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  • Cent ans depuis la création de la Petite Entente

    Cent ans depuis la création de la Petite Entente

    C’est ainsi qu’avait vu le jour la Société des Nations, appelée
    aussi la Ligue des Nations. Ancêtre de l’ONU, la Société des
    Nations se voulait le forum d’élection où les conflits naissants
    allaient pouvoir être réglés à l’amiable. C’est ici que
    furent énoncées, en effet, les idées les plus généreuses, c’est
    ici encore que la guerre fut mise au ban des nations, qui lui
    refusait dorénavant le droit de pouvoir régler les disputes entre
    les Etats.


    Mais alors que les vainqueurs
    de la Grande Guerre s’efforçaient de faire émerger un nouveau
    droit international, les Etats vaincus n’avaient de cesse de
    reprendre la main, en contestant le nouveau tracé des frontières,
    décidé à Versailles. Progressivement, les nations commençaient à
    se ranger dans deux camps, que tout opposait. Les nations
    victorieuses essayèrent de leur côté de se regrouper en
    différentes types d’alliances régionales, pour mieux défendre
    leurs intérêts communs, et pour éviter de rendre les armes devant
    les visées révisionnistes de leurs voisins vaincus.

    La
    diplomatie de la Grande Roumanie, nation victorieuse à l’issue de
    la Grande Guerre, s’était résolument engagée dans cette bataille
    d’influence, s’efforçant de bâtir un système d’alliances
    régionales pour préserver ses intérêts. C’est ainsi que la
    Roumanie signe son premier traité d’alliance d’après la guerre
    avec la Pologne, en 1921. Et c’est toujours en 1921, au mois
    d’octobre, que fut créée la Petite Entente, alliance qui
    réunissait la Roumanie, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie,
    prenant pour exemple la Triple Entente, scellée durant la guerre,
    entre la France, le Royaume-Uni et la Russie. Le troisième mécanisme
    de coopération régionale fut créé seulement en 1934, et
    réunissait, sous l’appellation de l’Entente balkanique, la
    Roumanie, la Yougoslavie, la Grèce et la Turquie, les 4 Etats légués
    contre les visées révisionnistes de la Bulgarie notamment.

    Au
    centenaire de la signature de la Petite Entente, l’historien Ioan
    Scurtu nous décrit le contexte régional qui prévalait en 1921 : « Aussi bien la
    Tchécoslovaquie, que la Yougoslavie et la Roumanie, tous ces pays
    avaient conclu des traités de paix avec la Hongrie, lorsque fut
    signé le Traité de Trianon, le 4 juin 1920. Mais ces Etats
    craignaient les visées révisionnistes magyares, et désiraient se
    mettre à l’abri. Cette alliance se constitua à partir du statut
    de la Société des Nations, cette institution internationale qui
    venait juste d’être mise sur pied, en 1919, faisant suite à la
    proposition du président des Etats-Unis, Woodrow Wilson. L’objectif
    de l’alliance était de mettre en échec toute tentative
    révisionniste, car elle était censée avoir un caractère
    dissuasif, excluant d’emblée la guerre du champ du possible. Pour
    constituer la Petite Entente, il y a évidemment eu des négociations
    préalables. L’on avait d’ailleurs commencé par signer des
    traités bilatéraux. La Roumanie et la Yougoslavie désiraient se
    prémunir des menaces hongroises et bulgares, alors que la
    Tchécoslovaquie n’avait aucun différend avec la Bulgarie et
    qu’elle n’avait pas considérée utile d’intervenir dans un
    premier temps. »


    Et
    en effet, l’alliance entre la Roumanie, la Yougoslavie et la
    Tchécoslovaquie s’était construite à travers trois traités
    bilatéraux. L’historien Ioan Scurtu détaille : « Ces traités
    comprenaient des articles similaires en tous points. Dans le cas du
    traité entre la Roumanie et la Tchécoslovaquie, il était prévu de
    défendre la frontière avec la Hongrie. Le traité avec la
    Yougoslavie parlait d’une riposte commune en cas d’éventuelle
    attaque non provoquée, venant de la part de la Hongrie ou de la
    Bulgarie. La
    Petite Entente a été la première alliance multilatérale conclue
    après la fin de la Grande Guerre, dans l’esprit de la Société
    des Nations. Une alliance qui a fait naître beaucoup d’espoirs. »


    Mais
    l’historien Ioan Scurtu est tranchant : ces alliances
    régionales, constituées contre la Hongrie et la Bulgarie, étaient
    disproportionnées. Et il met tout cela sur le dos de la propagande. « Si l’on regarde de
    plus près, l’on constate que les trois Etats qui s’alliaient
    comptaient ensemble 683.000
    kilomètres carrés et 50 millions d’habitants. Ils se léguaient
    contre un Etat qui ne comptait 93.000 kilomètres carrés et 9
    millions d’habitants. Chaque Etat allié, pris séparément, pesait
    plus que la Hongrie seule. Je me suis alors demandé à quoi tout
    cela servait. Surtout que, conformément au traité de Trianon, la
    Hongrie avait dû démanteler son armée et son industrie d’armement,
    et elle avait été empêchée de constituer d’autres formes
    d’organisation paramilitaire. Et pour moi cela reste un mystère,
    mais je crois que les trois Etats alliés avaient surévalué la
    puissance de la diplomatie et de la propagande externe hongroise,
    traditionnellement influentes. Ils avaient sans doute pensé donc que
    face à une éventuelle agression hongroise, appuyée par des forces
    extérieures, les Etats de la Petite Entente se devaient d’agir
    ensemble. »


    Mais
    vers la fin des années 1930 il devenait évident que les politiques
    antagoniques qu’opposaient les deux blocs ne pouvaient plus
    continuer à l’infini. Les vainqueurs de la Première guerre
    mondiale se sont alors montrés plus conciliants, ce qui n’a
    pourtant rien arrangé, croit savoir l’historien Ioan Scurtu. « La Hongrie, appuyée
    de façon manifeste par l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie,
    mais bénéficiant également de l’accord de la France et de la
    Grande-Bretagne, les puissances garantes des traités, avait obtenu
    le droit de réarmer. Par
    l’Accord de Bled de
    1938, les trois Etats
    de la Petite Entente donnaient à leur tour leur accord, sous
    prétexte que cela allait pouvoir garantir la paix. Qu’à cela ne
    tienne. Au mois de novembre 1938, la Hongrie reprend une partie de la
    Tchécoslovaquie, puis, au mois d’août 1940, la partie nord de la
    Transylvanie, à la suite du Diktat de Vienne. Enfin, au mois d’avril
    1941, ce sera le tour de la Yougoslavie. »



    Les alliances régionales,
    bâties pour arrêter une nouvelle guerre et défendre le statu quo
    des frontières établies à Versailles, avaient finalement montré
    leurs limites. Et la plus prometteuse entre toutes, la Petite
    Entente, n’a pas fait mieux. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Radio Novi Sad

    Radio Novi Sad

    . Créé en 1949, le service en langue roumaine de la radio
    publique yougoslave, parti émettre depuis la capitale du Banat serbe, revêtait au
    départ d’une certaine fonction que l’on peut sans doute qualifier de politique. Ion Marcovicean avait débuté sa carrière
    radiophonique à l’âge de 27 ans, en tant que rédacteur de la section roumaine
    de cette radio. Dans l’interview qu’il avait accordée en 1999 au Centre
    d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, Marcovicean rappelle la
    fonction politique de cette section, ainsi que la principale mission que lui
    avaient confiée les autorités yougoslaves de l’époque, soit celle de contrer la
    propagande soviétique.








    Ion
    Marcovicean : « Ce
    fut le 29 novembre 1949, jour de la République, que Radio Novi Sad avait débuté
    ses émissions. La situation internationale, particulièrement tendue, avait
    précipité ce lancement. Je me rappelle dans le contexte les attaques lancées à
    l’encontre de la Yougoslavie par
    le Bureau d’information et par l’Union soviétique. Il y avait,
    certes, à Belgrade, Radio Yougoslavie, censée donner la réplique aux attaques
    des médias soviétiques, en théorie du moins. Mais l’on avait constaté que cela
    ne suffisait pas, et l’on avait alors accéléré la mise en route de Radio Novi
    Sad, pour mieux contrer les attaques de leur propagande. L’objectif était de
    donner la parole aux différentes etnies, aux différentes couches sociales, pour
    rendre mieux compte des réalités yougoslaves, et faire barrage aux attaques de
    la propagande concoctée par les Soviétiques au sein de leur Bureau d’information. »










    La rédaction roumaine avait démarré avec seulement
    trois journalistes et une dactylo. La première émission a été diffusée au moyen
    d’un émetteur disposant d’une puissance d’un demi-kilowatt seulement, ce qui
    fait qu’on ne pouvait l’écouter que si l’on était situé tout près de la ville
    de Novi Sad. Progressivement, la puissance des émetteurs a augmenté, et, avec
    elle, le rayon de couverture des émissions. Selon Ion Marcovicean, l’essentiel
    des nouvelles diffusées étaient constitué par des reprises de l’agence Tanjug,
    agence de presse officielle de l’ex Yougoslavie, fondée en 1943 par des résistants
    communistes. Au fil du temps, la rédaction roumaine Radio Novi Sad a diversifié
    ses sources, reprenant des matériels journalistiques réalisés par les
    rédactions magyare et slovaque, mais aussi en développant progressivement sa
    propre production éditoriale. Les actualités, les émissions culturelles et
    celles réservées à la propagande du régime yougoslave se succédaient tous les
    jours sur les ondes et les plages horaires réservées à la rédaction en langue
    roumaine.








    Ion Marcovicean : « La grille des programmes faisait la part
    belle aux émissions éducatives. C’était l’époque où l’on pensait pouvoir
    éveiller l’esprit communautaire, la conscience sociale, la foi dans le
    socialisme, et cela en tout un chacun. L’on mettait en exergue les
    aboutissements de la nouvelle société, qu’il s’agisse de l’épanouissement de la
    vie culturelle ou de l’augmentation de la production agricole. L’émission
    destinée aux auditeurs des campagnes était l’une des plus écoutées. Mais il y
    en avait bien d’autres, telles celles intitulées « La vie de nos
    trésors », « Science et technique », « Parents et
    enfants », « Bâtir le socialisme », ou encore « La culture
    aux passionnés. »








    La diffusion des émissions en langue roumaine, d’une durée de 20 à 25
    minutes, se faisait sur plusieurs intervalles horaires, dès 5h45, puis à 8h00,
    à 13H00, à 18h00, enfin à 22h00. Le matin il y avait surtout les nouvelles, la
    météo, alors que le soir était réservé aux émissions politiques. Mais Radio
    Novi Sad était au contact de ses auditeurs par l’intermédiaire du courrier,
    toujours sur papier à l’époque. Ces lettres montraient souvent la
    reconnaissance que les auditeurs manifestaient pour la qualité du travail
    accompli par la rédaction en langue roumaine de la radio yougoslave. La
    rédaction lançait aussi des concours, dotés de prix, auxquels les auditeurs
    s’empressaient de répondre. Mais Ion Marcovicean reconnaît
    que la rédaction diffusait également des informations plus sensibles aux yeux
    du régime communiste roumain, telles celles concernant les passages illégaux de
    la frontière entre la Roumanie et la Yougoslavie. Rappelons que la Yougoslavie
    représentait alors pour les Roumains décidés à fuir le régime communiste la
    seule échappatoire terrestre vers l’Occident.








    Ion Marcovicean : « Il y avait, en effet, des nouvelles de
    ce genre. Combien de tentatives, combien se sont fait prendre par les
    garde-côtes, voire combien s’étaient fait tuer sur la frontière, ou combien étaient
    parvenus à s’échapper. Les garde-côtes des deux côtés de la frontière tiraient à
    balles réelles sur ceux que l’on appelait alors les transfuges. Il y avait des
    transfuges de notre côté aussi. Des yougoslaves gagnés par la propagande de
    l’URSS, du Bureau informatif, des gens qui voulaient atteindre l’Union
    soviétique via la Roumanie. Parmi eux, un général yougoslave, qui a été,
    malheureusement pour lui, tué sur la frontière, par les garde-côtes roumains.
    Aussi, l’on a compté parmi les transfuges roumains un certain Dimitriu, qui a
    par la suite rejoint notre rédaction pour quelques années. Il était correcteur.
    Dans les années 50, un autre cas, une dame d’origine serbe, née en Roumanie,
    était parvenue à traverser illégalement la frontière, et avait rejoint notre
    rédaction comme journaliste. »






    Mais l’événement majeur de l’année 1956 et qui fera trembler le bloc
    communiste sera sans doute le soulèvement de Budapest. La révolte anticommuniste
    hongroise a trouvé à n’en pas douter écho sur les ondes de Radio Novi Sad, y
    compris dans les émissions en langue roumaine.








    Ion Marcovicean : « L’on tenait les Soviétiques pour
    responsables. C’était à cause de leurs visées impérialistes. Nous avons suivi
    de près les événements, ainsi que les procès que les Russes avaient montés
    contre les dirigeants de ces soulèvements, du soulèvement hongrois d’abord,
    puis de la révolution de Prague de 1968, des événements de Pologne ensuite.
    Tout cela a été suivi de près dans leur temps, et repris sur les ondes de la section
    roumaine de Radio Novi Sad. Notre rédaction n’avait pas d’envoyé spécial à
    Budapest lors du soulèvement de 56. Mais il y avait les correspondants sur
    place de l’agence Tanjug et de radio Belgrad, et nous recevions leurs dépêches,
    qu’on traduisait et qu’on diffusait en roumain. L’ancien ambassadeur yougoslave
    à Moscou, Miciunovici, avait même tenu une sorte de journal des événements, que
    nous avions traduit, puis diffusé sur les ondes. Pour rappel, lors de
    l’intervention militaire soviétique de 1956, l’un des diplomates yougoslaves en
    poste dans la capitale hongroise avait d’ailleurs perdu la vie. »







    Dans les années 1980, Radio Novi Sad était devenue une véritable fenêtre
    sur le monde libre pour les Roumains qui vivaient à proximité de la frontière,
    ceux qui habitaient la région du Banat, et qui pouvaient l’écouter sans
    entraves. Enfin, après 1989, la langue roumaine continue d’être toujours
    présente sur les ondes de Radio Novi Sad, en dépit des bouleversements qu’avait
    subi entre-temps l’espace de l’ex Yougoslavie.
    (Trad. Ionuţ Jugureanu)

  • La Reine Marie de Yougoslavie

    La Reine Marie de Yougoslavie

    La princesse Marie de Hohenzollern-Sigmaringen est née le 6 janvier 1900 ; elle était le troisième enfant et la deuxième fille du prince Ferdinand, qui allait devenir le roi Ferdinand Ier de Roumanie, et de son épouse, Marie. Sa mère l’appelait Mignon, d’après l’œuvre du musicien français Ambroise Thomas, qui a vécu entre 1811 et 1896, mais aussi Marioara et Màrioara, la petite princesse faisait état de modestie et de sensibilité, malgré les grands défis qu’elle a dû relever. Elle allait devenir la première et l’unique reine de Yougoslavie, suite à son mariage avec le roi Alexandre Ier.



    Marie de Hohenzollern-Sigmaringen a été baptisée orthodoxe quelques mois après sa naissance. Dans le volume de mémoires « L’histoire de ma vie », sa mère la décrivait en tant qu’enfant joyeux et souriant, « extrêmement câlin ». En compagnie de ses frères, elle suit des cours privés avec des professeurs renommées tels le plus grand historien roumain Nicolae Iorga. Les années de la première guerre mondiale ont été extrêmement difficiles pour la jeune princesse. Durant la guerre, le gouvernement de Bucarest et la Couronne de Roumanie ont été obligés de trouver refuge dans la capitale moldave, Iasi. La fin de la première guerre mondiale allait produire une Roumanie plus grande que celle d’avant. Et pourtant, pour la jeune princesse Marie, la fin de la guerre a coïncidé avec la séparation de son frère, parti faire des études en Grande Bretagne. Elle allait le rencontrer 25 ans après, après son propre départ en exil.



    C’est également après la fin de la guerre que se produit le premier grand changement de sa vie. Le 9 juin 1922, à l’âge de 22 ans, Mignon épouse le roi Alexandre Ier Karageorgevich, l’unificateur des Serbes, Croates et Slovènes dans le Royaume de Yougoslavie. La princesse timide, pas du tout prétentieuse, fragile même devient reine. Les deux s’étaient rencontrés pour la première fois en 1921, à l’occasion d’une visite faite en Roumanie par le souverain yougoslave. C’est le début d’une relation qui allait se transformer non seulement en une alliance matrimoniale, mais aussi en une tentative de coopération régionale. Les fiançailles se déroulent à Bucarest, et le mariage à Belgrade, avec la participation de membres de différentes familles royales européennes.



    Mignon se conduit comme une véritable reine. Elle apprend la langue de ses sujets et a trois fils : le futur roi Pierre II de Yougoslavie, Tomislav et André. On dit que la nouvelle reine a conquis le cœur de son peuple dès le premier jour de son règne. L’année 1934 marque un deuxième changement dans sa vie. Elle devient veuve à 34 ans seulement, suite à l’assassinat d’Alexandre Ier dans l’attentat de Marseille. On dit aussi qu’après l’enterrement de son époux, la reine Marie n’a plus jamais ri et qu’elle a porté le deuil jusqu’à la fin de sa vie.



    Elle soutient son fils, le roi mineur Pierre II. En 1941, lorsque le régent Paul accepte la demande d’Hitler de faire transiter par la Yougoslavie l’armement destiné à la Grèce, la reine Marie proteste avec véhémence.



    Elle subit un nouveau choc lorsqu’elle se voit obligée de partir en exile en Suisse avec son fils, vu que l’Allemagne occupe la Yougoslavie. La fin de la seconde guerre mondiale apporte le 3e changement majeur de la vie de la reine, perçu comme son véritable collapsus. Les guérillas communistes de Tito prennent le pouvoir, proclament la république et interdisent l’entrée dans le pays du souverain légitime Pierre II.



    Au printemps 1947, les leaders communistes yougoslaves émettent un décret par lequel la reine Marie se voit annuler la citoyenneté yougoslave et confisquer sa fortune. « J’ai tout perdu, définitivement», écrit — elle à la reine Hélène, mère du roi Michel Ier de Roumanie, au printemps 1947. «J’ai perdu le pays de mes parents, le pays de mes sujets, mon époux, ma couronne, le trône de mon fils et la plupart de la fortune héritée. Je n’ai plus que mes trois fils – je remercie Dieu qu’ils soient en bonne santé – une liberté inutile et un âge trop avancé pour profiter des joies de la vie».



    Lors du procès au Palais de la Justice de Belgrade, le 14 avril 2014, le tribunal suprême a estimé que dans le cas de la reine Marie, par le décret émanant des autorités communistes, les droits de l’homme avaient été violés pour des raisons politiques et idéologiques. La demande de réhabilitation de la reine a été avancée par ses héritiers, les fils Tomislav et Andrei Karageorgevich et les petits-fils, Lavinia, Katarina, Dimitrie et Mihailo.



    Lucian Marina, journaliste à Radio Novi Sad, commente la décision du Tribunal serbe sur la reine Marie: « Elle vient d’être réhabilitée, du point de vue civique. La décision du Tribunal suprême de la Serbie a été à la fois attendue et normale, logique, vu notamment que la Serbie se dirige vers l’Europe et respecte les droits civiques. Si la famille Karageorgevich a été amnistiée, cette amnistie de la reine Marie en tant que citoyen veut dire que ses héritiers doivent entrer dans leurs droits pour ce qui est de l’héritage qui leur appartient. Dans les coffres de la reine Marie vont se retrouver beaucoup de choses, gardées à présent dans ceux du président de l’époque du grand Karageorgevich ».



    Mignon est décédée le 22 juin 1961, à Londres. Dans le même esprit de la réhabilitation, le gouvernement serbe a adopté une décision prévoyant la mise en place d’un comité organisateur pour l’exhumation et le transfert des dépouilles mortelles des membres de la Maison royale Karageorgevich au Mausolée Royal Oplenac, près de Belgrade. (aut.: Marius Tiţa, George Prodescu, Steliu Lambru; trad.: Alexandra Pop, Valentina Beleavschi, Alex Diaconescu)

  • Communisme versus communisme – le conflit roumano-yougoslave

    Communisme versus communisme – le conflit roumano-yougoslave

    En mars 1948, le Kominform, lorganisation centralisée du mouvement communiste international, condamnait par une résolution la Yougoslavie et le général Josip Broz Tito pour avoir trahi la cause communiste. Suite au conflit russo- yougoslave, tout le bloc communiste s’est vu tenu de s’aligner à la politique du Kremlin, en qualifiant l’attitude de Tito de capitaliste.



    Attirée dans ce conflit, la Roumanie, voisine de la Yougoslavie, a vu sa frontière yougoslave se transformer en une véritable ligne Maginot. Et pourtant, le conflit roumano-yougoslave n’avait pas existé réellement. C’était plutôt une dispute idéologique alimentée par deux partis, deux régimes et deux leaders tout aussi acharnés et fidèles aux valeurs embrassées.




    En 1998, le Centre d’Histoire Orale de la Radiodiffusion Roumaine a interviewé Ion Suta, chef de la section Opérations de l’armée roumaine et un des responsables du système de fortifications dressé sur la frontière roumano- yougoslave. A ses dires, ce fut Moscou qui avait décidé d’une telle mesure, mise en place, par la suite, par les communistes roumains sous la haute surveillance des conseillers soviétiques: « Suite au conflit avec la Yougoslavie, Moscou a décidé qu’une guerre contre ce pays était imminente. Par conséquent, puisque la Roumanie avait une frontière commune avec la Yougoslavie, elle allait assumer le rôle principal lors d’un possible conflit armé. Pourtant, il faut préciser qu’il ne fut pas question d’une offensive contre Tito ; au contraire, la stratégie était défensive. Voilà pourquoi l’URSS n’avait pas envisagé d’envoyer les troupes roumaines ou des forces soviétiques pour écarter Tito du pouvoir. Peu de temps après mon arrivée au commandement, on a reçu l’ordre d’élaborer une stratégie de défense sur la frontière yougoslave ».



    Malgré une stratégie défensive, l’escalade des tensions dans la région a semé la panique des deux côtés de la frontière. N’oublions pas que la deuxième guerre mondiale venait de s’achever et pour tout le monde, l’offensive militaire restait la meilleure solution en cas de conflit. La défense de la frontière était donc l’objectif numéro 1.



    Ion Suta: « Accompagné par le général Vasiliu et par un groupe d’officiers de ma section et par un contingent armé de Timisoara, je suis parti en reconnaissance à la frontière pour dresser par la suite le plan de défense du pays. Je dois vous dire que toutes ces missions de reconnaissance se sont déroulées en présence du conseiller militaire soviétique, le général Zaharenco. Parfois, il y avait aussi d’autres officiers soviétiques dont je ne me rappelle plus les fonctions. A l’occasion de ces missions sur le terrain, j’ai constaté le régime sévère mis en place en 1950, sur la frontière avec la Yougoslavie. Des barbelés étaient installés sur une bonne partie de la frontière afin d’empêcher toute tentative de passage frauduleux des deux côtés. D’autre part, ce régime de douane tellement strict s’accompagnait d’un contrôle plus sévère encore de la police politique. On a créé des unités de police et de milice à cheval qui patrouillaient dans toute la région, jusqu’à 30 ou 40 km de la frontière ».



    L’ombre d’une instigation belliqueuse se dessinait à présent sur la ligne de démarcation. Par le passé, c’était une simple formalité marquant le passage entre deux pays amis et démocratiques.



    La Roumanie n’était pas la seule qui devait renforcer sa frontière avec la Yougoslavie; cela était valable pour tous les autres pays communistes qui avaient une frontière commune avec ce pays: « C’est à partir du plan d’opérations défensif du pays sur la frontière ouest avec la Yougoslavie que nous avons dressé les fortifications. Ces dernières étaient partagées en plusieurs catégories: fortifications lourdes, légères, bétonnées ou non bétonnés. Ces constructions défensives étaient reliées par des tranchées de communication ou de combat. Ces fortifications étaient munies de mitrailleuses, de canons anti-char et de mortiers. Ces défenses étaient renforcées de positions d’artillerie, installées plus en profondeur, qui ne faisaient pas partie du système de fortifications proprement-dites, mais défendaient les troupes qui maniaient ce système. Ces fortifications allaient sans interruption de Curtici, au nord de la rivière Mures, jusqu’à Orsova. Elles se poursuivaient jusqu’à Gura Timocului où elles s’unissaient avec les ouvrages que les Bulgares devraient construire sur la rive du Timoc, jusqu’au sud, à la frontière avec la Grèce. »



    Les casemates en béton armé ont été érigées pendant la nuit afin qu’elles restent invisibles à l’ennemi potentiel. Des incidents et même des tirs d’armes légères entre les soldats des deux rives du Danube ont également été enregistrés.




    Et pourtant, un certain seuil des tensions n’a jamais été franchi, parce que tout cet épisode n’a été qu’une démonstration réciproque de force. Ni les Roumains, ni les Yougoslaves ne voulaient voir la situation escalader. Les relations entre les deux pays se sont vite améliorées après la mort de Staline en 1953. Les fortifications étaient désormais inutiles… (trad. : Ioana Stancescu, Alex Diaconescu)