Category: L’Encyclopédie de RRI

  • L’espionnage en Roumanie durant la première guerre mondiale

    L’espionnage en Roumanie durant la première guerre mondiale

    Durant la première conflagration mondiale, en Roumanie aussi une guerre des renseignements et des espions a été menée, comme d’ailleurs sur tous les fronts. Après sa constitution, en 1859, en tant qu’Etat moderne, la Roumanie s’est dotée de ses propres services de renseignements. En 1908 était créée la Direction générale de la police nationale et des informations. Durant les années qui ont précédé la première guerre mondiale, l’activité de surveillance des personnes qui faisaient de l’espionnage en Roumanie s’est intensifiée. On surveillait principalement les étrangers, mais aussi les Roumains qui faisaient de la propagande en faveur de l’ennemi. En 1916, lorsque la Roumanie entrait en guerre du côté de l’Entente (France, Royaume Uni, Russie), tous les étrangers se trouvant sur le territoire du pays étaient retenus. Une partie d’entre eux étaient internés dans des camps, une autre partie étaient envoyés en Moldavie. Ceux qui étaient surveillés, entraient dans le viseur des services roumains de contre-espionnage lorsqu’ils glorifiaient l’ennemi ou insultaient les deux souverains : le roi Ferdinand et la reine Marie.



    L’historien Alin Spânu est l’auteur d’un livre sur l’espionnage en Roumanie durant la première guerre mondiale. A son avis, l’activité de renseignement était plus importante pour des pays comme la Roumanie, dont les capacités de défense étaient plus faibles. Alin Spânu explique: «On ne gagne pas une guerre uniquement par l’activité de renseignements, on la gagne aussi sur le champ de bataille, et par rapport à d’autres pays, la Roumanie avait un grand désavantage : elle ne disposait pas d’une industrie militaire, malheureusement, elle ne fabriquait pas de canons, d’avions, de mitrailleuses, tout devait être importé. Certes, la Roumanie a bénéficié d’armement, dont une partie provenait de ses alliés de 1883 — l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie — une autre partie, elle l’a importée par la suite de France. De plus en plus, d’ailleurs, au fil du temps, la Roumanie s’est orientée vers la France et le Royaume-Uni. C’est de là qu’elle a commencé à importer de l’armement ; après l’entrée du pays en guerre, ce fut uniquement à ces puissances que l’on acheta de l’armement et des munitions. »


    L’armée a compté parmi les premières structures de l’Etat à bénéficier de renseignements pendant la guerre. Les polyglottes et les personnes capables de constituer des réseaux de renseignements et qui souhaitaient collaborer, étaient cooptés dans les structures de l’Etat. Une des personnes qui remplissait ces conditions a été Florea Bogdan, originaire de Transylvanie, province faisant partie à l’époque de l’Autriche-Hongrie. Alin Spânu: « Ingénieur roumain de Reghin, dans l’est de la Transylvanie, Florea Bogdan, était un excellent officier de renseignement qui, une fois arrivé à Bucarest, a créé son propre réseau de renseignements en Transylvanie, à commencer par 1914. Il avait mis sur pied un centre de renseignements à Cluj et a transmis des informations sur l’entrée en Transylvanie des troupes allemandes venues soutenir les troupes de l’Autriche-Hongrie. Malheureusement, au Grand Quartier Général roumain, on n’y crut pas. Bogdan devient chef du Bureau de renseignements de la 14e division d’infanterie, actif en Transylvanie. Officier de liaison auprès d’un corps d’armée russe de Bicaz, pour un certain temps, il est rappelé au Grand Quartier Général, où il est chargé de la censure de la presse et de l’élaboration de bulletins d’informations à partir des renseignements obtenus des prisonniers. Il connaissait très bien le hongrois et l’allemand. Ce qui est le plus important — et que la plupart des gens ignorent — c’est qu’il a dirigé l’équipe qui a travaillé et réussi à déchiffrer le code de l’armée allemande, en 1917, ce qui a apporté des avantages à l’armée roumaine durant les combats de l’été 1917. »



    Comme cela arrive souvent, dans le fonctionnement des services de renseignements il y a eu des erreurs, des vengeances personnelles, les informations étaient vendues et achetées, pour différentes raisons, surtout pour des récompenses financières, certains travaillaient pour l’ennemi. Les femmes ne pouvaient pas manquer, certes, de l’activité d’espionnage et de contre-espionnage de Roumanie. Alin Spânu: « Certaines travaillaient pour de l’argent, d’autres par loyauté. Cette activité était très bien payée. Par exemple, en 1916, un agent de sureté touchait entre 120 et 150 lei par mois, alors que 50 lei était à l’époque un bon salaire. Deux jeunes dames soupçonnées de faire de l’espionnage et à qui, après l’entrée du pays en guerre, on a interdit de franchir la frontière entre la Roumanie et l’Autriche-Hongrie, étaient très fâchées de perdre 1.000 lei par jour. Je donnerais encore deux ou trois exemples de femmes qui faisaient de l’espionnage. Une dame bien nantie, Roza de son nom, s’était attiré la collaboration du chef d’un poste de gendarmes. Veronica, une autre dame qui faisait de l’espionnage, était cartomancienne. Elle faisait une propagande anti-roumaine féroce, en racontant à ceux qui venaient la consulter combien on mangeait bien dans l’armée des Puissances Centrales et mal dans l’armée roumaine et que la Roumanie allait être vaincue. Elle a fini par se faire arrêter par les services de sureté. Une autre femme, fiancée d’un officier roumain, parcourait la Moldavie en train. Son savoir concernant les calibres des canons roumains, leur emplacement, ainsi que l’emplacement des entrepôts d’armes était suspect. Elle finit par susciter des doutes. »


    L’espionnage et le contre-espionnage en Roumanie durant la première guerre mondiale étaient quelque chose de normal. Leur ampleur, leurs effets immédiats, les aspects anecdotiques et les détails piquants restent dans les archives, attendant que quelqu’un les dévoile, comme partie de l’histoire, cent ans après.


    (Trad. : Dominique)

  • Le journal d’un secrétaire royal : Louis Basset

    Le journal d’un secrétaire royal : Louis Basset

    Moins connu de nos jours du grand public, le Suisse Louis Basset a été un personnage important à la cour royale de Roumanie durant la première moitié du 20e siècle. Il y a été au début le secrétaire privé du roi Carol Ier et ensuite, pendant plus de 60 ans, administrateur de la Cour royale. Louis Basset est né en 1846, il a fait des études à la Faculté de lettres de l’Université de Neuchâtel et il est entré au service du roi Carol Ier en 1869.



    « La Guerre d’un serviteur dévoué » est le journal inédit de Louis Basset, récemment paru aux éditions Humanitas. Ce livre couvrant la période comprise entre le 23 août 1916 et le 3 mai 1921 enrichit notre image de la Première Guerre mondiale et de la famille royale par des commentaires et des observations parfois inattendues. L’historienne Georgeta Filitti explique : «La situation de Basset à cette époque-là est plutôt étrange, car bien qu’il fût d’abord secrétaire privé du roi Carol Ier, ensuite du roi Ferdinand, durant la Première Guerre mondiale il ne se trouvait pas en Roumanie, mais en Suisse. Là, il avait l’avantage de pouvoir s’informer, en lisant aussi bien les journaux favorables aux Puissances centrales que ceux favorables à l’Entente. Depuis Genève, il communiquait, certes, beaucoup avec le pays. Le journal de Louis Basset est un des documents riches et intéressants sur la Première Guerre mondiale. En le lisant, on ne saurait dire si son auteur était entièrement germanophile ou un fidèle partisan de l’Entente. Basset fait parfois des remarques qui, pour un moment, pourraient faire peur. En parlant, par exemple, de la paix de Georges Clémenceau — qui, avec le président américain George Wilson, a été un des principaux artisans de la paix — il la considère une sorte de paix l’épée à la main. Toutes ses pensées qu’il exprime avec calme et sans parti pris, dans un style fluide, nous font réfléchir. C’est pourquoi ce livre est extrêmement intéressant. »



    Intéressant, son auteur l’est aussi : Suisse établi en Roumanie et très attaché à son pays d’adoption, il est impliqué dans plusieurs événements délicats dans l’existence de la famille royale. La traductrice et éditrice du livre « La Guerre d’un serviteur dévoué », Alina Pavelescu, nous parle de deux tels épisodes. « Il s’agit tout d’abord des fiançailles rompues entre Ferdinand et peut-être la seule femme qu’il ait vraiment aimée, Elena Văcărescu, qui n’a pas été acceptée pour des raisons politiques. Le deuxième épisode est celui où le précepteur du prince Carol — futur roi Carol II — toujours un Suisse, Arnold Mohrlen, fut écarté de la Cour royale. D’ailleurs, initialement, Basset l’avait recommandé et avait compté parmi ceux qui l’avaient soutenu pour devenir précepteur du futur roi. Basset contribue donc au départ du précepteur favori de Carol, que la sœur du prince, la princesse Elisabeta, aimait aussi beaucoup. Malgré ces événements délicats, les membres de la famille royale, y compris Carol II, lui témoignent de la considération, soutenant jusqu’au bout le vieux Basset et le couvrant d’honneurs pour ses services et son dévouement à la Maison royale de Roumanie. »



    Carol Ier a peut-être eu l’intuition de ce dévouement lorsqu’il l’a choisi comme secrétaire. Pourtant, à ce moment-là, c’est la nationalité de Basset qui comptait le plus. Alina Pavelescu : « A son avènement au trône de Roumanie, Carol Ier se heurtait à une difficulté : il était redevable en égale mesure à l’Allemagne, par la famille dont il descendait, et à la France, car il avait été soutenu par Napoléon III. Durant les premières années de son règne, ces deux puissances ont pris soin de placer chacune auprès du futur roi son propre représentant, qui ne soit pas uniquement un secrétaire. L’Allemand Friedlander est un exemple : il était secrétaire, mais aussi un petit espion de la famille de Hohenzollern et une sorte de facteur de pression : il transmettait à Carol ce que les membres de sa famille d’Allemagne attendaient de lui. L’autre secrétaire, Emile Picot, n’a pu résister en Roumanie que jusqu’en 1869. Ensuite il est retourné en France, où il a entamé une carrière de philologue. Très attaché à la culture roumaine, il fut le premier Français à donner un cours de roumain à la Sorbonne. A la Cour royale roumaine, Emile Picot n’était pas seulement l’espion d’Hortense Cornu, sœur de lait de Napoléon III, mais il a également tenté de s’ingérer dans la politique intérieure du pays et d’influencer certaines décisions du gouvernement. Se trouvant ainsi entre le marteau et l’enclume, Carol Ier décide de renoncer aux secrétaires qui ne faisaient pas preuve d’impartialité et il eut recours à des secrétaires provenant de pays neutres. Au début, ce fut un Belge, auprès duquel Basset allait d’ailleurs faire son apprentissage, ensuite Basset lui-même, recommandé par le directeur de la Poste de Neuchâtel, qui était venu en Roumanie conseiller les Roumains sur la façon d’organiser leur propre service postal. »



    Louis Basset a aidé Carol Ier dans ses efforts de moderniser la Roumanie. Durant la Première Guerre mondiale, il a quitté la Roumanie pour la Suisse. Durant les 4 ans qu’il est resté à Genève, il a rédigé son journal. Il est mort en 1930 et c’est à peine maintenant que le public roumain connaît ses idées, pas toujours conformes à l’image que celui-ci s’était déjà forgée de la Première Guerre mondiale, mais qui ont leur valeur de vérité et leur profondeur. (Trad. : Dominique)


  • Le Bucarest arménien

    Le Bucarest arménien

    La diversité ethnique de la ville de Bucarest a été mentionnée par la plupart des voyageurs de passage dans la capitale de la Valachie au fil des siècles. Aux côtés des Roumains ont vécu des ethnies balkaniques, centre-européennes et orientales. Parmi ces dernières, la communauté arménienne nétait pas très nombreuse, mais elle était importante parce que ses membres faisaient partie des élites qui donnaient les orientations et les tendances de lépoque. Le Bucarest arménien a été une réalité qui a laissé des traces dans le mental collectif et dans la mémoire topographique. A 1 km du point zéro de la ville se trouve lEglise arménienne et, tout près, la rue Armenească – soit la rue Arménienne – au-delà de laquelle sétendait le quartier bucarestois de lune des populations les plus traumatisées de lhistoire. Le cimetière arménien, qui se trouvait jadis à lextrémité est de la ville, avoisine à présent le quartier Pantelimon, construit dans les années 70.





    Notre guide à travers le Bucarest arménien ne pouvait être quun Arménien : lhistorien et journaliste Eduard Antonian, un des membres les plus actifs de cette communauté de la capitale roumaine. Il nous parle pour commencer des premiers Arméniens arrivés à Bucarest.





    Eduard Antonian : « Les premières traces dune population arménienne remontent au Moyen-Age, lorsque des commerçants Arméniens sy sont établis. Pourtant, on ne peut parler dune véritable communauté arménienne quà lépoque du marchand Manuc. Cest dailleurs lui qui a érigé la première église arménienne de Bucarest, une église en bois, sur lemplacement de laquelle fut bâtie au 18e siècle, plus exactement en 1760, lactuelle église arménienne. Certes, une église ne pouvait être érigée sil ny avait pas eu de paroissiens, sil ny avait pas eu une banlieue arménienne et une école. Le quartier arménien de Bucarest sétend le long de lavenue Moșilor, depuis léglise arménienne jusquau marché Obor. On ne dispose pas de statistiques ou des chiffres dun recensement pour savoir avec précision combien dArméniens vivaient à Bucarest au 18e siècle, mais leur nombre est estimé à plusieurs milliers. Après le génocide arménien de lEmpire ottoman, en 1915, des réfugiés arméniens ont commencé à y arriver et leur communauté sest agrandie. »





    La communauté arménienne de Bucarest a été une des plus dynamiques, étant constituée de personnes qui avaient un métier et un esprit entrepreneur.



    Eduard Antonian : « Les Arméniens étaient pour la plupart de petits artisans, ils soccupaient du négoce et ils échangeaient de largent. Ils étaient des maréchaux-ferrants, des selliers, des cordonniers. Ils étaient également des bouchers, ils vendaient de la viande notamment à larmée turque. Dautres marchands qui avaient à leur tour des contrats avec larmée turque venaient prendre la viande à Bucarest. Les Arméniens de Bucarest achetaient également des cuirs et des peaux aux Arméniens de Gherla, qui étaient les plus grands éleveurs de bétail de la zone et ils en faisaient des bottes et des sacs à dos militaires. »





    Les Arméniens de Gherla étaient, de leur côté, des fournisseurs de larmée autrichienne. Les marchands arméniens pratiquaient la vente à crédit. Les clients qui recevaient ce dont ils avaient besoin sans payer tout de suite étaient notés dans un cahier. Les commerçants arméniens vendaient beaucoup et meilleur marché, suscitant la haine de leurs concurrents Juifs et Grecs. Ce fut la clé du succès des affaires menées par des Arméniens. Cette tradition sest conservée jusquà larrivée des communistes.



    Eduard Antonian nous parle de la vie quotidienne des Arméniens de Bucarest, évoquant ses propres souvenirs : «Le quartier arménien était très bien structuré ; il était constitué de maisons longues et étroites. Moi, jai passé mon enfance dans une telle maison, avenue Moșilor, justement. Toute la famille sy réunissait. Les trois frères Antonian avec leurs familles, leurs femmes et leurs enfants ont habité ensemble dans cette maison. Il y avait ensuite les nombreux cousins et membres de la famille élargie. Ils se réunissaient tous. On mettait la table dans la grande cour et lambiance était inoubliable. Tous les voisins se connaissaient entre eux, ils buvaient ensemble leur café le matin. Le dimanche ils se réunissaient, ils allaient dabord à léglise, ensuite au cimetière. Cétait une communauté très unie et ils sentraidaient beaucoup.»





    Un des plus grands entrepreneurs connus dans lhistoire de la Roumanie a été lArménien Emanuel Mârzaian, connu sous le nom de Manuc-bey, qui a vécu pendant la seconde moitié du 18e siècle. Homme daffaires et diplomate, Manuc a accédé aux plus hautes marches du pouvoir dans lEmpire ottoman et en Russie. Son rôle dans la création dun centre daffaires à Bucarest a été essentiel.



    Eduard Antonian : « Quand lauberge de Manuc a été bâtie, en 1809, il y avait là aussi un petit marché et Manuc offrait également de lespace pour des commerces. Les Arméniens étaient exemptés de taxes et ils ne devaient pas payer de loyer pour leurs boutiques. Tout gravitait autour de lAuberge de Manuc. Les relations des Arméniens avec les Roumains majoritaires nont jamais été tendues, ces ethniques ont toujours été considérés comme intégrés, ils nont jamais posé de problèmes. Les Bucarestois ont été très reconnaissants à Manuc davoir structuré toute cette zone du centre historique de la ville en y élevant son caravansérail. Pendant linvasion turque du début du 19e siècle, Manuc a réuni toutes les familles des marchands des environs et les a abritées dans son auberge. Il a fermé les portes et les Turcs nont pas pu entrer. Manuc a apporté un élément de civilisation au Bucarest dautrefois. Etre vu se balader autour de lAuberge de Manuc assurait à quelquun lestime du grand monde. Le terrain sur lequel a été construit cet édifice a été vendu à Manuc par le voïvode Ghica à un prix modique, car lhomme daffaires avait promis de reconstruire toute la zone. »





    Les traces du Bucarest arménien sont moins visibles de nos jours, mais elles sont toujours présentes. Les villes changent, elles se transforment – et la capitale roumaine aussi. ( Trad. : Dominique)

  • Le centenaire de la théorie de la sonicité

    Le centenaire de la théorie de la sonicité


    Dans lencyclopédie des sciences et des inventions, le nom de lingénieur Gogu Constantinescu occupe une place spéciale. Il est notamment le créateur de la théorie de la sonicité, qui décrit la transmission de lénergie par des vibrations. En 2019, ce domaine fête son centenaire. Pour élaborer cette théorie, il a étudié le petit accordéon dont jouait sa mère musicienne. Durant son existence, lingénieur et inventeur Gogu Constantinescu a breveté environ 130 inventions, qui lui ont valu une renommée mondiale.



    Gogu Constantinescu est né le 4 octobre 1881, à Craiova, dans le sud de la Roumanie. Son père était professeur de mathématiques, sa mère, dorigine alsacienne, professeure de musique. Il sinscrit à lEcole des Ponts et Chaussées de Bucarest, et en sort, en 1904, premier de sa promotion. Il a commencé sa carrière en tant quingénieur du bâtiment. Lutilisation de lacier-béton dans ce domaine a été sa première préoccupation. Gogu Constantinescu a compté parmi ceux qui ont reconsidéré la répartition des efforts entre lacier et le béton, ce qui a changé lattitude générale vis-à-vis de ce matériau de construction. Lors de la Nuit blanche des galeries, lexposition «Gogu Constantinescu 100 », organisée par Sorin Mihăilescu, a trouvé sa place aux côtés de noms importants des arts plastiques roumains contemporains. Cette proximité nétait pas fortuite – affirme lorganisateur: « Ce lien entre la science et lart nest pas fortuite, car la théorie même de la sonicité a été énoncée suite à létude approfondie de lharmonie musicale. Gogu Constantinescu a notamment étudié le piano et la trompette. A partir de lénergie qui se développe dans ce tube mince, Constantinescu a découvert que les liquides étaient compressibles et que de lénergie pouvait être transmise par ces vibrations. Le 4 novembre 1919 il a tenu une conférence devenue célèbre, à lEcole nationale des ponts et chaussées de Bucarest.»



    Durant les années de la Première Guerre mondiale, la réalisation du dispositif de synchronisation du tir à travers les hélices de lavion a rendu Gogu Constantinescu célèbre. Au début de la guerre, laviation constituait déjà un important moyen offensif. Les Allemands détenaient la suprématie dans ce domaine. Ils avaient équipé leurs avions de mitrailleuses très efficaces qui avaient tout simplement décimé laviation britannique. LAmirauté du Royaume Uni a lancé un concours pour améliorer les systèmes de tir montés sur les avions de son armée. Gogu Constantinescu sinscrivit à ce concours et le gagna, en présentant un dispositif quil a appelé « Constantinescu Fire Control Gear », qui permettait de tirer à travers les hélices de lavion, accordant la fréquence du tir des mitrailleuses à la vitesse de rotation des hélices. La cadence de tir fut ainsi portée à 1200 balles par minute pour chacune des deux mitrailleuses montées à droite et à gauche de lhélice. Le succès de cette invention de Gogu Constantinescu fut immense. Les forces aériennes britanniques et américaines ont commandé quelque 50 mille tels dispositifs de synchronisation. Constantinescu devint riche et célèbre, pourtant, son invention fut immédiatement classée secret défense. Après ce succès, lAmirauté britannique a accepté de financer les recherches de Constantinescu, mettant à sa disposition un laboratoire à West Drayton, tout près de Londres. Cest là quil allait mettre en œuvre une idée à laquelle il réfléchissait depuis 1901 déjà : la transmission de lénergie par des vibrations et la théorie sonique.



    Un esprit aussi inventif que le sien ne pouvait se limiter à un seul domaine. Parmi ses autres inventions qui ont eu un écho dans notre monde contemporain, il faut mentionner sa contribution à la création de lautomobile à transmission automatique. Dans un enregistrement vidéo réalisé en 1926, au Salon automobile de Paris, on peut voir Gogu Constantinescu en personne appuyer sur laccélérateur de sa voiture avec une canne. La voiture démarre et sarrête au moment où il libère laccélérateur. En 1936, le rallye de Monte Carlo est gagné par un équipage constitué de deux Roumains, Petre Cristea et Ionel Zamfirescu, qui ont piloté une voiture créée par Gogu Constantinescu. Lesprit inventif de lingénieur sest manifesté aussi dans dautres domaines, dont celui du bâtiment, explique Sorin Mihăilescu : «La construction de nombreux édifices, considérés de nos jours comme des joyaux darchitecture de la capitale roumaine, a été fondée sur la théorie de lacier-béton énoncée par Gogu Constantinescu en 1905. Une année plus tard, il construisait le fameux pont du parc Carol. Létude technique pour la construction dautres bâtiments emblématiques de Bucarest, dont celui qui accueille la municipalité, est due également à Gogu Constantinescu et à son célèbre professeur, Elie Radu. Celui-ci avait dailleurs réalisé la première canalisation de la ville de Bucarest.»



    Sorin Mihăilescu sest donné pour tâche de garder vivante la mémoire de Gogu Constantinescu sur Internet aussi. Le site http://gogu-constantinescu.ro/ contient de nombreuses informations, des documents dépoque et des photos. Pour son importante activité scientifique, Gogu Constantinescu se vit décerner, en 1965, le titre de docteur honoris causa de lUniversité Polytechnique de Bucarest et fut élu membre de lAcadémie roumaine. Il séteignait la même année, à 84 ans, à sa résidence près de Londres. (Trad. : Dominique)




  • Eli Lotar

    Eli Lotar

    Moins connu en Roumanie que son père, le remarquable poète Tudor Arghezi, le photographe et cinéaste français d’origine roumaine Eli Lotar commence à se faire connaître du grand public de son pays natal. Eli Lotar a hérité de son père l’originalité et la créativité ; la relation, parfois tendue, avec son géniteur allait l’influencer, alimentant son esprit d’aventure. Eliazar Lotar Theodorescu est né en 1905, à Paris, où sa mère, enseignante, Constanţa Zissu, s’était retirée pour éviter les commérages sur la légitimité et la paternité de son enfant. Le père de celui-ci, le futur poète Tudor Arghezi, à l’époque âgé de 25 ans, était moine.

    Renonçant à la vie monacale, Arghezi se rend lui aussi à Paris, où il épouse la mère d’Eliazar, mais le mariage n’est pas fait pour durer. Arghezi reconnaît son fils et, après la Seconde guerre mondiale, on les retrouve ensemble à Bucarest où Eliazar commence à manifester son caractère rebelle. Andreea Drăghicescu, commissaire du Musée national de la littérature, continue l’histoire de sa vie : « Il a tenté à plusieurs reprises de quitter le pays. Avant de s’établir définitivement à Paris, il fait plusieurs fugues, se rendant chez sa mère, Constanța Zissu. Son père, qui, en 1916, avait épousé Paraschiva en secondes noces, le ramène à chaque fois au sein de la famille. Eli Lotar passe son adolescence à Bucarest, dans la famille de son père. Il fait des études au lycée Sfântul Sava (Saint Sava). Lors d’une de ses fugues, Eliazar arriva jusqu’à Chișinău. A chaque nouvelle fugue, son père passait des annonces dans les journaux de l’époque pour le retrouver. Une de ces annonces, parue dans le quotidien « Adevărul » (La Vérité), était formulée de la façon suivante : « Eliazar, passe un coup de fil pour que l’on sache où tu es et retourne tout de suite à la maison. » Signé : Papa. En 1924, le fils rebelle retourne à Paris. »

    Les tentatives de reconstituer la relation entre le père et le fils mettent en évidence certaines ressemblances de caractère entre les deux : à 11 ans, Arghezi avait lui-même fait une fugue. Il est possible que certaines tensions aient marqué la relation d’Eli Lotar avec son père, ou bien que le jeune Eli ne se soit pas adapté à la nouvelle famille de Tudor Arghezi, où deux autres enfants étaient nés entre temps. Andreea Drăghicescu. «Une lettre envoyée par Arghezi à son fils en 1940 nous fait néanmoins penser qu’Eliazar avait été assez proche de la famille paternelle, y compris de ses demi-frères, Baruțu et Mitzura – je cite : « As-tu jamais compté combien d’heures il y a dans 15 ans ? Eh bien, pendant tout ce temps-là, j’ai pensé à toi. Ton frère et ta sœur ont grandi en jouant autour de la table avec ton fantôme, avec ton absence : quand vient-il ? viendra-t-il à Pâques ou à la Trinité? – auraient demandé les deux enfants. En vrai Parisien, tu connaissais l’expression et tu n’es plus revenu. Chaque année j’ai voulu faire monter tout le monde en voiture et aller à Paris. Mon fils, ma fille et ma femme ont vécu avec cette illusion que je n’ai pas pu réaliser. Mon rêve a été, depuis toujours, de trouver refuge en France et, si tu avais été un peu plus patient, nous aurions pu le faire ensemble. Peut-être n’est-il pas encore trop tard. Une autre théorie voit Eli Lotar comme un représentant de la Bohème et, en même temps, de la fuite perpétuelle. On l’associe à la génération des années ’30. De nombreux représentants de cette génération se sont dirigés vers Paris, justement parce qu’ils cherchaient leur place dans le monde ; ils étaient en quête d’un espace occidental, moderne, ils rêvaient d’une autre culture roumaine, moins folklorique et moins tributaire aux idéaux archaïques de l’orthodoxie. Les spécialistes oscillent entre ces deux explications. Eli Lotar était un bohème et, dès ses premières années à Paris, il a essayé de gagner sa vie en faisant beaucoup de choses, des métiers étrangers à la vocation qui allait le consacrer à Paris, où il est devenu un des plus importants photographes et cinéastes de l’époque. »

    En 1926, Eli Lotar a rencontré Germaine Krull. Ensemble, ils ont développé un nouveau style photographique, d’avant-garde. Peu à peu, il entre dans le milieu du cinéma, tout d’abord comme photographe de plateau, ensuite comme assistant réalisateur. Dans les années ’30, il épouse Elisabeth Makosvka, peintre et photographe d’origine polonaise. Et c’est toujours à la même époque qu’ayant adhéré aux doctrines de gauche, il se rend en Espagne, où il est le directeur d’image du seul documentaire réalisé par Luis Buñuel, « Terre sans pain ». Son intérêt pour la problématique sociale ne l’a jamais quitté ; un peu plus tard, en 1945, il réalise « Aubervilliers », un documentaire poétique sur les conditions de vie dans les habitations misérables de cette ville de la banlieue parisienne. Andreea Drăghicescu. « La carrière d’Eli Lotar est très diverse. Il travaille avec Jacques Prévert et avec Luis Buñuel et il a connu Giacometti. Il participe à nombre de projets cinématographiques, pas nécessairement comme réalisateur, mais parfois comme directeur d’image ou comme opérateur. Il écrit des articles, qu’il publie dans les revues de l’époque et même des reportages sur les réalités de son temps. »

    En Roumanie, Eli Lotar n’est revenu qu’en 1956, après 32 années d’absence. Il est mort en 1969 à Paris. Le public roumain commence à le découvrir, grâce à une exposition réalisé ce printemps, par la collaboration du Centre Georges Pompidou et du Musée du Jeu de Paume de Paris et du Musée national de la littérature roumaine de Bucarest. (Trad. : Dominique)

  • Orient-Express

    Orient-Express

    Le 19e na pas été seulement le siècle des nations et celui des révolutions, il fut aussi celui des chemins de fer. Les documents de lépoque mentionnent lenthousiasme général pour ce nouveau type de voyage et lapparition dune liaison paneuropéenne a été leffet dune découverte de lEurope par les Européens. Simple itinéraire ferroviaire au début, lOrient-Express devint un véritable symbole de lunité européenne.


    Lhistoire de ce train de luxe commence par un drame sentimental : léchec amoureux dun jeune ingénieur belge, Georges Nagelmackers. Après cette déception, ce jeune homme issu dune famille riche sest rendu aux Etats-Unis, en 1867-1868, pour oublier son chagrin. Là, il a loccasion de voyager dans les fameux wagons-lits Pullman, beaucoup plus confortables que les wagons européens. De retour en Belgique, en 1870, il essaie de réaliser ce quil avait vu en Amérique. En 1883, il inaugurait lOrient-Express, sans savoir que son invention allait faire fortune.


    Lidée dun train qui traverse plusieurs pays européens et unisse le continent a tout de suite eu un grand succès. Dans ce « concert des nations » quétait lEurope, la spécificité de chaque pays devait être préservée au sein de lunité continentale. Les ambitions civilisatrices de la France et loffensive de la modernisation, arrivée à son apogée sous Napoléon Ier, ont déterminé un changement rapide dans la façon de voir le continent.


    Notre interlocuteur, Dorin Stănescu, est un historien des chemins de fer. Nous lui avons demandé si, à part le fait que cétait un train de luxe, lOrient- Express a également eu une fonction symbolique unificatrice pour le Vieux continent : « Ça cest sûr, car lOrient-Express proposait en fait une fédéralisation de lEurope. Les formalités de douane étaient beaucoup simplifiées, car les douaniers montaient dans le train et contrôlaient les voyageurs alors que le train était en marche. Après avoir fini leur travail, ils descendaient à une autre station. La signature daccords internationaux entre les Etats que lOrient-Express traversait a constitué un premier pas vers ce projet européen. Cétait en fait, on pourrait dire, un train sans frontières. »



    Cette ligne ferroviaire paneuropéenne a été une ligne des élites. Et cest normal, car au début, seules les élites se permettaient un voyage à bord de lOrient-Express. Qui étaient, en fait, les voyageurs de ce train de luxe ? Dorin Stănescu :« De temps en temps, sur de petites distances, à ce train de luxe étaient attachés des voitures de 2e et 3e classe. Dans un tel convoi pouvaient ainsi voyager aussi des personnes de la classe moyenne. Pourtant, pendant toute son existence, lOrient-Express a été un train réservé aux élites sociales. Paul Morand notait en 1914 que les personnes qui voyageaient à bord de ce train formaient une véritable société cosmopolite. En effet, hommes daffaires, diplomates, princes, francs-maçons, starlettes, chefs de services secrets, espions, dont Mata Hari sy retrouvaient, ainsi que des Turcs riches avec leurs épouses, des aristocrates autrichiens, des comtes hongrois et des boyards roumains. Même la famille royale roumaine a voyagé à plusieurs reprises à bord de lOrient-Express, ainsi que dautres têtes couronnées dEurope, depuis le Kaiser Guillaume à lempereur François-Joseph et du prince héritier Ferdinand de Roumanie au roi de Bulgarie. Donc, pas mal de célébrités de lépoque. Un vrai mythe sest tissé autour de lOrient-Express et les gens ordinaires souhaitaient voyager dans ce train des élites, pour partager leur expérience. »



    LOrient-Express entrait en Roumanie par louest du pays et à partir de Bucarest, il se dirigeait vers lest et vers le sud. Dorin Stănescu nous parle de la contribution de ce train à la modernisation de linfrastructure ferroviaire de la Roumanie :« En 1883, à ses débuts, lOrient-Express entrait en Roumanie par Vârciorova, dans louest du pays, il passait par Turnu Severin, Craiova, Slatina, Pitești, pour arriver à Bucarest. De Bucarest, lOrient-Express se dirigeait vers Giurgiu, dans le sud, jusquau port de Smârda, il franchissait le Danube et continuait vers Varna. De Varna, le voyage se poursuivait en bateau jusquà Constantinople. Ce train a accéléré la construction de nouvelles voies ferrées. Le célèbre pont de Cernavodă de lingénieur Anghel Saligny joua un rôle important dans lhistoire de lOrient-Express. A un moment donné, depuis Bucarest, ce train se dirigeait vers Constanța, en traversant ce pont, bien sûr. De Constanța, ville port sur la mer Noire, les bateaux du Service maritime roumain emmenaient les voyageurs à Constantinople. Donc, le voyage de lOrient-Express sur le territoire de la Roumanie est une partie intéressante de lhistoire de ce train paneuropéen. La presse roumaine et étrangère a maintes fois publié des informations sur les haltes que les voyageurs de lOrient-Express faisaient à Bucarest, sur les voyages à Sinaïa et leur accueil au Palais de Peleș par la famille royale. Lhospitalité de la famille royale était à lépoque une publicité pour la Roumanie, pour sa volonté de modernisation, pour le prestige de la famille royale et de la Roumanie en Europe. »



    La Première Guerre mondiale allait arrêter la circulation de lOrient-Express. En 1921, il renaît de ses cendres. La Deuxième Guerre mondiale allait avoir sur lui un plus grand impact, car les destructions furent plus importantes. Linstauration des régimes communistes dans lest de lEurope a hâté sa fin. En 1977, en raison de la concurrence aérienne, la compagnie suspend les voyages. En 2016, pourtant, lOrient- Express, renaît une fois de plus, symbole renouvelé de lunité européenne et dune tradition à conserver. (Trad. : Dominique)

  • Le manoir et le parc historique de Brukenthal, à Avrig

    Le manoir et le parc historique de Brukenthal, à Avrig

    Juriste saxon et gouverneur de la Transylvanie, le baron Samuel von Brukenthal (1721-1803) est connu de nos jours comme propriétaire du Palais de Sibiu qui porte son nom et qui accueille un musée d’art public, à l’époque le premier de ce genre en Europe du sud-est et un des premiers sur le continent. La riche collection du baron a constitué le noyau du patrimoine de ce musée. Pourtant, à part le Palais Brukental de Sibiu, il y en a un autre, moins connu, mais tout aussi important du point de vue historique et architectural : il s’agit de la résidence d’été du baron, érigée à Avrig.


    Ville située à 26 km de Sibiu, au pied du Massif de Făgăraş, dans la vallée de la rivière Olt, Avrig est aussi la ville natale de Gheorghe Lazăr, fondateur de l’enseignement roumain moderne. Le baron von Brukenthal a choisi Avrig pour y faire bâtir un manoir imposant et confortable, entouré d’un parc connu dans l’histoire comme « l’Eden transylvain » ou « La Fontaine de la santé ». Le baron et sa famille y passaient l’été. Corina Combei, manager événementiel au Palais Brukenthal d’Avrig :« Les travaux de construction du palais ont commencé autour de 1783 et ils se sont prolongés pendant plusieurs années jusqu’à ce que le parc soit aussi aménagé, vu qu’il s’agissait d’un domaine de 15,5 hectares. L’édifice de style baroque est constitué de trois parties : le bâtiment central et deux ailes comportant un seul niveau. Une large perspective sur le parc et la rivière s’ouvre depuis le palais, semblant s’étendre indéfiniment. Cette illusion d’optique était d’ailleurs un des effets recherchés du baroque tardif. L’escalier majestueux, la fontaine, les ornements disposés de manière symétrique, les allées, tout mène vers ce parc situé 12 mètres plus bas par rapport au niveau du palais. Du côté est, sur une pente, se déploie un jardin anglais, plus petit, traversé par des allées sinueuses et prévu d’endroits de repos, entourés, à l’époque, d’objets décoratifs spécifiques. Initialement, devant l’orangerie se trouvait le jardin hollandais, qui, du vivant du baron, était planté de légumes et d’arbres fruitiers, ainsi de que nombreuses espèces exotiques. Comme on le sait très bien, c’est le baron von Brukental qui a apporté pour la première fois en Transylvanie l’ananas, le citron, le café et la noix de muscade. Une autre particularité de ce parc était la présence d’une ferme où l’on élevait du bétail. Les potagers, les arbres fruitiers et le bétail étaient censés assurer l’autonomie du palais du point de vue économique. »



    Au fil des siècles, le Palais Brukenthal d’Avrig a subi différents changements. Des modifications ont surtout été apportées à l’architecture intérieure lorsque cet ensemble de bâtiments fut transformé en sanatorium. Pourtant, l’aspect extérieur est resté inchangé. L’orangerie garde, par exemple, des éléments décoratifs datant du vivant du baron. Corina Combei : « Depuis 1908, le style baroque du Palais a été préservé autant que possible. Des modifications y ont été apportées, mais elles n’ont pas affecté l’architecture du bâtiment. Par exemple, pendant la période communiste, le palais a accueilli un sanatorium et une maternité, les salles de l’édifice ont donc été adaptées à leur nouvelle destination. Après 1990, cet ensemble architectural est redevenu un monument historique et nous tâchons de conserver, autant que possible, l’histoire de ce lieu et son aspect initial. »



    Pendant la période communiste, le domaine d’Avrig a été nationalisé. Depuis sa rétrocession, en 1990, il est administré par la Fondation Samuel von Brukenthal, représentante du Conseil de l’Eglise évangélique d’Avrig. Le domaine Brukenthal d’Avrig a besoin de travaux de rénovation urgents, pour devenir un centre culturel et éducatif. (Trad. : Dominique)

  • Le général Gheorghe Mărdărescu

    Le général Gheorghe Mărdărescu

    En temps de guerre, les figures de militaires deviennent symboliques, les gens mettant leur espoir dans la capacité de ces êtres remarquables à agir dans lintérêt de leur peuple. Chaque nation a sa propre liste de grandes figures militaires et les Roumains nen font pas exception. Le général Alexandru Cernat sest distingué durant la guerre dindépendance de la Roumanie de 1877-1878, les généraux Eremia Grigorescu, David Praporgescu, Alexandru Averescu pendant la première guerre mondiale.



    Dautres personnalités allaient sajouter à cette liste pendant la deuxième guerre mondiale, dont Aurel Aldea, Gheorghe Avramescu et Nicolae Ciupercă. Pendant la guerre roumano-hongroise de 1919, cest le général Gheorghe Mărdărescu qui a gagné une réputation bien méritée. La guerre roumano-hongroise de 1919 a commencé au mois de mars, lorsque le régime bolchévique de Budapest dirigé par Bela Kun a attaqué la Tchécoslovaquie et la Roumanie.



    A la tête de larmée roumaine se trouvait le général Gheorghe Mărdărescu, qui allait la mener à la victoire, entraînant la dissolution du deuxième régime bolchévique installé en Europe après celui de Moscou. Le 4 août 1919, larmée roumaine occupait Budapest, mettant un terme aux souffrances de la population civile hongroise. Mărdărescu est né le 4 août 1866 à Iaşi, ancienne capitale de la principauté roumaine de Moldavie, et il est mort en Allemagne, à Bad Nauheim, le 5 septembre 1938, à lâge de 72 ans.



    Voulant se dédier à une carrière militaire, il fait des études à lEcole supérieure de guerre de Bucarest et ensuite à Brueck, en Autriche-Hongrie, ainsi quà Berlin-Spandau, en Allemagne. Il occupe différents postes dans larmée et dans lenseignement militaire. En 1913, lorsque la deuxième guerre des Balkans a éclaté, il était colonel et chef de lEtat-major du premier Corps de larmée. Lorsque la Roumanie est entrée dans la première guerre mondiale, en 1916, Mărdărescu sest vu confier la commande de la 18e brigade dinfanterie et tout de suite après il a été désigné chef du 3e corps de larmée.



    Au déclenchement de la guerre avec la Hongrie, Mărdărescu commandait trois divisions et un régiment et il avait la mission de déclencher loffensive si larmée hongroise continuait ses attaques, lancées en avril 1919. Larmée roumaine allait gagner la bataille qui sest déroulée sur la Tisza, du 20 au 26 juillet 1919, et occuper Budapest. Pourtant, la victoire de Mărdărescu a dû être défendue par la diplomatie roumaine et par lopinion publique face à la contre-offensive diplomatique hongroise. Lhistorien Şerban Pavelescu nous parle de la dispute que le général Mărdărescu a eue avec le général américain Harry Bandholtz. « Plusieurs prévisions de larmistice de Belgrade et décisions de la conférence de paix donnait à la Roumanie le droit de saisir le matériel de guerre, de procéder à linternement des militaires ennemis et de prendre toute une série de mesures quon lui reprocha par la suite. Noublions pas que la vérité est quelque part au milieu. Je pense notamment à la célèbre dispute, plutôt indirecte, entre les généraux Bandholtz et Mărdărescu. Harry Bandholtz était un des militaires étrangers de la Commission Alliée de Contrôle de Budapest. Mărdărescu était le commandant des troupes roumaines qui avaient occupé Budapest et commandant des troupes doccupation de Hongrie. Il y a eu à lépoque beaucoup daccusations, beaucoup de propagande et beaucoup de malentendus. Je ne mattarderai pas sur ce que lon a raconté sur les troupes roumaines, pour dire si cest vrai ou faux. Cétait la guerre. Il faut comprendre le général Bandholtz et ses mémoires extrêmement controversés pour les Roumains. Le général américain ne les a jamais écrits pour être publiés. Cétaient ses notes, il na pas eu lintention de les publier. Il était le représentant dun certain type de civilisation occidentale. Vis-à-vis des Roumains – et non seulement – il partageait le bigotisme et les préjugés qui circulaient à lépoque dans la société.»



    Après la guerre, le général Mărdărescu a reçu les honneurs quil méritait. Le roi Ferdinand I lui a décerné lordre militaire Mihai Viteazul (Michel le Brave) pour la diligence avec laquelle il avait dirigé la campagne de Hongrie. Mărdărescu entre en politique, rejoignant le Parti National Libéral de Ion I. C. Brătianu – à la différence de nombre de militaires, qui se sont réunis autour du général Alexandru Averescu et du Parti du Peuple. Entre 1922 et 1926, Mărdărescu a été ministre de guerre dans le gouvernement de Brătianu, le plus durable et le plus stable de lentre-deux-guerres. Après avoir quitté la scène politique, en 1927 il est promu général de corps darmée. En 1925, le général Mărdărescu publie le livre « Campagne pour laffranchissement de la Transylvanie et loccupation de Budapest (1918-1920) » où il décrit en détail les combats contre les unités militaires hongroises, la situation déplorable dans laquelle vivait la population hongroise et les mesures de pacification prises par les autorités militaires roumaines. Trad. : Dominique

  • Bucarest au début de la réforme de l’habitat

    Bucarest au début de la réforme de l’habitat

    Bourg marchand, développé de manière chaotique sur les rives de la Dâmbovița autour de la zone des auberges, des tavernes et des boutiques, connue de nos jours comme le centre historique de la ville, Bucarest a commencé à se moderniser et à se mettre au diapason de l’Occident à peine durant la seconde moitié du 19e siècle. Pourtant, au début du 20e, les banlieues étaient encore insuffisamment urbanisées, les habitations y étaient insalubres et la tuberculeuse faisait des ravages parmi les habitants de la périphérie.

    C’est pourquoi, en 1910, la municipalité, par le maire Vintilă Brătianu, crée une « Société communale pour les habitations à prix modique », à l’époque la seule de ce genre en Roumanie. La Société a fonctionné entre janvier 1911 et le 11 juin 1948, date de la nationalisation opérée par les communistes. Son but était de construire et de vendre aux couches sociales moins nanties des habitations modernes, salubres, à des prix relativement accessibles. La Société achetait des terrains détenus par l’Etat, qui les avait achetés, à son tour, aux boyards propriétaires de domaines autour de la capitale. Ensuite, elle y faisait construire des habitations et les vendait à terme au menu peuple – du moins théoriquement, car en réalité il n’en fut pas tout à fait ainsi : ce n’est pas la catégorie des ouvriers qui bénéficia avant tout de ces habitations, mais la classe moyenne, constituée de fonctionnaires, de professeurs, d’ingénieurs et de ceux qui pratiquaient des professions libérales. Certes, la ville en a bénéficié aussi, car elle s’est agrandie et s’est modernisée.

    L’historien Andrei Răzvan Voinea a étudié l’activité de la Société pour les habitations à prix modique et il nous en parle : « Le prix maximum de ces maisons était fixé par la loi à 8.000 lei. On ne pouvait pas vendre une telle maison à plus de 8.000. Durant l’entre-deux-guerres, un ouvrier gagnait 100 lei par mois tout au plus. Dans ces conditions, 8.000 lei était un prix plutôt décourageant. Le grand avantage de l’existence de cette Société était le fait qu’au moment où elle entrait en possession d’un terrain, elle le divisait en parcelles égales et elle y faisait tous les travaux d’aménagement : assainissement, eau courante, électricité, éclairage et pavage des rues, service de propreté urbaine, pratiquement tout ce qui concernait la modernisation de la ville. Quand le bénéficiaire, après avoir acheté la maison, y entrait, tout était prêt, depuis les poêles à la toiture en tuiles, la rue était goudronnée et la clôture déjà installée. C’est pourquoi les ventes ont explosé les premières années, tout le monde s’empressant d’acheter. Pourtant, malheureusement, peu après le début des constructions, la loi a changé et le prix d’une maison a été porté à 15.000 lei. Par conséquent, ces habitations sont devenues inaccessibles aux ouvriers – déjà déçus par le prix antérieur de 8.000 lei, qu’ils ne pouvaient pas se permettre. Aussi, ces maisons allaient-elles devenir la propriété d’autres catégories professionnelles. »

    Entre 1911 et 1948, la Société a fait 25 lotissements et construit des habitations – selon le même modèle – pour environ 4.000 familles. Le premier réalisé à l’époque fut appelé Clucerului, dans le nord de la ville, à l’extrémité de la très connue Avenue Victoria. Le quartier érigé en 1918 est encore debout.

    Andrei Răzvan Voinea précise : « Les habitations y ont toutes été élevées en 1918. Les travaux ont démarré au printemps, et ont été achevés avant la fin de l’année. La Société disposait de quatre types d’habitations : A, B, C, D. Sur les terrains issus du parcellement Clucerului on construisit pourtant un seul type de maisons, le type C, qui comportaient un seul étage. Les habitations du type C étaient doubles, bi-familiales. Elles étaient constituées de deux parties identiques, une famille occupant la partie gauche de la maison, l’autre la partie droite. Toutes les maisons étaient entourées d’arbres ou d’un jardin de fleurs ou bien d’un potager. L’intention des architectes était de faire de Bucarest une ville-jardin. »

    L’architecte en chef de la Société pour les habitations à prix modique a été Ion Trajanescu. Ancien étudiant du grand architecte Ion Mincu, qui a créé le style architectural néo-roumain, Trajanescu utilisait ce style dans la construction des maisons. A la fin des travaux, l’architecte Trajanescu allait ériger sa propre maison sur une parcelle restée libre dans cette zone de Clucerului.

    Răzvan Andrei Voinea : « C’est un fait particulièrement important, car Trajanescu devient ainsi une sorte de symbole du quartier, mais il est aussi représentatif de ce qu’allait devenir la réforme des habitations sociales à Bucarest. Trajanescu, qui en 1911 avait un peu plus de 30 ans, avait été l’étudiant de Ion Mincu à la Faculté d’architecture. Les éléments du style néo-roumain créé par Mincu et utilisé par Trajanescu indiquent le fait que ces habitations étaient destinées à des couches sociales qui comprenaient quelque chose à l’architecture. En outre, posséder une maison construite par la «Société communale pour les habitations à prix modique» faisait monter quelqu’un sur l’échelle sociale, car, paradoxalement, une telle maison ne pouvait pas être achetée par n’importe qui. Par conséquent, cette Société n’a pas été, en fin de compte, ce qu’elle s’était proposé d’être, au début.»

    Une petite partie des héritiers des premiers propriétaires habitent encore ces maisons construites suite au parcellement Clucerului. Entre temps, la zone est devenue très chère et très recherchée, en raison justement de son charme rétro et du fait qu’elle avoisine un des quartiers les plus chics de Bucarest, qui commence place Victoria, là où, dans les années ’30, a été érigé l’actuel siège du gouvernement. (Trad. : Dominique)

  • Le duel dans l’espace roumain

    Le duel dans l’espace roumain

    Le duel est une pratique que de nos jours on n’a plus l’occasion de voir qu’au cinéma. Pourtant, il y a moins de 100 ans, il était encore, pour les hommes, un moyen très répandu de défendre leur honneur. Lorsque l’individu avec ses valeurs a été placé au centre de la vie moderne, des normes ont été mises en place pour le mettre à l’abri de toute sorte d’abus. Pour lui, son honneur était tout aussi important à défendre que sa propre personne, sa famille et ses biens.

    Chez les Roumains, le duel est apparu au 19e siècle, sur la toile de fond d’une importation massive de valeurs occidentales. Définitoire pour le comportement social moderne, l’honneur a figuré parmi ces éléments importés d’Occident, tout comme les idées politiques, les goûts littéraires et artistiques, les modes vestimentaires etc.

    L’historien Mihai Chiper de l’Institut d’histoire « A. D. Xenopol » de Iaşi est l’auteur d’une histoire du duel dans l’espace roumain : « L’honneur est lié à l’élite sociale. A l’époque, la société roumaine était essentiellement rurale. Jusqu’en 1900, année du premier recensement, 10% seulement de la population du pays vivait en milieu urbain. Dans ce milieu citadin on peut parler d’une société bourgeoise, il y avait des clubs où les gens se réunissaient pour débattre de différentes questions et les relations qu’ils entretenaient les uns avec les autres avaient changé. Le duel est un rituel censé affirmer l’honneur personnel, qui montre que l’espace roumain était connecté à l’espace occidental. Les études ethnographiques et les documents roumains anciens ne mentionnent pas de ressemblances avec les traditions occidentales. Le duel ne figurait pas parmi les habitudes traditionnelles des Roumains. L’absence du duel a été une conséquence de la civilisation turque et phanariote qui s’était imposée dans l’espace roumain. Pourtant, assez rapidement, dans quelques dizaines d’années seulement, les élites ont adopté cette mode occidentale. Les « affaires d’honneur », comme on les appelait, visaient la dignité et le respect de la personne, compris dans un sens très large, et elles étaient étroitement liées à la découverte des valeurs civiques et à l’édification d’une sphère publique moderne.»

    Les élites roumaines se sont trouvées à l’avant-garde de la modernisation sociale. Et ce sont toujours elles qui ont adopté le duel, pratique à laquelle elles ont eu accès par deux voies : russe et française.

    Mihai Chiper : «La culture européenne de l’honneur a eu chez nous un intermédiaire dont on a moins parlé : l’officier russe et l’aristocrate russe. Le duel est entré dans les Pays Roumains par l’intermédiaire des officiers russes, mais il a également été favorisé par les bouleversements provoqués par la Révolution de 1821, lorsque de nombreuses familles de boyards ont pénétré dans l’atmosphère des affaires d’honneur de Chişinău. Là, une partie de la haute société de Iaşi est entrée en contact avec le célèbre poète russe Pouchkine, qui a d’ailleurs provoqué en duel plusieurs représentants de l’élite sociale moldave. La deuxième filière est celle des fils de boyards partis faire des études en Occident. Ce phénomène appelé peregrinatio academica a joué un rôle essentiel dans cette connexion de l’espace roumain à l’Europe occidentale. Les jeunes roumains partis étudier la médecine, l’ingénierie, le droit, les sciences ont inévitablement adopté les habitudes et les conceptions des sociétés d’étudiants auxquelles ils avaient adhéré. Souvent, les sociétés d’étudiants duellistes ont eu une plus grande importance dans la formation personnelle de ces jeunes que les curricula universitaires. Les étudiants roumains de l’époque affirmaient que l’Occident avait été pour eux une école du caractère, des manières, de la pensée, d’une sorte d’autocontrôle dont naissent l’estime, la considération, le respect de l’autre et qui allaient influencer par la suite les idées politiques. De retour en Roumanie, ces héros civilisateurs ont bouleversé les coutumes du pays. De nombreux participants à la Révolution de 1848, dont le futur prince régnant Alexandru Ioan Cuza, le général et homme politique Christian Tell, l’homme politique et historien Mihail Kogălniceanu, l’historien et révolutionnaire Nicolae Bălcescu, les frères boyards Golescu, le poète et homme politique Dimitrie Bolintineanu ont eu des affaires d’honneur. Les romans de cape et d’épée, les feuilletons qui paraissaient dans la presse proposaient des sujets romantiques et ils ont marqué de leur sceau le code de l’honneur, car une partie de la vie de ces jeunes reposait sur les conventions littéraires françaises.»

    Comme toute forme de rituel social, le duel a été, lui aussi, strictement réglementé. Selon Mihai Chiper, il y avait deux sortes de duels : le duel simple, qui se déroulait en plusieurs phases et qui s’arrêtait à la première goutte de sang qui coulait, et le duel d’extermination, qui se poursuivait jusqu’à ce que l’un des deux protagonistes se trouve dans l’incapacité de continuer le combat. Chose surprenante, les duels pour des raisons sentimentales étaient très peu nombreux, représentant à peine 2% de l’ensemble. Les raisons les plus fréquentes étaient les insultes personnelles et les polémiques publiées dans la presse autour de différentes idées politiques. D’ailleurs, la plupart des duellistes étaient des officiers et des politiciens. L’un des duels les plus connus de l’histoire roumaine fut celui déroulé en 1897 entre deux hommes politiques conservateurs, Nicolae Filipescu et George Emanuel Lahovary. Ce dernier meurt à la suite du duel.

    Dans son livre, Mihai Chiper donne aussi un exemple de duel qui a eu des raisons sentimentales : « En 1933, vers la fin de sa vie, Anibal Teohari, un boyard de Romanaţi, chef de la clinique thérapeutique de l’Hôpital «Brâncovenesc», allait vivre des moments tragiques. Olga, son épouse beaucoup plus jeune que lui, le trompe avec un lieutenant de son domaine de Valea Călugărească. Voulant agir en gentilhomme, Teohari envoie au lieutenant comme témoins deux généraux. Pour sauver Teohari d’une mort certaine, puisqu’il allait affronter un officier, les témoins conviennent d’utiliser des cartouches à blanc, sans que les duellistes le sachent. A la fin du duel, Teohari apprend la vérité. Ses nerfs ont lâché sous le choc et il s’est suicidé quelques jours plus tard.»

    Le Code pénal de 1936, qui prévoyait des peines contre les personnes qui le pratiquait, allait mettre un terme à l’histoire du duel en Roumanie. Des pratiques illégales ont pourtant continué jusqu’à la fin des années ’40. (Trad. : Dominique)

  • La colonie Orgamè (Argamum)

    La colonie Orgamè (Argamum)

    Les colonies grecques étaient de véritables satellites des cités helléniques de l’Antiquité. Un de ces satellites était Orgamè ou Orgamon ou encore Argamum, selon son nom latin. Situé au point de confluence des lacs Razim et Golovița, Orgamè a été fondée par les colons grecs d’Asie Mineure. Le nom de leur métropole d’origine n’est pas connu. Après plus d’un demi-siècle d’existence, durant lequel Orgamè est devenue toujours plus florissante, ce port niché dans un ancien golfe de la mer Noire fut occupé par l’Empire romain, au Ier siècle après-J. Chr., alors que Rome consolidait sa présence dans la région du Bas-Danube.

    Les ruines de la cité ont été découvertes par l’historien Vasile Pârvan, en 1916. Sur le site s’étendant sur 100 hectares se trouvent les restes d’un mur d’enceinte, un portail, quelques rues, des basiliques paléochrétiennes et des fortifications de terre. Ștefan Constantin est guide touristique. Il aide les personnes qui s’aventurent dans ces lieux – de nos jours sauvages – à comprendre ce qu’ils voient. Il paraît que les Grecs fondateurs de la colonie se sont dirigés un peu plus tard vers le nord, vers la mer Noire, ainsi que vers les autres points cardinaux.: « C’est à peine au 7e siècle av. J.-Chr. que les Grecs ont osé explorer la mer Noire, évidemment à des fins commerciales, car la pression sociale avait augmenté dans les cités grecques de l’Antiquité. Elles avaient besoin de nouveaux marchés, de nouveaux espaces. Les Grecs sont donc arrivés au bord de la mer Noire, où ils ont fondé leur première grande colonie. Le principal argument en faveur de cette hypothèse est l’existence un tertre, qui représente une tombe antique grecque, lieu d’incinération unique dans les Balkans et dans le bassin de la mer Noire. Cette tombe a été si importante pour les habitants de la ville, qu’elle a fait naître un véritable culte du héros, perpétué pendant environ 4 siècles. Toutes les sources archéologiques trouvées lors des fouilles prouvent que ce tumulus remonte au 7e siècle, soit aux années 640-630 av. J.-Chr., date à laquelle la colonie a été fondée. Le personnage pour lequel ce tumulus a été élevé était si important que les archéologues ont supposé qu’il s’agit du « dirigeant » de la colonie lui-même. »

    Nous apprenons, par Ștefan Constantin, qu’un rocher, insignifiant de nos jours à nos yeux, occupait une place importante dans la topographie de la ville: « Ce rocher est mentionné dans un seul endroit. Un géographe romain du 2e siècle après-J. Chr. en parle, l’appelant « Teron Akron ». « Akron signifie « falaise ». Quant au mot « teron », en grec ancien il avait deux significations : « plume d’oiseau » et « portique » ou « péristyle », c’est-à-dire colonnade. Ce rocher était-il le « Promontoire des plumes » ? S’agissait-il de colonnades ? Peu probable, les archéologues ayant abouti à la conclusion qu’au 2e siècle apr. J.-Chr., la colonie était faiblement peuplée et avait été désertée depuis une génération ou deux. Alors pas question de colonnade – ou de plumes. »


    En jugeant d’après les recherches – peu nombreuses – menées jusqu’ici, les archéologues estiment que la géographie des lieux était différente. Ștefan Constantin : «A l’époque, il y avait là un golfe, que les Grecs ont appelé « Halmyris » – soit « eau saumâtre », c’est-à-dire peu salée. Cette eau se rencontre essentiellement à l’embouchure des fleuves, quand l’eau douce se mélange à l’eau de mer. La route maritime passait par l’endroit où se trouve aujourd’hui Gura Portiței, à l’embouchure du Danube. C’était la principale voie d’accès à cet ancien golfe. Il y avait aussi une petite île sur laquelle avait été installé un point militaire de contrôle. Ensuite, en traversant le lac Razim, les bateaux gagnaient le Danube par un de ses bras secondaires, actuel canal Dunavăț, et ils sortaient dans la zone de l’actuelle localité de Murighiol, où se trouvait la cité antique d’Halmyris, ainsi nommée selon l’ancienne baie qui se trouvait à proximité. A l’époque romaine, Halmyris était une cité importante, plus importante qu’Orgamè, parce la flotte militaire romaine de frontière y était installée. »

    Sur le site de l’ancienne Orgamè se sont conservés des restes d’habitations dans la zone Est de la falaise, une nécropole et des fours artisanaux pour la céramique. S’y ajoutent un fragment d’un mur d’enceinte, quelques édifices et d’autres fours situés sur le promontoire, ainsi que des tombes tumulaires, datant du 5e siècle av.-J. Chr., période classique de la civilisation grecque de l’Antiquité. Les caractéristiques des époques qui ont suivi – grecque tardive et romaine précoce – sont à retrouver à l’extérieur des murs d’enceinte. En tant que matériau de construction, les habitants utilisaient le bois. On estime que durant sa période la plus florissante, aux 4e et 5e siècles apr. J.-Chr., Orgamè comptait 10.000 habitants ; les plus riches vivaient à l’intérieur des murs, les plus pauvres avaient leurs habitations à l’extérieur de murs. Orgamè a disparu suite à l’invasion des Avars qui ont franchi la frontière romaine du Danube, au 7e siècle apr. J.-Chr. Ștefan Constantin: « La cité a été définitivement détruite autour de l’an 665. Toute la Scythie Mineure – actuelle Dobroudja – a été balayée par la vague des migrations. Les Bulgares et les Avars s’étaient alliés et ils ont tout réduit en poussière. De nombreux habitats n’ont pas survécu, quelques-uns seulement ont réussi à renaître : les villes actuelles de Tulcea, Constanța (ancienne Tomis), Mangalia (ancienne Callatis), oui, mais pas les cités frontalières – comme Orgamè. C’est à la même époque qu’Histria a cessé d’être habitée. Les destructions ont été d’envergure. Les envahisseurs ont tout brûlé, les murs d’enceinte ont été détruits. En ce qui concerne Orgamè, les archéologues ont découvert que 50 – 70 ans après l’invasion, il n’y avait plus de signe d’une présence humaine que sur la véranda de l’église. Peut-être une ou deux familles avaient-elles refermé le mur devant l’entrée de l’église et ont utilisée celle-ci, pendant une génération ou deux, comme espace d’habitation. Pourtant, après cette période, aucune trace de présence humaine n’a pu y être décelée. »

    Comme tout lieu abandonné et sombré dans l’oubli, Orgamè fascine les passionnés d’histoire, qui ne cessent d’y retourner, tentant de percer son mystère. (Trad. : Dominique)

  • Constant Tonegaru

    Constant Tonegaru

    Parmi les destins qui ont été coupés court trop tôt et trop durement par le régime communiste figure aussi celui du poète Constant Tonegaru.





    Né en 1919 et décédé en 1952, avant son 33e anniversaire, il a toutefois eu le temps de marquer lavant-garde poétique de lépoque et celle des générations qui ont suivi : à commencer par les poètes des années 80 jusquà ceux qui se sont lancés dans les années 2000.





    A part son talent hors du commun, Constant Tonegaru a eu une vie très intéressante. La première moitié de son existence est marquée par un crime passionnel : son père, militaire de la marine, tue lamoureux de sa mère, après le divorce. Plus tard, à linstar de nombreux autres intellectuels, Constant Tonegaru devient victime de lépuration démarrée par le régime communiste installé en 1945. Il passe beaucoup de temps dans les prisons communistes et y connaît la torture et les conditions inhumaines de vie. Il en sort tellement affecté et malade quil meurt 100 jours après sa libération.





    A lheure où lon parle, un siècle plus tard, sa personnalité et son talent sont toujours vivants dans la mémoire de ceux qui lont connu, dont lécrivain Barbu Cioculescu : « Jai fait la connaissance de Constant Tonegaru pendant la guerre, à une époque où, sous linfluence du critique littéraire Vladimir Streinu, il était en train de définir son style. Il avait commencé à publier vers 1942, quelques poésies seulement. Puis, il a fait paraître le volume «Plantations» (Plantatii), dont le titre réel était en fait « Plantation de clous ». Je lai donc rencontré dans le petit groupe qui fréquentait la maison de Vladimir Streinu. Jétais élève au lycée. Il ma énormément impressionné, car il avait une personnalité magnétique. On se rendait compte tout de suite que cétait quelquun de très spécial. Peut-être quil cultivait même une certaine ostentation. Il a mené une vie plutôt modeste et malheureuse, car il nous a quittés 100 jours seulement après être sorti de prison, probablement à cause de conditions dures de détention. Sa situation financière nétait pas des meilleures non plus ».





    En 1945, un groupe décrivains roumains dont Constant Tonegaru faisait également partie avait jeté les bases dune association nommée « Mihai Eminescu » pour lutter contre les persécutions que les forces soviétiques menaient contre les intellectuels. Parallèlement, lassociation se proposait dobtenir des aliments et des médicaments en provenance dOccident pour les distribuer par la suite aux intellos figurant sur la liste noire du régime communiste. Cest de cette manière que Constant Tonegaru est entré dans le collimateur des autorités communistes qui lont arrêté en 1949 avant de le jeter en prison, à Aiud.





    Le jour de sa libération, Constant Tonegaru était déjà touché par une grave maladie pulmonaire marquée par de fortes crises dhémoptysie, ce qui explique son décès peu de temps après.



    Barbu Cioculescu sen souvient : « Je me rappelle le jour où papa ma réveillé directement pour me dire : vite, quelque chose de terrible est arrivé à Tonegaru ! Et moi jai demandé : est-ce quil sest de nouveau fait arrêter ? Non, a dit mon père. Il a rendu lâme ! » Ce fut là un des pires moments de ma vie. Lui, il était de 1919, moi, de 1927. Huit ans décart entre nous, ce qui ne la pas empêché de maccepter dans son groupe. Son évolution post mortem fut assez bizarre, surtout que daprès moi, Tonegaru est un poète important, voire très important. Ou, de toute façon, un poète extrêmement authentique. Or, malheureusement, il na jamais joui de la gloire quil aurait méritée, ni à lépoque, ni à présent. »





    Lors de la parution, en 1945, de son premier volume – «Plantations » -, il a fallu attendre 24 ans pour quun deuxième recueil, « LEtoile de Vénère » voie la lumière du jour, et cela grâce à Barbu Cioculescu. En 2003, la Maison dédition Vinea a fait paraître une édition définitive, post mortem, du volume « La Plantation de clous », comme quoi la poésie de Constant Tonegaru résiste à travers le temps, selon le critique littéraire Cosmin Ciotlos.





    Cosmin Ciotlos : « Il est évident que Tonegaru a inspiré en quelque sorte les poètes actuels tels Florin Iaru, Traian T. Coşovei ou même Mircea Cărtărescu. Il suffit de jeter un coup dœil sur leurs textes pour en avoir la certitude, même sils ne lont jamais mentionné parmi leurs précurseurs. Sauf Cărtărescu qui lui consacre un tout petit paragraphe dans lhistoire du postmodernisme roumain. Les cas des poètes comme Tonegaru – plein doriginalité, à même de coaguler autour deux des générations si différentes et parfois irréconciliables -, se font plutôt rares. Or, dans ce cas, il est évident que Tonegaru a influencé les poètes de la génération 60, surtout ceux parus à la fin de cette période. Cela se sent, même si on ne peut pas le prouver effectivement. Dailleurs, grâce à cette édition définitive du volume « La Plantation de clous », Constant Tonegaru continue dinspirer les poètes roumains de nos jours encore ». (Trad. Valentina Beleavski, Ioana Stancescu)

  • “Au commencement de la fin”, un livre d’Adriana Georgescu

    “Au commencement de la fin”, un livre d’Adriana Georgescu

    Les débuts du communisme en Roumanie – et non seulement – ont été marqués par de cruelles répressions dirigées contre ceux qui sopposaient au nouveau régime. Parmi eux, il y avait de nombreux jeunes enthousiastes qui pensaient naïvement que sils protestaient et affirmaient ouvertement la vérité, le régime allait être écarté. Lavocate et journaliste Adriana Georgescu était une de ces jeunes-là.





    En 1945, à 25 ans, elle fut arrêtée par les communistes et torturée. Elle était le chef de cabinet du général Rădescu, dernier premier ministre avant linstauration du régime imposé par les Soviétiques. Après son arrestation abusive, une enquête a été ouverte contre elle et elle a été torturée par un des tortionnaires communistes les plus cruels, devenu général au sein de la Securitate – la police politique du régime communiste. A lissue dun simulacre de procès, elle fut condamnée à 4 ans de prison, pour avoir fait partie de lorganisation T (des jeunes libéraux), classée comme terroriste par les nouvelles autorités communistes. Amnistiée par le roi Michel Ier en 1947, peu avant son abdication, elle fut arrêtée de nouveau la même année. Ses camarades de lorganisation libérale lont pourtant aidée à sévader.





    En fuite à Bucarest pendant une certaine période, elle allait émigrer clandestinement, le 2 août 1948, avec laide de Ştefan Cosmovici, quelle allait épouser plus tard. Après sêtre réfugiée à Vienne, elle sest établie à Paris. Avec laide dune autre exilée anticommuniste, Monica Lovinescu, elle écrivit son premier livre – « Au commencement de la fin » – publié en français à Paris, où elle décrit les horreurs des prisons communistes. Bien que le souvenir de la torture quelle avait subie fût encore frais dans sa mémoire, Adriana Georgescu a fait leffort décrire ce livre justement pour montrer à lOccident le vrai visage du communisme, ce régime caché derrière la propagande et les mensonges. A part les descriptions détaillées des horribles journées de détention et de torture, Adriana Georgescu y esquisse également les portraits des personnages communistes les plus importants.




    Lidia Bodea, directrice générale de la Maison dédition Humanitas, qui a publié la version roumaine du livre dAdriana Georgescu, explique : « Le livre dAdriana Georgescu contient de nombreux détails et portraits : celui de Petru Groza, le premier premier ministre communiste, ainsi que les portraits de deux autres communistes : Emil Bodnăraș et Ana Toma. Adriana Georgescu était une excellente écrivaine et elle avait aussi de lexpérience journalistique. Elle avait publié des articles de critique cinématographique et, avant 1944, la Sûreté – la police politique ayant précédé la Securitate – a voulu larrêter et la livrer à la Gestapo, pour sêtre érigée contre lidéologie nazie, dont on faisait la propagande dans les films. Elle a commencé à écrire le livre « Au commencement de la fin » en 1948, dès sa fuite à Paris. En 1950-1951, le livre a commencé à prendre contour. Adriana Georgescu travaillait en collaboration avec Monica Lovinescu, qui traduisait le texte au fur et à mesure quil était écrit. Le livre a ainsi pu être publié pour la première fois en 1951, quelques années seulement après lexpérience limite de la prison que son auteure avait vécue en Roumanie. »



    Parmi les portraits réalisés par Adriana Georgescu se distingue celui dAlexandru Nicolschi, le plus cruel de ses tortionnaires, l« homme-rat », comme elle lappelle.



    Lidia Bodea : « Nicolschi était à lépoque un homme jeune. Il était né à Tiraspol, en 1915. Il avait donc 30 ans et il avait suivi seulement lécole primaire et secondaire. Au début, ce communiste qui arrivait de lURSS fut arrêté, sous laccusation dêtre agent soviétique. Pendant la guerre, les autorités roumaines commuent sa très lourde peine en une autre, facile à supporter. Cest lui, lhomme-rat dont parle Adriana Georgescu, qui lui fait un portrait de fauve. On connaît lactivité de Nicolschi depuis le « phénomène Pitești » jusquà sa mort sereine. Peu avant sa mort, il expliquait dans une interview quil connaissait la détention, pour avoir été, lui-même, en prison. Promu général au sein de la Securitate, Nicolschi est mort tranquillement dans son lit, en avril 1992. »





    La première édition roumaine du livre dAdriana Georgescu « Au commencement de la fin » est parue en 1991 à la prestigieuse Maison dédition Humanitas, étant préfacée par Monica Lovinescu. Ecrivaine et journaliste qui a milité contre le communisme au micro de Radio Free Europe, Monica Lovinescu évoque dans sa préface le rôle de la dissidence roumaine durant les premières années de laprès-guerre.





    Lidia Bodea nous propose un fragment de cette préface : « Nous souffrons et nous souffrirons encore longtemps de la réputation qui nous a été faite dêtre le pays de lEst avec la plus faible dissidence et, les exceptions bien connues mises à part, cest plutôt vrai pour les dernières décennies de la période communiste, mais pas pour les premières. Après 1944, la résistance en Roumanie a été peut-être plus nombreuse, plus unitaire et plus décidée que chez nos voisins. Et elle a duré plus longtemps. En 1945, nous avions une société civile mais aussi une Armée rouge sur cette terre cédée à linfluence soviétique. En 1989-1990, la société – sauf les magnifiques exceptions bien connues – sest montrée névrosée – aurait dit Adriana Georgescu. En échange, lEurope nest plus divisée et lArmée rouge est occupée chez elle. En 1945, tout dépendait des étrangers. A présent, tout dépend de nous. En principe, il nest plus besoin quau début, ce soit la fin. »





    Adriana Georgescu sest éteinte en 2005, au Royaume Uni, où elle sétait établie après son second mariage. Les Editions Humanitas viennent de publier la deuxième édition de son livre. (Trad. : Dominique)

  • Eugeniu Iordăchescu

    Eugeniu Iordăchescu

    Après le tremblement de terre dévastateur de 1977, qui a tué 1.500 personnes, la capitale roumaine a été soumise, par le régime communiste, à de grandes transformations qui ont changé l’apparence de la ville — pour le pire. Depuis 1989, des livres et des albums photographiques ont été publiés qui font découvrir ou redécouvrir l’image du Bucarest d’autrefois. La « systématisation de Bucarest », comme fut appelée officiellement la politique de démolitions mise en œuvre pendant ces années-là, tournait autour de la Maison du Peuple — actuel Palais du Parlement — expression de la mégalomanie de Nicolae Ceausescu, et visait aussi la zone du futur boulevard Victoria socialismului (La Victoire du Socialisme) — actuel boulevard Unirii — censé y aboutir. L’ambition de changer Bucarest de fond en comble s’est soldée par la destruction d’importants monuments laïcs et religieux, pour ne plus parler de villas privées d’une beauté exceptionnelle. Une vingtaine d’églises ont été démolies — dont le monastère de Văcărești, le monastère de Cotroceni, l’église Sf. Vineri, l’église Ienei — pour n’en mentionner que les plus importantes. 12 autres églises ont été déplacées, pour être sauvées des lames des bulldozers et « cachées » derrières des bâtiments d’habitations.



    La solution salvatrice pour certains monuments de Bucarest condamnés à la démolition fut le déplacement, qui libérait l’espace que ceux-ci occupaient pour permettre la construction des nouveaux boulevards ou places prévus. Le déplacement par translation fut l’œuvre d’une équipe d’ingénieurs à la tête de laquelle se trouvait Eugeniu Iordachescu, directeur technique à l’Institut Proiect Bucureşti. Ainsi, l’Ermitage des religieuses, l’église Olari, l’église Mihai Vodă, l’église Domnița Bălașa, le palais synodal du monastère Antim et d’autres monuments religieux sont toujours debout grâce au travail d’Eugeniu Iordăchescu et de son équipe. Eugeniu Iordăchescu s’est éteint le 5 janvier 2019, à l’âge de 89 ans.



    Né en 1929 à Brăila, dans le sud-est du pays, il est devenu ingénieur en bâtiment et, dans les années 1980, il a appliqué, avec ses collègues, la méthode de déplacement des bâtiments par translation, déjà pratiquée avec succès dans d’autres pays depuis plus d’un siècle. Le procédé était le suivant : les fondations de la construction étaient renforcées et une plateforme était coulée en dessous pour les soutenir, le bâtiment reposant, pendant tout ce temps, sur des pylônes en béton armé. Ensuite, des poulies étaient fixées sous le bâtiment, qui était placé sur des rails et pouvait être transporté n’importe où. Le succès de cette méthode a été grand, par conséquent, elle fut appliquée à 28 autres constructions — dont 3 immeubles de logements situés avenue Ștefan cel Mare de la capitale. C’était en 1983. Les locataires n’avaient pas été évacués, l’alimentation en eau n’avait pas été interrompue, le gaz et l’électricité n’avaient pas été coupés. L’opération de déplacement de ces bâtiments a été diffusée par la télévision publique.




    En 2004, Eugeniu Iordăchescu racontait cette translation dans une interview pour le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine: « Les bâtiments étaient au nombre de 3. Ils devaient être soit déplacés, soit démolis, car une ligne de métro devait passer par là. Puisque cette technologie commençait à avoir du succès, grâce à ses bons résultats, on m’a permis de procéder à leur déplacement. Parmi les invités présents à de cette opération de déplacement comptait Suzana Gîdea, présidente du Conseil de la culture et de l’éducation socialiste. Le déplacement avait déjà commencé et, après un certain temps, la camarade Gîdea me demanda : « Pouvons-nous visiter un appartement ? » « Oui, bien sûr » — lui ai-je répondu. Nous avons traversé la passerelle qui nous séparait du bâtiment en mouvement, nous y sommes entrés et nous avons pris l’ascenseur, qui fonctionnait. Stupéfaite, Suzana Gîdea se tourna vers moi et me dit : « Mais non, t’es dingue, toi ! » Nous nous sommes arrêtés au 6e étage et nous sommes entrés dans un appartement. Elle a voulu s’asseoir, pour se convaincre que rien ne bougeait. Dans l’ascenseur, elle n’avait rien senti, bien que le bâtiment fût en mouvement. Dans l’appartement, elle a demandé un verre d’eau et notre hôtesse nous a apporté plusieurs verres. En fait, Suzana Gîdea ne voulait pas boire, elle voulait vérifier si l’eau du verre tremblait. Celle-ci ne bougeait pas. »



    Pourtant, la créativité de l’ingénieur Iordăchescu et de son équipe ne plut pas au couple Ceaușescu. En dépit de la solution du déplacement par translation, plusieurs églises ont été démolies sur l’ordre de Nicolae Ceaușescu. Ce fut le cas de l’église Sf. Vineri et du monastère de Văcărești, pour lesquels il y aurait eu assez de place pour qu’ils puissent être déplacés.



    Eugeniu Iordăchescu raconte l’aventure des ingénieurs qui ont entrepris le déplacement du palais synodal du monastère Antim: « Pour la plupart des églises, j’ai fait construire un cadre porteur, censé soutenir la majeure partie du poids. Dans le cas des églises, le plus grand poids est représenté par les murs extérieurs, très épais. Le palais synodal du monastère Antim est une construction hors du commun, qui pèse 9 mille tonnes. Il a été déplacé en 3 temps : dans un premier temps, j’ai prévu un mouvement de rotation, pour le sortir de l’alignement des futurs bâtiments qui allaient être construits le long du boulevard « La Victoire du Socialisme ». Dans un deuxième temps, nous avons réalisé un déplacement de 20 mètres. Au moment de dire « Ouf ! », en pensant que ça y était, Ceauşescu est arrivé et il n’a pas accepté l’emplacement. Nous avons dû déplacer le palais 13 mètres de plus. Et là, il s’est encore passé quelque chose — et ce ne fut pas de notre faute. Une des tours du monastère abritait la cuisine — et ce fut cette tour-là que nous avons déplacée la première, sur une distance de 40 m. Elle se trouvait à gauche de l’entrée et il fallait la garder, pour préserver la symétrie, car à droite il y avait une autre tour. Nous étions parvenus à réaliser leur déplacement après avoir énormément travaillé. Mais voilà Elena Ceauşeascu qui arrive et qui exige que la tour soit démolie. Et elle a été démolie — par nous-mêmes ! »



    L’ingénieur Eugeniu Iordăchescu et son équipe ont tenté de limiter les amputations que Bucarest a subies durant cette décennie difficile. Ils ont réussi dans une certaine mesure, tant que l’époque l’a permis. (Trad. : Dominique)

  • Le Palais de la Culture de Iaşi (édition concours)

    Le Palais de la Culture de Iaşi (édition concours)

    Au début de la modernisation de la Roumanie, la ville de Iaşi, ancienne capitale de la principauté roumaine de Moldavie, était en retard sur Bucarest, capitale de la Roumanie Unie. Pourtant, en tant que ville, Iaşi a parcouru, à son tour, les étapes de la modernité. Le roi Carol Ier et l’élite politique ont tenu leur promesse faite aux Moldaves. Edifice emblématique de Iaşi, le Palais de la Culture fit en effet son apparition.





    Nous vous proposons aujourd’hui une brève incursion dans l’histoire de ce Palais, de nos jours une présence impressionnante dans le paysage de la ville. Lăcrămioara Stratulat du Musée Moldova est aujourd’hui notre guide sur les ondes. « Sur l’emplacement de l’actuel palais se trouvait jadis la cour princière. Après l’abdication forcée du prince régnant Alexandru Ioan Cuza et l’avènement au trône de Carol Ier, lors de sa première visite à Iaşi, le nouveau souverain a promis aux habitants de la ville d’ériger plusieurs édifices impressionnants, dont un palais administratif et de justice. Ce qui arriva, en effet. Sa construction, commencée pendant le règne de Carol Ier, allait durer une vingtaine d’années, étant achevée sous le règne de son successeur, Ferdinand Ier. La construction de l’actuel Palais de la Culture a duré si longtemps parce qu’elle a traversé la période de la Première Guerre mondiale, les années difficiles du refuge de 1916-1918, lorsque son architecte, I. D. Berindei, a dû, à chaque fois, reprendre l’édifice et le refaire. A chaque fois, l’argent manquait pour continuer les travaux de la façon dont l’architecte Berindei le souhaitait. »





    Ioan D. Berindei est un nom important dans l’architecture roumaine de la seconde moitié du XIXe siècle. Promoteur du style néo-roumain, Berindei a assumé la tâche de mener à bonne fin le palais de Iaşi. Lăcrămioara Stratulat : « Il était le second enfant de sa famille à suivre une école d’architecture à la célèbre Université de Paris. Il a conçu un édifice imposant et volumineux qui couvrait 36 mille m² et dont la structure était pourtant légère. C’est là que transparaît son génie : il a réussi à ériger un bâtiment qui allait résister aux grands tremblements de terre – notamment ceux de 1940 et de 1977. L’édifice n’a donc pas été endommagé par les séismes, mais il a subi des dégâts lors de la Deuxième Guerre mondiale, lorsqu’une partie du palais a été touchée par les bombardements de l’armée soviétique et ensuite de l’armée allemande. Les zones bombardées ont pourtant été refaites assez vite. A l’intérieur de cette immense structure relevant du style néo-gothique flamboyant, l’architecte Berindei a placé de nombreux éléments appartenant au style romantique. »





    Lăcrămioara Stratulat nous parle de l’heureux mariage de deux styles dans la construction du Palais de la Culture de Iaşi. « On peut facilement y reconnaître deux styles, un plus sévère, l’autre plus léger, et l’intervention de deux rois importants. Le style plus sévère est celui de Carol Ier, l’autre, celui de Ferdinand Ier et surtout de la reine Marie, qui a imposé des courants très à la mode au début du XXe siècle. Je pense notamment aux deux portes d’entrée, ainsi qu’à la porte de la plus grande salle du Palais, la Salle de Voïvodes, réalisées dans un style Art nouveau. La reine Marie adorait le style Art nouveau et on reconnaît son empreinte à plusieurs endroits de la construction. Le Palais de la Culture a été, au début, un palais administratif et de justice, ce qui explique le caractère somptueux des salles principales. La destination de l’édifice fut changée en 1955, lorsqu’il fut transformé en palais de la culture, accueillant 4 musées d’envergure et un centre de restauration et de conservation des biens du patrimoine mobile de la zone. Les 4 musées sont : le Musée d’histoire de la Moldavie, le Musée de la science et de la technique « Ştefan Procopiu », le Musée d’ethnographie de la Moldavie et le Musée d’art. »





    La construction du Palais de la Culture a été difficile, à cause de l’époque à laquelle les travaux ont été entrepris. Lăcrămioara Stratulat : « La construction proprement-dite a commencé en 1906, le projet initial connaissant, au fil du temps, de nombreuses modifications. Durant la Première Guerre mondiale, les travaux ont été arrêtés. Durant le refuge à Iaşi du gouvernement de Bucarest, un hôpital de campagne y a été installé. Et puisque c’était la plus grande construction de la ville, elle a accueilli également les troupes roumaines. Ce changement de destination du bâtiment a nui à la construction, notamment du point de vue de son architecture. Après le départ des troupes, l’architecte Berindei a dû refaire une partie des éléments d’architecture décoratifs, assez endommagés. Et puisqu’il a compté sur un certain budget – vite dépassé – il a commencé à chercher des amis pour pouvoir remplacer certains matériaux de construction par d’autres, moins chers, sans réduire la qualité de la construction. A mentionner, par exemple, le ciment spécial inventé par Henri Coandă. Et puisque, pour restaurer un bâtiment, on doit retourner à sa « formule initiale », pour ainsi dire, avec le concours de plusieurs spécialistes, nous avons refait ce « bois ciment » qui a l’air parfait. Il était tel que Berindei et Coandă l’avaient souhaité : il ressemblait au bois de chêne. On retrouve la texture du bois de chêne et le son du bois de chêne en frappant doucement ce lambris en « bois ciment »».





    Le Palais de la Culture de Iaşi domine, de nos jours encore, le centre de l’ancienne capitale de la Moldavie, et comme on peut facilement le deviner, il demeure un site incontournable sur la carte touristique de tout visiteur plus ou moins pressé. (Trad. : Dominique)