Tag: Union soviétique

  • Petru Groza

    Petru Groza

    Petru
    Groza a été l’une des personnalités politiques roumaines les plus complexes de
    la seconde moitié du 20e siècle. Né en 1884, dans le département de
    Hunedoara, situé en Transylvanie, Petru Groza suivra les cours de la faculté de
    Droit et d’Economie politique de l’Université de Budapest, puis de celle de
    Leipzig, où il décroche son doctorat, en 1907. Avocat, il commence sa carrière
    politique au sein du Parti national roumain, fervent défenseur des droits des
    Roumains de Transylvanie, alors partie de l’empire d’Autriche-Hongrie. Sa
    carrière politique prend un tournant en 1918,
    lorsqu’on le voit rejoindre le Parti du peuple, puis le Front des agrariens.
    Antifasciste résolu dans les années 30, Petru Groza se rapproche de la gauche de
    l’époque, s’alliant au Parti socialiste et au Parti des Magyars, mais il se
    rapproche également des communistes, mis hors la loi en 1921. Ce rapprochement
    marquera sa carrière politique, relancée de manière spectaculaire après
    l’occupation soviétique de la Roumanie, durant la seconde moitié de l’année
    1944.






    Et
    c’est ainsi que l’on voit, le 6 mars 1945, le gouvernement rouge dirigé par
    Petru Groza, porté au pouvoir par les soviétiques, en dépit de la résistance acharnée
    et légitime du roi Michel. A partir de ce moment-là, la Roumanie se voyait
    entrer, et ce pour 45 ans, dans la sphère d’influence soviétique. Sous la
    férule du premier ministre Petru Groza, la propriété privée se voyait bannir
    progressivement de Roumanie, les partis politiques étaient supprimées, à l’exception
    notable, bien évidemment, du parti communiste, devenu parti unique, la
    monarchie était abolie pour laisser la place à la république populaire, enfin,
    les anciens hommes politiques, les intellectuels et tous ceux qui pouvaient
    représenter un quelconque danger pour le parti communiste se voyaient tout
    simplement jeter en prison et dans des camps d’extermination. L’image de Groza se
    moue ainsi d’une figure marginale du monde politique bourgeois vers la figure centrale
    du régime communiste instauré en Roumanie à la faveur des chars de l’Armée
    rouge.






    Mais
    qui était-il au fait ? Qui était en vérité ce personnage à l’apparence
    débonnaire, mais aux manières douteuses ? Après 1989, les historiens n’ont eu de cesse
    d’essayer de déceler la vérité, à travers les contours flous et contradictoires
    laissé par le passage de l’homme à travers l’histoire récente de son pays.
    Parmi les sources de choix, évidemment, l’histoire orale des témoins oculaires.
    Parmi ces sources, citons d’abord sa fille, Maria Groza, devenue assistante et
    principale confidente de cet homme politique aux mille visages. Elle se livrait
    en 1995, dans une interview accordée au Centre d’histoire orale de la
    Radiodiffusion roumaine.




    Mia Groza se souvient de la lutte acharnée livrée
    par son père pour garder le pouvoir : « Il
    y avait des tendances contradictoires qui se manifestaient à l’époque. La
    réforme agraire, par exemple, c’est l’un des sujets qui lui tenait à cœur. Puis
    ce qui se passait en Transylvanie vers la fin de la guerre, surtout les
    événements qui ont eu lieu à Cluj. Concernant la question agraire, il n’était
    pas partisan des kolkhozes, il savait ce que représentait pour le paysan d’être propriétaire de son lopin de terre. Mais bon, il y avait tout ce contexte, et la
    pression des soviétiques de surcroît. Au plan externe, il voulait renouer les
    liens avec les Etats voisins, dans le contexte de l’après-guerre. Il disait, je
    cite, « on peut être de bons amis avec je ne sais quelle puissance, mais
    l’essentiel c’est d’avoir de bons voisins ». Et c’est pour cela qu’il
    s’était rendu personnellement dans tous les pays voisins, y compris à Moscou,
    évidemment. Moi, je l’avais accompagné lors de ce voyage, mais je n’ai pas
    assisté à l’entrevue qu’il a eue avec Staline. C’est qu’un soir, nous sommes
    allés ensemble à l’Opéra, au Bolchoï, qui mettait en scène des spectacles
    extraordinaires. Lui, il adorait l’opéra. Et donc, on était dans notre loge, et
    l’émissaire de Staline est venu le chercher, là même, à l’Opéra, et a invité
    mon père à rencontrer le généralissime. Il est allé sur le champ, et ils sont
    longtemps restés discuter des problèmes qu’avait la Roumanie à l’époque et de
    ses perspectives ».







    Pamfil Ripoşanu, ancien
    ambassadeur et membre du Parti national paysan de Iuliu Maniu, ce parti qui
    s’est érigé comme l’une des oppositions politiques les plus redoutables au
    processus de soviétisation de la Roumanie, avait été ami d’enfance du premier
    ministre communiste Petru Groza. Le regard qu’il portait en 1995 sur cette
    amitié et sur la personnalité de Petru Groza, à la fois ami et adversaire
    politique, est empreint de nostalgie.






    Pamfil Ripoşanu : « J’étais dans le bâtiment du
    gouvernement au mois de mars 1945. Il y a avait des négociations entre les divers
    partis politiques pour la formation d’une nouvelle coalition de gouvernement.
    Et alors que ces négociations avançaient d’une manière satisfaisante, Groza m’appelle
    et me dit de regarder par la fenêtre. Et je vois des chars soviétiques défiler
    sur Calea Victoriei, l’avenue de la Victoire, juste devant le bâtiment de la
    présidence du Conseil. Et c’est au moment où Groza me demande « que faire ? »
    que l’on annonce l’arrivée de l’émissaire de Staline, Vâchinski, accompagné
    d’un général qui traduisait. Et Vâchinski dit d’emblée à Groza: « Je vous
    apporte le message du grand Staline, qui vous demande de former le
    gouvernement. Ce n’est que lorsque vous seriez à la tête du gouvernement
    roumain, que la Transylvanie sera rendue à la Roumanie ». La convention
    d’armistice, signée à Moscou par Vişoianu, précisait déjà que le territoire de
    la Transylvanie, en entier ou en sa plus grande partie, revenait à la Roumanie.
    Mais Vâchinki faisait miroiter la possibilité d’obtenir la Transylvanie entière.
    Groza a voulu vérifier et il a appelé Staline. Et on lui a confirmé que, en
    effet, 48 heures après qu’il ait formé le gouvernement, la Transylvanie
    reviendrait à la Roumanie. Groza était forcément rouge et extrêmement
    ému ».





    Les décisions prises à
    l’époque vont marquer pour longtemps la destinée de la Roumanie. Pamfil
    Ripoşanu poursuit : « Après le
    pacte scellé entre Ribbentrop et Molotov,
    la partie nord de la Transylvanie avait été cédée aux Hongrois. Et alors, après
    avoir appelé Moscou, Groza me dit : « Je vais de ce pas au Palais, pour annoncer mon agrément au
    Souverain. Toi, vas chez Maniu, et dis-lui ce à quoi tu as assisté ici ».
    J’y suis allé, j’ai rapporté à Iuliu Maniu, le président de mon parti, la
    teneur de la rencontre à laquelle j’avais assistée, avec Vâchinski. Cela
    l’avait mis dans tous ses états. Deux heures plus tard, Groza nous rejoint,
    chez Maniu. Lui aussi était extrêmement agité. Et Groza plaide auprès de Maniu,
    pour que ce dernier rejoigne la nouvelle formule de gouvernement. Il lui
    dit : « Monsieur le président, ne me laissez pas seul ». Le
    président était Maniu. Mais Maniu refuse, et il dit à Groza : « Petre
    Groza, je n’entre pas au gouvernement. Et je vous conseille de faire de même.
    Ce serait dommage de salir votre réputation et votre nom. J’ignore où se trouve
    votre épouse, parce que j’aimerais l’appeler et lui demander de vous faire
    entendre raison ». A ce moment-là, Groza est sorti de ses gonds, il tape
    du poing sur le bureau de Maniu, et lui crie au visage, je cite :
    « Monsieur le président, je jette aux oubliettes mon nom, pourvu que je
    puisse aider mon pays, ne fut-ce que pour 5 minutes ! Mes enfants n’ont qu’à
    changer de nom, s’ils le veulent! ». Et c’est ainsi que cela s’est
    passé. »







    Petru Groza est mort en 1958,
    à 73 ans. Le régime qu’il avait aidé à s’installer lui survivra encore 31 ans,
    jusqu’au mois de décembre 1989. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • La lutte pour la paix

    La lutte pour la paix

    La paix a été un thème privilégié de la propagande communiste, sans doute pour mettre en défaut son adversaire, le capitalisme, sorte de va-t-en-guerre. Déjà dans leurs écrits, les théoriciens du marxisme-léninisme postulaient le pacifisme axiologique du prolétariat opprimé, au contraire des propriétaires, entichés du conflit sous quelque forme que ce soit. Le schéma, à la fois confus et réducteur, appelait à la révolution mondiale pour changer le monde, tout en appelant à la violence pour liquider, au sens propre du terme, la bourgeoisie et conquérir le pouvoir afin d’instaurer la paix éternelle sur la terre. Mais la victoire du bolchévisme en 1917 n’a apporté la paix, loin s’en faut.

    L’Union soviétique cherchera, au contraire, à mettre le feu aux poudres à la moindre occasion qui se présentait. En réalité, le régime communiste aimait le conflit, à l’instar de tout autre régime d’ailleurs, mais la paix est restée un slogan largement étayé par la propagande. Et c’est ainsi que la propagande soviétique a inventé le slogan de la lutte pour la paix qui, au-delà du paradoxe de la formule, heurtait violemment la réalité. Le slogan de la lutte pour la paix commence à faire son chemin dans la propagande communiste, et cela dès le début de l’occupation soviétique de la Roumanie, à compter du milieu de l’année 1944, et jusqu’à la chute du communisme, fin décembre ’89. Dans les années ’50 une blague faisait fureur, qui disait : « Nous allons si bien lutter pour la paix, qu’il n’y restera que de la terre brûlée ».

    Clamer la recherche de la paix fut un véritable dada de la propagande communiste qui ne désarma à aucun moment. Le dernier dictateur de la Roumanie communiste, Nicolae Ceausescu, adorait se faire appeler le « héros de la paix ». L’ingénieur Ştefan Bârlea a été un important militant des Jeunesses communistes des années 1950-1960. Interviewé en 2002 par le Centre d’histoire de la Radiodiffusion roumaine, il remémore l’année 1955 et on cite :« En 1955, plusieurs événements ont eu lieu. D’abord, le patriarche Iustinian, de l’Eglise orthodoxe roumaine, avait lancé une lettre pastorale, dont nous avons eu vent, et que nous avons perçue de manière très positive. Dans sa lettre, le patriarche faisait appel à la dénucléarisation. C’était une première, du moins pour l’église orthodoxe. C’était un acte presque politique, je dirais. Il n’est pas exclu qu’il ait produit cette lettre pastorale suite à une demande formulée par le régime, je n’en sais rien. Difficile à le savoir avec précision, les routes du Seigneur s’avèrent tortueuses. Mais cela a eu lieu au moment où le mouvement pacifiste, lancé par l’Union soviétique, dès 1949, battait son plein. En 1955, une grande Assemblée mondiale pour la paix a été ainsi organisée. »

    Après la Seconde Guerre mondiale, il est certain que le désir de paix de l’humanité répondait à un véritable besoin. Mais l’Union soviétique avait d’autres desseins, cela s’entend. Ştefan Bârlea avait été en charge de l’organisation des manifestations publiques dans ce cadre-là:« Nous organisions des réunions, des manifs des jeunes. Tous les ans, nous avions deux, trois grandes manifs. Le deuxième congrès pour la défense de la paix a été organisé en 1950, et c’est à ce moment-là qu’a été élu un Conseil mondial et que deux organisations de jeunesse ont fait leur entrée, parmi les autres participants officiels, parmi les délégués des différents pays. Il s’agissait de la Fédération mondiale des jeunesses démocrates et de l’Union internationale des étudiants. Les deux organisations avaient des conseils basés l’un à Prague, en Tchécoslovaquie, et l’autre quelque part en Pologne. Ces organisations étaient censées représenter le mouvement pacifiste et, en leur qualité de membres de plein droit du Conseil mondial pour la paix, elles demandaient aux autres organisations nationales de jeunesse ou d’étudiants d’organiser à leur tour des manifs, entraînant les jeunes dans ce mouvement en faveur de la paix. Et c’est aussi ainsi que nous avons été les chevilles ouvrières de quelques rassemblements d’envergure, ici même, à Bucarest, dans le pavillon H, situé dans le parc Herăstrău, ou dans la salle de compétitions sportives Floreasca. Parfois les meetings prenaient place aussi à l’extérieur. »

    Suivant la coutume communiste, ces meetings constituaient autant d’occasions d’entendre des discours mobilisateurs. Ştefan Bârlea remémore le déroulement d’une de ces grandes messes pour la paix : « L’ordre du jour nous parvenait par l’entremise du Comité central des Jeunesses communistes, par la suite par l’intermédiaire du Conseil des associations estudiantines. Les discours étaient lus soit par un représentant des organisations internationales de jeunesse, et là il fallait s’attendre à un discours qui dure, soit par un responsable local. Les responsables y étaient conviés. Quant à nous, nous organisions ce genre de manif dans tous les centres universitaires, dans toutes les villes du pays. Les discours, c’était les responsables locaux qui s’en chargeaient. Ion Gheorghe Maurer, l’ancien premier ministre de plus tard, par exemple, a parlé lors d’un tel rassemblement, alors qu’il était directeur juridique de l’Académie roumaine. La propagande était chargée d’éditer les brochures qui devaient constituer le fondement des discours des responsables. Il s’agissait somme toute d’un spectacle politique, avec sa mise en scène et tout le tralala. Si un ponte du parti était attendu, là il y avait un metteur en scène attitré. Y en avait des connus même, tel Hero Lupescu, et bien d’autres encore, des gens qui travaillaient en tant que metteurs en scène à l’Opéra de Bucarest. »

    La lutte pour la paix s’est brusquement arrêtée à la fin du régime communiste. Outre les slogans et les mots creux, rien n’y est resté derrière. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Nouari Naghmouchi (Algérie) – Les relations roumano-russes (2e partie)

    Nouari Naghmouchi (Algérie) – Les relations roumano-russes (2e partie)


    Entre 1948 et 1989, lhistoire des relations roumano-soviétiques se confond à celle des rapports entre les deux partis communistes. Une histoire de rapprochements et de mises à distance. Installé au pouvoir avec le soutien de lURSS et marionnette soviétique au début de son existence, le régime communiste de Roumanie sest finalement transformé en un régime avec une idéologie communiste – nationaliste et une politique étrangère indépendante sans prendre trop de distance par rapport aux dogmes communistes. Cest pour cela que la fronde de Bucarest, des années plus tard, na pas vraiment inquiété les Soviétiques.



    Le processus de transformation de la Roumanie selon le modèle soviétique sest accompagné dune escalade des tensions entre les groupes rivaux à la tête du Parti communiste. Larbitre suprême et le seul à décider de la direction à la tête des pays placés dans la sphère dinfluence soviétique était le leader communiste russe, Joseph Staline. La Roumanie ny faisait pas exception et du coup, la principale préoccupation des dirigeants communistes roumains était dentrer dans les grâces de Staline. Pourtant, il nétait pas rare que les décisions venues de Moscou reposent sur les intérêts géopolitiques de lURSS. En plus, le dictateur soviétique voulait encourager les rivalités entre les dirigeants communistes afin dexercer un plus de contrôle sur les pays en question. Pour cela, il se servait notamment de larmée, la police, les services secrets et le parquet, à la tête desquels il plaçait des agents soviétiques. Parmi les mesures adoptées à lépoque figure notamment la mise en place de la Securitate, la police politique, lun des instruments les plus terribles du régime communiste.



    Le 4 février 1948, la Roumanie et lUnion soviétique ont signé un Traité damitié, de coopération et dassistance mutuelle, un des premiers documents à la base du système collectif de sécurité du bloc communiste qui a culminé, en 1955, par la création du Pacte de Varsovie. Dans un premier temps, Staline a souhaité préserver léquilibre entre les deux factions communistes rivales, celle proche de Moscou, dite internationaliste, comportant les communistes émigrés en URSS et rentrés en Roumanie au moment de loccupation soviétique, et celle locale, regroupant les communistes autochtones. En février 1948, les deux groupes rivaux ont partagé la direction du Parti des ouvriers roumains créé suite à la fusion par absorption entre le PCR et lancien Parti social-démocrate.



    Le nouveau parti était donc devenu parti unique en Roumanie, selon le modèle soviétique. Son leader – Gheorghe Gheorghiu-Dej – ancien ouvrier et détenu politique – sest vu élire à la tête de la cette nouvelle formation. Pourtant, ses prérogatives étaient limitées par le groupe rival ayant à sa tête Ana Pauker, Vasile Luca et Teohari Georgescu. Deux semaines plus tard, la Roumanie a été proclamée République populaire et un mois plus tard, elle sest vu doter de sa première constitution communiste. Ce fut là un premier pas vers la mise en place dun communisme dur en Roumanie, inspiré du modèle soviétique. Léconomie a été nationalisée, lidéologie rouge a conquis tous les domaines, les répressions en masse des opposants au régime senchaînaient.



    Devenu lun des partisans les plus fervents de Staline dans son conflit contre le leader communiste yougoslave Tito, Gheorghe Gheorghiu-Dej a renforcé ses positions au sein du parti. Profitant de la campagne antisémite déclenchée par le leader russe, Dej a mis sur pied sa propre campagne dépurations et sest imposé définitivement devant le groupe rival de Ana Pauker. En plus, Dej a tiré profit de la guerre froide, en se rangeant du côté de Staline qui avait besoin plus que jamais de leaders fidèles à la tête des pays satellites de Moscou.



    La mort de Staline en mars 1953 et le début de la déstalinisation en Union soviétique nont presque pas du tout affaibli les pouvoirs de Dej. A la différence dautres leaders communistes, il est arrivé à préserver son contrôle et à éliminer petit à petit ses adversaires de la scène politique. Face aux changements intervenus en URSS, Dej a commencé timidement à réduire la sphère de linfluence soviétique, en tablant pour la première fois sur le nationalisme. Il sest rapproché à lépoque du leader chinois Mao Tzedong, un adversaire de la déstalinisation. Sur le plan intérieur, Dej a adopté une série de mesures censées améliorer le niveau de vie et il a même décrété une amnistie partielle.



    La Roumanie a adhéré en 1955 au Pacte de Varsovie, organisation militaire du bloc communiste, et puis, la même année, elle a commencé à tâtonner pour obtenir le retrait des troupes soviétiques de son territoire et la dissolution des « sovroms ». Créés juste après la guerre, ces « sovroms » étaient des entreprises roumano-soviétiques qui travaillaient au bénéfice de lURSS, en pillant pratiquement léconomie roumaine. Après que le leader soviétique Nikita Khrouchtchev dénonce officiellement, en 1956, les crimes de Staline, Dej refuse de suivre son exemple et déclare que la déstalinisation de la Roumanie est intervenue au moment de lécartement du pouvoir du groupe de Ana Pauker. Une fausse déclaration qui a fini par se faire accepter, en libérant Dej de toute responsabilité pour les crimes commis en cette période.



    Le même année, en 1956 donc, Dej arrive à gagner la confiance de Khrouchtchev, après avoir soutenu létouffement par lURSS de la révolte anticommuniste de Hongrie. Dej rejetait les idées réformistes des communistes hongrois et craignait leur prolifération en Roumanie. Avant détouffer la révolte hongroise, la direction soviétique a adopté une déclaration pour fixer le nouveau cadre des relations entre lURSS et les pays socialistes. Moscou désignait ainsi les limites admissibles de la libéralisation des politiques internes des pays satellites, mais aussi les concessions que les Soviétiques étaient prêts à faire. La Roumanie a réagi dès le lendemain, en avançant lidée du retrait des troupes soviétiques de son territoire. Afin de démontrer à Khrouchtchev que le régime communiste nencourait aucun danger et que la situation restait sous contrôle, Dej a lancé une nouvelle campagne de représailles à ladresse de tous ceux dont il voulait se débarrasser. En 1958, les troupes soviétiques se retirent enfin de Roumanie, mais le nombre des détenus politiques sest majoré de 6400 en 1955 à 17,6 mille en 1960. La dernière vague de représailles a frappé la Roumanie en 1962 quand dans le reste du camp soviétique, la stalinisation était déjà du passé.



    Le processus déloignement pacifique des communistes roumains par rapport à lURSS a reposé aussi bien sur la désoviétisation du système politique et de la société en général que sur lencouragement du nationalisme et sur la mise à profit des ressentiments de la population vis-à-vis de lannexion russe de la Bessarabie et de la Bukovine du Nord. Pourtant, par ce processus, le régime de Roumanie ne se proposait que son indépendance face à Moscou et un renforcement de son propre pouvoir sans pour contester le système en soi ou lidéologie communiste.



    Sur le plan extérieur, Dej ne sest pas rallié à lURSS dans son conflit contre les Etats-Unis. Après la crise des missiles à Cuba, en 1962, qui a mené le monde au bord du conflit nucléaire, Bucarest a informé Washington quen cas de guerre russo-américaine, la Roumanie préservera sa neutralité. La même position neutre, Dej la adoptée dans le cas du conflit sino-soviétique qui avait escaladé au début des années 1960 quand Mao sétait opposé à la politique de déstalinisation menée par Khrouchtchev.



    En 1963, la Roumanie a rejeté la proposition avancée par certains pays du bloc soviétiques daccepter une sorte de division internationale du travail et le statut de pays agraire au sein de lorganisation économique des pays communistes, le Comecon. A lépoque, Bucarest avait triplé le volume de ses rapports commerciaux avec les pays occidentaux, tels lAllemagne de lOuest, la France ou lItalie. Notons quen 1961, la Roumanie avait enregistré le plus grand taux de croissance économique au sein de lEurope de lEst. Du coup, Bucarest a déclaré rejeter le statut de pays agraire au sein du Comecon pour pouvoir continuer le processus dindustrialisation.



    Une année plus tard, en 1964 donc, lidée de spécialiser les économies des pays socialistes a été ranimée par un économiste russe qui avançait un projet de complexe inter-étatique dans le bassin du Danube. La Roumanie a rejeté fermement le projet, surtout que les raisons nétaient pas exclusivement économiques. Bucarest a vu ce projet comme une menace à sa souveraineté et Gheorghe Gheorghiu Dej comme une attaque à ses fonctions. Les tensions ont fini par déboucher sur la signature en avril 1964, dune déclaration dindépendance du Parti des ouvriers roumains. Le prétexte était la neutralité annoncée par la Roumanie par rapport au conflit entre les deux grandes puissances communistes, la Chine et lURSS.



    Tout en reconnaissance le droit de Mao à une politique indépendante, fut-elle dinspiration stalinienne, Gheorghe Gheorghiu Dej affirmait son droit à la propre politique intérieure et extérieure et tentait dobtenir le soutien de Pekin. La déclaration dindépendance signée en 1964 où la Roumanie sengageait à décider toute seule de son chemin politique a eu un impacte positif dans ses relations avec lOccident, tout en provoquant la furie de Moscou. Pour obtenir le soutien de la population, Dej a commencé une relaxation de la politique intérieure, en libérant de prison la majorité des dissidents politiques parallèlement à la poursuite du processus de déstalinisation. Lapprentissage du russe dans les écoles nest plus obligatoire, une série dinstitutions de propagande russe sont fermées, etc.



    La rupture entre Bucarest et Moscou semblait donc inévitable. Et pourtant, en octobre 1964, Khrouchtchev sest vu écarté du pouvoir par un triumvirat ayant à sa tête Leonid Brejnev. Dans un premier temps, celui-ci a essayé de réparer les relations avec les pays communistes. Le 19 mars 1965, Gheorghe Gheorghiu Dej est mort des suites dun cancer pulmonaire sans désigner aucun successeur. Trois jours plus tard, le Parti des ouvriers de Roumanie a installé à sa tête le plus jeune membre de la direction communiste de Bucarest, Nicolae Ceausescu. (Auteur: Aleksandr Beleavschi, trad.: Ioana Stancescu)




  • Nouari Naghmouchi (Algérie) – Les relations roumano-russes (1ere partie)

    Nouari Naghmouchi (Algérie) – Les relations roumano-russes (1ere partie)

    Le 23 août 1944, le jeune roi Michel I convoque au Palais royal le maréchal Ion Antonescu, qui dirigeait de facto l’Etat, pour l’exonérer de la signature de l’armistice avec l’Union soviétique.



    La Roumanie entre en guerre le 22 juin 1941 contre l’URSS aux côtés de l’Allemagne nazie. Elle déploie sur le front de l’Est plus de troupes que ne le font les alliées des forces allemandes. La principale raison qui a poussé la Roumanie à faire la guerre était son désir de récupérer la Bessarabie et la Bucovine du Nord, deux territoires annexés une année auparavant par le dictateur soviétique Joseph Staline. Fin juillet, l’armée roumaine avance jusqu’au Dniestr, la frontière orientale du pays jusqu’en 1940. Or, sur l’insistance d’Hitler et fidèle à ses propres ambitions politiques et personnelles, Antonescu décide de traverser la rivière et de continuer la bataille. Une décision qui n’a guère enthousiasmé les responsables de Bucarest.



    Lors d’une interview que le roi Michel m’a accordée en 2010, l’ancien souverain racontait que malgré son opposition, il n’avait pu rien faire contre Antonescu qui, à l’époque, concentrait entre ses mains tout le pouvoir politique et militaire.



    Après une série de victoires enregistrées au cours de sa première année de guerre, l’armée roumaine se voit décimer et perd 100.000 soldats, tandis que des centaines de milliers d’autres sont blessés ou tombent prisonniers. C’est en fait durant la bataille de Stalingrad que l’armée roumaine souffre ses pertes les plus terribles.



    A l’été 1944, l’armée soviétique avance jusqu’aux frontières roumaines. Pour sortir le pays de la guerre et éviter d’en faire un théâtre d’opérations, les partis démocrates mettent en place une coalition pour s’opposer au régime militaire d’Antonescu. Pour négocier un armistice avec les Soviétiques, la coalition des partis historiques décide d’inviter dans ses rangs les communistes, bien que leur minuscule parti, interdit peu de temps après sa création, n’ait joué aucun rôle sur la scène politique roumaine. Mais, c’était au roi Michel de jouer le rôle clé dans cette affaire. Lorsque, le 23 août 1944, le général Antonescu arrive au palais royal, le souverain lui demande de signer l’armistice. Le maréchal refuse et le roi ordonne son arrestation. Le soir même, dans un message diffusé à la radio, le roi Michel annonce la rupture du pacte avec l’Allemagne et engage le pays aux côtés des Nations Unies, afin de libérer le Nord de la Transylvanie, un territoire que la Roumanie avait cédé à la Hongrie, en 1940, sous la pression d’Hitler.



    Après que Antonescu est écarté du pouvoir, le roi forme un gouvernement de coalition — avec le PNL et le PNT, qui, pour la première fois dans l’histoire du pays, acceptent de coopter un communiste : Lucretiu Patrascanu, un intellectuel respectable, présent aux négociations pour la création de la coalition anti-Antonescu. Le 30 août 1944, les forces soviétiques débarquent à Bucarest. Deux semaines plus tard, la Roumanie signe un armistice aux termes duquel le pays cède à nouveau à l’Union soviétique la Bessarabie et la Bucovine du Nord, tout en acceptant de verser de lourdes réparations de guerre. En échange, le Traité de paix de 1947 oblige l’URSS à rétrocéder à la Roumanie le Nord de la Transylvanie libéré en automne 1944 par les troupes roumaines et soviétiques. L’armée roumaine a pour sa part continué sa campagne militaire vers l’Ouest, en contribuant à la libération de la Hongrie, de la Slovaquie et de l’Autriche. Autant de combats qui ont coûté la vie à 120 milles soldats roumains, un nombre supérieur de victimes que celui enregistré par les Etats-Unis sur tous les fronts de la deuxième guerre mondiale. En signe de reconnaissance, l’URSS a conféré au roi Michel de Roumanie l’Ordre de la Victoire aux diamants, le plus prestigieux de ses ordres militaires.



    Bien que ses efforts militaires dans la campagne contre Hitler la place en cinquième position parmi les alliés, la Roumanie ne s’est jamais vu attribuer le statut de pays co-belligérant, étant considéré comme un pays vaincu. La raison en fut le partage des sphères d’influences entre l’URSS et l’Occident après la guerre. La Roumanie tomba dans celle d’influence russe.



    Or, à partir de l’automne 1944, Staline profite de la présence en Roumanie des troupes soviétiques et commence une promotion agressive des communistes roumains au pouvoir. Il a notamment profité du sort de la Transylvanie qu’il a acceptée de placer sous l’ombrelle de l’administration roumaine seulement après l’installation en mars 1945 d’un gouvernement pro-communiste ayant à sa tête Petru Groza. Il a fallu deux visites à Bucarest d’Andrei Vyshinski, l’émissaire de Staline, sur fonds de protestations organisées par les communistes pour que le roi et les partis démocratiques finissent par céder. En juin 1946, sous la pression des forces soviétiques, le gouvernement de Petru Groza organise le procès du maréchal Antonescu et de ses principaux collaborateurs, tous accusés de crimes de guerre, condamnés à mort et exécutés. A la différence de leurs confrères d’autres pays, les communistes roumains n’avaient joué aucun rôle dans la résistance antifasciste et ils ne bénéficièrent d’aucun soutien de la part de la population. En plus, interdit deux décennies durant, le petit parti communiste qui en 1944 ne recensait qu’un millier de membres, était divisé en deux groupes rivaux: les autochtones et les moscovites. Le premier regroupait la plupart des communistes roumains libérés des prisons nationales. Le deuxième était formé des communistes roumains ayant émigré en Russie et qui ont regagné la Roumanie après l’occupation soviétique.



    Or, malgré le soutien accordé à ceux-ci, les forces soviétiques ne pouvaient pas ignorer l’antipathie que la plupart des Roumains ressentaient vis-à-vis de ces personnages qualifiés de « traîtres » pour avoir soutenu la perte de la Bessarabie. Staline opte finalement, pour une solution de compromis : il met à la tête du parti communiste le leader des communistes locaux, Gheorghe Gheorghiu Dej, et donne les fonctions clés aux Moscovites ayant à leur tête Ana Pauker et Vasile Luca. Grâce à une campagne de propagande et de recrutement menée avec le soutien soviétique, le PC roumain a augmenté ses effectifs, en regroupant des centaines de milliers de personnes sans pour autant gagner davantage la sympathie de l’électorat. Bien que les élections de 1946 aient été remporté par les partis démocrates, les communistes, appuyés par l’Armée rouge, falsifient les résultats à leur profit. Quelques mois plus tard, en février 1947, la Roumanie signe le Traité de paix de Paris par lequel elle se voit contrainte à céder à l’URSS la Bessarabie et le Nord de la Bucovine, en récupérant, en échange, le Nord de la Transylvanie. En plus, la Roumanie s’est vu obliger d’accepter la présence sur son territoire de l’armée rouge pour 90 jours. Pourtant, les forces soviétiques y allaient restées jusqu’en 1958.



    La situation politique en Roumanie commence à se détériorer sévèrement sur fond de la guerre froide éclatée en 1947. Pour renforcer ses positions stratégiques en Europe de l’Est, Staline ordonne aux partis communistes contrôlés par Moscou de s’emparer du pouvoir avec le soutien soviétique.



    Installés à la tête de l’armée et des principales institutions publiques, les communistes roumains ont déclenché une véritable campagne de terreur contre les partis démocratiques et contre tout opposant réel ou présumé. Des milliers de personnes ont été exécutées, emprisonnées ou envoyées dans des camps de travaux forcés. En juillet 1947, le PNT, le parti historique le plus populaire de Roumanie, a été déclaré illégal et ses membres se sont vu infliger de lourdes peines. Les libéraux, eux, ont décidé de leur auto-dissolution, tandis que les sociaux-démocrates et d’autres partis de gauche se sont vu contraints à rejoindre les communistes au sein du Parti des Travailleurs roumains. Les leaders des partis démocratiques qui ont refusé de collaborer avec les communistes ont été arrêtés et jetés en prison où la plupart ont trouvé la mort.



    Le prochain pas fait par les communistes roumain : écarter le roi Michel, toléré jusqu’alors pour des raisons de stratégie. Le 30 décembre 1947, à la demande de Petru Groza et de Gheorghe Gheorghiu Dej, le roi signe son abdication et part en exil, en Suisse. Le jour même, la Roumanie proclame la République populaire et quelques mois plus tard, en avril 1948, elle adopte sa première constitution républicaine. Avec des institutions suprêmes de l’Etat dont le rôle n’était que symbolique, la Roumanie concentre tout le pouvoir politique entre les mains des communistes subordonnés à Moscou.



    A partir de ce moment là, l’histoire de la Roumanie entre, pendant 4 décennies, dans une période totalitaire durant laquelle les rapports roumano- soviétiques se confondent avec ceux entre les deux partis communistes. Mais, en 1948, personne n’entrevoyait encore le parcours sinueux des relations roumano-russes. (Auteur: Alexandr Beleavski, trad. Ioana Stancescu)