode de Moldavie, et grand admirateur et allié du tsar Pierre le Grand, pendant la première décennie du 18e siècle. Cette amitié politique se poursuivra tout au long de la première moitié du 19e siècle, à une époque où les pays roumains tentaient de bâtir un Etat moderne, et étaient à la recherche d’alliances pouvant les aider à échapper à l’étouffante influence ottomane. Et dans ce contexte, la Russie représentait à la fois un allié militaire et un exemple de bonnes pratiques modernisatrices. Le vent de la bonne entente a commencé à tourner seulement après la Révolution de 1848, après la guerre de Crimée, déroulée entre 1853 et 1856 et, surtout, après la guerre d’indépendance roumaine, soit la guerre russo-roumano-turque, de 1877/78. Ces évènements successifs font changer la perception de la puissance russe dans l’esprit collectif roumain.

    La Russie sera dorénavant perçue comme un ennemi, voire comme le pire ennemi des intérêts, sinon de la souveraineté de la Roumanie. Cependant, dès le début du 20e siècle, les relations commencent à s’améliorer entre les deux voisins. L’on notera la visite rendue en 1914 par le tsar Nicolas II, accompagné de sa famille, au roi Carol Ier de Roumanie, et la montée d’un projet de mariage, finalement avorté, entre les deux maisons royales. L’entrée en guerre de la Roumanie en 1916, aux côtés de l’Entente, transforme les relations cordiales entre les deux Etats en une alliance militaire. Plus encore, la mise à l’abri du Trésor roumain en 1917, à Saint-Pétersbourg, sous la responsabilité des autorités russes, confirme le sentiment de confiance qui semblait s’instaurer entre les deux nations.

    Pourtant, la Révolution russe de février 1917, puis surtout la Révolution d’octobre de la même année, finiront par mettre un terme aux bonnes relations établies. La révolution soviétique se propage, en effet, telle une traînée de poudre au sein des troupes russes établies en 1917, en tant qu’armées alliées, sur le territoire roumain. Cela appelle à une réaction résolue de la part des autorités roumaines, obligées de les faire évacuer de force, pour éviter le chaos que ces révoltes engendraient pendant l’état de guerre. Ce sera le moment de rupture dans les relations russo-roumaines. La Russie va assimiler la décision roumaine à un acte hostile et, le 13 janvier 1918, l’on voit le gouvernement soviétique rompre les relations diplomatiques avec le royaume de Roumanie. Ajoutons à cela la décision prise par la Bessarabie de quitter l’Union des soviets, qui était en train de se constituer, pour rejoindre la Roumanie, dont elle avait été séparée en 1812, pour que le tableau des griefs russes à l’égard de la Roumanie soit complet. Pourtant, la Bessarabie n’avait rien fait d’autre que suivre les principes de Lénine, qui prônait l’autodétermination des peuples. Enfin, l’intervention de l’armée roumaine à l’été 1919 pour mater la révolte bolchévique dans la Hongrie voisine, et le soutien qu’elle apporta aux Polonais, aux prises avec l’Armée rouge, achèvera de transformer l’URSS en un ennemi juré de la Roumanie.

    Selon l’historien Ioan Scurtu, la Première Guerre mondiale marque un véritable tournant dans les relations bilatérales entre la Russie et la Roumanie : « A la fin de la Grande guerre, lors du Congrès de Paix de Paris, notons la signature, le 28 octobre 1920, du traité reliant la Roumanie, d’une part, et les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Italie et le Japon, de l’autre, traité par lequel les puissances signataires reconnaissaient l’union de la Bessarabie à la Roumanie. Le gouvernement soviétique rédigea pourtant, dès le lendemain, une déclaration qui contestait, selon ses termes, le « rapt » du 27 mars 1918 de la Bessarabie. Il contesta dans la foulée le traité conclu la veille, le 28 octobre 1920, qu’il qualifia d’« impérialiste ». Les relations communes se trouvaient dès lors au plus mal, c’était une évidence. Des pourparlers ont néanmoins débuté à Vienne en 1924 entre des délégations roumaines et soviétiques, soldées malgré tout par un aveu d’échec. De nouvelles tentatives de pourparlers débuteront, dans les années 1928/29, lorsque les cieux commencent à s’éclaircir, pour aboutir à la reprise des relations diplomatiques entre les deux Etats, le 4 juin 1934. »

    Dans l’entre-deux-guerres, la Roumanie avait, en effet, fait des efforts pour essayer de normaliser ses relations avec l’URSS, sans trouver cependant de contrepartie dans le chef russe. L’échec des négociations de Vienne de 1924 en est la preuve. Plus encore, l’URSS a poursuivi ses actions hostiles contre la Roumanie. C’est ainsi que voit le jour en 1924 la République soviétique socialiste autonome moldave, située sur la rive gauche du Dniestr, république soviétique qui constitue l’ancêtre de la Transnistrie d’aujourd’hui. Dans la même veine, rappelons encore l’incursion hostile de 1924, lorsque des agents soviétiques pénétreront dans la région de Tatar-Bunar, située au sud de la Bessarabie, où ils réussiront à provoquer une rébellion paysanne, et à proclamer l’instauration du pouvoir des soviets en Bessarabie. Ces actions montrent à profusion l’hostilité du pouvoir soviétique à tout règlement amiable des différends qui l’opposait au royaume de Roumanie de l’époque, du moins pas avant d’avoir réussi à récupérer les territoires initialement annexés par la Russie du Tsar.

    En dépit de cette évidence, la diplomatie roumaine ne baisse pas définitivement les bras, et au début des années 30, Nicolae Titulescu, ministre roumain des Affaires étrangères, reprend les négociations. Ioan Scurtu :« Certes, l’Union soviétique n’avait pas oublié ses objectifs ni ses griefs à l’égard de la Roumanie, et ne voulait pas abandonner sa déclaration de 1920. D’un autre côté, Titulescu estimait que la Roumanie pouvait très bien se passer de l’aval des Soviétiques en ce qui concerne l’acte d’union de la Bessarabie avec la Roumanie. D’autant qu’il s’agissait de l’expression de la volonté populaire des habitants de cette province historique et que finalement, Moscou devait se résoudre à s’adapter à ces nouvelles réalités. Certes, Titulescu a essayé d’obtenir des Soviétiques la reconnaissance des frontières communes. A cette fin, il a négocié avec le commissaire soviétique aux Affaires étrangères, Maxime Litvinov. Résultat : le projet d’un traité d’assistance mutuelle, où la frontière entre les deux Etats, située sur le Dniestr, était mentionnée à 4 reprises ».

    Les illusions roumaines voleront néanmoins en éclats à l’été 1940, suite à l’effondrement du front français devant les coups de boutoir de la Wehrmacht. Le nouvel ordre européen semblait dorénavant dicté par le seul couple soviéto-allemand, qui pouvait régner sans partage sur l’ensemble du continent, suite au pacte germano-soviétique, conclu le 23 août 1939. Les peuples d’Europe centrale et de l’Est feront, les premiers, les frais de ces arrangements. Une bonne partie des Roumains, des Polonais, et encore les Lituaniens, les Lettons et les Estoniens tomberont sous la coupe de Moscou, du moins jusqu’au début de la guerre qui opposera, dès 1941, l’Allemagne à l’Union soviétique. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Gheorghe Gheorghiu-Dej et le stalinisme en Roumanie

    Gheorghe Gheorghiu-Dej et le stalinisme en Roumanie

    C’est en 1965 que décédait Gheorghe Gheorghiu-Dej, le premier leader communiste de la Roumanie, un des responsables de la soviétisation du pays, démarrée en 1945 sous le contrôle direct de l’Armée rouge. Dej a été le modèle d’un nouvel homme politique, issu du parti communiste totalitaire. Les historiens placent Gheorghe Gheorghiu Dej, ex-agent du Kominterm avant la Seconde guerre mondiale, arrivé au sommet du pouvoir à la fin de conflagration, parmi les bourreaux de la démocratie roumaine.

    Gheorghe Gheorghiu-Dej est né en 1901, dans une famille ouvrière, sa future épouse étant également ouvrière. Cet électricien, salarié des Ateliers des chemins de fer Grivita de Bucarest, a adhéré au Parti communiste roumain à l’âge de 29 ans, en 1930. Entre 1933 et 1944, il a été emprisonné pour son rôle dans les grèves de 1933. Dans les années 1940, il avait partagé la même cellule avec Nicolae Ceausescu, celui qui allait devenir son successeur.

    Après avoir purgé sa peine, Gheorghe Gheorghiu Dej devint le leader officiel du parti communiste juste avant les évènements du 23 août 1944, lorsque la Roumanie a quitté l’alliance avec l’Allemagne nazie. Ştefan Bârlea a personnellement connu non seulement Dej mais aussi Ceausescu, profitant des avantages que ces amitiés généraient.

    Interviewé en 2002 par le Centre d’histoire orale de la radiodiffusion roumaine, Stefan Bârlea a admis que le modèle de leader représenté par Dej et Ceausescu n’aurait pu apparaître dans aucun autre système politique : « C’est le système qui a créé les deux dirigeants du parti et respectivement de l’Etat communistes : Dej et Ceausescu. A mon avis, si les deux n’avaient pas existé, d’autres leaders auraient occupé leurs places. Plus ou moins bons, ils n’auraient changé en rien les caractéristiques fondamentales du système. Celui qui lit l’histoire du 20e siècle, peut s’apercevoir que des phénomènes similaires s’étaient aussi produits dans d’autres pays. Gheorghiu Dej a été l’artisan de la construction économique, sociale et politique en Roumanie. Et ce fut toujours Gheorghiu-Dej qui a créé Ceausescu. Vers la fin de sa vie, Gheorghiu Dej a probablement senti aussi le besoin d’adoucir en quelque sorte la vie des gens, de réparer certaines erreurs commises dans le passé, sous ou sans l’influence étrangère. A sa mort, il n’y avait plus de détenus politiques et la Roumanie s’était déjà dotée d’une certaine infrastructure économique. A mon sens, sur le plan de la vie politique, il était convaincu que le parti allait trouver la meilleure solution pour que son successeur puisse continuer son travail. C’est ainsi que s’explique en quelque sorte le fait qu’il n’avait pas nommé de successeur lorsqu’il est tombé malade. Il s’agit, paraît-il, d’une pratique spécifique à tous les leaders, puisque ni Staline, ni Lénine, ni Mao n’ont désigné de successeurs. »

    Dej a été un leader politique habile et cruel qui n’a pas hésité à éliminer physiquement ces opposants. Certaines voix affirment que la mort du leader communiste Stefabn Foris, dans les années 1940, était en fait l’œuvre de Dej. La mort de Lucretiu Patrascanu, autre adversaire de Dej, a certainement été planifiée par ce dernier. L’évincement du groupe de leaders communistes dirigé par Ana Pauker a également porté la signature de Dej. Mais son nom est lié tant à la soviétisation de la Roumanie qu’aux efforts des communistes roumains de faire sortir le pays de sous la tutelle de l’URSS, au début des années 1960. Selon certaines spéculations, Dej aurait été irradié lors d’une réunion à Moscou, en raison de ses efforts de séparer la Roumanie de l’Union soviétique.

    Stefan Bârlea : « Je me rendais compte que Gheorghiu Dej se trouvait aux manettes de l’économie ; après 1945-1946, il a même occupé des fonctions de directions dans différents ministères importants. En tant que premier vice-président du gouvernement, il s’est trouvé à la tête des commissions pour la reconstruction économique et a nommé au gouvernement un nombre croissant de membres du Bureau politique du parti communiste. Il exerçait un double contrôle sur l’équipe gouvernementale qu’il a directement dirigée entre 1952 et 1955. Trois ministres importants ont démissionné : celui des finances, Vasile Luca, celui des affaires étrangères, Ana Pauker, et celui de l’intérieur, Teohari Georgescu. De cette manière, Gheorghiu Dej a atteint simultanément deux objectifs : il s’est débarrassé des adversaires incommodes du gouvernement et de la direction du parti. Il a pratiquement pris le contrôle du gouvernement, en proposant le premier ministre Groza aux fonctions de président de la Grande Assemblée Nationale. »

    Aux dires de Stefan Barlea, bien que Dej n’eût laissé aucun successeur, à sa mort, le futur leader Nicolae Ceausescu passait déjà pour favori : « Tout le monde savait bien que Dej était malade, on avait entendu dire qu’il s’était fait opérer d’un polype à la vessie, mais on ignorait son état de santé. Peut-être que ses proches en savaient plus. Un mois, un mois et demie avant la mort de Gheorghiu Dej, on s’est réuni pour une dernière séance du Comité central de l’Union de la Jeunesse ouvrière. On a occupé une petite salle, près du bureau de Dej dans l’ancien siège du Comité Central. Ceausescu était visiblement fatigué. Nous, on avait élaboré un rapport pour présenter nos activités du dernier temps à Trofin, qui était premier secrétaire. Au bout de quelques minutes, pendant lesquelles il nous a écouté, Ceausescu s’est mis à présenter brièvement une de ses idées sur le rôle que l’organisation de jeunesse devait remplir en tant que réserve du Parti communiste. A ce moment là, je n’ai pas très bien compris ce qu’il voulait dire. Mais, à la mort de Dej, je me suis enfin rendu compte que Ceausescu nous demandait le soutien pour s’installer à la direction du parti. Or nous, tous ceux de l’organisation de la jeunesse communiste, on était carrément persuadé que ce n’était que Ceausescu qui pouvait remplacer Dej à la tête du parti. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé. »

    Le 19 mars 1965, Gheorghe Gheorghiu Dej quittait ce monde et Nicolae Ceausescu occupait sa place à la tête du Parti communiste. Il y a 50 ans, la direction communiste roumaine changeait de leader, sans pour autant changer de manière de gouverner.(trad: Andrei Popov, Ioana Stancescu)