Tag: Architecture

  • Immeubles représentatifs à Bucarest dans les années 1930

    Immeubles représentatifs à Bucarest dans les années 1930

    Si on examine une carte ou un dessin illustrant la ville d’il y a plus de 150 ans, on reconnaît à peine les éléments les plus importants, tellement les changements ont été profonds. L’actuelle vieille ville, un ancien quartier marchand et quelques églises médiévales sont les seules qui rappellent l’ancienne capitale valaque. L’histoire de Bucarest comporte trois périodes de transformations majeures. La première est celle de l’époque du roi Carol Ier, de 1866 à 1914. La deuxième a été marquée par le règne du roi Carol II dans les années 1930. Et la troisième est celle de l’époque du dirigeant communiste Nicolae Ceausescu dans les années 1980. Le résultat de ces trois périodes est visible aujourd’hui par tout visiteur de passage par la capitale roumaine à pied. Le roi Carol II a été le souverain le plus controversé des quatre qui ont régné en Roumanie. Ayant une personnalité puissante, intelligent, mais aussi plein de défauts et de faiblesses, Carol II a réussi à transformer Bucarest afin de l’adapter aux besoins d’une capitale moderne, conformément aux styles architecturaux de l’époque.

    Le règne de Carol II de 1930 à 1940 a été marqué par de grands projets qui rappelaient en quelque sorte de ceux de son ancêtre, Carol Ier. Le règne de son père, Ferdinand Ier, de 1914 à 1927, a compris la Première Guerre mondiale et la consolidation du nouvel État issu de l’union des territoires habités par des Roumains avec l’ancien Royaume : la Grande Roumanie. Après l’Union de 1918, les années 1920 ont été marquées par la reconstruction et par l’intégration des nouveaux territoires. Ce ne fut que dans les années 1930 que la Roumanie a repris les grands projets de développement, notamment à Bucarest. Plusieurs grandes avenues furent ouvertes à l’époque de Carol II, dont la plus importante a été celle reliant le nord au sud. S’y sont ajoutés plusieurs immeubles d’institutions d’État et d’institutions culturelles.

    Leur point commun est le modernisme, influencé par le style des buildings américains et par l’architecture fasciste italienne, auxquels se sont ajoutés aussi quelques éléments d’architecture roumaine traditionnelle. Il s’agit de bâtiments imposants, aux lignes droites et aux colonnades construites selon les normes les plus modernes de l’époque, utilisant notamment le béton armé. Certains spécialistes évoquent même l’existence d’un style architectural « Carol II », qui aurait pu se développer davantage en l’absence de la guerre et de l’installation du régime communiste.

    L’ingénieur du BTP, professeur des universités et académicien Nicolae Noica est le directeur de la bibliothèque de l’Académie roumaine. Il a passé en revue quelques-uns des immeubles représentatifs que la capitale roumaine d’aujourd’hui doit au règne du roi controversé Carol II. Et cette liste ne pourrait commencer que par le Palais Royal : « Un des premiers bâtiments à porter l’empreinte de Carol II fut le Palais Royal. La nuit du 7 au 8 décembre 1926, un incendie a éclaté et détruit toute la partie centrale de l’édifice. La consolidation des fondations, de la structure de résistance a porté la signature de l’ingénieur Emil Pragher. Après 1932, d’autres travaux de construction seront menés dans le corps central et enfin un PV de réception du Palais Royal sera dressé, que j’ai moi-même trouvé. Ensuite, début 1938, d’autres travaux seront menés dans l’aile adjacente à l’Athénée, des travaux qui ont continué jusqu’en 1940. A noter aussi que même le tremblement de terre de 1940 n’a pas endommagé cette construction. »

    Les projets se sont poursuivis à un rythme très soutenu. Les institutions de l’État qui avait vu son territoire et sa population carrément doubler en 1918 avaient besoin d’immeubles publics beaucoup plus grands. Nicolae Noica : « Un autre bâtiment important a été le nouveau siège du Ministère des Affaires étrangères, aujourd’hui siège du gouvernement de Bucarest. Cet immeuble a été conçu par l’architecte Duiliu Marcu et les travaux en béton armé ont été coordonnés par l’ingénieur Gheorghiu de 1937 à 1938. L’immeuble fut érigé sur l’emplacement de l’ancien siège du ministère des Affaires étrangères. Le nouveau Palais de la Banque nationale fut également construit à cette époque, selon de nouvelles études d’alignement. Tous les travaux ont été réalisés grâce à un décret du roi Carol II qui a exproprié les superficies de terrain nécessaires pour des raisons d’utilité publique. »

    Le roi Carol II est connu dans l’histoire de la Roumanie comme un grand patron de la culture. L’Académie roumaine n’a pas fait exception et a également bénéficié de l’appui accordé par le monarque. M Noica a mentionné justement le bâtiment de l’institution qu’il dirige : « Un autre bâtiment impressionnant est celui qui accueille la bibliothèque de l’Académie roumaine. En 1931, le professeur Duiliu Marcu présenta un projet à l’Académie pour construire un corps d’immeuble dédié à la bibliothèque. Cette remarquable construction est érigée de 1935 à 1937 et les travaux sont coordonnés par l’ingénieur Ioanovici. L’inauguration aura lieu le 5 juin 1937 en présence du roi Carol II, qui a tenu à assister à cette réunion de l’Académie. »

    Sur un des grands boulevards bucarestois se trouve un autre immeuble érigé à l’époque de Carol II, le siège des Archives nationales. A l’ouest, près du Palais de Cotroceni, l’actuel Palais présidentiel, se trouve l’Académie militaire, monument représentatif du style Bauhaus. Écoutons Nicolae Noica. « Un autre immeuble de cette époque, c’est le Patrimoine du Journal officiel, aujourd’hui siège des Archives nationales, en face du Jardin de Cismigiu. L’école supérieure de Guerre, l’actuelle Académie militaire, a été construite de 1937 à 1939. Le bâtiment principal a une façade de pas moins de 120 mètres et s’étale sur une superficie de 3 650 mètres carrés. Toute la construction a été réalisée en deux ans seulement. Les travaux ont été supervisées par l’ingénieur Emil Pragher dont le nom est lié à plusieurs autres constructions. Il a été une grande personnalité. »

    Sur la liste des immeubles et de monuments érigés dans les années 30 se retrouve l’Institut de recherches agronomiques, le Musée du village, l’Arc de Triomphe, le château Foisor de Sinaia et les cathédrales orthodoxes de Cluj, Mediaş et Timişoara.

  • La 9e édition de Romanian Design Week

    La 9e édition de Romanian Design Week

    Ce projet imaginé et organisé par la Fondation The Institute s’est avéré le festival interdisciplinaire le plus important de Roumanie, qui explore l’évolution du design et des industries créatives : architecture, urbanisme, design d’intérieur, design graphique, illustration, design vestimentaire, design d’objets ou d’autres initiatives ou projets qui utilisent la créativité comme principale ressource de développement. Cette année, le festival avait investi trois endroits différents de la capitale roumaine. Lors de ma visite au Combinat du fonds plastique, où se tenaient plusieurs de ses expositions, j’ai rencontré Andrei Borţun, directeur et fondateur de la Fondation The Institute. Il nous introduit dans cet univers à part.



  • Paul Jamet (France) – La citadelle de Poenari

    Paul Jamet (France) – La citadelle de Poenari

    Elle est sise en haut d’un rocher, dans le sud de la Roumanie, entre la ville de Curtea de Argeş et non loin du barrage de Vidraru, dans un décor boisé. C’est un édifice à part tant par son emplacement sur des abrupts que par son architecture — aux influences transylvaines, mais aussi byzantines -, mais surtout par les mystères liés à son histoire. On disait cette cité inexpugnable. Ceux qui ont visité ce lieu se sont déclarés fascinés.



    Le nom de la citadelle lui vient du village homonyme, sis à 6 km de là ; ce nom figure dans des sources du XVe siècle. Elle a été la seconde résidence de Vlad l’Empaleur, reconstruite pour lui servir de forteresse contre les Turcs qui l’attaquaient. Considérée une des plus spectaculaires de Roumanie, la cité est de forme allongée ; elle avait initialement une tour en pierre à mission de défense de la frontière nord de la Valachie. Au milieu du XVe siècle, dans une nouvelle étape de construction, Vlad l’Empaleur lui en ajoute quatre et une citerne à eau. Pour construire la forteresse de Poenari, le prince régnant avait employé des personnes condamnées pour des faits graves. Notons aussi que les murailles de la construction étaient en pierre, mortier, solives et en brique et mesuraient 2 à 3 m d’épaisseur — selon une technique byzantine. Le mortier rouge, une autre technique byzantine, d’imperméabilisation, celle-là, avait été utilisé sur les murs de la citerne. La citadelle a été employée à plusieurs fins au fil du temps : abri pour les princes régnants roumains ou du Trésor de la Valachie, et même prison ! Beaucoup de légendes sont liées à cet endroit. Deux disent que l’épouse de Vlad l’Empaleur se serait suicidée là en 1462, soit parce qu’il voulait la quitter, soit parce qu’elle ne voulait pas tomber prisonnière des Turcs qui s’approchaient. Une autre légende dit qu’en 1462, Vlad l’Empaleur aurait réussi à échapper aux Turcs, se cachant dans la forteresse, parce qu’il avait ordonné aux maréchaux-ferrants de mettre les fers aux chevaux à l’envers. Il a ainsi dérouté ses adversaires, qui ont cru qu’il avait quitté la citadelle.



    La cité est abandonnée à la moitié du XVIe siècle. Quelques éléments archéologiques ont été découverts à l’intérieur : une pointe de flèche en forme de feuille, des récipients à usage domestique, des fragments de pots, de la céramique émaillée, des briques et autres.



    En 1955, suite à un puissant tremblement de terre, la cité a perdu son côté nord et le rocher sur lequel il s’appuyait, et n’a plus été reconstruit. Entre 1696 et 1972, elle a été restaurée à plusieurs reprises, et ses remparts — partiellement reconstruits et consolidés. Et d’autres restaurations ont été réalisées à compter de 2010.



    C’est à l’époque communiste que les marches qui permettent d’y accéder ont été bâties. Car la forteresse est visitable. Pour y arriver, courage ! Elle est sise à 850 m d’altitude et il y a 1480 marches à monter, à travers la forêt. Ceux qui s’y sont aventurés ont mis entre 30 minutes et une heure et déclarent que le paysage est enchanteur et une fois en haut — la vue sur la vallée de la rivière Argeş, le barrage de Vidraru et les Monts Făgăraş — imprenable. Dernièrement, une clôture électrique a été installée le long des marches pour tenir les ours à distance.



    La personnalité hors normes de Vlad l’Empaleur a inspiré au fil du temps les écrivains, dramaturges et réalisateurs, qui ont écrit des romans, des nouvelles, mais aussi des scénarios de pièces de théâtre et de films. Et elle a aussi constitué la source d’inspiration pour Jules Verne dans son roman « Le Château des Carpates ». Les légendes autour de cette personnalité mystérieuse fascinent encore de nos jours. Pour eux, Dracula Fest est organisé chaque année au mois d’août dans la citadelle, avec des évènements artistiques et des reconstitutions historiques censés mettre en exergue cette construction modifiée par Vlad l’Empaleur au sommet de la montagne.

  • Les archives d’architecture et leurs pépites

    Les archives d’architecture et leurs pépites

    Lorsque le temps et les temps, avec leurs restrictions sanitaires,
    le permettent, les Bucarestois explorent leur ville et ses environs grâce, en
    partie, aux actions de l’association Istoria artei (L’Histoire de l’art). Le
    plus récent projet de l’ONG vise à retracer l’histoire du Corps des
    architectes, une institution de l’entre-deux-guerres qui accordait aux diplômés
    de la Faculté d’architecture et d’ingénierie l’autorisation d’exercer leur
    métier. Cela a surtout été l’occasion pour Istoria artei de présenter au grand
    public les membres de cette institution, à travers de biographies bien
    documentées, fruit de minutieuses recherches dans les archives.

    Oana Marinache,
    la directrice exécutive de l’association, explique : « Nous avons commencé par
    faire une recherche documentaire, car ce fonds n’a pratiquement jamais été
    accessible aux spécialistes. Dans un premier temps, nous avons sélectionné
    quelques dossiers, surtout d’architectes hommes, mais de quelques femmes aussi.
    Cette phase du projet s’est principalement déroulée en ligne. Nous avons
    numérisé des études de cas et beaucoup de photos, que nous avons ensuite utilisées
    pour faire des présentations, en ligne, à l’intention d’élèves de Ploiești et
    de Bucarest. C’est ce que nous faisions auparavant aussi, mais tous ces
    ateliers qui ne peuvent plus avoir lieu en présentiel, nous les organisons maintenant
    à l’aide d’outils numériques. Plus tard, nous avons organisé des tours guidés
    thématiques. A Bucarest, nous avons évoqué les architectes Statie et Iorgu
    Ciortan et un autre, moins connu aujourd’hui, Alexandru Zaharia. A Sinaia, nous
    avons présenté toute une série de créations architecturales de personnalités
    qui travaillaient principalement à Bucarest, mais qui ont aussi reçu des
    commandes dans cette station de montagne. »




    Les tours guidés de Bucarest ont visé de grands bâtiments, bien
    connus aux habitants de la capitale roumaine, mais qui, finalement, savent peu
    de choses sur ceux qui les ont conçus. Néanmoins, aux dires de Oana Marinache,
    la situation est en train de changer : « En suivant les traces
    de Statie Ciortan, nous avons découvert, avec les participants au tour,
    l’histoire de l’immeuble construit pour accueillir le Journal officiel et sa typographie.
    Aujourd’hui, le palais en question, situé en face du Jardin de Cișmigiu, abrite
    les Archives nationales et traverse un ample processus de restauration. Nous
    avons regardé, ensuite, le bâtiment monumental qui sis derrière le Palais de la
    Caisse des dépôts et consignations de l’avenue Victoriei, appartenant à présent
    à la Police roumaine. Mais au départ, cet édifice avait été conçu pour
    accueillir le bureau des Douanes de la Poste. L’architecte Statie Ciortan a
    également été, pendant de longues années, professeur des universités, mais
    aussi architecte en chef du ministère des Finances. C’est pourquoi à Bucarest,
    comme dans d’autres villes, ses bâtiments ont principalement accueilli le Trésor
    ou d’autres institutions en lien avec les taxes et les impôts. »




    Les guides de Istoria Artei sont aussi allés dans le nord de la
    capitale afin de retrouver les créations de l’architecte Alexandru Zaharia.
    Dans les années 30, il a été à l’origine de deux styles très prisés, proches du
    modernisme : le cubisme et l’éclectisme méditerranéen. Ce dernier est très
    exotique et attire encore les regards, avec son mélange d’éléments décoratifs mauresques
    et vénitiens. Mais Sinaia, qui se trouve à deux heures de Bucarest, mérite elle
    aussi le détour. Située au pied des Monts Bucegi, cette station est
    principalement composée de résidences secondaires, dont beaucoup sont conçues
    par des architectes célèbres.

    Oana Marinache raconte : « A Sinaia, il y a
    nombre d’architectes à découvrir : Petre Antonescu, Duiliu Marcu,
    Henrietta Delavrancea-Gibory ou encore Paul Smărăndescu. En prime, à travers
    nos recherches, nous en avons découvert un autre : Jean Krakauer, connu à l’étranger
    sous son pseudonyme John Kryton. »




    Né en 1910 à Bucarest, d’une famille juive, Jean Krakauer a quitté
    la Roumanie dans les années ’40 pour s’établir et travailler au Royaume-Uni et,
    plus tard, il s’est installé au Canada. Mais on trouve encore, dans les rues de
    Bucarest et de Sinaia, les maisons au charme à part que John Kryton ou Krakauera dessinées dans sa jeunesse. (Trad.
    Elena Diaconu)

  • La plaine du Bărăgan en 3D

    La plaine du Bărăgan en 3D

    Amis auditeurs, depuis ce printemps pas comme les autres, nous nous tournons de plus en plus vers des projets consacrés à l’exploration virtuelle de la réalité, pour vous les présenter dans l’espace de cette rubrique. C’est toujours d’un tel projet qu’il sera question aujourd’hui. Il s’agit du premier guide touristique destiné entièrement au sud-est du pays : « Explorateur dans la plaine du Bărăgan », qui permet aux « voyageurs » de découvrir de manière virtuelle le patrimoine matériel et immatériel de cette région du pays. La plateforme itinerama.ro offre entre autres au public le premier guide audio de la zone, le premier musée 3D du Bărăgan et des tours virtuels dédiés au chef d’orchestre Ionel Perlea et au sculpteur Nicăpetre, deux grandes personnalités culturelles nées dans le sud-est de la Roumanie.

    Une centaine de sites au fort potentiel touristique ont été identifiés dans un premier temps. Cristian Curuș, manager du projet, explique :Une partie de ces sites est en train d’être explorée : musées, sites archéologiques que les touristes peuvent visiter, moyennant une taxe modique. Il y a pourtant un grand nombre de sites qui n’ont pas encore été intégrés au réseau touristique. Ils sont considérés comme appartenant au patrimoine du pays, mais ils ne sont pas exploités. Il s’agit de vieux manoirs, d’églises et même de sites archéologiques auxquels les gens n’ont pas accès. Le guide virtuel de la plaine du Bărăgan propose 4 types de tours. Il y a tout d’abord le « Haut Bărăgan », dont les sites les plus importants se trouvent dans les comtés de Călărași et Ialomița, « Le Bărăgan du sud au nord », qui comporte des sites situés le long du Danube, entre Călărași et Brăila, un « tour des manoirs » et un « tour des lieux de culte ». Ces tours, les touristes peuvent les organiser tout seuls de la manière qui leur convient. Sur le site du projet, itinerama.ro, seront disponibles des cartes interactives où ils trouveront les distances entre les sites et le temps nécessaire pour les parcourir, ce qui les aidera à réaliser leur propre itinéraire.

    Un des photographes du projet, Adriana Lucaciu, nous raconte son expérience du projet.

    J’ai pris en photo de nombreux manoirs, qui sont malheureusement abandonnés et pas très bien conservés. J’ai pris des photos dans l’aire protégée de Popina Bordușani, qui est un lieu féérique et peu connu. J’ai photographié de nombreuses croix datant des années 1800, qui surgissent comme ça, au milieu de la plaine, et sur lesquelles sont incrustés toute sorte de symboles. Ces symboles, on peut les déchiffrer en visitant l’exposition qui leur est dédiée au Musée de l’agriculture de Slobozia.

    Ce musée est d’ailleurs un objectif touristique que la photographe Adriana Lucaciu nous recommande chaleureusement.Le Musée de l’agriculture de Slobozia est un musée très sympathique. Les visiteurs y découvrent des ateliers d’autrefois. On se promène le long d’un couloir et on voit comment travaillaient le forgeron, le boulanger, on voit une salle de classe avec des pupitres en bois et des manuels anciens, on voit à quoi ressemblait une cuisine d’autrefois. Le musée comporte également une exposition de croix en pierre. Des recherches ont été réalisées à Poiana. Dans ce village il y a un cimetière désaffecté où se dressent des croix en pierre datant des années 1800. Les textes et les symboles inscrits sur ces croix sont expliqués aux visiteurs.

    Cette vaste plaine du Bărăgan offre-t-elle aux touristes quelque chose d’inédit à visiter ? Adriana Lucaciu.
    Nous avons découvert sur une liste de sites de la région l’existence, à Lehliu, d’un « cimetière maudit ». Nous nous sommes rendus sur place et nous avons tenté de nous renseigner auprès des gens, mais, en entendant notre question, ils nous regardaient tous d’un air bizarre. Finalement, nous sommes tombés sur un jeune homme qui s’est rappelé qu’il y avait dans le village un cimetière abandonné depuis longtemps, mais il ne savait pas où il se trouvait. Il nous a seulement indiqué une ruelle, que nous avons parcourue plusieurs fois d’un bout à l’autre. Finalement, un petit vieillard de 83 ans est sorti d’une cour. Quand il nous a entendus parler du cimetière, il nous a dit que celui-ci avait été abandonné dès la période où il était né. Il nous a montré des arbres au loin et nous a dit que si nous voulions le trouver, nous devions nous aventurer sous les feuillages et nous allions trouver des croix. Je ne saurais exprimer le sentiment que nous avons éprouvé en découvrant ces croix en pierre, dont certaines étaient déjà à terre, d’autres encore debout. Envahies par la végétation, elles semblaient en dialogue avec la nature, intégrées à l’ambiance du bord du lac.

    Le projet « Explorateur dans la plaine du Bărăgan » est mis en œuvre avec le concours de l’Administration du fond culturel national, de l’Institut national du patrimoine et des musées partenaires de la région.
    (Trad. : Dominique)

  • “L’ambulance des monuments” remporte le prix du public Europa Nostra 2020

    “L’ambulance des monuments” remporte le prix du public Europa Nostra 2020

    Et c’est un objectif réussi, à commencer par la Transylvanie, dans le centre-ouest et continuant par l’Olténie dans le sud et jusqu’en Moldavie dans l’est. Et le succès des architectes et des bénévoles de l’« Ambulance des monuments » est désormais connu en Europe aussi. Ce projet roumain vient de remporter le Grand Prix du Public dans le cadre des Prix européens du Patrimoine Europa Nostra 2020. Les citoyens européens ont exprimé leurs préférences pour différents projets dans un sondage enligne auquel ont participé 12 mille personnes et la plupart des voix ont été obtenus par l’ « Ambulance des Monuments ». Auparavant, au mois de mai, le projet de l’Association Monumentum avait obtenu aux côtés de 21 autres programmes et activités culturelles, le Prix européen du Patrimoine Europa Nostra décerné cette fois-ci par la Commission européenne. Ceux qui l’automne dernier avaient obtenu le Prix du Public ont compté parmi les lauréats validés par un jury composé d’experts. Qu’est ce que signifie être favori du public ? C’est l’architecte Veronica Vaida, une des personnes à avoir initié l’ « Ambulance des monuments » qui nous l’explique. « Nous avons tous été extrêmement émus et enflammés. Nous sommes enthousiastes aussi en raison du fait que ce projet est déjà considéré un projet susceptible d’être dupliqué aussi dans d’autres parties d’Europe. Et cela nous réjouit beaucoup. Il y a cette sensibilité envers le patrimoine qui s’est répandue et déjà de plus en plus de personnes apprécient le patrimoine. C’est grâce à l’attention envers le patrimoine que les communautés commencent à changer, tout comme la relation des communautés et les mentalités puisque nos bénévoles y mettent toute leur énergie et enthousiasme envers un objet de patrimoine que la communauté ignorait probablement. C’est ce qu’a rendu enthousiaste le public européen aussi ».

    Utilisant des techniques et des matériaux de constructions traditionnels, les architectes et les bénévoles de l’ « Ambulance des monuments » ont mis en sécurité des monuments en danger jusqu’à leur réparation complète. Veronica Vaida explique la manière dont « l’Ambulance des monuments » fonctionne : « En principe, là où la communauté le souhaite et où il y a un initiateur au niveau local, on nous fait appeler afin d’évaluer la situation en fonction de plusieurs paramètres parmi lesquels la valeur du monument, l’état dans lequel il se trouve et les possibilités de financement. « L’ambulance » est une sorte de trousse de secours composée d’outils apportés par une camionnette qui transporte aussi les matériaux et les bénévoles. D’habitude nous prenons en charge tout ce qui est documentation, nous aidons la communauté à obtenir les informations nécessaires pour une intervention d’urgence et ce n’est qu’ensuite que nous intervenons effectivement. Nous sommes une sorte de service d’urgences SMUR des monuments. Nous ne restaurons pas le bâtiment mais nous ressuscitons seulement ce malade, nous le mettons en sécurité. Le restaurer signifie beaucoup plus que cela. La plupart des fois nous nous occupons de la charpente, afin de protéger le monument de la pluie. Et en plus, souvent, nous effectuons des opérations de consolidation de la fondation. »

    Hormis les efforts de ressusciter les métiers traditionnels, l’ « Ambulance des monuments » est aussi une démarche éducative par le biais de laquelle les communautés locales découvrent a valeur des monuments près desquels ils habitent et s’organisent pour les sauvegarder. Veronica Vaida : « C’est un projet qui vise aussi les jeunes, puisqu’il a un côté éducatif. Mais il ces valences éducatives s’appliquent aussi dans le cas des communautés locales. C’est pourquoi pour nous, par le biais de l’Ambulance, on réalise une sorte de synergie de la communauté et des experts qui interviennent sur un monument. Même les étudiants qui souhaitent devenir spécialistes en ce genre d’intervention sont considérés experts. Par conséquent, notre organisation crée le cadre adéquat pour que tous ces acteurs, y compris les communautés locales, puissent se rencontrer et travailler ensemble au bénéfice des monuments. Espérons que le projet sera repris aussi ailleurs en Roumane » a déclaré Veronica Vaida, une des initiateurs de l’Ambulance des monuments. Suivez-les sur ambulanta-pentru-monumente.ro et sur les réseaux sociaux pour découvrir les joyaux du patrimoine architectural roumains que ces jeunes passionnés tentent de sauvegarder.

  • Les manoirs du sud-ouest de la Roumanie, objet de recherche du projet “Monumentaliste”

    Les manoirs du sud-ouest de la Roumanie, objet de recherche du projet “Monumentaliste”

    Pour Dragoș Andreescu, le projet «Monumentaliste» associe son métier de graphiste et de photographe à sa passion pour les bâtiments patrimoniaux et la randonnée. Pour le grand public, le même projet signifie la découverte surprenante de beautés architecturales insoupçonnées et le voyage virtuel dans des coins du pays qu’il ne pourrait atteindre que très rarement, de façon concrète.

    Active depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux, la page «Monumentaliste» présente les fruits des recherches sur des manoirs oubliés d’Oltenie, sous forme de documentation accompagnée de belles photographies artistiques. Son initiateur, Dragoș Andreescu, avoue avoir pensé pour la première fois à cette démarche, il y a 12 ans, en 2008 : J’ai commencé à découvrir certains manoirs, dont celui dit de Barbu Poenaru à Poiana Mare. Un édifice magnifique et impressionnant, mais malheureusement laissé à l’abandon. Entre temps, j’ai essayé de savoir s’il y en avait d’autres. Voilà cinq ou six ans que j’essaie de les trouver tous. En fouillant dans les archives, j’ai appris qu’il y en avait environ 1500 dans toute la région d’Olténie. Moi, j’en ai découvert quelque 800, les autres ayant été démolis ou modifiés à tels point qu’ils sont devenus méconnaissables. Nous avons également créé une communauté de «monumentalistes», qui compte plus d’un millier de membres dans tout le pays. C’est un grand groupe d’amateurs désireux de recueililr des documents dans leur coin de pays concernant tous ces joyaux architecturaux qui valent la peine d’être sauvés.

    La communauté de «monumentalistes» c’est plus d’un millier d’amoureux ou de passionnés de patrimoine. Il s’agit d’historiens de l’art, d’architectes, d’artistes ou bien d’ étudiants en architecture. Avec leur aide, la page Monumentaliste est pratiquement devenue un inventaire des manoirs de Craiova, de Calafat, de Caracal et de Târgu Jiu. A ces villes s’ajoute la zone rurale du sud-ouest de l’Oltenie. A première vue, en termes de patrimoine immobilier, elle ne présente pas d’intérêt particulier aux yeux d’un profane. Pourtant, à la parcourir à pied, elle réserve plein de surprises agréables, cachées au milieu de la nature.

    Le travail de documentation et de présentation comporte trois étapes postérieures à la découverte proprement dite du bâtiment: sa photographie sous tous les angles, la recherche dans les archives et sur Internet et l’image promotionnelle. Cette dernière est réalisée de manière à mettre en évidence même le charme des manoirs abandonnés ou en ruine, comme c’est malheureusement le cas de nombreuses découvertes des «monumentalistes». Dragoș Andreescu: 70% de ces manoirs ne sont pas rénovés, mais espérons que les gens comprendront que ces joyaux d’architecture sont très importants aussi bien pour eux, en tant que propriétaires, que pour la société, en général. C’est justement ce à quoi vise le projet que nous développons sur les réseaux sociaux: sensibiliser les gens à la valeur du patrimoine immobilier et en faire la promotion. En ce qui concerne la rénovation ou la restauration, nous avons réussi à amener l’Ambulance des monuments ici, en Olténie. On a donc créé l’Ambulance des monuments de l’Olténie du sud-ouest. Il y a eu, déjà, une première intervention: d’autres volontaires et moi, nous avons refait le toit de la cula Cioabă-Chintescu, dans le village de Șiacu, du comté de Gorj et résolu les problèmes de structure. Bref, on l’a mise en sécurité. C’est aux villageois de la remettre à neuf pour lui redonner l’éclat d’antan. Précisons que la cula est une sorte de maison fortifiée, spécifique à la région d’Olténie durant le 18e et le 19e siècle .

    L’Ambulance des monuments est une organisation non gouvernementale qui s’attache à sauvegarder le patrimoine immobilier en sécurisant des bâtiments classés. En 2020, elle a compté parmi les lauréats de la section Éducation, Formation et Sensibilisation des Prix européens du Patrimoine / Prix Europa Nostra. En mettant sur pied la filiale d’Olténie, Dragoș Andreescu espère que toujours plus de bâtiments historiques menacés seront sauvés avec l’aide des professionnels du domaine. Dragoș Andreescu : Nous essayons de gagner à notre cause les architectes, car, depuis un bon bout de temps, certains d’entre eux apposent leur signature sur des projets de démolition ou de sois-disant rénovations qui, en fait, n’ont rien à voir avec l’aspect originel du bâtiment Ce sont eux qui devraient parler davantage avec les propriétaires pour leur faire comprendre que ces joyaux architecturaux n’existeront plus, à un moment donné et qu’à force de démolir de plus en plus de bâtiments historiques, les villes et les villages finiront par perdre leur identité

    Dans un proche avenir, la communauté des «monumentalistes» espère éveiller l’intérêt des autorités locales pour la protection du patrimoine immobilier. Elle a déjà réussi son coup dans l’espace virtuel, où elle compte plusieurs dizaines de milliers d’adeptes.

  • La tour de feu

    La tour de feu

    Une tour circulaire, légèrement plus large à sa base, formée de trois couches, comme un gâteau : un haut parterre, orné de briques grises, est surmonté de 16 colonnes qui se rejoignent en arcs sur les trois premiers étages. Ensuite deux étages un peu en retrait, qui font place à un balcon-terrasse entourant la construction sur ces deux derniers niveaux. Enfin, cerise sur le château, une construction étroite et légère aux allures de nid-de-pie des navires d’autrefois.

    Au départ, sa fonction était celle-là même : un poste d’observation pour détecter les incendies, d’où le nom de Foișorul de foc ou bien la Tour de feu. Cette construction, la plus haute de Bucarest à la fin du 19e et au début du 20e, remplaçait une autre, la Tour de Colțea, démolie en 1888, car jugée trop fragile. L’actuelle tour a été conçue au départ avec une double fonction, tour de guet, mais aussi château d’eau. La construction a été finalisée en juillet 1891, mais il a fallu attendre près d’un an pour commencer à l’utiliser.

    L’Usine d’eau de Liège, qui devait fournir le réservoir d’eau, le livre avec un retard de quelques mois. Après son installation, nouvelle déconvenue et de taille : les pompes de Grozăvești, les plus puissantes de la capitale, n’arrivent pas à faire monter l’eau jusqu’en haut du réservoir. On renonce alors à utiliser le bâtiment comme château d’eau. Il servira, de 1892 à 1936, de caserne pour la brigade de pompiers n°5. Jusqu’en 1910, la Tour de feu joue aussi son rôle de tour de vigie. Ses 42m de haut et sa position centrale en font le lieu idéal pour surveiller la ville et observer rapidement le départ d’un incendie.

    Même si l’apparition du téléphone rend cette fonction obsolète, l’immeuble continue à accueillir la brigade de pompiers jusqu’à ce qu’ils déménagent dans une caserne plus moderne, construite à proximité de la Gare d’Obor. La tour reste largement inusitée de ’36 jusqu’en ’61, quand on décide de la transformer en… musée des pompiers. Des travaux d’aménagement démarrent alors, pour démonter le réservoir qui occupe tout le haut de l’immeuble et aménager, à la place, trois étages : le 4e niveau, sous la forme d’un balcon circulaire intérieur, et les niveaux 5 et 6, que l’on munit de balcons extérieurs. L’escalier central en colimaçon est tourné à 180 degrés et prolongé jusqu’en haut et un ascenseur est également installé. Le poste de vigie est transformé en lanterneau en verre qui permet aux visiteurs d’admirer le panorama de la ville.

    Inauguré en 1963, le Musée des pompiers est toujours là aujourd’hui, mais 57 ans d’activité ininterrompue l’ont rendu quelque peu obsolète. Déjà l’accès s’avère un peu difficile. Situé plus ou moins au milieu d’un rond-point, une fine barrière en métal l’entoure et des écriteaux comme on en voit partout à Bucarest tentent de garder les passants à distance : Atenție, cade tencuiala / Attention, chutes de plâtre. Une fois à l’intérieur, on met du temps à comprendre l’agencement des lieux. Comme la visite se fait du haut en bas, on monte les six niveaux, pour ensuite faire le tour de chaque étage – littéralement, puisqu’on est dans une tour – avant de descendre à l’étage d’en-dessous. De grandes vitrines cachent plutôt qu’elles ne montrent engins et uniformes de pompiers militaires, civils ou bénévoles. Casques, drapeaux, médailles, pompes manuelles ou motorisées, tuyaux, extincteurs, accessoires divers, maquettes, documents d’archive… Une fine poussière semble recouvrir tous les objets.

    En arrivant dans chaque salle, l’éclairage jusqu’alors éteint est allumé par le personnel. Le simple fait que ce musée existe a quelque chose d’irréel et de précieux. Tout l’oppose aux grands musées, aujourd’hui presque cliniques, qui ressemblent à s’y méprendre à des cubes blancs. Non, la Tour de feu de Bucarest n’a rien d’un contenant sans âme. Ce lieu nous donne l’impression d’être dans un phare au milieu de la ville, qui cache le trésor d’un collectionneur fou. Et si les balcons extérieurs sont aujourd’hui interdits d’accès, espérons que cela changera à la fin des travaux de conservation et de restauration qui devraient démarrer bientôt. Espérons aussi que la Tour de feu gardera son âme et restera un de ces petits musées que l’on se réjouit de découvrir au cours d’une promenade sans but. (Elena Diaconu)

  • Mihai Cristian, un jeune passionné du patrimoine

    Mihai Cristian, un jeune passionné du patrimoine

    Mihai Cristian est étudiant en master d’études culturelles à la Faculté d’histoire et philosophie de l’Université Babeș-Bolyai de Cluj, dans le centre de la Roumanie. Il vient de Hunedoara, une petite ville du centre-ouest du pays, et se passionne pour tout ce qui est patrimoine culturel et historique. Dès son entrée à l’université, Mihai s’est impliqué dans la conservation des bâtiments historiques de Hunedoara. C’est ainsi qu’a commencé sa collaboration avec l’association Ambulanța pentru monumente / L’Ambulance des monuments :« J’ai entendu parler de ce projet en 2018, quand l’équipe de l’Ambulance est arrivée dans mon département, à Hunedoara. J’ai vu un appel aux bénévoles sur Facebook, ils cherchaient des jeunes pour leur donner un coup de main pour la restauration d’une importante église en bois. Moi, j’ai senti comme un devoir moral d’y prendre part, j’ai alors fait partie de l’équipe qui est intervenue pour refaire la toiture en bardeaux de l’église de Strei. J’ai beaucoup aimé cette expérience et je me suis rendu compte que ça m’aidait dans mon développement. En plus, je me suis senti accompli en contribuant à préserver l’héritage culturel et à restaurer le patrimoine. Après cette première intervention, je n’avais qu’une envie : recommencer. »

    Récemment, le prince Charles de Galles a transmis un message d’encouragement et de félicitations à tous ceux qui font partie de l’Ambulance des monuments et notamment aux bénévoles qui rejoignent cette équipe déterminée à sauvegarder le patrimoine roumain. Mihai Cristian :« Nous sommes honorés par le message de Son Altesse Royale, le prince Charles de Galles. Pour nous, c’est une preuve supplémentaire de l’importance de notre travail pour la sauvegarde du patrimoine. Par ailleurs, le prince Charles nous a soutenu depuis le début, il est le président d’honneur de l’association et nous savons que nous pouvons compter sur lui pour chacune des interventions qui ont lieu. »

    Restaurer un bâtiment historique est un travail complexe. Pour notre invité du jour, ce n’est pas le résultat visible d’un tel processus qui est le plus important, mais bien autre chose. Mihai Cristian :« De mon point de vue, les résultats les moins visibles sont aussi les plus importants. De manière très concrète, nous sauvons des monuments, des bâtiments qui n’auraient peut-être pas survécu à un autre hiver à cause de leur état de dégradation. Mais derrière nous reste le besoin de continuer à prendre soin de ces bâtiments. A chaque intervention, nous invitons la communauté locale à se joindre à nous. Au début, les premiers jours, ce sont les enfants qui viennent nous voir, ils regardent ce qu’on fait, on devient amis. Ensuite, quelques jours plus tard, les gens du coin commencent à venir, ils nous donnent un coup de main. En prenant soin de ce monument qui se trouve dans leur commune et en prenant conscience de sa valeur, les gens se sentent davantage concernés. Ainsi, plus tard, si le bâtiment a de nouveau besoin de réparations, ils seront plus à même d’intervenir. C’est quelque chose si les gens prennent conscience de la valeur des monuments qui se trouvent près de chez eux. »


    Prendre part à la restauration d’un bâtiment est une expérience mémorable, notamment pour les jeunes. D’autant plus si ça devient pour eux un stage de formation. Mihai Cristian :« C’est une vraie mine d’or pour les étudiants et pas seulement pour les étudiants en architecture. Les bénévoles viennent de tous horizons, il y en a qui étudient l’histoire ou bien le tourisme et tous les domaines connexes. Ces interventions sont pour nous l’occasion de mettre en pratique ce pour quoi nous nous formons et qui nous est enseigné seulement de manière théorique à la faculté. Les chantiers continuent pour les monuments les plus endommagés, il faudra intervenir dès cet été pour certains. La chose la plus importante, c’est que l’Ambulance des monuments est de plus en plus connue. Des associations similaires ont vu le jour dans plusieurs régions du pays et à présent nous avons sept filiales. La dernière née, l’Ambulance des monuments Olténie Ouest, est toute jeune. »


    Mais qui sont-ils, ces jeunes qui ont envie de s’investir dans la restauration et la conservation des bâtiments historiques ? Quelles sont leurs qualités ? Mihai Cristian :« La qualité de venir se joindre à nous (rires). Pour ce qui est des chantiers de restauration, tout le monde peut trouver sa place. En fait, chacun se spécialise en fonction des besoins. On peut avoir des interventions pour changer une toiture en bardeaux ou pour consolider les fortifications d’une église, les tâches changent en fonction du chantier. Nous travaillons sous la supervision de spécialistes, nous apprenons l’un de l’autre, alors dans un premier temps il n’est pas nécessaire d’avoir des connaissances spécifiques. Il faut juste avoir envie de participer. Initiative et curiosité sont les mots-clés. »


    Mihai Cristian, notre invité du jour, n’est pas seulement actif dans l’Ambulance des monuments. Amoureux comme il est du patrimoine, il fait aussi du bénévolat pour le projet « Adoptă o casă la Roșia Montană » / « Adopte une maison à Roșia Montană ». Là aussi, il a l’occasion de participer à la préservation du patrimoine dans un petit village de l’ouest de la Roumanie, connu pour l’exploitation minière d’or qui date du temps des Romains. (Trad. Elena Diaconu)

  • Sauvegarde du patrimoine de Herculane-les-Bains

    Sauvegarde du patrimoine de Herculane-les-Bains

    Connue depuis l’Antiquité pour ses eaux aux
    propriétés thérapeutiques, la petite ville d’Herculane-les-Bains a peu à peu acquis
    un statut de station balnéaire de luxe. C’est au cours du 19-e siècle que la
    ville atteint l’apogée de sa gloire. Aujourd’hui, pas moins de 74 objectifs,
    sites archéologiques, statues, monuments et ensembles architecturaux, se
    trouvent que la Liste des monuments historiques de Roumanie. A la fin du 19-e
    et au début du 20-e, c’est ce patrimoine qui faisait de Herculane-les-Bains une
    des destinations les plus prisées du continent européen. Qui plus est, la ville
    est au cœur d’un parc naturel très pittoresque de l’ouest de la Roumanie,
    Domogled-Valea Cernei. Eaux thermales, sorties en nature et beautés
    architecturales, le tableau semble parfait. Hélas, depuis des années le centre
    historique de la ville est en proie à une dégradation accélérée à cause,
    surtout, de problèmes juridiques engendrés par une privatisation douteuse.




    Ce qui se passe actuellement avec les bâtiments
    historiques d’Herculane-les-Bains est « une tragédie nationale »,
    d’après l’architecte Oana Chirilă, membre de l’association Herculane Project.
    En 2017, elle a initié, avec un groupe d’étudiants en architecture enthousiastes,
    ce projet de revitalisation de la zone historique d’Herculane. Pour commencer,
    ils ont choisi un monument majeur de la ville : les Thermes de Neptune, vieux
    centre de traitement et de relaxation. Oana Chirilă : « Herculane
    Project est ce que nous appelons une plateforme de réactivation. Réactiver ou
    redonner vie au centre historique d’Herculane-les-Bains. Nous avons deux
    directions d’action principales. Tout d’abord, réactiver les Thermes de
    Neptune, c’est notre premier projet, qui occupe la plupart de notre temps.
    Ensuite, réactiver culturellement et socialement le centre historique par
    différents projets. Nous ne souhaitons pas uniquement redonner vie à un
    monument, mais aussi changer l’offre culturelle actuelle. Nous ne pouvons pas
    nous contenter de restaurer les bâtiments, de leur offrir des fonctions qui
    généreraient du développement économique ou social. Nous visons aussi à changer
    les mentalités, à éduquer, à réintroduire ces lieux historiques dans la
    communauté. Et je ne pense pas seulement à la communauté locale, mais aussi aux
    gens de passage. Comme c’est une station balnéaire, environ 100.000 personnes
    viennent à Herculane chaque année. Les ressources existent, il faut juste les relier
    entre elles. C’est ça la réactivation, pour résumer. »




    Pour le moment, il n’est pas possible de
    réellement restaurer les bâtiments historiques de la ville, alors les bénévoles
    travaillent seulement à consolider les Thermes de Neptunes. Oana Chirilă : « Pour
    ce qui est des Thermes, justement parce qu’il existe un blocage juridique et
    plusieurs saisies sur le terrain affèrent, nous avons pu seulement faire
    quelques interventions d’urgence. Malheureusement, le bâtiment, y compris au
    niveau de sa structure, a été endommagé avec le temps. Alors nous avons fait des
    travaux, temporaires et réversibles, afin de conserver et de maintenir
    l’immeuble en l’état, en attendant la restauration. Pour le moment, nous
    voulons finaliser cette intervention. Nous en sommes à la moitié et avons dû
    nous arrêter, faute d’argent. Nous avons tout fait avec l’aide de la société
    civile. Nous avons collecté quelque 60.000 euros de dons et sponsoring, que
    nous avons ensuite utilisés pour ce bâtiment. »




    Herculane Project a besoin de 100.000 euros, en
    tout, pour finaliser les travaux aux Thermes de Neptune. Oana Chirilă : «
    Nous préparons une campagne pour cet été. Nous visons plus large et voulons
    réactiver d’autres monuments aussi. On aura cette collecte de fonds et nous
    continuerons à soutenir l’administration locale pour ce qui est de la future
    fonction de l’immeuble. Une partie de nos sponsors sont intéressés de
    s’impliquer aussi dans la restauration, quand le moment viendra. Voilà pour
    notre activité du moment. Mais le plus urgent reste de finaliser
    l’intervention, car il y a des endroits que nous n’avons pas encore consolidés,
    comme le toit, par exemple. »




    Un autre objectif majeur de l’association
    Herculane Project est de faire inscrire l’ensemble architectural d’Herculane-les-Bains
    au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le processus est en cours, l’association a
    démarré les discussions avec les autorités roumaines et avec le comité UNESCO.
    (Trad. Elena Diaconu)

  • Le musée de l’art traditionnel de Constanta

    Le musée de l’art traditionnel de Constanta

    Chaque mois, cet établissement présente sur son profil Facebook et sur son site Internet l’image d’un tissu accompagnée d’une fiche analytique. Et pour vous convaincre de franchir le seuil de cette institution muséale au moment de votre retour sur la côte roumaine de la mer Noire, RRI vous propose aujourd’hui un tour guidé virtuel. Ioana Tompe, muséographe au Musée d’art traditionnel de Constanta, affirme que les visiteurs ont l’occasion de découvrir une institution qui présente les traditions et l’histoire non seulement de la région de Dobroudja, mais de tout l’espace roumain : « Nous avons conféré un caractère national à l’exposition permanente. Nous présentons toutes les zones ethnographiques du pays : Transylvanie, Moldavie, Valachie, Olténie, Dobroudja ainsi que les principaux métiers traditionnels qui définissent notre civilisation. L’immeuble qui accueille le musée est la première mairie de la ville de Constanta, le Palais communal, érigé en 1826, d’après les plans de l’architecte Ioan Socolescu. Cet architecte a conçu de nombreux immeubles qui font actuellement partie du patrimoine architectural roumain, des bâtiments de style néo-roumain. C’est un mélange d’architecture ancienne, avec des colonnes et chapiteaux et le style brancovan. La mairie a fonctionné dans cet édifice pour un court laps de temps, puis il fut transformé en Palais des postes. Le musée fut ouvert avec une première exposition présentant l’art de la Dobroudja en 1971. Nous avons réussi à composer une collection visant la Dobroudja, les Roumains de la contrée qui ont peuplé les rives du Danube, les villages d’Ostrov à Hârsova, en respectant le caractère multiculturel de la région. »

    Après la création des collections sur la Dobroudja, l’attention s’est portée vers les autres zones ethnographiques du pays, affirme Ioana Tompe. Ecoutons-la : « Par conséquent, nous avons une collection de pièces vestimentaires de toutes les régions du pays, qui illustrent la typologie des vêtements roumains traditionnels. Nous avons des objets de décoration intérieure, des tissus de toutes les régions ethnographiques, alors que l’exposition permanente présente la spécificité de chaque région roumaine. Il y a des tissus en coton, des serviettes, des nattes de table, du linge. S’y ajoutent des bijoux portés par les Roumains, ou plutôt par les Roumaines. Au rez-de-chaussée, l’espace est réservé à l’exposition d’icônes paysannes peintes sur verre. C’est une collection d’icônes de très grande valeur, provenant des plus importants centres d’artisans qui fonctionnaient jadis en Transylvanie. Nous présentons ce métier dans une évolution chronologique et stylistique. Une autre salle est réservée aux objets de culte, aux icônes peintes sur bois, aux icones réalisées par des peintres de Dobroudja et influencées par la minorité lipovène et par les icones grecques. »

    La peinture sur verre, très appréciée, est spécifique à la Transylvanie. Cette principauté roumaine a fait partie de l’Empire des Habsbourg, puis de l’Empire d’Autriche-Hongrie, explique Ioana Tompe, muséographe au Musée d’art traditionnel de Constanta, qui nous aide à comprendre l’origine de ce métier. « Les Roumains n’appartenaient pas à la religion d’Etat et leur langue n’était pas la langue officielle de l’empire. Leurs églises étaient démolies et c’est pourquoi ils ont été obligés de peindre leurs propres icônes dans leurs foyers. C’est ainsi qu’est apparu en Transylvanie ce phénomène de la peinture des icônes paysannes sur verre. Le métier a commencé à être pratiqué dans les villages de Nicula et de Gherla, près de Cluj, en même temps que le développement de la manufacture du verre. Afin d’obtenir le verre, il faut que l’atelier se situe à proximité d’une zone boisée, parce que le bois est nécessaire à la fonte du sable de silice pour obtenir manuellement des plaques de verre. Si on les regarde dans la lumière, on observe que les icônes ont toute sorte d’imperfections – bulles d’air, dénivellations – ce qui témoigne du fait qu’il s’agit de plaques de verre obtenues manuellement. Le phénomène des icônes sur verre est constaté uniquement en Transylvanie. Ces centres se sont répandus à travers la Transylvanie à partir des villages autour de Cluj, l’épicentre de l’icône paysanne sur verre. »

    Plusieurs sections du musée reconstituent le foyer paysan avec des objets et des outils d’origine. Une riche section du musée est consacrée aux récipients – certains en terre cuite, d’autres en métal. Ioana Tompe, muséographe du Musée d’art traditionnel de Constanta : « La poterie a connu en Dobroudja un développement moindre que dans les autres régions du pays. Même si paradoxalement, nous avons une longue tradition de la poterie avec les Grecs et les Romains, elle a pu se développer dans la mesure où ces villes littorales ont été gouvernées par des administrations sûres : romaine et grecque. Au Moyen-Age, à l’époque moderne, lorsque le territoire de la Dobroudja a été ravagé par des guerres, lorsque la province a été incluse dans l’Empire Ottoman, la poterie n’a plus été pratiquée, puisque ces produits sont périssables. Un peuple qui peut présenter une évolution temporelle de la poterie est un peuple qui fait preuve de stabilité et de continuité. Les récipients métalliques que nous présentons dans l’exposition sont les mêmes à travers l’espace balkanique, qui a partagé le même sort économique et politique que la Dobroudja. Ils sont en métal pour une raison évidente : ils sont ainsi incassables. Le matériau utilisé est le laiton. Nous avons recueilli dans le cadre de cette demeure idéale les différents récipients des Roumains, des Aroumains, des Turcs et des Tatars. Et c’est ainsi que l’on peut observer les différences en termes de décoration entre les différents groupes ethniques. »

    Le Musée d’art traditionnel de Constanta a accueilli des touristes de tous les coins du monde. Ils ont eu l’occasion de suivre des présentations détaillées dans les principales langues de circulation internationale dans le cadre de tours guidés d’environ 30 minutes. A présent, votre visite peut durer tant que vous le désirez, puisque le musée a ouvert ses portes virtuellement. Sur sa page Internet, mais aussi sur les réseaux sociaux, vous aurez l’occasion de découvrir plusieurs pièces de ses collections, accompagnées d’une description. N’y manquent pas non plus les traditions que l’équipe du musée décrit en détail, les illustrant avec des objets traditionnels.

  • Architecture et histoires de famille

    Architecture et histoires de famille

    L’architecture moderniste fait son apparition à Bucarest
    dans les années ’20. La date exacte serait 1926, lorsque l’architecte Marcel
    Iancu / Marcel Janco dessine son premier bâtiment : l’immeuble Herman Iancu, situé
    dans l’ancien quartier juif de la capitale roumaine. Encore debout, malgré les
    démolitions massives qui ont eu lieu dans ce coin de Bucarest durant l’époque communiste,
    c’est un édifice de type blockhaus conçu pour le père de l’architecte. C’est le
    premier projet qui atteste l’intérêt de Marcel Janco pour le modernisme, ce qui
    est d’ailleurs peu surprenant pour un jeune qui, en 1916, fondait le mouvement
    Dada au Cabaret Voltaire de Zurich. Aux côtés des poètes Tristan Tzara et Hugo
    Ball et du peintre Hans Arp, il s’inscrit dans le mouvement esthétique de l’avant-garde
    du XXe siècle. Marcel Janco était allé étudier en Suisse, en 1914, avec son
    frère. Au départ, il s’est consacré aux mathématiques et à la chimie à
    l’Université de Zurich, pour qu’en 1915 il soit admis au cours d’architecture
    de l’Ecole polytechnique. Artiste pluridisciplinaire, c’est l’un des peintres
    du mouvement Dada, qui s’est aussi fait remarquer pour ses masques. Il fait
    nombre d’illustrations pour des publications avant-gardistes et s’exerce également
    à la sculpture. De retour à Bucarest dans les années 1920, il dessine plusieurs
    bâtiments modernistes pour la nouvelle bourgeoisie de l’entre-deux-guerres. Dans
    une capitale roumaine caractérisée alors par une architecture éclectique, ses
    projets marquent le renouveau de la ville.

    Marcel Janco a projeté en tout 26
    immeubles à Bucarest, dont 20 sont encore debout. Un d’entre eux se situe tout
    près de « La Tour de feu », un ancien château d’eau utilisé autrefois
    comme tour de guet par les pompiers de Bucarest. Cet immeuble de Janco a aussi
    vu le jour grâce à l’amitié avec le futur historien des religions Mircea
    Eliade, alors le chef de file de la nouvelle génération d’artistes et d’écrivains
    roumains. Marcel Janco a imaginé le bâtiment pour la sœur d’Eliade, Corina
    Alexandrescu, peu après le mariage de celle-ci. Aujourd’hui, la maison
    appartient au fils de l’ancienne propriétaire, Sorin Alexandrescu, sémiologue
    et professeur des universités: « Cette maison a
    appartenu à mes parents. Elle a un rez-de-chaussée et deux étages. C’est ici
    que je suis né. Un mur de séparation a été rajouté dans une des pièces, pour
    accueillir les locataires imposés par le régime communiste. A l’époque, on
    avait le droit à un espace de vie de 8m² par personne. Si quelqu’un avait plus
    d’espace à la maison, on lui imposait des locataires. Chez nous habitaient deux
    autres familles dont les membres devaient traverser ma chambre pour aller à la
    cuisine ou à la salle de bain. Quand je me suis marié, j’ai dû partir. Je ne
    pouvais pas vivre avec ma femme dans une pièce de passage. Peu après, mes
    parents sont partis aussi. »



    Dans les années ’70, Sorin Alexandrescu allait
    émigrer aux Pays-Bas, où il devient professeur au département de roumain de
    l’Université d’Amsterdam. Après la révolution de 1989, il revient en Roumanie et
    il réussit à récupérer sa propriété. La maison conçue par Marcel Janco avait
    été nationalisée durant le régime communiste. Sorin Alexandrescu : « Je n’ai rien
    su de cette maison avant la révolution, quand je suis rentré. J’ai appris que
    l’on pouvait récupérer sa propriété en faisant une requête argumentée. Le
    procès en justice a été très rapide et j’ai eu gain de cause. J’ai dit aux
    locataires qu’ils pouvaient y rester en continuant de payer le même loyer
    symbolique qu’ils payaient à l’Etat. Ils ont déménagé un à un, sans que je les
    oblige. Ensuite, j’ai fait rénover la maison et j’ai loué les étages. Quelques
    années plus tard, j’ai refait des réparations, je viens d’ailleurs d’en finir
    les derniers travaux. En ce moment, c’est l’Université de Bucarest qui occupe
    le rez-de-chaussée et l’entresol, c’est là où j’habitais avant. Je leur ai mis
    à disposition l’espace et c’est le Centre d’excellence dans l’étude de l’image (CESI)
    qui tient ses cours ici. Ils ont une pièce à la Faculté de lettres et puis cet
    espace. Je suis très content, pas seulement d’avoir récupéré cette propriété,
    mais aussi de pouvoir l’utiliser pour les étudiants. L’Université est toujours
    en manque d’espace depuis la hausse du nombre d’étudiants. »



    Malgré la valeur reconnue de l’immeuble projeté par
    Marcel Janco, il ne figure pas encore sur la liste des bâtiments de patrimoine,
    mais ça ne saura tarder, nous assure Sorin Alexandrescu : « Je n’ai pas
    encore tenté d’obtenir la certification car, tout simplement, il fallait
    d’abord finir les rénovations. J’espère qu’il n’y aura pas d’empêchement pour
    obtenir la reconnaissance du bâtiment en rapport avec l’héritage laissé par
    Marcel Janco. Ma mère a employé Janco pour construire cette maison car Mircea
    Eliade le lui avait recommandé. Ma mère était très jeune à l’époque et ne
    connaissait aucun architecte, alors son frère lui a parlé de son collègue de
    génération et ami très proche. Bientôt, nous allons aussi installer sur la
    façade une plaque au nom de Marcel Iancu. »



    Dans les années ’40, alors que la persécution des juifs
    s’accentue en Roumanie, Marcel Janco quitte le pays pour se réfugier à Tel-Aviv
    et passe le restant de ses jours en Israël. Il y devient un architecte célèbre
    et fonde le village d’artistes Ein Hod, au nord du pays. En 1967, il est
    distingué du prix Israël. Marcel Janco meurt en 1984, à l’âge de 88 ans. (Trad.
    Elena Diaconu)

  • District antisismique

    District antisismique

    L’Association roumaine pour la culture, l’éducation et la normalité — ARCEN — œuvre depuis des années déjà pour la valorisation du patrimoine architectural des quartiers historiques de Bucarest. L’équipe de l’association a répertorié, à compter de l’année dernière, 40 zones importantes du centre de Bucarest. Le périmètre ainsi délimité a été nommé District 40. Le président de l’association, Edmond Niculuşcă, détaille :



    « District 40 est une zone historique de Bucarest, avec le Jardin Icoanei en son centre. Nous avons identifié et divisé cette zone à l’aide d’une recherche historique et anthropologique. District 40 va de la rue Mihai Eminescu à la Place de l’Université, et du Boulevard Magheru à la rue Vasile Lascăr. Il y a donc cette parcelle importante du centre-ville que nous avons nommé District 40 où il y a, d’ailleurs, beaucoup d’institutions culturelles. C’est tout l’enjeu du projet, finalement, d’utiliser le maillage culturel existant pour redynamiser cette partie de la ville. »



    Le projet District 40 a deux volets. Le premier, culturel, s’appelle « Les insomnies du district » et compte une série d’événements se déroulant dans différents espaces du quartier. Récemment, ARCEN a aussi lancé le volet communautaire de District 40. Ce sous-projet, « District antisismique », part d’une évidence qui s’est imposée à l’association : une des principales menaces qui pèse sur les immeubles de patrimoine, mais aussi sur leurs habitants, est le grand tremblement de terre qui pourrait se produire un jour dans la capitale roumaine.



    Le lancement de « District antisismique » a eu lieu à l’Institut français de Bucarest, en présence d’habitants du quartier Icoanei, ainsi que de représentants d’autres associations et des autorités. Le projet, qui aura lieu pendant neuf mois, produira une méthodologie qui pourra ensuite être appliquée dans tout quartier à risque sismique de Bucarest et du pays. Edmond Niculuşcă, le président d’ARCEN, précise :



    « ARCEN a une histoire de dix ans dans le quartier du Jardin Icoanei. Il y a dix ans, nous avons sauvé l’Ecole centrale, en débloquant six millions d’euros pour la restauration et la consolidation de ce monument historique conçu par l’architecte Ion Mincu en 1891. Cela a été le point de départ de toute l’histoire qui s’est tissée dans le quartier Icoanei. A un moment donné, dans nos interactions soutenues avec les habitants du quartier, nous nous sommes rendu compte qu’un des problèmes majeurs de cette zone, c’est le risque sismique. »



    Bucarest compte, à présent, 350 bâtiments évalués qui figurent dans la classe 1 de risque sismique et encore 1.500 immeubles dans les classes de risque 2 et 3. Malgré ces chiffres déjà alarmants, on estime que dans la capitale il y aurait deux fois plus de bâtiments qui ne sont pas encore recensés, mais qui présentent des marques visibles de fissures, des traces laissées par les tremblements de terres qu’ils ont déjà traversés.



    Aux côtés des experts de l’Ordre des architectes de Roumanie, de l’Institut national du patrimoine et de la Commission des monuments historiques, l’équipe ARCEN a mis au point une méthodologie pour recenser 98 zones protégées d’ici 2021 dans le cadre du projet « Catalogue de Bucarest ».



    La conscience du danger, la vitesse de réaction et, surtout, la manière correcte de réagir lors d’un tremblement de terre important pourraient sauver des milliers de vies. C’est pour cela qu’ARCEN s’est fixé pour objectif, après le recensement des zones les plus vulnérables de la capitale, de mener des campagnes d’information et des exercices pratiques avec les bucarestois qui vivent dans ces immeubles à risque sismique. (Trad. Elena Diaconu)

  • La maison Pompiliu Eliade

    La maison Pompiliu Eliade

    Comme toute capitale européenne ayant connu plusieurs périodes de modernisation, la ville de Bucarest a un patrimoine immobilier divers. L’évolution architecturale et urbaine de la capitale allait commencer durant le dernier quart du 19e siècle. Construite au début du 20e siècle, la maison Pompiliu Eliade est passée par toutes les phases qu’un bâtiment peut connaître, depuis les efforts de construction à l’abandon, la ruine et les tentatives de réhabilitation. L’éditrice Silvia Colfescu nous raconte brièvement l’histoire de cette maison unique : « La maison est située sur la rive de la Dâmboviţa, à l’intersection de la rue Splaiul Independenţei et de la rue Hașdeu. Elle a été construite par Pompiliu Eliade, lettré, importante personnalité culturelle de son époque et grand ami de l’écrivain Bogdan Petriceicu Hașdeu. Le projet de la maison repose sur une idée de Hașdeu, qui a imaginé un hall central octogonal et quatre ailes orientées vers les quatre points cardinaux, une structure architecturale que l’écrivain considérait comme bénéfique pour ceux qui allaient habiter la maison. Les projets ont été conçus par l’architecte Henri Susskind, à qui on doit aussi, d’ailleurs, le bâtiment de la Faculté de médecine vétérinaire, située vis-à-vis, et par l’entrepreneur Schindl. Le baron autrichien Susskind, avait épousé une roumaine, la petite fille du général Năsturel Herescu. Comme la quasi-totalité des belles maisons construites à Bucarest par les personnalités de la ville, celle-ci allait être érigée, elle aussi, avec de l’argent emprunté à une banque. A l’époque on ne faisait pas fortune du jour au lendemain. Pompiliu Eliade a donc obtenu un crédit. Il a habité la maison, avec sa femme et ses deux enfants, jusqu’à sa mort. Après son décès, sa femme n’a plus eu les moyens de payer les mensualités et la banque a pris possession de la maison. »

    Ce joyau d’architecture urbaine est née d’une heureuse rencontre entre la personnalité extraordinaire de Hașdeu et l’intelligence de Pompiliu Eliade. Silvia Colfescu : « La maison est effectivement hors du commun. Son architecture est romantique, wagnérienne même, je dirais. Elle ressemble à un château – plus précisément au château partiellement art nouveau que l’écrivain Hașdeu a érigé à Câmpina pour sa fille Iulia. Un peu plus loin, sur la rive de la Dâmboviţa, se trouve une autre maison qui lui ressemble un petit peu, mais une autre maison pareille à celle de Pompiliu Eliade, je n’en ai pas vue à Bucarest. Jusqu’il y a quelques années, elle a conservé sa clôture, qui est donc restée debout 100 ans, le portail a disparu de façon mystérieuse ; pour certains, il était juste bon pour être vendu à la ferraille. Pompiliu Eliade s’est éteint en 1914. Après sa mort, sa femme a quitté la maison et s’est établie à Paris avec les enfants. La banque a pris possession de la maison, mais elle ne savait pas trop quoi en faire. Pendant un certain temps, elle a essayé de la transformer en foyer pour étudiants. Finalement, elle fut achetée par un juriste, Anton Rădulescu, qui avait deux enfants et une belle famille. Ils ont très bien entretenu la maison. Initialement, l’étage n’était pas séparé du reste de la maison par un plafond. Anton Rădulescu a fait construire un plafond, la rendant plus efficace comme logement. Il a réservé l’appartement situé à l’étage comme dot pour sa fille et il a occupé le rez-de-chaussée, avec sa femme et son fils. Sa fille a épousé Grigore Olimpiu Ioan, un journaliste qui avait fait ses études à Paris, et le couple a donc habité à l’étage. »

    Le déclin de la maison a commencé à la fin de la deuxième guerre mondiale, après l’instauration du communisme. Silvia Colfescu: « Tout allait bien, la maison était très soignée ; c’était une des plus belles maisons de Bucarest, mais « la libération », est venue, suite à laquelle les propriétaires ont été « libérés » de leurs propriétés. Puisque c’était l’avènement du prolétariat, de nombreux villageois ont été appelés des campagnes et installés dans les villes pour diriger le pays. Bucarest comptait à l’époque 500.000 habitants et tout d’un coup, la population de la ville a monté en flèche. Où loger tant de personnes sinon dans les maisons de ceux qui bénéficiaient d’ »espace excédentaire », comme on disait à l’époque. Cette expression me donne encore la chair de poule, quand je l’entends. Dans la maison dont nous parlons ont été logés, par conséquent, toute sorte de personnages bizarres, dont un « Monsieur », soi-disant, qui recevait la visite des membres de sa famille qui habitaient la campagne et qui se rendait à Bucarest en charrette, qu’ils garaient dans la cour. Parmi les locataires, il y avait aussi un cadre du parti communiste dont le grand mérite a été de voler au juriste ses légumes en saumure. Toutes les pièces étaient dorénavant occupées. Seul le hall octogonal ne pouvait pas être habité. Or, dans ce hall où l’on recevait jadis des invités et où l’on buvait du thé en discutant de sujets élevés, on déposait à présent les bocaux de légumes en saumure. Chaque époque a ses spécificités. Or, les spécificités de l’époque dont il est question, furent la charrette garée dans la cour de la maison wagnérienne et les légumes en saumure dans le hall octogonal. »

    A la mort des propriétaires, leur gendre, le seul héritier de la maison, est obligé de vendre un appartement et, après la chute du communisme, en 1989, de vendre tout l’immeuble à un homme d’affaires et d’aller vivre à Paris. Abandonnée par son nouveau propriétaire, la maison a été occupée abusivement et peu à peu vandalisée. Récemment, les personnes qui l’avaient occupée ont été évacuées et l’immeuble a été entouré d’une clôture. Les passionnés de beauté espèrent qu’un projet sera mis en œuvre pour la réhabiliter. ( Trad. : Dominique)

  • Les petites boutiques de Bucarest

    Les petites boutiques de Bucarest

    Au cours de l’histoire, une architecture commerciale spécifique a apparu dans la zone, toujours visible dans le cas de certains bâtiments qui ont perduré. L’historienne de l’art Oana Marinache présente quelques-unes des particularités de ces petites boutiques. Ecoutons-la : « Il y a des caves très profondes dont certaines datent des XVIIème et XVIIIème siècles, au dessus desquelles des constructions successives se sont superposées au fil du temps. Pas une d’entre-elles n’existe comme telle depuis le XIXeme siècle ou depuis la seconde moitié du XVIIIeme siècle. Les bâtiments gardent dans leurs profondeurs les traces de plusieurs étapes de construction qui datent, peut-être, de différentes époques. Au début, ils n’avaient probablement qu’une cave et un rez-de-chaussée où l’on commercialisait des produits divers. Toutefois, les générations suivantes, des familles entières de commerçants qui y ont vécu depuis le XIXème siècle jusqu’au XXème siècle, ont considéré qu’il fallait s’étendre à la verticale et ont ajouté un étage ou deux. Les espaces situés à l’étage étaient destinés plutôt à l’habitation, servant soit à la famille du marchand, soit aux éventuels locataires. Cela était le cas aussi lorsque des bureaux ou des comptoirs étaient aménagés à l’étage ou étaient loués par des personnes qui y déroulaient leurs activités commerciales. »



    Avec le temps, surtout grâce à l’accélération du processus de modernisation qui a débuté pendant la seconde moitié du XIXème siècle, l’activité commerciale de la ville s’est intensifiée elle aussi. Plusieurs magasins ont apparu et soit car l’espace était très étroit, soit à cause du fait que le terrain était divisé en parcelles pour chacun des héritiers, les bâtiments ont commencé à être très étroits et à se développer surtout à l’horizontale. C’était la situation au centre de la ville, car à la périphérie, où l’on vivait plus près de l’espace rural, les petites boutiques avaient le même aspect de l’architecture vernaculaire spécifique au village. Elles ne différaient pas du tout des maisons de type cabane, des maisons souterraines ou des celles qui avaient une cave.



    Dans les faubourgs, les maisons des marchands avaient parfois, comme dans les villages, un porche et une entrée étroite à l’extérieur de la maison appelée « gârlici », menant à la cave. Pourtant, dans le centre de la ville, il y avait d’autres influences. Oana Marinache nous explique.: « Pratiquement, tout ce que l’on voit aujourd’hui dans la zone date des années d’après le Grand Incendie de 1847. Entre temps, beaucoup d’interventions ont eu lieu, surtout pendant la seconde moitié du XIXème siècle. Le contact avec l’extérieur et notamment avec les centres commerciaux où l’on parlait l’allemand (les foires de Braşov, de Sibiu et même de Vienne), va changer radicalement l’aspect esthétique des bâtiments. Progressivement, certains commerçants, surtout ceux appartenant à la classe moyenne ou à celle aisée, dont beaucoup d’origine juive, ont pu se permettre de se faire construire des magasins universels. Ces derniers étaient, en quelque sorte, les correspondants des magasins de Vienne ou de Paris, avec une grande variété de produits. Un des magasins de luxe, fréquenté plutôt par les femmes de Bucarest, s’appelait « Au bon goût ». La plupart des magasins portaient des noms empruntés à l’espace français, des noms de marques très appréciées à l’étranger. Ce magasin, « Au bon goût », appartenait à des commerçants juifs. Parmi les actes de propriétés de l’époque, on en a trouvé un, portant le nom d’un certain monsieur Ascher. En tenant le pas avec l’architecture des édifices à destination commerciale de l’époque, celui-ci a employé l’architecte Filip Xenopol pour la construction d’un des immeubles les plus grands du Vieux Centre, situé entre les rues de Lipscani et de Stavropoleos. C’est là que se trouvait autrefois le siège de la banque de la famille Chrisovelloni, et qui abrite de nos jours la Banque Nationale. Pratiquement, l’immeuble a perduré jusqu’aux années 1924-1925, et le magasin est resté un des plus grands de l’époque. »



    Les quelques auberges bucarestoises d’antan, aussi célèbres que les magasins, qui ont survécu jusqu’à nos jours, ont une architecture assez différente de celle originelle, affirme l’historienne de l’art Oana Marinache: « Sans doute, beaucoup de personnes ont visité le Centre Culturel ARCUB, où se trouvait autrefois l’auberge de Hagi Tudorache, ou bien ont pu boire des rafraîchissements à Hanul cu Tei, « L’auberge aux tilleuls ». Autant d’exemples d’architecture commerciale remontant au début du XIXeme siècle, même si à travers le temps ces auberges ont subi plusieurs interventions, surtout au XXème siècle. Et on ne saurait oublier de mentionner Hanul lui Manuc, « L’auberge de Manuc », peut-être le lieu le plus visité du Vieux Centre, dont la restauration a gardé l’esprit de l’architecture du début du XIXème siècle. » (trad. Nadine Vladescu)