Tag: écrivain

  • L’écrivain Nicolae Steinhardt…

    L’écrivain Nicolae Steinhardt…

    Né en juillet 1912 et décédé au printemps 1989, avant de voir la chute du régime communiste, Nicolae Steinhardt est devenu, à titre posthume, un symbole d’anticommunisme et de résistance par la religion et la culture. Docteur en droit, passionné de littérature et d’écriture dès l’entre-deux-guerres, Nicolae Steinhardt faisait partie du groupe d’intellectuels dit Noica-Pillat, dont les membres ont été condamnés à des peines de prison par les autorités communistes pour des actions contre l’État. Parmi ces actions, il y avait aussi la lecture de livres considérés comme subversifs à l’époque. C’est le moment où l’étiquette de « subversif » commence à s’appliquer à Steinhardt, un intellectuel qui, en fait, a toujours été original et non-conformiste. Par exemple, « Dans le genre des jeunes », son volume de début dans les années 1930, est un volume qui parodie le style littéraire, et non seulement, de la jeune génération de l’époque, qui comprenait également ses amis Mircea Eliade, Constantin Noica et Emil Cioran, tous marqués par la variante roumaine de l’existentialisme, mais aussi par l’option des idéologies politiques d’extrême droite.



    Arrêté en 1960 et libéré en 1964, lors de l’amnistie générale des prisonniers politiques, Steinhardt entreprendra un autre acte subversif : l’échec de sa proximité avec le judaïsme indigène l’amènera à se convertir à l’orthodoxie et, enfin, à faire son entrée en religion au monastère de Rohia du Maramureş. Vêtir l’habit monastique ne signifiera pas, pour lui, abandonner l’écriture ; Steinhardt publie quelques livres pendant le communisme, après que son droit de signature lui eut été rendu. Que peut-on conclure de l’analyse de son travail et de sa biographie ? Le critique littéraire Cosmin Ciotloş nous en parle :



    « Steinhardt était subversif aussi par rapport à sa génération légionnaire, et par rapport à ce qui s’est passé dans les années 50, et également par rapport aux modèles structuralistes des années 60-70 et ainsi de suite. Et il parvient presque à être subversif aussi par rapport à la lecture qui lui a été appliquée pendant près de 30 ans, à titre posthume cette fois. Quant à ses relations avec les utopies ou les utopismes en tout genre, on peut déjà en déduire clairement qu’il les a dribblés. Steinhardt a réussi à dribbler ces tentations utopiques par sa façon d’être. »



    Les tentations utopiques que Nicolae Steinhardt a dribblées étaient à la fois les idéologies de gauche et d’extrême droite ou les totalitarismes qui en ont émergé. Sa manière d’être – nuancée, humaniste et toujours prête au dialogue – ressort d’ailleurs le mieux du « Journal du bonheur », son livre le plus connu, paru après 1989, dont le manuscrit a été saisi par la Securitate communiste. Comment Steinhardt apparaissait-il pour la première fois aux yeux d’une personne avec qui il n’avait pas encore eu de dialogue ? Nous l’apprenons de l’universitaire Mihai Zamfir qui a eu le privilège de le connaître dans les années 1970. Le Pr Zamfir :



    « Bien sûr, quand je l’ai rencontré la première fois, je ne savais pas qui il était. Je savais vaguement qui il était, et alors son portrait s’est dessiné par la suite avec le recul, en lisant, au début, les livres qu’il était autorisé à publier après sa sortie de prison, puis en lisant les nombreuses pages qui sont apparues après 1990. C’est ainsi que j’ai vu, en fait, à qui j’avais affaire. J’ai découvert l’envergure réelle de cet homme maigrichon, et insignifiant en apparence. Quand je l’ai connu, il était près de devenir moine et c’est pourquoi il semblait encore plus effacé, et moins important, physiquement parlant. Sachez que la différence entre Steinhardt et ses soi-disant collègues, les critiques littéraires des années 70-80, était énorme, et il essayait tout le temps de l’escamoter. Il avait une culture écrasante envers les autres. (…) Ce que Steinhardt savait était si écrasant par rapport aux autres que ce n’est que rarement et seulement dans certains articles qu’il a introduit le scalpel philosophique en littérature pour en faire ressortir ce que d’autres ne remarquaient pas. »



    Récemment, l’œuvre de Nicolae Steinhardt a bénéficié d’une nouvelle analyse à travers l’œuvre « Les Ages de la subversion. N. Steinhardt et la déconstruction des utopies », écrit par Adrian Mureşan. Qu’est-ce que l’auteur a découvert à cette occasion ? Adrian Mureşan :



    « J’ai souvent senti que le cadrage de Steinhardt n’était pas très précis. On a parlé de lui comme d’un dissident, sans même que certains orateurs sachent ce que dissidence voulait dire, y compris du point de vue étymologique. Mais on est également passé à l’autre extrême. J’ai polémisé dans le livre avec quelques voix qui ont minimisé excessivement la contribution de Steinhardt. Certaines voix se demandaient, par exemple : « Pourquoi le testament politique de Steinhardt avec ses célèbres solutions de résistance est-il si important ? Tout est beau sur le papier, mais quelle valeur ont-elles dans la pratique ? » Or la protestataire Doina Cornea et d’autres, pas beaucoup, ont démontré que cette partie de théorie pouvait admirablement être mise en pratique – pas par beaucoup, il est vrai. Une deuxième partie du livre concerne un autre cliché avec lequel j’ai ressenti le besoin de polémiser. Il s’agit de Nicolae Steinhardt, le critique littéraire. Ce que j’ai entrepris, c’est de démontrer que Steinhardt était, en fait, un critique culturel. Et enfin, la troisième partie concerne la manière dont Steinhardt lit la littérature française et anglaise, c’est-à-dire, si on parle de manière réductionniste, le modèle culturel et littéraire européen tel qu’il apparaît dans la littérature française et anglaise principalement. Il existe deux âges de la subversion chez Steinhardt : l’âge d’entre-deux-guerres, un âge de la contestation parodique du jeune conservateur, mais rebelle, et le deuxième âge, l’âge de la maturité subversive, qui est naturellement celui de l’essayiste de l’après-guerre qui a « l’honneur » d’être persécuté par son pire ennemi même, le communisme avec tous ses avatars. Steinhardt a été, en effet, un véritable anticommuniste ou antisocialiste depuis la fin de son adolescence. »



    L’antitotalitarisme de Steinhardt était bien connu des communistes, à preuve l’ample dossier de poursuites établi par la Securitate à son nom : 11 volumes constitués par la participation de plus de 500 officiers, 70 indics et une surveillance constante pendant 30 ans.


    (Trad. : Ligia)


  • Mircea Eliade

    Mircea Eliade

    Mircea Eliade a été, sans l’ombre d’un doute, une des grandes personnalités de la culture roumaine du vingtième siècle. L’éclectisme de ses passions, depuis l’histoire des religions et jusqu’à son engouement pour la littérature de fiction, ont fait de lui un auteur complexe, dont les thèses faisaient autorité à l’Université de Chicago, où il a été le titulaire de la chaire de l’Histoire des religions, de 1956 et jusqu’à sa mort, survenue en 1986.

    Né le 9 mars 1907, à Bucarest, dans une famille aux origines moldaves, de la ville de Tecuci, Mircea Eliade se distingue déjà parmi ses camarades de classe. Il suit ses humanités au lycée « Spiru Haret », creuset de bon nombre de personnalités culturelle roumaines de l’entre-deux-guerres, parmi lesquelles mentionnons l’écrivain et journaliste Arșavir Acterian, l’écrivain et le poète Haig Acterian, le philosophe Constantin Noica ou encore le critique d’art Barbu Brezianu. Entiché de sciences naturelles, tout autant que d’alchimie et d’occultisme à l’époque de son adolescence, il se découvre une passion pour la littérature, à travers la découverte de l’œuvre monumentale d’Honoré de Balzac, auquel il voue un véritable culte, puis d’un contemporain, Giovanni Papini. Etudiant en Lettres et en Philosophie, Mircea Eliade soutient sa thèse, à l’Université de Bucarest, sur Tommaso Campanella, poète et philosophe utopiste italien.

    Polyglotte sans complexes, Eliade deviendra l’un des historiens des religions les plus influents de son temps. Il signera plus de 30 ouvrages, traduits en 18 langues, portant notamment sur la persistance de la pensée mythique dans les sociétés modernes, sur la relation entre le sacré et le profane, sur le mythe des origines ou encore sur la pensée de type cyclique de l’homme traditionnel. Mais Eliade s’avère également un littéraire prolifique, auteur de 12 romans, dont « La nuit bengali » et « La forêt interdite » demeurent les plus connus. Enfin, Mircea Eliade est un mémorialiste passionné, témoin d’une génération culturelle d’exception, confrontée aux vicissitudes de l’époque mouvementée qu’elle est obligée de traverser. Eliade a par ailleurs été l’un des premiers orientalistes roumains. En effet, très jeune, il tombe amoureux de l’Inde, où il débarque de 1928, et qu’il ne quittera qu’en 1933. C’est là qu’il apprend le sanscrit et qu’il devient familier d’une spiritualité orientale foisonnante, au milieu d’une société imprégnée de sens religieux. C’est de son expérience indienne qu’il trouve l’inspiration de son premier roman, « La nuit bengali », dont le personnage principal, Maitreyi, n’est autre que la fille de son hôte et maître spirituel.

    A son retour d’Inde, Eliade soutiendra sa thèse de doctorat sur les techniques du yoga. L’archive d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine recèle un document exceptionnel : l’interview de Mircea Eliade, réalisée en 1970 par Monica Lovinescu, célèbre critique littéraire et dissidente anticommuniste, chroniqueuse littéraire à la radio Free Europe. Dans son interview, Mircea Eliade parle de sa période indienne comme d’une période charnière, qui l’aidera à comprendre le sens de l’histoire, soit le dialogue des cultures. Son voyage passionnant à travers le monde des mythes et des croyances religieuses avait commencé là-bas, en Inde : « Depuis mon retour d’Inde, j’avais compris les limites du provincialisme culturel occidental. J’ai compris qu’il fallait nouer, surtout après la Deuxième guerre mondiale, des ponts entre les diverses cultures- occidentale, orientale, cultures archaïques. Qu’il n’existe pas de meilleure introduction à une autre culture que de comprendre ses traditions, la structure religieuse de cette culture. L’histoire des religions me semblait dès lors une première étape pour comprendre l’altérité, les autres cultures, dans une démarche respectueuse de l’autre, d’égal à égal, dans une démarche de dialogue. Et j’ai eu alors la certitude que mes recherches, mes ouvrages, allaient trouver un public réceptif, intéressé et attentif, parce que la réalité historique me donnait raison. »

    Mircea Eliade s’est voulu un savant total, dans l’acception ancienne du terme, avant le cloisonnement de la science, de la philosophie et des lettres, dans leurs prés carrés respectifs. Certes, mieux connu pour ses recherches en l’histoire des religions, pour sa carrière universitaire aux Etats-Unis où il fonda, avec l’Allemand Joachim Wach, la Divinity School, Eliade garda le contact avec sa langue natale pendant ses longues décennies d’exil grâce à l’œuvre de fiction qu’il s’attacha à écrire. C’est par la littérature qu’il retournait régulièrement à ses origines roumaines, selon ses propres termes : « En faisant de la littérature, je retourne à mes origines, ce qui est normal au fond. J’utilise, pour écrire ma littérature, ma langue maternelle. J’ai besoin, pour ma santé mentale, d’écrire en roumain, de rêver en roumain. Je pourrais me traduire moi-même en français ou en anglais. Je pourrais probablement écrire directement mon œuvre de fiction dans ces langues, mais il est plus important pour moi ce désir intime que j’ai de garder le contact avec cette langue, avec ma propre histoire, soit l’histoire d’un Roumain qui a vécu et travaillé autant en Roumanie qu’à l’étranger. »

    Quant au monde d’aujourd’hui, à la désacralisation rampante, et considéré par d’aucuns comme un monde vidé de sa substance religieuse, Mircea Eliade y décelait le sacré enfoui dans notre quotidien, un sacré qui restera omniprésent aussi longtemps que les hommes en auraient besoin :« Le besoin d’entendre une histoire, l’histoire mythique des origines, celle qui raconte le commencement du monde et de l’homme, les débuts de l’organisation sociale et ainsi de suite, cela fait partie de nos besoins fondamentaux. Ce besoin relève d’une structure de notre inconscient collectif. Je ne pense pas que l’homme puisse exister en tant que tel s’il était dépourvu de cette capacité d’écoute, de ce besoin de connaitre l’histoire, la sienne et celle du monde, au milieu duquel il est apparu. » Avec l’avènement du régime communiste en Roumanie, Mircea Eliade est forcé à l’exil en 1945. Il vivra d’abord à Paris et, après 1957, à Chicago, où il mourra le 22 avril 1986, laissant derrière lui une œuvre monumentale. Après la chute du communisme en Roumanie, il sera reçu post mortem à l’Académie roumaine, en 1990. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

  • Nouari Naghmouchi (Algérie) – Norman Manea

    Nouari Naghmouchi (Algérie) – Norman Manea

    C’est un écrivain et homme de culture roumain né dans une famille juive, près de la ville de Suceava, dans le nord de la Roumanie. Il est un des romanciers roumains les plus traduits (en une vingtaine de langues), et considéré un des plus grands écrivains roumains en exil. En 1941, quand Norman Manea avait cinq ans, sa famille est déportée en Transnistrie, sur la rive gauche du fleuve Dniestr. Il est ingénieur de formation, mais renonce à exercer ce métier pour se consacrer uniquement à l’écriture depuis 1974.



    Jusquen 1986, lorsque les pressions grandissantes de la censure communiste le poussent irrémédiablement à sexiler de Roumanie, Norman Manea saffirme comme un des romanciers, essayistes et nouvellistes roumains les plus connus. Il publie 10 livres. En 1979, il reçoit le Prix de lAssociation des écrivains de Bucarest et en 1984, le Prix de lUnion des écrivains que le Conseil de la culture et de léducation socialistes lui retire plus tard ; cette décision ne fait que confirmer la position incommode de lécrivain dans le milieu culturel roumain de lépoque.



    Il est l’auteur de livres célèbres tels « Le retour du hooligan », « L’enveloppe noire », « Les clowns : le dictateur et l’artiste », « Le bonheur obligatoire », ou « La tanière ». « Jaurais aimé nécrire que des romans damour », dit lécrivain, « mais ça ma été impossible. Moi, je suis un écrivain politique, dans la mesure où jai vécu ce que jai vécu. Je suis et je reste en exil, je me dis profondément solidaire aussi bien avec les exilés vivant à l’intérieur de leur pays qu’avec ceux vivant dans un exil lointain. Je suis passé moi-même de l’exil dans mon pays à celui lointain. Je me permets de ne rien attendre de ce dernier, mais je souhaite à la Roumanie qu’elle connaisse un réel changement de visage, un changement profond, structurel pour ce qui est du fonctionnement de l’Etat, de ses institutions démocratiques. Et je lui souhaite aussi un changement encore plus profond, quand il s’agit de la mentalité générale, par une participation réelle et responsable des citoyens à la vie de la cité et par un plus grand respect envers ces derniers », disait Norman Manea.



    Ses thèmes préférés sont le trauma de l’Holocauste, la vie de tous les jours dans un Etat totalitaire et l’exil. Il ajoutait : « Je ne suis ni polémiste ni provocateur – en tout cas, je ne me vois pas ainsi. Je nai fait quexpliquer mon opinion personnelle, mon point de vue sur la place de la littérature dans lhistoire dune nation. Jai parlé des périodes plus difficiles de lhistoire roumaine, mais, en règle générale, je refuse demployer des termes collectifs, généraux sur les Roumains, les Juifs etc. Moi, je me concentre sur lindividu, sur ce quil peut et doit faire, sur les différences radicales de personnalité entre nous. Pour ce qui est de la mémoire, jai constaté que les cas dautoanalyse et danalyse critique des erreurs sont plutôt rares dans lhistoire des Roumains. Et cela est la conséquence d’un certain hédonisme – les Roumains, dont je fais partie, sont un peuple hédoniste, à mon avis. Un des arguments à l’appui de cette affirmation, c’est justement ce dicton populaire comme quoi nous navons pas donné des saints au monde, nous avons donné des poètes. Lhédoniste profite à fond des joies de la vie, il sintéresse plutôt à lart quau sacré. Cela implique aussi une certaine capacité dadaptation à limmédiat, ce qui peut engendrer un certain oubli du passé ».



    « La culture est critique, imaginative, elle s’approche de la réalité avec prudence, intelligence et agilité. La politique et tout ce qui en découle est une simplification. Or, une œuvre littéraire n’est pas une simplification, la littérature n’étant elle non plus une simple source d’information, malgré ce que l’on voit autour de nous. La littérature en soi n’est pas amorale, sa morale est implicite et non pas explicite. Si elle est explicite, on a affaire à une littérature de mauvaise qualité, on le sait très bien. Pour ce qui est de la condition de l’écrivain, depuis le commencement du monde jusqu’à présent, elle n’a jamais été simple. Certes, durant les époques extrêmes, de dictature, l’écrivain se retrouve dans une situation encore plus compliquée, parce que l’art signifie, de par sa nature, liberté absolue. On commence à écrire sur une feuille blanche, et cette feuille de papier blanc, c’est la liberté absolue. On en fait ce que l’on veut. Mais si on a un censeur à affronter, on se trouve devant un double problème : la censure et l’autocensure ». Voilà quelques propos sur l’écrivain Norman Manea, qui est en plus un écrivain très primé.

  • « Melancolia / Mélancolie »

    « Melancolia / Mélancolie »

    Après avoir connu un extraordinaire succès national et international avec son roman « Solénoïde », Mircea Cărtărescu signe un nouveau livre. C’est le triptyque « Melancolia/Mélancolie », une évocation nostalgique d’une enfance et d’une adolescence bercées par une atmosphère de rêverie profonde. Réaliste et onirique en égale mesure, frappé de l’empreinte unique de son auteur et pourtant différent de tout ce qu’il a déjà écrit, ce livre, en tête des ventes de son éditeur « Humanitas » au Salon Bookfest 2019, parle de solitude, d’abandon, d’amour et d’héroïsme. Pour le critique littéraire Cosmin Ciotloș, le volume propose « une aventure existentielle ». Dans « Melancolia », Mircea Cărtărescu « nous invite à un exercice de sincérité immense et de vécu authentique éblouissant, il nous ouvre sa sensibilité bien particulière », ajoute Cosmin Ciotloș.

    Lors du lancement de « Melancolia », Mircea Cărtărescu a parlé de la naissance du volume, qu’il a mis dans le contexte de l’ensemble de son œuvre : «Ce n’est pas un livre qui tente d’ajouter un autre niveau à mon écriture, qui se place dans la continuité de l’histoire intime de mon écriture. « Melancolia », tout comme mes autres livres, est un ouvrage indépendant, qui n’a pas de liens progressif avec les autres. Ce n’est ni le sommet de ma création ni la chose la plus importante que j’aie réussie au bout de dizaines d’années travail. C’est un livre comme tous mes autres livres, De ce iubim femeile/ Pourquoi nous aimons les femmes, Frumoasele străine/Les Belles étrangères, Nostalgia/La nostalgie, Travesti. Mes livres ne vont pas vers un point idéal. Mes forces ne grandissent pas avec le temps. J’ai écrit pendant quarante ans, mais je n’ai rien appris de la littérature, je ne me suis pas perfectionné. Je suis resté le même qu’au début et j’ai eu une zone que j’ai ressentie comme mienne et que j’ai essayé d’explorer et de conquérir avec chacun de mes livres. Chaque livre couvre une petite parcelle de cette planète que j’ai reçue. »

    Lors du lancement du livre de Mircea Cărtărescu, l’auteure Ioana Pârvulescu affirmait que Melancolia était un livre parfait et qu’elle avait fascinée par les différences entre un conte habituel et ceux très personnels de Mircea Cărtărescu. Elle a aussi rappelé la manière dont Mircea Cărtărescu réussit, dans tous ses livres, à enrichir les mots de ses nouveaux, une performance que seuls les grands écrivains atteignent. Le noyau du volume Melancolia est né deux ans seulement après la parution du roman Solenoid.

    Mircea Cărtărescu : «C’était un récit intitule « Jocul/Le jeu », que je n’ai pas vu comme quelque chose de sérieux, mais plutôt comme un petit jouet banal. Sauf que, juste après, j’ai écrit le premier récit inclus dans le livre et qui s’appelle Punţile/Les ponts, l’histoire d’un enfant abandonné par sa mère. Il est difficile d’écrire quarante pages sur un enfant de cinq ans, un récit sur la séparation d’avec la mère, un des premiers traumas que nous vivons tous. Nous vivons le trauma de la naissance, l’abandon du ventre physique, réel, et ensuite le trauma de l’abandon du ventre psychologique. Car jusqu’à l’âge de quatre ou cinq ans, on continue d’être entièrement dépendant de la mère. Même quand on est à l’extérieur de son corps, la mère continue à nous garder dans un ventre psychologique. Nous éprouvons tous ce trauma extraordinaire du deuxième sevrage, notre sevrage psychologique, c’est ça le sujet de ce premier récit. C’est une exagération de cet abandon. D’habitude, la mère nous abandonne tout en restant proche de nous, mais, après l’âge de 5 ans, ce n’est plus la même chose. Dans mon récit, la mère part pour de vrai et l’enfant reste seul à faire face à ce trauma effrayant. Car, en l’absence de la mère, nous sommes comme un adulte sans Dieu. C’est là le point de départ de la mélancolie, le début de notre sentiment, qui ira en croissant à travers la vie, le fait que personne ne nous tient plus par la main. La mère d’abord, la bien-aimée ensuite, et puis Dieu lui-même. Nous sommes laissés seuls, c’est ça le sentiment central du livre, cette solitude métaphysique essentielle, fondamentale. »

    Les livres de Mircea Cărtărescu ont reçu de nombreuses récompenses de la part, entre autres, de l’Académie roumaine, de l’Union des écrivains de Roumanie et de la République de Moldova, ou de l’Association des éditeurs de Roumanie. Mircea Cărtărescu a aussi reçu de nombreux prix internationaux, dont le prix international de littérature « Haus der Kulturen der Welt », Berlin (2012), le prix Spycher – Literaturpreis Leuk, Suisse (2013), le prix du livre pour l’entente européenne de la ville de Leipzig (2015); le prix d’Etat de l’Autriche pour la littérature européenne, 2015 ; le prix Leteo, Espagne (2017), le prix Formentor de las Letras (2018). (Trad. : Ileana Ţăroi)

  • Paul Goma

    Paul Goma

    Il a toujours critiqué, sans aucune réserve, tout ce qui ne lui convenait pas, tout ce qui lui semblait aller à l’encontre des principes d’une vie décente et de l’être humain. Paul Goma était un intellectuel fiévreux qui allait droit au but et qui a souvent transformé ses amis en ennemis. Il est né le 2 octobre 1935 dans le Nord-est de l’ancienne principauté roumaine de Bessarabie, aujourd’hui en République de Moldova. Après l’occupation soviétique de cette province, en 1940, la famille Goma s’est refugiée en Roumanie. Paul Goma peut être condamné pour bien de choses, mais pas pour son manque de courage. Il a osé s’opposer publiquement au régime communiste, le plus brutal de l’histoire. Il était surnommé « le Soljénitsyne de Roumanie.»

    Les conflits avec le régime communiste ont commencé en 1955 lorsqu’il était étudiant. Il était en total désaccord avec ses professeurs de socialisme scientifique et c’est ainsi qu’est apparu « le cas Goma ». Il s’est déclaré solidaire avec la révolution hongroise de 1956 et a quitté l’Union des jeunes communistes. C’est alors qu’il a été arrêté pour la première fois et condamné à 2 ans de prison. Après sa libération, il a été envoyé de force dans la région du Bărăgan (sud) et y est resté jusqu’en 1964. Il avait adhéré au Parti communiste roumain, en 1968, pour soutenir la politique antisoviétique de Ceausescu, et en 1971, il fut exclu du parti à cause de son roman « Ostinato» publié en Allemagne de l’Est et qui fut drastiquement censuré en Roumanie.

    La parution de son roman « La Porte » en 1974, toujours en Allemagne de l’Est, le transforma définitivement en ennemi juré du régime. Ses premières lettres pour Radio Free Europe datent elles aussi de 1970. Il a écrit, en 1977, une ample lettre dans laquelle il condamnait le régime de Ceausescu qui transgressait les droits de l’homme qui fut diffusée par la station de radio. En conséquence, il fut arrêté et battu par la police politique secrète roumaine. Au cours de la même année, sa nationalité roumaine lui est retirée à lui, à son épouse et à son enfant, puis ils sont expulsés en France. Même depuis Paris, il continuait à protester contre Ceausescu et en 1979, il contribua à la création du premier syndicat libre de Roumanie, celui de l’ouvrier Vasile Paraschiv. L’historienne Cristina Petrescu résume la personnalité de Paul Goma : « Il était clair que Goma était à l’origine du mouvement pour la défense des droits de l’homme ayant comme modèle la Charte 77 de Tchécoslovaquie. Par la suite, il a essayé d’être coopté par le régime, ce qu’il est parvenu à faire en partie si nous examinons les articles qu’il a publiés avant d’être arrêté. Lorsqu’il était en prison, il s’est désisté de plusieurs positions qu’il avait exprimées auparavant. Il a finalement été libéré suite à la pression internationale. Il a fini par être expulsé et il est devenu l’un des membres marquants de l’exil démocratique jusqu’en 1989. Il demeura un personnage controversé même après 1989 notamment à cause de ses prises de positions à l’égard de la soviétisation de la Bessarabie. Paul Goma est un héros méconnu pour notre histoire moderne, parce qu’il n’a pas réussi à trouver sa place. »

    Paul Goma a 83 ans et il a toujours un esprit indocile. Il est un de ces rebelles qui suscite et qui provoque, un de ces radicaux qui n’est pas facile à concilier.

  • Paul Goma

    Paul Goma

    Il a toujours critiqué, sans aucune réserve, tout ce qui ne lui convenait pas, tout ce qui lui semblait aller à l’encontre des principes d’une vie décente et de l’être humain. Paul Goma était un intellectuel fiévreux qui allait droit au but et qui a souvent transformé ses amis en ennemis. Il est né le 2 octobre 1935 dans le Nord-est de l’ancienne principauté roumaine de Bessarabie, aujourd’hui en République de Moldova. Après l’occupation soviétique de cette province, en 1940, la famille Goma s’est refugiée en Roumanie. Paul Goma peut être condamné pour bien de choses, mais pas pour son manque de courage. Il a osé s’opposer publiquement au régime communiste, le plus brutal de l’histoire. Il était surnommé « le Soljénitsyne de Roumanie.»

    Les conflits avec le régime communiste ont commencé en 1955 lorsqu’il était étudiant. Il était en total désaccord avec ses professeurs de socialisme scientifique et c’est ainsi qu’est apparu « le cas Goma ». Il s’est déclaré solidaire avec la révolution hongroise de 1956 et a quitté l’Union des jeunes communistes. C’est alors qu’il a été arrêté pour la première fois et condamné à 2 ans de prison. Après sa libération, il a été envoyé de force dans la région du Bărăgan (sud) et y est resté jusqu’en 1964. Il avait adhéré au Parti communiste roumain, en 1968, pour soutenir la politique antisoviétique de Ceausescu, et en 1971, il fut exclu du parti à cause de son roman « Ostinato» publié en Allemagne de l’Est et qui fut drastiquement censuré en Roumanie.

    La parution de son roman « La Porte » en 1974, toujours en Allemagne de l’Est, le transforma définitivement en ennemi juré du régime. Ses premières lettres pour Radio Free Europe datent elles aussi de 1970. Il a écrit, en 1977, une ample lettre dans laquelle il condamnait le régime de Ceausescu qui transgressait les droits de l’homme qui fut diffusée par la station de radio. En conséquence, il fut arrêté et battu par la police politique secrète roumaine. Au cours de la même année, sa nationalité roumaine lui est retirée à lui, à son épouse et à son enfant, puis ils sont expulsés en France. Même depuis Paris, il continuait à protester contre Ceausescu et en 1979, il contribua à la création du premier syndicat libre de Roumanie, celui de l’ouvrier Vasile Paraschiv. L’historienne Cristina Petrescu résume la personnalité de Paul Goma : « Il était clair que Goma était à l’origine du mouvement pour la défense des droits de l’homme ayant comme modèle la Charte 77 de Tchécoslovaquie. Par la suite, il a essayé d’être coopté par le régime, ce qu’il est parvenu à faire en partie si nous examinons les articles qu’il a publiés avant d’être arrêté. Lorsqu’il était en prison, il s’est désisté de plusieurs positions qu’il avait exprimées auparavant. Il a finalement été libéré suite à la pression internationale. Il a fini par être expulsé et il est devenu l’un des membres marquants de l’exil démocratique jusqu’en 1989. Il demeura un personnage controversé même après 1989 notamment à cause de ses prises de positions à l’égard de la soviétisation de la Bessarabie. Paul Goma est un héros méconnu pour notre histoire moderne, parce qu’il n’a pas réussi à trouver sa place. »

    Paul Goma a 83 ans et il a toujours un esprit indocile. Il est un de ces rebelles qui suscite et qui provoque, un de ces radicaux qui n’est pas facile à concilier.

  • Marina Anca, écrivaine française d’origine roumaine, se dévoile au micro de RRI

    Marina Anca, écrivaine française d’origine roumaine, se dévoile au micro de RRI

    Quand la chenille devient papillon ou la dictature communiste vue par une adolescente libre, Le safari du papillon au Nigéria : Périple entre indigence et abondance et L’empreinte du papillon ou l’Improbable idylle entre capitalisme et dictature, ce sont les titres des trois tomes que Marina Anca a fait sortir dans un premier temps en France, avant de les traduire elle-même en roumain et de les lancer aussi, dans son pays natal, la Roumanie. Un pays qu’elle a dû fuir à l’âge de 14 ans pour s’établir à Paris. Qui est cette femme dont le parcours se retrouve expliqué dans une trilogie autobiographique? Marina Anca se dévoile au micro de Ioana Stancescu.

  • Paul Jamet (France) – Un paysan écrivain de Roumanie

    Paul Jamet (France) – Un paysan écrivain de Roumanie

    Cest une histoire racontée par la presse, mais que jai trouvé fascinante, cest pourquoi je vous la propose. Il a été emprisonné par les communistes, a vendu sa terre et vit avec 400 lei (85 euros) par mois pour la liberté de la parole. Même sil dit de lui quil nest quun paysan qui a fait peu détudes, Pavel Păduraru a écrit – et publié – de nombreux livres.



    Il vit dans une commune du nord de la Roumanie comme simple agriculteur. Les gens de lendroit connaissent bien son appétit pour la lecture. Il fréquente la bibliothèque communale tous les jours et lit des heures daffilée. Pavel Păduraru a fait un geste qui a laissé le monde du village médusé : il a vendu tout ce quil possédait pour faire de la littérature. Avec un talent littéraire à part, il écrit de tout, à commencer par des poésies jusquaux romans réalistes – la plupart sont des romans qui impressionnent par leur réalisme brutal. Pavel Păduraru sinspire de tout ce qui lentoure, il écrit sur sa vie telle quelle est et sur la vie des gens. Beaucoup décrivains le connaissent. Il a publié 15 livres. « LHomme-oiseau », un roman sur la vie des moines dans les monastères de lépoque communiste, est sa création la plus appréciée. Lauteur ne se considère pas un écrivain. Il dit de lui quil est un paysan passionné de littérature, un autodidacte. Il a été agriculteur toute sa vie. Fasciné par la culture, il a lu énormément, avec avidité. « Je suis un agriculteur des lettres, des mots », aime-t-il dire. Même sa vie est un sujet de roman.



    A 18 ans, il écrit des vers à une jeune femme. Cest alors quil découvre que ses écrits pouvaient plaire. Malheureusement, ces vers sont considérés subversifs par la censure communiste et il passe par la case prison à 18 ans. Il refuse décrire pour la propagande, et après cet épisode, ne faisant plus confiance à personne, il cache tout ce quil écrit. Il écrit surtout pour lui et a renoncé à tout, même à sa vie privée, pour la liberté décrire. « Cette liberté de la pensée, de lécriture, personne ne peut vous la prendre », dit Pavel Păduraru.



    Après 1990, la liberté de parole acquise, lauteur navait pas dargent pour publier ses écrits. Il a renoncé à tout pour la liberté décrire et de publier. Pour ses 15 livres, il a vendu ses quelques hectares de terrain et presque tout ce quil possédait. Cétait la terre de ses ancêtres, cétait dur pour lui de le faire, mais il en a gardé une petite poche quil porte sur lui à tout moment. Maintenant, il vit dune retraite dagriculteur de seulement 400 lei, léquivalent de 85 euros, mais il dit quil est heureux de pouvoir lire et écrire. Avec cette pension de retraite, il achète des livres. Voilà lhistoire contemporaine dun écrivain paysan de Roumanie.

  • Le mouvement dissident Goma

    Le mouvement dissident Goma

    Dans les années 1970, Ellenpontok (Contrepoints), écrits dissidents portant la signature de quelques intellectuels magyars, Aktionsgruppe Banat, mouvement de protestation des écrivains d’expression allemande et le puis le mouvement dissident autour de l’écrivain Goma ont représenté les formes les plus importantes de contestation de la société roumaine contre le régime communiste. L’initiateur de ce dernier groupe, l’écrivain Paul Goma, est né en 1935 en République de Moldova, dans une famille d’instituteurs, réfugiés en Roumanie après l’occupation de la Bessarabie par l’URSS en 1944.

    Auteur d’une trentaine d’ouvrages de fiction et à caractère autobiographique, Paul Goma a également été détenu politique. Cristina Petrescu, professeur à la Faculté de Science Politiques de l’Université de Bucarest, affirme qu’une grande différence sépare Paul Goma, l’initiateur du mouvement de ceux qui l’ont appuyé : « Le syntagme Mouvement Goma, par lequel les écrits historiques désignent la protestation collective, est en fait l’appellation utilisée par la Securitate, l’ancienne police politique du régime communiste. Ce groupe était plus grand que les deux autres mentionnés. En ce qui me concerne, je tenterais de réinterpréter en quelque sorte ce mouvement. Je ferais donc une distinction entre le dissident Paul Goma, érigé au rang de modèle idéal et le mouvement portant son nom, qui jouit d’une tout autre idéalisation. »

    Les relations de Goma avec le régime communiste ont été sinueuses, allant de l’opposition radicale au soutien, surtout en 1968, lorsque Nicolae Ceauşescu a ouvertement exprimé son désaccord avec Moscou.

    Cristina Petrescu : « Nous considérons les opposants au communisme en examinant invariablement la dynamique de leurs rapports avec le régime en place. Or, dans le cas de Goma on a affaire à l’un des dissidents les plus longévifs et les plus endurants. C’est là une performance parmi les initiateurs de mouvements contestataires. Il a commencé par prendre part aux révoltes des étudiants de Bucarest, qui ont éclaté en 1956, en même temps que celles de Budapest. Plus tard, il allait être jeté en prison, puis assigné à résidence, avant qu’on ne lui permette de réintégrer l’Université. La police politique échoue dans sa tentative de le racoler en tant qu’informateur, mais en 1968 il adhère volontairement au parti communiste et arrive à soutenir le régime Ceauşescu, comme il l’avoue. »

    Malgré cela, Goma est resté un interlocuteur imprévisible et incommode des autorités. Le leader du mouvement roumain pour les droits de l’homme a continué de causer des ennuis au régime communiste de Bucarest, affirme Cristina Petrescu : « Goma s’est fait remarquer, dans les années 1970, comme l’écrivain le plus non conformisme. Il est le premier à faire paraître à l’étranger deux de ses ouvrages refusés par la censure. Dans un de ces livres, ouvertement hostile au régime, il parle de détenus obsédés par la liberté. L’ouvrage en question a remporté un grand succès, d’autant qu’il paraissait au moment même où l’on traduisait dans des langues de circulation internationale « L’Archipel du Goulag » de Soljenitsyne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Goma est surnommé le Soljenitsyne roumain ».

    En 1977, Goma entre à nouveau en conflit avec les autorités communistes, pour avoir signé une lettre collective de protestation. Envoyée à la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe qui s’est tenue la même année à Belgrade, la lettre en question allait être lue à Radio Free Europe. Goma y dénonçait la violation des droits de l’homme en Roumanie.

    Cristina Petrescu.: « Goma a été l’initiateur du mouvement pour la défense des droits de l’homme qui a eu pour modèle la Charte 77 de Tchécoslovaquie. Après cela, le régime communiste a réussi à le coopter, dans une certaine mesure, si l’on pense au contenu des articles qu’il signe avant d’être arrêté. Pendant la détention, il rétractera bien des positions exprimées antérieurement. Finalement, grâce à la pression de la communauté internationale, il sera relâché, ensuite expulsé. Goma reste un personnage controversé même après 1989, en raison notamment de ses prises de position sur la soviétisation de la Bessarabie. Pour conclure, je dirais que, dans une large mesure, Paul Goma est un héros oublié de notre histoire récente, justement parce qu’il n’a pas trouvé sa place à lui. »

    Le mouvement autour de l’écrivain Paul Goma a rassemblé 430 personnes. Parmi ceux qui ont soutenu la démarche de Paul Goma, on retrouve le critique littéraire Ion Negoiţescu, le psychiatre Ion Vianu ou l’ouvrier Vasile Paraschiv. Après la répression du mouvement, 186 des militants ont obtenu le passeport et ont pu émigrer.

    Cristina Petrescu. : « Le mouvement Goma est décrit comme l’un des moments culminants de la mobilisation contre l’ancien régime communiste. Il a dénombré environ 200 adeptes, un nombre comparable avec ceux du mouvement dissident connu sous le nom de Charte 77. Pourtant, les deux mouvements ont suivi des trajectoires tout à fait différentes, en ce sens que si le premier s’est achevé au moment de l’arrestation de Goma, la Charte 77 a survécu au régime communiste. En plus, après l’effondrement du bloc communiste, un des membres de la Charte 77, à savoir Václav Havel, allait devenir président de la République fédérale tchèque et slovaque, puis président de la République tchèque ».

    Paul Goma a été arrêté le 1er avril 1977. Le 20 novembre de la même année, sa femme et son enfant ont été déchus de la nationalité roumaine et expulsés. Arrivés à Paris, ils ont demandé l’asile politique, mais Goma n’a pas souhaité obtenir la nationalité française. En guise de réparation, après 1989, l’ancien dissident opposé à la dictature communiste s’est vu rendre la nationalité roumaine. (Trad. Mariana Tudose)

  • Dinu Pillat

    Dinu Pillat

    Né le 19 novembre 1921, l’écrivain Dinu Pillat semblait être destiné à une belle carrière littéraire et intellectuelle, tant pour ses qualités innées que pour les circonstances de sa naissance. Le fils du poète Ion Pillat et de la peintre Maria Brateş-Pillat, apparenté à la famille du grand homme politique Ion Brătianu, la future personnalité de la culture roumaine a grandi dans une atmosphère très propice pour la création. D’un tempérament naturellement sociable, le poète Ion Pillat gardait, en faisant preuve d’une grande générosité, sa maison ouverte pour tous ses amis du monde littéraire, d’après les souvenirs de son fils, Dinu Pillat, enregistrés dans une évocation gardée dans la Phonothèque d’Or de la Radio.

    Dinu Pillat: « Une catégorie d’invités comprenait les confrères de mon père qui se réunissaient l’après-midi pendant les dernières années de vie de Ion Pillat, à peu près chaque dimanche. Parfois, il arrivait que quelqu’un lise des vers, suivis par des commentaires, en fait juste un prétexte pour divaguer sur le thème de la poésie. Parmi les écrivains qui étaient présents lors de ces petites réunions de dimanche on comptait, d’habitude, quelques-uns des suivants: Vasile Voiculescu – le meilleur ami de mon père -, Ştefan Neniţescu, Ion Marin Sadoveanu, Tudor Vianu, Ionel Teodoreanu etc. Je pense que Ion Pillat détestait la solitude, il ressentait toujours le besoin de communiquer avec quelqu’un. C’était visible même dans notre vie de famille, car il nous cherchait chacun dans nos chambres, pour échanger avec nous ou bien juste pour nous voir, sans avoir quelque chose de spécial à nous dire ».

    Dans les années 1940, Dinu Pillat était déjà l’assistant du critique littéraire George Călinescu à la chaire d’Histoire de la littérature roumaine à l’Université de Bucarest. La beauté et le naturel de sa situation n’allaient pas durer longtemps, car, après la guerre, le régime communiste s’est installé en Roumanie. Dinu Pillat a été chassé du système d’enseignement, étant forcé à travailler comme caissier dans une coopérative de Bucarest. Il allait travailler ainsi jusqu’en 1956 quand, toujours grâce a l’intervention de George Călinescu, il a été embauché à l’Institut d’histoire de la littérature et du folklore de l’Académie Roumaine. Dinu Pillat lui avait envoyé aussi, quelques années auparavant, le manuscrit d’un roman qu’il croyait capable d’avoir un sort hors du commun.

    Le philosophe, l’écrivain et l’éditeur Gabriel Liiceanu dresse dans ce qui suit une esquisse de la biographie de ce livre qui portera le nom de « En attendant la dernière heure » : « Le livre est né à l’été 1948, au manoir appartenant à la famille des Pillat, et il a été écrit en trois ou quatre mois. Le 2 octobre 1948, Pillat écrivait à George Calinescu, en annonçant au grand critique littéraire et professeur qu’il avait fini d’écrire son livre. Il avait 27 ans à l’époque, mais il avait déjà écrit deux romans: l’un à 20 ans, et un deuxième à 25 ans. Mais, cette fois-ci, il était vraiment troublé du résultat. Toutefois, en peu de temps, le livre entre dans une période d’hibernation et d’améliorations successives pour être considéré par son auteur, en 1955, définitivement achevé en 1955. Comme le thème du livre était le moment de la naissance du mouvement légionnaire en Roumanie, il n’était pas question de le publier dans les premières années d’après l’instauration du régime communiste. Il ne s’agissait pas d’un point de vue historique. L’auteur désirait plutôt savoir comment la jeune génération de l’entre-deux-guerres – comme par exemple, des anciens collègues de Dinu Pillat – avait pu investir ses idéaux d’une manière si erronée à ce moment de l’histoire. Le thème du roman était le suivant: comment avait-il été possible qu’une partie des jeunes gens du pays eussent suivi ce chemin descendant de l’histoire? Après avoir fini son roman, ne pouvant pas le publier, il a commencé à l’offrir à ses amis pour qu’ils le lisent. Il a été lu, grosso modo, par environ dix personnes ».

    Ces dix personnes constitueront après le lot d’intellectuels appellé Noica-Pillat, arrêté et condamné à une peine sévère de prison par le régime communiste. La raison? Ils avaient lu et écrit des livres subversifs, parmi lesquels «En attendant la dernière heure». Parmi les membres du lot il y avait, outre Dinu Pillat, le philosophe Constantin Noica, l’écrivain Păstorel Teodoreanu, la metteuse en scène Marieta Sadova et le futur moine Nicolae Steinhardt.

    Gabriel Liiceanu : « En 1959, à cause de l’engagement historiquement très connu de Gheorghiu-Dej, le premier président communiste de la République populaire roumaine, de tenir le pays d’une poigne de fer après le départ des troupes soviétiques, il a déclenché une vague de répressions qui ont surtout atteint les intellectuels qui se comportaient selon leur naturel: ils écrivaient, se rencontraient et discutaient des livres. Tous ces gens, qui ne faisaient autre chose que se rencontrer autour de quelques livres, sont devenus la cible d’une répression féroce ».

    Libéré de prison en 1964, Dinu Pillat allait vivre juste 11 ans de plus, car il était très affaibli par les tortures subies et par les conditions inhumaines de la vie en prison. Le manuscrit du livre « En attendant la dernière heure » a été confisqué pendant l’enquête et ajouté au dossier de l’inculpé en tant que preuve. Puis, dès 1959, il a disparu, pour être récupéré seulement en 2010, des archives du Conseil national pour l’étude des archives de la Securitate, l’ancienne police politique. Cette année-là, « En attendant la dernière heure » a été imprimé pour la première fois, 62 ans après avoir été écrit. (Trad. Nadine Vladescu)

  • Matei Visniec

    Matei Visniec

    Matei Vişniec, affirmait en ouverture du salon que la Roumanie était compétitive sur le plan culturel. Il saluait en même temps le choix de l’Union Européenne comme invité d’honneur de la Foire. « La Roumanie a une chance, c’est la culture » – affirmait le dramaturge Matei Vişniec lors du débat «L’Europe du théâtre et des écrivains – la circulation des valeurs artistiques comme fondements de l’Europe », déroulé au stand « Chez nous, en Europe ».

    Matei Vişniec s’est fait remarquer dans les années ’80 comme poète, ensuite comme dramaturge. Ses pièces de théâtre, très appréciées dans les milieux littéraires, ont été interdites sur les scènes roumaines. En 1987, il quitte la Roumanie pour s’établir en France, où il travaille comme journaliste à Radio France Internationale. Ses pièces de théâtre en français sont publiées par des maisons d’éditions telles Actes Sud – Papiers, L’Harmattan, Lansman, Crater ou encore L’Espace d’un instant, et son nom figure l’affiche des théâtres de plus de 30 pays. Depuis une dizaine d’années, Matei Vişniec s’est également affirmé comme romancier. «La femme comme un champ de bataille» (paru en 2006), « Syndrome de panique dans la Ville lumière » (publié en 2009), « Monsieur K Libéré », « Le Cabaret des mots (2012), « Le marchand des premières phrases » (publié en 2013 et qui a reçu plusieurs prix en Roumanie) et j’en passe.

    Lors de la Foire Internationale du livre Gaudeamus, le critique Ion Bogdan Lefter a parlé de la complexité artistique de l’écrivain : « Il est tout d’abord poète, d’une facture très personnelle, qu’il développe ensuite dans sa dramaturgie. Prosateur, également, un prosateur très important. Un écrivain qui, par son effort de nous proposer un nouveau roman tous les deux ou trois ans, s’est gagné un nouveau public. C’est que les amateurs de théâtre sont en général plus nombreux que les amateurs de poésie et les amateurs de roman sont les plus nombreux. Aussi, les éditions Polirom ont-elles publié tous les volumes de prose de Matei Vişniec dans sa collection à grand tirage « Top 10+ ». La prose de Matei Vişniec porte le même sceau que sa poésie et sa dramaturgie des années ’80. »

    Voici, tout de suite, le plaidoyer de Matei Vişniec en faveur du roman, enregistré au stand des éditions Polirom : « Si j’écris des romans, c’est entre autres parce que les genres littéraires sont pour moi comme des enfants, je les aime tous : la poésie, l’essai, le roman, le théâtre. La poésie m’a fait grandir, le théâtre m’a formé, le roman m’a diversifié. Pourtant, à un moment donné, j’ai écrit des romans aussi parce que j’étais frustré du fait que, pour arriver au public, mes pièces de théâtre ont besoin d’intermédiaires. Elles ont besoin d’un directeur de théâtre, d’un metteur en scène, de comédiens, de scénographes. Et tous ces intermédiaires ont commencé à m’inquiéter, je n’agréais pas le fait d’être toujours dépendant d’eux. J’aimais écrire, mais sans avoir toujours besoin d’intermédiaires. J’ai donc écrit des romans aussi parce que je souhaitais créer un lien direct avec mes lecteurs ».

    Et voici également son plaidoyer pour la lecture. Matei Vişniec : « Je peux vous dire que si vous prenez un livre dans vos mains, si vous lisez de la poésie, du théâtre, un roman, de la littérature de qualité, vous ouvrez des fenêtres dans vos âmes, vous devenez vous-mêmes des fenêtres ouvertes sur l’humanité, sur l’imagination, sur la liberté. Je pense que dans un pays, la liberté peut être mesurée, il y a certainement un tel instrument de mesure. Et je pense aussi que le degré de civilisation d’un pays peut être mesuré par la capacité d’aimer la littérature, l’art, le théâtre. Autant de littérature, autant de liberté. Si nous n’apprenons pas à nos enfants à ouvrir un livre et à venir au contact de la littérature, à se raconter des contes de fées, on risque de faire d’eux des mutants. Ici, à la Foire Gaudeamus, je vois beaucoup d’enfants et de professeurs qui y ont emmené leurs élèves. C’est une foire du livre, mais aussi de l’éducation et c’est en même temps un lieu où l’on doit se proposer ce thème de réflexion: comment éduquer nos enfants pour ne pas faire d’eux des gens qui pensent en consommateurs. Et il est tellement important de rester des citoyens dotés d’esprit critique et non pas des consommateurs dans la société de consommation dont nous avons rêvé, mais je ne suis pas sûr qu’elle aille dans la meilleure direction ».

    De nombreux prix ont récompensé l’activité de l’écrivain d’expression roumaine et française Matei Vişniec. En Roumanie il s’est vu décerner le Prix de l’Union des Ecrivains, le Prix de l’Académie roumaine, ainsi que le prix de l’auteur roumain le plus joué accordé par l’Union Théâtrale (UNITER). En France, il a obtenu à plusieurs reprises le Prix de la presse au Festival international de théâtre d’Avignon, ainsi que le prix Européen accordé par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (en 2009) et le Prix Jean-Monnet de littérature européenne (en 2016). (Trad. : Dominique)

  • Couleurs du livre

    Couleurs du livre

    L’art qui exprime le monde ; l’art qui décrit le monde ; l’art qui transforme le monde ; l’art qui transgresse le monde ; la création artistique qui invente un monde — des mondes. C’est vrai pour toutes les époques historiques, mais le 20é siècle est notamment marqué par des mouvements artistiques révolutionnaires sur tous les plans. Le Musée national d’art de Roumanie et la Délégation Wallonie-Bruxelles à Bucarest sont les médiateurs d’une rencontre, dans la capitale roumaine, avec l’univers surprenant d’un des plus grands artistes visuels belge du siècle passé, mais aussi du présent. L’exposition « Pierre Aléchinsky et les écrivains » est ouverte dans la salle Kretzulescu de la principale institution muséale de Roumanie jusqu’au 31 janvier. Pierre Aléchinsky, son art et l’accueil trouvé au sein du public roumain — c’est le sujet de ce RRI Spécial – une visite privée exclusive de cette exposition – et du dialogue avec Véronique Blondel, responsable de la conservation des gravures et du service éducation du Centre de gravure et de limage imprimée de la Louvière, en Belgique, Eric Poppe, chef de la Délégation Wallonie-Bruxelles à Bucarest et Calin Stegerean, directeur général du Musée national dart de la Roumanie.




  • Ecrire au féminin dans l’espace public roumain

    Ecrire au féminin dans l’espace public roumain

    La librairie Humanitas Cişmigiu de Bucarest a récemment accueilli un débat intitulé « Femmes dans lespace public », dont lorganisateur a été le PEN Club Roumanie, avec comme invités : la poétesse Magda Cârneci, présidente du PEN Club Roumanie ; les écrivaines, journalistes et traductrices Svetlana Cârstean, Adina Diniţoiu, Ioana Bâldea Constantinescu et lécrivain, traducteur et chroniqueur Bogdan Ghiu.



    Le thème de ce débat a inspiré RRI, qui a proposé à Svetlana Cârstean et Adina Diniţoiu de parler de la présence des auteurs femmes dans lespace public de Roumanie. Svetlana Cârstean a publié deux volumes de poèmes – « La fleur denclume » (paru en 2008, aux Editions Cartea româneasca, et récompensé des plus importants prix littéraires roumains) et « Gravitation » (paru aux Editions Trei en 2015 et nommé aux prix de Radio Roumanie Culture et de lhebdomadaire Observator Cultural). Critique littéraire, journaliste culturelle et traductrice de langue française, Adina Diniţoiu a publié chez « Tracus Arte » louvrage « La prose de Mircea Nedelciu. Les pouvoirs de la littérature face au politique et à la mort ».



    Les deux dames se sont exprimées sur leur condition décrivaine. Svetlana Cârstean : « Je garde en mémoire un article du ‘Scottish Pen, que jai lu récemment et qui mobsède parce que jy ai trouvé des chiffres. Bref, lauteure, une femme, met ensemble des statistiques et des citations et tire la conclusion que les actions dun homme sont représentatives de lhumanité, alors que les actions dune femme sont représentatives de cette femme-là. Autrement dit, tout ce quécrivent les hommes parle pour lhumanité entière, tandis que ce qui est écrit par nous, les femmes, na de poids que pour les femmes. Lauteur de cet article en donne un exemple : une écrivaine a envoyé, à différents éditeurs, 100 emails avec un texte qui lui appartenait. Elle a signé dun nom masculin la moitié des messages, et dun nom féminin lautre moitié. Elle a reçu 7 réponses aux courriels signés au féminin, mais 17 aux autres. A vous den tirer les conclusions. »



    Adina Diniţoiu : « En général, la critique littéraire est une zone de pouvoir à lintérieur de lespace de la littérature ; par leur discours, les critiques littéraires valident ou invalident un texte, et en même temps ils commettent un acte de pouvoir culturel, dessinant une hiérarchie littéraire. Moi, jai débuté avec linnocence de celui qui écrit sur la littérature, qui fait de la critique sans penser à lidentité de genre. Cela ma semblé naturel dignorer le genre, cest un premier pas vers un discours critique et littéraire normal. Je souhaite que, hommes et femmes, arrivent tous à se parler normalement, sans que nous, les femmes, luttions pour une cause, sans que nous nous sentions marginalisées dans un discours public, y compris parce quon nous fournit trop de politiquement correct quand on est dans la ligne de mire publique. »



    La perte de linnocence vient tout de suite après le début littéraire, considère Adina Diniţoiu : «Après avoir fait mon début littéraire, je me suis rendu compte que les choses nétaient pas simples. Jai été obligée de prendre acte de lidentité de genre, jai compris que je suis aussi femme, en plus dêtre critique littéraire, et que de ce fait je dois faire face à des difficultés plus grandes que celles que javais anticipées. Ce nétait pas vraiment un sentiment de marginalisation, mais plutôt la compréhension du fait que cette réalité complique la situation dans lespace public des idées, surtout dans le climat social plus traditionnel de Roumanie. Je lisais lautre jour que, dans un Indice européen dégalité de genre de 2015, la Roumanie occupait la dernière place. Dans les conclusions, il était dit que lUE entière navait parcouru que la moitié du chemin de laffirmation de genre, de la représentation publique équilibrée des hommes et des femmes. Aujourdhui, en tant que femme, je dois batailler plus pour que mon discours soit entendu. »



    Svetlana Cârstean: « Moi, je crois quil ne faut même pas quil y ait marginalisation. Il suffit de mettre une étiquette, qui est une façon très subtile – je ne dirais pas perverse – déviter une marginalisation ouverte, plus facile à combattre ou à pointer. Ce sont des étiquettes, des préjugés, des concepts que nous utilisons et qui ont leurs racines dans la zone de la critique littéraire, la zone de pouvoir. »



    Le débat reste ouvert. Gardons en mémoire les propos de Mihaela Ursa, qui écrivait dans son ouvrage « Le divan de lécrivaine » (Editions Limes, 2010): « Il est important de voir si, en matière de projection du soi, les écrivaines de Roumanie se perçoivent de manière harmonieuse ou antagoniste et surtout sil leur semble nécessaire de problématiser la relation entre leurs existences publique et privée, entre la création artistique et la vie domestique – des relations aux complications et nuances infinies ». (trad.: Ileana Ţăroi)

  • Le son des mots d’Irina Teodorescu

    Le son des mots d’Irina Teodorescu

    Pour sa deuxième édition “Le son des mots”, le magazine littéraire de RRI, sinstalle dans son QG de la librairie Kyralina, partenaire de ce programme. Dans cet environnement, la réflexion sur la littérature, lécriture, le choix des sujets, est plus que naturelle. Justement, comment devient-on écrivain, inventeur dhistoires et de vies dans une langue quon ne connaît pas avant lâge adulte ? Dans un tel cas, limagination puise-t-elle, sans le savoir, sans le vouloir, dans les sources dont on croît sêtre détaché ou bien dans celles que lon vient de découvrir ? Cette création parle davantage à quel public – celui qui découvre ou celui qui se rappelle les choses ? Valentine Gigaudaut et Ileana Taroi en parlent de tout cela, et de bien plus, avec les invités du “Son des mots” – lécrivaine franco-roumaine Irina Teodorescu et Evelyne Lagrange, de la maison dédition Gaïa, qui a publié les deux romans dIrina Teodorescu – “La malédiction du bandit moustachu” (2014, Prix André Dubreuil du premier roman et Prix Europe de l’Association des Écrivains de Langue Française) et “Les étrangères” (2015).



  • « Solénoïde » de Mircea Cărtărescu, meilleur roman de l’année 2015

    « Solénoïde » de Mircea Cărtărescu, meilleur roman de l’année 2015

    A l’invitation d’un site littéraire connu, plus de 7000 lecteurs roumains ont choisi « Solénoïde » de Mircea Cărtărescu, publié l’année dernière aux Editions Humanitas, meilleur roman de l’année 2015. Lancé à la Foire du Livre Gaudeamus, en novembre dernier, le volume est rapidement devenu un livre-culte, reconnu en tant que tel tant par les lecteurs que par les critiques, qui lui ont consacré d’amples chroniques. « Solénoïde » est un livre hors pair, même dans la création de Mircea Cărtărescu.

    C’est le portrait de l’artiste à l’âge de la maturité, lorsqu’il met tout en cause, à commencer par l’art et l’écriture, et lorsqu’il essaie de toutes les forces de son esprit de résoudre l’immense énigme du monde. La beauté c’est que l’écrivain se lance dans cette tentative, après s’être prouvé à lui-même (à travers la théorie aux dimensions toujours plus nombreuses du monde) que cela était impossible et qu’il ne pouvait pas y arriver. En revanche, dans le roman, Hypnos, père de Morphée, le dieu du rêve, semble lui venir en aide, créant chez le lecteur un effet hypnotique tout à fait spécial, comme si le mur de notre monde limitatif s’était brisé et une splendide porte vraie s’était ouverte « sur l’air ».

    C’était une citation de la chronique de l’écrivaine Ioana Pârvulescu consacrée au roman « Solénoïde », lancé ces jours-ci à Bookfest Timişoara, où l’écrivain Mircea Cărtărescu est l’invité d’honneur. Ioana Pârvulescu : « Pour moi, la clef la plus appropriée pour comprendre ce livre, qui, là, plus que dans les autres livres de l’auteur, se transforme en art poétique, mais aussi en une esthétique de la vie, c’est la clef onirique, le rêve. Tant pour l’auteur du journal, qui est Mircea Cărtărescu, mais aussi pour tous ses « moi » fictionnels, le rêve, c’est la clef, c’est ce qui peut lui ouvrir la porte vers un au-delà. Ce filon onirique du livre est d’une beauté extraordinaire, il semble inépuisable, il est parfois terrible, effrayant, d’autres fois suave, cela vous transporte dans des mondes de conte de fées ou dans des mondes historiques. Il existe, par exemple, une splendide descente dans le temps, une régression vers l’homme des cavernes ou une autre régression dans les règnes. Il y a dans Solénoïde des images éblouissantes relevant de ce filon onirique, le seul à même de vous aider à comprendre un « au-delà », à comprendre quelque chose de ce monde. Et il y a encore une chose, en dehors de l’histoire du rêve, c’est le plan onirique qui envahit le livre, devenant un art poétique. On trouve dans ce livre, plus que nulle part ailleurs dans la création de Mircea Cărtărescu, la théorie que les réponses, on ne peut les trouver qu’en soi-même. Ce livre est une sorte d’ample poème philosophique, à placer aux côtés des grands poèmes philosophiques du monde, mais dans la littérature de Mircea Cărtărescu, c’est un roman narratif très bien construit. »

    « Je veux écrire un compte rendu de mes anomalies. Dans ma vie obscure, en dehors de toute histoire, et que seule une histoire de la littérature aurait pu fixer dans ses taxinomies, des choses sont arrivées qui ne sont arrivées ni dans la vie, ni dans les livres. J’aurais pu écrire des romans là-dessus, mais le roman trouble et rend le sens des faits ambigu. Je pourrais les conserver pour moi, comme je l’ai fait jusqu’ici, et y penser à n’en plus finir, jusqu’à ce que ma tête explose de douleur chaque soir quand je m’accroupis sous la couverture, quand la pluie frappe furieusement dans les fenêtres. Mais je ne veux plus les garder pour moi. Je souhaite écrire un rapport, même si je ne sais pas encore ce que je ferai de ces pages-là. Je ne sais même pas si c’est le bon moment pour cela. Je ne suis arrivé à aucune conclusion, à aucune cohérence, mes faits sont de vagues foudroiements dans la platitude banale de la vie la plus banale, de petites crevasses, de petites inadvertances. Ces formes informes, ces allusions et insinuations, les accidents de parcours parfois insignifiants en tant que tels, mais qui, une fois pris ensemble, acquièrent, ensemble, quelque chose d’étranger et d’obsédant, ont besoin d’une forme elle-même nouvelle et inhabituelle pour pouvoir être narrés. Ni roman ni poème, parce qu’elles ne sont pas une fiction (ou pas intégralement), ni étude objective, parce que beaucoup de mes faits sont des singularités qui ne se laissent même pas reproduire dans les laboratoires de mon esprit. » C’est ainsi que Mircea Cărtărescu présente son roman Solénoïde.

    Mircea Cărtărescu : « Dans ce livre, j’ai pris soin du lecteur beaucoup plus que je ne l’avais fait dans mes ouvrages antérieurs. C’est dire que le lecteur est au cœur de ce livre. D’ailleurs, son regard a été constamment présent dans mon esprit pendant l’écriture de Solénoïde. Comme Ioana Pârvulescu l’a déjà remarqué, c’est un écrit élaboré et non pas un simple amas de souvenirs, de vagues hallucinations, même si tout cela existe aussi. Bien sûr que c’est un roman onirique, car il n’y a, pour moi, aucune différence entre d’une part le rêve, de l’autre la réalité, l’hallucination, la folie et la poésie, aucune distinction entre l’univers réel et celui de la poésie. Au fait, le jour comme la nuit, nous vivons tous dans cette réalité bénie. Voilà pourquoi, je dirais que l’un des thèmes les plus importants du livre est la réalité, plus précisément la signification de ce concept. Quand on en parle, on a l’impression qu’il s’agit de quelque chose de très simple, alors qu’il n’en est rien. La réalité est une des constructions les plus compliquées de l’esprit. Rappelons – le, le roman Le pauvre Dionysos de Mihai Eminescu commence par une réflexion sur réalité. »

    Les livres de Mircea Cărtărescu ont été distingués de nombreux prix par l’Académie roumaine, l’Union des écrivains de Roumanie et de République de Moldova, le ministère de la Culture, l’Association des écrivains de Bucarest, l’Association des éditeurs de Roumanie. Le roman « La nostalgie » a remporté en 2005 le prix littéraire Giuseppe Acerbi, Castel Goffredo, en Italie. Mircea Cărtărescu a également été récompensé de plusieurs autres importants : le Prix international de Littérature de Vileniča (2011), le Prix international de Littérature Haus der Kulturen der Welt, Berlin (2012), le prix Spycher – Literaturpreis Leuk, en Suisse (2013), Le grand prix du festival international de poésie de Novi Sad (2013), Le prix « La tormenta en un vaso », en Espagne (2014), le Prix Euskadi de Plata, San Sebastian (2014), le Prix du livre de Leipzig pour l’entente européenne, 2015; le Prix de l’Etat autrichien pour la littérature européenne, 2015. Ces dernières années, Mircea Cărtărescu a également compté parmi les favoris au Prix Nobel de littérature, selon les maisons de paris littéraires.