Category: L’Encyclopédie de RRI

  • Deux grands architectes de Bucarest: Leonida Negrescu et Jean Monda

    Deux grands architectes de Bucarest: Leonida Negrescu et Jean Monda

    Deux noms importants d’architectes se retrouvent aux entrées des immeubles de la bourgeoisie bucarestoise : Leon Schwartz, ou Leonida Negrescu et Jean Monda.

     

     

    Il ne suffit que de se balader dans les quartiers historiques de Bucarest pour pouvoir admirer les anciennes maisons bourgeoises et découvrir l’historie de leur architecture et des architectes qui les ont construites. Et sur une plaque de marbre situé sur un immeuble ou un bloc le passeur peut découvrir comment s’appelait l’auteur de l’œuvre. Deux noms importants d’architectes se retrouvent aux entrées des immeubles de la bourgeoisie bucarestoise : il s’agit de Leon Schwartz, connu aussi sous le nom de Leonida Negrescu et Jean Monda.

     

    Le parcours de Leon Schwartz

     

    Felicia Waldman enseigne l’histoire de Juifs de Roumanie à l’Université de Bucarest et c’est elle qui raconte la biographie et les projets que les deux architectes issus de générations différents ont déroulés.

     

    Le premier, dans un ordre chronologique était d’ailleurs bucarestois.

     

    Felicia Waldman : « Leon Schwartz est né en 1857 à Bucarest. Il a étudié à l’Ecole de chaussées et de ponts et en 1879 il est parti pour Paris pour suivre les cours de l’école de beaux arts, dans la section architecture. Il a été fortement marqué par la personnalité de Charles Garnier, créateur de l’Opéra de Paris et le plus important représentant du style architectural du Second Empire. Il a obtenu son diplôme d’architecte en 1887. Ensuite il fut embauché sous-inspecteur des travaux de construction de l’immeuble de l’Ecole centrale à Paris et inspecteur général des travaux aux immeubles du quartier du Luxembourg à Paris. En 1888, il rentre à Bucarest pour devenir architecte en chef des Chemins de fer roumains. A l’époque son embauche fut une exception, puisqu’il était Juif. Il a contribué aussi à la construction des docks dans les ports de Braila et de Galati et durant les 7 années suivantes, il a travaillé en tant qu’architecte au ministère des cultes et de l’éducation publique, une autre première en Roumanie. Il s’est retiré en 1895 pour se consacrer aux travaux privés ».

     

    Leon Schwartz a mis son empreinte sur plusieurs superbes immeubles bucarestois d’avant 1945.

     

    Felicia Waldman : « Il a contribué à la construction de plusieurs bâtiments emblématiques à Bucarest, dont le Jockey Club, l’Académie Commerciale, l’hôtel Splendide, qui n’existe plus, le magasin de musique Orphée, situés tous sur l’avenue de la Victoire et démolis tous durant le régime communiste. Mais il a également érigé des édifices qui ont résisté au passage du temps et aux régimes politiques, telles que les Arènes romanes du Parc Carol – un amphithéâtre consacré aux spectacles, L’école de filles Fraternitatea du Temple Coral, où se trouve aujourd’hui le siège de la Fédération des Communautés Juives de Roumanie. Grâce à ses mérites, Schwartz a compté parmi les premiers Juifs à se voir octroyer la nationalité roumaine en 1894. Il est décédé en 1931 et il est enterré au cimetière Filantropia/ Jeala Philanthropie à Bucarest, dont il a construit la chapelle. »     

     

    Qui a été Jean Monda ?

     

    Le deuxième architecte qui fait l’objet de notre chronique d’aujourd’hui, Jeam Monda, n’était pas né à Bucarest, mais il fut également très important pour la ville.

     

    Felicia Waldman : « Jean Monda est né à Ploiesti en 1900. Il a suivi les cours de l’école Polytechnique à Milan, d’où il est rentré en 1924 avec une éducation spécifique à l’époque, suivant les lignes d’un art déco austère et d’un modernisme modéré. Il s’est établi à Bucarest et a commencé à recevoir de plus en plus de commandes d’investissements immobiliers faites par une multitude de Juifs aux goûts ciselés, selon la mode de l’architecture occidentale. En 1932, il construit à Soli Gold une maison sur la rue Armeneasca. Monda a extensivement collaboré avec l’ingénieur juif Jean Berman pour lequel il a conçu une maison rue Logofăt Luca Stroici, en 1930. Ces maisons existent encore et peuvent être admirées à Bucarest. Et ce fut également en 1930 qu’il a projeté son premier immeuble à plusieurs étages, rue Tudor Arghezi, où il a vécu dans l’appartement numéro 2 pour le reste de sa vie. Durant la seconde moitié des années 1930, Monda a commencé à enseigner des cours d’architecture. Durant la Seconde guerre mondiale, il a été professeur au Département d’Architecture du Collège Juif, une université privée, fondée par la communauté juive lorsque les étudiants juifs n’avaient plus accès à l’éducation dans le système d’Etat ».

     

    Un classique de l’architecture de Bucarest

     

    Le nom de Monda apparait souvent sur les plaques en marbre des maisons bucarestoises et il est déjà un classique de l’histoire de l’architecture roumaine.

     

    Felicia Waldman : « Après 1948 et la confiscation de toutes ses propriétés, Monda n’a plus travaillé, alors qu’auparavant en moins de deux décennies, il avait projeté plus de 25 immeubles élégants, avec des décorations réussies, résultats évidents d’un bon professionnel et d’un personne à vocation. Il a écrit des textes d’architecture, publiant une série d’articles et 5 volumes, après une première monographie parue en 1940. Une grande partie des immeubles projetées par Monda peuvent être toujours identifiées par la plaquette sur laquelle se trouvent son nom et l’année de la construction. Monda a projeté aussi des bâtiments à utilisations multiples, tels le cinéma Regal/Royal et le bar Colos/Colosse, érigés en 1927 et 1930 sur le boulevard Elisabeta, mais démolis. Il a également construit l’immeuble de la salle de spectacles Frascati, le théâtre Constantin Tănase d’aujourd’hui et les immeubles à appartements qui contiennent aussi les salles de cinéma Eforie en 1945 et 1946 et Studio en 1946 – 1948 sur le boulevard Magheru. »

     

    Leon Schwartz ou Leonida Negrescu et Jean Monda sont des noms incontournables pour toute personne curieuse de découvrir l’histoire de l’architecture bucarestoise. Et les plaques en marbre installées aux entrées des immeubles qu’ils ont projetées, sont des témoins de leur contribution. (trad. Alex Diaconescu)

  • Repères juifs sur Calea Victoriei (avenue de la Victoire)

    Repères juifs sur Calea Victoriei (avenue de la Victoire)

    Calea Victoriei, l’avenue de la Victoire, traverse la ville de Bucarest du nord au sud. Elle est une sublimation de l’histoire de la capitale de la Roumanie, bien-sûr, mais aussi de l’histoire de la Roumanie moderne elle-même, avec ses changements et ses continuités. A l’instar de toute agglomération urbaine importante, Bucarest s’est caractérisé par une diversité ethnique et culturelle de sa population, dont les traces sont encore visibles. Une avenue juive de la Victoire est un élément particulièrement important du Bucarest multiculturel, ainsi qu’une contribution majeure à l’histoire de la Roumanie multiculturelle à travers des personnalités et des lieux.

     

    L’immeuble Podgoreanu

     

    Felicia Waldman, qui enseigne l’histoire des Juifs de Roumanie à l’Université Bucarest, a documenté les repères juifs de Calea Victoriei. En remontant l’avenue depuis la Place de la Victoire, ces repères sont significatifs, dit-elle: « L’immeuble Podgoreanu, sis au 208 Calea Victoriei, près de la rue Frumoasă, a été projeté par l’architecte Jean Monda en 1940. Monda est né à Ploiești en 1900. Il s’est formé à l’Ecole Polytechnique de Milan, d’où il rentre en 1924, représentant de la formation à un art-déco auster ou bien à un modernisme modéré, typique des années 1920. Il s’établit à Bucarest et commence à recevoir un nombre croissant de commandes d’investissements dans l’immobilier de la part d’un grand nombre de Juifs au goût raffiné, suivant la mode occidentale. »

     

    128 Calea Victoriei

     

    A l’autre bout de la Calea Victoriei, donnant sur la Place des Nations Unies, et au-delà du pont qui enjambe la rivière Dâmbovița, un autre repère juif est aussi une création de deux architectes juifs, explique Felicia Waldman: « Appelé le bloc Victoria en raison de l’enseigne du magasin ouvert au rez-de-chaussée, disparu aujourd’hui, l’immeuble du 128 Calea Victoriei est un bâtiment moderniste. Des lignes droites, des balcons symétriques, autant de signes du modernisme. La construction a été imaginée par deux architectes juifs, Leon Hirsch et Dori Galin Golinger. D’ailleurs, celui-ci a été un architecte important de l’entre-deux-guerres. Un autre architecte juif, Leon Ștrulovici, raconte qu’il avait 13 ans lorsqu’il s’était fait embaucher au cabinet d’architectes de D. G. Galin et L. A. Hirsch. « C’était le beau monde qui y venait, on y parlait des langues étrangères », écrivait-il. »

     

    Jacques Elias a été l’un des grands donneurs de l’Académie roumaine.

     

    Sa maison, construite sur Calea Victoriei, a elle-même une histoire multiculturelle, ajoute Felicia Waldman: « Derrière l’hôtel Athénée Palace se trouve la fondation de la famille Menachem Haim Elias, installée dans la maison où avait habité Jacques Elias durant les dernières années de sa vie. L’immeuble a été acheté à l’époque de la première guerre mondiale. Sa propriétaire était Maria Braicoff, la veuve de Jean Braicoff, un entrepreneur de travaux publics néerlandais, installé à Bucarest. La maison avait été construite vers l’année 1900 par l’architecte suisse John Berthet. Un des rares reportages illustrés, réalisé à l’intérieur de l’immeuble et publié dans l’hebdomadaire Realitatea ilustrată en 1936, quand tous les éléments originaux étaient encore en place, montre des détails du bureau, du fumoir devenu salon pour recevoir les invités et même des détails de la mise en place les photos de famille. »

     

    L’Athénée roumain, un des repères de l’avenue

     

    L’Athénée roumain, siège de la Philharmonie George Enescu, est un des repères les plus importants de Calea Victoriei, qui garde l’empreinte de l’esprit juif, affirme Felicia Waldman: « Un bâtiment avec une contribution juive, sis sur Calea Victoriei, est l’Athénée. Il a été érigé en deux temps, entre 1893 et 1897. D’abord il y a eu l’investissement, mais l’argent a été insuffisant. Ensuite, il y a eu la fameuse campagne de collecte de fonds « dați un leu pentru Ateneu / Donnez un leu pour l’Athénée», qui a permis de finir les travaux. Cette seconde étape de la construction a enregistré la contribution de l’architecte juif Leon Schwartz, connu surtout sous le nom de Leonida Negrescu. C’est lui qui a réalisé ce véritable chef-d’œuvre qu’est l’escalier de marbre du foyer de l’Athénée, l’escalier principal, ainsi que les deux escaliers latéraux. »

     

    La Banque Marmoroch Blank

     

    Dans la zone commerciale de Calea Victoriei se dresse un des plus spectaculaire sièges bancaires de la ville, le bâtiment de l’ancienne Banque Marmorosch, Blank & Co., fondée par deux Juifs, explique Felicia Waldman: « Le bâtiment de la Banque Marmorosch Blank, dont a été Petre Antonescu l’architecte, a été érigé entre 1915 et 1923. Les matériaux utilisés ont été le granite, le porphyre, le marbre, la pierre de taille de Rusciuc, le fer forgé, tandis que le style dominant a été le néo-roumain avec des influences gothiques et byzantines. L’intérieur, imaginé dans les styles art nouveau et art-déco, inclut des peintures réalisées par Cecilia Cuțescu-Storck. Fondée en 1848 et transformée en société par actions en 1905, la Banque Marmorosch Blank a fait partie des initiateurs et actionnaires fondateurs de la compagnie Air France. D’ailleurs, la banque a aussi financé la guerre d’indépendance de la Roumanie de 1877-1878, la participation à la première guerre mondiale et de nombreux autres projets stratégiques nationaux. Elle était une institution réputée pour le financement de projets nouveaux, audacieux. Elle a aussi financé l’industrie du pétrole, l’industrie du sucre, tout ce qui était nouveau à l’époque. La Banque Marmorosch-Blank avait des filiales à Vienne, Paris, New York, Istanbul, faisait des affaires avec les compagnies maritimes américaines, elle était pratiquement présente dans le monde entier. »

     

    Les repères juifs sur Calea Victoriei sont liés à des gens qui croyaient en la liberté inaliénable  de leurs professions. Résidences privées, lieux publics, bâtiments monumentaux, styles artistiques – autant de matérialisations des idées issues d’esprits créatifs. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Le chemin de Constantin Brâncuși de Roumanie à Paris

    Le chemin de Constantin Brâncuși de Roumanie à Paris

    Depuis les humbles débuts du fils d’un charpentier pauvre à l’affirmation parisienne d’une originalité artistique défiant les conventions de l’époque, le chemin de Constantin Brâncuși s’est ouvert en fait à Hobița, un village du nord de l’Olténie historique où le sculpteur est né le 19 février 1876. C’est de là qu’il partit, au début du XXème siècle, vers l’Occident européen, plus propice que sa Roumanie natale pour son art, nourri des traditions locales et du rapprochement de la nature. Avant le départ pour Paris, le parcours de Brâncuși a été assez sinueux: l’école primaire dans sa commune natale, ensuite l’apprentissage et les années à l’Ecoles des arts et métiers de Craiova, enfin l’Académie des Beaux-Arts de Bucarest, dont il obtint le diplôme de fin d’études en 1902. C’est à ce moment-là qu’il décida de partir à l’étranger, mais rien n’est parfaitement clair dans la biographie de Brâncuși.

     

    La personnalité et la pensée du maître sont tout aussi peu connues, ce qui permet de reconstituer difficilement l’homme derrière l’artiste. 

     

    Un point de départ d’une telle démarche pourrait être le voyage qui l’avait sorti de l’anonymat, un voyage refait récemment par Sorin Trâncă, auteur du livre « Le Chemin de Constantin, l’évasion de Brâncuşi de Roumanie, une reconstitution / Drumul lui Constantin, Evadarea lui Brâncuși din România, o reconstituire ». Sorin Trâncă a très rapidement remarqué la précarité des données concernant ce voyage de Brâncuși: Moi, j’ai considéré qu’il était parti en 1903 pour arriver à sa destination en 1904. On ne sait quasiment rien du déroulement de ce voyage, ni de la durée. En 1910, l’écrivainAlexandru Vlahuță affirme que le voyage aurait duré quatre mois. D’autres disent huit mois, d’autres encore 14 ou 16 mois, ou même deux années, et ainsi de suite. Autant de choses peu claires, d’où mon désir d’essayer d’offrir une hypothèse valide. J’ai donc beaucoup lu, j’ai longuement analysé les arguments et les sources et je suis arrivé à la conclusion qu’il était parti à la fin du printemps 1903 pour arriver à Paris le plus probablement le 14 juillet 1904, lors de la Fête nationale de la France Son voyage a donc duré un peu plus d’un an, voire peut-être deux. Comme l’on ne connait pas la date précise, son voyage aurait pu commencer en fait en 1902 ou en 1903.

     

    Il est arrivé en France le 14 juillet 1904

     

    Selon Sorin Trâncă, le trajet de Brâncuși aurait débuté à Hobița et continué par Petroșani, pour passer ensuite par Hațeg en Transylvanie, qui faisait partie à l’époque de l’empire des Habsbourg, et entrer en Hongrie à Nădlac, traverser Budapest et entrer par Heidentor im Carnutum en Autriche, arriver à Vienne, Linz et Salzbourg pour entrer en Allemagne, passer par Munich, ensuite par Constance et directement en Suisse, où il paraît que Brâncuși est tombé malade à Bâle. Une fois arrivé en France, à Langres, le sculpteur monta à Paris en train, arrivant probablement dans la capitale française le 14 juillet 1904, puisqu’il se souvenait de la musique militaire et des honneurs militaires dont la France l’avait accueilli.

     

    Mais quels ont été les moyens financiers et de transport de Brâncuși ?

     

    Une question sans réponse évidente, affirme Sorin Trâncă: Nous connaissons quelques points importants, validés par les exégètes, par des gens qui ont connu l’artiste, tel que l’avocat et publiciste Petre Pandrea. En grand, nous savons qu’il était passé par Vienne, Budapest, Munich, Bâle, Zurich et Langres à l’entrée en France. A partir de là, j’ai purement et simplement complété une carte et construit un itinéraire m’appuyant sur l’hypothèse que Brâncuși avait fait ce voyage à pied. De nombreuses voix soutiennent cette théorie, du voyage à pied comme celui de Badea Cârțan. Moi, je ne partage pas cette idée. Je crois qu’il était parti comme le faisaient les paysans ou les ouvriers. (…) Après la fin de l’apprentissage, un ouvrier est obligé à parcourir ce chemin de l’approfondissement de sa formation, pour apprendre de nouveaux secrets du métier. Donc, notre paysan, Brâncuși, est parti voir le monde en tant qu’ouvrier, après son apprentissage à l’Ecole des Beaux-Arts de Bucarest, une très bonne école d’ailleurs.

     

            Ce que l’on sait avec certitude c’est qu’à la fin de ces études, Constantin Brâncuși a participé à des concours de projets pour des monuments publics, mais toutes ses propositions ont été rejetées. 

     

    C’est peut-être ce rejet qui l’a poussé à quitter le pays, mais ce n’est qu’une hypothèse en l’absence d’un témoignage direct, affirme Sorin Trâncă: Tous les projets publics jamais présentés par Brâncuși ont été rejetés. Avec, tout de même, quelques exceptions près. L’une en est l’ensemble de Târgu Jiu, mais dans ce cas nous parlons d’une personne qui approche la soixantaine déjà. (…) Un âge où peu de monde pouvait encore corriger ses ouvrages. D’autres exceptions sont des monuments publics commandés par des particuliers, tels que les monuments funéraires du cimetière de la ville de Buzău. (…) Bien que je refuse d’accepter pour l’instant l’idée, soutenue par certains, que Brâncuși était fâché quand il quitta Bucarest pour aller à Paris, j’accepte la possibilité qu’il fût fâché contre l’esprit de médiocrité. (…) Il n’est pas un voyageur, au sens moderne du mot, autrement dit il partait parce pour son travail non pas pour s’amuser. (…) Pour revenir à son enfance, son départ à pied de Hobița à Paris, est, je crois, son cinquième, parce qu’entre ses 7 et 11 ans, il fait plusieurs fugues. Quand il avait environ 5 ans, il part aussi dans une bergerie, car il est l’enfant d’une famille nombreuse et pauvre. Il est donc envoyé à travailler dès son âge le plus tendre. La première fois, c’est dans une bergerie des Monts Parâng. Et c’est d’ailleurs la raison du fait que Brâncuși rate en quelque sorte l’école primaire.

     

    Voulant être soi-même et poursuivre son chemin, Brâncuși réussira à Paris à mettre dans la sculpture les formes qu’il avait tant recherchées et à les faire aimer à travers le monde. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Jean Pangal

    Jean Pangal

    Des personnages pittoresques, non
    conformistes et plus ou moins inventifs, l’on retrouve dans toute communauté
    humaine. L’histoire de la Roumanie a retenu le nom d’un tel personnage :
    l’avocat, homme politique et diplomate Jean Pangal, que ses biographes
    décrivent comme un des grands maîtres des malversations. Pour les sociologues,
    il est un créateur de réseaux sociaux, à l’intérieur desquels ce genre
    d’individus mobilise et booste les énergies des autres.


    Jean
    Pangal est né en France, à Nice, en 1895 et il est mort à Lisbonne au Portugal,
    en 1950. Fils d’une famille de la petite et moyenne noblesse terrienne, il fait
    des études de droit à l’Université de Iași et il est un partisan de l’entrée de
    la Roumanie dans la Grande guerre aux côtés de la France, du Royaume Uni et de
    la Russie. A la fin de la première conflagration mondiale, lorsque la Roumanie
    s’unit avec la Bessarabie, la Bucovine, le Banat et la Transylvanie et entame
    des réformes substantielles, une nouvelle génération de Roumains se lance dans
    l’arène politique. Le vote universel et la réforme agraire sont les deux
    nouveaux horizons ouverts devant eux. Journaliste durant la guerre, Pangal
    adhère à la doctrine agrarienne et il commence à occuper des fonctions
    politiques dans la bureaucratie d’État à partir des années 1920. Il est élu
    député au Parlement de la Roumanie entre 1927-1928 et 1931-1932 ; il est
    nommé sous-secrétaire d’État chargé de la presse et de l’information en
    1931-1932. Il rejoint ensuite le corps diplomatique et il est nommé ministre
    plénipotentiaire d’abord en Espagne entre 1938 et 1939, et ensuite au Portugal
    entre 1939-1940. Constantin Argetoianu, président, entre autres, du parti de
    l’Union agraire, a été son mentor. Comme tant d’autres personnages publics de
    son temps, Jean Pangal a adhéré à la franc-maçonnerie roumaine, dont il
    détenait largement le contrôle.


    Le
    sociologue Bogdan Bucur, biographe de Jean Pangal, a découvert dans les
    archives 474 notes informatives signées par le secrétaire de Pangal, Gheorghe
    Chintescu, et adressées aux services de renseignement: « Ce sont des
    documents extraordinaires parce qu’ils nous permettent d’apprendre, dans le
    détail, le déroulement et le contenu des conversations de Pangal. Il n’y a
    aucune autre source concernant le contenu des conversations de Jean Pangal avec
    le roi Carol II et avec Mme Elena Lupescu, la maîtresse royale. Il nous est
    impossible de connaître le quotidien et les actions d’une partie de l’élite
    politique, diplomatique, maçonnique roumaine et étrangère, vivant à ou étant de
    passage à Bucarest. Cette action méphistophélique et moralement équivoque du
    Service spécial de renseignement, dirigé par Moruzov, de recruter Chintescu, produit
    des conséquences extrêmement importantes pour nous, aujourd’hui. »



    Les
    lecteurs de la biographie de Pangal sont étonnés par sa capacité à se faire des
    amis dans tous les cercles de la société et à être puissant sans faire partie
    du pouvoir. Bogdan Bucur a analysé avec les moyens de la sociologie les
    significations du comportement de Jean Pangal: « En m’appuyant
    sur ces détails liés aux interactions de Jean Pangal et sur des logiciels
    spécialisés, j’ai analysé les réseaux sociaux développés par Jean Pangal. Il y
    avait un réseau personnel et j’ai mesuré la fréquence de ses rencontres avec
    divers personnages lors des réunions politiques. Les notes informatives sont
    tellement détaillées que nous sommes en mesure de reconstituer son réseau de
    pouvoir, son réseau d’influence. De nombreux entretiens de Pangal avec le roi
    ne sont pas mentionnés, car non-officiels. Nous apprenons, par exemple, la
    fréquence des rencontres de Pangal avec différents personnages aux réunions maçonniques.
    Il pouvait y rencontrer Gheorghe Bibescu, grand maître de la Grande Loge
    nationale de Roumanie, un franc-maçon important, certes, mais pas aussi
    important que Pangal, et les deux pouvaient parler du roi ou du développement
    de l’aéronautique, le prince ayant été un pionnier de l’aviation. Ou bien, ils
    auraient pu avoir un échange sur les origines nobles. Pangal pouvait donc avoir
    trois conversations sur trois sujets différents avec le même personnage. »



    Accepté dans l’entourage du
    roi Carol II, Pangal est l’auteur du projet de la Constitution de 1938 qui
    allait instaurer le régime autoritaire du souverain. Monarchiste devant le roi,
    anti-carliste en compagnie des membres de la Garde de fer, libéral avec
    les libéraux, il disait à chaque interlocuteur ce que celui-là voulait entendre.
    Grâce à ses recherches dans les archives, Bogdan Bucur nous a dévoilé l’une des
    idées les plus farfelues de Pangal: « Il a eu un projet
    impensable, d’une inventivité démoniaque, donc également intelligent, à savoir
    de rassembler la franc-maçonnerie et la Ligue de la Défense
    national-chrétienne, une organisation fasciste. C’était une aberration. Il
    prétend être le chef d’une maçonnerie nationale et profite du moment historique
    pour accuser l’autre obédience concurrente d’être une maçonnerie
    internationale, non roumaine et donc non patriotique. Il ne chasse pas vraiment
    les autres de la maçonnerie, mais il a tout de même essayé de le faire avec les
    citoyens roumains d’ethnie juive. La maçonnerie roumaine de Jean Pangal se
    voulait roumaine à cent pour cent, ce qui était une aberration en soi. »



    La
    fin de la guerre convaincra Jean Pangal de prendre l’une des peu nombreuses
    décisions honorables de sa vie: il refuse d’être complice à l’instauration du
    communisme en Roumanie et s’exile au Portugal de Salazar. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • La famille Macca et sa résidence de Bucarest

    La famille Macca et sa résidence de Bucarest

    Le flâneur qui s’abandonne au charme de la
    zone historique de Bucarest, découvre près du centre-ville et des principales
    artères de l’agglomération, telles que l’avenue Victoriei et le boulevard Lascăr
    Catargiu, le bâtiment de l’Institut d’archéologie de l’Académie roumaine,
    l’ancienne Maison Macca. Edifice à l’architecture particulièrement raffinée et
    riches ornements, la Maison Macca est une des constructions les plus
    fascinantes du patrimoine bucarestois.

    Son histoire mixe le cosmopolitisme de
    l’époque à travers John-Élisée Berthet, architecte
    d’origine suisse, et la biographie de vieilles familles locales, car la maison
    a été bâtie par le colonel Petru Macca et son épouse Elena, philanthrope connue
    de ces temps-là, qui, dans son testament, a d’ailleurs fait don de la résidence
    familiale au ministère de l’éducation. C’est la raison pour laquelle l’immeuble
    a accueilli plusieurs institutions, dont le musée des antiquités à
    l’entre-deux-guerres et l’institut d’archéologie de nos jours. L’historienne de
    l’art Oana Marinache a cherché dans les archives des informations sur le passé
    et les plans architecturaux du chef-d’œuvre signé par l’architecte John-Élisée
    Berthet. C’est pratiquement une commande
    privée de la part d’une famille riche
    . Tous les revenus de Mme Elena Macca avaient pour source
    l’exploitation de son domaine de Miroși. A l’aide du second époux de la
    propriétaire, le colonel Petre Macca, mais aussi avec beaucoup de patience et
    un très important effort financier, également avec l’aide d’entrepreneurs talentueux,
    étrangers pour la plupart car les commandes sont envoyées à Paris et à Vienne,
    le couple érige ce bijou immobilier. L’édifice est en fait la somme de tous les
    styles de la fin du XIXème siècle. L’architecte Berthet reçoit la commande en
    1891, or il est impossible de réaliser la composante artistique en si peu de
    temps. L’immeuble est fini autour de 1894, quand le couple Macca emménage dans
    sa nouvelle résidence, qui sera aussi impliquée dans des événements moins
    plaisants à travers le temps. Par exemple, les écuries et les dépendances ont
    pris feu en 1894 et en 1897. La maison, y compris le corps principal, a
    également subi des transformations, mais la composante artistique d’origine est
    parvenue jusqu’à nous. Sa restauration nous fournit d’ailleurs quelques
    surprises. On trouve encore des fresques, des stucs, des meubles inédits, qui
    nous offrent une nouvelle image d’un style de vie à la fin du XIXème siècle et
    au début du XXème.
    , raconte-t-elle.


    L’immeuble est structuré sur quatre
    étages: sous-sol, rez-de-chaussée, étage et grenier mansardé. Les ornements
    intérieurs et extérieurs ont des éléments baroques, tels que guirlandes en pierre, pilastres
    classicisants et symboles héraldiques. Les plafonds et les murs gardent des
    fragments de fresques d’origine, certains stucs sont partiellement dorés. A un
    moment donné, les balcons ont été adaptés au style Art Nouveau, ce qui les a
    transformés en magnifiques serres d’hiver. Et l’on aussi ajouté un vitrail
    ouvert vers l’ancien jardin. Par ailleurs, quand on parle de la famille Macca,
    le premier-plan est occupé par Elena Macca, souligne l’historienne de l’art
    Oana Marinache: La
    propriété lui appartenait, tout a été réalisé avec ses propres ressources
    financières. Je dirais
    qu’Elena Macca est en fait la quintessence d’un mode de vie et d’un type de
    grande dame philanthrope de la fin du XIXème siècle. Elle avait suivi des
    modèles de sa propre famille. D’abord sa mère et puis sa grand-mère maternelle,
    des modèles féminins qui bénéficiaient, certes, d’un certain statut économique
    et social, mais qui prenaient soin des domestiques de la maison, des paysans du
    domaine, des petits entrepreneurs et des locataires qui vivaient sur le même
    domaine. Je crois qu’Elena Macca est un exemple qui mérite d’être connu du
    public, même si elle est décédée en 1911, il y a donc plus de cent ans.



    En 1931, la Maison Macca, donnée par sa
    propriétaire à l’Etat roumain, a accueilli le Musée national des antiquités, et
    depuis 1956, année de la fondation de l’Institut d’archéologie, l’édifice
    appartient à l’Académie roumaine. La
    mauvaise conservation du bâtiment est à l’origine de la décision prise
    récemment de lancer des travaux de rénovation de la Maison Macca sous la
    houlette de l’Institut national du patrimoine. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • L’histoire récente du vin roumain

    L’histoire récente du vin roumain

    Le
    vin a une belle tradition dans l’espace roumain, la culture de la vigne étant
    attestée chez le peuple antique des Daces. L’historien grec Strabon, qui a vécu
    au I-er siècle av. J.C. et au I-er siècle apr. J.C., mentionnait dans ses
    écrits le fait que le roi dace Burebista avait décidé de mettre le feu aux
    cultures de vigne afin de freiner la consommation de vin de ses sujets. Au-delà
    de la frivolité du fait-divers mentionné par Strabon, les sources historiques
    remarquent assez souvent la présence de la vigne sur l’ensemble de l’espace
    nord-danubien.


    En
    Roumanie, entre 1945 et 1989, la production et la vente du vin ont été marquées
    par l’économie centralisée. Marian Timofti, président de l’Organisation des
    sommeliers de Roumanie, explique ce que cela a signifié : « Les vins produits en Roumanie à cette époque-là étaient destinés
    à couvrir des dettes à l’exportation, ce qui voulait dire des récoltes très
    grandes. Or, une grande quantité de raisin récoltée se traduisait par un vin de
    moindre qualité. Plus les minéraux du sol vont à moins de graines de raisin,
    plus ils y sont présents et vice-versa : plus les grappes sont nombreuses,
    moins de minéraux elles contiennent. Le corps du vin, la saveur, les arômes,
    les anthocyanes, responsables de la couleur du vin, sont moins présents. Mais
    c’était comme ça à l’époque, c’est ce qu’on demandait, la production était
    exportée à 80 – 90%. La dette extérieure de la Roumanie a été largement
    couverte grâce aux ventes de vin. L’Union soviétique en était le principal
    importateur, qui cherchait des vins avec des restes de sucres, c’est-à-dire des
    sucres non-transformés en alcool, des vins demi-secs, demi-doux et même doux,
    car le froid y demandait de l’énergie. Deuxièmement, la teneur en alcool des
    vins ne devait pas dépasser 12,5% et nous, on s’amusait en disant qu’il ne
    fallait pas faire de la concurrence à la vodka. La viticulture de qualité de la
    Roumanie a pratiquement été tuée par Nicolae Ceausescu. Oui, nous pouvons dire
    ça, parce qu’à l’époque, les chefs des fermes, les directeurs des vignobles,
    étaient payés en fonction de la quantité récoltée par hectare. Tout comme
    ceux des plantations de blé ou de maïs. Il fallait rapporter des grosses
    quantités. »



    Malgré
    cette réalité, les vins de qualité n’avaient pas complètement disparu, mais ils
    n’étaient pas accessibles à tout le monde. C’étaient des vins d’exception, qui
    participaient à des compétitions internationales, explique Marian
    Timofti : « La Roumanie était reconnue dans le
    monde pour la qualité de ses vins, produits en petite quantité, avec le raisin
    de certaines parcelles. Dans chaque vignoble, on choisissait des parcelles pour
    produire des vins de ce que nous appelions « le petit tonneau »,
    réservé à un nombre de personnes, triées sur le volet. C’étaient ces vins-là
    qu’on envoyait à des compétitions internationales, où la Roumanie a gagné un
    grand nombre de médailles. Sauf que les Occidentaux évitaient d’importer des
    produits de Roumanie, car ils recevaient des vins fabriqués en grande quantité
    et non pas les médaillés. »



    L’œnologie
    roumaine de ces temps-là a inventé, entre autres, « le vin de
    Ceausescu ». Amateur de vin, le leader communiste roumain était malade de
    diabète durant la dernière partie de sa vie. Et ce fut à Husi, à l’est de la
    Roumanie, que l’on avait trouvé la solution pour qu’un diabétique puisse boire
    du vin, raconte Marian Timofti : « On savait que
    Ceausescu préférait le zghihara de Husi dont des centaines de bouteilles
    avaient comme destination le Comité central du Parti communiste. C’est un
    cépage avec très peu de sucres, mais avec une forte acidité, bien plus élevée
    que la normale, un vin dit « d’entrée », de début de repas, car son
    acidité produit des
    sucs gastriques
    qui aident la digestion. La faible teneur en sucres a déterminé Ceausescu à
    l’adopter sur le conseil de médecins qui l’ont assuré que la boisson ne nuirait
    pas à son diabète. C’est comme ça qu’est né le « vin de Ceausescu ».
    Mais lors des repas, on servait aussi d’autres vins. Elena Ceausescu, par
    exemple, préférait le Cabernet-Sauvignon, surtout produit dans les vignobles de
    Dealul Bujorului. Elle aimait le demi-sec, avec un reste de sucres et une trace
    finale sucrée, qui dominait la dureté des tanins. C’est là qu’ont été dirigés
    des fonds pour financer une plantation de 40 hectares de zghihara de Husi. Au
    début, la superficie à planter n’avait
    pas cette dimension, mais l’argent envoyé par le Comité central est venu en
    aide. Lors des réceptions organisées lors des visites d’autres chefs d’Etat,
    Ceausescu offrait aussi son vin, que tout le monde disait apprécier, le sourire
    aux lèvres, par politesse. »




    Une histoire du vin
    roumain d’après la Deuxième guerre mondiale devrait aussi retenir de nombreux
    aspects sociaux liés à la production de cette boisson associée à la vie. C’est
    une longue histoire, qui n’est sûrement pas prête à s’arrêter. (Trad. Ileana
    Ţăroi)

  • Le poète Tudor Arghezi (1880-1967)

    Le poète Tudor Arghezi (1880-1967)

    Dans l’histoire de la littérature
    roumaine, le poète Tudor Arghezi occupe une place de choix dans les pages
    dédiées au XXème siècle. Ion Nae Theodorescu de son vrai nom, Arghezi a abordé
    tous les genres littéraires – poésie, prose courte, roman, dramaturgie,
    articles journalistiques, mais son talent s’est le mieux exprimé en poésie. Il a
    également été doué pour la peinture et le dessin.


    Tudor Arghezi est né en 1880
    à Bucarest, où il est mort à l’âge de 87 ans, en 1967. Il a fait ses débuts en
    1896, avec l’appui du poète Alexandru Macedonski. Arghezi a été proche du
    symbolisme et du mouvement littéraire viennois Sécession, un courant culturel
    présent aussi dans les arts visuels. Très jeune, il se lie d’amitié avec le
    prêtre et publiciste Gala Galaction et avec l’écrivain Vasile Demetrius,
    politiquement et culturellement de gauche. Il s’est mis à écrire des pamphlets
    et il a défendu les paysans réprimés lors de leur révolte en 1907, il s’est
    aussi rapproché de N. D. Cocea, écrivain et publiciste incisif aux convictions
    socialistes. À cette même époque, Tudor Arghezi écrit également de la critique
    d’art et rejoint les cercles d’hommes de culture et sympathisants libéraux tels
    que Eugen Lovinescu et Ion Minulescu, ou de collectionneurs d’art tels que
    Krikor Zambaccian et Alexandru Bogdan-Pitești. Durant la première guerre
    mondiale, il exprime des opinions pro-allemandes dans le journal « Gazeta
    Bucureștilor », financé par les autorités d’occupation allemandes sorti
    entre 1916 et 1918. À la fin de la guerre, il est condamné à cinq ans de prison
    pour collaborationnisme, dont il ne passe qu’un an derrière les barreaux, car
    il bénéficie de la grâce royale.


    Après la guerre, Tudor
    Arghezi déploie une activité littéraire et journalistique intense. En 1928, il dirige
    le journal littéraire « Bilete de papagal », qui a paru en
    quatre séries : entre 1928 et 1929, en juin-octobre 1930, 1937-1938 et
    1944-1945. Dans les quatre pages du journal, les articles sont signés par des
    noms connus de la littérature roumaine, comme par exemple les poètes Otilia
    Cazimir, George Topârceanu, Felix Aderca et Urmuz. À l’entre-deux-guerres,
    Arghezi écrit aussi de la littérature pour enfants. En 1943, en pleine deuxième
    guerre mondiale, il publie un pamphlet dont le titre est « Baroane » /
    « Toi, le baron » et qui est adressé à l’ambassadeur de l’Allemagne nazie
    à Bucarest. Le pamphlet lui vaut une année en prison, que Tudor Arghezi
    mentionne dans son poème « Flori de mucigai / Fleurs de moisissure » (un enregistrement de
    ce poème lu par l’auteur lui-même est gardé dans les archives de la
    Radiodiffusion roumaine).


    Après la guerre, Arghezi se
    voit interdire de publier entre 1948 et 1952 par la censure du régime
    communiste, mais sous l’influence de Mihai Ralea, homme de culture de la haute nomenklatura
    communiste, il est réhabilité et profite à fond de sa nouvelle position sociale.
    Il écrit des poèmes approuvés par le régime communiste et même par l’Académie
    de la République populaire roumaine, qui organise l’anniversaire des 80 ans du
    poète, en 1960. À cette occasion, Arghezi prononce un discours plein de fausse
    modestie, de faux sentiments et d’auto-victimisation. Il n’oublie pas non plus
    de calomnier la Roumanie démocratique d’avant 1945. Écoutons un extraits de ce
    discours : « Bien qu’à l’époque socialiste ma
    plume fasse l’objet d’une appréciation trop peu méritée, un récital à mon nom
    me comble. J’au eu la chance de vivre le grand contraste entre deux époques,
    aussi bien pour la littérature que pour mon insignifiante personne. Qu’est-ce
    qu’un écrivain, un compositeur, un peintre ou un artiste dramatique
    représentaient-ils avant? Une honte, plus ou moins grande, selon sa famille d’origine.
    Il est vrai que l’on acceptait de temps à autre un artiste lyrique, ayant le
    don du madrigal et de l’humour grivois, parmi les ménétriers des festins des
    boyards. Au plan personnel, à travers le temps, toutes les autorités
    culturelles associées se sont dressées contre mes écrits: l’Université, l’Académie,
    la poésie, la prose, la presse, la police, la justice, la censure, la
    gendarmerie et même la collégialité immédiate. On m’avait isolé, avec ma plume
    et mes cahiers, sur un bloc de glace grand comme tout le pays, on m’a craché
    dessus, on m’a injurié, on m’a insulté. Sans me sentir aucunement coupable, je courbais
    peut-être le langage dont j’avais hérité. L’unique droit et l’unique devoir
    accordé à un écrivain étaient de mourir sur un paillasson dans un hôpital ou
    dans une maison de fous. À part quelques quatrains patriotiques, écrits par
    Alecsandri et entonnés à l’école primaire ou par les soldats, à part aussi les œuvres
    de Carmen Sylva (nom de plume de la reine Elisabeth de Roumanie), qui
    dégageaient une atmosphère royale, tout le reste, y compris les individus,
    était indifférent et presque odieux. »



    La mémoire de Tudor Arghezi est
    gardée aujourd’hui au musée qui lui est dédié rue Mărțișor, dans
    la partie sud de Bucarest, une petite rue que le poète a rendue célèbre parmi les
    Roumains. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Le quartier Cățelu – une expérimentation d’urbanisme et architecture à la périphérie de Bucarest

    Le quartier Cățelu – une expérimentation d’urbanisme et architecture à la périphérie de Bucarest

    Installé en 1947, après l’abolition
    de la monarchie, et préoccupé à transformer radicalement la société roumaine en
    jetant en prison les élites de l’entre-deux-guerres, le régime communiste a
    beaucoup retardé la réalisation de son objectif, affirmé haut et fort: l’amélioration
    des conditions de vie des ouvriers. En 1953-1954, Bucarest s’est ainsi vu
    confronter à une crise du logement.

    Très peu de nouveaux ensembles d’immeubles
    à étages avaient été construits pour offrir une vie décente aux nouveaux
    prolétaires ramenés depuis les campagnes afin de contribuer à « la
    construction du socialisme ». L’historien Andrei Răzvan Voinea explique: « En 1953, une réunion plénière du PCR (parti communiste roumain)
    décide du financement de la construction de logements à Bucarest et en 1954
    débute la construction d’immeubles à étages appelés « bloc/blocuri ».
    Cette année-là, commencent des travaux dans les quartiers Vatra Luminoasă,
    Bucureștii Noi et Piaţa Muncii. Des pâtés d’immeubles à l’architecture très
    intéressante sont en chantier en 1954, mais c’est un long processus et aucun
    appartement n’est inauguré. Et puis en janvier 1955, une crise plutôt
    inquiétante surgit. L’hiver 54-55 aussi avait été assez rude et, du point de
    vue du parti, le besoin de logements est urgent. »



    C’est le début de l’histoire
    de l’expérimentation ou du quartier Cățelu, à la périphérie Est de Bucarest, à
    proximité de la zone rurale adjacente et de la commune homonyme.

    Environ 800
    appartements y ont été construits, dans une première étape, sur une superficie
    d’à peu près 6000 mètres carrés dans la seconde moitié des années 1950. Mais d’où
    est-elle sortie cette idée d’expérimentation? À commencer par l’extérieur des
    immeubles qui rappelaient l’architecture vernaculaire rurale ou celle d’un
    ancien faubourg bucarestois: des maisons à véranda, entourées de jardins et
    ouvertes vers un espace commun qui encourageait l’existence d’un esprit de
    vivre ensemble. Et tout est parti d’un paquet de cabanes improvisées où
    logeaient les ouvriers des fabriques de cette zone-là, raconte l’historien
    Andrei Răzvan Voinea: « C’étaient pratiquement des baraques
    provisoires, pour loger temporairement les ouvriers bucarestois,
    mais elles étaient insuffisantes. Alors, en 1955, en été, on commence à
    construire à Cățelu, parce que le parti donne bien-sûr l’ordre d’ériger rapidement
    des habitations minimalistes, en mesure d’accueillir beaucoup de monde pour atténuer
    ainsi cette crise du logement. On choisit donc ce terrain près du boulevard
    Mihai Bravu, qui avait appartenu à la Société de logements à petit prix de l’entre-deux-guerres.
    Voilà le contexte d’avant juillet 1955, lorsque sont lancés le projet technique
    et son exécution. »


    Des logements très rapidement, préférablement aussi petits que possible et à des prix aussi bas que possible, pour y faire loger le plus grand nombre de gens.



    Andrei Răzvan Voinea décrit aussi le résultat final de cette
    action: « Les
    communistes se présentent pratiquement complètement non préparés, c’est la
    vérité. Ils ne savent pas du
    tout quel visage donner à cette ville socialiste nouvelle qu’ils entendent
    construire. Ils n’ont la moindre idée parce qu’ils ne bénéficient pas des
    services de l’avant-garde architecturale et artistique roumaine des années 1930-1940,
    qui était à coup sûr de gauche, sans pour autant être acquise au parti. Dans ce
    contexte, les influences arrivent directement de Moscou et c’est comme ça que
    naissent ces pâtés de maisons. En outre, d’autres expérimentations fonctionnalistes
    sont menées dans les quartiers Rahova et Ferentari également dans les années
    1950, on construit les immeubles à étages du périmètre Piaţa Muncii, avec des
    blocs plus élaborés et quelque peu différents. Et on arrive ainsi à l’expérimentation
    Cățelu, dont l’architecte chef du projet est Tiberiu Niga, un des grands architectes
    roumains, auteur de projets extraordinaires dans les années 30-40. (…) Il
    reçoit la commande de la part du parti: « nous voulons des logements très
    rapidement, préférablement aussi petits que possible et à des prix aussi bas
    que possible, pour y faire loger le plus grand nombre de gens. » (…) Alors
    Niga propose cette habitation vernaculaire rurale, avec une pièce principale et
    une salle, comme on les appelait dans l’architecture traditionnelle roumaine.
    On improvise énormément afin de compenser le manque de matériaux. L’espace
    habitable est d’environ 30 à 40 mètres carrés. Il y a ensuite la véranda et ces
    espaces publics extraordinaires. Les gens habitaient pratiquement dans un 30
    mètres carrés, mais, en sortant, ils ont cette terrasse que tout le monde
    utilise pour y laisser le vélo, la poussette pour les enfants, les conserves
    fait-maison, une table, des chaises et ainsi de suite. Et il y aussi cet
    immense espace de verdure, un jardin en fait. »



    Ces
    appartements ne
    correspondaient aucunement aux normes de logement décent.

    Mais les communistes
    savaient parfaitement que les ouvriers qui allaient les occupaient venaient des
    campagnes où les conditions de vie étaient bien pires, explique l’historien
    Andrei Răzvan Voinea: « Les appartements ont une superficie
    de 30 et quelques mètres carrés, pratiquement un studio habité par une famille
    avec enfants. Y entasser 3 ou 4 personnes
    n’est pas chose facile, mais, encore une fois, il ne faut pas oublier le
    contexte. On parle d’ouvriers qui habitaient à, la périphérie de la ville, dans
    des conditions pires que celles-là. Tant bien que mal, à Cățelu il y avait l’électricité,
    l’eau chaude, le réfrigérateur, tout ce confort moderne. En plus, on y avait
    aussi construit un tas de restaurants, de petits magasins, de librairies … Cățelu
    ne veut pas dire uniquement les habitations, cela veut dire également école, car
    on y a construit deux établissements scolaires et une maternelle, verdure et
    proximité avec l’emploi. Des choses que ces gens n’avaient pas auparavant. »



    Avec le temps, d’autres quartiers de
    barres d’immeubles à étages ont été construits autour du quartier Cățelu, au
    fur et à mesure que le régime communiste systématisait et modifiait l’infrastructure
    et la structure sociale de la ville. Mais les maisons imaginées par l’architecte
    Tiberiu Niga pour créer un pont vers le monde rural dont étaient issus les
    ouvriers de l’époque sont toujours debout. (Trad. Ileana Ţăroi)



  • La ville de Sebeș

    La ville de Sebeș

    C’était au XIIème siècle que des populations d’origine
    allemande avaient répondu à l’appel des rois de Hongrie et s’étaient installées
    sur le territoire compris entre les rivières Mureș et Olt d’un côté et les Carpates
    de l’autre. L’une des sept communautés urbaines à avoir reçu le droit d’être aussi
    un centre de justice fut l’actuelle ville de Sebeș. Connue en allemand comme Mühlbach,
    ou Melnbach en dialecte local, la ville d’aujourd’hui a environ 26.000 habitants,
    dont près de 80% des ethniques roumains. C’est une agglomération
    traditionnellement multiconfessionnelle, avec des communautés et des églises romaine-catholique,
    luthérienne, orthodoxe et grecque-catholique.


    Radu Totoianu, muséographe
    au Musée municipal « Ioan Raica » de Sebeș, a parlé de la naissance
    de la ville: « La
    ville de Sebeș est mentionnée pour la première fois dans un document datant de
    1245, peu après l’invasion mongole. Le prêtre Théodoric de Malenbach, le nom
    allemand latinisé du bourg, demande au pape Innocent IV de lui accorder le
    droit de collecter les impôts dans d’autres paroisses voisines, puisque la
    sienne avait beaucoup souffert durant cette invasion. Le pape accepte sa
    demande et ce document est pratiquement l’extrait de naissance de notre ville. Sebeş
    est une ville importante, qui détient le plus ancien privilège de s’entourer de
    murs en pierre, accordé en 1387. Elle est entourée d’un mur d’enceinte mesurant
    plus de 1800 mètres, avec plusieurs tours encore debout, dont la Tour de l’étudiant
    ou des tailleurs est probablement la plus connue. »



    Cet ouvrage de fortification
    contribue en partie à la renommée de la ville. Radu Totoianu a raconté l’histoire
    du moine Georg Captivus Septemcastrensis, qui a vécu au XVème ou XVIème siècle
    et qui est surtout l’auteur du premier traité sur les Turcs ottomans: « Les travaux d’entretien
    et la défense de la tour étaient assurés par la guilde des tailleurs et cela
    avait été visible en 1438, lorsqu’une armée turque avait assiégé Sebeş. Un armistice
    est trouvé au bout de plusieurs jours de résistance et les Ottomans peuvent
    entrer dans la ville à condition de ne pas la saccager. Mais cette capitulation
    n’a pas plu à tout le monde, un certain nombre d’habitants s’étant barricadés à
    l’intérieur de la tour des tailleurs. Parmi eux se trouvait un jeune élève
    de l’école qui fonctionnait entre les murs de l’abbaye dominicaine. La tour est
    incendiée, la plupart de ceux qui s’y étaient cachés trouvent la mort. Le jeune
    adolescent, de seulement treize ou quatorze ans, est un des peu nombreux
    survivants et partage le sort réservé à biens des habitants de Sebeş : il
    est vendu comme esclave et sa captivité durera une vingtaine d’années. Il est
    vendu et revendu plusieurs fois, jusqu’à ce qu’il tombe entre les mains d’un maître
    plus humain, qui le traite plutôt comme un membre de sa famille et finit par
    lui rendre la liberté. Le jeune homme affirme souhaiter revoir sa terre natale
    et promet de retourner chez son maître, mais ne tient pas sa promesse. En
    réalité, il ne se rend pas en Transylvanie, mais à Chypre, pour aller ensuite
    en Italie. Arrivé à Rome, il prend l’habit des moines dominicains et il écrit
    ce que l’on considère comme le premier traité européen d’études orientales, qui
    a connu plus de 25 éditions. Celle de 1511 a été soignée et préfacée par le
    réformateur de l’église allemande, Martin Luther. »



    Nous avons demandé à Radu
    Totoianu quels étaient les bâtiments représentatifs de la petite ville fondée
    par les Allemands transylvains. Voici sa réponse: « Le bâtiment ecclésiastique de la ville est l’église
    évangélique. Les premières phases de la construction, dans le style roman,
    commencent après 1241. Mais lorsque la ville atteint la prospérité économique,
    les édiles veulent des choses plus fastueuses. Le style gothique avait fait son
    apparition aussi en Transylvanie et le chœur de l’église, de grandes
    dimensions, est réalisé dans ce style. Selon les architectes, si l’édifice
    avait été entièrement construit ainsi, il aurait été le deuxième plus grand de
    Transylvanie après l’Eglise Noire de Brașov. Compte tenu du fait que la ville
    de Sebeș était habitée par environ 500 familles à l’époque, sa petite force
    financière ne lui a pas permis de d’aller jusqu’au bout et cela a donné
    naissance à un compromis : la nef romane a été collée au chœur gothique. C’est
    un très bel édifice, qui a aussi des éléments plus tardifs, y compris de la
    Renaissance. »



    Un autre repère architectonique
    local est le bâtiment du musée de la ville, présenté par le muséographe Radu
    Totoianu: « Le
    bâtiment laïque le plus important de Sebeș est la Maison Zapolya, dans laquelle
    fonctionne le musée. Son nom fait référence au voïvode de Transylvanie Ioan
    Zapolya, devenu roi de Hongrie après 1526, année de la mort au combat de Vladislav
    II. Comme d’habitude, cela ne fait pas l’unanimité, une partie des Hongrois
    soutient un autre candidat au trône en la personne de Ferdinand de Habsburg, membre
    de la famille régnante d’Autriche. Une guerre civile éclate et le roi Zapolya se
    retire, avec ses troupes, en Transylvanie, occupe Sebeș et installe sa
    résidence et son quartier général dans ce bâtiment où fonctionne le musée. D’ailleurs,
    il y meurt en 1540. »



    Petite mais importante dans
    l’histoire de la Transylvanie, la ville de Sebeș a une personnalité bien
    reconnaissable, mise en valeur aujourd’hui, par ceux qui sont les gardiens de
    sa mémoire. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Franz Binder

    Franz Binder

    La fascinante histoire des explorateurs et de leurs voyages, qui nous ont fait connaître notre planète, contient aussi des noms d’explorateurs roumains ou ayant habité sur le territoire actuel de la Roumanie. Parmi eux l’on retrouve celui de Franz Binder, originaire de la ville allemande de Sebeș, en Transylvanie, la province de l’ouest de la Roumanie actuelle. Cet explorateur audacieux du XIXème siècle a laissé en héritage à la communauté locale une collection d’objets africains, gérée à présent par le Musée ASTRA de la ville de Sibiu.

    Radu Totoianu, muséographe au Musée municipal « Ioan Raica » de Sebeş, nous aide à voir le monde à travers le regard de celui qui a ouvert des routes africaines : « Franz Binder est né à Sebeș en 1820, dans une famille de pharmaciens. Lui aussi fait des études de pharmacie à Sibiu, mais sans pratiquer la profession. Il préfère se lancer dans le commerce, ce qui l’emmène jusqu’à Istanbul, la porte de l’Orient à l’époque. A partir de là, il suit les traces d’un demi-frère, qui avait rejoint l’armée égyptienne, allant jusqu’en Syrie pour le retrouver. Arrivé à Alep, Franz Binder descend le Tigre en radeau, il s’arrête en Palestine, où il visite, entre autres, les lieux saints. Il atteint, enfin, la ville égyptienne d’Alexandrie et, puisqu’il manque de ressources financières, il enchaîne les petits boulots: porteur dans le port, travailleur dans une brasserie, tailleur de placage dans l’atelier d’un ébéniste, aide-pâtissier dans une pâtisserie et ainsi de suite. »

    Binder poursuit sa vocation, gagner de l’argent et rencontrer l’inconnu, raconte Radu Totoianu : « Là, il ramasse de l’argent et remonte le Nile à bord d’un bateau. Il arrive ainsi à Khartoum, actuelle capitale du Soudan, mais à l’époque une partie du Soudan d’aujourd’hui avait un statut de colonie autrichienne, et il s’y fait embaucher par une compagnie commerciale. C’est en cette qualité qu’il dirige plus vingt caravanes en train de traverser le désert de Nubie. En 1860, Franz Binder, diplômé d’université et citoyen de l’empire, est nommé vice-consul de Vienne à Khartoum. Cette fonction, qu’il occupe jusqu’en 1862, l’oblige à chercher et identifier de nouvelles opportunités commerciales, ainsi qu’à explorer des zones et saisir y compris de nouveaux territoires pour la colonie. »Le monde profond africain était inconnu de l’Europe à l’époque de Binder, or son voyage, étendu sur près de deux décennies, l’a emmené loin à l’intérieur de la zone occidentale de l’Afrique. Radu Totoianu nous donne de nouveaux détails. Track 3: « Imaginons qu’à l’époque, ce que l’on savait de l’Afrique était ses contours, même si elle déjà était connue depuis le XVIème siècle. L’intérieur du continent était une immense tache blanche, une réalité que Binder lui-même notait dans ses mémoires, publiées par un de ses petits-fils à l’entre-deux-guerres. Durant ses expéditions aux sources du Nile, il est entré en contact avec des tribus inconnues de tout Européen ou Turc à ce moment-là. C’étaient les tribus jur beli, azande ou nyam nyam, nuer, avec lesquelles il entretient des relations commerciales et qu’il appuie même dans certains conflits locaux. »

    De retour en Europe, en terre natale, Franz Binder, âgé de 42 ans, fait en sorte que sa vie africaine reste présente autour de lui, raconte Radu Totoianu : « A Sebeș, il achète au centre-ville, en face du parc de la mairie et de la place centrale de la ville à l’époque, une maison qu’il décore de bas-reliefs en pierre représentant des scènes de son voyage. Nous pouvons y voir, entre autres, le Sphinx, les pyramides, le temple de la déesse Isis, érigé sur l’île de Philae, et même, sous la corniche de l’immeuble, une frise qui montre une caravane traversant le désert de Nubie, qu’il avait lui-même traversé des dizaines de fois. Nous pouvons y apercevoir aussi des chameaux et un personnage à cheval, qui est en fait Franz Binder en train de diriger la caravane. »

    Après de longues et fatigantes pérégrinations, l’explorateur a voulu partager son expérience africaine à travers de conférences publiques, ajoute Radu Totoianu : « Il a tenu de telles conférences dans plusieurs villes de Transylvanie, où il a aussi présenté sa collection, riche de 350 objets. Mais il était revenu malade d’Afrique, où il avait très probablement attrapé la malaria, qui y faisait ravage à cette époque-là. Il quitte Sebeș et s’installe à Vurpăr, près de Vințul de Jos, sur la rive du Mureșului, où il s’achète un petit domaine qui lui fournit les moyens de vivre. Dès son vivant déjà, il fait don de sa collection : 104 objets au collège évangélique de la commune, des objets qui ont rejoint le patrimoine de notre musée après la fermeture du collège, et puis la plus grosse partie de la collection est allée à la Société des sciences de la nature de Sibiu. »

    En 1875, quand il n’avait que 65 ans, le voyage terrien de Franz Binder a pris fin. Il a laissé derrière lui des mémoires et des objets pour les générations futures, l’héritage d’un vainqueur de l’inconnu. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • David Mitrany et la théorie du fonctionnalisme

    David Mitrany et la théorie du fonctionnalisme

    David Mitrany est
    né en janvier 1888 dans une famille juive de Bucarest. En 1908, il finit ses
    études à la Haute Ecole de commerce de la capitale de la Roumanie et, après le
    service militaire, il décide d’émigrer. Il s’établit d’abord à Hambourg, en
    Allemagne, où il avait étudié pendant trois ans, mais, plus tard, il préfère
    poser ses bagages à Londres, au Royaume Uni, où l’embryon de la future célèbre London
    School of Economics avait ouvert ses portes. Dans la capitale britannique, en
    plus des sciences de l’économie, Mitrany s’est aussi spécialisé en sociologie
    et sciences politiques. Il en obtient la licence en 1918 et le doctorat en
    1929. A l’époque, Mitrany se concentre sur l’étude du nationalisme et de la
    réforme sociale et le déclenchement de la première guerre mondiale change son
    approche de ces deux thèmes.

    Véritable Einstein des sciences sociales

    Le professeur des universités Paul Dragoș Aligică
    décrit le parcours professionnel de David Mitrany. « Son nom
    apparait pour la première fois pendant la Première guerre mondiale, associé aux
    services de renseignement britanniques qui opéraient dans le sud-est de
    l’Europe. Il ressurgit plus tard dans le contexte de la Conférence de paix de
    Versailles et de l’appui à la Roumanie durant les négociations, pour être
    ensuite associé au journal The Manchester Guardian. Après, lorsque l’Institut
    d’études avancées est créé à l’université Princeton, aux Etats-Unis, l’homme
    arrive à être l’égal d’Einstein dans le domaine des sciences sociales et,
    d’ailleurs, les deux se lient d’amitié et ont une correspondance soutenue. (…) Nous
    retrouvons ensuite le nom de David Mitrany en relation avec le Foreign Office (le
    ministère des affaires étrangères britannique). Et il a même travaillé pour
    l’entité spéciale, créée par Churchill à Oxford durant la Deuxième guerre
    mondiale, dont l’objectif était d’orienter l’effort de réflexion stratégique de
    l’Empire britannique. Mitrany a donc fait partie de cette entité qui
    travaillait en lien non pas avec le ministère ou le gouvernement mais avec le
    cabinet de guerre. »


    Impliqué dans le processus de définition du nouveau système européen post-guerre

    Entre
    1933 et 1958, David Mitrany a travaillé à l’université Princeton, mais il a
    aussi collaboré avec des institutions britanniques, surtout pendant la guerre. Entre
    1944 et 1960, il a occupé le poste de conseiller pour les relations extérieures
    de la compagnie Unilever. En 1957, il a contribué à la création d’une nouvelle
    institution spécifique du système scandinave: l’institution de l’Ombudsman. Et
    bien-sûr, dans l’après-guerre, David Mitrany a été impliqué dans les efforts de
    définition et de création de la nouvelle alliance pan-européenne, à l’origine
    de l’Union européenne. Pr Paul Dragoș Aligică nous en donne des détails. « David Mitrany est impliqué dans le processus de définition du
    nouveau système européen post-guerre, son implication étant directe, aux côtés
    de ceux que nous appelons « les pères fondateurs de l’UE ». Sa
    théorie fonctionnelle de la politique offrait la structure, l’appareil
    conceptuel et théorique, qui nous montre l’existence d’une idée alternative de
    l’intégration des économies, des sociétés et des institutions dans le contexte
    européen. (…) Mais il a tout naturellement perdu devant la théorie fédéraliste
    de l’Union européenne. »


    David
    Mitrany a donc proposé une idée de gouvernance alternative au fédéralisme, en
    approfondissant le fonctionnalisme, théorie qui circulait déjà à l’époque, mais
    qu’il a pensée en relation avec le nouveau système européen en train de se
    dessiner. Bien qu’il ait été l’adepte d’une communauté globale, il ne croyait
    pas que la solution se trouvait dans la fédéralisation, mais plutôt dans la
    création d’agences internationales qui coopèrent entre elles. Cette approche
    fonctionnelle de Mitrany misait sur l’élimination des frontières par « l’augmentation
    naturelle des activités communes et des agences administratives communes »

    et soutenait le transfert d’une partie de la souveraineté économique à ces
    agences. C’est pourtant le projet fédéraliste qui a été préféré, mais David
    Mitrany est resté, jusqu’à la fin de sa vie, une voix importante sur la scène
    des relations internationales. Ainsi, par exemple, à près de 80 ans, il a fait
    une tournée dans trois grandes universités américaines – Harvard, Yale et
    Columbia – et il a donné plusieurs conférences et interviews télévisées. David
    Mitrany est mort le 25 juillet 1975, après avoir publié un dernier livre sur
    l’alternative fonctionnaliste. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Tours de défense et sécurité publique en Olténie

    Tours de défense et sécurité publique en Olténie

    Avant le XIXème siècle, lorsque l’Etat
    moderne, sa bureaucratie et ses institutions n’existaient pas encore, assurer la
    sécurité des Roumains était l’affaire des boyards et des monastères. Rien et
    personne n’étaient à l’abri, notamment lorsque chez les voisins de la région,
    tels ceux des Principautés roumaines, le recours aux pratiques terroristes
    n’était pas rare. La domination ottomane au nord du Danube, en territoire
    roumain et surtout en Olténie, était souvent présente et sauvage, à travers des
    incursions de pillage et de destruction. La solution choisie par les boyards
    locaux a été celle de construire des cule ou des tours de défense pour eux et leurs familles, leurs
    personnels et leurs biens.


    Bâtie selon un modèle oriental,
    la cula existe
    aussi en Bulgarie, Serbie, Monténégro, Albanie, Grèce, dans l’ensemble de
    l’espace contrôlé par les Ottomans dans les Balkans.

    Dans la région d’Olténie
    (la moitié ouest de la Principauté valaque) vingt cule avaient été érigées, dont il n’existe plus
    que cinq. Liana Tătăranu, présidente de l’Association Le Cœur de l’Olténie,
    raconte l’histoire des cule
    ou tours olténiennes: « A présent, la cula la plus ancienne serait celle appelée
    Greceanu, de Măldărăști, construite autour de 1547. Je ne pourrais pas certifier
    cette information, car il a été impossible de la dater même par les moyens de
    la dendrologie. Ceux qui ont étudié cette construction de près affirment qu’il
    y a eu une espèce de noyau à l’intérieur de la bâtisse. Donc la construction
    initiale a été élargie à la fin du XVIème ou au début du XVIIème siècle. La
    cula des frères Buzești a
    été érigée avant 1600 sur leur domaine de Vlădaia, dans l’actuel département (județ)
    de Mehedinți. »



    Face aux Ottomans, les cule deviennent particulièrement nécessaires

    Après le XVIème siècle et la
    conquête de la Hongrie par l’armée ottomane, le Croissant s’installe
    autoritairement en Europe centrale et du sud-est, en brisant le lien entre les
    Principautés roumaines et la civilisation européenne. Bien qu’il ne soit pas
    directement contrôlé par l’empire du sultan, l’Etat valaque en est une annexe
    que les Ottomans traitent avec une extrême brutalité. Cela rend les cule particulièrement
    nécessaires, explique Liana Tătăranu: « Ces bâtisses devaient
    pratiquement protéger les boyards, et moins les paysans, contre les invasions
    turques, mais il ne s’agissait pas des grandes invasions de l’armée. Durant la
    domination ottomane, rien ne pouvait se faire dans les Principautés roumaines
    sans l’autorisation du sultan. Depuis l’époque du prince Mircea cel Bătrân/Mircea
    le Vieux, au XIVème et XVème siècle, lorsque la Valachie avait perdu la
    forteresse de Giurgiu, elle ne possédait plus aucune forteresse le long du
    Danube. Les princes roumains n’avaient plus été autorisés à construire aucun
    type de forteresse et par conséquent ils avaient décidé de renforcer les
    monastères. Le prince Matei Basarab est celui qui a construit, au XVIIème
    siècle, le plus grand nombre de monastères fortifiés où les villageois
    pouvaient aussi trouver refuge. Cependant, les boyards n’avaient pas beaucoup
    de choix pour se mettre à l’abri et donc ils ont essayé de prendre leurs
    propres mesures pour le faire, notamment contre les attaques des cârjali, des
    bandits du pacha de Vidin, Osman Pasvantoglu, et des adalâi, les Turcs de l’île
    d’Ada Kaleh. C’est ce qui explique en partie le grand nombre de
    cule érigées en Olténie,
    la zone la plus ciblée par les pillages. »


    Tour de garde, de signalisation et d’alarme

    La cula olténienne est une bâtisse en forme de
    prisme, avec un rez-de-chaussée et plusieurs étages. La base était carrée ou
    rectangulaire, les murs en pierre ou en briques, prévus de barbacanes, avaient
    environ un mètre d’épaisseur. Les étages étaient reliés par un escalier
    intérieur en bois. « La forme de la cula olténienne a évolué avec les réalités
    socio-historiques, son apogée se situant dans la seconde moitié du XVIIIème
    siècle. Par ces formes architecturales, par la richesse des arches et des
    éléments décoratifs, la cula
    est un des exemples les plus caractéristiques
    de l’architecture olténienne »
    , écrivaient les architectes Iancu
    Atanasescu et Valeriu Grama dans leur livre « Culele din Oltenia/Les cule d’Olténie ».
    Liana Tătăranu a aussi remarqué l’évolution dans le temps de la destination des
    tours de défenses olténiennes: «Dans une première étape, les cule ont servi de tour de
    garde, de signalisation et d’alarme, une partie d’entre elles ayant servi de tour-clocher
    pour des monastères. Si on regarde la carte, on constate que ces bâtisses se
    dressent à une distance entre vingt et trente kilomètres les unes des autres,
    sur des tracés bien établis. Elles sont placées à des endroits stratégiques, en
    haut d’une colline, en général, afin de bénéficier d’un champ visuel le plus
    large possible. Les bâtisses devaient pouvoir se signaler entre elles les
    éventuelles attaques. Ensuite, il y a eu les
    cule de refuge, de défense ou d’habitation
    temporaire. Le manoir-résidence permanente du boyard et de sa famille se
    trouvait à proximité. »



    Après
    1821 et surtout après 1829, quand la Principauté de Valachie commence à
    sécuriser sa frontière, l’importance pratique de la cula diminue. La bâtisse reste néanmoins un
    élément du patrimoine architectural de l’Olténie. (Trad.
    Ileana Ţăroi)

  • Se divertir dans l’ancienne Ploieşti

    Se divertir dans l’ancienne Ploieşti

    Ville pétrolière et capitale d’un département
    montagneux, au un beau potentiel touristique, la ville de Ploiești a été une
    agglomération urbaine florissante, où les possibilités de se divertir étaient
    nombreuses à l’entre-deux-guerres. Certaines en ont été même importées de
    Bucarest par des habitants de Ploiești désireux de faire de la concurrence sur
    un pied d’égalité aux habitants de la capitale. Ce fut ainsi le cas de la bataille
    de fleurs, qui avait lieu du côté de « la Chaussée », autrement dit
    la périphérie-nord bucarestoise de l’époque. Dans la ville du département de Prahova,
    la bataille de fleurs, dont les débuts remontent aux années d’avant la Grande
    Guerre, a marqué une pause pendant la conflagration pour reprendre après la fin
    de celle-ci. C’était un divertissement printanier qui s’arrêtait à la fin du
    mois de juin et au début des vacances d’été.

    Lucian Vasile, auteur du livre
    « Il était une fois à Ploiești. Bataille de fleurs, football et concours
    de miss/A fost odată la Ploiești. Bătăi cu flori, fotbal și concursuri de
    miss », nous en donne des détails : « La bataille de
    fleurs a été un événement important emprunté à la capitale avant la première
    guerre mondiale. La Chaussée bucarestoise était remplacée par le principal boulevard
    local, évidemment à une échelle visiblement moindre que celle de la capitale,
    mais la passion, la verve et la révolte populaire étaient les mêmes. Cette
    dernière a peut-être été plus forte à Ploiești, car la ville était plus petite
    et les zones vertes étaient, de toute évidence, moins nombreuses ; alors
    la suppression de la circulation sur le boulevard central durant un week-end
    énervait au maximum ceux qui ne pouvaient pas se permettre de participer à
    l’événement, faute d’argent. C’est pourquoi, dans les années 1920, plusieurs
    articles de presse pointaient l’absence d’espaces verts et la mise à l’écart
    des habitants pauvres de la ville, qui se voyaient interdire l’accès à l’une des
    rares zones de détente. Ça s’arrêtait à la Saints Pierre et Paul, quand l’année
    scolaire aussi prenait fin. Après cette date, la ville sommeillait durant la
    saison chaude. À l’époque, les températures estivales ressemblaient beaucoup à
    celles d’aujourd’hui, et le beau monde local se réfugiait dans des stations de
    vacances à l’étranger, ou bien aux résidences secondaires détenues dans la
    région. »



    Dans le même
    temps, les habitants moins fortunés de Ploiești s’amusaient aux foires locales,
    surtout au début de l’automne, après la récolte des fruits et légumes et les
    vendanges. L’historien Lucian Vasile raconte : « Si la bataille
    de fleurs suspendait la vie de la ville au début de l’été, trois mois plus
    tard, au début de l’automne, il y avait la foire connue sous le nom de « Aux
    canons/La tunuri », qui ouvrait pratiquement la nouvelle année scolaire et
    la nouvelle saison de la vie mondaine. C’était le moment où l’élite locale
    rentrait à Ploiești, mais la foire était plutôt un amusement populaire. Le moût
    n’avait pas de connotation sociale, le divertissement était très accessible,
    car la partie « foire du trône » était simple et très peu chère:
    balançoire, tir à la carabine, installations pour tester la force physique et
    autres. C’était un divertissement pour le petit peuple, qui durait entre quatre
    et six semaines et s’arrêtait à l’arrivée du froid, quand les gens se
    retiraient à l’intérieur des restaurants, estaminets et autres tavernes. »

    Les habitants de la ville de Ploiești
    aimaient aussi, et beaucoup, le
    football, affirme Lucian Vasile:
    « L’ascension de ce sport est
    spectaculaire. En 1907 ou 1908, les gens de Ploiești le considéraient comme une
    perte de temps et même comme un sport étrange. Eh bien, une vingtaine ou une
    trentaine d’années plus tard, Ploiești s’était transformé en un épicentre du
    football national, avec deux clubs présents dans la première ligue nationale.
    L’un était le club Prahova, financé par l’industriel néerlandais Jacob Kopes,
    l’autre était le club Tricolorul, appartenant à la Société des chemins de fer
    Ploiești-Văleni. La société, qui était financièrement profitable, a investi des
    fonds impressionnants dans le club, mais les résultats ont été décevants. Non
    seulement le club a raté le titre de champion national, il a même réussi à être
    relégué en ligue inférieure. Mais, à la fin des années 1930, les primes de jeu
    et les salaires des joueurs étaient notoires. Même à cette époque-là, le
    football se révélait un motif de scandale et de rixes. Il y a eu un moment,
    vers la fin des années 1920, quand le préfet de police de la ville, énervé par
    la défaite de l’équipe locale, est entré sur le terrain et s’est mis à
    distribuer des coups de poing et de pied à gauche et à droite. »



    Ville multiethnique, Ploiești
    a aussi été le témoin de passe-temps traditionnels des étrangers qui y avaient
    choisi domicile. Ce fut, par exemple, le cas de la communauté allemande, assez
    nombreuse, raconte l’historien Lucian Vasile: « Les
    Allemands avaient construit une salle pour leur communauté. Sur les fondations
    de cette salle se dresse aujourd’hui la Philharmonie de la ville. Dès la fin du
    XIXème siècle, des membres de la communauté allemande s’y rencontraient pour
    chanter dans une chorale ou pour jouer aux quilles et au billard. Ce qui était
    une nouveauté absolue dans la vie de la ville c’était le fait que les femmes y
    étaient totalement acceptées. Or, dans la société patriarcale de ces temps-là,
    c’était une curiosité: comment se faisait-il que, chez les Allemands, les
    femmes jouaient au billard avec les hommes, sans aucune différence ? Les
    autres communautés étaient plutôt bien intégrées, ne souhaitant pas tellement
    préserver une identité séparée. »


    Malheureusement, la précarité et les
    restrictions apportées par le régime communiste à partir de 1947, une grande
    partie de ces divertissements ont disparu, tout comme la bonne humeur des gens.
    (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Barbu Alexandru Știrbei, un des artisans de la Grande Union

    Barbu Alexandru Știrbei, un des artisans de la Grande Union

    La famille Știrbei était l’une des familles de boyards valaques les plus
    importantes du 19e siècle. Elle a donné deux noms importants dans l’histoire
    des Roumains : le prince Barbu Dimitrie Știrbei, qui régna sur la Valachie
    de 1849 à 1843 et de 1854 à 1856 et son petit-fils, Barbu Alexandru Știrbei,
    diplomate et homme politique. Barbu Alexandru Știrbei a fait une carrière
    politique au plus haut niveau et a participé aux prises de décisions les plus
    importantes de l’époque du règne du Roi Ferdinand Ier.




    Le prince Știrbei est né en 1872 à Buftea, au nord – est
    de Bucarest.

    C’était un homme très riche et hormis le domaine de Buftea, il
    possédait trois autres grandes propriétés dans les départements d’Olt, de
    Teleorman et de Iasi. Il était le président de plusieurs conseils
    d’administrations de grandes banques et usines tels que Steaua Română, les
    Usines de Reșita et Astra. Il a été marié à sa cousine au second degré, Nadejda
    Bibescu, le couple donna naissance à quatre filles. Știrbei est décédé à
    Bucarest en 1946, à l’âge de 73 ans.




    Elevé et éduqué en France, Știrbei a fait bonne
    impression à tous ceux qui croisèrent son chemin. C’était un homme agréable,
    cultivé, avec un style vestimentaire très à l’anglaise. Il s’est lié d’amitié
    avec le prince héritier Ferdinand et en 1914, lorsque celui-ci devint roi, il
    devint conseiller personnel du souverain. Le prince Știrbei accède aussi au
    cercle intime de la reine Marie et les documents d’archive attestent qu’il
    était plus qu’un ami proche.


    Cătălin Strat est éditeur du
    volume « I love you, my Marie. Les lettres de Barbu Știrbei à la Reine
    Marie ».
    Il affirme que Știrbei, hormis toutes les rumeurs sur sa relation
    amoureuse avec la reine, a été un véritable pilier de l’Etat roumain :« Je crois
    qu’il était une sorte d’ange gardien de la dynastie de l’Etat roumain. Il a été
    accusé de malversations d’un côté et de l’autre a réussit à mettre les
    souverains à l’abri d’attaques. C’était un personnage très intéressant qui savait
    cultiver des relations très utiles pour la politique roumaine, pour les
    intérêts de la Roumanie. Véritable éminence grise de la Roumanie durant les
    années difficiles de la Grande Guerre, il a mis au point les grands projets du
    pays de l’époque de la guerre et après 1918 il a constitué une excellente
    équipe aux côtés de Ionel Bratianu qui était aussi son beau-frère. »


    L’artisan de la réforme agraire





    Prince de naissance, Știrbei se rendait parfaitement
    compte de sa position et des temps qu’il vivait. Durant la première guerre
    mondiale, aux côtés d’Ion I. C. Brătianu, probablement l’homme politique le
    plus important, il allait deviner le sens de l’histoire et principalement
    l’ouverture de l’accès à la vie politique de la paysannerie. C’est lui qui mis
    sur pied une nouvelle réforme agraire qui lui sera d’ailleurs très défavorable et
    que le roi Ferdinand présentera aux soldats roumains qui combattaient dans les
    tranchées durant la Grande Guerre. Cătălin Strat. « C’était un homme
    intelligent et il savait qu’il ne pouvait pas s’opposer au sens de l’histoire.
    Malgré le fait qu’il était conservateur non pas par engagement politique, même
    si jeune il avait été député représentant des conservateurs, mais par opinion
    personnelle, il avait des idées démocrates sur l’agriculture, sur l’industrie
    et sur les finances. Il savait qu’une immobilité du modèle social-politique et
    économique ancien n’était pas bénéfique au pays. Par conséquent, il a accepté
    ce sacrifice que lui et ceux de sa classe sociale avait fait de renoncer à ses
    grandes propriétés foncières pour les partager aux combattants de la première
    guerre mondiale. Ce fut une décision que tout le monde a apprécié. On dit que
    le discours prononcé à Răcăciuni par le roi Ferdinand, mais écrit par Barbu
    Știrbei et par Ionel Brătianu, a donné un élan supplémentaire aux troupes
    roumaines sur le font de Moldavie. »







    Les textes de vulgarisation de l’histoire ont mis en
    emphase la relation amoureuse entre Știrbei et la reine Marie.





    « La princesse Marie s’est retrouvée à
    l’âge de 17 ans envoyée dans un Etat qui venait de sortir d’un Univers oriental
    et qui essayait de se frayer un chemin européen, de se moderniser rapidement.
    Elle fut confiée à un prince qui n’était pas nécessairement très beau et dont
    la personnalité n’était pas très affirmée non plus. Elle s’ennuyait et étant
    donné qu’elle était très jeune, elle a commencé à regarder ailleurs. Il parait
    que la relation avec Barbu Știrbei a été la plus importante de toutes les
    relations qu’elle a eues. La société roumaine a toléré les relations extra
    conjugales de la reine et a aussi toléré celle avec Barbu Știrbei. Personne n’a
    eu aucune objection ou n’a dit ouvertement que les deux avaient eu une relation
    amoureuse. Ce ne furent que des insinuations, des allusions et des mentions
    dans les journaux personnels et notamment dans les journaux des dames
    d’honneur, qui n’étaient pas du tout discrètes ou bien dans les notes des
    serviteurs à la Cour qui étaient de vraies commères. »





    Le volume « I love you, my Marie » contient une
    partie de la correspondance entre deux amoureux des hautes sphères du pouvoir
    de Bucarest et remet un nom important de la politique roumaine à la place qu’il
    mérite. (Trad : Alex Diaconescu)

  • Le médecin Iuliu Barasch

    Le médecin Iuliu Barasch

    Le médecin Iuliu Barasch est
    un de ces étrangers venus dans les Principautés roumaines pour aider les
    efforts locaux de modernisation desdites entités étatiques. Né en 1815 dans une
    famille juive de la ville de Brodi, dans l’ancienne province de Galicie,
    austro-hongroise à l’époque et ukrainienne de nos jours, Barasch a fait des
    études de médecine à Berlin et Leipzig. Mais il a choisi de pratiquer sa
    profession dans l’espace roumain, où il s’est aussi fait remarquer par d’autres
    activités : il a soutenu l’apparition des institutions de médecine
    modernes, il a vulgarisé les sciences à travers le journalisme, il a imprimé
    des manuels, tout en étant enseignant, il a ouvert un dispensaire, plus tard
    transformé en hôpital pour enfants, fondant ainsi la pédiatrie en Roumanie,
    enfin il a soutenu la communauté juive locale. Il a aussi été médecin de
    quarantaine dans le port de Călărași sur le Danube entre 1843 et 1847, et dans
    le département de Dolj de 1847 à 1851.

    Malgré toute son activité et ses
    réussites professionnelles et sociales, Iuliu Barasch est peu connu du grand
    public et même des scientifiques. Cependant, ses ouvrages commencent à être
    traduits en roumain et publiés, puisque écrits pour la plupart en allemand. L’historien
    Ștefan Petrescu dresse un aperçu de la carrière du médecin Iuliu Barasch: Que savons-nous sur Barasch? Eh bien, c’était quelqu’un de polyvalent,
    un homme intéressé par la médecine, mais aussi par de nombreux autres domaines.
    Il était un encyclopédiste, qui aurait pu suivre n’importe quelle carrière. Ses
    parents auraient voulu qu’il soit rabbin, mais ce n’était pas son rêve. Ils
    l’ont aussi voulu commerçant et l’ont même envoyé en Moldavie pour s’y faire la
    main, mais cela n’a rien donné. Alors, ils l’ont envoyé faire des études et là,
    il a trouvé sa voie. Pour cela, il a choisi l’espace allemand ; après la
    période des études, Iuliu Barasch est rentré à la maison, faisant preuve de persévérance
    dans sa carrière. Mais il a également écrit, il a été un homme de lettres et de
    livres, non pas seulement un médecin. Il a été quelqu’un d’impliqué dans la vie de la cité,
    intéressé par le sort des Juifs à une époque où tout le monde parle de leur
    émancipation dans les Principautés roumaines. Et Barasch se trouve à la tête de
    ce mouvement, à un moment historique parfait : la révolution de 1848, et
    ensuite l’Union de 1859. C’est le règne de Cuza, un moment propice pour les
    Juifs, et Barasch est présent, mais il ne vit pas longtemps. Il s’éteint à
    l’âge de 40 ans, après des années de travail intense. Il a été médecin et
    enseignant dans des écoles publiques, ce qui était exceptionnel pour un Juif.
    Il a enseigné au lycée Saint Sava de Bucarest.



    Iuliu Barasch a fait tout cela en
    relativement peu de temps, car il est mort en mars 1863, à seulement 47 ans. À
    l’époque, pour se moderniser, la société roumaine avait besoin de gens comme
    lui et il le savait, s’étant mis au service notamment de la Valachie, dans ses
    efforts de rattraper les écarts par rapport à l’Occident européen. Il a
    d’ailleurs parlé très positivement de la principauté en tant que correspondant
    local d’un journal de langue allemande. De l’avis de l’historien de la médecine
    Octavian Buda, bien que très tard, Iuliu Barasch a fait entrer dans les
    principautés roumaines un esprit apparenté aux Lumières, qui y manquait: Dans la presse de vulgarisation, il a publié la série
    « Natura » – une référence, en matière d’histoire et de vulgarisation
    de la science, et une publication en synchronie avec ce qu’il y avait dans
    l’espace occidental à l’époque. Iuliu Barasch fait aussi des efforts louables
    d’écrire en roumain, il est très
    attentif aux achats d’équipement médical et de traitements modernes, étant
    visiblement l’un des premiers à se rendre compte de la réalité déconcertante du
    choléra. Il a soupçonné une transmission différente de celle par contact direct.
    Deux théories s’opposaient à ce sujet. La première privilégiait le mécanisme de
    transmission par un contact direct entre un malade et un individu sain. La
    seconde théorie s’appuyait sur l’idée d’un air fétide, qui produit une
    infection et qu’il faut fuir par tous les moyens. Barasch réussit donc à
    analyser ces éléments, sans chercher à disqualifier d’emblée certaines
    pratiques populaires comme étant aberrantes, irrationnelles et primitives, ce
    qui me semble une démarche typique d’un illuministe non-radical. Il considère
    qu’il existe une expérience collective que l’on peut utiliser, mais pour
    construire tout-de-même un discours médical rationnel, de cause à effet, et qui
    cherche à structurer une politique sanitaire qui se traduit par prévention et
    éducation. Chose absolument remarquable. Iuliu Barasch appartient à cet esprit des
    Lumières juif, dont le chef-de-file est Moses Mendelssohn en Occident. Il
    arrive par une filière kantienne, puisqu’il va à Leipzig afin d’assister aux
    cours d’un successeur d’Immanuel Kant à Königsberg. Voilà, donc, la filière
    intellectuelle de Barasch ; ensuite, il rencontre à Berlin les coryphées
    de la médecine. Un de ses camarades d’études universitaires est considéré comme
    le fondateur de la pathologie moderne, grand nom de l’anthropologie
    internationale de la fin du XIXe siècle. (…) Il est pourtant venu en Roumanie
    et nous pouvons nous poser la question d’une condition professionnelle ratée.
    Encore une fois, la réponse à cette question n’est pas facile, car sa dissertation
    de licence est un remarquable travail de systématisation de la dermatologie
    moderne, un des premiers travaux de ce genre. Iuliu Barasch aurait pu rester
    dans l’espace occidental, engagé dans cette science en train de se structurer
    qu’était la dermatologie à l’époque et aujourd’hui son nom serait mentionné
    dans tous les ouvrages classiques d’histoire de la
    dermatologie.

    La maison d’édition Corint a récemment commencé à décrypter l’époque et la biographie de Iuliu Barasch, publiant la traduction en roumain d’une partie de ses articles écrits en allemand dans un volume intitulé Iuliu Barasch. Médecine pionnière en Valachie/Medicina de pionierat in Tara romaneasca. (Trad. Ileana Taroi)