Category: L’Encyclopédie de RRI

  • Les architectes Cerchez

    Les architectes Cerchez

    Des architectes de renom 

     

    Le nom Cerchez est très présent dans l’histoire de l’architecture roumaine. Il appartient à trois familles d’origine arménienne qui ont donné pas moins de cinq architectes importants: les frères Grigore P. Cerchez et Nicolae P. Cerchez, les frères Grigore G. Cerchez et Artaxerxe Cerchez et enfin Hristea Cerchez.

     

     

    L’architecte Ileana Tureanu, professeure des universités à l’Université d’architecture et d’urbanisme « Ion Mincu » de Bucarest et présidente de l’Union des architectes de Roumanie, a parlé des deux paires de frères:

    « Les frères Grigore et Nicolae Cerchez sont nés au milieu du XIXème siècle, en 1850. Ils ont étudié en France, à Paris, et ils ont fondé la Société des architectes roumains en 1891. Autrement dit, ils font partie des fondateurs de l’architecture nationale. Grigore P. Cerchez a été l’ingénieur en chef de la Mairie de la capitale entre 1874 et 1879. Il est l’auteur des projets et des actions de régularisation de la rivière Dâmbovița à Bucarest intra muros. Il est aussi l’auteur du premier projet de systématisation de la ville en 1883. De retour de ses études universitaires, il a jeté les bases d’un développement scientifique et systématique de la ville. Grigore P. Cerchez est devenu directeur de la Poste, une fonction qui lui a permis de faire venir des architectes spécialisés, tels que le Français Alexandre Clavel. Il a fait appel à des collègues et des amis plus jeunes pour construire des sièges de la Poste roumaine dans toutes les villes importantes du pays. Ce sont des projets – type, adaptés au contexte urbain. Pour la seconde moitié du XIXème siècle, c’était une vision urbaine. »

     

    La modernisation de Bucarest

     

    La première génération des frères Cerchez s’est impliquée à fond dans la modernisation de Bucarest et dans sa transformation d’une ville essentiellement orientale en une autre, proche des normes européennes.

     

    Ileana Tureanu : « Dans le domaine de la restauration des monuments, Grigore Cerchez a fondé la doctrine scientifique roumaine. « J’ai toujours observé, disait-il, le principe de conservation d’un bâtiment par la consolidation et la restauration, pour ramener le bâtiment en question à son état initial, en éliminant toutes les parties ajoutées sans connaissance du métier. » Dans un contexte où André Lecomte du Noüy privilégiait des principes nettement différents concernant les monuments historiques, Grigore Cerchez a jeté les bases de la restauration des constructions. Son frère cadet, Nicolae P. Cerchez, né lui-aussi en Moldavie, dans le département de Vaslui, était également une personnalité importante de l’époque. Nicolae a préféré l’action politique et sociale. Il a été élu député, puis sénateur, et il a pu aider son frère à mettre en œuvre les projets et programmes déjà mentionnés. Au début du XXème siècle, il a occupé le fauteuil de vice-président de l’Automobile Club Roumain, il a été intéressé par les espaces publics et par l’entrepreneuriat. Il a dessiné les aménagements extérieurs du Palais royal, l’Ecole de Médecine vétérinaire et le Pavillon de l’Agriculture à l’exposition de 1906, une construction qui lui a valu un prix. »

     

    Une architecture moderne et très puissante

     

    La seconde paire de frères Cerchez n’a pas été en reste en matière de modernisation. Un autre Grigore et son frère Artaxerxés ont marqué l’histoire, raconte Ileana Tureanu :

    « La deuxième famille s’appelait aussi Cerchez. Nous n’avons pas d’informations sur une éventuelle relation de parenté avec la première, mais il se peut qu’une telle relation ait existé. Vingt ans après le premier, un autre Grigore Cerchez fait son apparition : Grigore G. Cerchez et son frère Arta Cerchez. A la différence des deux premiers, qui avaient étudié en France, ceux-ci font des études en Allemagne, à Karlsruhe. Les deux, mais surtout Grigore G. Cerchez, se sont illustrés dans le dessin et dans l’exécution de travaux de construction, mais ils se sont aussi impliqués dans la vie de la ville, ils ont occupé des fonctions publiques à la mairie et ils ont participé à toutes les initiatives majeures visant le développement de la ville, y compris l’organisation de l’exposition de 1906, au Parc Carol. Le frère de Grigore, Arta (Artaxerxés) Cerchez, a produit une architecture moins empreinte du style néo-roumain. C’est lui qui a commencé le Casino d’Eforie et le Casino Movilă de Techirghiol, en proposant une architecture moderne et très puissante. Arta Cerchez a été distingué du Mérite sanitaire, première classe, pour les bâtiments réalisés dans la station Carmen Sylva (actuelle Eforie Sud), sur la côte roumaine de la mer Noire. Il a d’ailleurs été une sorte d’initiateur des stations balnéaires. Et c’est toujours lui qui est à l’origine de l’étude consacrée à l’histoire de l’architecture roumaine. Il était quelqu’un de très véhément ; ses articles incisifs, publiés dans la revue « Arhitectura », restent valables encore aujourd’hui. Arta Cerchez considérait que l’architecture roumaine était à la dérive, entre autres parce que son histoire était ignorée. Il a donc décidé de lancer un concours national pour que cette histoire soit écrite, le gagnant du concours allant être récompensé d’argent public. »

     

    Le cinquième Cerchez, Hristea ou Cristofi, a lui-aussi posé son empreinte sur Bucarest, la villa Minovici, érigée au nord de la ville, étant une construction représentative pour son œuvre. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • La famille Rațiu

    La famille Rațiu

    Une des plus anciennes et respectées familles nobiliaires de Transylvanie

     

    La famille Rațiu (Rațiu de Noșlac de la ville de Turda) est une des plus anciennes et respectées familles nobiliaires de Transylvanie, son histoire remontant au XIVème siècle. Originaire de la commune de Noșlac, dans l’actuel département d’Alba (centre de la Roumanie), la famille Rațiu est déjà mentionnée dans des documents officiels à l’époque de l’empereur Sigismond de Luxembourg (1368-1437). A travers le temps, la famille a reçu plusieurs titres de noblesse, la branche de Turda descendant de Ștefan Rácz de Nagylak (Noșlac), anobli par le prince de Transylvanie à Alba Iulia en 1625. En fin de compte, elle est restée la seule ancienne famille noble roumaine de Turda (ville aristocratique hongroise, au nord-est de la Roumanie actuelle), toutes les autres étant magyarisées et disparaissant graduellement de l’histoire. La famille a donné plusieurs personnalités importantes dans l’histoire des Roumains, tels que Basiliu Rațiu (prêtre grec-catholique) ou bien Ioan Rațiu (figure de proue de la révolution de 1848, avocat et homme politique, président du Parti national roumain et un des auteurs du document intitulé « Le Mémorandum de Transylvanie »). Le nom Rațiu est étroitement lié à la lutte pour les droits des Roumains de Transylvanie et pour la préservation de leur identité nationale face aux politiques d’assimilation.

     

    Ion Rațiu (1917-2000)

    L’histoire récente de la famille a été marquée par la personnalité d’Ion Rațiu (1917-2000). Né dans la ville de Turda, dans le département de Cluj, il s’est fait remarquer en tant qu’homme politique, avocat, diplomate, homme d’affaires, écrivain et journaliste, représentant du parti appelé national paysan (Țărănesc – PNȚ) à l’entre-deux-guerres et devenu au début des années 1990 le Parti national paysan chrétien-démocrate (PNȚCD). Entre 1940 et 1990, Ion Rațiu a vécu en Grande Bretagne, où il a fondé, avec son épouse Elisabeth, en 1979, la Fondation Rațiu (The Rațiu Family Charitable Foundation), pour promouvoir et soutenir des projets éducatifs et de recherche de la culture et de l’histoire de la Roumanie. La fondation a un programme annuel de bourses d’études.

     

    Après son retour en Roumanie en 1990, Ion Rațiu s’est directement impliqué dans la refondation du PNȚ, ultérieurement PNȚCD, aux côtés de Corneliu Coposu (1914-1995), autre figure politique importante de l’histoire de l’après-révolution anticommuniste de décembre 1989). Lors des élections de 1990, le candidat à la présidence de la Roumanie Ion Rațiu a obtenu près de 5% des suffrages, arrivant troisième à la fin du scrutin. Plus tard, il a remporté un mandat de député. En 1991, Ion Rațiu a fondait le journal Cotidianul – premier journal privé d’après 1989.

     

    Ion Rațiu, candidat à la fonction présidentielle juste après la chute du communisme

     

    Pamela Rațiu, descendente de la famille et présidente de la Fondation Rațiu, a parlé de l’héritage d’Ion Rațiu, notamment de sa candidature à la fonction présidentielle:

    «  Lorsque l’on rencontre des gens  qui ont consacré une grande partie de leur vie à faire des choses positives, pour leur pays ou pour leurs semblables, c’est un véritable honneur de les accompagner, de les écouter et d’essayer d’assimiler un maximum de leur expérience de vie. Je comprends bien pourquoi les gens ont été tellement impressionnés par lui et je crois que c’est quelque chose d’incroyable de voir dans les manifs des gens qui portent son portrait. Moi, je crois qu’il a été le plus grand, le meilleur président que la Roumanie n’a jamais eu et je crois aussi fortement que cela est devenu son héritage. Personnellement, je crois aussi que s’il avait réussi à être élu président, il aurait été empêché de réaliser tout ce qu’il aurait pu faire. Il aurait pu mettre en œuvre des changements en profondeur, mais il aurait été rendu impuissant, comme tant d’autres leaders, par ceux autour de lui. Donc, puisqu’il n’est pas devenu président, il s’est transformé en un modèle à suivre, il nous a légué un héritage positif, à la différence de ceux qui détenaient le pouvoir à cette époque-là. »

     

     

    La Fondation Rațiu a développé, par le biais du Forum Rațiu, un partenariat avec le London School of Economics IDEAS ThinkTank. Le Forum Rațiu, qui travaille sur des programmes pour la Roumanie et la région des Balkans, est une plateforme de débats libres sur la démocratie et ses défis dans la région des Balkans. Le Forum rassemble des académiciens, des praticiens et des citoyens roumains qui partagent des idées et des connaissances concernant la dissémination et le soutien des libertés démocratiques en Roumanie et dans les pays voisins.

     

    Des programmes d’éducation législative pour les jeunes 

     

    Le Centre pour la démocratie Rațiu / The Rațiu Democracy Center fait lui aussi partie de l’héritage culturelle d’Ion Rațiu. Son objectif est de promouvoir les valeurs de la démocratie parmi les jeunes par le biais d’initiatives ciblées sur les élèves et les étudiants.

    Il s’agit notamment de programmes d’éducation législative, qui encouragent les jeunes à comprendre et à exercer leurs droits et responsabilités civiques, explique Pamela Rațiu :

     

    « Ce que nous essayons de faire c’est de suivre le chemin ouvert par Ion Rațiu. Tout autour de la famille. Nos pas sont différents, en fonction de notre travail et de nos partenariats respectifs. Mais nous revenons aux valeurs de la famille et à la possibilité, à la chance que nous avons de faire venir cette expérience de toute l’Europe Centrale et Orientale et des Balkans en Roumanie. »

     

    Ion Rațiu a été une figure de proue de la démocratie sur la scène politique roumaine d’après décembre 1989. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Axiopolis

    Axiopolis

    La Dobroudja est considérée comme la plus dense et la plus variée des provinces de la Roumanie du point de vue des civilisations qui l’ont habitée. La superficie de 15.570 km carrés de la Dobroudja roumaine est riche de nombreux sites archéologiques et les artéfacts découverts sont des preuves d’une superposition de cultures. A travers les époques, la Dobroudja a fait partie de l’espace de la mer Noire et de l’espace du monde gréco-romain, dont Axiopolis a été l’un des centres les plus importants.

    Sur la rive droite du Danube, à proximité de la ville actuelle de Cernavodă, l’on peut voir les ruines d’une agglomération humaine que les textes antiques mentionnent sous le nom d’Axiopolis. L’existence de ce centre urbain s’étend sur plusieurs centaines d’années, depuis l’époque hellénistique, entre les IVème et Ier siècle avant J. Ch., jusqu’à environ le VIème siècle de notre ère. Son nom est composé de l’ancien mot indoeuropéen « axsaena », désignant la couleur « noir » ou une couleur « foncée », et le mot grec « polis », qui signifie « ville ». Le nom de la ville de Cernavodă  « Apa neagră/De l’eau noire » est la traduction du toponyme, faite par les tribus slaves à leur arrivée en Dobroudja à la fin du VI siècle après J. Ch.

     

    Manque de recherche et de fouille

     

    Avant le début des années 2000, les recherches ont été rares sur le site d’Axiopolis et la documentation historique était inconsistante. L’archéologue Ioan Carol Opriș, qui enseigne à l’Université Bucarest et qui a réalisé les plus récentes fouilles à Axiopolis, nous a donné davantage de détails concernant le site.

    « Le site se trouve en haut d’une colline, dans les environs de l’îlot Hinogului, un îlot qui s’est agrandi au fur et à mesure que le bras du Danube a diminué. En 1900, avec ses 300 mètres de largeur, le bras était encore navigable, comme il l’était à l’antiquité. Il se trouve à environ trois kilomètres du pylône du pont Carol I, après avoir surmonté un récif du Crétacique, un grand massif de calcaire. C’est là que se trouvaient à un moment donné les carrières où se fournissaient en pierre les ouvriers bâtisseurs de la forteresse romaines et ensuite ceux qui ont érigé la forteresse byzantine d’Axiopolis. »

     

    Un intérêt croissant pour le site dans l’entre-deux-guerres

     

    C’est l’archéologue Pamfil Polonic qui a réalisé les premières fouilles sur place entre 1898-1899. Il a pris des photos du site, il a tout mesuré et dessiné avec beaucoup de rigueur, tout en étant un très bon topographe. Les fouilles sont arrêtées après 1900, pourtant des fouilles illégales sont mentionnées en 1907 et 1912 dans les revues de numismatique de l’époque. Juste avant le déclenchement de la première guerre mondiale, le site passe sous la juridiction de l’armée qui y construit une caserne. A l’entre-deux-guerres, Axiopolis fait l’objet de fouilles menées par Vasile Pârvan, l’un des archéologues roumains les plus connus. Selon lui, le centre avait été fondé au IVème siècle av. J. Ch. par le roi Lysimachos de la Macédoine hellénistique, général et héritier d’Alexandre le Grand. Axiopolis s’est de nouveau attiré l’attention des archéologues roumains après la deuxième guerre mondiale. En 1947, l’archéologue Ion Barnea découvrait une inscription qui mentionnait le martyr de chrétiens en Dobroudja. En 2007, une nouvelle découverte replaçait Axiopolis sur la carte des sites archéologiques, à Baltchik, l’antique Dionysopolis, des travaux de construction d’un hôtel ayant mis au jour une nouvelle inscription. Celle-ci fait état de la présence d’un leader militaire appelé Mokaporis, roi des Odryses, au passage du Ier siècle av. J. Ch. au Ier siècle après J. Ch. Ioan Carol Opriș explique

     

    « Nous savons beaucoup plus sur Axiopolis, qui a dû sans aucun doute être un emporion (hub de marchandises) à l’époque hellénistique et qui a su profiter de son exceptionnelle position géographique sur les rives du Danube. Il avait également une sortie sur la vallée de Carasu, semée de lacs. Ou peut-être qu’à l’antiquité il y avait une communication directe, à hauteur de l’actuelle ville de Medgidia, jusqu’à l’endroit où la rivière antique d’Axios se jetait dans le Danube. »

     

    Trois forteresses découvertes au lieu d’une

     

    La zone qui a cependant éveillé le plus grand intérêt parmi les archéologues a été celle de la forteresse d’Axiopolis. En réalité, il s’agit de trois forteresses, dont la plus ancienne avait été construite à l’époque romaine, ajoute Ioan Carol Opriș.

     

    « Ce qui est important sur ce site c’est la zone centrale, celle de la vieille forteresse A, selon la classification des forteresses. Il y a donc celle-là, avec un ajout réalisé également à l’époque romaine tardive ou romano-byzantine, et une forteresse derrière la A, vers la zone haute qui est celle de la forteresse médio-byzantine. »

     

    Les fouilles ont montré qu’Axiopolis avait été un centre important dans le bassin du Bas Danube au cours de la première moitié du premier millénaire chrétien. La présence de la poterie de type Rhodos indique la présence de relations commerciales avec le voisinage. A l’époque romaine, la période de son développement maximal, Axiopolis est le centre important d’un collège des navigateurs danubiens, les « nautae universi Danuvii ». La ville accueillait aussi la II-ème légion Herculia et puis, au IVème siècle, Axiopolis est élevée au rang d’évêché. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • “Agora Kiseleff” pour protéger le patrimoine paysager

    “Agora Kiseleff” pour protéger le patrimoine paysager

    Le parc Kiseleff – le premier jardin public de Bucarest

     

    Le Parc Kiseleff de Bucarest est devenu un modèle de bonnes pratiques en matière de gestion des parcs et des jardins historiques. A la fin du mois d’août, il a accueilli plusieurs événements interdisciplinaires grâce au projet « Agora Kiseleff ». Aménagé en 1832, le Parc Kiseleff a été le premier jardin public de Bucarest dont la composition s’était appuyée sur la forêt qui occupait cette zone de la capitale roumaine. L’avenue homonyme (Şoseaua Kiseleff), qui traverse le parc, fut construite la même année. La conception du parc est due à l’architecte paysagiste Wilhelm Mayer, celui qui avait aussi imaginé le Parc Cișmigiu, du centre-ville de la capitale. De nos jours, le Parc Kiseleff occupe 31.690 m², décorés de nombreuses statues de personnalités culturelles nationales et internationales, qui se sont ajoutées aux éléments naturels pour embellir les lieux. Le parc fait partie des monuments classés de Bucarest.

     

    Faire l’inventaire du parc Kiseleff

     

    Le projet « Agora Kiseleff » repose sur les résultats issus du projet plus large intitulé « Le Registre Vert pour le Parc Kiseleff. Le Registre Vert pour la Roumanie »,  qui a inclus des ateliers interactifs de restauration des jardins historiques et de gestions des arbres et des arbustes.

     

    C’est un projet – test pour une bonne gestion future des espaces verts, coordonné par l’architecte paysagiste Diana Culescu :

    « En fait, « Agora Kiseleff » fait partie de deux projets, dont l’un s’appelle « Le Registre Vert pour le Parc Kiseleff. Le Registre Vert pour la Roumanie », son but étant de mettre au point un modèle à suivre pour que la Roumanie réalise ce qu’elle aurait dû faire, selon les textes législatifs, depuis 2007, mais qu’elle n’a pas fait jusqu’à présent. Ce projet s’est également joint à un autre culturel, qui a apporté l’idée de l’« Agora Kiseleff ». Pratiquement, nous avons réuni des étudiants spécialisés et des fonctionnaires de l’administration publique pour produire cet instrument dans le contexte de la Roumanie. Un instrument qui existe à l’étranger, mais que nous devons adapter à notre contexte spécifique. Nous avons eu plusieurs actions qui nous ont permis de dresser un inventaire du Parc Kiseleff et d’analyser tous les éléments. Le plus souvent, nous faisons l’erreur de croire que le registre vert concerne uniquement les arbres, mais en réalité il s’agit aussi des bancs publics, des arbustes et ainsi de suite ; il nous sert de guide pour adapter l’application et la rendre utile pour nous. Nous avons bénéficié de l’aide de trois spécialistes en protection du patrimoine de France, des Etats-Unis et de Hongrie. »

     

    Un projet qui sera élargi

     

    Ce projet sera-t-il appliqué à d’autres parcs de Bucarest et d’autres villes du pays? La réponse de Diana Culescu est affirmative :

    « C’était justement l’idée de départ d’« Agora Kiseleff », à savoir rassembler des gens de différents bords, et des échanges sont en cours avec des participants à notre école d’été pour développer quelque chose de similaire dans les villes d’Aiud et de Călărași. Ma réponse est donc oui, c’est effectivement notre but de multiplier ces idées de projets originaux. Ce nom, « Le Registre Vert pour Kiseleff. Le Registre Vert pour la Roumanie », dit clairement que nous voulons disséminer cet instrument à travers le pays, un outil de travail qui est, comme je l’ai déjà dit, demandé par loi. »

     

    Protéger le patrimoine paysager

     

    Alexandru Mexi, paysagiste à l’Institut National du Patrimoine, s’est impliqué dans le projet « Agora Kiseleff »:

    « J’ai été doublement impliqué dans ce projet, de la part des organisateurs et de la part de l’Institut National du Patrimoine. Ce projet est très important car il nous aide à définir de nouvelles directions pour la protection du patrimoine paysager. Le registre vert est pratiquement une banque de données très importantes pour comprendre la dynamique d’un parc : quels sont ses problèmes et ses besoins? Comment résoudre les problèmes dépistés? Cet outil de travail, bien que prévu par une loi adoptée en 2008, n’a été que très peu utilisé et souvent de façon discontinue. »

     

    Des lois difficile à appliquer

     

    Le paysagiste Alexandu Mexi nous a aussi fait part de son opinion concernant les lois régissant les espaces verts et le patrimoine de Roumanie :

    « Je crois que la législation concernant la protection des espaces verts est plus difficile à appliquer. Le texte de la loi est bien fait, mais il existe des problèmes de compréhension et des instruments à mettre en œuvre, qui ont avant tout besoin d’être bien conçus et financés. Je pense que les problèmes sont assez souvent liés à la façon de mettre en page les cahiers des charges pour élaborer les registres verts. Pour ce qui est de la législation du patrimoine, la loi de la protection des monuments classés, les choses se passent un peu mieux, même si ce n’est pas extraordinaire, loin de là. Comme je l’ai dit, le registre vert est un instrument, un outil qui nous aide à mieux comprendre, plus en profondeur, les biens de patrimoine et il vient compléter les registres nationaux des biens culturels immeubles. » (Trad. Ileana Ţăroi)

     

  • La rue Brezoianu, à Bucarest

    La rue Brezoianu, à Bucarest

    La rue Brezoianu est une des artères urbaines les plus anciennes et les plus importantes de Bucarest. Avec un bout au centre-ville historique de la capitale roumaine, elle croise le premier boulevard de la ville – l’actuel boulevard Elisabeta, longe le parc Cișmigiu et se déroule parallèlement à Calea Victoriei – l’avenue de la Victoire, tout en étant l’une des rues les mieux conservées du point de vue historique et architectural. Son histoire commence au XVIIIème siècle – lorsque, en 1703, le boyard Pătrașcu Brezoianu se voit offrir par le prince Constantin Brâncoveanu un terrain pour y construire des maisons. La modernisation de la zone débute au milieu du XIXème siècle, avec l’assainissement d’un marais et l’aménagement du jardin public ou parc Cișmigiu. Pourtant, le boyard fondateur a été oublié par la mémoire des lieux, son nom étant pris pour celui d’un acteur, Iancu Brezeanu, explique Oana Marinache, historienne de l’art.

     

    « C’est une des erreurs les plus rencontrées dans le registre officiel des rues. Les souvenirs de plusieurs personnalités se sont probablement superposés et ont créé ce rapprochement erroné. Il s’agit d’abord d’un acteur, Ion (Iancu) Brezeanu, et d’une autre personnalité de notre culture, un enseignant et réformateur du système d’enseignement, qui s’appelait Ion Brezoianu. Et pour que l’histoire ne soit pas trop simple, je rappellerais le vrai personnage du début, le boyard, Pătrașcu Brezoianu, qui a reconstruit au début du XVIIIème siècle l’église qui portera son nom. Donc, si les l’acteur et le réformateur ne possédaient pas nécessairement de maison dans cette zone, celui qui aurait effectivement dû donner son nom à cette rue est le boyard Pătrașcu Brezoianu. Il a fait reconstruire le lieu de culte à proximité de l’actuel bâtiment de la Sala Palatului (la Salle du Palais), mais la systématisation et les bombardements subis par cette zone vers la fin de la deuxième guerre mondiale ont entraîné la destruction de l’église. En règle générale, ces anciennes mahalale (faubourgs) de la partie centrale de notre ville se constituaient sur des terrains en location sur contrat à très long terme, à proximité d’un lieu de culte. Nous savons qu’une église en bois y avait existé, mais qu’elle avait disparu dans la tourmente des temps incertains des XVIIème et XVIIIème siècle, pour être reconstruite en pierre en 1710. Cette église a résisté debout jusque vers 1959, donc à l’époque communiste, mais il est certain que le grand tremblement de terre de 1940 et les bombardements de 1944 l’avaient fortement touchée, la laissant dans un très mauvais état.

     

    Une rue emblématique du laboratoire architectural que fut Bucarest    

     

    A la différence du lieu de culte autour duquel la mahala s’était constituée, de nombreux bâtiments classés ont survécu jusqu’à nos jours dans la rue Brezoianu. C’est le cas du Palais Vama Poștei (la Douane de la Poste), imaginé par l’architecte Statie Ciortan et sis dans la rue Lipscani, à l’endroit précis où s’ouvre la rue Brezoianu. Ou encore le Palais Universul, siège du quotidien homonyme de l’entre-deux-guerres, dessiné par l’architecte Paul Smărăndescu, qui se dresse au croisement avec une autre rue, jadis occupée par des rédactions de journaux. Ces bâtiments et d’autres aussi y ont survécu, en dépit de l’infrastructure problématique des lieux, souligne Oana Marinache.

     

    « Puisque c’est une rue plutôt longue et parallèle avec Podul Mogoșoaiei ou l’actuelle Calea Victoriei, habitée par de nombreuses grandes personnalités issues de familles de boyards et bordée de monuments architecturaux du milieu du XIXème siècle, la rue Brezoianu a toujours bénéficié de l’attention de autorités locales, prêtes à moderniser, à refaire, à paver et aligner les lieux. À différentes époques, la rue commençait au croisement avec la rue Lipscani (dans le vieux centre) et débouchait sur l’artère qui porte le nom du prince Știrbei Vodă. La zone avait aussi un problème lié au jardin public de Cișmigiu et à l’ancien marais, c’était le problème récurrent des inondations, des mauvaises odeurs, des refoulements dans les sous-sols des immeubles. Il existe des lettres d’époques envoyées aux autorités par les habitants aisés de la zone, menés par le peintre Tătărăscu, dont la maison avoisinait la rue Brezoianu. Sa voix était importante dans la communauté locale et elle se faisait constamment entendre demander aux autorités de trouver une solution pour éliminer le dénivelé de la rue et les inondations, qui s’accompagnaient de mauvaises odeurs et de maladies.

    De nos jours, ces problèmes n’existent plus et les traces du passé sont bien conservées dans la rue Brezoianu, tout près du Cercle Militaire National, de la chocolaterie Capșa et de l’ancien Palais Royal et actuel Musée National d’Art. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Les « mahalas / faubourgs » Flămânda et Sfânta Ecaterina

    Les « mahalas / faubourgs » Flămânda et Sfânta Ecaterina

    Bien qu’avoisinant la Place Unirii, soumise à des démolitions d’immeubles et à des transformations radicales sous le régime communiste, la zone située derrière la colline de la Métropolie, à l’Est de Bucarest, a préservé son aspect historique, classique, et même celui d’origine. Or, justement, l’origine de deux de ces quartiers est liée au passé de la métropolie ou du patriarcat orthodoxe d’aujourd’hui.

     

    Le quartier de la métropolie

     

    Ana Rubeli, chercheuse et autrice du livre « Mahalale de patrimoniu / Des mahalas de patrimoine. Sfânta Ecaterina et Flămânda », esquisse l’histoire des lieux : « Si nous nous plaçons géographiquement dans le périmètre de la métropolie, à la base de la colline se trouve l’église Sfânta Ecaterina (Sainte Catherine), qui a jadis été un monastère et dont les données historiques remontent à l’année 1650, environ. C’est l’église qui a donc donné son nom au faubourg (la mahala), puisque l’histoire nous dit que les mahalale prenaient le nom soit de l’église ou du monastère autour desquels elles se coagulaient soit des familles de boyards auxquelles elles étaient liées. Mais le faubourg Sfânta Ecaterina s’est pratiquement formé sur la base de contrats d’emphytéose, le droit de jouir d’un bien-fonds d’autrui du fait d’un bail de longue durée entre l’église et les gens. L’église a donc décidé de donner des parcelles de terrain aux gens de sa proximité. Le monastère s’assurait ainsi des revenus, et les gens avaient un lieu pour vivre. L’emphytéose ressemblait à un contrat de location, d’habitude sur 99 ans, qui pourrait rester en famille ou être vendu. »  

     

    L’architecture des immeubles parle du statut social des habitants.

     

            Le tissage humain de la mahala a changé à travers le temps, avec même une évolution socio-économique d’une génération à une autre. Si, au début, les habitants en étaient des petits commerçants, avec le temps leurs familles ont fini par comprendre des architectes, des musiciens, des avocats ou des médecins. L’architecture des immeubles parle également du statut social des habitants. Mais quel était la maison-type de la mahala Sfânta Ecaterina, un modèle que l’on peut trouver encore aujourd’hui ? Ana Rubeli répond à cette question. : « En général, c’est le type de maison-wagon, légèrement étroite vers la rue et qui se développe pour ainsi dire sur la profondeur de la parcelle. L’agrandissement et l’évolution financière de la famille entraînent l’apparition de nouvelles ailes ajoutées à l’immeuble principal qui donne sur la rue. Ce sont des maisons avec un rez-de-chaussée surélevé, dont les ornements attestent le statut financier de la personne qui avait décidé de les bâtir. Certains immeubles ont été dessinés par des architectes connus, ils ont des éléments distinctifs tels que des mascarons ou des visages protecteurs aux fenêtres. Ce sont ces esprits qui protègeraient  l’intimité de la maison. D’autres maisons ont des marquises vitrées, sont enveloppées dans de la vigne ou du chèvrefeuille, des éléments de végétation typiques de la mahala et du sol, puisque nous sommes ici au pied de la colline de la Métropolie, appelée jadis la colline des Vignes, mais aussi près de la rivière Dâmbovița, dans une zone inondable donc très fertile. »

     

    Bâtiments de patrimoine

     

            Dans cette zone verte et pittoresque, on trouve toujours des bâtiments de patrimoine créés par des architectes tels que Paul Smărăndescu, Ștefan Ciocârlan, Gheorghe Simotta, Arghir Culina. Dans la proximité immédiate de la mahala Sfânta Ecaterina il y avait Flămânda, une des zones les plus pauvres de la capitale avant 1900, et dont les habitants étaient pour la plupart des tailleurs, des cordonniers, des fabricants et vendeurs de savon ou des ferblantiers. Cette mahala s’est elle aussi coagulée autour d’une église, raconte Ana Rubeli : « En fait, ce fut un projet de la métropolie, puisque nous sommes ici à la limite entre son périmètre et celui du monastère Sfânta Ecaterina, plus à l’Est. L’idée était de convaincre les estropiés et les pauvres d’aller mendier près d’un ermitage en bois, qui a fini par être connu sous le nom de « Flămânda/Crève-la-faim » ou « Săraca/L’Indigente » et mentionné ainsi dans les documents d’époque. L’ermitage a pratiquement repris la charge émotionnelle de la métropolie et la communauté formée autour de lui a bien évolué dans le temps, mais elle a gardé son nom du commencement, bien qu’elle ne fût plus ni pauvre ni affamée. »

     

    Les deux quartiers aujourd’hui

     

    De nos jours, un petit nombre de propriétaires des maisons pavillonnaires de Sfânta Ecaterina et de Flămânda connaissent l’histoire de leurs quartiers respectifs, car peu de descendants des familles locales y habitent encore. Le changement démographique a eu lieu pendant le communisme, qui a nationalisé les immeubles et les a remplis de locataires. Après 1990, ces immeubles sont redevenus des propriétés privées, mais tous ne sont pas habités par les familles d’origine. Les propriétaires actuels peuvent néanmoins apprendre l’histoire des lieux en lisant le livre d’Ana Rubeli « Les mahalas» Flămânda et Sfânta Ecaterina », sorti aux Editions Vremea. (Trad. Ileana Ţăroi)

     

  • Bains publics, bains privés et stations balnéaires en Roumanie

    Bains publics, bains privés et stations balnéaires en Roumanie

    Depuis les temps les plus reculés de l’histoire, les bains publics ont constitué des lieux complexes, où se mélangeaient l’hygiène, le divertissement et la socialisation, des lieux aussi où de nombreux tabous sociaux étaient ignorés, voire même acceptés. Ce fut également le cas dans l’espace roumain, où les bains publics et privés avaient comme source d’inspiration le modèle oriental, notamment turc vu l’influence ottomane qui s’était développée dans les principautés de Moldavie et de Valachie à partir du XVIIIème siècle.

     

    Les origines des premiers bains publics

     

    L’historien Tudor Dinu s’est intéressé à la présence des bains d’inspiration turque et des villes ou stations d’eaux dans cet espace roumain pendant la seconde moitié du XIXème siècle. Il a ainsi pu apprendre le fait que le « hammam » turc n’avait pas été la première source d’inspiration pour ces établissements.

    « Les premiers bains publics nous les devons, comme pas mal d’autres choses aussi, à l’antiquité grecque. Le concept a été ensuite développé par les Romains, qui avaient créé une véritable culture du bien-être du corps. Leurs thermes étaient en fait des ensembles complexes qui offraient non seulement une parfaite propreté physique, mais aussi plusieurs niveaux de divertissement et de détente, d’entertainment, comme on dit aujourd’hui. Plus tard, la filière byzantine a transféré les bains au monde musulman, qui leur a assigné une dimension de valeur quasi religieuse. C’est pourquoi il fallait que j’étudie l’Orient, car nos bains ont été largement détruits à partir de l’année 1821, quand a commencé la bénéfique occidentalisation des principautés roumaines. »

     

    Leur appropriation par les Roumains

     

    Certes, les « hammams », tombés dans l’oubli à cause de la modernisation de la Moldavie et de la Valachie, n’étaient pas à la hauteur de ceux d’Istanbul ; ils ont néanmoins été importants pour la civilisation locale et les Roumains y ont apposé leur empreinte, considère l’historien Tudor Dinu.

     « Les bains de type turc sont apparus très tôt dans les principautés roumaines. A Bucarest, par exemple, un bain public de type « hammam » est déjà attesté au XVIème siècle, grâce au prince Alexandru II Mircea, dit Mouton avorté (Oaie seacă), qui avait vécu plusieurs années d’exil en Orient, notamment dans la Syrie d’aujourd’hui. Les Canctacuzène ont eux-aussi construit des bains, mais avec des éléments nouveaux. Par exemple, pour les musulmans, l’eau stagnante est immonde et donc ils ne prenaient pas de bains, ils ne restaient pas longtemps dans un bassin rempli d’eau chaude ; l’eau, chauffée dans un four, était mise dans des bols et versée sur le corps de la personne. Mais, au début du XIXème siècle, à Bucarest, il y avait aussi des bassins d’eau chaude dans lesquels les gens aimaient passer du temps. Comme on le sait, une véritable culture de la délectation s’est créée autour des bains, où les baigneurs bénéficiaient aussi de massage à l’eau de rose, d’une tasse de café fraîchement torréfié, moulu et préparé, du goût et de l’odeur de tabac des chichas et des pipes…  Les Roumains y ont ajouté les verres de vin et de raki. A Bucarest, des fois, des lăutari (ménétriers) se joignaient aux clients, qui faisaient la fête jusqu’au petit matin. D’ailleurs, les princes phanariotes ont dû imposer la fermeture de ces établissements au-delà de 22 heures. »

     

    Les Roumains, grands amateurs de cures thermales

     

    A Bucarest et à Iasi, la seconde moitié du XIXème siècle a également vu se multiplier les bains privés, à l’intérieur des habitations des boyards. Un tel exemple est celui de la salle de bains de la célèbre famille des boyards intellectuels Golescu, que l’on peut voir dans le cadre du Musée de la viticulture et  de la pomoculture de la commune de Golesti, pas loin de la ville de Pitesti (sud). Et puis, les propriétaires terriens de jadis aimaient aussi les villes d’eaux, telle que Baile Herculane (ouest), raconte Tudor Dinu :

     

     « C’était une destination de prédilection, mais pas parce qu’on y accédait facilement ; il était vraiment difficile d’y aller à l’époque. Du temps des princes phanariotes, par exemple, le voyageur avait besoin de demander directement au prince régnant la délivrance d’une autorisation de voyage. Plus tard, entre 1830 et 1840, la personne qui envisageait de faire ce voyage devait faire publier une petite annonce dans un journal et attendre neuf ou dix jours, pour que les éventuels contestataires de sa décision puissent s’exprimer. Les routes étaient dans un état désastreux. Pour aller de Bucarest à Herculane, ou Mehadia comme on l’appelait à l’époque, on ne pouvait passer pas par la Vallée de l’Olt à cause de la route défoncée, mais en passant par Brasov et au nord des Carpates méridionales. L’on franchissait la frontière entre l’Empire ottoman, auquel nous appartenions en tant que provinces chrétiennes, et un autre pays étranger avec lequel les relations n’étaient pas des meilleures. Mais, au-delà de ces obstacles, de nombreux boyards roumains allaient à Herculane, ou en Transylvanie à Vâlcele, Borsec, et encore plus loin, en Tchéquie, à Karlsbad, à Marienbad, à Baden-Baden et même en Flandre. »

     

    L’essor du tourisme balnéaire

     

    Au XIXème siècle, Baile Herculane ou Mehadia se trouvait dans la Transylvanie composante de l’empire des Habsbourg. De l’autre côté, en Moldavie et en Valachie, le tourisme balnéaire s’est heurté à des difficultés supplémentaires, explique Tudor Dinu :

    « Si l’expression « les pays roumains » se réfère au territoire actuel de la Roumanie, la première station ou ville balnéaire est celle de Herculane Bad, Herculane-les-Bains. Si nous nous résumons à la Moldavie et à la Valachie, alors la première station d’eaux est celle de Boboci, un village obscure de la commune de Jugureni, pas loin de la ville de Mizil, où de merveilleuses sources ont été découvertes dans les années 1820, très attractives pour une bonne partie de l’élite de la capitale, mais aussi des gens quelconques. Il y a eu aussi en Valachie les stations de Pucioasa, fréquentée y compris par des nobles russes, et de Balta Alba et sa boue à effet magique. Cette dernière station, devenue une destination chic, avait elle-aussi un pont de Mogosoaia, le long duquel s’étalaient des commerces où l’on pouvait acheter y compris des vêtements de voyage créés par des couturiers occidentaux. »

     

    L’accélération de la modernisation et de l’occidentalisation des Principautés roumaines au cours de la seconde moitié du XIXème siècle a entraîné la disparition des « hammams », leur place étant occupée par des habitudes d’hygiène différentes, et la multiplication des villes – stations balnéaires.   (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Les anciens livres religieux roumains

    Les anciens livres religieux roumains

    Avant l’apparition de l’imprimerie au milieu du 15e siècle, qui a représenté la révolution la plus importante de l’histoire du livre et de la circulation des textes, les ouvrages écrits étaient des objets peu connus du grand public. On les retrouvait principalement dans les monastères, aux cours nobiliaires et dans les chancelleries des rois et des princes. Dans l’espace roumain aussi, l’imprimerie a joué le rôle de promoteur du langage écrit utilisé dans l’enseignement, dans l’église et à la cour. Peu à peu, les livres sont devenus de plus en plus populaires.

     

    De petits chefs d’œuvres

     

    Mais les livres du passé étaient loin de ressembler à ceux de nos jours : des ouvrages simples et pratiques, accessibles à tous. Ils étaient le fruit d’un travail intellectuel et physique remarquable. Les couvertures étaient somptueuses, avec des gravures et de très beaux ornements et les pages étaient elles aussi décorés de dessins suggestifs, le texte calligraphié étant lui-même un petit chef d’œuvre d’art manuel. Un élément important, y compris pour els livres des Principautés roumaines, était le sceau de celui qui avait payé pour leur publication : un prince, un métropolite, un noble, un marchand. Souvent, il s’agissait des armoiries de la famille, accompagnées d’une sorte de dédicace en vers, composée par ceux qui s’occupaient de la publication de l’édition.

     

    Les vieux livres à l’honneur

     

    Le Musée de la ville de Bucarest a organisé une exposition de livres roumains datant du 17e siècle au début du 19e siècle, ayant comme thème les armoiries princières et les versifications que ces ouvrages contenaient. Ramona Mezei de la Bibliothèque métropolitaine de Bucarest, institution qui détient une riche collection de livres anciens roumains, a expliqué que l’exposition « Anciens livres princiers avec des armoiries et des vers poétiques » était d’une très grande valeur, du fait notamment qu’elle contient des objets vieux de plusieurs centaines d’années. « La majorité des livres anciens exposés sont des livres religieux. Et c’est assez normal, étant donné l’époque de leur publication. Il était très important, jadis, que ces textes imprimés sortent sous le patronage des princes de l’époque. Afin d’illustrer la gratitude envers les princes, les livres portaient aussi leurs armoiries. Qui plus est, ceux qui s’occupaient de l’édition – les éditeurs et même les typographes – imaginaient quelques vers, quelques rimes, certains plus sérieux et d’autres plus humoristique. Lorsqu’une image était imprimée, le livre devenait aussi un objet esthétique, et pas seulement une source de sagesse. Finalement, les livres ont été, sont et seront des objets d’une valeur inestimable, surtout que le temps y a laissé son empreinte. »

     

    Le livre, plus qu’un simple objet

     

    La muséographe Daniela Lupu a quant à elle coordonné l’exposition. Elle explique le rôle central qu’occupaient les armoiries du prince qui avait réalisé l’œuvre de mécénat et la valeur des compositions littéraires qui lui étaient dédiées : « Les armoiries sont les principaux points d’intérêt pour les amateurs d’héraldique. Les vers ont été étudiés par les historiens littéraires. Certains ont vu dans ces paroles, les débuts de la poésie d’hommage en langue roumaine, même s’il s’agit au début de courtes versifications. Parmi eux on retrouve les grands auteurs de livres des siècles derniers : Udriște Năsturel, Antim Ivireanul, ou encore le « logofăt », chef de la chancellerie princière – Radu Greceanu. Datant du 17e siècle, ces vers suscitent encore aujourd’hui l’intérêt du public. »

     

    Un voyage dans le temps

     

    Les livres exposés dans les vitrines du Palais Sutu, dans le centre de Bucarest, nous permettent de voyager dans le temps. Pour Daniela Lupu, l’exposition est aussi un regard posé sur la façon dont les armoiries et les dédicaces ont évolué au cours de ces trois derniers siècles : « Si en général les armoiries princières figurant sur les premiers livres imprimés apparaissent dès le 16e siècle en Valachie et en Moldavie, nous savons désormais que cette pratique existait aussi sur des livres beaucoup plus anciens, tels l’euchologe de Macarie de 1508. Ce dernier porte en effet les armoiries de la Valachie sur sa première page. Puis, elles réapparaissent sur la page du titre, comme ce fut aussi le cas dans les livres suivants. C’est ce que l’on observe à l’époque de Matei Basarab, au 17e siècle. Si nous analysons brièvement l’évolution des représentations des armoiries princières, nous observons que les thèmes ne respectent pas les règles d’écriture et de composition classique de l’héraldique. »

     

    Les armoiries princières et les vers sont plus que de simples ornements.

     

    La beauté des images va de paire avec la beauté de la langue dans laquelle ont été écrits les vers. L’alphabet cyrillique, que la langue roumaine a utilisé pendant plusieurs siècles dans la transmission des connaissances et la calligraphie, sont d’autant plus intéressants puisqu’ils ne peuvent pas être compris à première vue. Les armoiries princières et les dédicaces figurant sur les vieux livres nous aident à découvrir de nouvelles informations sur les gens de l’époque, sur leur univers et sur la position sociale qu’ils occupaient. Ces petites œuvres d’art parlent de princes et de la représentation du pouvoir, d’élites économiques et culturelles qui ont fait circuler les idées de leurs temps, de principes et de valeurs morales qui circulent encore de nos jours. D’ailleurs, nous mesurons combien nous sommes similaires à ceux qui ont vécu il y a plusieurs siècles. (Trad : Alex Diaconescu)

  • La Bibliothèque du monastère de Sinaia

    La Bibliothèque du monastère de Sinaia

     

    Dans l’espace médiéval roumain, l’érudition et tout ce qui était liée à l’enseignement ainsi qu’à l’écriture et à l’impression de livres étaient concentrés à l’intérieur et autour des monastères. Ce fut le cas du monastère Sinaia, sis dans la station montagnarde homonyme de la Vallée de la Prahova. Avec son architecture impressionnante, ce lieu de culte orthodoxe s’est aussi fait remarquer par son association avec une importante famille princière et érudite des Cantacuzène. D’ailleurs, le fondateur du monastère, érigé entre 1690 et 1695, est le spătar (boyard commandant militaire) Mihail Cantacuzino, le même qui a fait construire le premier hôpital civil de Bucarest, l’Hôpital Colţea.

     

    Un lien entre le monastère de Sinaia et les bibliothèques modernes de Valachie

     

    Ce que l’on sait moins c’est le lien qui a existé entre ce monastère et les bibliothèques modernes de Valachie, un lien dont parle Simona Lazăr, chercheuse et bibliothécaire au Centre culturel « Carmen Sylva » de Sinaia.

     

    Simona Lazăr : « L’année 1695, année de la consécration du monastère, a aussi été celle de la fondation de la première bibliothèque de Sinaia. Le stolnic (boyard chargé de gérer les cuisines et les repas du prince) Constantin Cantacuzino, grand érudit de son temps et frère de Mihail Cantacuzino, a fait don au monastère du livre qui porte aujourd’hui encore le numéro d’inventaire 1. C’est l’Evangile en grec et en roumain » imprimé à Bucarest en 1693. Le monastère détient à présent quatre exemplaires de cet ouvrage, qui a une particularité, à mon avis. Il réunit les quatre frères Cantacuzino. Comment ? Eh bien, le don a été fait par le stolnic Cantacuzino au monastère érigé par son frère, le spătar Mihail Cantacuzino, il a été imprimé en 1693 dans l’imprimerie créé presqu’une décennie auparavant par son frère, Șerban Cantacuzino, prince régnant de Valachie, et il a été ultérieurement traduit par un autre frère, Iordache Cantacuzino. Le monastère détient des livres écrits en langue roumaine avec l’alphabet cyrillique. Il détient aussi des livres en grec et même en allemand. L’ouvrage le plus ancien est une édition du Nouveau Testament, publiée à Leipzig en 1564. Il y a ensuite un Antologhion (le Recueil de textes religieux) de Câmpina datant de 1643 et un recueil de textes de loi de 1652, imprimé à Târgoviște. Vient ensuite la Bible de Bucarest en 1688, également connue sous le nom de Bible de Șerban Cantacuzino, puisque c’est lui qui en a disposé et surveillé l’impression. La bibliothèque du monastère s’est agrandie à travers le temps. La plupart des ouvrages étaient des livres de culte, pour le service religieux. »

     

    L’amour du livre est une autre caractéristique de la famille Cantacuzino

     

    D’ailleurs, l’amour du livre est une autre caractéristique de la famille Cantacuzino, qui a produit de nombreux princes régnants de Valachie et qui a marqué l’histoire politique et culturelle jusqu’à l’époque contemporaine, rappelle Simona Lazăr.

    « Mais pour comprendre comment il est possible que quatre frères aiment à ce point les livres, il faudrait connaître plusieurs choses sur leur enfance. Leur père, le postelnic (boyard chargé de gérer les audiences princières) Cantacuzino, avait créé, dans la maison familiale, une petite bibliothèque pour son propre plaisir et pour l’éducation de ses enfants. Ils ont compris l’importance des livres et c’est là que leur formation a commencé. Et je dirais aussi que c’est là qu’avait été plantée la graine de cette bibliothèque de Sinaia. Il faudrait aussi ajouter qu’au moins deux des frères, Constantin et Mihail, ont fait des études dans la ville italienne de Padoue. C’est là que Constantin Cantacuzino a commencé à se passionner des livres, ce qui l’a poussé à créer, par la suite, sa propre bibliothèque au monastère de Mărgineni. En plus, nous, les bibliothécaires, devons à Constantin Cantacuzino le fait qu’il a ramené de Padoue une science de la description bibliographique des livres, telle qu’elle était au XVIIème siècle. Bien-sûr qu’un tas de choses ont changé avec le temps, mais la façon dont aujourd’hui l’on dresse un catalogue des livres déposés dans un espace commun appelé bibliothèque, qu’elle soit privée, publique ou d’un monastère, eh bien, cela a commencé en Valachie grâce à Constantin Cantacuzino. »

     

    Un fonds de livre ancien qui s’élargit

     

    Le monastère fondé à Sinaia par le spătar Mihail s’élargit, entre 1842 et 1846, avec une église plus grande et deux ailes de cellules monacales. Son visage actuel date des années 1897 – 1903, lorsque Nifon Popescu en a été le  supérieur et l’Éphorie des Hôpitaux civils entreprend de gros travaux de rénovation, sous le règne du roi Carol I. C’est d’ailleurs la période la plus faste de la bibliothèque du lieu de culte, qui enrichit son patrimoine dans une conjoncture que Simona Lazăr décrit pour RRI.

    « Le monastère a enrichi son fonds de livre ancien à l’époque de Carol I, quand le lieu de culte faisait partie des 19 ermitages et monastères gérés par l’Ephorie des Hôpitaux civils ; c’est ici que débutait l’effort de mettre au point le premier musée monacal, dont l’inauguration remonte à l’année 1895, lorsque le monastère comptait deux siècles d’existence. C’est donc vers 1890 que le supérieur du monastère est chargé de parcourir les paroisses de la région et de collecter objets de culte, vêtements ou encore livres anciens pour constituer le musée. »

     

            Malheureusement, sur les ordres des autorités communistes du pays, l’année 1948 ouvre une période soi-disant de « dé-fascisation » de la bibliothèque du monastère, de nombreux livres ont disparu de Sinaia sans laisser des traces jusqu’à nos jours. (Trad. Ileana Ţăroi)

     

  • Dimitrie Cantemir, le musicien

    Dimitrie Cantemir, le musicien

    Cantemir, prince de la Moldavie

     

    Célébré en 2023 à l’occasion d’un double tricentenaire, le prince érudit Dimitrie Cantemir est né à Iași en 1673 et il est mort à son domaine de Russie en 1723. Cantemir est monté sur le trône de la principauté de Moldavie en 1693, et ensuite entre 1710 et 1711, il s’est battu pour défendre son pays, il a lu et écrit des ouvrages d’histoires, de géographie, de musicologie, de philosophie et de littérature, devenant membre de l’Académie des sciences de Berlin.

     

    Un intellectuel remarquable

     

    Intellectuel remarquable, premier adepte roumain de la philosophie des Lumières et reconnu en tant que tel, Dimitrie, ainsi que son frère Antioh, a bénéficié pleinement de l’éducation de haut niveau mise à leur disposition par leur père, Constantin Cantemir. Il parait que celui-ci, également prince de Moldavie en son temps, savait à peine lire et écrire. Le très jeune Dimitrie a été envoyé comme gage à la Sublime Porte, selon une coutume de l’époque par laquelle le sultan ottoman s’assurait la loyauté des voïvodes vassaux des Principautés roumaines.

     

    C’est à Constantinople (Istanbul) que le futur prince régnant allait peaufiner son éducation et sa culture: maîtrise de plusieurs langues étrangères, études de théologie et de philosophie, études musicales.

     

    Des contributions musicales cruciales

     

    Bien évidemment, Dimitrie Cantemir deviendra un maître du domaine musical oriental, dominant dans cette région de l’Europe. Les contributions musicales du prince s’avéreront cruciales à une époque où les partitions n’existaient tout simplement pas, comme l’explique le musicien Bogdan Simion.

     

    Bogdan Simion : « Nous n’avons pas de manuscrits d’avant Cantemir et les manuscrits de Cantemir lui-même sont compliqués, difficiles à lire et surtout à interpréter. D’abord parce que le tempo n’est pas noté, nous ne savons pas combien lentement ou rapidement il faut interpréter ces chansons. Bien-sûr, nous pouvons nous appuyer sur la culture afghane ou turque et imaginer un rythme lent. Il y a aussi de petits détails offerts par des voyageurs étrangers qui avaient écouté cette musique, mais c’est lui qui a inventé un système de notation mélodique. Nous, dans les Pays roumains, nous n’avons pas écrit de la musique avant Anton Pann ; quand il a proposé « L’Hôpital de l’amour ou le chant du désir » (Spitalul amorului/cântător al dorului) en 1851, c’était déjà un autre monde et Anton Pann écrivait déjà en utilisant la notation psalmique. Lui, il psalmodiait. Cantemir a donc inventé un système d’écrire et de lire plutôt facile à employer, que les compositeurs de l’Empire ottoman, de la Cour du sultan, ont utilisé jusque vers 1900, ce qui veut dire que le système était bon. Quand je suis arrivé à Istanbul, j’étais surpris d’apprendre que Dimitrie Cantemiroglu, comme l’appelaient les Ottomans, était connu avant tout comme un grand pionnier de la musique turque de l’Empire. Là-bas, on ne sait pas vraiment qu’il avait été prince régnant. Personne ne sait qu’il a écrit des traités de géographie, de philosophie, qu’il parlait le latin, encore moins qu’il avait été membre de l’Académie de Berlin. Pour eux, Dimitrie Cantemiroglu est originaire d’une province de l’Empire ottoman, qu’il avait, peut-être selon certains, des origines tatares et qu’il a laissé une trace extraordinaire dans la culture musicale turque. » 

     

    « Le livre de la science de la musique »

     

    Son principal ouvrage musical est « Le livre de la science de la musique », traité de musicologie écrit à Istanbul très probablement entre 1695 et 1700.

    Bogdan Simion : « Le livre de la science de la musique » a été rédigé en arabe et dédié au sultan Ahmed III, qui était passionné par la culture et un grand protecteur des arts. Les spécialistes considèrent que cet ouvrage est plutôt politique que culturel. Au XVIIème siècle, Cantemir est chargé ni plus ni moins que de démontrer l’existence d’une musique turque. Autour de l’année 1700, il y avait ce débat culturel très vif dans l’Empire ottoman, de nombreux penseurs considérant qu’il n’y avait pas de culture turque, mais une culture persane décadente. Lorsque ce livre est paru, vers 1700, dans cette ville cosmopolite d’Istanbul (Constantinople), on ne trouvait pas que des penseurs et des philosophes musulmans. Y vivaient aussi probablement les Grecs orthodoxes les plus sages et les plus cultivés, avec lesquels Cantemir a entretenu des liens extraordinaires, car il n’a jamais renoncé à sa religion. Pour revenir, donc, il y en avait qui affirmaient que la culture ottomane était la somme de plusieurs cultures anciennes dont celle, grande et noble, des Persans. Alors, bien-sûr que le sultan Ahmed voulait que ce jeune homme brillant prouve que tout ça n’était pas vrai. Il a écrit un avant-propos dans lequel il essaie de dresser un parcours historique en diachronie des genres musicaux, après lequel débute la partie intéressante du traité et les partitions. Et puis à la fin, une chose encore plus intéressante peut-être pour nous, il propose des compositions originales qui lui appartiennent et qui abordent par exemple les musiques séfarades d’Afrique du nord et parmi lesquelles on trouve aussi plusieurs suites qu’il appelle « moldaves ». Certes, quand on les écoute aujourd’hui, pour nous tout ça rappelle Istanbul d’un bout à l’autre. Je peux parier qu’aucun Roumain ne dira jamais que ces musiques contiennent quelque-chose de traditionnel, mais si on arpente les villages de la Haute Moldavie, si on va à Botoșani ou au Boudjak tatare, si nous nous parcourons la région du centre de l’actuelle République de Moldova et si nous écoutons des accords de kobza, nous comprenons mieux comment les musiques orientales ont influencé les faubourgs (les « mahalale ») et la périphérie des villes, dans un premier temps, et puis, plus tard, même les musiques villageoises, après l’abolition de l’esclavage des roms. »

     

    Cantemir se réfugie en Russie, après l’échec de son opposition à la Sublime Porte

     

    Bon connaisseur de l’Empire ottoman, qui a d’ailleurs constitué le sujet de son traité « L’histoire de l’agrandissement et de la décadence de l’empire ottoman », Dimitrie Cantemir a essayé de mettre un terme à l’état de vassalité de la Moldavie par rapport à la Sublime Porte, en s’alliant avec le tsar Pierre le Grand. Mais son plan a échoué avec la défaite dans la bataille de Stănilești, en 1711.

     

    Forcé à se réfugier en Russie, Dimitrie Cantemir allait devenir un des conseillers du tsar et passera le reste de sa vie à la Cour de Pierre le Grand. Sa dépouille a été rapatriée en 1935 et inhumée à l’intérieur de l’église des Trois Hiérarques à Iași. (Trad. Ileana Ţăroi)

     

     

  • Gheorghe Marinescu, le père de la neurologie roumaine.

    Gheorghe Marinescu, le père de la neurologie roumaine.

    Qui est Gheorghe Marinescu ?

     

    Médecin roumain des plus importants du pays, dont le nom est lié au début de l’étude des maladies neurologiques et à la naissance de la neurologie, Gheorghe Marinescu est né en 1863 à Bucarest, où il meurt 75 ans plus tard, en 1938. Il fait étudie la médecine dans la capitale roumaine, avant de se rendre à Paris en 1889 pour approfondir ses connaissances scientifiques dans la clinique du très réputé neurologue français Jean-Martin Charcot. Cet approfondissement sera aussi soutenu par des voyages en Allemagne, au Royaume Uni, en Belgique et en Italie. En 1897, il obtient le doctorat à la Faculté de médecine de Paris, la plupart des résultats de ses recherches étant publiés dans des revues de langue française. De retour en Roumanie au début du XXème siècle, Gheorghe Marinescu est nommé professeur à la Faculté de médecine de Bucarest, étant aussi élu à l’Académie roumaine. Il travaille également à la clinique de neurologie de l’Hôpital Colentina de la capitale.

     

    L’exposition « Gheorghe Marinescu – une vie dédiée au travail, à la science et au progrès »

     

    Le Musée municipal de Bucarest détient quatre collections ayant appartenu à des médecins. Le Musée Victor Babeș, médecin microbiologiste, le Musée Nicolae Minovici, médecin légiste, le Musée George Severeanu, médecin radiologue, et la collection Gheorghe Marinescu, médecin neurologue. Une exposition intitulée « Gheorghe Marinescu – une vie dédiée au travail, à la science et au progrès » a été inaugurée au Palais Suțu de la capitale roumaine.

     

    L’héritage de Gheorghe Marinescu

     

    Le médecin psychiatre Octavian Buda, professeur de l’histoire de la médecine à l’Université de médecine et de pharmacie « Carol Davilà » de Bucarest, a souligné la personnalité scientifique complexe de Gheorghe Marinescu et son héritage fondamental pour l’école de neurologie roumaine.

     « Gheorghe Marinescu a essentiellement travaillé dans ce que le langage scientifique moderne appelle les neurosciences. Moi-même, en tant que psychiatre et historien de la médecine, j’ai publié plusieurs articles sur Gheorghe Marinescu. J’ai eu du mal, moi aussi, à bien saisir son travail scientifique, car il est un savant qui fait de la recherche fondamentale dans des domaines associés à la neurologie, des éléments pas vraiment faciles à expliquer. Ils tiennent de l’architecture neuronale, de l’utilisation d’instruments très modernes pour l’époque, dans le but de comprendre le fonctionnement du cerveau humain et ainsi de suite. »

     

     

    Lorsqu’il est allé continuer ses études en Occident, Gheorghe Marinescu s’est formé dans un environnement intellectuel et scientifique de très haut niveau. Parmi ses professeurs, l’on remarque l’éminent neurologue français Jean-Martin Charcot, formateur de plusieurs générations de médecins renommés.

     

    Une personnalité de son temps très influente 

     

    Octavian Buda a mis en évidence l’influence quasi écrasante de Charcot sur ses étudiants, donc sur Marinescu aussi.: « Si vous me demandez quel est le médecin roumain le plus connu à l’échelle internationale, il m’est très difficile de vous répondre. Mais quand nous ouvrons un livre d’histoire internationale de la neurologie, nous y voyons le nom de monsieur Charcot, qui a dirigé la neurologie à Paris et qui était le chouchou de tous les salons culturels de son temps. Tout le monde l’adorait parce qu’il employait la photographie, l’art cinématographique, qui a aussi inspiré Marinescu. Charcot était une interface spectaculaire de la culture scientifique parisienne et internationale de la fin du XIXème siècle. Dans les rangs d’un public enthousiaste, venu écouter les cours de monsieur Charcot, on retrouve même Sigmund Freud. Celui-ci, que Marinescu n’a d’ailleurs jamais rencontré, allait être marqué par les leçons de médecine, de psychologie, de psychopathologie, données par Charcot, un homme qui a pensé la médecine moderne. Aujourd’hui, on peut lui reprocher le fait d’avoir été l’adepte de certaines conceptions, mais lui –même était un personnage magnétique, qui a coagulé toute une école autour de lui. Marinescu aussi était quelqu’un de sérieux, qui savait travailler avec des échantillons histologiques, qu’il examiner dans le moindre détail. »

     

    Un modèle pour les futurs neurologues roumains

     

    Rentré en Roumanie, un pays en train de moderniser rapidement, Gheorghe Marinescu est devenu un modèle à suivre pour les futurs neurologues locaux, ajoute Octavian Buda.

     « En tant que médecin formé notamment à l’école parisienne, il se faisait écouter par les hommes politiques de son temps, qu’il effrayait même un peu. Il avait l’intelligence de trancher les choses assez nettement et il a certainement représenté une élite médicale absolument remarquable. Donc, les artefacts qu’il nous a légués et ses très savantes et très techniques recherches scientifiques nous montrent un homme intéressé par toutes les nouveautés apparues dans son domaine d’activité. Or, à mon avis, cela fait de lui un personnage très connu dans le milieu occidental. Il a adapté énormément de choses de notre culture universitaire. On y voit aussi le testament d’un homme en colère contre la réalité de son époque. Nous pouvons également voir en lui un témoin d’une société très civilisée et désireuse de technologie et de culture. Ce qui n’est pas rien si l’on pense au fait que Gheorghe Marinescu avait employé dans son travail un appareil auquel nous devons toute cette culture des tapis rouges déroulés à Cannes. »

     

    L’exposition du Musée municipal de Bucarest présente des documents et des objets ayant appartenu au médecin. Parmi eux, il y a l’appareil de projection utilisé par Gheorghe Marinescu pour étudier les maladies neurologiques qui provoquaient des troubles du mouvement des membres. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • L’église roumaine de Jéricho

    L’église roumaine de Jéricho

    Le monde chrétien s’est toujours beaucoup intéressé à ses lieux saints d’Orient, où il a construit des édifices ouverts aussi bien aux habitants de ces terres qu’aux pèlerins. Les fidèles chrétiens ont érigé des églises et des monastères sur des lieux, tels que Bethleem, Nazareth, Jéricho ou Jérusalem, qui ont accueilli Jésus Christ, selon les livres saints. Les chrétiens orthodoxes roumains n’ont pas fait exception à cette règle.

     

    Un monastère orthodoxe roumain allait faire son apparition à Jéricho en 2014.

    Ainsi, Jéricho, la plus ancienne ville du monde, accueille une église roumaine. Les archéologues estiment que Jéricho a été fondée environ 9 500 ans avec J. Ch., autour d’une source d’eau dans le désert rocheux de Judée. L’histoire longue et compliquée de la ville s’est écrite selon des points de vue différents : celui des détenteurs du pouvoir et celui des gens qui attachaient de l’importance à la signification religieuse. L’histoire de l’église roumaine de Jéricho commence en 1988, lorsque l’idée d’un établissement monacal vit le jour. Les travaux de construction commencèrent pourtant à la fin des années 1990 et un monastère orthodoxe roumain allait faire son apparition dans le paysage urbain local quinze ans plus tard, en 2014.

    L’architecte et professeur des universités Sorin Vasilescu est l’auteur du projet de l’église roumaine de Jéricho. Il a raconté les premiers temps de l’existence du monastère roumain de la plus ancienne ville du monde.  « Un miracle nous a permis, à nous Roumains, d’avoir une église à Jéricho. Tous nos dons, destinés à la Terre Sainte ont été détournés par l’église grecque. Nous n’avons pratiquement rien, bien que de nombreuses présences chrétiennes y aient été entretenues grâce à l’argent des princes roumains, sans parler des monastères dont la gestion était confiée au clergé grec. Au fait, la quasi-totalité des monastères se retrouvait dans cette catégorie et contribuaient financièrement à l’existence-même de la vie chrétienne. Par miracle, des pèlerins roumains s’établissent à Jéricho où ils achètent une propriété au début du XXème siècle. Le fils de ces Roumains de Bârlad a reçu un message de ses parents, lui disant: quand tu partiras aussi, ne laisse pas notre propriété aux Grecs, mais donne-la à notre Eglise. »

     

    L’architecte doit respecter le lieu où il va implanter sa création.

    De nos jours, l’enceinte et l’ensemble des dépendances ne rappellent en rien les difficultés rencontrées à travers le temps, dont une avait été liée à l’intégration du projet dans son site, fait savoir Sorin Vasilescu. « C’est un problème extrêmement compliqué pour un architecte qui doit construire dans un monde entièrement différent du sien. Comment faut-il construire? Faut-il voir ça comme un implant, comme une transplantation d’organes entre ton monde et celui où tu es allé? Ou trouver plutôt les éléments qui apprivoisent cet implant? En principe, l’architecte doit respecter le lieu où il va implanter sa création. Alors, il y a eu cette idée de tout construire en pierre. Rien de plus honorable pour un architecte, puisque l’on parle tellement de la qualité de la pierre. La pierre pérenne n’est pas un représentant du relatif, mais du durable dans l’absolu. »

     

    Quel style architectural faudrait-il choisir pour que le site reste valable dans le monde d’aujourd’hui?

    Une autre difficulté, a encore précisé Sorin Vasilescu, a été liée aux tendances artistiques actuelles et à leur harmonisation avec la tradition de l’architecture byzantine. « Il a existé ensuite une deuxième question particulièrement difficile: quel style choisir pour une église dont la construction a commencé au XXème siècle, pour qu’il reste valable dans le monde du XXIème siècle? Voilà une question extrêmement difficile. Les architectes occidentaux, aussi bien catholiques que réformés, y ont donné une réponse nette. Plusieurs créations, appartenant à de grands noms de l’histoire de l’architecture, sont des espaces sacrés modernes. La chapelle réalisée par Le Corbusier à Ronchamp, en France, est un de ces chefs d’œuvre, un autre étant l’église de l’autoroute, construite par Michelucci. Ce sujet se complique davantage dans le monde orthodoxe dans lequel l’idée de tradition a aussi un côté restrictif. D’autre part, si l’on sait comprendre les restrictions imposées au nom de la tradition, alors la tradition en question saurait se développé sous un horizon différent. »

     

    L’église roumaine de Jéricho a des dimensions proches de l’église Kretzulescu de Bucarest

    Avec sa superficie de 3.000 mètres carrés, le monastère roumain de Jéricho est orné d’une entrée monumentale et surplombée d’une tour-clocher. S’y ajoutent une maison cléricale, un bâtiment pour loger les pèlerins, des logements pour les moines, un autre du prieuré et bien-sûr l’église, point central de l’ensemble. Avec des dimensions proches des celles de l’église Kretzulescu de Bucarest, soit 15 mètres de haut, 10 mètres de large et 20 mètres de long, l’église suit la tradition de l’architecture du monde byzantin, tel que décrite par Sorin Vasilescu.  « Dans ce monde, les éléments formels ont leur propre évolution et l’effort créatif finit par se concentrer sur une forme appelée la croix grecque inscrite. Dans une église composée d’une entrée, un pronaos, un naos et l’espace dédié à l’autel, des raisons symboliques mais aussi liées à la construction expliquent l’existence de quatre piliers qui se dressent dans le naos, en y délimitant un carré. C’est précisément sur ces piliers, sur ce carré, qu’il faut élever une tour, qui, en principe, est un cercle. Placer un cercle sur un carré n’est pas facile. La pensée du monde romain, suivie par celle du monde oriental, ont rendu possible cette opération. »

     

    L’ensemble monacal roumain de Jéricho est un repère pour les pèlerins. Son poids spirituel s’adresse à tous ceux qui sont à la recherche de Dieu. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Les libraires de l’ancien Bucarest : Leon Alcalay

    Les libraires de l’ancien Bucarest : Leon Alcalay

    A travers l’histoire, la culture a été non seulement un moyen d’élévation spirituelle, mais aussi une source de changement économique et sociale. Dans ce vaste domaine de la culture, le livre a formé des esprits et des habilités physiques. L’imprimerie, inventée par l’Allemand Johannes Gutenberg au XVème siècle a été la première révolution technique dont le livre a profité. Depuis, de nouveaux métiers ont fait leur apparition dans l’industrie du livre – le typographe ou, plus tard, le linotypiste. Et puis aussi l’éditeur, le libraire, le vendeur et le commerçant de livres.

    L’histoire du livre grand public commence dans l’espace roumain dans la seconde moitié du XIXème siècle. La vente et l’achat de livres se développent en rapport avec la dissémination de l’enseignement primaire et la baisse de l’illettrisme et, plus généralement, comme une conséquence de l’apparition et de la consolidation de l’Etat roumain moderne. Objet destiné à ses débuts aux élites et aux milieux ecclésiastiques, le livre se diversifie et devient un produit accessible à toutes les classes et les catégories sociales. Cette évolution a été aussi bien une occasion de faire des affaires qu’un moyen d’éduquer ceux qui ne pouvaient pas se permettre d’acheter des livres chers. Leon Alcalay a été l’un des éditeurs, libraires et commerçants de livres les plus connus de l’ancien Bucarest, la ville d’avant 1945.

    Les repères de la communauté juive dans le Bucarest d’autrefois

    Né dans l’actuelle capitale roumaine en 1847, Alcalay s’est senti attiré par les livres à l’adolescence. Dans les années 1870, dans une ville trépidante, vivant au rythme d’une transformation fébrile et d’une massive infusion de livres, il a commencé sa vie professionnelle en tant que vendeur ambulant de livres, revues et autres textes imprimés anciens. Il était ce que nous appelons aujourd’hui « anticar », en fait « bouquiniste ». Il a ouvert son affaire sur Calea Victoriei (avenue de la Victoire), principale artère de la ville, au croisement avec le boulevard Elisabeta, à proximité du « Grand Hotel du Boulevard ». Felicia Waldman, de l’Université de Bucarest, dresse un inventaire des repères de la communauté juive de la ville. C’est dans ce contexte qu’elle a placé sur la carte du Bucarest juif le lieu où l’histoire de la marque Alcalay avait commencé son existence.

     

    « C’est au rez-de-chaussée de cet hôtel que la librairie universelle Alcalay avait ouvert ses portes dès 1867, année de construction du bâtiment. Leon Alcalay était un juif séfarade d’origine espagnole, qui, à l’âge de seize ans, avait commencé à vendre des livres d’occasion derrière l’hôtel, là où se trouve aujourd’hui la rue Eforie. Il avait installé deux étales devant le bâtiment de la légation russe à l’époque. Sa passion pour les livres a été telle qu’il a réussi à élever cette petite entreprise de vente de bouquins d’occase jusqu’au point où il est devenu le plus important éditeur, libraire, imprimeur de livres, bref le plus important personnage de l’industrie de l’édition et patron des Editions universelles Alcalay. »

    Naissance du format livre de poche roumain

    L’entreprise de Leon Alcalay grandit et passe à un niveau supérieur, celui de l’édition et de la commercialisation du livre d’actualité. Alcalay était un esprit moderne, qui souhaitait disséminer les valeurs universelles de l’humanisme et de la culture en Roumanie. Dans son commerce avec les livres qu’il imprime et ceux qu’il revend, la littérature universelle occupe une place de choix. Il met ainsi à la disposition des lecteurs roumains les œuvres des plus grands noms de la littérature du monde. Très attentif aux tendances présentes sur le marché du livre occidental, il crée en Roumanie un format de livre de poche, inspiré par la célèbre collection « La Bibliothèque universelle » (la Reclams Universal-Bibliothek) de la maison d’édition Reclam de Leipzig. Alcalay devient ainsi un des leaders du marché du livre roumain avant la fin de la Grande Guerre. En 1920, le fondateur du livre pour tous en Roumanie meurt à l’âge de soixante-treize ans et met fin à toute une époque, raconte Felicia Waldman.

     

    « Leon Alcalay meurt en 1920et sa famille hérite de la librairie, qu’elle continue à développer. Présente pratiquement à travers le pays, pas seulement à Bucarest, cette librairie à fait venir en Roumanie ce que l’on appelle ici « La Bibliothèque pour tous / Biblioteca pentru toți ». Au fait, la source d’inspiration était une collection allemande qui rendait la littérature accessible au public sans beaucoup de stabilité financière. Elle proposait des livres moins chers, un plus grand public ayant ainsi accès à la littérature nationale et universelle, grâce à la librairie Alcalay et à la collection « Biblioteca pentru toți ». Cette collection a continué à paraître aussi sous le régime communiste, mais produite par une maison d’édition différente, car les Editions Alcalay avaient cessé d’exister. »

     

    Une effervescence intellectuelle balayée par la montée de l’antisémitisme d’Etat

    A la fin des années 1930, le nom du fondateur des Editions Alcalay est remplacé par celui de Remus Cioflec sur le bâtiment qui abritait le siège de la maison d’édition. Une réalité due à l’antisémitisme d’Etat de l’époque, explique Felicia Waldman.

     

    « En 1938-1939, la famille Alcalay a compris ce qu’il se passait, elle a aussi compris ce qui allait arriver et elle a décidé de vendre l’entreprise à Remus Cioflec. L’homme, qui était lui-aussi un éditeur de l’époque, a voulu racheter le réseau Alcalay et, quand l’occasion s’est présentée, il l’a fait, ce qui a pratiquement sauvé le réseau menacé de disparition. Mais les Editions Alcalay ont fini par être nationalisées par les communistes et ont disparu de toute façon. Elles ont du moins résisté jusqu’en 1948. »

    Le livre accessible au plus grand nombre dans l’ancien Bucarest est lié au nom de Leon Alcalay. Les passionnés d’opus anciens peuvent en trouver aujourd’hui encore, chez des bouquinistes, la marque qui a rendu la culture accessible à tout un chacun. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • La périphérie bucarestoise à travers le temps

    La périphérie bucarestoise à travers le temps

    Au fait, entourée d’un réseau de faubourgs, coagulés sur des terrains ayant appartenu à d’anciens villages, seule la zone centrale était devenue presqu’entièrement urbaine après la Grande Guerre. Cela explique pourquoi un style de vie rural a partiellement résisté dans ces « mahalale » jusqu’au début des années 1960, quand le régime communiste a lancé la systématisation de la ville justement dans ces zones. Les habitations vernaculaires et les immeubles de commerçants, avec la boutique au rez-de-chaussée et le logement à l’étage, ont été démolis pour laisser la place à des barres d’immeubles à plusieurs étages, la périphérie étant ainsi entièrement engloutie par des quartiers-dortoirs. Un film documentaire récemment découvert dans les archives du Musée municipal Bucarest – c’est en fait un enregistrement brut – nous montre la vie des Bucarestois le long des artères allant de la barrière de Vergu à la Place de la Victoire, c’est-à-dire entre la limite Est de la capitale et le début du boulevard bucarestois le plus important et le plus moderne, la  Calea Victoriei (l’avenue de la Victoire). Le film a retenu la vie quotidienne des gens qui habitaient à proximité des boulevards appelés de nos jours « Mihai Bravu », « Ștefan cel Mare » et « Iancu de Hunedoara ». Dans les années 1960, ces noms n’existaient pas, tandis que l’existence des habitants était inchangée depuis des dizaines d’années.

     

    Les « mahalale »

     

    Quel était le visage de ces « mahalale » (faubourgs) au XIXème siècle et comment vivaient les habitants de l’unité administrative appelée « sectorul de galben » (un des arrondissements de la capitale) ou littéralement « le secteur de jaune » ? C’est l’historien Adrian Majuru, directeur du Musée municipal Bucarest, qui répond à ces questions : « En 1838, ce secteur de jaune comptait 11.555 habitants et 2.449 habitations, il n’était donc pas trop peuplé. Et il y avait aussi des animaux de compagnie, pour ainsi dire, à savoir: 1063 chevaux, 444 bœufs, 245 vaches, 73 buffles, 193 cochons et 1542 chiens. Les volailles ne sont pas mentionnées dans les documents de l’époque, les chats non plus. Mais nous remarquons la présence d’animaux de trait: chevaux, bœufs, buffles. En ces temps-là, les cochons étaient bien différents de ceux que les paysans et les fermiers élèvent à présent. Ces cochons, représentés dans des lithographies du début du XIXème siècle, notamment des années 1830 – 1850, se déplaçaient librement et portaient des marques spécifiques. Par exemple, un licol triangulaire qui les empêchait de se glisser dans d’autres fermes, à travers les palissades. Vous voyez, donc, un monde rural qui changeait lentement. Ou pas du tout, du côté de la Chaussée Mihai Bravu. Toutefois, à un moment donné, une classe moyenne inférieure fait son apparition ; elle se compose de maîtres-artisans qui vivent des résultats de leur travail. Si vous avez votre atelier de cordonnier ou de fourreur ou de photographe, ou autre, du côté de la Chaussée (avenue) Ștefan cel Mare, où vous vendez ce que vous fabriquez, vous êtes quelqu’un de chanceux. Votre affaire pourrait s’étaler aussi dans les rues adjacentes, mais les gens n’y vont pas, car ces rues sont trop insalubres et relativement peu sûres à l’époque. L’atmosphère et le monde changent quand on change de mahala. Les immeubles sont différents. Il y existe aussi, bien-sûr, des zones industrielles, par exemple une fabrique de pain au nord et une autre au sud. (…) Le monde cosmopolite commençait Place de la Victoire ; derrière et autour d’elle, il y avait le monde rural. »

     

    Le quotidien des habitants des faubourgs bucarestois

     

    La situation change en 1961, année de la réalisation du film préservé au Musée municipal Bucarest et qui documentait justement ce changement. Mais quel était le quotidien des gens qui vivaient près de la barrière de Vergu (Piața Muncii ou Place du Travail d’aujourd’hui), aux confins de l’Est de la ville? Adrian Majuru nous donne des détails.  « Il y avait une expression à l’époque, qui disait: « Ma chère, s’il y avait aussi du gaz à acheter, ce serait comme pendant la guerre ». On achetait le pain avec des tickets de rationalisation, les confections valaient un ticket, attribué en fonction du niveau professionnel et de l’origine sociale saine, comme on disait à l’époque. La situation s’était quelque peu améliorée dans les années 1960, lorsque Gheorghiu-Dej était toujours le chef de l’Etat et du parti communiste et la dépendance de l’Union soviétique était encore forte. Pourtant, dans l’esprit des gens, le monde d’avant n’avait pas disparu. Des difficultés, il y en avait, mais ils vivaient dans les mêmes maisons, certains avaient même pu ouvrir de petits ateliers autorisés par le régime. Les choses commencent à changer en 1961, (…) et la population ne comprend pas ce qu’il se passe. Les adultes éprouvaient une grande tristesse, à cause de ce nouveau monde auquel ils ne savaient pas comment se rapporter. Ils quittaient des logements qui leur étaient familiers pour emménager dans d’autres, sur les boulevards Mihai Bravu ou Iancu de Hunedoara, ou ailleurs. »

     

    Un paysage humain transformé

     

    Bien évidemment, les démolitions et les nouvelles constructions transforment aussi le paysage humain. Des gens des campagnes viennent travailler en ville, des villageois viennent occuper les nouvelles barres d’immeubles et deviennent des citadins du jour au lendemain raconte Adrian Majuru.  « La réalité des années 1960 a un impact sur la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui, car elle marque le début de travaux de systématisation et d’une industrialisation de la périphérie de la ville, dont l’effet sera l’arrivée d’un très grand nombre de gens du monde rural et des petites villes. Leur contact avec l’urbain se réduisait à ça et ils n’en voulaient pas plus. Or, au moment où la masse critique d’intellectuels et de’ pratiquants de professions libérales diminue, la périphérie commence à se manifester aussi dans les zones centrales. Les démographies se mélangent et ce mixage se retrouve également à l’intérieur d’un immeuble, où habitent deux ou trois intellectuels et puis des ouvriers de l’usine Semănătoarea ou de petits fonctionnaires de l’Etat. L’homogénéité professionnelle fondatrice des quartiers et des grands boulevards de la ville n’était plus souhaitée. »

     

    Aujourd’hui, la zone comprise entre les repères historiques des barrières de Vergul et de Mogoșoaia (l’endroit où commençait la Calea Victoriei ou Calea Mogoșoaiei) a quasiment gardé le visage issu des transformations imposées par le régime communiste. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Dincă Schileru

    Dincă Schileru

    En Roumanie, l’histoire locale est riche de noms importants, liés à leurs lieux de naissance par des œuvres culturelles, sociales, de charité ou de développement de leur terre natale. L’histoire du département de Gorj, au sud-ouest de la Roumanie, est largement dominée par le nom du grand sculpteur Constantin Brâncuși, qui se passe de toute présentation. Mais cette région est aussi le berceau d’autres personnalités importantes de l’histoire nationale ; c’est ici que sont nés Tudor Vladimirescu, chef de file du mouvement révolutionnaire de 1821 ; le révolutionnaire de 1848, Gheorghe Magheru ; l’héroïne de la Grande Guerre, Ecaterina Teodoroiu ; l’actrice Elvira Godeanu, le philosophe George Uscătescu, les hommes politiques Gheorghe Tătărescu, Grigore Iunian, Vasile Lascăr et … Dincă Schileru, entrepreneur, homme politique et lobbyiste.

    Dincă Schileru est né en 1846 et il est décédé en 1919. Fils de paysans aisés et apparenté à un ancien soldat de l’armée de Tudor Vladimirescu, Schileru est, selon les historiens, le premier paysan élu au Parlement de la Roumanie. Son origine sociale n’impliquait pourtant pas un manque de moyens, selon l’image traditionnelle du paysan. En 1868, il se marie et déménage dans la commune natale de son épouse. C’est là qu’il a fait construire une maison familiale, une église et une école et qu’il a aidé les élèves provenant de familles pauvres. Il a commencé sa carrière dans les affaires avec un atelier de tailleur, pour se lancer ensuite dans l’entrepreneuriat et le commerce des céréales, la pomoculture et la viticulture. Il a aussi fait construire des moulins et des scieries pour travailler le bois et il a été un amoureux des chevaux. Ses qualités d’entrepreneur et le succès de ses activités lui ont apporté une bonne situation financière ainsi qu’un solide prestige auprès de ses concitoyens. En parlant de lui, ses contemporains le décrivent comme une personne ayant une forte personnalité et fière de ses origines. Dincă Schileru a également fait connaître au plus grand nombre le costume traditionnel de sa région. La communauté locale lui a accordé sa confiance politique et l’a envoyé en tant que son représentant au conseil local en 1876, quand il n’avait que trente ans. Trois ans plus tard, en 1879, il a été élu député libéral au Parlement de la Roumanie.

    Gheorghe Nichifor, qui a étudié la vie et l’œuvre d’émancipation économique et sociale de Dincă Schileru, explique son implication politique et sociale, notamment en faveur de sa région natale.

     « Oncle Dincă Schileru a été député au Parlement de la Roumanie, bien qu’il ait fait une quarantaine de jours d’école, étalés entre 1887 et 1911, donc sur une très longue période. Il ne s’exprimait pas très soigneusement, mais il avait le talent de revenir sur ses idées, pour que les autres élus comprennent et retiennent bien ses idées. Qu’est-ce qu’il disait ? Eh bien, il leur parlait des mines de charbon de Gorj. Il est même allé à Londres, où il a montré un morceau de charbon aux parlementaires britanniques et leur a dit d’où il venait. Et c’est comme ça que des investisseurs ont fait leur apparition dans la région de Gorj. Il a lui-même essayé de faire de chercher du pétrole dans la commune où il s’était établi après le mariage, la commune de Bâlteni. Le gisement de pétrole y a été confirmé par la suite. »

     

     

    Les talents de Dincă Schileru

    Schileru était donc un homme aisé, qui a mis à profit son talent de gagner de l’argent dans d’autres domaines aussi. Il s’est même lancé dans le mécénat, raconte Gheorghe Nichifor.

    « Dincă Schileru avait, à une époque, son propre journal ; il avait son atelier de tailleur où il avait réalisé son célèbre costume ; il avait fondé des écoles et contribué à la création de ce musée départemental. Une cloche qu’il avait donnée à l’école de la commune de Stănești est gardée dans une salle du musée. La cloche ne servait pas seulement à appeler les enfants en classe, mais aussi aux habitants auxquels elle annonçait le réveil, l’heure du déjeuner, du diner et du coucher. »

     

    Débordant d’énergie et désireux de faire bouger les choses, Dincă Schileru a été considéré comme un modèle d’individu accompli, qui avait fait fortune. Il a confirmé la confiance de ceux dont il avait été le représentant et qui ont immortalisé son nom dans des créations poétiques locales et dans des chansons populaires. Gheorghe Nichifor rappelle :

    « Il a aussi eu un descendant, Aristică Schileru de son nom. Un personnage très important, sénateur au Parlement de la Roumanie, qui a malheureusement quitté ce monde trop tôt, à l’âge de seulement quarante ans. Dincă a eu un descendant footballeur de première division. Il s’appelait aussi Schileru, les plus âgés parmi nous se souviennent de lui. »

     

    Dincă Schileru a été un personnage de l’histoire locale qui a saisi la marche du temps. Il a mis ses qualités natives à son propre service et à celui de sa communauté. (Trad. Ileana Ţăroi)