Tag: Valachie

  • Le règne de Constantin Brancovan

    Le règne de Constantin Brancovan

    Le règne de Constantin Brancovan (1688-1714) a été plutôt long et stable, chose inattendue pour une époque historique trouble, caractérisée par de nombreux changements au plus haut niveau des Principautés roumaines. Hormis les réformes qu’il a initiées en Valachie et l’essor de la culture pendant son règne, Constantin Brancovan est resté dans la mémoire des chroniqueurs aussi en raison de sa mort tragique. Les 15 — 16 août 1714, le prince Brancovan, âgé de 60 ans, ses quatre fils et son conseiller Ianache Vacarescu étaient décapités à Istanbul après cinq mois d’emprisonnement.



    Bogdan Murgescu, professeur d’histoire de l’empire ottoman à la Faculté d’histoire de l’Université de Bucarest, présente les principales caractéristiques du règne de Brancovan : « Constantin Brancovan est vu comme un bon administrateur. C’est de l’époque de son règne que datent les tentatives de réforme fiscale et les efforts de porter un regard plus détaillé sur les dépenses de fonds publics. Pendant 10 ans il a gardé un registre du trésor, qui est une source d’informations extraordinaire, témoignant en même temps de l’importance que le prince accordait au suivi des dépenses publiques. Il a réussi à faire entrer de l’argent dans le trésor public mais aussi dans sa propre bourse. Les Turcs l’appelaient « le prince de l’or », parce qu’il avait cette réputation de détenir une fortune considérable dont une partie – des propriétés et de l’argent – se trouvait à l’intérieur du pays, et une autre partie à l’étranger, y compris à Venise. Certes, il a aussi épargné, mais il a également fait bâtir plusieurs églises et résidences princières, et aidé au développement de la culture. »



    Toute personne qui détient le pouvoir se confronte à un moment donné à une certaine opposition, qui devient farouche quand il est question d’argent. Ses adversaires ont reproché à Constantin Brancovan la fermeté avec laquelle il collectait les impôts.



    Bogdan Murgescu : « Dans toute société, les impôts, on ne les aime pas. Evidemment, en Valachie les contribuables étaient confrontés à certaines contraintes. L’étude du registre du trésor public montre que, de temps en temps, les boyards étaient obligés à accorder des prêts au bénéfice du trésor. La stabilité du règne était également importante, vu qu’en général, le prince avait essayé d’éviter que le pays soit touché par les guerres qui ravageaient la région. Dans la première partie de son règne, cela ne lui a pas réussi, en raison d’une invasion autrichienne en Valachie. Mais à part cela, la Valachie a été plutôt épargnée par les interventions militaires étrangères et les destructions qu’elles entraînaient. Le pays a eu ainsi la possibilité de bénéficier d’une prospérité relative. »



    Les adversaires de Constantin Brancovan lui ont également reproché d’être turcophile, vu que les Valaques pouvaient mettre à profit la politique anti-ottomane déclenchée par l’Autriche.



    Bogdan Murgescu : « Ses opposants lui ont fait beaucoup de reproches, selon les différentes étapes de son règne, qui a été assez long : 25 ans et 4 mois. Au début il a été accusé de ne pas avoir rejoint le camp des chrétiens qui combattaient les Ottomans. Son avènement au trône survient au moment où son prédécesseur Serban Cantacuzène sembler se rapprocher des Autrichiens. Puis l’armée autrichienne est entrée en Valachie. Et pourtant Constantin Brancovan s’est fermement opposé à l’Autriche, ayant préféré se rapprocher de l’Empire ottoman aux côtés duquel il a lutté contre les Autrichiens. Il s’est également vu reprocher les décisions prises en 1711, l’année où le métropolite et une partie des boyards ont comploté contre le prince et pour une alliance avec la Russie, tandis qu’une partie de l’armée avait rejoint les troupes du tzar ; Constantin Brancovan a fait preuve d’une grande prudence, maintenant pratiquement la Valachie dans le camp ottoman. »



    Dans ce contexte, la mort tragique de Brancovan est une surprise toujours peu expliquée, croit Bogdan Murgescu : « L’exécution de Constantin Brancovan soulève un problème : il a été destitué et ensuite emmené à Istanbul où il a été interrogé et torturé pour qu’il dévoile tous les détails de sa fortune. Du point de vue ottoman, sa mise à mort est difficile à comprendre. Sa culpabilité n’a jamais été prouvée ; il n’y a eu que les richesses amassées et les relations avec les Etats voisins, mais cela n’avait pas périclité l’ordre ottoman. Il nous manque toujours une explication, soutenue par des documents probants, de la raison pour laquelle le sultan avait décidé de tuer le prince valaque et sa famille. Il existe des listes d’accusations et même de plaintes signées par certains de ses boyards, mais les explications précises manquent. L’exécution a été excessive même d’après les normes ottomanes. »



    Les milieux religieux roumains ont mis en avant l’idée du martyre des Brancovan, alors que les historiens sont réservés à ce propos. Bogdan Murgescu : « A l’époque, il y avait une coutume par laquelle un condamné à mort qui se convertissait à l’Islam était gracié, mais le fait d’être chrétien n’était pas une raison suffisante de l’exécuter. Les Turcs avaient désigné le chrétien Ştefan Cantacuzino (Cantacuzène) à la place de Brâncoveanu. Lorsqu’ils ont exécuté Ştefan lui-même et son père, le connétable Cantacuzène, ils ont nommé à la tête de la Valachie un autre chrétien, Nicolae Mavrocordat. Donc, la question de changer l’organisation du gouvernement de la Valachie ne s’est jamais posée. »



    Constantin Brancovan et ses fils ont été canonisés par l’Eglise orthodoxe roumaine au début des années 1990. L’imaginaire romantique anti-ottoman a recouru lui aussi à l’histoire du prince afin de mobiliser la nation roumaine pour l’édification de l’Etat moderne. (Trad. : Alexandru Diaconescu, Ligia Mihaiescu, Ileana Taroi)

  • Les Grecs de Bucarest

    Les Grecs de Bucarest

    Les Grecs figurent parmi les premiers à s’être installés dans le sud de la Roumanie où ils ont fondé les colonies de Histria, Tomis et Callatis au bord de la mer Noire. La province roumaine de Dobroudja a été considérée longtemps comme un véritable berceau de la communauté grecque dans la région dont les traces restent toujours visibles. Notons à titre d’exemple la localité dite des Grecs dans le nord de la Dobroudja ou encore le sommet homonyme situé à 467 mètres d’altitude dans les monts de Dobroudja. Et n’oublions pas les vestiges de la célèbre cité d’Enisala, ancienne forteresse des colons grecs byzantins et génois datant de la fin du 13è siècle.



    Ce fut vers la deuxième moitié du 15e siècle, après la chute de Constantinople le 29 mai 1453, lors de la prise de la ville par les troupes ottomanes conduites par Mehmed II que les Grecs commencèrent à fixer du regard les territoires au nord du Danube. Aux dires de l’historien Georgeta Penelea-Filiti, ce fut là une véritable tentative des colons grecs de faire renaître leur monde en terre roumaine: « A la disparition de l’Empire byzantin, les Grecs se tournent vers les Principautés roumaines pour essayer d’en faire un refuge. Je crois qu’on pourrait parler d’une heureuse coïncidence car Byzance disparaît en 1453 et six ans plus tard, en 1459, les documents attestent pour la première fois l’existence d’un petit bourg en terre roumaine qui 200 ans plus tard allait devenir sa capitale. Qu’est ce qui s’est donc passé en 1453? A l’époque, l’humanité assiste à la disparition de tout un univers plein de vie, marqué par le développement urbain, politique, juridique et institutionnel phénoménal réalisé par les Grecs. Or, au moment de la prise de la ville par les Ottomans, beaucoup de Grecs se sont vu forcer de quitter Byzance. Parmi eux, les Cantacuzène, l’une des familles les plus importantes de la ville conquise par les Turcs. De souche impériale, aisée et entreprenante, elle a fini par s’installer en terre roumaine et s’impliquer activement dans la vie politique du pays en devenant vers le 17e siècle le fer de lance du patriotisme. C’est là un exemple qui prouve que la roumanisation des Grecs était devenue une réalité ».



    Un autre chapitre de l’histoire des Grecs de Bucarest commence à compter de 1453, au nord du Danube. Les Grecs s’établissent en Valachie, notamment à Bucarest, mais l’évolution de leur communauté est inégale, guidée selon des raisons économiques et politiques et des options personnelles. Georgeta Penelea-Filiti: « Les Grecs n’arrivent pas dans l’espace bucarestois uniquement en tant que princes. Un d’entre eux fut même appelé «fabriquant de princes», car il s’était subordonné tous les compétiteurs au trône de Valachie. Les Grecs qui s’établissent dans cette région sont attirés par ses nombreuses opportunités, notamment financières, par la possibilité de valoriser leurs biens, par la qualité de la vie. Ce sont des gens appartenant à différentes classes sociales. Sans avoir fait de statistique, mais après avoir parcouru les documents, je dirais que la plupart des Grecs de Valachie travaillent dans le commerce, dans la finance ou dans la culture. C’est ici qu’intervient un élément qui va marquer l’histoire de la Roumanie pendant des centaines d’années, après 1453. Les Roumains étaient bienveillants, tolérants, gentils, mais plutôt passifs. Par conséquent la société avait besoin d’un élément dynamique, actif, de quelqu’un capable de mener à bonne fin une activité. Les Grecs arrivent avec leurs bons et leurs mauvais côtés. Sans doute que la plupart des Grecs qui se dirigent en force vers la Valachie font partie de l’entourage des princes. Et c’est sûr qu’une personne qui collecte les impôts n’est pas quelqu’un de très agréable. Mais ils sont aussi enseignants, docteurs, juristes et ils contribuent tous à la formation de la société urbaine roumaine, ils la rendent plus dynamique et développent sa culture ».



    Le 18e siècle est, sans conteste, lapogée de la présence grecque dans les territoires roumains, une période appelée des “phanariotes”. Cest alors que sinstallent dans les principautés les princes issus de familles grecques, habitant le Phanar, un quartier huppé du Constantinople de lépoque. Ces nobles allaient non seulement parfaitement sintégrer dans la société roumaine mais avoir également une contribution décisive à lessor culturel de ces territoires. Georgeta Penelea-Filiti: «On ne saurait ignorer ces Grecs qui arrivent ici en très grand nombre, qui travaillent, senrichissent et qui assument une activité dont ils sont des maîtres jusquà nos jours – la stratégie matrimoniale. Pour mieux sintégrer, se fondre dans la population, ils étaient autorisés à prendre des Roumaines pour épouses… Cest ainsi que la plupart des Grecs ne quittent plus la Valachie, ce qui amène lun dentre eux à affirmer en 1719: ” Constantinople? Cest une ville qui ne mintéresse plus – ici jai tout ce quil me faut”. Un autre Grec sémeut et senthousiasme à la fois – “si le paradis existe, il devrait être à limage de la Valachie”. Lafflux de Grecs dans la capitale roumaine pousse même les historiens et les voyageurs à appeler Bucarest une ville grecque ».



    Nombre de personnalités roumaines marquantes ont des origines grecques – cest le cas des écrivains Panaït Istrati ou Ion Luca Caragiale, de la soprano Hariclea Darclée, de lindustriel Nicolae Malaxa ou encore du banquier Zanni Chrissoveloni. Une communauté très spéciale qui a changé le visage de Bucarest depuis la vie économique et culturelle à larchitecture…(trad.: Ioana Stancescu, Valentina Beleavski, Andrei Popov)

  • 155 ans depuis l’Union des principautés roumaines

    155 ans depuis l’Union des principautés roumaines

    Il y a 155 ans, à l’issue d’un vote populaire, le leader unioniste Alexandru Ioan Cuza était élu prince régnant des deux principautés qui partageaient la même identité ethnique, linguistique et culturelle. Les réformes qui suivirent, parmi lesquelles une nouvelle Constitution, de nouvelles lois — notamment celles électorale et de la justice — la sécularisation des domaines ecclésiastiques, l’introduction de l’enseignement gratuit et obligatoire ont constitué les fondements de l’Etat roumain moderne. A compter de 1861, les grandes puissances européennes allaient reconnaître l’existence de ce nouvel Etat appelé Roumanie. Après le renversement de Cuza en 1866, l’union des principautés a été consolidée par l’avènement d’un prince allemand: Carol de Hohenzollern-Sigmaringen.



    L’évènement historique du 24 janvier 1859 a été marqué cette année aussi dans de nombreuses localités à travers le pays. Dans l’ancienne capitale de la principauté de Moldavie, Iasi (nord-est du pays), les cérémonies militaires, religieuses et les discours des leaders politiques ont remplacé le traditionnel spectacle de musique en plein air, annulé en raison du deuil observé après le tragique accident aéronautique survenu lundi dans le Massif des Apuseni.



    Dans les villes de Timisoara, Arad et Resita, les cérémonies ont évoqué non seulement l’acte du 24 janvier 1859, mais aussi la Grande Union de 1918 qui a parachevé la création de l’Etat- national unitaire roumain. «Les Roumains doivent comprendre l’importance de la solidarité à l’intérieur de la grande famille qu’est la Roumanie», a déclaré le président Traian Basescu dans son message transmis à l’occasion de l’Union des principautés. «Il s’agit d’un évènement historique qui garde intacte sa force spirituelle pour nous tous, qui habitons ce pays ou faisons partie des communautés roumaines de l’étranger » a également précisé le chef de l’Etat dans son message.



    L’élément fédérateur des manifestations déroulées ce vendredi à travers le pays a été la ronde de l’Union – une danse traditionnelle roumaine sur une mélodie composée à l’époque spécialement pour cet événement. Elle est suivie d’habitude par des kermesses populaires organisées par les autorités locales sur la place centrale des villes roumaines.



    Les 155 ans écoulés depuis l’Union ont été marqués aussi à Chisinau, à Montréal, à Milan et à Venise. A Prague, l’Institut culturel roumain invite le public à des projections de films portant sur l’histoire moderne de la Roumanie, y compris sur la première guerre mondiale, au lendemain de laquelle avait été accomplie la Grande Union et sur les monarques qui ont joué un rôle crucial dans la création et la consolidation de la Roumanie moderne, Carol Ier et Ferdinand.

  • Plats de la région de Valachie

    Plats de la région de Valachie

    Nous allors faire une incursion dans la région historique roumaine sise entre les Carpates et le Danube. Les documents historiques moyenâgeux décrivent souvent les fêtes organisées par les princes régnants valaques en l’honneur de leurs invités et l’abondance des plats sur les tables princières. Les grands boyards organisaient eux aussi des festins pour célébrer Noël, l’Epiphanie et Pâques. Ces repas festifs comprenaient une soixantaine de plats et les invités devaient absolument vider toutes les assiettes, afin de ne pas offenser les hôtes. Les cuisiniers de l’époque utilisaient la viande de porc, de mouton et de volaille, et évitaient le bœuf parce qu’ils disaient que cet animal avait beaucoup travaillé pendant sa vie pour tirer des chars et labourer la terre.



    La cuisine valaque est caractérisée par la diversité et l’ingéniosité. A travers le temps, elle a été influencée par la cuisine grecque, celle orientale, mais aussi par les cuisines française et même italienne. Dans cette région, on utilise aussi une longue liste de légumes et de fruits, mais aussi du poisson et des produits laitiers. L’aspic de coq, d’oie et de porc est un plat traditionnel de Valachie. A l’époque, les invités étrangers qui participaient aux festins découvraient fascinés un tel plat qui contenait aussi des morceaux de légumes aux couleurs vives. Les fruits en saumure, pommes, poires et petites pastèques qui accompagnaient des plats riches en graisses impressionnaient également les voyageurs étrangers. Selon la saison, les rôtis étaient accompagnés en automne par des coings et en hiver par des pruneaux.



    Les soupes aigres de bœuf ou de volaille sont également riches en légumes. Mentionnons aussi que ces soupes contiennent un ingrédient indispensable nommé bortch, un condiment originaire de Roumanie, obtenu à partir de la fermentation du son de blé. La soupe aux boulettes de viande et à la crème aigre est également très répandue en Valachie. C’est avec ce genre de soupes aigres que les boyards d’autrefois commençaient leur journée, lorsqu’ils se levaient tard et le petit-déj se transformait en un déjeuner copieux.



    C’est notamment une soupe aigre que nous vous proposons de préparer vous-mêmes à la maison. Vous avez besoin d’un ou de plusieurs morceaux de viande de porc, de bœuf ou de volaille et de beaucoup de légumes : un tiers de céleri-rave, deux racines de persil ou de panais et deux carottes, deux pommes de terre, des petits pois, un poivron, un quart de chou et un gros oignon. La liste se poursuit avec un demi-litre de jus de tomates ou un petit bocal de 250 grammes de coulis de tomates, du persil, de l’estragon ou de la livèche. N’oubliez pas non plus le bortch, que vous pouvez trouver sous une forme liquide ou en sachets chez les traiteurs roumains.



    Coupez la viande en cubes et faites-la bouillir dans une casserole plutôt large, et écumez-la à plusieurs reprises. Ajoutez les légumes coupés en dés d’un centimètre environ. Un quart d’heure avant de retirer la casserole du feu, ajouter le bortch et le jus ou le coulis de tomates. La soupe est servie chaude, enrichie de crème aigre. Ne pas oublier d’essayer un piment fort et un petit verre d’eau-de-vie de prunes. Uniquement si vous en avez le courage. (trad.: Alex Diaconescu)

  • Le tribut dans les principautés roumaines

    Le tribut dans les principautés roumaines

    Pendant les siècles de domination ottomane, les Principautés roumaines se sont vu obliger à payer des redevances envers la Sublime Porte, connues sous le nom générique de tribut. Ces obligations économiques, qui ont revêtu, au fil du temps, différentes formes, sont devenues de plus en plus accablantes, mais leur effet le plus nuisible a été la corruption. La pratique du pot-de-vin allait étouffer l’économie. Les réformateurs roumains de la fin du 18e siècle et du début du 19e siècle considéraient les obligations économiques des Principautés romaines envers les Ottomans comme principale cause de la mauvaise gestion de l’argent public et de leur situation désastreuse.



    La première de ces redevances a été payée en Valachie, la principauté du sud, pendant le bref règne de Vlad dit l’Usurpateur, en 1395. Connu sous le nom de «haraci» (karatch), ce tribut allait être payé par les descendants du prince Mircea le Vieux aussi. En Moldavie, le premier tribut envers la Porte Ottomane a été versé à l’été 1456 par le prince Petru Aron. Cette taxe avait été scellée par l’accord politique signé une année auparavant. L’Historien Bogdan Murgescu, qui enseigne à la Faculté d’histoire de l’Université de Bucarest, explique l’évolution dans le temps de la structure de ces redevances: « Le carache ou karatch, comme on appelait ce tribut, était pour l’essentiel une somme forfaitaire payée par le voïvode, mais les redevances consistaient aussi en cadeaux de protocole, certains en argent, d’autres en nature, tels que fourrures ou différents autres biens, faucons, chevaux. Au début, le tribut payé en argent était le plus important, les dons étant occasionnels. »



    Les obligations économiques ont évolué suivant l’histoire de la puissance ottomane. Par exemple, les redevances augmentaient pendant les périodes d’expansion de l’Empire.



    Bogdan Murgescu. « Lorsque la dépendance des Principautés roumaines de l’Empire Ottoman s’est accrue, des exigences supplémentaires sont apparues et pas forcément liées à l’argent. Certaines avaient trait au ravitaillement des armées ou des cités ottomanes, y compris celle de Constantinople. Les sollicitations concernaient parfois des produits, des animaux, du bois pour les bâtiments et les navires ou même des hommes de peine pour les constructions militaires. »



    Un véritable appel d’offre était organisé parmi les prétendants au trône des principautés roumaines de Valachie et de Moldavie. Les sommes à payer étaient parfois faramineuses, mais les futurs princes faisaient de leur mieux pour les acquitter, puisqu’ils les considéraient comme un investissement.



    Bogdan Murgescu: « On a ajouté des sommes qui n’avaient plus de rapport avec les ententes officielles, mais avec les marchandages permettant de monter sur le trône. Ceux qui le convoitaient proposaient certaines sommes au sultan. Pour éviter qu’il soit limogé, le prince qui occupait alors le trône offrait lui aussi au sultan ou bien à de hauts dignitaires ottomans soit de l’argent soit des bijoux ou autres objets de valeur. Lorsque la grande majorité des princes furent nommés par Istanbul, ces sommes devinrent toujours plus conséquentes, dépassant de beaucoup le tribut et les dons officiels. Dans les années 1580-1594 l’argent moyennant lequel on obtenait le trône représentait 60%, le tribut moins de 20%, tandis que les cadeaux comptaient pour 20% des obligations envers les Ottomans. A un moment donné, le pot-de-vin offert en échange du trône a même été plus important que le montant total du tribut, toutes obligations économiques confondues. Cette pratique perdurera jusqu’au 18 e siècle. »



    Alors que cet argent renflouait les caisses de l’Etat ottoman, les cadeaux revenaient au sultan ou à certains dignitaires de haut rang. Quel était le poids de ce tribut payé par les Principautés roumaines par comparaison avec les obligations économiques versées par des provinces ottomanes de l’époque?. Explication avec l’historien Bogdan Murgescu: « Le tribut payé par les Principautés roumaines n’était pas très significatif pour la trésorerie de l’Empire Ottoman. Il représentait moins de 10% des recettes officielles de l’Etat. La situation était toute autre pour les sommes perçues comme pot-de-vin, dont le pourcentage était bien plus grand. A comparer le fardeau fiscal par tête d’habitant, on constate qu’il est plus lourd dans les Principautés roumaines que dans les territoires administrés par des gouverneurs ottomans. Finalement, ce n’était pas une mauvaise affaire que de maintenir l’autonomie des Principautés roumaines, puisque les princes roumains se sont avérés être meilleurs collecteurs d’argent que les dignitaires ottomans eux-mêmes. »



    A commencer par la fin du 18e siècle et le début du 19e, l’influence ottomane dans l’espace roumain diminue. Les obligations de nature économiques vont elles-aussi décroître. Dernier à disparaître, le carache sera utilisé en 1877 pour doter l’armée qui sortira victorieuse de la guerre aboutissant à l’indépendance de la Roumanie. (trad. : Mariana Tudose)

  • Les débuts de l’Etat en Roumanie

    Les débuts de l’Etat en Roumanie

    L’Etat médiéval roumain compte parmi les derniers apparus en Europe, respectivement dans la seconde moitié du XIVe siècle. Les historiens expliquent ce retard par des arguments politiques et aussi par les transformations économiques et sociales liées aux migrations. Les Roumains, tout comme les Slaves du nord, ont périodiquement subi l’impact déstabilisateur des incursions des peuples migrateurs d’origine turco-mongole venant d’Asie.



    Les débuts de l’Etat connu sous le nom de Valachie, situé entre les Carpates Méridionales et le Danube, et qui constitue le noyau du futur Etat roumain formé au milieu du XIXe siècle, ont fait l’objet de discussions contradictoires, en raison de l’absence de sources historiques. En outre, les hypothèses plus ou moins vraisemblables qui circulent en parallèle rendent difficile l’intelligence, par l’individu moyennement instruit, d’un processus long et compliqué. La théorie la plus en vue ces dernières années portant sur la création de l’Etat de Valachie, c’est celle de l’historien Neagu Djuvara. Elle met l’accent sur l’influence substantielle des Coumans, population migratrice turcique.



    L’historien Matei Cazacu, spécialiste de l’histoire moyenâgeuse, est chercheur au Centre national de recherche scientifique de France et maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) de Paris. Il nous a fourni des détails sur le stade des recherches archéologiques menées jusqu’ici sur la formation de l’Etat de Valachie. « Les fouilles archéologiques sur les sites de Curtea de Argeş et de Câmpulung ont mis au jour des maisons princières et une vieille église du 13e siècle. Puisqu’en ces temps-là la communication était surtout orale, il n’y a presque pas de témoignages sur tel ou tel voïvode ou cneaz, termes par lesquels on désigne les chefs des formations étatiques respectives. C’est ce qui explique qu’ils soient restés dans le cône d’ombre de la grande histoire. Il a fallu attendre l’an 1204, date du siège de Constantinople par les croisés, et l’intégration dans la stratégie papale des païens et des schismatiques des deux rives du Danube pour apprendre l’existence de ces voïvode” et cneaz”. Ceux-ci étaient roumains et orthodoxes et ils habitaient des maisons en pierre et en bois. Les Coumans et les autres nomades habitaient sur les rives du Danube et des petites rivières qui se jettent dans le fleuve et y ont laissé des traces. Leurs sépulcres, on en a recensé 13 dans toute la Valachie, se trouvent surtout dans l’est du territoire. On peut observer donc que le siège du pouvoir couman se trouvait à l’est, en Dobroudja et dans le sud de la Bessarabie. Si la Valachie avait été fondée par les Coumans, la capitale n’aurait pas été installée à Curtea de Arges, en montagne. L’Etat n’aurait pas été appelé Munténie, c’est à dire le « pays des gens de la montagne ». Les Coumans auraient installé la capitale de leur Etat à Lehliu, ou à Caracal, soit les endroits où ils étaient les plus nombreux, et non pas au cœur des Carpates ».



    L’hypothèse acceptée par la quasi-majorité des historiens est que la Valachie, dans le sud de la Roumanie actuelle, était partagée en deux entités : le nord subcarpatique, contrôlé par les élites roumaines, et le sud danubien, sous contrôle couman. Dans les cartes de l’époque, l’est et le sud de la Valachie font partie de la Coumanie.



    Serban Papacostea explique ce qu’était en fait la Coumanie. « Dans la géographie occidentale de langue latine, l’espace délimité à l’ouest par la rivière Olt est appelé Cumania. C’est à partir d’un coin formé par le département actuel d’Arges, plus l’Olténie, qu’a commencé l’expansion de l’Etat roumain créé durant le règne de Basarab Ier. Nous ne mettons pas en question origine de celui-ci, ce qui est important, c’est le rôle historique qu’il avait joué. Basarab s’est identifié avec l’Etat roumain et a contribué à sa création. Mais le nom de Cumania apparaît longuement en tant qu’empire des steppes. Pendant tout un millénaire, cet espace s’est trouvé sous l’influence, voire la domination de cet empire des steppes, où plusieurs peuples asiatiques se sont succédés. L’expansion de l’Etat roumain a commencé au 13e siècle vers l’est, vers l’espace désigné par la géographie occidentale en tant que Coumanie, partagé entre la Coumanie Noire à l’ouest et la Coumanie Blanche à l’est, notamment dans le nord de la mer Noire. Le processus avait commencé par la traversée des Carpates par les Teutons en 1211. Au 14e siècle, ce processus s’est poursuivi par l’alliance anti-tartare des royaumes de Hongrie et de Pologne en collaboration avec le fils de Basarab. Cette alliance a poussé la Horde d’or, le nom qui désignait l’Empire mongol, dans la steppe russe. La Coumanie Noire était également le nom sous lequel étaient connues la Valachie et notamment la partie délimitée à l’ouest par la rivière d’Olt et par la Moldavie. »



    Matei Cazacu rappelle aussi l’existence de certains vestiges qui confirment que la Coumanie était une entité étatique importante dans la région: « Cette Coumanie est documentée sur le terrain justement par toponymie. Nous savons que les termes Bărăgan, Burnaz, Teleorman étaient coumans, vu que ce sont d’anciens noms turcs. L’historien Nicolae Iorga l’avait très bien remarqué. D’une part, nous avons cette portion coumane dans le sud de la Munténie, le Bărăgan, qui va jusqu’aux bouches du Danube, et la Dobroudja du Nord. D’autre part, il existe des zones habitées par les Roumains avec les toponymes Vlăsia et Vlaşca. Après quoi apparaissent les Slaves installés au Banat à des époques plus ou moins reculées. Les Coumans, et avant eux, les Petchenègues et autres, habitaient les plaines, avec des pâturages au bord de certaines petites rivières. Ils dominaient les populations locales de Roumains pêcheurs et agriculteurs ; ils ont laissé des traces dans la toponymie et ont été assimilés, se sédentarisant par la suite ».



    La formation politique de la Munténie au dernier quart du 13e s. et au 14e tient compte, comme dans la plupart des cas, de la contribution autochtone et des influences migratrices. Dans le cas présent, les Roumains et les Coumans ont créé l’Etat qu’ils ont imaginé…(trad. : Mariana Tudose, Ligia Mihaiescu, Alex Diaconescu)