Category: La Roumanie chez elle

  • Tribal Fest à Bucarest

    Tribal Fest à Bucarest

    Andreea Bonea est diplômée de la faculté de droit et elle a été chef de projet chez Google et Yahoo. Après avoir travaillé, pendant 9 ans, à Sillicon Valley, aux Etats-Unis, elle est revenue en Roumanie, avec des connaissances professionnelles impressionnantes et avec un hobby pas comme les autres: la danse du ventre. Comment a-t-elle découvert ce type de danse? Elle nous le raconte elle-même. « La première année après mon arrivée à Sillicon Valley, j’ai tâché de me repérer, de voir comment ça se passait, comment vivaient des gens… Et j’ai constaté qu’à part leur travail – leur principale occupation – les gens avaient des hobbys. Je n’avais pas encore d’amis, ma vie sociale n’était pas tellement riche et je me suis rendu compte que pour avoir accès plus facilement à une communauté — autre que celle du boulot — il me fallait un hobby. Au début, j’ai été très attirée par le flamenco, qui me semblait une danse très vigoureuse, très dramatique, pourtant je n’étais pas si passionnée de flamenco pour y investir de l’argent et m’acheter l’équipement nécessaire. Alors, je me suis tournée vers la danse du ventre. Lorsque j’ai rejoint la classe de danse de mon premier professeur, en voyant le corps de cette femme, sa façon de se mouvoir, ses gestes et tout, j’ai été fascinée par cette danse et j’y suis restée pendant 3 ou 4 ans. »



    Qu’est-ce qui rend la danse du ventre tellement fascinante ? Selon Adreea, c’est n’est pas une simple danse, c’est beaucoup plus. Et cette danse a enrichi sa vie d’une manière tout à fait inattendue. « Cela m’a rendue tellement confiante et disciplinée et m’a fait comprendre que mes limitations étaient d’ordre mental. Je me suis rendu compte que si j’ai réussi à exécuter certains mouvements, je pouvais réussir aussi d’autres choses. Cela m’a donné le courage d’entamer des projets dans d’autres domaines. Sans compter les bénéfices strictement physiques… La danse du ventre vous maintient en forme. D’habitude, on doit l’accompagner d’un autre type de danse — du moins c’est ainsi que cela se passait aux Etats-Unis. Pour acquérir la résistance dont on a besoin, ont doit faire, parallèlement, de la danse classique ou une gymnastique douce — pilates, par exemple — ou du yoga, afin de renforcer ses muscles. Il ne suffit pas de faire les exercices obligatoires pour la danse du ventre. Moi, j’ai choisi le yoga. La danse du ventre m’a ouvert ainsi les portes d’un autre univers, que je ne pensais pas pouvoir découvrir. Donc, à part la danse du ventre, j’ai commencé à pratiquer le yoga, qui a complètement changé ma vie. »



    La danse du ventre ne jouit pas d’une très bonne réputation en Roumanie. Associée d’habitude à un genre de musique d’origine orientale appelé « manea » et, plus récemment, à une série télévisée très populaire en Roumanie qui raconte la vie d’un sultan turc, ce type de danse a quand même ses admirateurs et pratiquants sur les rives de la rivière Dâmboviţa, qui traverse la capitale. Il y a même une petite communauté de danseuses, qu’Andreea Bonea n’a pas manqué de connaître. Pourtant, dans son bagage de connaissances apportées d’Amérique, se trouvait, « soigneusement rangé » un nouveau courant pour les danseuses de Roumanie : le Tribal Fusion. Qu’est-ce que c’est que le Tribal Fusion? « C’est une danse tribale orientale, qui repose sur la danse tribale du ventre, un filon qui fusionne avec d’autres styles de danse. On peut avoir ainsi la danse du ventre avec du tango, avec du flamenco ou encore avec du hip hop et du break dance. C’est une forme contemporaine de danse du ventre qui est pratiquée depuis les années 2000 à San Francisco, où j’ai appris pendant 9 ans. En Roumanie, il n’y a rien de tout cela ; la communauté de danse du ventre est très petite, mais très passionnée ; cette niche était inexistante. Etant si attachée au phénomène, je me suis rendu compte que c’était la meilleure occasion pour moi de contribuer au renforcement de la communauté de danse d’ici et de donner l’occasion aux danseuses roumaines de connaître des monitrices internationales de tribal fusion de différents coins du monde ».



    L’expérience comme chef de projet dans les grandes compagnies dans lesquelles elle a travaillé ont aidé Andreea à mettre sur pied le premier festival de Tribal Fusion Belly Dance, qu’elle a appelé Tribal Fest. Ce qui n’est pas facile du tout, étant donné qu’elle vient de donner naissance à une petite fille. Malgré cela, elle a été l’âme du festival qui a eu lieu le week-end dernier à Bucarest. Même si l’audience n’a pas été très grande, chaque jour, d’autres spectateurs ont pris place dans la salle, fait dont Andreea s’est félicitée. « De grands noms de cette niche de danse du ventre tribal fusion ont été présents, des Etats Unis, du Royaume Uni, d’Italie, de Slovénie, des Pays-Bas, d’Ukraine… Ce fut un festival international de 3 jours où nous avons eu de nouvelles personnes dans la salle chaque jour ; j’en ai été très contente. Il a culminé par un spectacle de gala. C’était le moment que je n’oublierai pas. Toutes les danseuses étaient sur scène, un nombre impressionnant, avec leurs différents costumes et leurs énergies, et je me suis rendu compte que j’avais placé Bucarest sur la carte du Tribal Fusion. Au bout de ces trois jours, j’ai respiré et j’ai été très heureuse ».



    Ce n’est pas facile d’aller jusqu’au bout dans ce que l’on fait, dit Andreea Bonea. Il y a beaucoup d’idées et pas mal de gens pour les penser. Ce qui est plus difficile, c’est de finaliser un projet, qu’il s’agisse d’un projet informatique ou de danse du ventre. Pourtant, elle a réussi à placer Bucarest sur une carte, celle d’un monde sensuel, qui, considéré de manière superficielle, peut tromper l’œil. Pour 2014, Andreea Bonea a déjà des plans. Qui vont d’une salle de yoga à une deuxième édition de Tribal Fest, que nous vous suggérons de ne pas rater, s’il vous arrive d’être à ce moment à Bucarest. (Trad. : Ligia Mihăiescu, Dominique)

  • Le portrait du pèlerin 2013

    Le portrait du pèlerin 2013

    Chaque année, à la mi-octobre, des centaines de milliers de personnes se dirigent vers la ville de Iaşi, pour le fête de Sainte Parascève, ensuite, le 26 octobre, vers Bucarest, pour la Saint Démètre. D’autres lieux s’ouvrent aux pèlerins tout au long de l’année : Nicula, dans le comté de Cluj, pour la Sainte Marie, Prislop, dans le département de Hunedoara, fin novembre et les monastères de Bucovine, tous les jours de l’année.



    Les télévisions ne ratent pas le sujet et d’un endroit à l’autre et d’une année à l’autre, les nouvelles se ressemblent : foules, plats traditionnels, espoirs, un peu d’hypocrisie, petits miracles et thé chaud, gendarmes et personnes venues de tous les coins du pays.


    Qu’est-ce qui pousse tous ces gens-là à se diriger vers les églises et les monastères ? Pourquoi s’empressent-ils autour des châsses contenant les reliques des saints ? Pourquoi les Roumains font-ils des pèlerinages ?



    Voilà quelques questions auxquelles le chercheur Mirel Bănică tâche de réponde depuis plusieurs années : « D’habitude, le pèlerin est une femme de plus de 60 ans, le plus souvent elle est retraitée, et sa situation financière est modeste. Ses enfants sont partis, souvent le mari est décédé. Elle vit seule et de temps en temps, elle part en pèlerinage avec un groupe de voisines ou d’amies. Le plus souvent, elle prend l’autobus ou le minibus, c’est pourquoi, je les appelle, non sans une certaine malice, « pèlerins d’autocar ». Le pèlerin traditionnel, rural est bien mort. C’est que les villages sont vieillis, dépeuplés, touchés par la migration. La belle pèlerine qui se rendait en charrette dans un lieu saint, avec ses enfants, avec ses frères et ses sœurs, pour la fête patronale d’un monastère, par exemple, est en voie de disparition. Une nouvelle couche de pèlerins est en train de se former, provenant notamment des villes mono-industrielles».



    De longues filles d’attentes se forment devant les églises ou les monastères et pour arriver devant une châsse abritant les reliques d’un saint, les pèlerins doivent y passer entre 3 et 28 heures. Cette attente — affirme le chercheur — est une composante importante du pèlerinage orthodoxe, qui, à la différence du pèlerinage catholique, s’étend plutôt dans le temps que dans l’espace. Dans les files d’attente, les gens se serrent les uns contre les autres, plaisantent, rient, prient, partagent leur nourriture. Ils s’ouvrent aux autres, ouvrent leurs cœurs, racontent leurs petits drames et ce qui les amène en pèlerinage.



    Vu de l’extérieur, ce serpent fait de corps humains et qui se plie pour suivre le couloir délimité par les clôtures environnantes peut sembler comique — estime Mirel Bănică : « A la regarder de loin, une file d’attente devant une église ou un monastère semble comique, on pleure de rire. Quand on se rapproche et on l’intègre, devant tous ces drames intérieurs, toutes ces destinées, toutes les histoires de la vie de ces gens, on pleure, tout court. Et ces drames, ce sont les drames de la Roumanie d’aujourd’hui : des gens qui cherchent le sens de leur existence, des gens ayant dépassé la soixantaine et qui ont vécu les années du communisme et qui ne savent plus où le classer sur le plan des idées et des valeurs. Nous y décelons une Roumanie déchirée par la migration, pauvre, malade… Pourtant, surprise ! Dans ses enfilades on retrouve aussi des jeunes travaillant dans de grandes compagnies ou qui gagnent très bien leur vie. Pour eux, le pèlerinage est soit un exercice de développement personnel, soit une occasion de vaincre leur peur de la fatigue ou du froid…



    Les raisons pour lesquelles les gens font un pèlerinage sont très diverses. La plus importante est de nature taumaturgique, ils cherchent la guérison. Ils sont malades et ne vous imaginez pas qu’ils n’ont pas suivi un traitement médical, la plupart ont eu recours à la médecine classique. Il y a ensuite des personnes qui viennent prier pour leurs proches ou pour eux-mêmes. Pour les personnes âgées, c’est une forme de socialisation : ils chantent, ils se détendent, ils s’amusent — nous ne devons pas avoir honte de ce mot. L’Eglise a une tendance à spiritualiser au maximum le pèlerinage. Eh non ! Les pèlerins sont des gens normaux, ils ne sont pas des fondamentalistes à longue barbe, ni des saints qui battent de leurs ailes. Non, ce sont des gens comme vous et moi, qui font ce voyage ensemble, ils prient, ils lisent, ils mangent. Et ce sont là des formes de socialisation qui augmentent la qualité de leur vie.



    Imaginez à quoi peut ressembler l’existence d’une personne seule, retraitée, vivant seule au 8e étage d’un immeuble dans un quartier pas du tout huppé de Bucarest. Ce sont des gens qui viennent par curiosité, ils viennent une fois, ça leur plaît et ils viennent une deuxième fois. C’est que les pèlerinages, ça crée une dépendance.



    Qu’est-ce qui crée, en fait, cette dépendance ? Si vous êtes jamais allé à un concert sur un stade, vous saurez avec précision quel est le principal ingrédient : l’émotion. Une émotion sacrée, cette fois-ci — explique Mirel Bănică : « C’est l’état de bien-être — à valeur thérapeutique — du sacré. On ne peut pas le décrire par des mots, il faut le vivre. Les gens se sentent libres, affranchis de toute barrière, de toute entrave et expriment sans contrainte leurs sentiments. L’émotion remplit l’espace et cette charge émotionnelle intense lie les gens. Vous ne pouvez pas imaginer ce que l’on peut ressentir quand on entend 80 mille personnes chanter « A Nicula en haut de la colline » à minuit, des cierges allumés dans leurs mains. C’est une émotion sacrée que l’on ne ressent dans aucune autre assemblée de ce genre. »



    Il n’est pas facile de rester debout des heures entières, très proche de « son prochain ». C’est peut-être justement la fatigue physique ou peut-être l’adrénaline qui s’accumule dans l’organisme qui font que les pèlerins ne ressentent pas le poids du temps. Et lorsqu’ils se trouvent, enfin, près de la châsse, l’émotion balaie, tout simplement, la réalité environnante : « On ne peut jamais rien obtenir sans donner quelque chose en échange. Et ceux qui font la queue savent que cette brève souffrance physique est une sorte d’offrande symbolique faite à une divinité qu’ils ne peuvent pas voir, ne peuvent pas sentir, mais à laquelle ils croient. S’ils vous arrive de parler à ces personnes, vous constatez qu’elles ne se rappellent pas très bien ce qui se passe durant ces secondes devant la châsse… soit ils sont très fatigués, soit le passage devant la châsse entraîne une décharge émotionnelle : ils pleurent, certains de tristesse, d’autres de joie ou de fatigue. Ils mettent du temps à retrouver leurs esprits, en sortant de là. »



    Et pourtant, chaque année, ils recommencent. Nous avons demandé à notre interlocuteur, Mirel Bănică, de résumer en quelques mots le phénomène du pèlerinage, qu’il considère comme essentiel pour comprendre la société dans son ensemble : « C’est la réponse d’une partie significative de la société roumaine aux changements si rapides qui ont eu lieu après 1989. Le pèlerinage prouve que grand nombre de nos concitoyens tentent de donner un sens à leur vie. Il crée un sens au cœur d’un monde qu’ils ne comprennent plus, où il ne réussissent plus à s’intégrer et dont ils sont mécontents. Nous ne savons pas comment cette forme de spiritualité va évoluer, elle connaîtra peut-être ses périodes de grandeur et de décadence. »



    Le week-end dernier, le parfum du pèlerinage a flotté de nouveau sur la colline de l’Eglise métropolitaine à Bucarest: basilic, fatigue, sueur, parfum bon marché, chants, nuit, obscurité, gendarmes, barrières, plats traditionnels succulents, médias, réflecteurs, avenir, communisme, nostalgie et, de nouveau, avenir… (trad. : Dominique)

  • Le Festival International des ballons à air chaud de Baia Mare.

    Le Festival International des ballons à air chaud de Baia Mare.

    Début octobre, le ciel de la ville de Baia Mare s’anime d’une multitude de ballons à air chaud joliment colorés. Pourtant, les plus téméraires d’entre vous qui osent s’embarquer à bord de la nacelle auront la chance unique de se laisser au gré du vent pour goûter à la liberté. La présence des montgolfières dans le ciel de Maramures est due à Ion Istrate, fondateur du Festival International des ballons à air chaud de Baia Mare.



    Une initiative issue non pas des romans de Jules Verne, mais de la passion du vol qui le caractérise. Ce n’est pas une question d’adrénaline, comme s’attend la plupart d’entre vous. Il s’agit, si vous voulez, d’une simple ballade en altitude. Ce qui rend unique ce vol c’est le fait que l’on s’embarque dans la nacelle pour s’élever à 300, 500 ou même 1000 mètres d’altitude, tout en restant conscient du fait que l’on est complètement au gré du vent. On n’est pas attaché avec des cordes, pas besoin de le faire et du coup on a la liberté totale du mouvement pour bénéficier d’une visibilité à 360 degrés. Au moment où la montgolfière se met à descendre, puisqu’elle peut voler également à basse altitude, disons à 30 ou 50 mètres, le passager peut communiquer avec les gens restés au sol pour les saluer et se faire saluer à son tour. C’est une multitude de sensations impossibles à obtenir dans le cas des autres catégories d’aéronef. En plus, comme le ballon se déplace lentement, il doit arriver dans un courant d’air à vitesse modérée. Tout se déroule donc lentement en laissant aux passagers la joie de profiter au maximum des sensations éprouvées. Une fois en haut du ciel, tous les bruits du sol disparaissent, ils se font à peine entendre comme si l’on avait fermé les fenêtres et que l’on arrive à peine à distinguer un klaxon de voiture ou un aboiement de chien”.



    Ion Istrate est le premier importateur de ballons à air chaud de Roumanie. Cela se passait en 1997, à l’époque où il travaillait pour un groupe événementiel qui cherchait à importer une montgolfière publicitaire. Pas facile à en trouver une à cette époque-là, affirme Ion Istrate : « J’ai cherché partout : dans les bibliothèques, auprès des clubs de l’étranger, j’ai donné des coups de fil, envoyé des télécopies. J’ai cherché en Grande Bretagne et en Nouvelle Zélande pour en trouver finalement chez nos voisins hongrois. C’est comme cela qu’a commencé à s’écrire l’histoire de la montgolfière en Roumanie. A l’instar de tout aéronef, on a dû immatriculer le ballon, le soumettre à des tests, élaborer une documentation censée attester ses performances qu’on a soumise par la suite à l’Autorité Aéronautique pour obtenir finalement son certificat d’immatriculation et de navigation. Au moment où l’on a importé la montgolfière, le producteur s’est dit prêt à nous aider à obtenir la licence qu’on a d’ailleurs décrochée suite à un examen passé en Hongrie. Ultérieurement, le processus a été adapté aux normes législatives en vigueur en Roumanie ce qui fait qu’à présent on peut obtenir un certificat de licence chez nous aussi. En 1998, le premier ballon à air chaud était donc immatriculé en Roumanie et deux pilotes avaient obtenu le brevet de pilotage et s’apprêtaient à prendre de l’altitude ».



    A l’heure où l’on parle, les montgolfières ne se font plus rares en Roumanie. Les gens se plaisent à les admirer et les plus courageux se disent même prêts à partir en aventure. Pour les habitants de Baia Mare, le Festival des ballons à air chaud est déjà une tradition. Ion Istrate: Lors de sa première édition, en 2011, le festival a réuni 23 équipages de 11 pays aussi bien de l’Est que de l’Ouest du continent et je pense au Royaume Uni, aux Pays Bas, à la France en continuant par l’Ukraine, la République de Moldova, la Slovaquie et la Slovénie. Le matin on organise des vols libres, tandis qu’en week-end, on offre au public la possibilité de faire des vols captifs. Durant ce type de vol, la montgolfière reste reliée au sol par des cordages et s’élève jusqu’à une hauteur de 20 à 30 mètres. Ce vol permet donc à tout le monde d’expérimenter la sensation, même aux gamins qui craignent les altitudes peuvent s’y aventurer. C’est un événement très prisé qui offre un spectacle géant. Les ballons sont joliment colorés et avancent lentement, en flottant dans l’air comme de gros lampions en papier. C’est un spectacle à ne pas rater”



    20 équipages de 9 pays sont entrés cette année dans la compétition des montgolfières organisée à Baia Mare. En plus, pour cette deuxième édition du Festival, les organisateurs ont prévu un côté humanitaire. Ion Istrate: Sur le total des recettes obtenues en organisant des vols captifs, une partie a été dirigée vers une gamine de Baia Mare contrainte de vivre et de faire ses devoirs dans des conditions insalubres. Or, grâce à cet argent, on a pu lui trouver un nouveau logement et on l’a fait inscrire dans une école nouvelle. Nous souhaitons aider cette gamine à l’avenir aussi”.



    Le vol des montgolfières dans le ciel de Maramures a quelque chose de majestueux. Est-ce que cette activité est dangereuse? Eh bien, aux dires d’Ion Istrate, le grand péril n’est pas de faire un atterrissage d’urgence, mais de tomber irrémédiablement amoureux de cette sensation. Si quelqu’un m’avait dit voici 15 ans écoute moi bien, toi tu finiras par piloter des ballons, j’aurais répondu mais voyons, cela est impossible, tu me confonds peut-être, je n’ai jamais voulu voler en ballon et je ne vais jamais le faire. Franchement, je ne sais pas si l’on peut repartir à zéro quand on a découvert cette activité. Une fois contaminé par le virus du vol, impossible d’y échapper”.



    Un proverbe dit que celui qui a connu la sensation du vol finira par marcher les yeux levés vers le ciel. Alors, il ne nous reste plus qu’à vous souhaiter d’essayer au moins une fois un vol en ballon, ne serait-ce que captif et pourquoi pas, à Baia Mare…(trad. : Ioana Stancescu)





  • Un cadeau en cadeau…

    Un cadeau en cadeau…

    Il y a deux ans, la branche roumaine d’une fondation internationale amenait en Roumanie plusieurs dizaines de vaches irlandaises de race Holstein — Friesian, réputées pour leur production de lait et pour la grande capacité à s’adapter aux différentes conditions climatiques. Leur voyage par avion allait faire les délices de la presse qui s’empressa de titrer en gros caractères «les vaches volantes». Beaucoup plus ancienne que ça, l’histoire de ces vaches irlandaises vaut un regard plus attentif, même en ce moment assez éloigné de la «descente» dont on parlait tout à l’heure.



    Don de la part de fermiers irlandais, qui n’en sont pas à leur première oeuvre caritative, ces animaux ont été distribués à des familles démunies du village de Râşca du comté de Cluj. Les bienfaiteurs ont également apporté la nourriture nécessaire pour la période d’acclimatation des bêtes. Ovidiu Spânu, directeur de la fondation Heifer, affirme que cette donation s’appuie sur le principe du «partage de dons» : « Sur ce premier transport de vaches, une partie est allée chez les orphelins institutionnalisés de Sântandrei, près d’Oradea, une autre partie – au projet intitulé Du lait pour les orphelins”. Le foyer des orphelins Felix abrite 270 enfants. L’établissement possède aussi une ferme de quelques 150 animaux. Bien des pensionnaires de l’orphelinat qui ont atteint l’âge de la majorité travaillent à la ferme. Ils font des travaux de menuiserie, conduisent le tracteur ou nourrissent les animaux. Les enfants de l’orphelinat reçoivent du lait et des laitages produits là-même. Les Irlandais ont convenu avec les fermiers de Râşca que la première génisse, ainsi que 300 litres de lait, soient donnés aux orphelinats et aux enfants issus de familles pauvres du comté de Cluj. Nous avons dressé une liste de plusieurs orphelinats auxquels nous livrons du lait presque chaque mardi. Notre camion frigorifique s’arrête aussi dans la localité de Patarât. Le lait est destiné aux 350 enfants de la communauté rom qui vit là, tout près d’une déchetterie de la ville de Cluj. Je me souviens que lorsqu’on leur a offert des bananes et des oranges, ils se sont mis à les manger sans les éplucher, signe qu’ils n’étaient pas habitués à ces fruits. Par contre, le Coca et les sucreries leur étaient familiers. »



    Cet automne, 20 génisses nées des premières vaches apportées d’Irlande et parfaitement acclimatées ont été offertes à d’autres familles d’une zone beaucoup plus pauvre. Cette action ne fut pas ponctuelle. De tels projets se déroulent en Roumanie depuis une vingtaine d’années, avec le concours de donateurs des Etats-Unis et d’Europe Occidentale, mais aussi avec des fonds provenant des sociétés multinationales locales.



    La même fondation a apporté des chèvres angora et des chèvres laitières, dont elle a fait don à des communautés pauvres. Et les choses ne se sont pas arrêtées là. Peu à peu, la nouvelle s’est répandue et les gens ont commencé à venir demander des bêtes pour sortir de la pauvreté. Il faut pourtant dire que ce mécanisme n’est pas régi par la seule loi de l’offre et de la demande : « Les communautés où nous travaillons sont des îles de normalité. Nous y agissons sur plusieurs plans : nous leur fournissons une éducation, nous leur donnons des bêtes et l’instruction nécessaire pour s’en occuper correctement et surtout, nous tâchons de les connecter au marché. Nous ne démarrons pas un projet là où notre analyse montre que la zone n’est pas propice aux vaches. C’est inutile de vouloir posséder une vache si la zone, la terre, le climat, les traditions et la vie de la communauté ne sont pas propices à cette espèce. Nous avons de nombreux autres projets, qui visent à offrir des poules, des abeilles, des truites et des cochons, pourtant, là où il y a des cochons, il doit y avoir des céréales… Nous commençons donc par analyser le potentiel de la zone et les besoins des gens et nous leur offrons, en réponse à leur demande, des animaux qui y trouveront des conditions favorables et pour lesquels ils trouveront un marché — comme ce fut le cas avec les chèvres et les Roms.».



    Bien que Heifer soit perçue, à première vue, comme une organisation qui s’occupe des animaux, selon Ovidiu Spânu, la zootechnie n’est pas le principal objet d’activité de sa fondation : « Nous sommes en fait une organisation qui travaille avec les gens. Notre activité n’est pas ciblée sur la zootechnie, elle est ciblée sur le développement. A mesure que les gens se sortent un peu de leurs privations et bénéficient des facilités que nous leur offrons, ils commencent à aspirer à une vie meilleure et s’habituent à une autre qualité de la vie. Ils se nourrissent mieux, ils gagnent davantage, ils commencent à gérer leurs affaires autrement, à tenir compte du marché, ils sont plus gentils les uns avec les autres et leur état de santé commence, lui aussi, à s’améliorer. Dans une communauté où les enfants ont des problèmes de dents, ils commencent à consulter le dentiste, on commence à voir des enfants qui portent des lunettes — ce qui n’arrivait pas avant. Le progrès est général. Pratiquement, nous nous efforçons d’élever la communauté à un autre niveau, sur tous les plans. »



    Après 22 ans durant lesquels elle a bénéficié de fonds extérieurs, provenant des Etats-Unis et d’Europe Occidentale, pour acheter des animaux et les offrir aux familles pauvres de Roumanie, la fondation Heifer Roumanie s’est proposé cette année de recueillir plus de fonds de donateurs locaux. Cette nouvelle orientation s’explique par le contexte économique actuel et par le fait que les grands donateurs étrangers s’orientent à présent vers des zones considérées plus pauvres ou en proie à des problèmes sociaux et politiques plus graves.



    Les fonds européens continuent, eux aussi, d’être une source financière pour cette fondation, qui n’offre pas aux gens des poissons déjà pêchés, mais des cannes et des cours de pêche. (trad.: Mariana Tudose, Dominique)

  • Le musée vivant du monastère d’Agapia

    Le musée vivant du monastère d’Agapia

    Agapia est un des plus beaux monastères du nord de la Moldavie. Célèbre pour ses fresques murales que nous devons au grand peintre Nicolae Grigorescu, mais aussi pour son école de peinture, dont il a été le fondateur et pour les ateliers de broderies qu’elle a abrités, Agapia mérite donc un détour.



    Situé dans la vallée du ruisseau éponyme, au pied de la colline Măgura et à proximité de Târgu-Neamţ, entourée par des montagnes et des futaies séculaires, le monastère d’Agapia tire son nom du grec «agapis», qui signifie «amour chrétien», mais aussi de l’ermite Agapie. A en croire la légende, au 14 e siècle, cet ermite aurait fait bâtir une petite église en bois, à seulement 2 km de l’actuelle localité Agapia. Plus tard, les monts tout autour, la rivière et le hameau blotti dans la vallée allaient en emprunter le nom. Aujourd’hui une centaine de nonnes vivent entre les murs du couvent, tandis que 240 autres mènent leur vie dans le village monacal. C’est dans une des vieilles maisons monacales, datée du XVIIe, que l’on a inauguré cet été le premier musée vivant de Roumanie.



    Cela permet désormais aux curieux d’observer les religieuses en leur milieu. Une maison monacale fonctionnelle et habitée est ouverte aux pèlerins à longueur de journée. Sœur Maria Giosanu raconte comment a été ouvert ce musée unique en Roumanie : « Nous voulons offrir aux gens la possibilité d’apprendre des choses sur la vie monastique. En ouvrant les portes d’une de nos maisons monacales, ils peuvent voir sur le vif comment ça se passe, prendre le pouls de cette existence à part. Les gens étant très curieux de franchir le seuil d’une telle demeure, nous avons donné suite à leur suggestion ».



    Le musée vivant comporte quatre pièces disposées au rez-de-chaussée et deux cellules de nonnes au demi sous-sol. Si, au fil du temps, la partie supérieure de la maison a subi des modifications, le demi sous-sol, lui, est resté inchangé. Quatre religieuses habitent la maisonnette-musée. Sœur Maria nous en fournit des détails supplémentaires. « Il s’agit, en fait, d’un ensemble de musées, composé d’une maison monacale à deux niveaux et de plusieurs ateliers vivants, à savoir l’atelier de tissage et de broderie, l’atelier de boulangerie- pâtisserie et celui de poterie. Quatre nonnes prennent soin de cette maison. Elles produisent aussi différentes choses faites à la main, s’adonnent à leurs prières selon le rituel monastique et se tiennent à la disposition des visiteurs. Elles répondent par exemple à leurs questions relatives aux prières, à la sainte communion, à la vie dans un lieu de culte ».



    Guidés par les nonnes, les touristes peuvent apprendre à modeler la glaise ou à préparer des gâteaux. En fait, l’atelier de poterie est tout à fait à part. L’ancien atelier, qui a fonctionné jusqu’en 1960, a bénéficié de la présence de maîtres potiers renommés de la zone de Iaşi et Botoşani, dans l’Est du pays. Le dernier four a pourtant été démoli il y a 53 ans. Pour relancer cet atelier, les nonnes ont appris cet art de potiers plus jeunes. A la cérémonie d’inauguration du nouvel atelier ont été invités les actuels artisans-professeurs, mais aussi nombre de ceux qui avaient appris l’art de la porterie des nonnes de ce couvent.



    Le maître artisan Gheorghe Smerică — âgé à présent de 90 – et Vasile Andrei, qui ont travaillé, tous les deux, au fameux atelier d’Agapia il y a plus d’un demi-siècle, ont été les invités d’honneur de cet événement. Que pensent les touristes du musée vivant d’Agapia? Nous écoutons de nouveau la nonne Maria: «Au premier abord, la plupart sont un peu perplexes surtout de se voir proposer un «musée vivant». Ce terme est plutôt nouveau. Au début, ils ne comprennent pas, mais ceux qui franchissent son seuil — notamment les étrangers — sont enchantés, car ce musée est unique en son genre, puisqu’il est ouvert dans l’enceinte d’un monastère. Ce musée a une importante composante ethnographique, recelant de nombreux objets anciens qui se retrouvaient dans les maisons et les fermes paysannes roumaines d’autrefois. En les regardant, on découvre tout un monde; ils nous font retourner dans le passé et mieux apprécier l’héritage matériel et spirituel que nous ont légué nos ancêtres. Nous sommes heureuses que les gens puissent découvrir la beauté de la vie monastique, même dans sa dimension matérielle: l’endroit, lui-même, la cellule où habite la nonne ou le moine, etc. Et les fruits de nos efforts se laissent déjà entrevoir.»



    Tous les objets exposés dans les pièces du musée vivant sont hérités des nonnes qui ont habité ce couvent ou proviennent des maisons et des fermes des villages situés aux alentours. Les villageois ont offert généreusement au couvent des tapis, des tapisseries et toute sorte de tissus, de précieux objets anciens. Le métier à tisser d’Agapia a été amené du département de Suceava. Le tissage est un art dans lequel les religieuses de ce monastère excellent. Elles travaillent aussi de fines broderies, dont les plus réussies sont exposées au Musée d’art sacré de Suceava.



    Pour en revenir à notre musée vivant, le billet d’entrée coûte un euro environ. Les élèves, les étudiants et les retraités paient la moitié de ce prix. (trad. : Mariana Tudose, Dominique)

  • Opérations en première à l’Hôpital des enfants „Marie Curie”

    Opérations en première à l’Hôpital des enfants „Marie Curie”

    Les premières opérations à cœur ouvert viennent d’avoir lieu dans la toute nouvelle unité de chirurgie cardiaque de l’Hôpital des enfants Marie Curie” de Bucarest. Une équipe de spécialistes italiens disposant d’une grande expérience s’est rendue fin septembre dans la capitale roumaine pour inaugurer la salle d’opérations où dorénavant les médecins roumains essayeront de sauver la vie des petits souffrant de problèmes cardiaques congénitaux. Le centre de Chirurgie pédiatrique du cœur de l’Hôpital Marie Curie doit son existence à un investissement total de 4.200.000 euros. Sur cette somme, 1.500.000 euros ont été recueillis grâce à des collectes publiques organisées par l’Association Le Cœur des Enfants”, quelque 2.300.000 ont été versés par le Ministère de la Santé pour l’achat des équipements médicaux. Le reste provient de quelques bienfaiteurs autochtones.



    Alex Popa, le président de l’Association Le Cœur des Enfants” raconte la décision des médecins italiens d’organiser une mission chirurgicale en Roumanie. Le Ministère de la Santé a décidé de la signature d’un contrat avec la clinique italienne San Donato, un véritable centre de référence dans le domaine des cardiopathies congénitales et avec l’Association Bambini Cardiopatici nel Mondo, les deux ayant à leur tête le professeur Alessandro Frigiola. C’est le 23 septembre qu’a débuté, à Bucarest, la première mission médicale de l’équipe italienne. 4 enfants ont été opérés jusqu’à présent et ils se portent tous très bien ce qui prouve que l’unité qu’on a mise sur pieds est parfaitement fonctionnelle. Les spécialistes italiens en ont été bien contents et nous ont félicités pour le résultat”.



    Le centre de chirurgie cardiaque de Marie Curie figure parmi les plus modernes centres médicaux de Roumanie. A son équipement en appareils modernes a largement contribué la mobilisation des Roumains suite aux nombreux appels à la solidarité lancés par l’Association Le cœur des enfants”. Le médecin Catalin Carstoveanu remémore le début de cet âpre combat: Au moment où nos spécialistes ont commencé à faire des stages à l’étranger, ils ont eu l’occasion de connaître des médecins très doués. Ceux-ci opéraient l’enfant qui par la suite était transféré en soins intensifs pour que trois jours plus tard il intègre le département cardiologie. Un point c’est tout. Après, il rentrait chez lui. Cela m’a vraiment choqué puisque dans ma tête la chirurgie cardiaque s’associait à beaucoup de sang, aux longues journées passées au service de soins intensifs, aux procédures de ressuscitation et à une fin implacable. J’ai visité plusieurs centres cardiologiques, en Allemagne, en Italie…et à les voir je me suis dit que nous aussi, on pourrait en ouvrir un.”



    Les messages émouvants formulés par l’Association Le cœur des enfants” ont énormément sensibilisé les Roumains aussi bien de Roumanie que de l’étranger. Alex Popa: Nous avons réussi à réaliser plus qu’on ne s’est proposé. Ce fut en 2009 qu’on a pris l’initiative d’ouvrir un département de cardiologie doté d’une petite unité et d’une seule salle de thérapie intensive. Mais, grâce au succès de notre entreprise, nous sommes arrivés à mettre en place un département complet”.



    Bien que complètement mise au point depuis 2011, l’unité de chirurgie cardiaque de l’Hôpital Marie Curie a dû attendre plus de deux ans avant d’accueillir les petits patients. Et cela parce que les praticiens en chirurgie pédiatrique se font très rares, explique Alex Popa: La Roumanie ne recense que deux centres hospitaliers spécialisés en chirurgie pédiatrique: le premier à Targu-Mures et le second à Cluj. Or, puisqu’il ne sert à personne d’emprunter de personnel spécialisé, il faut organiser ses propres activités de formation de spécialistes. C’est un des principaux buts de la mission organisée par les Italiens à l’hôpital Marie Curie”.



    Parallèlement, le Ministère de la Santé finance un programme de formation des spécialistes cardiologues roumains à la clinique italienne San Donato ou dans d’autres centres partenaires. La durée moyenne d’un cours de formation sera de 3 ans.



    Le centre de chirurgie cardiologique de l’Hôpital Marie Curie a inauguré son activité par des missions médicales périodiques avant de devenir complètement fonctionnel une fois cooptés les praticiens roumains formés dans le cadre du programme. Alex Popa: Les choses se mettent en marche et l’on espère avoir bientôt une équipe locale de chirurgiens cardiologues à même de faire des opérations simples. Attention, ce n’est pas seulement de la performance du chirurgien qu’on parle, mais aussi de celle du personnel médical des services de soins intensifs vue l’importance de ce type de soins dans la chirurgie cardiaque. On avance petit à petit. Il est prévu qu’une trentaine d’enfants se fassent opérer dans le centre d’ici la fin de l’année, ce qui n’est pas mal du tout. Ces petits ne seront plus obligés de se faire traiter à l’étranger, puisqu’on est capable de les soigner nous- mêmes”.



    La nouvelle unité dispose d’une salle d’opération de chirurgie cardiaque, de deux chambres de soins intensifs et d’un labo de cathétérisme. S’y ajoute une unité de stérilisation récemment aménagée et de la climatisation dans toute l’aile de l’hôpital, ce qui permettra une meilleure prise en charge des enfants souffrant de maladies cardiaques. Autant de réussites qu’on doit tant aux collectes organisées par l’Association « Le cœur des enfants » qu’au financement offert par le Ministère de la Santé. Disons également que l’Hôpital Marie Curie marquera bientôt une nouvelle victoire: l’inauguration d’une unité ultramoderne de soins intensifs pour les nouveaux- nés…(trad. : Ioana Stancescu)


  • Le festival des arts nouveaux InnerSound

    Le festival des arts nouveaux InnerSound

    Ils ont offert au public des événements inoubliables, dont il sera question dans l’espace de cette rubrique. D’où est venue l’idée de ce festival ? La directrice du Festival, la compositrice Sabina Ulubeanu, nous l’explique. « L’idée d’InnerSound est issue de ma collaboration très étroite avec la compositrice Diana Rotaru, qui, en avril 2011, se trouvait en Suisse, avec une bourse de création. Elle a pensé que nous devrions faire davantage pour la vie culturelle de la capitale roumaine, essayer de réunir autour de nous de jeunes artistes représentant tous les arts et désireux de partager avec les autres les fruits de leur activité créatrice. Nous avons pensé à démarrer un festival de musique contemporaine, où la musique soit au centre d’un spectacle s’étalant sur plusieurs jours et qui devrait présenter des photos, des films, des spectacles multimédia. Autrement dit, des spectacles qui placent la musique au centre de l’image et l’image au centre de la musique. C’est un mélange qui a nous a apporté beaucoup de succès, jusqu’ici.



    Innersound adresse un message au monde. Et ce message se trouve à l’origine du titre de ce festival. Sabina Ulubeanu. « Le son — je veux dire le son intérieur — de cette génération est très fort, très puissant, c’est un son raffiné, qui se fait entendre clairement. Nous pensons que le monde intérieur de ces jeunes créateurs de Roumanie mérite bien d’être connu et écouté. Innersound — le son intérieur — a été peut-être pour nous le titre le plus approprié. »



    La première édition du Festival Innersound a eu lieu en 2012. Elle a emmené à Bucarest, 3 jours durant, des invités des Pays-Bas, d’Irlande et de Suisse. Les événements ont été accueillis par le Musée du paysan roumain et par l’Université nationale de musique. C’est lors de cette première édition que les principaux événements du festival ont été structurés – notamment la série de concerts « Rencontres à travers l’espace et le temps », qui présente de la musique de toutes les époques, depuis la musique médiévale jusqu’à la musique contemporaine, et la soirée du film muet avec de la musique live. C’est un concept nouveau en Roumanie. Sabina Ulubeanu. « Nous avons demandé à de jeunes réalisateurs de créer des courts-métrages muets. Et nous avons invité les jeunes compositeurs à écrire pour ces films de la musique destinée à différents ensembles d’instruments. Le premier groupe a réuni une flûte, un basson, un violon et un violoncelle. Le chef d’orchestre a été Gabriel Bebeşelea, le seul à vouloir assumer ce rôle très difficile de diriger un ensemble pendant qu’un film était projeté à l’écran. En effet, ce n’est pas du tout simple. La cour du Musée du paysan roumain était pleine de monde, les gens avaient même envahi la pelouse et l’escalier. La soirée a eu un tel succès, que cela nous a déterminés à continuer cette initiative l’année suivante. Lors du dernier concert de musique contemporaine, le compositeur Henri Vega et la cantatrice Anat Spiegel ont bissé. Or, un concert de musique contemporaine où les artistes bissent 3 ou 4 fois, c’était fascinant pour le public. Pour nous, c’était du jamais vu.



    En 2013, le festival a été prolongé de 3 à 6 jours et les espaces de concert ont également été diversifiés. Le concert d’inauguration a eu lieu au siège de la fondation Löwendal qui a accueilli aussi une exposition de photographie. Cette deuxième édition du festival s’est déroulée sous le titre « Misterium ». Pourquoi « Misterium » ? C’est Sabina Ulubeanu qui répond. « Parce que, à notre avis, c’est ce que nous faisons, nous les artistes : nous tâchons de dévoiler l’invisible qui se propage à travers nous dans le monde et ce faisant, nous suscitons la joie aussi bien de l’introspection que de la découverte de soi, la joie de se retrouver soi-même. »



    En fait, ce fut la joie qui a caractérisé le spectacle de lasers déroulé dans la cour du Musée du paysan roumain et les spectacles des artistes invités au festival et au colloque sur la « Composition expérience » organisé par la compositrice Irinel Anghel, évènement dont le succès a surpris même les organisateurs: « On a eu la surprise de retrouver de nombreux participants provenant d’autres zones de l’art, et notamment des artistes visuels qui ont voulu s’exprimer aussi par la musique. D’habitude, aux colloques et ateliers spécialisés on n’aperçoit que des visages familiers dans la salle. Mais dans le cas de ce colloque, déroulée le jour même d’un méga concert de Roger Waters à Bucarest, nous avons recensé une cinquantaine de personnes dans la salle, ce qui est beaucoup pour un festival à thématique très ciblée, tel le nôtre. Les arts contemporains, avouons-le, constituent un phénomène de niche. »



    Le festival Innersound est unique dans le paysage culturel roumain. Même si parfois il se déroule en même temps que d’autres évènements, tels le premier concert Roger Waters à Bucarest et le Festival de musique George Enescu, Sabina Ulubeanu affirme qu’Innersound s’est avéré un excellent liant entre les deux. « Nous avons commencé avant Roger Waters, avec des concerts de musique de chambre et une exposition de photographie, et après le concert de Roger Waters, on a eu trois soirées archi pleines. Ces trois soirées ont constitué un lien très intéressant entre le public de Roger Waters et les mélomanes accros au festival Enescu parce que notre festival a combiné toutes les musiques, de toutes les périodes historiques, et à mon sens, nous avons trouvé une place à part dans le paysage musical roumain. Il y a le festival Sonoro, de musique de chambre. Le festival Enescu réunit à Bucarest les meilleurs orchestres du monde qui jouent aussi beaucoup de musique contemporaine, mais pas nécessairement la musique des jeunes. Et puis, il y a Innersound, où les artistes de tous les domaines souhaitent se réunir autour de l’idée que l’art est une collaboration et un échange d’idées et de sentiments. »



    Pour les organisateurs de ce festival, financé par leurs propres moyens, le fait que les artistes visuels, les cinéastes et les photographes sont heureux de s’unir à un phénomène musical nouveau est très important. C’est le moteur des prochaines éditions. Et en 2014, à la fin août, Innersound vous attend nombreux…(trad.: Dominique, Alex Diaconescu)

  • Caprices gastronomiques français à Cluj et à Bucarest

    Caprices gastronomiques français à Cluj et à Bucarest

    Anda Calinici est psychologue de formation et, pendant un certain temps, a fait le métier de testeur de logiciels. Depuis 6 ans elle y a renoncé pour se consacrer exclusivement à une grande passion qui remonte à son enfance : la pâtisserie. Dans un petit laboratoire de Cluj, qui ressemble plutôt à une apothèque des temps jadis, Anda Calinici garde dans des sachets et dans de petites bouteilles toute sorte de merveilles qui se métamorphosent sous ses mains en d’exquises douceurs : graines de pavot, chocolat Valrhona, guanaja et fruit de la passion, violettes, lavande, pétales de rose, truffes blanches, framboise, thé vert matcha, Earl Grey, café, gelées au pamplemousse rose et à d’autres fruits se mêlent pour former des tâches de couleur indescriptibles.



    Le résultat porte un nom français : macarons. Non, Anda Calinici ne fabrique pas que des macarons, pourtant c’est avec ces petits gâteaux à base de pâte d’amande qu’elle a conquis les papilles gustatives de ses clients de tout le pays. Peu importe déjà que le transport de ces délicatesses par courrier coûte très cher, Anda Calinici ne s’ennuie pas.



    Nous lui avons demandé comment elle s’est décidée à troquer un emploi stable contre un rêve difficile à accomplir : « J’adore les sucreries dès mon enfance et cela a suffi de me rendre compte que je peux en préparer pour faire le grand pas. A un moment donné je me suis dit que c’était le temps de tenter ma chance, pour voir si ça marche — au lieu de me poser éternellement la question : Et si… J’ai eu la chance d’être entourée de personnes qui m’ont soutenue — depuis mon mari jusqu’à mon chef de l’époque, qui m’a promis de m’accepter de nouveau si ça n’allait pas. Lorsque nous avons emménagé dans notre propre maison, j’ai pu m’atteler plus sérieusement à la besogne, car je disposais enfin d’un espace à moi, je pouvais acheter des ustensiles et c’est alors que tout a commencé, pour de vrai. »



    Les macarons sont les jouets des pâtissiers — estime Anda Calinici : « On peut tout faire avec, ils offrent des possibilités illimitées comme arômes et couleurs. Ils ne sont pas difficiles à préparer, pourtant il faut faire attention à bien mélanger les ingrédients choisis, à la façon dont on les dispose sur le plat pour les mettre au four, à l’humidité et à la température de la chambre où on travaille. Si l’on a tout pris en compte, normalement cela ne devrait pas poser de problèmes. »



    Les ingrédients, Anda Calinici les importe de France et de Belgique — bien que, dit-elle, il y ait également des fournisseurs en Roumanie : « Les ingrédients que j’utilise se trouvent en Roumanie aussi, seulement ils sont beaucoup plus chers, alors je préfère les faire venir directement de l’étranger, pour pouvoir offrir à mes clients des prix aussi bas que possible. Mais il y a, en effet, des fournisseurs, en Roumanie aussi et j’ai toujours recommandé à ceux qui souhaitent préparer les produits de pâtisserie respectifs d’acheter chez eux. Quand on prépare une chose une seule fois, ça coûte moins cher que si on les importait. »



    Il y a 2 ans, Anda Calinici a participé au Championnat du monde des chocolatiers où elle s’est classée 4e : « J’ai participé au demi-finales d’Europe du Sud-Est et j’ai eu pour concurrents les chocolatiers de Pologne, de Slovaquie et de Turquie. J’ai occupé la 4e place parmi des compétiteurs qui sont des professionnels et qui font ce métier depuis 10 ou 20 ans, qui ont une formation et une tradition dans le domaine. Chez nous, le métier de chocolatier ne figure même pas dans le répertoire des métiers. Je n’ai suivi aucune formation. J’ai collaboré avec un atelier de Cisnădie, qui est, je pense, le seul en Roumanie à faire du chocolat artisanal. J’y ai passé 3 mois, J’apprenais toute seule, mais j’avais à ma disposition l’équipement pour faire fondre le chocolat, du chocolat en abondance et je pouvais demander un conseil à quelqu’un si je ne réussissais pas à me débrouiller. »



    Même sans formation professionnelle, la 4e place au Championnat du monde des chocolatiers a valu a Anda Calinici l’attention des médias.


    Et pourtant, à chaque fois qu’elle a un nouveau client, elle a des émotions : « A chaque fois, je tâche d’apprendre ce qu’ils ont aimé et ce qu’ils ont aimé moins, pour pouvoir améliorer mes recettes. Je demande toujours un feed-back des personnes qui goûtent mes produits. Les commentaires diffèrent d’un client à l’autre, allant de « divin », « je n’aurais pas pensé que cela puisse exister », jusqu’à «c’est exactement comme en France ». Et cela me fait beaucoup de plaisir. »



    Anda nourrit aussi un autre rêve : ouvrir une petite boutique où elle puisse accueillir elle-même les clients. Nous lui avons demandé à quoi cette boutique ressemblerait : « Elle est toute petite et ça sent les croissants au beurre et le bon café. Dans la devanture, il y aurait des macarons, des gâteaux frais et de nouvelles douceurs chaque semaine. Elle n’est pas grande, ça c’est sûr. Juste ce qu’il faut pour placer quelques tables couvertes de nappes à carreaux. En fait, un coin de France, un tout petit. »



    Si vous aviez l’occasion de goûter les délicatesses faites maison que Anda propose à ses clients, vous sauriez avec précision que son rêve ne tardera pas à s’accomplir. C’est que Anda Calinici fait partie des personnes qui, lorsqu’elles entreprennent quelque chose, vont jusqu’au bout. (trad. : Dominique)

  • READ FORWARD et la Leçon Verte

    READ FORWARD et la Leçon Verte

    Lors de la dernière édition du Salon international du livre Bookfest, ouvert à la fin du mois de mai dans la capitale roumaine, les visiteurs ont pu remarquer, parmi les stands traditionnels, pleins de livres et de couleurs, un beaucoup plus simple : juste quelques chaises, plusieurs dessins et une petite table ronde avec quatre tablettes dessus. Sur chacun de ces gadgets, les curieux trouvaient une application, un conte animé, un roman célèbre en version électronique et avec une mise en page exceptionnelle, ou encore un manuel interactif de « connaissances de l’environnement » – ? intitulé « La leçon verte ».



    C’était le stand des éditions Read Forward, spécialisée dans la numérisation culturelle. Cristian Dinu, un des fondateurs de la Maison, explique le besoin d’ouvrir une telle entreprise. « Ces dernières années, la technologie a beaucoup progressé, et la culture est restée quelque peu à la traîne. La technologie peut offrir, bien qu’elle ne le fasse pas encore, de nouvelles modalités d’exprimer les idées humanistes, les idées culturelles en général. Nous avons créé cette entreprise justement pour pouvoir nous consacrer exclusivement à cette mission, surtout qu’il ne s’agit pas seulement de la zone culturelle classique, avec théâtre, littérature, cinéma ; il existe aussi une autre zone très importante pour nous — celle de l’éducation. Celle-ci continue d’être, dans son ensemble, liée à un système d’une époque, un système inventé il y a environ 200 ans pour une société émergente, celle industrielle. Malheureusement, cette modalité de présenter les informations aux élèves, aux étudiants, ne répond plus aux besoins actuels. En fait, nous ne cherchons plus de bons opérateurs de machines ; aujourd’hui, ce que l’on cherche c’est la créativité, puisque aujourd’hui nous vivons dans une société informationnelle. Or, ici, les avantages sont du côté de ceux qui trouvent de nouvelles modalités de résoudre les problèmes, non pas de ceux qui ont de beaux muscles. »




    Cristian Dinu et son associé, Paul Balogh, ont commencé par adapter les livres à un format compatible avec les systèmes d’exploitation Android et iOs pour smartphones et tablettes. C’est que la technologie dont on dispose actuellement permet de transposer les livres sur d’autres supports que le papier traditionnel — affirme Cristian Dinu. « Nous avons commencé par adapter des livres pour enfants. Nous avons tenté de séparer le livre de son support physique. Certains genres de livres ont trouvé leur format idéal — qui n’est pas sur papier. Le support électronique est idéal, par exemple, pour une encyclopédie ou un dictionnaire. Je doute qu’un dictionnaire sur papier, même le meilleur, puisse égaler ou surpasser le dictionnaire en ligne. J’ai du mal à croire qu’en matière d’encyclopédies on puisse jamais avoir quelque chose de mieux qu’Wikipedia. Voilà deux domaines qui ont trouvé une meilleure place dans le monde numérique. Il en est de même pour les guides de voyage sur papier. Un guide sur papier peut vous offrir une carte et des renseignements sur les sites à visiter. Sur le papier, on ne peut plus rien ajouter — ni un nouveau texte, ni un nouveau restaurant qui vient de faire son apparition à Paris ou à Genève, alors que sur le support électronique, c’est possible. Nous ne souhaitons pas proposer un audiobook en échange d’un livre, nous ne souhaitons pas offrir tout simplement un fichier PDF aux lecteurs, nous avons besoin de sentir que nous avons donné vie aux personnages des livres ou que nous avons réussi de belles choses avec nos applications. »




    Depuis les livres pour enfants aux manuels pour le primaire il n’y a qu’un pas. « La leçon verte » est le premier manuel numérique reconnu par le Ministère de l’Education. Cristian Dinu explique. « Nous l’avons sorti fin mars. Heureusement, le ministre de l’Education a été présent au lancement et non seulement il a apprécié cette initiative, mais il a également souhaité que ce premier manuel numérique de Roumanie soit intégré à un portail web que son ministère envisage de créer. L’accueil fait à notre manuel par un système que nous croyions plus réticent à la nouveauté a été pour nous une première et une agréable surprise. Le système n’est pas réticent, heureusement. Depuis sa sortie, le manuel a été téléchargé plusieurs milliers de fois, selon nos statistiques. L’accès au manuel est gratuit via toutes les plateformes et peut être « feuilleté » sur Internet.»




    L’automne dernier déjà, le ministère de l’Education a annoncé son intention de remplacer les manuels habituels par des manuels numériques, accessibles depuis des liseuses et des tablettes qui seront financés par des fonds européens. Certains parents ont manifesté leur inquiétude, estimant que les tablettes n’étaient pas sûres pour les enfants, qu’elles pouvaient créer une dépendance cybernétique et que l’accès à Internet pouvait les transformer en véritables pièges.




    Cristian Dinu estime qu’il n’y a vraiment pas de raison de paniquer. « Les tablettes peuvent aider ou nuire, en fonction de l’usage que l’on en fait. L’excès peut faire d’une bonne chose une mauvaise. Boire de l’eau est nécessaire, en boire trop peut vous rendre malade. Il en est de même pour les tablettes. La bonne chose, c’est que leur contenu peut être contrôlé. On peut faire d’une tablette une sorte de jardin entouré d’une clôture où l’enfant soit en sécurité. Tous les systèmes d’exploitation offrent cette possibilité — que nous utilisons, nous aussi. En tant que parent, on peut prévoir certaines applications, que l’on peut surveiller et que l’enfant peut utiliser en toute sécurité. Les tablettes peuvent être soumises à un contrôle sévère, on peut bloquer la navigation sur Internet ou l’accès aux contenus nuisibles. »




    Les premiers manuels numériques obligatoires devraient se retrouver sur les pupitres des écoliers des deux premières classes du primaire dès la rentrée 2014. « La leçon verte » est déjà prête. Vous pouvez la consulter, vous aussi, sur le site www.lectiaverde.ro. (trad. :Ileana Taroi, Magdalena Oprea)



  • Le moulin à papier

    Le moulin à papier

    A une trentaine de kilomètres au sud de Bucarest, dans le parc national comprenant le Delta de la rivière Neajlov, il existe une colline appelée « La colline du moulin ». C’est ici que deux bucarestois, la famille Georgescu, ont érigé un atelier-musée, baptisé « Le moulin à papier ».



    Ion Georgescu raconte comment cette idée lui est venue en 2009. « Fatigué par mon travail au bureau et par ce que je faisais normalement, j’ai cherché à faire d’autres choses pendant mes loisirs. J’ai cherché un hobby. C’est ainsi que j’ai découvert le monde de la reliure. Et d’ici, je me suis dirigé vers la fabrication artisanale du papier, ensuite vers la presse à bras, de l’époque de Johannes Gutenberg, et enfin aux techniques utilisées en Roumanie jusqu’il y a 20 ans. Le moulin à papier est un endroit que j’ai créé spécialement pour apporter de la joie à ceux qui s’intéressent à ce genre d’activités en voie de disparition. Il s’agit de très belles activités, créatives, ciblées sur le livre : la fabrication artisanale du papier, l’imprimerie manuelle et la reliure. »




    L’atelier — musée « Le moulin à papier » a été ouvert au public au mois d’août 2011. Les gens peuvent confectionner eux-mêmes certains objets en papier, mais aussi apprendre les secrets de la reliure. Ion Georgescu explique : « Nous collectons du papier de bureau. Celui-ci doit être de bonne qualité, écrit ou imprimé. Parfois nous recevons aussi du papier blanc que les imprimeries ne peuvent pas utiliser, pratiquement des déchets. A l’aide d’une machine unique en Roumanie, appelée pulpeur, nous transformons le papier en pâte à papier. Les vieux papiers y sont déchiquetés avec de leau ; la pâte ainsi obtenue est ensuite utilisée pour recomposer les feuilles de papier. Celles-ci ont vraiment du caractère, puisqu’elles ne sont pas toutes identiques. Parfois nous y ajoutons différents éléments. Nous avons fabriqué du papier avec de l’herbe verte. Nous aimons notamment le fait que l’herbe reste verte dans le papier pendant des années. En témoigne le papier confectionné en 2009 et qui est toujours vert. Nous avons fabriqué des feuilles de papier aux fleurs et notamment aux violettes de Comana, du papier aux fils de soie et à l’argile qui produit d’ailleurs une nuance à part, une sorte de crème foncé très intéressant. C’est un papier spécial, difficile à imprimer, que nous utilisons dans les ateliers que nous organisons. »




    La plupart de ceux qui ont fait du papier ont affirmé vouloir revenir. Le papier est imprimé à l’aide de presses mécaniques: « La presse que nous utilisons le plus souvent est une ancienne presse de correction d’un journal que nous avons achetée à une typographie de l’armée qui avait fermé. C’est lors d’une vente aux enchères que nous l’avons achetée. On n’a pas trouvé de presses très anciennes et finalement nous avons décidé d’en refaire une. On détient une des répliques peu nombreuses en Roumanie et au monde de la presse de Johannes Gutenberg. On la retrouve donc à Comana et elle a été réalisée à l’aide d’un projet financé par l’UE dans le programme « Jeunesse en action ». On y imprime en utilisant la technique des caractères en relief, en alliage typographique. Les caractères laissent une empreinte sur le papier en question. On règle la pression de sorte que l’empreinte soit aussi un peu visible sur le verso. L’impression monocolore et la manière dont les caractères en question intègrent la substance du papier confèrent au produit fini un aspect particulier et unique, vu que de nos jours l’impression est multicolore, luisante, parfaite et à haute résolution ».




    Ion Georgescu estime que la plupart de ceux qui franchissent le seuil du moulin à papier sont des passionnés de livres, des bibliophiles, des personnes qui aiment le papier sous toutes ses formes. S’y ajoutent aussi les élèves des écoles à proximité, curieux d’apprendre comment on fabrique du papier ou encore comment on l’imprime. C’est aussi une excellente occasion pour eux de constater qu’ils peuvent faire des merveilles avec leurs mains : « Lors d’un atelier auquel nous avons participé cette année, nous nous sommes retrouvés dans une situation inédite. C’était un atelier de papier artisanal et d’imprimerie. Comana est située dans une zone rurale où la distribution de l’électricité n’est pas des plus fiables. Plongés dans le noir en raison d’une panne de courant, nous avons toutefois pu mener à bien notre travail. Malgré l’obscurité dans la salle en question, nous avons continué à imprimer et à créer un livre même en l’absence d’un élément indispensable de nos jours : l’énergie électrique ».




    Le moulin de monsieur Georgescu a connu un grand succès et attiré des bénévoles. 4 d’entre eux ont réussi à obtenir un financement européen pour un projet destiné aux jeunes et visant à faciliter l’apprentissage de l’impression en relief. Le projet s’intitule « Les jeunes redécouvrent la culture européenne de l’imprimerie ». 150 élèves ont déjà bénéficié de ce projet. Les organisateurs espèrent que de telles activités rapprocheront les jeunes de l’univers du livre, en leur offrant une alternative aux équipements modernes.


  • Village Life

    Village Life

    « Village life » (La vie à la campagne) a été créée par une économiste roumaine et un informaticien américain qui, parvenus à la conclusion qu’ils ne voulaient plus mener leur vie à Vancouver, au Canada, ont décidé d’élever leurs enfants en Roumanie.



    Alexandra Vasiliu et Greg Bugyis ont mis en place Village life afin d’atteindre deux objectifs. Alexandra Vasiliu : « Village life souhaite aboutir au développement des communautés rurales d’une façon innovante, en ramenant ensemble deux milieux sociaux et économiques fort différents, à savoir celui rural et urbain de sorte que les ruraux se mettent à mieux mettre en valeur leurs propres ressources tandis que les citadins qui entrent en contact avec le milieu rural et découvrent des aspects qu’ils apprécient, saisissent leur valeur et imaginent éventuellement une façon de les soutenir. Notre entreprise se propose donc de mettre ensemble ces deux milieux sociaux, en donnant la possibilité aux villageois de s’inspirer des citadins qui les rendent visite et qui apprécient leurs valeurs, et aux citadins de prendre de la distance à l’égard de cet univers semi virtuel où ils mènent leurs vies. Hormis la détente, les citadins qui se retrouvent à la campagne ont l’occasion de se rappeler d’où vient la nourriture, de voir comment on prend soin du bétail — autant d’activités auxquelles ils peuvent participer lorsqu’ils sont accueillis par des familles du milieu rural. On ne se propose donc pas de faire quelque chose pour les gens mais d’encourager ces derniers à faire quelque chose pour eux-mêmes ».



    Alexandra et Greg mettent en place différents ateliers où les visiteurs apprennent à faire le greffage des arbres, à traire les vaches, à identifier les différents types de feuilles dans la forêt, à faire du fromage ou encore à participer aux événements du village. Le deuxième type d’activités s’adresse à des groupes plus grands d’une trentaine de personnes tout au plus qui sont invitées à prendre part à des événements plus complexes, telles les veillées ou la tonte des brebis. Pour les deux types d’activités on doit payer une taxe de participation, dont 25% vont à l’entreprise sociale et le reste aux villageois. Les visiteurs sont hébergés dans des fermes paysannes traditionnelles. Enfin un troisième type d’activité repose sur le bénévolat, au moment où les membres de la communauté souhaitent mettre en place un projet et ont besoin d’une expertise ou tout simplement d’un coup de main. Il peut s’agir d’un expert, dans le cas d’un projet local ou d’une personne prête à faire du travail physique pour laquelle la taxe de participation sera moindre.



    Les groupes ne peuvent pas y rester moins de 10 jours. Le profit qu’en tire l’entreprise est réinvesti dans ses activités, soit une des règles des entreprises sociales. Les visiteurs sont aussi bien des étrangers que des Roumains aux revenus plutôt modestes. Ils sont enchantés de ce séjour — notamment les Roumains, qui ont encore la nostalgie des été passés chez les grands-parents, dans leur enfance.



    En ce qui concerne les villageois qui doivent accepter — ou non — ce jeu, peu à peu leur attitude a changé — affirme Alexandra : « Au début, les gens sont très suspicieux. Ils ne l’étaient pas jadis, dans les villages roumains. Au contraire, les Roumains sont très connus pour leur hospitalité. Pourtant, avec la télé et toute l’information négative qui leur arrive par son intermédiaire, les gens sont de plus en plus effrayés, ils ont peur d’accueillir des étrangers dans la maison et bien qu’ils le souhaitent, se rendant compte que cela pourraient les aider, ils hésitent au début. Pourtant cette étape est assez vite dépassée et si l’un d’entre eux commence à nous faire confiance, en tant qu’organisation, s’il reçoit des personnes chez lui, les autres finissent par vaincre leur crainte. Ils constatent quel genre de personnes nous leur emmenons et sont enchantés d’accepter des visiteurs. Cet état d’émerveillement se répand dans la communauté et très vite après, de plus en plus de villageois souhaitent s’inscrire dans ce programme ».



    « Village Life » a emmené jusqu’ici des touristes dans 3 villages des départements d’Argeş, Dolj et Prahova, dans le sud du pays. L’organisation envisage d’élargir cette activité à d’autres communes des comtés de Vâlcea et de Sibiu. Un des buts du projet consiste à encourager indirectement les petites initiatives dans la zone rurale. Les villageois peuvent attendre les touristes avec des foires de produits traditionnels, organisées à leur intention et vérifier ainsi quels produits sont recherchés sur le marché.



    Sur le site de « Village Life », Alexandra Vasiliu écrit: « Avant mon départ pour le Canada, les villages roumains, toujours à ma portée, ne comptaient pas parmi mes destinations de voyage préférées. Leur tranquillité, l’harmonie qui règnent entre leurs habitants, la nature et les bêtes étaient pour moi quelque chose de tout à fait normal, cela allait de soi. Pourtant, en vivant en Occident et en voyageant à travers le monde, j’ai compris leur valeur et j’ai commencé à les apprécier. Je suis donc rentrée en Roumanie, tâchant de répondre ainsi à deux besoins à la fois : celui du village roumain de se développer d’un point de vue social et économique et mon propre besoin de simplicité et d’authentique dans un monde fou ».



    Ce besoin de simplicité et d’authentique, de plus en plus de personnes semblent l’éprouver. Alexandra et Greg ne sont pas les seuls à avoir redécouvert la vie à la campagne. Dans les prochaines éditions de notre rubrique, nous ne manquerons pas de parler d’autres Roumains nés ici où ayant choisi de vivre dans ce coin du monde. (Trad. : Alexandra Pop, Dominique)


  • Ensemble pour la santé rurale

    Ensemble pour la santé rurale

    La Société des étudiants en médecine de Bucarest (SSMB), en partenariat avec le Collège des médecins de Roumanie et l’Université de médecine et de pharmacie « Carol Davila » organisent chaque mois des caravanes de santé dans les zones rurales défavorisées. Douze étudiants en médecine, avec des médecins et des internes font des examens cliniques, des échographies et des analyses à la population vivant dans des villages.



    Elena Sburlan, membre de la Société des étudiants en médecine et coordinatrice du projet « Ensemble pour la santé rurale », raconte comment cette aventure a commencé: «Ensemble pour la santé rurale est un projet de santé publique, lancé en avril 2011. Depuis lors, nous avons organisé 18 éditions, avons reçu 2500 patients adultes et un millier d’enfants. C’est avec ces éditions successives que nous avons grandi peu à peu. Actuellement, 200 à 250 patients viennent nous consulter lors de chaque édition. Avant, nous organisions la caravane à des intervalles plus rares, mais maintenant nous arrivons à organiser une ou deux éditions par mois, qui durent de 2 à 5 jours. C’est d’habitude le week-end, parce que les médecins sont alors libres ; la plupart des fois nous allons le matin et terminons le soir, ce qui fait effectivement une centaine de patients par jour et le lendemain — de même ».



    Au début, l’Association des communes de Roumanie indiquait aux étudiants volontaires les lieux défavorisés. Maintenant, les destinations sont établies suivant les informations reçues des maires et des médecins généralistes où les médecins spécialistes passent peu ou pas: « Il y a des médecins généralistes qui exercent dans 3-4 villages, ils sont à 10 km du village en question, ils y vont une seule fois par mois ou deux, tout au plus. C’est difficile. Nous nous mettons en contact avec le maire, c’est lui qui s’occupe des programmations en général. Quand nous arrivons sur place, les gens se sont déjà inscrits sur la liste et on commence les consultations à 8 h du matin ».



    On commence par les prises de sang pour les analyses, on continue par l’examen clinique, effectué par les étudiants, a précisé Elena Sburlan : «Nous avons une fiche d’observation que nous respectons et, suivant la pathologie dépistée, on les envoie vers des médecins de différentes spécialités, où ils sont attendus : gynécologie, dermatologie, échographie, cardiologie. Nous avons besoin de rhumatologues. Les cardiologues nous accompagnent à chaque fois. Nous avons un écho-cardiographe, nous faisons des électrocardiogrammes en deux exemplaires à tous les patients. Ils gardent une copie. Les échographies, ce sont les médecins avec des compétences en la matière qui les font, même s’ils ont d’autres spécialités. Pour les spécialités Dermatologie et Gynécologie, des médecins internes nous accompagnent. Le PAPS est effectué gratuitement, avec le soutien de l’Hôpital militaire. Les résultats sont envoyés à la mairie. Ce qui m’a vraiment impressionnée, c’est que nous avons déjà trouvé des femmes ayant des lésions dysplasiques et pour lesquelles un traitement a été institué avec le soutien des municipalités. »



    50 médecins et 100 bénévoles assurent par tournus la fonctionnalité des caravanes.

    C’est une compagnie pharmaceutique qui sponsorise le projet, en fournissant l’argent nécessaire à l’acquisition des consommables, soit environ 80 millions de lei pour chaque sortie de Bucarest.



    Voyons maintenant les impressions d’Elena sur sa participation à la première caravane: «J’en suis tombée amoureuse. Je me suis rendu compte de ce qu’aider les autres veut dire et du fait que l’important c’est de pouvoir le faire. J’ai senti la bonté des gens et quelle importance ils attachent à cette consultation. Car il y en a qui n’ont plus consulté un médecin depuis une dizaine, voire une vingtaine d’années, même s’ils ont des ennuis de santé. Certaines choses m’ont interpellée. Par exemple, lors d’une échographie de routine, j’ai vu bouger deux petites mains. Quelle ne fut pas la surprise de la future mère qui ignorait sa grossesse! C’est bon de constater, en fin de journée, que le temps est passé sans que l’on s’en aperçoive. A la fin, on a toute une base de données des patients, comportant les constats de la consultation et les résultats des différents examens médicaux. Les patients reçoivent un bulletin de santé et sont dirigés vers des médecins spécialistes. Nous ne pouvons donc que leur offrir un point de départ.»



    Adelina Toma, vice-présidente de la Société des étudiants en médecine de Bucarest (SSMB), affirme que le Delta du Danube a été l’endroit le plus impressionnant de tous ceux où la caravane a fait halte.



    Les habitants de ces contrées sont obligés de faire environ 7 heures de trajet pour arriver à l’hôpital le plus proche: «Nous-mêmes, c’est-à-dire l’équipe de la caravane, nous y sommes arrivés en traversant une partie du fleuve en canot. Facile donc de comprendre qu’à cet endroit il n’y a pas de service ambulancier. En plus, en hiver, lorsque le Danube gèle, l’accès aux soins de santé devient presque impossible».



    Les étudiants souhaitent doter la caravane d’un échographe performant pour pouvoir réaliser des échographies mammaires et thyroïdiennes. Ils sont prêts à travailler pour l’argent nécessaire à une telle acquisition, affirme Elena Sburlan. «Pour l’instant, nous réalisons des échographies abdominales, mais, de notre point de vue, l’examen médical serait plus poussé si l’on bénéficiait d’un échographe. Et nous allons travailler pour en avoir un. Nous envisageons d’amasser de l’argent. Nous envoyons des mails et cherchons des sponsors. Un échographe coûte dans les 15.000 euros. C’est vrai que par le passé nous avons reçu des aides financières de la part des compagnies pharmaceutiques ou des particuliers, mais les sommes engrangées n’ont jamais suffi pour accomplir ce rêve».



    Il ne faut pas de grosses donations de la part d’une seule personne, mais un nombre suffisamment grand de petites contributions individuelles pour organiser plus souvent de telles caravanes et acheter l’échographe dont les habitants des zones défavorisées ont tant besoin. Quant à nous, nous sommes persuadés qu’ils parviendront à matérialiser ce souhait….(trad.: Ligia Mihaiescu, Mariana Tudose)

  • Les confessions d’un marchand de café

    Les confessions d’un marchand de café

    Gheorghe Florescu est un des marchands et préparateurs de café les plus connus de Bucarest et ce depuis une quarantaine d’années. Pour lui, le café est un élixir d’intelligence et d’amour, qui prolonge la vie et rend l’esprit plus clair.« Savourer une tasse de café est pour moi l’instant le plus beau de la journée », nous a-t-il avoué, lorsque, par un matin morose de mars, nous lui avons rendu visite. L’arôme du café torréfié envahissait la pièce.




    Cette odeur singulière et chaude, à même de vous réveiller du sommeil le plus profond, qui hante Gheorghe Florescu dès son enfance. « Mon premier contact avec le café s’est passé à mes huit ans, dans la cour de mon parrain, Gheorghe Georgescu. C’est là que Baruir Nersesian, un des Arméniens les plus célèbres au monde, tenait une boutique de café qui donnait sur la rue. Avec ses cafés hors pair, Baruir Nersesian avait déjà conquis New York. Je me tenais près de la machine à griller le café et mes narines reniflaient cette odeur à part. Par curiosité, je picorais des grains de café. Et l’Arménien de me conseiller « Gicuţă, prends-en avec du sucre ». Moi, je ne voulais pas en prendre, car le café ne me semblait point amer. Au contraire, je le trouve doux comme l’amour. Du temps de mon enfance, ils étaient nombreux, les marchands de café arméniens. Il devait y en avoir une quarantaine, après la guerre et beaucoup plus, à savoir une centaine, à l’entre-deux-guerres».




    Qu’est-ce qu’un marchand de café ? Nous avons la chance de l’apprendre par un homme de métier. « C’est un dégustateur et préparateur de café, un spécialiste de la préparation et de l’art de servir cette boisson. En tant que consommateur vous devez être avisé sur ce que vous buvez, car les cafés ne se ressemblent pas. Il y en a de bons, de rares, d’exquis, de divins. »




    L’art de préparer cette boisson, il l’a appris du fameux Arménien Avedis Carabelaian, un des rares vendeurs de café à tenir boutique dans la capitale roumaine des années 60. Il allait lui confier le magasin de café et délicatesses situé 10, rue Hristo Botev. Une adresse bien connue des grands hommes de lettres, des acteurs et des médecins bucarestois, mais aussi des grosses légumes de l’époque.




    Avedis lui avait légué non seulement la boutique, mais aussi et surtout ses recettes de préparation du café et l’art de fidéliser ses clients. «Primo, j’étais déjà archi-connu à Bucarest. C’était chez moi que l’on achetait le meilleur café, en fait le mélange de cafés le plus heureux que l’on pouvait se permettre en ces temps-là. Maintenant, on a tout un monde à qui importer du café, mais à l’époque le café nous venait seulement de Colombie, du Guatemala, du Salvador, du Nicaragua ou du Mexique. Il y avait aussi des marchands âpres au gain qui, dédaignant leurs clients, n’hésitaient pas à vendre de la pacotille. Moi j’ai toujours suivi le conseil de mon maître, Carabelaian, qui m’avait dit: Tiens-toi tranquille à ta place. Aussi longtemps que tu grilles le café à ma façon, tu auras tes clients fidèles.” Il avait parfaitement raison : mes clients, je les garde aujourd’hui encore. »




    Florescu « le petit Arménien », comme il était appelé, raconte des aspects de la vie quotidienne telle qu’elle était à l’époque communiste. Il comptait parmi ceux qui faisaient circuler les produits d’usage courant aujourd’hui, mais très valeureux à l’époque communiste : café, alcools fins, cigarettes occidentales et les autres produits importés. Il s’agit de tant de produits qui ne se trouvaient pas sur le marché et qui constituaient des plaisirs interdits aux foules, réservés à quelques privilégiés. Gheorghe Florescu maîtrisait avec succès les mécanismes qui faisaient fonctionner la société de l’époque : les relations, la complicité, les pots-de-vin. Son histoire et celle de sa boutique à café fait partie de l’histoire de la Roumanie des années ’60-’70-’80, une histoire écrite par ses survivants. Au milieu des années 1980, soit vers la fin de la dictature communiste, il est jeté dans une prison de droit commun. « Si les généraux sont remplacés, ce sont les soldats qui périssent », affirme-t-il.




    Gracié en 1988, Gheorghe Florescu a repris son activité de torréfacteur artisanal après 1990. Encouragé par quelques-uns de ses fameux clients et suite à la contribution décisive de sa fille, Vali, il a écrit « les confessions d’un torréfacteur artisanal », un livre de mémoires, qui refait l’image d’une époque que la majorité des Roumains ont vite essayé d’oublier. « Ma fille a souhaité faire un film et elle m’a dit : «Papa, mets-toi au travail ». J’ai écrit le livre, « Les confessions d’un torréfacteur artisanal » pour ma fille, pour qu’elle aie de la documentation pour son film. J’ai cherché à être clair, précis, de ne pas faire d’erreurs, qui pourraient attirer des critiques. Mais je n’ai pas reçu de critiques, ni même de la part de ceux que j’ai illustré, d’une manière pas du tout positive. Au contraire, ils se battent pour obtenir un autographe sur leur volume. C’est qu’après avoir perdu le pouvoir, il y a quelquun qui évoque leur nom. En 2009, la diaspora roumaine a acheté pas moins de 20 mille exemplaires. Ce sont les Roumains qui ont quitté le pays avant l’avènement au pouvoir de Nicolae Ceausescu qui souhaitent savoir le plus ce qui s’est passé ensuite dans le pays. Ce livre relate assez clairement ce qui s’est passé à cette époque-là. »




    Le livre fut lancé le 22 novembre 2008. Avec l’argent produit par son œuvre, Gheorghe Florescu a réussi à réaliser son rêve: refaire sa boutique de café. « A l’heure actuelle nous avons une affaire de famille, avec quelques salariés et trois points de vente et nous avons également ouvert un café. Le café que vous pouvez déguster à Baneasa est unique, c’est le meilleur café au monde. »




    De nos jours, Gheorghe Florescu torréfie du café dans une petite boutique du centre de la capitale roumaine. Il importe en Roumanie des cafés exotiques, bio, à l’arôme divin. Bonhomme, galant, le propriétaire des recettes du grand Carabelaian est toujours heureux lorsqu’il voit de nouveaux visages franchir le seuil de sa boutique.




    Et pour la fin de cette édition de « La Roumanie chez elle », nous vous invitons à prendre un café selon la recette du café parfait, selon le maître de la torréfaction artisanale, Gheorghe Florescu. La voici: « Il vous faut une petite casserole en cuivre et laiton. On mesure la quantité d’eau avec la tasse que l’on utilise pour boire le café. Deux tasses si c’est un café pour deux. C’est le monsieur qui doit le préparer et la dame qui le boit. On met l’eau à bouillir. Si vous le préférez sucré, c’est le moment d’y mettre une petite cuillère rase. Si vous prenez le café avec du miel, ajoutez le miel à la fin. Au moment où l’eau est un peu chaude, il faut ajouter le café. Deux petites cuillères combles pour chaque tasse. Cette tasse de café ne doit être ni trop petite, ni trop grande, elle doit avoir environ 50 millilitres. Il ne faut jamais utiliser un mug. On porte le mélange à ébullition mais en fait le café ne doit pas bouillir. On le retire du feu quand le café mousse et c’est à ce moment qu’il faut saupoudrer d’une demi-petite cuillère de café moulu. C’est cette demi-cuillère de café qui donne l’arôme au café. Le résultat final est un café que les hommes doivent servir aux dames le matin au lit. » (aut.: trad. : Mariana Tudose, Alex Diaconescu)

  • La caravane Casper

    La caravane Casper

    Début juillet, deux équipes de cyclistes sont partis en tandem sur un trajet qui traverse 26 villes. Dans chacune d’entre elles, à 11 heures du matin, ils démolissent un mur symbolique fait de boîtes en carton ; une lettre est inscrite sur chaque boîte, l’ensemble formant le mot « déficience ». C’est la caravane Casper.



    L’une des équipes est constituée de Florin Georgescu et d’Alexandru Răcănel. Florin Georgescu, 38 ans, est diplômé de la faculté de psychopédagogie de Bucarest et docteur en psychologie, bien qu’atteint d’un handicap sensoriel: il est non-voyant. Depuis 3 ans, il a participé à la marche des cyclistes déroulée sur 200 km entre Bucarest et Constanta, il a parcouru à vélo les 1200 km qui séparent Bucarest de Sighetul Marmaţiei, dans l’extrême nord de la Roumanie, afin de collecter les fonds dont une personne avait besoin pour une greffe du rein. Invité par différentes associations qui encouragent le cyclotourisme, il a participé à de nombreux événements. Et c’est toujours Florin Georgescu qui a parcouru le trajet Bucarest-Londres — soit quelque 2.500 km — pour donner le coup d’envoi des Jeux Paralympiques 2012. Comme dans toutes ses aventures, il est accompagné par son ami et partenaire de tandem, Alexandru Răcănel.



    En même temps que Florin Georgescu et Alexandru Răcănel, à Medias ont pris le départ, toujours en tandem, Butu Arnold Csaba et sa fille, Andrea Szabina, qui traverseront l’autre moitié du pays. Butu Arnold Csaba est un cycliste non-voyant, qui a été présent aux Jeux Paralympiques de Pékin. Il participe actuellement aux qualifications pour les Jeux Paralympiques du Brésil.



    Comment Florin Georgescu en est-il arrivé à faire toutes ce choses-là ? Il nous l’explique lui-même : « En 2008, j’ai contacté une association spécialisée pour demander où l’on pouvait acheter un tandem. Les gens ont été particulièrement réceptifs et ils nous ont même offert de l’argent pour acheter notre premier vélo. En 2009, j’ai parcouru, avec Alexandru Răcănel, la moitié du pays : nous avons roulé depuis Bucarest (dans le sud de la Roumanie), jusqu’à Sighetul Marmaţiei, dans l’extrême nord. Par la suite, nous avons créé l’association « Tandem ». Ensuite, nous nous sommes attaqués à l’automobilisme pour non voyants et, en 2011, nous avons établi un nouveau record national de vitesse sur la piste de l’aéroport de Craiova. L’année dernière, nous avons parcouru le trajet Arad — Londres, dans le cadre de la campagne « Vois au-delà des limites ». A présent, j’ai été invité à participer à la caravane Casper par l’Association Assoc de Baia-Mare et par Euroins Roumanie, qui nous également offert les tandems que nous utilisons. »



    La caravane Casper porte le nom d’un système daide à l’évaluation du degré de handicap d’une personne qu’il examine du point de vue social, en mettant l’accent sur ce que la personne peut faire et non pas sur ce qu’elle n’est pas capable de faire. C’est d’ailleurs-là une tendance de l’évaluation médicale actuelle en Roumanie.



    La Caravane Casper doit clore un projet financé par des fonds européens et dont le principal objectif était de rendre le marché de l’emploi plus accessible aux personnes atteintes d’une déficience — affirme Florin Georgescu : «Cette campagne a été placée sous le slogan «Démolissez des murs pour construire des ponts.» Il s’agit des murs qui séparent, de manière plus ou moins arbitraire, les différentes catégories sociales. J’espère qu’au moins une personne s’en ira avec l’idée qu’une équipe formée de deux individus — l’un atteint d’une déficience et l’autre valide — peut réaliser beaucoup de choses. Mon message personnel est simple : j’invite tous ceux qui ont un handicap à faire du sport et du mouvement en plein air. Cette caravane est un plaidoyer pour le sport en général, mais aussi et surtout pour le paracyclisme, qui est peu pratiqué chez nous. »



    Les deux équipes de la caravane ont déjà parcouru la moitié du trajet. Elles roulent plusieurs dizaines de km par jour. Florin Georgescu raconte : « Nous avons quitté la ville de Baia Mare depuis un certain temps déjà. Nous nous trouvons à Alba Iulia et nous nous dirigeons vers Târgu Mureş, Miercurea Ciuc, Bistriţa. Ensuite, nous aurons 3 jours de repos, pour repartir vers le nord — et atteindre les villes de Suceava et de Botoşani – ensuite redescendre vers le sud, en traversant l’est du pays, par les villes de Bacău, Vaslui, Piatra Neamţ, Focşani, Galaţi et Brăila — dans le sud-est. Nous nous sommes proposé de faire 50 à 60 km par jour, vu que le calendrier est assez serré. Nous nous arrêtons toutes les deux heures pour nous hydrater et nous reposer. Le temps a été notre allié, nous avons eu un seul jour de pluie, en échange, les routes ont été pour nous un véritable défi. Dans bon nombre de villes, les gens ont été très réceptifs à notre message, ils se sont montrés intéressés et coopérants. Pourtant, comme nous nous attendions, d’ailleurs, il y a eu aussi des localités où la participation a été très faible, mais c’est une chose que nous avons assumée ; nous sommes conscients du fait que notre message n’est pas facile à transmettre. »



    Les deux équipes se rencontreront à Bucarest, le 1er août, date à laquelle, au centre ville, un événement marquera la fin de la caravane. Florin Georgescu et son ami et coéquipier Alexandru Răcănel souhaitent également promouvoir le sport comme moyen d’intégration sociale des personnes touchées d’une déficience. Ils ont même conçu un projet à cette fin : offrir des vélos tandem aux lycées de non-voyants du pays pour jeter les bases du paracyclisme en Roumanie. (trad. : Dominique)

  • Pacte entre agriculteurs et gens de la ville

    Pacte entre agriculteurs et gens de la ville

    Saviez-vous qu’il existe en Roumanie une Association pour soutenir l’agriculture traditionnelle ? Par son intermédiaire, les gens des villes, intéressés par de la nourriture saine, font des partenariats avec des paysans qui ont besoin de fonds et d’un marché ciblé. L’association a été fondée voici 5 ans et elle a des adhérents dans toutes les grandes villes.



    Sa présidente, Mihaela Veţan, explique: « La première présentation des partenariats de cette association a été faite à Timişoara par Denise Vuillon, une des personnes qui ont lancé ce système en France. A l’époque, l’intervenante avait attiré l’attention que la petite agriculture était en danger au niveau européen, parce que les paysans ont de plus en plus de difficultés en général et aussi à résister à la concurrence de l’agriculture intensive, à celle des supermarchés et des produits d’importation. Dans ce contexte, elle parlait d’une initiative qu’elle avait mise sur pied en France en 2001 — à savoir la création de groupes solidaires de consommateurs qui décident de soutenir de petits producteurs locaux, des paysans de proximité, pour qu’ils réalisent des produits naturels et les livrent une fois par semaine ».



    Le système fonctionnait de manière informelle aussi en Roumanie, sans être structuré pour autant, donc sans engagement ferme des deux parties. Presque toutes les familles, et surtout celles ayant des enfants en bas âge, développent avec le temps un petit réseau de sources de légumes, d’œufs, de lait et de viande de la campagne, soit en entretenant des relations avec certains vendeurs au marché, soit en faisant appel aux membres de leur famille qui habitent la campagne. Pourtant, les années ont passé et sur les marchés, on ne retrouve plus de vrais paysans, mais surtout des intermédiaires.



    Une bonne raison pour Mihaela Veţan de lancer les partenariats: « En 2008, nous avons lancé à Timişoara le premier partenariat mis en place par 20 familles de consommateurs. Ce qui est différent par rapport aux relations informelles, qui — heureusement – continuent d’exister en Roumanie, c’est que dans les partenariats de l’association, les consommateurs assument un engagement sur une année. Pratiquement, ils s’engagent en automne pour l’année suivante, paient une avance au producteur pour qu’il ait les ressources nécessaires à préparer ses cultures d’automne, qu’il puisse acheter ses semences, et en cours d’année, ils s’obligent à acquérir une corbeille aux produits réalisés dans leur rythme naturel ».



    Marin Paraschiv est un des 11 producteurs qui fournissent des légumes à 350 foyers du pays. Ce sont ses enfants qui lui ont appris l’existence de ce partenariat, dont ils étaient au courant grâce à Internet. A présent, il a 15 abonnés: « Ils m’aident à me procurer les graines, à développer les serres, ils me sponsorisent. Tous les mois, je leur offre en échange quatre paniers de légumes qui valent quelque 140 lei. Nous nous donnons rendez-vous au siège de l’Association pour le soutien de l’agriculture traditionnelle, ASAT. Là, 2 ou 3 familles donnent un coup de main à l’emballage des produits. Moi, je suis content de n’avoir plus à aller vendre mes produits au marché de gros, eux ils sont satisfaits de la qualité des produits bio et de la possibilité de voir sur place comment ça se passe. Nombreux sont les Roumains qui préfèrent acheter aux fermiers autochtones. Nous avons de très bons légumes. Le goût de nos tomates, de nos poivrons ou de nos aubergines n’a pas son égal et nos légumes ne sont nullement comparables avec les produits d’importation. »



    Les consommateurs prennent conscience du fait que les produits sains, sans ajouts chimiques, ont un rythme différent de croissance et que leur aspect moins commercial est largement compensé par la qualité.



    Nous sommes tenus de respecter la charte des principes de l’ASAT, qui régit tous les détails liés à la production, laquelle doit être à 100% naturelle, précise Mihaela Veţan: « Il n’est pas nécessaire que les producteurs possèdent des certificats bio, mais, dans la mesure du possible, ils doivent pratiquer l’agriculture écologique et accepter de se soumettre aux règles de la transparence relative à la production et au calcul des prix. En outre, les consommateurs ont le droit de rendre visite à l’agriculteur à tout moment, pour voir comment les produits sont réalisés. Enfin, une autre condition à respecter est celle de la solidarité, cet élément fort important de part et d’autre. Par exemple, si la grêle abîme les plants de choux et qu’il n’y ait plus de production maraîchère de choux, cette perte sera supportée de manière solidaire par les consommateurs. En clair, ils n’exigeront pas de réduction de leur abonnement pour cause d’absence de ce produit, puisqu’ils comprennent les risques d’une production naturelle. Par contre, si l’année s’avère très favorable à une certaine culture, comme par exemple celle de tomates, il en résulte une surproduction par rapport aux estimations initiales. Alors, ce surplus ira chez les consommateurs, car ce sont eux, justement, qui supportent les coûts de production. »



    Les prix des légumes bio sont accessibles à un nombre assez grand de personnes. C’est là d’ailleurs un des objectifs que se donne l’ASAT, affirme notre interlocutrice Mihaela Veţan: « Nous savons que les produits bio sont un luxe, mais, par le biais des partenariats ASAT nous pensons offrir une alternative, de sorte à accroître le nombre des personnes qui puissent avoir accès à des produits de qualité. »



    Bon nombre des consommateurs que l’on retrouve dans ces partenariats sont des jeunes parents, soucieux d’une alimentation saine et conscients de la nécessité de soutenir l’économie et l’agriculture autochtones. (trad. Ligia Mihaiescu, Mariana Tudose)