Category: L’Encyclopédie de RRI

  • Le magnétophone à Radio Roumanie

    Le magnétophone à Radio Roumanie

    De nos jours encore, un grand nombre des archives du monde utilisent un support analogique, le magnétophone étant donc l’équipement auquel l’on doit cet immense héritage inestimable. Inventé au cours des premières décennies du XXème siècle, le magnétophone à bobine et fil d’acier est le premier à enregistrer la voix humaine dans l’histoire de la radiodiffusion. Cependant, c’est l’apparition du magnétophone à bande magnétique, fabriqué par la compagnie allemande AEG et utilisé pour la première fois en 1935, qui marquera le lancement d’une longue génération d’équipements techniques à bande magnétique, qui domineront le marché audio durant la seconde moitié du siècle dernier.

     

    Le passé des équipements techniques à Radio Roumanie

     

    Radio Roumanie a toujours saisi l’air du temps, cherchant prioritairement à munir ses techniciens et ses journalistes de magnétos qui les aident à bien faire leur métier. Une histoire technique de la Radio roumaine retient dans ses chapitres des magnétophones de pointe, cet outil étant aussi le héros de nombreuses anecdotes qui attendent d’être écrites. En l’an 2000, l’ingénieur et ancien directeur technique de la Radio publique, Ilie Drăgan, a répondu aux questions du Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine. C’est en 1958 qu’il avait été embauché à Radio Roumanie, où il avait dirigé le département « Transmissions » chargé de l’exploitation des équipements techniques : « Je me souviens des transmissions avec des équipements à tubes électroniques, que nous appelions CN ; pour une réserve d’alimentation en électricité, nous avions aussi des batteries 110 Volts, connues sous le nom de <briques / cărămizi.> Une seule avait les dimensions de deux briques superposées. Quand nous partions en mission, nous les mettions (elles en étaient deux) dans une sacoche, car la Radio n’était pas dotée de véhicules de transport comme elle l’est aujourd’hui. Nous emportions aussi un magnéto qui pesait souvent plus de 35 kilos et qui fonctionnait avec de la bande en papier. Ainsi équipés, nous prenions le train pour aller enregistrer des choses dans les régions. Pour faire des enregistrements dans des fermes agricoles, les journalistes et les techniciens devaient aller dans les champs, où il n’y avait pas d’électricité ; il fallait donc recourir aux deux ou trois groupes électrogènes du département « Transmissions » transportés en voitures. Une fois sur notre lieu de travail, nous y mettions de l’essence et on les mettait en fonction pour alimenter les magnétos. C’est ainsi qu’on réalisait nos enregistrements à cette époque-là. »

     

    Evolution des équipements pour l’enregistrement du son

     

    L’histoire de la radio publique roumaine indique quatre périodes concernant les magnétophones. La première a été celle de la deuxième guerre mondiale et des années 1950, quand on utilisait toujours des magnétos à fil d’acier. Dès le début des années 1950, les magnétos à bande magnétique commencent à prendre de plus en plus de place. La deuxième période est celle des années 1960 et de la première moitié des années 1970, quand il fallait acheter les magnétos à travers le CAEM, le Conseil d’aide économique mutuelle, l’association économique des Etats socialistes. Cette convention désignait la Hongrie comme productrice de tels équipements. La troisième période a été celle de l’ouverture vers l’Occident, comprise entre 1975 et 1985. Les appareils occidentaux étant nettement supérieurs en termes de qualité et de prix, Radio Roumanie a acheté de la technologie occidentale. La quatrième période est marquée par le retour aux achats chez les fabricants du bloc socialiste, après1985. Ilie Drăgan se souvient : « Les traités CAEM désignait la Hongrie pour fabriquer ces équipements, des magnétos et des consoles. Plus tard, les Allemands de l’est ont proposé eux-aussi leur version de magnétophone, tandis que la Tchécoslovaquie fabriquait des cars de reportage. Nous en avions d’ailleurs acheté, installés dans des bus Škoda, mais en réalité les consoles et les magnétos étaient de fabrication hongroise. Ensuite, les Tchécoslovaques ont réussi à remplacer les consoles hongroises par d’autres de la marque Tesla Bratislava. Donc, en 1989, quand Radio Roumanie a acheté un car de reportage, qui est utilisé encore aujourd’hui, les consoles étaient tchécoslovaques et les magnétophones hongrois. »

     

    Souvenirs de technicien

     

    Ilie Drăgan se souvient de l’évolution des magnétophones à Radio Roumanie durant sa longue carrière d’ingénieur électronique, une carrière étendue sur quarante-deux ans: depuis les magnétos à bande de papier jusqu’aux enregistreurs portables, accrochés à l’épaule. Track 3: « Les magnétophones étaient très lourds. Avec un poids autour de 35 kilos, il fallait deux personnes pour transporter un seul magnéto à un enregistrement extérieur. Un calvaire. Aujourd’hui un journaliste à un super enregistreur aussi grand que la paume de sa main et qui réalise des super enregistrements. Plus tard, on il y a eu les Philips Junior, aussi grands qu’une mallette porte-documents, mais qui pesait tout de même environ 16 kilos. En tout cas, il n’était pas comparable à celui de 35 kilos. En plus, pour réaliser tous les enregistrements, les journalistes ne pouvait pas y aller seuls, il avait besoin d’être accompagné par un technicien. Les magnétophones portables de la marque Uher sont apparus après. »

     

    Les magnétophones sont actuellement des objets exposés dans un musée, ils éveillent la curiosité et l’intérêt des passionnés d’histoire de la science et de la technologie. A Radio Roumanie, le magnétophone est toujours présent et il coexiste avec les nouvelles générations d’équipements numériques. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Le Casino de Constanta

    Le Casino de Constanta

    Constanta, une ville dont les débuts remontent à l’Antiquité

     

    Nous vous invitons à découvrir l’histoire de l’emblématique Casino de Constanța, symbole de la plus grande ville-port sur la mer Noire, ville fondée par les colons grecs de l’Antiquité, sous le nom de Tomis. Le nom de cette localité est également lié à la légende des Argonautes et notamment à l’exile du poète latin Ovide.

     

    Aujourd’hui, le symbole de la ville est sans nul doute son Casino, construit en style Art Nouveau et inauguré en le 15 août 1910, le jour même où les Roumains marquent la Journée de la Marine.

     

    Déjà en 1879, Constanța était considérée non seulement comme un port mais aussi comme une station thermale maritime. En 1880, son premier salon de danse a ouvert ses portes – Le Salon Guarracino – qui fut sévèrement endommagé en 1891 par une forte tempête. La municipalité lui a donc fait construire un nouveau bâtiment qui a fonctionné jusqu’au printemps 1910.

     

    Mais l’histoire proprement-dite du Casino commence en 1903, lorsque le maire Cristea Georgescu signe un contrat avec l’architecte Daniel Renard, qui allait dresser les plans d’un casino en style Art Nouveau, comme nous l’explique Delia Roxana Conrea, directrice par intérim du Musée national d’histoire et Archeologie de Constanța :

     

    Le Casino dans les années 1930

     

    Delia Roxana Conrea : « Le 15 août 1910 fut inauguré ce beau Casino Communal Carol Ier – c’est avec ce nom qu’il est mentionné dans la presse de l’époque, qui a d’ailleurs fait couler beaucoup d’encre à ce sujet. On y retrouve y compris le menu servi lors de l’inauguration : du foie gras, du vin de Drăgășani et autres plats. Le Casino a eu une très belle évolution avant la Première Guerre Mondiale. En 1916, la Dobroudja tombe pourtant sous occupation germano-bulgare et de nombreux bâtiments de Constanța sont occupés, puis pillés. Ce fut aussi le cas du Casino, qui a été transformé en hôpital militaire et, même s’il avait la Croix Rouge affichée sur son toit, il parait qu’une bombe est néanmoins tombée dessus, en détériorant une partie de son escalier intérieur. Reconstruit dans les années 1920, le Casino retrouve sa splendeur d’antan à l’entre-deux-guerres, lorsque la fête du 15 août et les célébrations nautiques étaient fortement appréciées tant par les habitants de la ville que par les visiteurs. D’autres événements y étaient également organisés. Par exemple, la plupart des bals caritatifs se tenait au Casino et on a même la confirmation que les différents membres de la famille royale y participaient. Cette tradition a été perpétuée si bien qu’à ce jour, la fête du 15 août est marquée tout aussi fastueusement en Roumanie. » 

     

    Le Casino de Constanța connaît donc son apogée dans les années 1920-30, lorsque cette ville-port devient très prospère, affirme à son tour Cristian Cealera, historien, écrivain et guide au sein du Musée national d’histoire et d’archéologie de Constanța.

     

    Plein d’histoires autour du Casino

     

    Cristian Cealera : « A noter que la Dobroudja recensait 19 minorités. Plus encore, un recensement de Constanța, qui avait plus de 56 000 habitants dans les années 1920, fait état de pas moins de 33 ethnies. Chose moins connue, à l’époque, il y avait des courses maritimes transatlantiques entre Constanța et New York et par conséquent dans certains jardins de la ville et sur même la terrasse du Casino, des troupes de la Nouvelle Orléans venaient jouer du jazz. C’est une histoire très riche en fait, parce qu’il s’agissait aussi de sopranos et ténors de la Scala du Milan, de nombreuses troupes d’acteurs qui tentaient de décrocher un contrat d’été au casino. Des boxeurs de renommée mondiale se donnaient rendez-vous au casino ou s’affrontaient dans l’arène improvisée devant l’édifice. Le monde adorait se rendre au casino. Et n’oublions pas non plus les Journées de la Marine : la fête du 15 août était l’évènement le plus important de l’été. Evidemment, les jeux d’argent, plus répandus dans les années 1930, ont de bonnes conséquences, mais aussi de moins bonnes. La ville entière prospère – ses restaurants, ses hôtels enregistrent des revenus exceptionnels. Mais en même temps, les jeux de fortune font des victimes, car, si les riches quittaient Monté Carlo en faveur de Constanța puisque c’était moins cher, les moins chanceux – les petits fonctionnaires, les habitants de la ville etc. – ne savaient pas gérer ce problème, d’où tant de tristes histoires. La presse de l’époque note une multitude de cas : des suicides, des scandales d’amoureux, du genre : la jeune femme qui avait dépensé tout l’argent de son fiancé, qui le lendemain tentait de la tuer par balle sur la promenade du casino… et la liste est longue ».

     

    Le Casino à l’époque communiste

     

    Après 1940, le bâtiment tombe dans l’oubli, étant donné que la Seconde Guerre Mondiale avait déjà éclaté. Le Casino est occupé par les troupes allemandes, puis, par les troupes soviétiques, après octobre 1944. L’histoire du casino est tout aussi triste durant l’époque communiste, du moins au début de cette période. Bien qu’il ait été jeté à l’oubli, en ruines, pendant de longues années, sa réhabilitation a quand même été proposée et les travaux de rénovation ont démarré dans les années ’50. Pour la main d’œuvre on a compté non seulement sur les civils, mais aussi sur les détenus politiques des prisons et camps d’ouvriers qui tentaient de creuser le fameux Canal censé relier le Danube à la mer Noire. Une triste réalité, dont témoignent aussi deux billets laissés par l’équipe dirigée par les architectes Constantin Joja et Ion Cristodulo, soit une liste de tous les détenus politiques du moment. Le premier billet a été découvert entre les murs du Casino durant les travaux de restauration démarrés au début de l’année 2020, le second – en 2023. Enfin à compter des années ’80 et jusqu’après 1990, le Casino de Constanța a fonctionné en tant que restaurant avec terrasse.

     

    Après l’an 2000, il a été fermé au public, en attendant que les fonds nécessaires soient ramassés pour sa restauration. Lorsque le Casino de Constanța ouvrira de nouveau ses portes il pourra accueillir des espaces d’exposition qui raconteront son histoire et ainsi qu’un centre culturel multifonctionnel. (trad. Valentina Beleavski)

     

     

  • Les pogroms d’Iaşi et de Bucarest

    Les pogroms d’Iaşi et de Bucarest

    Le début de l’année 2025 est marqué par l’anniversaire des 84 ans depuis le « Pogrome de Bucarest » du 21 au 23 janvier 1941 et l’anniversaire des 80 ans de la libération, le 27 janvier 1945, d’Auschwitz (Pologne), le plus grand camp d’extermination nazi. Deux tristes commémorations de l’histoire moderne du monde et de la Roumanie. Le Pogrome de Bucarest a représenté une série de manifestations violentes et de crimes contre les Juifs, qui ont eu lieu durant la Rébellion légionnaire (de la Garde de fer) de janvier 1941. Il est considéré comme le plus grand et le plus violent pogrome contre les Juifs de Munténie (sud – sud-est de Roumanie). Cette même année, un autre pogrome, probablement le plus violent de l’histoire des Juifs de Roumanie, était organisé du 27 au 30 juin dans la région de Moldavie, 13.266 citoyens juifs roumains ayant été tués dans la ville d’Iași.

     

    « Fotografii însângerate / Photos ensanglantées », un documentaire bouleversant

     

    Le réalisateur d’origine juive Copel Moscu a dans son portefeuille une cinquantaine de courts et longs métrages dont il a assuré la réalisation et le scénario et qui ont gagné de nombreux prix nationaux et internationaux. C’est à la fin de l’année dernière, 2024, que son film « Fotografii însângerate / Photos ensanglantées » a eu la première projection; c’est un documentaire qui évoque les événements bouleversants du Pogrome d’Iași.

     

    Le réalisateur Copel Moscu a parlé au micro de RRI de ses origines et de la façon dont l’histoire officielle présentait ces événements à l’époque de son enfance et de sa jeunesse, avant la chute du communisme en 1989.

     

     « Tout d’abord, vous savez que ma famille a des origines juives. Ce qui est intéressant c’est que je n’ai jamais entendu parler de ce pogrome durant mon enfance et ma jeunesse. Un événement terrifiant, une tâche noire sur l’histoire moderne, mais, en tenant à l’écart des informations sur ce qui s’était passé, mes parents ont voulu m’empêcher de porter jugement sur ces temps-là. Alors que j’étais très intéressé de savoir ce qui était arrivé aux membres de notre famille, car certains d’entre eux ainsi que des amis avaient été victimes de l’Holocauste. Cette obturation de l’histoire réelle était très pratiquée à cette époque-là. Les autorités communistes ne parlaient que très peu, voire pas du tout, de cet événement. Il n’était pas interdit d’en parler, mais ce n’était pas recommandé de le faire. … Ce fut un dérapage extrême de l’histoire et j’espère qu’il restera unique dans l’histoire… des gens, qui ne se connaissaient pas vraiment les uns les autres, et les uns ont supprimé les autres sans aucune explication claire, tout simplement par haine. … »

     

    Le réalisateur Copel Moscu a continué expliquant sa façon de travailler à son documentaire.

    2: « Le Conseil national d’étude des archives de la Securitate (CNSAS) gardent les photos réalisées pendant ces événements-là. Il existe encore un tas de documents et d’images classés et je n’en connais pas la raison, mais qui seront sans aucun doute rendus publics à un moment donné. Il est très intéressant de constater que notre histoire a encore des secrets à dévoiler et je crois que nous aurons encore de grosses surprises, car les documents et les images et les rapports de ces temps-là commencent à devenir plus clairs, donnant à chacun de nous l’occasion d’interpréter ce qui s’était passé à travers notre pensée moderne. Nous devons comprendre qu’une certaine époque a une certaine vision de l’histoire et qu’il nous est difficile de comprendre sans examiner ces éléments en profondeur … »

     

    Un film montrant la préparation et l’exécution du pogrome

     

    Le film documentaire « Fotografii însângerate / Photos ensanglantées » présente des images montrant la préparation et l’exécution du pogrome, depuis le marquage des maisons des familles juives aux colonnes de Juifs obligés à creuser les fosses dans lesquelles allaient être jetés leurs semblables.

     

    Copel Moscu raconte l’effet produit par ces photos sur le public et la manière dont il les a introduits dans son film. Track 3: « Cela s’appelle l’effet de parallaxe qui fait qu’une photo bidimensionnelle passe d’une certaine manière dans le tridimensionnel, dans l’espace, pour donner au spectateur la possibilité de vivre intensément cette image… Les images négatives, celles dans lesquelles on parle de la mort… Les gens peuvent regarder par moments des radiographies de leurs propres existences. … »

     

    Ce film documentaire peut devenir du matériel à étudier pour les nouvelles générations afin qu’elles puissent mieux comprendre ces moments de l’histoire de la Roumanie, croit Copel Moscu, qui poursuit.

     

    « Moi je crois que ce film devrait être projeté dans les établissements scolaires, surtout qu’il s’agit d’une matière scolaire presqu’obligatoire. Bon, elle est optionnelle, mais elle est inscrite dans le programme scolaire. C’est l’étude de l’Holocauste. … Ce film pourrait aider les jeunes à se construire une opinion sur cette époque-là, sur les relations entre les gens, sur l’approche d’une situation de crise … »

     

    L’histoire dans la conscience collective

     

    Le film documentaire « Fotografii însângerate / Photos ensanglantées » ramène dans la conscience collective ces moments d’histoire dramatique, quand la législation roumaine de la dernière année du règne de Carol II avait donné un pouvoir légal à la discrimination raciale des Juifs, qualifiés de « race inférieure ». L’Etat national légionnaire avait durci les interdictions et limité les libertés et les droits civils des Juifs. Des milliers d’entre eux avaient été arrêtés, enquêtés et torturés à Bucarest durant la Rébellion légionnaire. Des temples et des synagogues avaient été pillés, plusieurs assassinats avaient été commis dans la forêt de Jilava, à proximité de la capitale. Les statistiques ont fait état de plus de 120 Juifs tués pendant le Pogrome de Bucarest, 1274 boutiques, appartements et ateliers saccagés, des centaines de camions de marchandises pillés. Ces événements de Bucarest ont été niés ou omis de l’histoire récente après répression de la Rébellion. Des théories ont été avancées pour soutenir des conspirations supposées des Juifs et des communistes en lien avec le Pogrome de Bucarest et avec la véracité des faits. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Dan Barbilian/ Ion Barbu – mathématicien et poète de renom

    Dan Barbilian/ Ion Barbu – mathématicien et poète de renom

    Elles ne sont pas nombreuses, les personnalités capables de se hisser aux plus hauts niveaux de création ou de performance dans des domaines différents et même apparemment opposés. Le mathématicien et poète Dan Barbilian / Ion Barbu en fut une de ces personnalités, qui est entré dans l’histoire de ses deux passions, les mathématiques et la poésie. Le mathématicien Dan Barbilian et en même temps le poète Ion Barbu est né avec un talent unique pour les sciences mathématiques et pour l’art poétique, mais il a dû travailler dur pour mettre en valeur ce talent.

     

    Naissance d’un génie des sciences et de la littérature

     

    Dan Barbilian a vu le jour en 1895 dans la petite ville de Câmpulung Muscel, dans une famille de magistrats, et il est décédé en 1961 à Bucarest. Sa passion pour les mathématiques se manifeste dès les premières années d’école et durant les années de lycée il commence à collaborer à la revue « Gazeta Matematica », dans les pages de laquelle se sont exprimées les vocations des plus importants mathématiciens roumains. C’est également à cette époque que se manifeste sa passion pour la poésie, mais ses débuts littéraires se produiront plus tard, en 1919, dans la revue « Sburătorul ». Dan Barbilian a étudié les mathématiques d’abord en Roumanie, à l’Université de Bucarest, et ensuite, après la fin de la première guerre mondiale, il continue ses études entre 1921 et 1924, en Allemagne, à Göttingen, Tübingen et Berlin. En 1929, il obtient son doctorat en mathématiques sous la coordination de son professeur de Bucarest, le mathématicien Gheorghe Țițeica, et déroule une intense activité scientifique, y compris des participations à des congrès internationaux. A la Faculté des Sciences de Bucarest, il enseigne l’algèbre, la géométrie, la théorie des nombres, la théorie des groupes, l’axiomatique. Il donne aussi des cours à des universités de l’espace germanophone. Une procédure concernant  les espaces métriques sera appelée « les espaces de Barbilian » et une autre contribution ouvrira la voie de la recherche dans la géométrie des anneaux. Il compte aussi parmi les fondateurs de la standardisation de la géométrie algébrique.

     

    Opportunités  éducationnelles pour un jeune talentueux

     

    Le mathématicien et écrivain Bogdan Suceavă a remarqué les opportunités éducationnelles dont un jeune aussi talentueux que Dan Barbilian avait bénéficié dans une Roumanie en train de se construire selon des modèles européens :

    « Dan Barbilian a gagné le concours organisé par Gazeta matematică en 1912 et, chose très intéressante, j’en ai trouvé une mention dans la base de données de l’American Mathematical Society. Il faut vraiment que ce soit quelqu’un d’important pour que le nom y soit mentionné en lien avec un certain chapitre des mathématiques. Barbilian est en lien avec le 51C05, la géométrie des anneaux. Il a introduit les espaces qui portent son nom en 1934, mais au début il a tout simplement été un gagnant du concours de la Gazeta matematică, en 1912. Il a ensuite étudié à Göttingen avec David Hilbert, Emmy Noether, Edmund Landau, et il a laissé une œuvre littéraire intéressante dans la littérature roumaine. Il a eu des contributions importantes dans le domaine de l’algèbre, en 1943 il publie une approche axiomatique de la mécanique, qui est passée un peu sous les radars. Après son entraînement de départ autour de la “Gazeta matematică”, il s’est avéré en fin de compte un créateur de mathématiques du plus haut niveau. »

     

    Pendant tout ce temps, le mathématicien Dan Barbilian écrivait de la poésie sous le nom de plume Ion Barbu, une anagramme de son nom de famille. En tant que poète, il s’est approché du critique littéraire Eugen Lovinescu et de son cénacle « Sburătorul ». Un autre critique littéraire, Tudor Vianu, qui s’est lié d’amitié avec Barbu durant leurs années de lycée, consacre un volume à l’analyse de la poésie du mathématicien. Selon Vianu, la création poétique d’Ion Barbu connaît plusieurs période: d’abord, jusqu’en 1925, celle dite « parnassienne » inspirée par la poésie parnassienne française ; ensuite la période de la ballade orientale, inspirée d’auteurs roumains tels qu’Anton Pann ou des textes qui parlent du personnage Nastratin Hogea ; enfin, la période hermétique, appelée ainsi par ses exégètes à cause de la codification des significations poétiques employées par Ion Barbu. De nos jours, deux des poèmes écrits par Barbu ont une notoriété particulière ; il s’agit de « Riga Crypto și lapona Enigel » et « După melci », ce dernier ayant été mis en musique par le chanteur-compositeur Nicu Alifantis en 1979.

     

    Souvenirs de jeunesse

     

    La lecture des notes de Dan Barbilian a fait découvrir à Bogdan Suceavă une description littéraire d’un grand effet des souvenirs du mathématicien et poète :

    « Dans les années 1950, il écrivait ceci à propos du concours de 1912: <Le problème porte l’empreinte d’Ion Banciu, membre de la commission d’algèbre, cher et inoubliable grand professeur.> Barbilian laisse parler ses sentiments, quand il en a envie. <A part mon père, ai-je rencontré quelqu’un d’autre qui croie en moi et qui m’aide autant? Țițeica ne possédait ni l’élan, ni la chaleur humaine, ni la générosité de Banciu. Je veux rester l’élève de Banciu et ensuite de Felix Klein et de Richard Dedekind, et d’aucun autre.> Là il est quelque peu injuste, car Țițeica l’a massivement aidé, mais je crois qu’il n’était pas très tendre avec lui. Il lui imposait des délais et Barbilian n’aimait pas du tout ça, je pense. Il n’aurait pas pu se conformer aux deadlines. <Qu’est-ce que j’ai pu écrire dans mon épreuve? La très bonne appréciation de Țițeica pour l’algèbre m’a étonné. M’en suis-je sorti avec tous ces calculs numériques? Si le détail de l’épreuve écrite m’échappe, je retrouve l’atmosphère de cette salle poussiéreuse de l’Ecole des Ponts et chaussées, ainsi que de l’après-midi quasi nordique et de sa lumière polarisée. Si je revis aujourd’hui encore l’examen écrit de géométrie, passé dans la matinée, j’ai gardé un souvenir plutôt hypnotique de l’examen écrit d’algèbre.> N’oublions pas que ces examens étaient passés le même jour, ce que je ne ferais pas de nos jours. On peut donc comprendre cette sensation d’oubli de soi, d’atmosphère hypnotique, quand on passe un tel concours. Mais l’intensité d’un examen écrit de mathématiques demeure, en 1912, plus tard, toujours. Ce qui est intéressant c’est la manière dont il décrit cette expérience quatre décennies plus tard… c’est quelque chose de remarquable. »

     

    Le mathématicien Dan Barbilian et poète Ion Barbu a prouvé que les frontières entre les différents domaines n’étaient pas fixes et que les passions pouvaient être complémentaires. Car l’être humain est fait de raison et de sentiment. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Le mathématicien Gheorghe Țițeica

    Le mathématicien Gheorghe Țițeica

    L’école de mathématiques roumaine fait ses premiers pas à la fin de la première décennie du XIXème siècle, et surtout après la fondation, en 1818, de l’Ecole technique supérieure, ancêtre de l’Université polytechnique de Bucarest. C’est dans cette institution, et dans d’autres créées plus tard, que se sont formées des générations d’ingénieurs et de mathématiciens roumains. Gheorghe Țițeica est un des ceux qui ont marqué le développement des mathématiques en Roumanie.

     

    Formation et début de carrière d’un mathématicien hors-paire

     

    Né en 1873, à Turnu Severin, ville sise sur la rive roumaine du  défilé du Danube aux Portes-de-fer, il meurt à Bucarest en 1939, à l’âge de 66 ans. Très jeune, Gheorghe Țițeica s’intéresse déjà beaucoup aux mathématiques et aux sciences dites « fortes », c’est-à-dire les sciences formelles et les sciences de la nature, qui s’appuient toutes sur la rigueur méthodologique, la précision et l’objectivité. Admis à l’Ecole technique supérieure, la future Polytechnique de Bucarest, il a aussi étudié les mathématiques à la Faculté de sciences de l’Université bucarestoise. Parmi les professeurs de cette dernière institution, il s’est beaucoup rapproché du mathématicien et astronome Spiru Haret, le réformateur le plus important de l’enseignement roumain.

     

    Après l’obtention de sa licence en 1895 Gheorghe Țițeica décide de continuer ses études à Paris, où il se rend l’année suivante. Dans la  capitale française, il se spécialise en géométrie différentielle. Țițeica étudie les réseaux dans un espace à « n » dimensions et introduit de nouvelles classes de superficies, courbes et réseaux. Il a énoncé « le problème de la monnaie de cinq lei » ou le théorème de Țițeica, ainsi que les concepts de la « superficie Țițeica » et de la « courbe Țițeica ». Il s’est également impliqué dans la vulgarisation des sciences, ainsi que dans l’amélioration du niveau de l’enseignement des mathématiques en Roumanie. La revue « Gazeta Matematică » a constitué une des grandes passions de Gheorghe Țițeica, qui a également fait partie des fondateurs des publications « Mathematica » et « Natura, revistă științifică de popularizare ».

     

    Paris – une étape de formation académique décisive

     

    Le mathématicien et écrivain Bogdan Suceavă compte parmi ceux qui retracent l’histoire des mathématiques en Roumanie. Cela lui a permis de constater que la période de formation en Occident avait été décisive pour la carrière de Gheorghe Ţiţeica et pour sa décision de proposer à ses compatriotes une éducation scientifique de très haut niveau.

     

    Bogdan Suceavă : « Les premières décennies d’existence de « Gazeta » sont étroitement liées au nom de Gheorghe Țițeica. Lui, il a pu bénéficier de bourses tout au long de sa vie. Le fait d’avoir réussi, en tant qu’orphelin de père, à se rendre à Paris a beaucoup compté pour lui et pour la façon de financer ses études. Quand il est arrivé dans la capitale française en 1896, on lui a conseillé de s’inscrire à l’École préparatoire. Pendant la première année d’études, il allait faire la connaissance d’Henri Lebesgue, celui qui allait créer, six années plus tard, un chapitre très important de l’analyse mathématique. Țițeica, un être humain d’une très grande qualité, a suivi en parallèle des cours à l’École préparatoire et à l’École Normale. Sa première année d’études a été infernale, mais il s’en est sorti brillamment et on se demande pourquoi il s’était vu conseiller de suivre un plus grand nombre de cours. Eh bien, parce qu’il y avait une certaine différence entre Bucarest et Paris. En juillet 1897, au bout d’une année, il passe les examens de d’études dans le calcul différentiel et intégral, en mécanique et en astronomie, en se classant premier d’une génération extraordinaire, ce qui lui donne droit à une bourse d’études et à l’exemption de taxes. Une expérience qui allait compter pour sa formation. Il a vite compris le fonctionnement des rouages, comment il fallait se préparer, le niveau de l’école française et celui de l’école roumaine à l’époque. C’était avant 1900. »

     

    Une génération d’intellectuels exceptionnelle

     

    La Roumanie se dirigeait à toute allure vers l’Occident et les mathématiques étaient une science en pleine expansion. La génération de Țițeica cherchait ardemment à faire réduire les écarts géants qui existaient entre la société roumaine et la société occidentale, celle française étant le grand modèle à suivre.

     

    Bogdan Suceavă remarquait le fait qu’en France, Țițeica avait rencontré des mathématiciens du plus haut niveau et qu’il avait ramené en Roumanie tout ce qu’il avait appris dans l’Hexagone : « Avec qui Gheorghe Țițeica a-t-il travaillé ? Eh bien, avec Gaston Darboux, doyen de la Faculté de mathématiques, à la Sorbonne, et auteur de quatre volumes de géométrie différentielle dont le thème commun était le suivant: comment choisir les repères les plus appropriés pour les problèmes de géométrie différentielle ? La matière était toute une philosophie, l’auteur très influent avait de nombreux étudiants très doués et Țițeica comptait parmi les plus talentueux. Il a aussi étudié avec Henri Poincaré, Edouard Goursat Charles Hermite, Émile Picard, Jules Tannery, Paul Émile Appell, les meilleurs mathématiciens de l’époque. Gheorghe Țițeica rentre à Bucarest en 1899. Jusqu’en 1937, il allait écrire plus de cent ouvrages. Il a débuté sa collaboration avec « Gazeta Matematică » quand il était encore à Paris. Ses éditoriaux décrivaient tout, y compris la façon dont se présentaient les candidats, au concours organisé par la revue, durant les examens oraux. Des commentaires que personne ne publierait aujourd’hui, mais que Țițeica produisait à cette époque-là. »

     

     

    Gheorghe Țițeica a été professeur des universités, membres de plusieurs académies et docteur honoris causa de plusieurs universités. Il a aussi été un des membres de la Société des Sciences mathématiques de Roumanie, dont il a été le président. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Zavaidoc, la voix d’or des années 1920-1930

    Zavaidoc, la voix d’or des années 1920-1930

    Toute grande ville ou capitale retient dans son histoire une période appelée son « âge d’or ». Dans le cas de la capitale roumaine Bucarest dont l’âge d’or coïncide avec celui de la Roumanie entière – il s’agit de l’entre-deux-guerres, une période historique du pluralisme d’idées, d’aspirations, de libertés, de goûts, d’expériences de vie. Dans les pages de l’histoire de la musique de cette période précise, nous retrouvons le nom de Zavaidoc, un « lăutar » (ménétrier) très populaire dans les années 1920 – 1930.

     

    Le début d’une carrière exceptionnelle

     

    Marin Gheorghe Teodorescu, dont Zavaidoc était le nom de scène, est né dans la ville de Pitești en 1896 et il est mort à Bucarest en 1945, à l’âge de seulement 48 ans. Dans sa famille d’ethnie rom, il avait un autre frère et deux sœurs. Son père, ménétrier très apprécié lui-aussi, jouait du violon et du cymbalum, mais il meurt lorsque son fils Marin n’a que 13 ans. Celui-ci, son frère et l’une de ses sœurs décident d’unir leurs forces et de fonder le groupe musical « Frații Teodorescu / Les frères Teodorescu », qui réussit à avoir un certain succès localement. C’était les belles années de « la belle époque » de la première décennie du XXème siècle, mais qui allaient mener au premier grand désastre de ce siècle – la Grande Guerre. En 1916, lorsque la Roumanie abandonnait sa neutralité, Zavaidoc avait 20 ans. Il rejoint l’armée roumaine qui combattait sur la ligne de front des Carpates et fait partie des équipes artistiques militaires qui ont donné des concerts et des spectacles dans les hôpitaux pour les soldats blessés ; il se produisait en compagnie d’autres artistes connus, tels qu’Elena Zamora, Fănică Luca et son taraf, ou encore le compositeur et violoniste George Enescu.

     

    La naissance de la légende de Zavaidoc

     

    La fin de la guerre a apporté un grand apaisement social et une émancipation générale, la population réapprenant à vivre après avoir subi tant d’épreuves épouvantables. Zavaidoc et les artistes de sa génération s’expriment sans aucune inhibition. Ayant choisi domicile dans la capitale, Zavaidoc recueille du folklore et chante dans les meilleurs bars, restaurants et terrasses restaurants de Bucarest. Les années 1920 lui apportent aussi la réussite financière, car ses enregistrements se vendent très bien et il signe aussi un contrat avec la maison de disques Columbia. Ses chansons les plus connues vont être « Cântecul lui Zavaidoc/La chanson de Zavaidoc  », « De când m-a aflat mulțimea/Depuis que le monde me sait », « Foaie verde spic de grâu/Feuille verte, épis de blé », « Pe deal, pe la Cornățel/En haut de la colline, du côté de Cornățel », ou encore « Dragostea e ca o râie/L’amour, c’est comme la gale », dont le groupe ethno-blues Nightlosers a repris les paroles en 2010. Vers la fin des années 1930, Zavaidoc se marie et aura trois enfants.

     

    Un livre consacré au chanteur Zavaidoc

     

    La notoriété de l’artiste est telle que des références à son nom et à ses habitudes font leur apparition. Il fait aussi l’objet d’histoires romantiques, comme par exemple celle du triangle amoureux dont il était un des protagonistes, aux côtés d’un autre musicien célèbre, Cristian Vasile, et de l’amante de celui-ci, Zaraza. Doina Ruști est une romancière qui cherche son inspiration dans le passé des Roumain. Son dernier roman, intitulé « Zavaidoc în anul iubirii/ Zavaidoc à l’année de l’amour », raconte une histoire d’amour de 1923.

     

    Parlant de son livre, Doina Ruști a rappelé les légendes et les mythes urbains inventés autour de l’artiste pendant ses années d’apprentissage, ses années de gloire, « les années folles » d’après la Grande Guerre, ou pendant la période de sa réinvention artistique et des années de difficultés professionnelles.

     

    Doina Ruști: « Il n’y a jamais eu de rivalité. Il n’y avait pas de place pour Vasile là où se produisait Zavaidoc et réciproquement. Il y avait effectivement deux mondes. L’homme parlait en toute sincérité et je vais vous dire pourquoi. Premièrement, en 1923 Vasile n’existait pas, il était un enfant. Plus tard, ils ont évolué dans des mondes différents. Vasile chantait de la musique traduite, tandis que Zavaidoc était « sufletul neamului /L’âme du peuple ». Donc nous ne pouvons pas les placer l’un aux côtés de l’autre. L’histoire tellement connue, de Zaraza, est entièrement inventée, elle n’a jamais existé. Egalement, l’année soi-disant de sa mort, 1946, est une année quand Zavaidoc était non seulement mort, mais aussi en décomposition. Zavaidoc a pratiquement connu la gloire après la Grande Guerre. Il était arrivé à l’âge de la majorité pendant la guerre, qui a été sa véritable école. C’est à cette époque qu’il a rencontré Enescu. Quand la conflagration a pris fin, il n’a pas voulu retourner à Pitești et il s’est établi à Bucarest. Il était fasciné par les maisons, il avait rencontré des gens. Une fois dans la capitale, il a commencé à dominer la scène musicale et, très intéressant, à créer une tendance. C’est l’époque où il abandonne petit à petit la musique traditionnelle pour adopter la musique urbaine moderne. Mais plus tard, quand le monde de l’entre-deux-guerres trouve ses marques et quand la radio fait son apparition vers 1926, Zavaidoc était presqu’épuisé. Dans les années 1930-1940, il chantait beaucoup, c’est vrai, mais sa voix était déjà fatiguée, elle ne ressemblait pas à celle qu’il avait dans sa jeunesse. »

     

    La vie de Zavaidoc, mûrie durant la première guerre mondiale, allait finir pendant l’autre grand conflit du XXème siècle que fut la deuxième guerre mondiale. En 1941, la Roumanie se joignait à l’Allemagne nazie et entrait en guerre contre l’URSS, pour libérer la Bessarabie et la Bucovine du Nord, et Zavaidoc était de nouveau appelé sous les drapeaux. Ainsi, il allait chanter pour militaires roumains de Bessarabie et de Transnistrie. Il rentre en Roumanie, mais sa maison est détruite par une bombe lâchée durant les bombardements américains en avril 1944. En décembre 1944, les médecins lui découvrent une « néphrite », une grave maladie du rein, qui finira par le tuer en janvier 1945. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • 145 années de relations diplomatiques entre la Roumanie et l’Italie

    145 années de relations diplomatiques entre la Roumanie et l’Italie

    Une exposition présentée à Bucarest et à Rome

     

    La Banque nationale de Roumanie (BNR) accueille, ces temps-ci, l’exposition « 145 années de relations diplomatiques entre la Roumanie et l’ltalie », exposition qui a déjà été présentée à la Chambre des députés du Parlement de Rome en octobre dernier. Ce sont des photographies, documents des archives et vieilles monnaies italiennes, qui mettent en lumière les relations entre les deux pays, dont les liens diplomatiques remontent à 1879.

     

    En effet, ce fut le 6 décembre 1879 que Giuseppe Torielli, premier représentant et ministre plénipotentiaire de l’Italie, présentait ses lettres de créance au roi de Roumanie Carol I. Deux mois plus tard, le 15 février 1880, le premier représentant et ministre plénipotentiaire du jeune Etat national roumain, Nicolae Kretzulescu, participait à une cérémonie similaire à Rome, devant le roi Umberto I. Les relations diplomatiques entre la Roumanie et l’Italie ont été élevées au rang d’ambassade en 1964.

     

    L’évolution historique des relations roumano-italiennes

     

    Doru Liciu, le chef des Archives diplomatiques de Bucarest, décrit l’évolution historique des relations roumano-italiennes.

    « Nous marquons actuellement le 145eme anniversaire des relations diplomatiques entre la Roumanie et l’Italie. Mais, en fait, de par leur origine latine commune, nos deux peuples ont une histoire vieille de deux mille ans. Or c’est justement cette appartenance à la latinité qui est à la base des premières relations entre ce qui allait devenir la Roumanie et l’Italie. Au Moyen Age déjà, les premières colonies génoises s’nstallaient sur le territoire de la Roumanie actuelle, aux bouches du Danube et sur la côte de la mer Noire. Au bas Moyen Âge et à l’époque de la Renaissance, les voyageurs italiens aux Principautés roumaines remarquaient, tout comme les chroniqueurs roumains d’ailleurs, les ressemblances linguistiques d’origine latine et F’unité des deux peuples. Plus tard, à travers le XVIIIème siècle, les fils de boyards et de princes régnants partaient étudier dans des universités de la péninsule italienne, telles que l’Université de Padoue. Le début du XIXème siècle voyait apparaître les premiers consulats et vice-consulats italiens à lasi, à Bucarest et dans les ports danubiens de Braila, Galati et Sulina. La Révolution de 1848 et le succès du mouvement de Risorgimento, d’unification de l’Italie, ont constitué un modèle à suivre pour les révolutionnaires roumains. En même temps, l’Italie a joué un rôle spécial pour la Roumanie en janvier 1859, lorsque les Principautés roumaines se sont unies grâce à l’élection d’un prince unique en la personne d’Alexandru Ioan Cuza. L’opinion du Conseil de contentieux diplomatique piémontais a été décisive, puisque la conclusion juridique a confirmé la légalité de l’élection de Cuza, affirmant que la Convention de Paris de 1858 avait été respectée; le texte de la Convention stipulait l’union des principautés et l’élection de deux princes à lasi et à Bucarest, sans préciser s’il fallait élire ou non une même personne. L’opinion favorable du Conseil piémontais a donc été un argument juridique en faveur de la reconnaissance de l’Union des Principautés roumaines et de l’élection d’Alexandru Ioan Cuza. Par la suite, les relations bilatérales ont continué à se développer. Une première agence diplomatique de la Roumanie a été ouverte à Rome en 1873. Le premier agent diplomatique en Italie a été Constantin Esargu personnalité réputée de la vie politique roumaine et fondateur de l’Athénée roumain, auquel il a d’ailleurs légué sa fortune. »

     

    Les enjeux de l’exposition

     

    Concernant l’exposition accueillie par la Banque nationale de Roumanie, Doru Liciu a précisé:

    « Nous avons voulu marquer les moments les plus importants qui ont jalonné nos relations bilatérales: ‘Union des Principautés, la reconnaissance de l’indépendance et l’établissement de relations diplomatiques, la coopération et la collaboration durant la Grande Guerre, quand l’Italie et la Roumanie ont suivi des parcours identiques, malgré leur alliance formelle avec les Puissances centrales. Elles ont fait le choix de rejoindre l’Entente afin de pouvoir réaliser leurs idéaux nationaux. Une Légion roumaine s’est formée en Italie, elle était constituée d’anciens prisonniers de guerre de l’armée austro-hongroise, des ethniques roumains, originaires de Transylvanie, de Bucovine et du Banat, qui ont milité pour l’union de tous les Roumains et qui ont eu une contribution décisive à la réalisation de l’Union de la Bucovine et de la Transylvanie avec la Roumanie. Quant aux relations culturelles, elles ont connu un essor particulier à l’entre-deux-guerres, lorsque l’Academia di Romania fut ouverte à Rome dans les années 1920, et /’Institut roumain de recherche en sciences humaines fut inauguré à Venise dans les années 1930. Pour résumer, les Archives diplomatiques du Ministère des Affaires étrangères mettent en lumière l’histoire en tant que moyen de connaitre le passé, afin de comprendre le présent et de construire un avenir meilleur. »

     

    Les 145 années de relations diplomatiques roumano-italiennes prouvent une fois de plus que les valeurs, partagées par la Roumanie et l’ltalie et mentionnées dans les deux documents de référence exposés (les Déclarations communes sur le Partenariat stratégique de 1997 et sur le Partenariat stratégique consolidé de 2008), ont acquis une signification encore plus forte dans le contexte géopolitique actuel.

    (Trad. Ileana Tăroi)

  • Documents iconiques de la Grande Union

    Documents iconiques de la Grande Union

    Le souvenir de l’union de la Transylvanie avec la Roumanie, le 1 décembre 1918, date de l’actuelle Fête nationale de l’Etat roumain, a été retenu par différents types de documents et de sources historiques. A travers les cent ans écoulés depuis, certains en sont devenus des références essentielles du grand moment de l’histoire.

     

    Les photos du rassemblement d’Alba Iulia

     

    Une des images les plus connues du rassemblement ayant proclamé l’union de la Transylvanie avec la Roumanie est nécessairement présente dans les manuels scolaires, dans les documentaires consacrés à cet événement centenaire, dans les musées et sur les lieux publics à travers le pays. C’est une photographie qui montre un grand nombre de gens rassemblés dans un champ appelé « Câmpul lui Horea/Le Champ de Horea » ; ils étaient des paysans pour la plupart, mais on y remarque aussi quelques uniformes militaires. Au centre de l’image, un homme âgé, en costume traditionnel, tient dans sa main gauche un drapeau tricolore bleu-jaune-rouge, tandis qu’il lève sa main droite à 45 degrés. Cinq ou six autres gens, qui entourent cet homme, brandissent eux-aussi des drapeaux tricolores dont les couleurs sont disposées horizontalement. L’omniprésence de cette photo s’explique par la volonté du régime communiste d’avant 1989 de mettre en évidence la classe paysanne comme principal facteur décisionnel de l’union. Cette photo du Champ de Horea poussait en arrière-plan une autre photo sur laquelle se détachait le visage de l’évêque gréco-catholique et prisonnier politique Iuliu Hossu, qui avait lu la proclamation de l’union devant les participants à cet événement historique.

    Une deuxième image, tout aussi largement présentée au public est celle d’une cinquantaine de femmes et d’hommes, paysans du village de Galtiu, de la commune de Sântimbru, dans le département d’Alba. En plan éloigné, on aperçoit quelques arbres, à gauche un homme, membre du groupe habillé en costumes traditionnels noir et blanc, brandit un drapeau tricolore. Au milieu, une bannière, qui domine l’ensemble, affiche le texte « Galtiu. Trăiască unirea și România Mare/Vive l’union et la Grande Roumanie   ».

     

    Samoilă Mârza, le photographe de l’Union

     

    L’auteur de ces deux photos iconiques est Samoilă Mârza, celui que l’on a appelé « le photographe de l’Union » et qui a donné aux Roumains non seulement ces deux photos archiconnues, mais aussi huit autres moins connues. Né en 1886 dans le village de Galtiu, Mârza étudie d’abord dans un lycée de la ville d’Alba Iulia et se rend ensuite à Sibiu pour se former au métier de photographe. Pendant la Grande Guerre, il sert dans le département de topographie et de photographie de l’armée austro-hongroise. A la fin de la première conflagration mondiale, Mârza réalise trois clichés photographiques au moment de la consécration du premier drapeau tricolore du Conseil National Roumain Militaire le 14 novembre 1918. Quatre jours avant la tenue du rassemblement d’Alba Iulia, Mârza se rend dans son village natal et prend trois photos de ses concitoyens avant leur départ pour Alba Iulia. Il transportait tout à vélo : la caméra pliable, le trépied et les clichés-verre. Le poids des appareils et la météo morose ont obligé Samoilă Mârza à prendre seulement cinq photos du rassemblement, dont trois montrent des participants et deux autres des tribunes officielles où l’acte de l’union avait été lu. Au début de l’année 1919, Samoilă Mârza a publié ses photos dans un album sous le titre « Marea adunare de la Alba Iulia în chipuri/Le grand rassemblement d’Alba Iulia à travers des visages ».

     

    Témoignages audio des préparatifs pour le voyage à Alba Iulia

     

    Bien que loin d’être iconique, les documents audio liés à la mémoire de cette journée capitale ne sont pas moins importants. En 1918, le prêtre gréco-catholique Gherasim Căpâlna avait 24 ans ; dans une interview datant des années 1970, que la Radiodiffusion roumaine garde dans les archives de son Centre d’Histoire Orale, il se souvenait de l’organisation de son départ de l’évêché d’Alba Iulia, son lieu de travail.

     

    « La préparation du départ s’est faite par le bouche à l’oreille, d’un village à l’autre, par les prêtres, les instituteurs. La date choisie pour le rassemblement a été le 8 novembre, jour de la fête de l’Archange. Mais cela a changé et c’est à Arad que l’on a arrêté le premier jour du mois de décembre pour nous rendre à Alba Iulia. Là-bas, il y avait tellement de monde qu’il était impossible de bouger. Les chefs ont été les premiers à s’organiser ; ils ont nommé un président de l’Assemblée en la personne de Gheorghe Pop de Băsești, qui était le plus âgé parmi eux. Ensuite, il a donné des ordres à chaque centre, à chaque « județ ». Dans notre cas, il y avait parmi nous Vaida-Voevod, le médecin député Theodor Mihali. Mais le moteur principal de la dynamique d’organisation du rassemblement ont été le prêtre et l’instituteur, sans lesquels rien n’aurait été possible. Ils ont agi au péril de leur vie. Nous avons dressé une liste de ceux qui voulaient y aller, pour pouvoir obtenir le permis de voyage ferroviaire. Les Chemins de fer nous ont réservé des wagons, nous sommes partis d’ici le jeudi et le rassemblement s’est tenu le dimanche d’après. Le voyage a occupé le vendredi, samedi, cent personnes ont débarqué à Alba Iulia. La plupart d’entre eux ont dormi dans la nature. Ils se sont baladés dans la ville et se sont endormis, appuyés aux murs de la forteresse d’Alba Iulia. »

     

    Les documents iconiques du rassemblement historique d’Alba Iulia, du 1er décembre 1918, ont eux-aussi leur propre petite histoire. Que nous insérons dans la grande histoire pour mieux la comprendre. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Orheiul Vechi et son musée archéologique

    Orheiul Vechi et son musée archéologique

    Orheiul Vechi, le site culturel moldave le plus important

     

    Le complexe muséal Orheiul Vechi se trouve dans la vallée de la rivière Răut, un affluent sur la droite du Dniestr, sur le territoire de la République de Moldova. La réserve culturelle et de la nature Orheiul Vechi bénéficie d’un statut spécial et représente le site culturel moldave le plus important. Il est aussi candidat à être inscrit au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Le site inclut plusieurs dizaine d’hectares de terrain de l’ancienne ville médiévale d’Orhei (agglomération humaine datant des XIIIème–XVIème siècles), plus tard appelée Orheiul Vechi / le Vieux Orhei (après l’abandon de l’agglomération initiale et la fondation d’une autre ville portant le même nom – l’actuelle Orhei, sise dans le « raion »/département d’Orhei de la  République de Moldova).

     

    Le complexe est composé de deux grands promontoires (Peștere et Butuceni), trois promontoires adjacents de moindres dimensions (Potarca, Selitra et Scoc), sur lesquels se trouvent des ruines de fortifications, d’habitations, de bains et de lieux de culte (y compris de monastères rupestres) datant de la période tatare-mongole (XIIIème et XIVème siècles) et de la période moldave (XVème et XVIème siècles).

     

    Témoignage de l’histoire des lieux

     

    Le complexe Orheiul Vechi représente un système composé d’éléments culturels et naturels: paysage naturel archaïque, biodiversité, cadre archéologique exceptionnel, diversité historico-architecturale, habitat rural traditionnel et originalité ethnographique. L’agglomération médiévale d’Orheiul Vechi a traversé plusieurs périodes de développement: du XIIème au XIVème siècle, la période précédant l’invasion tatare-mongole, avec le début du développement de la communauté, lorsque la forteresse en bois et terre battue semble avoir été construite ; la période dite de l’« Horde d’Or » au XIVème siècle, quand la forteresse en pierre a été érigée. Entre les XIVème et XVIème siècle, la colonie a été incluse dans l’Etat moldave ; ce fut une période de transformation du bourg oriental en bourg moldave. La forteresse en pierre a été réparée et fortifiée à l’époque du prince Etienne le Grand (1438-1504). Les années 60 du XVème siècle ont vu se dresser la forteresse d’Orhei, un point de défense des frontières orientales du pays contre les invasions tatares.

     

    Les invasions et incursions des Tatares à l’été 1469 ont poussé le prince Etienne le Grand à prendre des mesures pour consolider la capacité défensive du pays le long du fleuve Dniestr, démarrant ainsi d’importants travaux de constructions d’une forteresse avec des fortifications à Orhei. Les fouilles archéologiques, qui ont mis au jour les fondations de la forteresse, et des documents d’époque parlent de ces événements. Ainsi, le document signé par Etienne le Grand le 1er avril 1470 mentionne pour la première fois un « pârcălab », c’est-à-dire un commandant militaire de la forteresse d’Orhei, qui remplissait des fonctions militaires et administratives, selon les coutumes de l’époque ; le déclin s’amorce au milieu du XVIème siècle jusqu’au début du XVIIème, lorsque les habitants abandonnent Orheiul Vechi pour s’établir dans la nouvelle bourgade d’Orhei, que nous connaissons aujourd’hui ; la forteresse en pierre est détruite.

     

    Conserver le patrimoine moldave

     

    Ștefan Chelban, chef du Service Archéologie et Ethnographie de la Réserve, a parlé de l’histoire du Vieux Orhei:

     « Orheiul Vechi est une réserve culturelle et de la nature créée en 1968, qui a connu plusieurs restructurations et réorganisations à travers le temps. La réserve contient sept localités, son but étant de conserver les patrimoines naturel et culturel des lieux. Ce fut, d’ailleurs, une des raisons essentielles de la création de la réserve, s’agissant d’une des zones les plus denses en matière d’objectifs du patrimoine archéologique, ethnographique et immatériel, et ainsi de suite. C’est une zone où le patrimoine culturel est encore bien préservé. »

     

    Des monastères rupestres

     

    Les monastères rupestres d’Orheiul Vechi représentent un ensemble de vestiges rupestres localisés dans les rochers de calcaire de la vallée de la rivière Răut. Cet ensemble particulièrement attractif pour les touristes contient environ 350 vestiges rupestres, dont une centaine représente des salles creusées par des mains humaines, celles qui restent étant en réalité des formations karstiques, regroupées dans six complexes. On y trouve des monastères bien définis, des églises souterraines, des galeries et des cellules monastiques.

     

    Ștefan Chelban donne davantage de détails: « Ceci est probablement le point central pour un grand nombre de gens, mais il faut savoir que la réserve offre beaucoup d’autres choses. Par exemple, les ruines de la ville tatare du XIVème siècle, qui méritent d’être visitées ; cela inclut aussi les ruines de la plus grande, comme superficie, mosquée d’Europe du Sud-Est de l’époque. »

     

    Un modèle d’architecture

     

    Aux dires de Ștefan Chelban, le Musée d’ethnographie d’Orheiul Vechi est un modèle d’architecture traditionnelle de la fin du XIXème siècle et du début du XXème dans la région centrale de la République de Moldova. La rénovation du bâtiment, réalisée avec des fonds européens, a uniquement employé des techniques et des matériaux traditionnels. Ștefan Chelban a enfin ajouté que le monastère était habité par douze moines, car il y a douze cellules individuelles. L’année précise de sa construction n’est pas connue, mais cela aurait eu lieu entre le XIVème siècle et XVème siècle. (Trad. Ileana Ţăroi)

     

  • Titu Maiorescu (1840-1917)

    Titu Maiorescu (1840-1917)

    Maiorescu, figure de proue de la culture roumaine

     

    La société littéraire « Junimea / La Jeunesse », créée à en 1863, a représenté une des tendances littéraires, philosophiques et politiques les plus importantes de Roumanie. L’avocat, critique littéraire, écrivain, journaliste, esthéticien et homme politique Titu Maiorescu en a fait partie de ses cinq membres fondateurs. Il a également eu une influence essentielle sur la carrière de Mihai Eminescu, le plus grand poète roumain selon de très nombreuses voix.

     

    Titus Liviu Maiorescu est né à Craiova en 1840 et il est décédé à l’âge de 77 ans, à Bucarest en 1917. Son père, Ioan Maiorescu, avait été professeur, diplomate et auteur de livres d’histoire ; il avait aussi participé activement à la révolution de 1848 en Valachie et en Transylvanie. Titu Maiorescu fait des études de droit, lettres et philosophie à Vienne, Berlin, Giessen et à la Sorbonne. Elève au lycée, il se fait remarquer pour son ambition et sa ténacité et finit les études à l’Académie Thérésienne en 1858;  en tant que meilleur de sa classe.

     

    Le début de sa carrière littéraire

     

    Sa carrière d’intellectuel débute à l’âge de dix-sept ans, quand il tente de faire publier des traductions littéraires dans les pages de la « Gazeta de Transilvania », le journal en langue roumaine le plus influent de l’espace habsbourgeois. Après la fin de ses études, il enseigne la psychologie et la langue française. En 1861, il publie un premier texte de philosophie en allemand, dans lequel l’on ressent l’influence du réalisme postkantien de Johann Friedrich Herbart et l’hégélianisme de Ludwig Feuerbach. Titu Maiorescu a eu une prodigieuse activité d’auteur, ayant écrit plusieurs dizaines de volumes de critique littéraire, philosophie, esthétique, logique, histoire et discours parlementaires ; son journal, long de plus de 10 volumes, est considéré comme le plus long de l’histoire de la littérature roumaine. Dans sa vie privée, l’année 1862 est marquée par son mariage avec son élève Klara Kremnitz, à laquelle il avait enseigné le français et qui lui donnera une fille.

     

    Toujours en 1862, il revient en Roumanie où il est nommé procureur au Tribunal d’Ilfov et il commence aussi à enseigner l’histoire des Roumains à l’Université d’Iași, ainsi que le roumain, la pédagogie et la psychologie au lycée. II donne des conférences publiques sur des thèmes et des sujets de droit, littérature, histoire et pédagogie. La présence et la compétence de Maiorescu dans tant de domaines peut sembler excessive à l’époque actuelle, mais il a vécu des temps qui demandaient de s’impliquer. C’était la période durant laquelle les intellectuels roumains étaient en train de réformer l’Etat et de récupérer la société selon le modèle occidental. Ils essayaient aussi d’intégrer de nouveaux modèles et idées, produits en Occident.

     

    L’historien de la littérature Ion Bogdan Lefter a remarqué l’implication de Titu Maiorescu dans cet effort considérable, déployé par une mince couche d’élites, un effort qui touchait plus d’un domaine d’expertise :

    « Il fallait tout créer, y compris le discours, ce qui amène Maiorescu à faire des efforts personnels. Il fait des exercices quotidiens dans les journaux de son temps, mais côté discours public, il écrit un texte à un moment donné, ensuite un autre après un certain temps. Dans le même temps, il assiste, avec une intuition exceptionnelle, à ce qui est en train de s’accumuler et au résultat de cette accumulation. Par exemple, la partie finale de sa préface à l’édition Eminescu, que Titulescu avait rédigée seul et contrairement à la volonté du poète, nous montre quelqu’un de visionnaire. Ainsi, il dit <dans la mesure où cela puisse être humainement prévu>, qu’est-ce que cela veut dire? Cela veut dire que Maiorescu et ses acolytes saisissaient la valeur exceptionnelle de la poésie d’Eminescu. Ils ont lu et compris Creangă et Caragiale, ils comprenaient le phénomène et voyaient bien la direction, mais il était impossible de prévoir l’ensemble. Celui-ci allait se constituer de pièces encore disparates. »

     

    Plus proche de la critique littéraire

     

    Malgré des compétences évidentes dans plusieurs domaines, Maiorescu s’est senti plus proche de la critique littéraire. Ion Bogdan Lefter a remarqué les efforts de Maiorescu dans ce domaine, composante du monde des idées de son époque :

     « Maiorescu a une compréhension très large, civilisationnelle des choses, à un moment où les accumulations de matières premières littéraires étaient encore précaires. Il aide à l’apparition (et l’encourage même, d’une certaine façon) des premières œuvres littéraires de haut niveau à Junimea, avec toute l’histoire de ce groupement extraordinaire dont Maiorescu a fait partie. Ses contributions écrites sont essentielles. Il est lui-même un premier critique littéraire, considéré comme le fondateur de la critique littéraire chez nous, avec des contributions importantes aussi à la structuration, à la cristallisation d’autres disciplines socio-humaines en Roumanie. »

     

    Titu Maiorescu a également eu une carrière politique. Proche des valeurs du Parti Conservateur, il a cependant représenté le groupement dit « junimiste », libéral-conservateur, au sein des gouvernements du parti. A partir de l’année 1871, il a rempli deux mandats de député et il a occupé le fauteuil de ministre de l’Education. Entre 1912 et 1913, il a été premier-ministre, ce qui l’amené à signer la Paix de Bucarest, à l’issue de la seconde guerre balkanique, lorsque la Roumanie avait obtenu la Dobroudja du Sud. En 1914, à la veille du déclenchement de la Grande Guerre et trois années avant sa mort, Titu Maiorescu quitte la scène politique. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Le Train royal

    Le Train royal

    Le Train royal est destiné aux déplacements de la Famille royale de Roumanie et de ses invités roumains ou étrangers. La rame est toujours composée d’une locomotive à vapeur (en cours d’être restaurée) et de cinq wagons: un wagon-salle à manger, le wagon privé du Roi, le wagon privé de la Reine, celui des invités et celui de la Maison de Sa Majesté le Roi (le personnel de service).

     

    Plusieurs trains royaux

     

    L’historien Tudor Vișan-Miu, co-auteur du volume consacré au Train royal, explique la signification de ce train et l’apparition des Chemins de fer roumains (CFR): « Je veux préciser dès le début qu’il y a eu plusieurs trains royaux. Celui dont nous parlons, et qui existe toujours, a été mis en circulation en 1928 et il a été fabriqué aux usines Ernesto Breda de Milan. L’importance de ces trains est évidente. Les membres de la famille royale doivent voyager dans une rame qui leur offre des conditions de qualité pour un déplacement long. D’où ce besoin de trains spéciaux. Certes, ces voyages ont pu être effectués à partir du moment où les chemins de fer commencent à se développer sous le règne du d’abord Prince et ensuite Roi Carol I. Quand Carol I est arrivé en Roumanie, le pays n’avait aucun kilomètre de voie ferrée. Des projets, il y en avait depuis plusieurs années, mais c’est Carol I qui en a accéléré et transformé la mise en œuvre en une action prioritaire. »

     

    Utilisation à l’époque communiste

     

    Tudor Vișan-Miu ajoute des détails sur l’âge du Train royal et sur son utilisation durant le régime communiste: « Le Train royal, l’actuel bien-sûr, est vieux de quatre-vingt-quinze ans. Il a survécu au communisme grâce aux conditions de voyage offertes à ceux qui l’ont utilisé durant cette époque-là, sous le régime de Gheorghiu-Dej. Plus tard, Nicolae Ceaușescu a utilisé une autre rame fabriquée en Roumanie, à Arad. Mais le train a été préservé, restauré dans les années 1990 et utilisé pour des déplacements disons spéciaux ; car il emploie des locomotives différentes de celles qui circulent habituellement sur les chemins de fer roumains, il a aussi besoin d’un personnel spécial, qui assure son déplacement. »

     

    Une attraction pour les amateurs d’histoire et pour les curieux.

     

    Durant ces déplacements, il a pu être admiré par des gens passionnés à travers le pays. Ce train est étroitement lié à l’abdication du Roi Michel le 30 décembre 1947 et à son départ à l’étranger dans la nuit du 3 janvier 1948:  « Ce train est sans doute intéressant aussi en tant qu’objet de patrimoine, chose évidente lorsqu’il a été garé sur une voie, à la Gare du Nord de Bucarest, et des tas de gens sont venus le visiter. Même chose quand le Train royal a traversé des localités lors des voyages de membres de la famille royale. Il s’agit de la série de voyages débutée en 2012, à travers le pays. Avant l’utilisation du train par la famille royale, il y a eu plusieurs projets, dont un a bénéficié de l’implication de la famille royale – c’était un déplacement des membres de l’Union des écrivains à l’occasion d’une tournée anniversaire en 2009. Evidemment, une utilisation excessive de ce train est hors de question, puisqu’il a tout de même une signification à part. C’est le train à bord duquel le roi Carol II et le roi Michel ont quitté la Roumanie, le premier en 1940, le second en 1947. C’est donc un train qui a traversé des moments de l’histoire de la Roumanie. Bien-sûr, il a aussi été utilisé par des leaders communistes et il a été, paraît-il, la scène de rencontres avec des personnalités étrangères. … Plus récemment, le Train royal a été associé avec les funérailles du Roi Michel, puisqu’il a transporté le cortège royal de Bucarest à Curtea de Argeș, où les obsèques ont eu lieu. »

     

    Mythes et légendes

     

    Des mythes et des légendes ont circulé, liés aux richesses du Train royal, des richesses que la famille royale aurait sorties du pays lors de l’installation du régime communiste et de l’abdication du Roi Michel, dictée par les nouvelles autorités du pays, avec l’appui de l’armée soviétique. Tudor Vișan-Miu raconte le départ en exil du Roi Michel:  « Le train a été, disons, associé à une certaine mythologie liée au départ en exil du Roi Michel, avec des richesses chargées à bord du Train royal. Les recherches effectuées dans les archives de la Securitate, après la chute du communisme, ont entièrement infirmé cette idée et confirmé les témoignages de ceux qui avaient accompagné le Roi Michel et qui avaient raconté la surveillance dont ils avaient fait l’objet ; ils avaient emporté juste quelques biens personnels sans grande valeur, pour éviter la confiscation de bijoux ou de la vaisselle et des objets de la table d’une plus grande valeur. », a conclu l’historien Tudor Vișan-Miu, co-auteur du volume « L’Histoire du Train royal ». (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Le photographe Franz Xaver Koroschetz

    Le photographe Franz Xaver Koroschetz

    Les villes de Roumanie ont toutes eu leurs photographes officiels et la ville de Focsani, chef-lieu du département de Vrancea, dans les Carpates de la Courbure, n’a pas fait exception. Le photographe, citoyen austro-hongrois, Franz Xaver Koroschetz s’établit en Roumanie, à Focsani en 1895. Il commence à photographier la ville en 1899 et le fera jusqu’en 1934, année de sa mort. Les peu nombreux documents le concernant ne mentionnent malheureusement pas l’année ni le lieu de naissance du photographe. Dans son atelier du centre-ville de Focsani, Koroschetz a photographié l’élite locale et la classe moyenne de la région de Vrancea.

     

    Une découverte personnelle

     

    Le journaliste et collectionneur Sorin Tudose, originaire de la ville de Focsani est l’auteur d’un album illustré dédié à  Franz Koroschetz à l’occasion de la 90ème commémoration de la mort de l’artiste photographe.

     

    Lors du lancement de cet album, Sorin Tudose a parlé d’une découverte personnelle : « J’ai fait une méga-découverte à l’Académie roumaine. J’ai retrouvé le produit photographique le plus luxueux des 35 années de carrière de Franz Koroschetz. L’histoire est la suivante: en 1904, la famille royale roumaine fait un voyage en train de Sinaia à lasi, avec des arrêts dans les principales gares, où l’événement est évidemment immortalisé. A Focsani, il y en a eu sept photos, prises à la gare. Sur l’une d’entre elles, à droite de l’image, on voit un individu qui repose une main sur ses genoux. C’est le préfet du département, Nicusor Sàveanu, qui, en tant qu’homme politique aguerri, au courant de la visite royale, avait commandé à Franz Koroschetz un album d’images du département de Putna, le nom que le département de Vrancea avait à l’époque. Le photographe a réalisé 14 photos dans le nord du département, des images rassemblées dans cet album, arrivé entre les mains du jeune homme au centre de la photo, qui n’est autre que Radu Saveanu, futur maire de Focsani et fils de Nicusor Săveanu. Radu Saveanu a offert le recueil à celui qui allait devenir le roi Carol Il. Cet album a été mentionné une seule fois dans la presse de l’époque et il a été introuvable de 1904 à 2024. Il a d’abord appartenu à la famille royale, et ensuite il a fini à la Bibliothèque de l’Académie. Mais personne n’en avait plus aucune information jusqu’en 2024, quand je l’ai découvert. »

     

    On dit qu’une photo parle par elle-même.

     

    Cependant, le travail et la passion de Sorin Tudose ont réussi à compléter les histoires cachées derrière certaines de ces photographies : « Nous avons là deux photos et il est question de ce que la recherche a découvert derrières les images. Il n’y avait rien d’écrit sur aucune des deux photos. Elles sont réalisées par Keroschetz, pour la famille Rainu-Negut, et j’aurais voulu y ajouter seulement « Photo Keroschetz », en légende. Selon moi, elles avaient été prises autour de l’année 1910. Mais, puisque j’en suis passionné, j’ai lu en détail la presse du temps où j’ai fini par trouver un article tout à fait par hasard. On y parlait des noces d’argent de la famille Negut un événement fêté à la résidence familiale. J’y ai découvert les personnalités présentes à cette célébration, y compris le maire de la ville, devant lequel les deux époux avaient renouvelé leurs serments. L’article datait de 1908. J’ai donc pu comprendre à quelle occasion ces photos avaient été prises et j’ai réussi à identifier tous les personnages présents. Les histoires en toiles de fond augmentent la valeur de ces images: elles nous disent qui sont ces personnages, à quelle occasion ils s’étaient rencontrés, elles gagnent en chaleur humaine. »

     

    La disparition de la vieille ville de Focsani

     

    La ville de Focsani du temps de Koroschetz n’existe presque plus aujourd’hui, mais elle vit toujours dans le livre de Sorin Tudose. qui nous raconte la disparition de la vieille ville : « A commencer des années 1970, les démolitions deviennent monnaie courante. C’est ce qui arrive, par exemple, à une église de Focsani. seule église de la ville démolie par les communistes. Koroschetz l’avait photographiée autour de 1930. Les camarades communistes ne l’avaient pas aimée et l’ont démolie. Tout comme ils n’ont pas aimé le bâtiment appelé « Banca Economia », qu’ils ont aussi abattu. J’ai donc voulu montrer par un dessin graphique ce qui est arrivé à ma ville natale, Focsani. J’en ai parlé à une amie architecte et elle avait voulu savoir ce que j’entendais par cela. Je lui ai montré deux bâtiments importants de Focsani, la Banca Economia et l’Eglise princière, et je lui ai demandé d’imaginer un dessin avec des bulldozers portant une faucille et un marteau. »

     

    L’album de Sorin Tudose contient plus de 250 photos réalisées par Franz Xaver Koroschetz durant 35 ans. Elles ont immortalisé le quotidien et les occasions spéciales de la vie de la ville et de ses habitants. (Trad. leana Tăroi)

  • Theodor Aman, fondateur de l’Ecole d’art roumaine

    Theodor Aman, fondateur de l’Ecole d’art roumaine

    Le premier artiste roumain moderne

     

    Theodor Aman (1831-1891) a été un peintre, graphiste, sculpteur, pédagogue et académicien roumain, fondateur, aux côtés d’un autre grand artiste roumain Gheorghe Tattarescu, de la première école des beaux-arts de Bucarest. Dans l’histoire des arts plastiques roumains, Theodor Aman est le premier véritable artiste moderne, dont l’influence a accéléré l’ouverture à la modernisation culturelle et au développement artistique des institutions de culture des Principautés unies de Moldavie et de Valachie.

     

    Ouvrir une école des Beaux-Arts à Bucarest

     

    La muséographe Diana Șuteu, commissaire du Musée Aman, composante du Musée municipal Bucarest, raconte la naissance de l’idée d’ouvrir une Ecole des Beaux-Arts à Bucarest:

    « Aman a eu la chance, quand il n’avait que 19 ans, de sortir d’une Valachie sous influence ottomane et très, très en retard par rapport à l’Occident européen. Il a eu cette chance d’aller à Paris, qui, à l’époque, était la capitale de la culture et de l’éducation artistique. Donc, un enfant de 19 ans, parti de l’espace que j’ai mentionné, arrive à Paris où il découvre un monde développé selon des règles différentes et totalement inconnues. Et il s’y adapte, car il a tout de même reçu une éducation : il parle plusieurs langues, il fait de la musique, il a été un élève intelligent et appliqué. Il aurait dû retourner autour de 1855 dans l’espace qu’il avait quitté, mais il reçoit un message de Barbu Știrbei, livré par un neveu de celui-ci: « Dis à Aman d’attendre encore un moment avant de rentrer, car la situation n’est pas encore prête à l’accueillir ». Il reste à Paris jusqu’en 1858 et il profite pour apprendre tout ce qui était disponible dans son domaine d’intérêt. Il est évident qu’Aman a préféré suivre le modèle de l’artiste de la Renaissance, qui devait maîtriser un maximum de techniques. Quand il rentre au pays en 1858, il est travaillé par une idée très puissante: il est décidé de fonder une école. Il avait compris le point où se trouvait la société occidentale ainsi que le passé de la culture et de l’art européen dans un espace qui avait évolué normalement. Il avait compris qu’un peuple, une société ne pouvait pas évoluer sans éducation. Sa première option a donc été de créer une école. »

     

    Des efforts soutenus 

     

    Doina Șuteu explique comment Theodor Aman a finalement réussi à mener à bien sa démarche fondatrice:

    « A partir de 1858, il approche, sans succès, tous les officiels de son temps. Il demande tout simplement de recevoir un terrain sur lequel il veut faire construire une école privée, mais on ne l’entend pas. Et pourtant, il obtient l’autorisation en 1864. Alexandru Ioan Cuza, qui était à la tête de l’Etat, avait fondé en 1860 l’Université et l’Ecole d’art d’Iași. En 1864, Cuza signait le décret de création de l’Ecole des Beaux-Arts de Bucarest et c’est à ce moment-là que l’Université de Bucarest ouvre aussi ses portes. Aman fait toutes ces démarches avec son ami et confrère  Gheorghe Tattarescu, qui était de deux ans son aîné. Tattarescu avait étudié à Rome, mais ils se sont battus ensemble pour réaliser cet objectif. En 1864, lorsque l’école est inaugurée, Aman est nommé directeur, fonction qu’il assumera jusqu’à sa mort en 1891. C’est ainsi que les jeunes talentueux de l’espace roumain ont eu, eux-aussi, la chance d’étudier avec des gens qui s’étaient formés en Occident. »

     

    Theodor Aman, l’homme

     

    La muséographe Doina Șuteu dresse également un portrait du professeur Theodor Aman :

    Je l’ai dit à plusieurs reprises, Aman aurait pu ne rien créer de ce que nous voyons, c’est-à-dire son art, mais l’histoire de la culture aurait retenu son nom en tant que fondateur de l’école et de professeur. Car il a été un professeur exceptionnel, paraît-il. De nombreux témoignages parlent de sa relation avec les étudiants, qu’il aimait comme s’ils avaient été ses propres enfants et qui le lui rendaient bien. Des fragments de correspondance qui nous sont parvenus montrent des échanges affectueux, comme entre un père et ses enfants. Aman n’a pas eu ses propres enfants et ses étudiants avaient occupé cette place dans sa vie. La relation humaine était doublée d’une relation professionnelle remarquable, car, de par son éducation et sa formation, Theodor Aman était un professeur exceptionnel, mais aussi exigeant. Nos premiers artistes importants de la fin du XIXème siècle et du début du XXème ont été ses étudiants. »

     

    Theodor Aman est un repère dans l’histoire de l’art roumain. Son nom a bien sa place dans cette histoire grâce à son œuvre et à sa contribution à la fondation des premières Ecoles des Beaux-Arts de l’espace roumain. La maison-atelier, que l’artiste a dessinée, peinte et décorée lui-même, est aujourd’hui l’un des musées les plus beaux et les plus originaux de Bucarest, un lieu qui reflète la personnalité complexe du grand maître Theodor Aman. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • La rue Colței du Vieux Bucarest

    La rue Colței du Vieux Bucarest

    Le kilomètre zéro, où tout commence

     

    Toute grande ville a un kilomètre 0, où commencent le calcul symbolique et physique des distances et l’organisation de l’espace urbain. Dans le cas de Bucarest, ce point se trouve sur la vieille rue Colțea, où la ville actuelle semble avoir eu sa source.

     

    Entre 1703 et 1707, le « spătar » (commandant de l’armée) Mihail Cantacuzino faisait construire un hôpital et une école sur le domaine du « clucer » Colțea Doicescu. Le prénom de ce grand propriétaire terrien, en charge de l’approvisionnement de la Cour princière, occupera une place définitive dans la topographie de la ville, devenant un repère bucarestois incontournable. Le domaine de Colțea commençait dans la zone de l’actuelle borne du kilomètre 0 et s’étendait vers le nord. Le centre-ville du Bucarest d’aujourd’hui y sera construit le temps passant. La systématisation des lieux débute à la fin du XIXème siècle et la seule petite relique urbaine, qui nous reste de la réalité d’il y a quasiment un siècle et demi, est une rue adjacente de l’actuel boulevard Brătianu, reliant l’hôpital Colțea et l’église Sf. Gheorghe (Saint Georges) où se trouve le monument du kilomètre 0.

     

    Point de départ de l’axe central de Bucarest

     

    L’axe central du Bucarest des temps présents est né dans le périmètre de l’ancienne rue de Colțea et sa très connue tour, dressée au milieu de l’actuel boulevard Brătianu et démolie en 1888, au carrefour des actuels boulevards Carol et Elisabeta, orientés de l’est à l’ouest, et Brătianu et Magheru, orientés du nord au sud. La rue Colțea allait aider le nouveau Bucarest à mieux respirer en allégeant la charge urbaine de la Calea Victoriei, premier axe nord-sud de la capitale. Le muséographe Cezar Buiumaci, du Musée municipal Bucarest, travaille sur le projet de la mémoire de l’ancienne rue Colțea. Un plan de la ville rend plus facile l’effort de suivre le tracé historique de la célèbre rue.

     

    M. Buiumaci fournit tous les détails qui aident à dessiner un plan mental en mettant à profit les œuvres des artistes du XIXème siècle qui ont immortalisé dans leurs tableaux la Colțea de l’ancien Bucarest. Depuis le Palais Suțu, en face de l’église Colțea, l’imagination aidant, tous les contours gagnent en clarté.

     « Nous sommes ici dans la ulița/rue Colței, en face de nous c’est l’église Colței et c’est là que se trouvaient la mahala (faubourg) et la tour Colței ; toutes ces choses, qui se trouvent aujourd’hui au centre-ville, constituaient la périphérie à un moment donné. La rue Colței serpentait ainsi d’une façon que nous avons du mal à imaginer aujourd’hui. On y rencontrait la Cour princière, l’auberge Colței, la tour Colței, nous sommes là, dans une rue qui commençait Place Sfântul Gheorghe, près de l’église Sfântul Gheorghe, au croisement avec la rue Lipscani, pour s’arrêter au croisement avec la rue Clemenței. A l’endroit où nous avons aujourd’hui la rue C. A. Rosetti. »

     

    Récupérer la mémoire de l’ancienne rue Colțea

     

    Une promenade à pied à travers Bucarest aide davantage à récupérer la mémoire de l’ancienne rue Colțea.

    Cezar Buiumaci raconte l’élargissement de Bucarest grâce aux nouveaux axes tracés durant le mandat du maire Pache Protopopescu, un nom qu’il faut rappeler absolument dans ce contexte.  

     

    « Ici, à cet endroit où s’arrêtait la rue Colței, c’était la limite de la ville. La zone périphérique commençait à la Gare du Nord, suivait l’avenue Titulescu et arrivait Place Victoriei. Elle continuait le long du boulevard Iancu de Hunedoara, l’avenue Ștefan cel Mare et ainsi de suite. C’est la route qui ceinturait la ville, une route périphérique sur le modèle français. Quel était le visage de la rue Colței quand elle avait été dessinée ? Cela se passait à la fin de la seconde moitié du XIXème siècle, lorsque l’on construisait le boulevard, sur la direction Est-Ouest, reliant la foire Obor au quartier de Cotroceni. C’était le tout premier boulevard et il n’avait même pas de nom, on l’appelait tout simplement Bulevardul, puisqu’il était le seul de la ville. Et c’est là que le jeune Etat roumain a fait bâtir ses plus importants édifices, tels que des ministères – de l’Agriculture, de la Guerre. Et puis l’hôpital, le premier établissement de ce genre en Munténie, l’Université, la Place de l’Université, demi-circulaire et dominée par les statues érigées dans un panthéon national. Le Boulevard a été pensé ainsi car l’on y organisait les défilés du 10 mai, jour la Fête nationale. »

     

    Une ville de plus en plus européenne

     

    Bucarest, capitale du Royaume de Roumanie, devient une ville de plus en plus européenne durant le règne du roi Carol I.

    Cezar Buiumaci rappelle quelques-uns des repères essentiels dressés sur les nouveaux boulevards nés de la rue Colței.  

    « C’est là qu’en 1874, donc il y a 150 années, la statue de Mihai Viteazul faisait son apparition. Carol I signait la déclaration dans laquelle il assumait l’union de tous les Roumains sous son propre sceptre, il y a eu aussi des déclarations d’indépendance et d’unification données par Carol durant son règne. L’on y trouve également plusieurs institutions importantes, des imprimeries, le Cercle Militaire, le Grand Hôtel du Boulevard, dont le nom indique justement sa position géographique sur cette artère unique de la ville. Il y a aussi la Direction des hôpitaux civils, plusieurs instituions militaires, le siège du Journal officiel, mais aussi le Parc Cișmigiu, des restaurants et des salles de projection pour l’invention des Frères Lumière. »

     

    La rue Colței de l’ancien Bucarest n’existe plus, mais ce fut elle qui donna naissance à la ville. Et les sources iconographiques d’époque gardent sa mémoire vivante. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Le Bucarest du 19e siècle, dans des photos

    Le Bucarest du 19e siècle, dans des photos

    Un photographe tchèque qui a vécu à Bucarest

     

    Franz Duschek (1820-1884) a été un photographe tchèque qui a vécu à Bucarest entre 1862 et 1883. Cela lui a permis de poser un regard singulier sur les transformations sociales et urbaines qui ont marqué la capitale et la vie des Roumains au XIXème siècle, regard qu’il nous a légué à travers ses photographies de studio, ses instantanés et ses photos de guerre. Duschek a retenu avec un grand talent les détails de l’architecture locale et de la mode de l’époque, des portraits de gens appartenant à la classe moyenne et des scènes du quotidien d’une ville sise au carrefour des influences ottomanes et européennes.

     

    Des photos du Bucarest d’antan exposées à Prague

     

    Le Musée municipal Bucarest (MMB) a ramené le formidable photographe thèque à l’attention du public par le biais d’une exposition présentée à Prague, capitale de la République tchèque, pays natal de Franz Duschek. L’idée centrale a été de cartographier les géographies humaines du Bucarest connu par Duschek.

     

    Adrian Majuru, directeur du MMB et commissaire de l’exposition de Prague, nous en a donné des détails :  

    « Il était, en effet, un photographe de studio (cabinet) qui nous a légué un héritage photographique. Il a compté parmi les premiers à avoir fait de la photo professionnelle grand public, si j’ose dire, à Bucarest pendant une vingtaine d’années, depuis le règne d’Alexandru Ioan Cuza jusque vers 1883, lorsqu’il quitte la Roumanie pour remplir une mission pour la Roumanie en Egypte, à Alexandrie où il décède d’ailleurs. »

     

    Point de mire : la modernisation de la société roumaine et la Maison royale de Roumanie

     

    L’évolution professionnelle de Franz Duschek en terre roumaine a reflété l’histoire du temps vécu, jalonné par la Guerre d’indépendance (1877-1878), par le développement et la modernisation de la société, ainsi que l’histoire de la Maison royale de Roumanie, dont Duschek fut le photographe officiel.

     

    Adrian Majuru, directeur du MMB, raconte:

     « Ce fut Carol Popp de Szathmári qui appela Franz Duschek à se lancer dans une profession nouvelle. Celui-ci ouvrit son premier atelier ou studio dans une rue appelée Noua – Nouvelle/Neuve, l’actuelle rue Edgar Quinet. Il eut une belle carrière. Une décennie plus tard, sur la recommandation du boyard, médecin et homme politique Creţulescu, Duschek devient le photographe de la Cour, nommé par le roi Carol I. Cela arriva après l’indépendance du pays, puisqu’il fut photographe et reporter de guerre, aux côtés d’autres artistes de l’époque, tel que le peintre Nicolae Grigorescu, sur le front de Plevna, donc au sud du Danube. C’étaient les débuts d’un nouveau métier, tellement familier pour nous aujourd’hui. Après la Guerre d’indépendance, il ouvrit un nouvel atelier/studio qu’il allait vendre plus tard à un autre photographe d’une génération différente, Franz Mandy, de Budapest, quand Franz Duschek lui-même s’apprêtait à se rendre en Egypte pour une mission de prospection. Mais son message principal se trouve dans les photos dont les protagonistes faisaient partie de la classe moyenne… Ces photos nous offrent l’image d’un phénomène social et professionnel, en égale mesure, qui a culturellement modelé le comportement du milieu urbain: Il existait déjà une Europe urbaine, un liant de ce que nous appelons actuellement l’Union européenne. Avec des professions libérales, une façon particulière de comprendre la vie dans ses détails, par une gestion prudente de l’environnement immédiat. »

     

    Des portraits importants

     

    Franz Duschek reste un des grands photographes portraitistes d’une génération, d’une page d’histoire, grâce à des témoignages sur la vie, les valeurs sociales, morales et culturelles de ces temps-là.

     

    Adrian Majuru conclut :  « C’était le XIXème, un siècle du souci pour le détail, visible non seulement dans de jolis emballages mais aussi dans la manière de s’adresser à quelqu’un d’autre ou de marcher dans la rue, par exemple. Des gens de cette catégorie, on en trouvait aussi à Prague, ou à Vienne, ou bien dans les petites villes d’Espagne ou de France. Pour Duschek, la surprise a été complète, car il s’attendait à y trouver un pays exotique. Il a également réalisé des photos dynamiques, de mouvement, …, et des images de la ville de Bucarest, préservées dans d’autres collections publiques…. ». (Trad. Ileana Ţăroi)