Tag: danse

  • Corps politique dansant

    Corps politique dansant

    Un geste, un mouvement, une expression plus forts que des heures de paroles, pour agir, pour sensibiliser pour faciliter une prise de conscience. Cest là un des enjeux essentiels de la danse contemporaine, cet art engagé qui interroge directement la quasi-totalité des problématiques sensibles de la société contemporaine, sur toute la planète. La danse comme instrument de recherche et dinvestigation sociale est au cœur du premier Festival des arts performatifs de Timişoara qui se déroule cette semaine, dans la troisième ville roumaine, située dans louest du pays. Des artistes issus de différents espaces culturels sy rencontrent pour confronter leurs expériences et pour parler de lévolution de cet art. Un art qui sinvestit socialement, mais combien accessible au public, combien impliqué dans la vie communautaire? Eléments de réponse avec Ciprian Marinescu, initiateur et commissaire de ce premier Festival des arts performatifs de Timisoara, Iulia Popovici, critique de théâtre, spécialiste de la danse contemporaine et des arts performatifs et Ingrid Diac, chargée de mission culture et communication à lInstitut français de Timisoara.


  • “Une minute de danse” avec Gigi Căciuleanu

    “Une minute de danse” avec Gigi Căciuleanu

    Une cinquantaine dannée après ses débuts, Gigi Căciuleanu revient sur la scène du Petit Théâtre de Bucarest, pour un spectacle vif, expressif, consacré à lidée de couple et à sa collaboration avec une des plus importantes chorégraphes de Roumanie, Miriam Răducanu.



    Le spectacle sappelle « Une minute de danse ou Ouf ! ». Ce spectacle a été présenté en première dans le cadre du Festival international de musique « George Enescu ». Que signifie cette minute de danse avec Gigi Căciuleanu? « Cela signifie une vie de tourments et au moins une demi-heure de travail spécifique intense pour cette minute de danse. La danse, on ne la fait pas de trois mouvements. Il faut y réfléchir beaucoup avant. La cristallisation se fait en fin de compte au moment où le chorégraphe rencontre le danseur, lui explique ce quil souhaite obtenir et comment et lui demande de faire exactement ce quil lui dit de faire. Eventuellement, le danseur ny arrive pas et le chorégraphe pense que peut-être son idée initiale na pas été la bonne. Pourtant, il souhaiterait, quand même y revenir… Cest donc une sorte de slalom entre ce que lon peut et ce que lon ne peut pas faire, entre un projet dont on rêve et une réalité avec laquelle il ne saccorde pas. Cette minute est un moment très concentré, qui vous laisse très peu de temps et qui vous prend beaucoup de temps de votre vie et finit par engloutir une partie de votre éternité. »



    Une éternité comprimée dans une minute de spectacle, un spectacle dune grande complexité, dont le déroulement est accompagné par le violon de Paul Ilea. Une histoire damour, une histoire sur le sacrifice et les concessions à faire, dans un but commun : lart. Gigi Căciuleanu: « Cest lhistoire du créateur de danse et de celui qui doit sadapte à ce créateur. Cest léternelle histoire du sculpteur et de la matière quil sculpte. Le problème du sculpteur est quil travaille une matière inerte, à laquelle il doit insuffler la vie. Le problème du chorégraphe est de travailler avec une matière vivante quil ne peut pas travailler au ciseau. Et cest là quinterviennent les facteurs psychologiques, qui sont très importants et dont dépendent beaucoup de choses. On doit connaître lartiste, le deviner, le comprendre, mais on doit lui demander de vous comprendre, à son tour, dêtre au moins désireux de le faire, dêtre sur la même longueur donde que vous. On doit se mettre au diapason, comme un orchestre en train de saccorder. Pourtant, un ensemble a devant lui un chef dorchestre. Les danseurs nen ont pas. Cest donc au chorégraphe de faire en sorte que le morceau sa propre identité et vibration, sans que quelquun vienne de lextérieur donner des ordres à tout moment, comme cela se passe pour un orchestre. »



    Gigi Căciuleanu précisait aussi: « Ce moment-là est très spécial pour moi, cest un duo que jai dansé pendant longtemps avec Ruxandra Racoviţă. Le spectacle est dédié à Miriam Răducanu, mais jai profité de loccasion pour y glisser une allusion à Ruxandra. Jai tissé beaucoup de choses autour de la linéarité de son corps et jai demandé avec insistance aux danseurs de sidentifier à cette linéarité, à cette extension du corps pareil à une corde de violon que Ruxandra possédait naturellement et que jai mise en valeur dans cette minute de danse. Cest comme un numéro de trapèze où tout se déroule au ralenti et où les deux corps dépendent beaucoup lun de lautre ; cest comme dans la vie : nous vivons avec quelquun et le temps qui passe nous marque et nous sculpte à chaque fois différemment. Le temps passe, le temps revient et touche tout le monde, mais tout particulièrement un couple. Ce duo de danse a son histoire : je lai appelé, à un moment donné, « système lié ». Cest là une notion astronomique plutôt bizarre. Par exemple si lon prend en compte la Terre et la Lune, la Lune est mobile par rapport à la Terre, elle aussi en mouvement. Elles forment un système. Si on les pèse séparément, ensuite ensemble, on constate que le système perd un peu de sa masse, en raison justement du fait que le système est lié. Cest ce qui arrive dans la vie aux gens qui sont liés par le mariage ou par un sentiment damour, mais aussi aux partenaires de danse, comme Fred Astaire et Ginger Rogers ou aux partenaires dacrobatie, au cirque ou encore au chevalier et son cheval. En raison de cette osmose, du fait quils dépendent lun de lautre, le système quils constituent devient plus léger que les deux éléments pris séparément. »



    Le spectacle de Gigi Căciuleanu, où il se trouve aux côtés de Irina Ştefan, Răzvan Stoian et Paul Ilea, reste à laffiche pendant toute la durée du Festival international de musique « George Enescu », qui sachève le 20 septembre. (Trad. : Dominique)

  • Le Musée de la Danse moderne et contemporaine.

    Le Musée de la Danse moderne et contemporaine.

    Une initiative unique en Roumanie qui se propose d’éveiller l’intérêt du public vis-à-vis de l’histoire de la danse roumaine contemporaine. Imaginé comme une installation vidéo à projections multiples, parsemé d’un matériel documentaire issu des archives et couvrant les années 1927- 1996, le musée prépare en fait le prochain lancement des Archives complètes de la Danse Roumaine. Lancé sous une dénomination assez prétentieuse- celle de musée- l’exposition inaugurée le 5 juin a attiré un public nombreux.

    Le commissaire Igor Mocanu nous en parle: « Apparemment, le titre a bien répondu à son but, celui de contrarier et d’intriguer les visiteurs qui ont afflué vers nous, pour voir l’exposition. Pourtant, cette astuce ne nous appartient pas. Les expositions temporaires s’en servent souvent. Il suffit de penser un peu au Musée de la BD, un projet portant la signature du caricaturiste Alexandru Ciubotariu. Comme quoi, la culture roumaine a déjà assisté à la mise en place de plusieurs musées temporaires dont le but est notamment celui d’alerter le public sur l’absence d’une institution en chair et en os, pour ainsi dire, qui se consacre entièrement à certains arts. Du coup, l’exposition dont on parle aujourd’hui s’est proposé justement de parler de la nécessité de doter Bucarest d’un musée permanent consacré à la danse moderne. On ne saurait couvrir ce domaine à l’aide de seulement quelques livres et quelques matériels issus des archives du Centre national de la danse. »

    Aux dires de Igor Mocanu, le projet du Musée de la Danse moderne et contemporaine ne se propose pas de dévoiler au public les principaux repères de la danse roumaine, par contre, il souhaite le surprendre par une série de documents inédits sur l’activité de plusieurs chorégraphes connus ou moins connus: « L’exposition comporte aussi plusieurs extraits des films de fiction qui parle de la danse ou qui ont à l’affiche des danseurs. C’est le cas de Lisette Verea, une excellente comédienne des années 1930 qui a eu une petite séquence de danse dans le film policier Le train fantôme de Jean Mihail. C’est une danse sur des rythmes rappelant les chorégraphies de Fred Astaire, une séquence très importante pour l’histoire de la danse contemporaine roumaine. Et quand je dis importante, je ne parle pas de la valeur esthétique, mais plutôt de l’importance d’une telle chorégraphie pour ces années là. Paul Ricoeur disait que les documents jouent un rôle véritatif, puisqu’ils sont tenus de dire la vérité sur certains aspects de notre vie. C’est pour cela qu’ils s’avèrent tellement importants. »

    L’exposition installation du Musée de la danse moderne et contemporaine est partagée en trois parties. La première est celle contemporaine, de remise en scène et de reconstitution de spectacles anciens. C’est ici qu’est exposé le spectacle de Florin Flueras et Brynjar Bandlien, Le marteau sans maître, d’après la pièce homonyme de Stere Popescu présentée en 1965 à Paris où elle a provoqué de fortes controverses. Elle a carrément divisé le public en deux : d’un côté ceux qui applaudissaient frénétiquement et de l’autre ceux qui sifflaient le spectacle. Seulement quelques minutes ont été gardées du Marteau sans maître. Ce qui plus est, les deux chorégraphes ont repensé ces moments. S’y ajoutent les deux reconstitutions faites d’après les photos de Lizica Codreanu, prises par Brancusi dans son atelier parisien dans les années 1920. Il s’agit de la reconstitution de Vava Stefanescu, en 1994 et de celle de mars 2015 faite par les élèves du lycée de Chorégraphie Floria Capsali de Buacrest.

    Ecoutons Igor Mocanu : « La deuxième partie de l’exposition contient quatre portraits de chorégraphes : Floria Capsali, Leria Nicky Cucu , Miriam Raducanu et Vera Proca Ciortea. La troisième partie de l’exposition est une mini salle de cinéma où sont projetés des documents sur Elena Penescu Liciu, Esther Magyar, avec le groupe Contemp des années 1990 et le groupe les Marginaux, de la même époque. Leria Nicky-Cucu est présente avec un film indépendant tourné dans son propre jardin en 1933 et intitulé Divertissement de danses, dans lequel elle apparaît, semble-t-il, aux côtés de ses étudiantes et collègues du studio de chorégraphie qu’elle conduisait. Le film passe en revue toutes les pratiques chorégraphiques de l’époque. Il y a aussi de l’improvisation, des danses de caractère, de société, même un échantillon de ballet classique qui finit avec une ronde traditionnelle roumaine. Floria Capsali a fait partie de l’équipe de sociologues de Dimitrie Gusti et s’occupait du côté chorégraphique de la culture traditionnelle roumaine. Le film projeté au Musée de la danse moderne et contemporaine constitue un document important pour l’histoire de la danse, même moderne et contemporaine, puisqu’il ne s’agit pas d’une danse traditionnelle, c’est une reconstitution esthétisée, dans un studio avec des décors, des costumes et une expressivité très construite. On découvre immédiatement le style de la chorégraphe. Le portrait de Miriam Raducanu est composé de quatre documents vidéo. Deux d’entre eux sont assez connus. Il s’agit de films qu’elle avait tournés dans les années 1970 pour la maison de films documentaires Sahia Film. Les deux films sont précédés de deux autres documents inédits que nous avons découverts aux Archives nationales du film. L’un d’entre eux est une sorte de soirée artistique au Musée Zambaccian de Bucarest, c’était le début de cette mode du vernissage interdisciplinaire. C’est un document extrêmement important puisqu’il marque une date tout aussi importante pour l’histoire de la danse et une forme de danse qui est très connue depuis très peu de temps : la danse de galerie d’art. »

    Vera Proca Ciortea a été une chorégraphe tout aussi connue que les autres noms figurant dans l’exposition. Elle venait du domaine de la danse rythmique et s’est fait connaître après les années 1970 en tant qu’ethnologue, puisqu’elle a beaucoup écrit sur la danse traditionnelle en Roumanie et à l’étranger. Le genre créé par Vera Proca Ciortea a été défini par le critique Liana Tugearu comme la danse rythmique roumaine.

  • Les «căluşari» et leur danse

    Les «căluşari» et leur danse

    Dérivé du mot latin «caballus» qui signifie cheval, «căluş» est un mot roumain qui désigne la danse traditionnelle de l’homme – cheval. Les danseurs, exclusivement des hommes, sont appelés « căluşari ». Les origines de la danse sont à retrouver dans un rite de fertilité païen, dont le but était d’apporter la chance, la santé et le bonheur dans les villages où il était pratiqué.

    De nos jours, ce rituel est de plus en plus rare. C’est une danse traditionnelle connue perpétuée sous forme de spectacle, mais ses liens avec les rites anciens sont tombés dans l’oubli. Peu de Roumains savent encore que la danse des « căluşari» est spécifique à la fête de la Pentecôte. En tant que personnages, les « căluşari » jouaient un rôle précis, étroitement lié à d’autres personnages mythiques, comme les sirènes.

    Delia Suiogan, ethnologue à l’Université du Nord de Baia Mare, explique : «Les participants à la danse des « căluşari » changent complètement de statut au moment où ils acceptent de faire partie du groupe des « căluşari ». Ils jouent un rôle qu’ils doivent assumer complètement. Entrer dans le groupe des « căluşari » signifie renoncer à sa nature humaine pour se transformer en un personnage mythique, ayant une fonction magique bien précise. C’est pourquoi le groupe des « căluşari » prête un serment qu’il doit respecter à tout prix et porte toujours un drapeau. Sans ce drapeau la danse ne peut pas être réalisée, c’est le symbole d’un axis mundi autour duquel les danseurs forment un cercle magique. Par ailleurs, les « căluşari » sont les seuls capables de guérir les jeunes hommes charmés par les sirènes, ces personnages maléfiques, avec des pouvoirs extraordinaires.»

    Le groupe de « căluşari » a toujours un nombre impair de danseurs. Au début il y en avait 5, puis – 7, puis – 9, pour arriver ensuite à 12, soit le nombre des mois de l’année. Deux danseurs dirigent le rituel. L’un est muet, l’autre porte le drapeau et commande le groupe.

    Delia Suiogan nous en dit davantage: «Le drapeau est érigé la veille de la Pentecôte et il comporte 9 plantes magiques, dont les plus puissantes sont l’ail et l’absinthe. Toutes les femmes qui participent à la danse des « căluşari » tentent de voler ces plantes qui pouvaient guérir des maladies quasi incurables, que les gens redoutaient dans l’antiquité. »

    Sauts à la verticale et à l’horizontale, cercles rapides : les mouvements des « căluşari » sont spectaculaires. Mais l’aspect le plus important, c’est l’appartenance à un groupe aux pouvoirs miraculeux. C’est justement pourquoi ce rituel figure depuis 2005 sur la liste du Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. (Trad. Valentina Beleavski)

  • “Lizica Codréano, une danseuse roumaine dans l’avant-garde parisienne”

    “Lizica Codréano, une danseuse roumaine dans l’avant-garde parisienne”

    On en parle beaucoup, on en rêve également, mais, en tant que profane, on n’a pas toujours une image bien claire et définie du cercle artistique exceptionnel rassemblé autour du solitaire Constantin Brancusi. Si nous avons effleuré le sujet à l’occasion du jeu-concours de RRI, « Milita Petrascu — génération Brancusi », nous allons vous introduire davantage dans ce milieu hautement créatif et pittoresque, grâce à un livre dont la version en roumain a récemment été publiée aux Editions Vellant, « Lizica Codréano, une danseuse roumaine dans l’avant-garde parisienne ».


    Lever de rideau avec Doïna Lemny, conservatrice au Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, à Paris, historienne de l’art, spécialiste de l’œuvre de Brancusi et auteure de ce livre sur la danseuse Lizica Codréano, parue initialement aux Editions Fage.


  • Le chorégraphe Gigi Căciuleanu

    Le chorégraphe Gigi Căciuleanu

    «Gigi Căciuleanu dépasse, en matière d’envergure et de démarche culturelles, l’espace chorégraphique. Il est un grand créateur, en termes absolus, un innovateur et en même temps un homme de synthèse», affirmait Alina Ledeanu, directrice de la publication «Le XXIe siècle», lors du lancement du numéro paru sous le titre «Danse-danse-danse». Artiste international, lauréat de maints prix, le chorégraphe Gigi Căciuleanu est membre fondateur du Conseil International de la Danse auprès de l’UNESCO, en 1974, et à compter de 2001, directeur artistique du Ballet National du Chili, El Banch. Aux origines russes et grecques, Gigi Căciuleanu est né en Roumanie. Il déclarait dans une interview qu’il ne se sent chez lui que «dans une salle de danse, de spectacle, où qu’elle puisse se trouver». «Devant le public, je suis toujours chez moi», concluait-il.



    Gigi Căciuleanu se plaît à dire qu’il n’est pas chorégraphe mais «faiseur de danse», et que ses créations ne sauraient être désignées par le terme de danse. Gigi Căciuleanu: «Ce que je fais, c’est du théâtre chorégraphique, qui est l’inverse du théâtre-danse. Dans le théâtre danse, qui a été inventé par Pina Bausch, le danseur est appelé à penser et à réagir tel un comédien sur la scène. C’est une heureuse trouvaille, qui a amené en grand nombre les spectateurs de théâtre aux spectacles de danse. Moi, je m’intéresse aux mécanismes internes du mouvement, qui ne concernent pas que le danseur. En fait, certains mouvements internes sont à retrouver chez tous les gens. Par ailleurs, le danseur se transforme en quelque chose qu’il est le seul à pouvoir incarner. Autrement dit, alors que dans le théâtre le geste est traduit, dans la danse il l’est davantage, de sorte qu’il ne ressemble pas au mouvement quotidien, ni même à ceux du théâtre. Bref, je dirige le danseur d’abord vers le jeu théâtral – et là c’est de la danse–théâtre – et tout de suite après je l’emmène, le plus impétueusement possible, à l’état de danse, cette étape de transposition du mouvement en métaphore. Pour ce faire j’ai besoin de versions fort intelligentes, voire savantes».



    Il existe quelques termes capables d’offrir une définition brève mais complète de Gigi Căciuleanu. A ceux déjà mentionnés, à savoir «faiseur de danse» et «théâtre chorégraphique», on pourrait ajouter celui de «danse autrement». Ce dernier est d’ailleurs le titre du manifeste personnel de l’artiste, lancé en 2005 à Santiago du Chili. «A un moment donné, j’ai été très irrité de constater que le public mais notamment les hommes politiques de la culture nous mettent dans des tiroirs. J’ai alors dit que je revendiquais le droit d’être moi-même, le droit de chaque artiste d’être soi-même. A savoir ne pas faire quelque chose, parce que c’est la coutume ou encore choquer uniquement par le pur plaisir de choquer. S’exprimer soi-même doit être la seule préoccupation de l’artiste. Parce qu’à mon avis, cet art ne doit pas être privée de sincérité. Nous savons qu’au moment où nous dansons, nous sommes seuls. Nous ne saurions être plus seuls que ça, même lorsque nous dansons avec quelqu’un. Et lorsque nous dansons en groupe, la solitude est terrible. C’est ce que ressens. J’ai le sentiment d’être responsable de tout ce qui m’arrive et de tout ce qui arrive à celui qui me regarde. Mais cette solitude n’est pas du tout tragique. C’est la solitude du coureur de longue distance, une solitude qui a quelque chose de beau. Le problème c’est que je suis aussi compositeur et le meneur de mon propre corps. Nous avons à la fois de grandes responsabilités et de nombreuses tâches. Je ne vois pas pourquoi je perdrais mon temps et ma vie à faire ce que quelqu’un dit que je devrais faire.»



    Gigi Caciuleanu est diplômé de l’Ecole nationale supérieure de chorégraphie de Bucarest. A 14 ans, il découvre la danse contemporaine auprès de Miriam Raducanu, cette grande dame de la nouvelle danse roumaine. Une fois les études à Bucarest achevées, Gigi suit un stage de perfectionnement en techniques classiques au Bolchoï, à Moscou.



    Au début des années’ 70, Gigi Caciuleanu est chorégraphe invité et professeur de danse contemporaine au Folkwang Ballet d’Essen-Werden, en Allemagne, dirigé par Pina Bausch. En 1973, Gigi Caciuleanu fonde le Studio de danse contemporaine — une compagnie de douze interprètes au répertoire contemporain — aux côtés de Rosella Hightower, avant de lui succéder à la direction du Ballet du Grand Théâtre de Nancy, lannée suivante. Lauréat de plusieurs prix en France, Gigi Caciuleanu crée au théâtre Espace Pierre Cardin de Paris le spectacle «La folle de Chaillot» avec Maïa Plissetskaïa. Fin 2010, lors du Bicentenaire de la République du Chili, un prix spécial lui est consacré pour son activité aux côtés de la compagnie El Banch, avec laquelle il collabore depuis 13 ans. Il reçoit aussi à Rome le prix «Roma in danza» pour sa contribution au développement, à la définition et la reconnaissance de la danse contemporaine dans le monde. (trad.: Mariana Tudose, Alexandra Pop)


  • La 6e édition du festival Temps d’images

    La 6e édition du festival Temps d’images


    Théâtre, danse, vidéo — Temps d’images, c’est un festival ciblé sur la mission sociale de l’art. Miki Branişte est la présidente de l’Association ColectivA et directrice du festival : «Le Festival a démarré d’une manière un peu différente en 2008 et je crois que la direction actuelle s’est dessinée avec le temps. Trois éditions se sont avérées nécessaires pour nous rendre compte où nous en sommes. Un déclic s’est produit en 2011. Les mouvements sociaux dans le monde arabe m’ont beaucoup touchée. Je me suis rendu compte que l’on était témoins de moments très importants et que les changements qui avaient lieu allaient mettre leur empreinte sur l’histoire. C’est pourquoi notre démarche devrait refléter, à l’aide des artistes invités, ce moment crucial pour notre avenir. C’est pourquoi les thèmes abordés relèvent plutôt du domaine social, des changements économiques et politiques qui nous concernent tous. Je pense que l’art peut proposer une perspective nouvelle sur ce que nous considérons d’habitude comme un travail de Sisyphe ».



    Déroulé en novembre, à Cluj, dans le centre-nord du pays, le Festival, à sa 6e édition en Roumanie, a une histoire plus longue dans le paysage européen. Sa création en 2002, on la doit à la chaîne de télévision ARTE et à la Ferme du Buisson — La scène nationale Marne-la-Vallée de France. Le long des années, le projet Temps d’images, soit un festival de théâtre, danse et images photo et vidéo s’est élargi à 10 pays, – Belgique, Estonie, France, Allemagne, Italie, Portugal, Pologne, Roumanie, Hongrie et Turquie.



    Chaque édition du festival organisée en Roumanie a proposé des thèmes différents, s’inspirant des réalités sociales et renvoyant tous à un fil rouge. Miki Braniste : «Si en 2012, le festival a parlé de l’avenir, en 2013 le sujet central a été la solidarité. Les discussions, l’année dernière, avec les artistes et le public ont abouti à la conclusion que l’on ne peut rien faire dans ce monde si on est seuls, et qu’il faut agir ensemble. Je me rends compte qu’il faut aller au delà du concept de solidarité et chercher les causes pour lesquelles on pourrait être solidaires. J’aimerais par exemple inviter des artistes du Japon, un pays confronté à présent à des questions liées à l’écologie. Je pense que ce thème de l’écologie dont l’art traite très peu sera désormais un sujet très important pour nous tous ».



    Le thème de la solidarité s’est donc retrouvé dans tous les événements organisés dans l’édition actuelle du Festival Temps d’images. La directrice Miki Braniste nous en donne quelques exemples: « On a organisé beaucoup de débats qui ont réuni artistes roumains et étrangers, producteurs et directeurs de festivals étrangers. Bien que chacun d’entre eux ait fait le point sur la situation dans son pays, on a bien vu qu’il y avait un problème global et qu’on avait tous besoin de solidarité. C’est un thème qui préoccupe aussi le public. En attestent les retours reçus. Ces débats, on peut les poursuivre à Cluj, même après le Festival, afin de convaincre les gens à assumer leur rôle de citoyens ».



    C’est toujours sur la solidarité que porte le spectacle de danse « Parallel » réalisé par Ferenc Sinkó et Leta Popescu avec à l’affiche les danseuses Lucia Marneanu et Kata Bodoki-Halmen. Un véritable coup de cœur pour le critique de théâtre Oana Stoica: « C’est une représentation qui s’ouvre sous les auspices de la danse contemporaine pour finir sous celles du théâtre. Le spectacle s’interroge notamment sur l’identité, le lesbianisme, la façon dont les hommes et les femmes se regardent les uns les autres au sein d’une société en proie aux clichés et préjugés. Le spectacle parle de tous ces stéréotypes à travers lesquels on a appris à juger l’autre et s’attaque notamment à la sensualité et la sexualité. C’est une production très forte qui place sur le devant de la scène deux artistes dont l’évolution n’a rien à voir avec ce qui se passe d’habitude sur les scènes de Roumanie. Elles arrivent à intégrer la danse et le texte, très poétique d’ailleurs, dans leurs gestes. Concrètement, elles bougent, tout en mettant un fort accent sur les paroles. En dansant en parallèle dans deux espaces différents créés sur la même scène, les deux artistes marquent le passage de l’identité féminine à celle masculine. Or, cette métamorphose s’avère traumatisante, comme par exemple le moment où elles bandent leurs seins de scotch pour annuler leur féminité. Une image très dure et pénétrante pour le public ».



    La sélection du Festival Temps d’Images «a mis en évidence la spécificité actuelle du théâtre roumain: c’est-à-dire des textes à caractère social inspirés des réalités contemporaines », selon le critique Oana Stoica qui nous parle de ce que le festival a de particulier: «Il met en lumière les problèmes de la société en s’interrogeant là-dessus. L’artiste soulève certains problèmes, en insistant sur les vices de la société. Il pose des questions, sans offrir cependant des solutions. Car, finalement, ce n’est pas à lui de le faire, il doit juste de mettre les points sur les i. Je crois que le public a besoin d’une telle approche, vu qu’il se retrouve devant une forme verbalisée de tous ces problèmes qu’il ne sait pas les exprimer tout seul. Je dirais que l’art et le théâtre de Roumanie devraient se pencher davantage sur les tracas des gens de la rue pour en parler plus directement en renonçant aux métaphores »…(trad. : Ioana Stancescu, Alexandra Pop)


  • Tribal Fest à Bucarest

    Tribal Fest à Bucarest

    Andreea Bonea est diplômée de la faculté de droit et elle a été chef de projet chez Google et Yahoo. Après avoir travaillé, pendant 9 ans, à Sillicon Valley, aux Etats-Unis, elle est revenue en Roumanie, avec des connaissances professionnelles impressionnantes et avec un hobby pas comme les autres: la danse du ventre. Comment a-t-elle découvert ce type de danse? Elle nous le raconte elle-même. « La première année après mon arrivée à Sillicon Valley, j’ai tâché de me repérer, de voir comment ça se passait, comment vivaient des gens… Et j’ai constaté qu’à part leur travail – leur principale occupation – les gens avaient des hobbys. Je n’avais pas encore d’amis, ma vie sociale n’était pas tellement riche et je me suis rendu compte que pour avoir accès plus facilement à une communauté — autre que celle du boulot — il me fallait un hobby. Au début, j’ai été très attirée par le flamenco, qui me semblait une danse très vigoureuse, très dramatique, pourtant je n’étais pas si passionnée de flamenco pour y investir de l’argent et m’acheter l’équipement nécessaire. Alors, je me suis tournée vers la danse du ventre. Lorsque j’ai rejoint la classe de danse de mon premier professeur, en voyant le corps de cette femme, sa façon de se mouvoir, ses gestes et tout, j’ai été fascinée par cette danse et j’y suis restée pendant 3 ou 4 ans. »



    Qu’est-ce qui rend la danse du ventre tellement fascinante ? Selon Adreea, c’est n’est pas une simple danse, c’est beaucoup plus. Et cette danse a enrichi sa vie d’une manière tout à fait inattendue. « Cela m’a rendue tellement confiante et disciplinée et m’a fait comprendre que mes limitations étaient d’ordre mental. Je me suis rendu compte que si j’ai réussi à exécuter certains mouvements, je pouvais réussir aussi d’autres choses. Cela m’a donné le courage d’entamer des projets dans d’autres domaines. Sans compter les bénéfices strictement physiques… La danse du ventre vous maintient en forme. D’habitude, on doit l’accompagner d’un autre type de danse — du moins c’est ainsi que cela se passait aux Etats-Unis. Pour acquérir la résistance dont on a besoin, ont doit faire, parallèlement, de la danse classique ou une gymnastique douce — pilates, par exemple — ou du yoga, afin de renforcer ses muscles. Il ne suffit pas de faire les exercices obligatoires pour la danse du ventre. Moi, j’ai choisi le yoga. La danse du ventre m’a ouvert ainsi les portes d’un autre univers, que je ne pensais pas pouvoir découvrir. Donc, à part la danse du ventre, j’ai commencé à pratiquer le yoga, qui a complètement changé ma vie. »



    La danse du ventre ne jouit pas d’une très bonne réputation en Roumanie. Associée d’habitude à un genre de musique d’origine orientale appelé « manea » et, plus récemment, à une série télévisée très populaire en Roumanie qui raconte la vie d’un sultan turc, ce type de danse a quand même ses admirateurs et pratiquants sur les rives de la rivière Dâmboviţa, qui traverse la capitale. Il y a même une petite communauté de danseuses, qu’Andreea Bonea n’a pas manqué de connaître. Pourtant, dans son bagage de connaissances apportées d’Amérique, se trouvait, « soigneusement rangé » un nouveau courant pour les danseuses de Roumanie : le Tribal Fusion. Qu’est-ce que c’est que le Tribal Fusion? « C’est une danse tribale orientale, qui repose sur la danse tribale du ventre, un filon qui fusionne avec d’autres styles de danse. On peut avoir ainsi la danse du ventre avec du tango, avec du flamenco ou encore avec du hip hop et du break dance. C’est une forme contemporaine de danse du ventre qui est pratiquée depuis les années 2000 à San Francisco, où j’ai appris pendant 9 ans. En Roumanie, il n’y a rien de tout cela ; la communauté de danse du ventre est très petite, mais très passionnée ; cette niche était inexistante. Etant si attachée au phénomène, je me suis rendu compte que c’était la meilleure occasion pour moi de contribuer au renforcement de la communauté de danse d’ici et de donner l’occasion aux danseuses roumaines de connaître des monitrices internationales de tribal fusion de différents coins du monde ».



    L’expérience comme chef de projet dans les grandes compagnies dans lesquelles elle a travaillé ont aidé Andreea à mettre sur pied le premier festival de Tribal Fusion Belly Dance, qu’elle a appelé Tribal Fest. Ce qui n’est pas facile du tout, étant donné qu’elle vient de donner naissance à une petite fille. Malgré cela, elle a été l’âme du festival qui a eu lieu le week-end dernier à Bucarest. Même si l’audience n’a pas été très grande, chaque jour, d’autres spectateurs ont pris place dans la salle, fait dont Andreea s’est félicitée. « De grands noms de cette niche de danse du ventre tribal fusion ont été présents, des Etats Unis, du Royaume Uni, d’Italie, de Slovénie, des Pays-Bas, d’Ukraine… Ce fut un festival international de 3 jours où nous avons eu de nouvelles personnes dans la salle chaque jour ; j’en ai été très contente. Il a culminé par un spectacle de gala. C’était le moment que je n’oublierai pas. Toutes les danseuses étaient sur scène, un nombre impressionnant, avec leurs différents costumes et leurs énergies, et je me suis rendu compte que j’avais placé Bucarest sur la carte du Tribal Fusion. Au bout de ces trois jours, j’ai respiré et j’ai été très heureuse ».



    Ce n’est pas facile d’aller jusqu’au bout dans ce que l’on fait, dit Andreea Bonea. Il y a beaucoup d’idées et pas mal de gens pour les penser. Ce qui est plus difficile, c’est de finaliser un projet, qu’il s’agisse d’un projet informatique ou de danse du ventre. Pourtant, elle a réussi à placer Bucarest sur une carte, celle d’un monde sensuel, qui, considéré de manière superficielle, peut tromper l’œil. Pour 2014, Andreea Bonea a déjà des plans. Qui vont d’une salle de yoga à une deuxième édition de Tribal Fest, que nous vous suggérons de ne pas rater, s’il vous arrive d’être à ce moment à Bucarest. (Trad. : Ligia Mihăiescu, Dominique)