Category: L’Encyclopédie de RRI

  • L’écrivaine Mărgărita Miller-Verghy

    L’écrivaine Mărgărita Miller-Verghy

    Parmi les femmes qui ont contribué à l’effort
    de guerre de la Roumanie pendant la première conflagration mondiale et qui ont
    soutenu, implicitement, la Grande Union de 1918, Mărgărita Miller-Verghy se remarque
    non seulement par la diversité de ses activités, mais aussi par la façon dont
    elle a su accepter les défis de son destin et en triompher.

    Bien que touchée,
    dès son enfance, par toute sorte de maladies et de troubles, elle a mobilisé
    son énergie pour devenir professeure, journaliste, écrivaine, militante
    féministe et sœur de charité pendant la guerre. Monica Negru, qui travaille aux
    Archives nationales de la Roumanie, retrace la biographie de Mărgărita Miller-Verghy: « Elle est née en 1865 à
    Iași. Son père, professeur et homme politique descendant d’une famille
    nobiliaire polonaise décéda alors que Mărgărita était encore enfant. La petite
    fut touchée par une tuberculeuse osseuse et sa mère décida de la faire soigner
    à l’étranger. C’est pourquoi Mărgărita fut éduquée à Genève et à Paris, où elle
    acquit une culture classique et apprit à parler six langues. Revenue en
    Roumanie, elle passe son bac à l’école Elena Doamna.
    Mărgărita Miller-Verghy poursuit ses études à l’Université de Genève, où
    elle obtint un doctorat en philosophie. Etablie à Bucarest,
    Mărgărita
    Miller-Verghy
    devient enseignante dans une école
    de filles de la capitale et directrice de l’école Elena Doamna
    . Elle
    rédige ses premiers manuels, dont un pour l’étude du français ; en 1912, elle publie « Les Enfants de Răzvan »
    – livre primé par l’Académie roumaine, qui
    était une première pour la littérature didactique roumaine, car c’était le
    premier volume de lectures scolaires destinées aux élèves du secondaire. »



    Les préoccupations pédagogiques de Mărgărita
    Miller-Verghyn’étaient en fait qu’un
    prolongement de ses activités littéraires, explique Monica Negru: « Elle a fait ses
    débuts littéraires dans la presse, publiant une nouvelle. Elle a également été
    la première à traduire en roumain les ouvrages de la Reine Marie. En 1916, lorsque
    la Roumanie est entrée en guerre, l’école Elena Doamna, dont elle était la
    directrice, fut transformée en hôpital militaire et Mărgărita s’inscrivit comme
    infirmière auprès de la Croix Rouge roumaine. Pendant l’occupation allemande
    elle a aidé les orphelins de guerre. »



    Pendant l’entre-deux-guerres, Mărgărita
    Miller-Verghy a poursuivi son activité littéraire et journalistique. Dans les
    années ’40, elle a également contribué aux émissions de théâtre radiophonique. Tout
    cela en dépit de sa santé toujours fragile. En 1924 elle avait, en outre, subi
    un accident de voiture qui l’a rendue presque aveugle. Même avant l’entrée de
    la Roumanie dans la première guerre mondiale, l’activité littéraire de Mărgărita
    Miller-Verghy fut doublée d’une activité de militante féministe, raconte Monica Negru: « En 1915, elle a
    fondé, aux côtés d’autres écrivaines roumaines, « L’Association des
    Roumaines scoutes » et, plus tard, la « Société des écrivaines
    roumaines », dont elle fut la vice-présidente. Elle a fait partie des
    associations féministes de l’époque. Nous avons trouvé un document qui prouve
    qu’en 1935, elle était active au sein du Conseil national des femmes roumaines
    dirigé par Alexandrina Cantacuzène. Dans l’histoire de la littérature, Mărgărita
    Miller-Verghy est restée comme la première auteure d’un roman policier :
    « La Princesse en crinoline », son œuvre de fiction la plus connue, publié
    en 1946, lorsque Mărgărita avait déjà 82 ans. Elle a également écrit des
    nouvelles, des pièces de théâtre et des ouvrages ethnographiques primés par
    l’Académie roumaine. Elle est aussi co-auteure de l’ouvrage « L’Evolution
    de l’écriture féminine en Roumanie »
    .


    Mărgărita
    Miller-Verghy s’est éteinte en décembre 1953, à 87 ans, restant, jusqu’à ses
    derniers jours, une présence active dans le monde des lettres roumaines. (Trad. : Dominique)

  • Marta Trancu-Rainer, la première chirurgienne de Roumanie

    Marta Trancu-Rainer, la première chirurgienne de Roumanie

    Parmi les personnalités qui ont marqué le début du XXe siècle en Roumanie, ce sont les hommes – surtout ceux qui ont fait carrière dans la politique ou l’armée – qui sont cités le plus souvent. Toutefois, l’activité des femmes remarquables de l’entre-deux-guerres commence aussi à être étudiée.

    Monica Negru, qui travaille aux Archives nationales de la Roumanie, note l’intérêt croissant pour la contribution féminine au progrès du pays au début du 20e siècle. La plus connue de ces femmes reste évidement la reine Marie, épouse du roi Ferdinand qui dirigeait la Roumanie en 1918, au moment de la création de l’Etat national unitaire roumain. Monica Negru précise « heureusement, ces dernières années il existe un intérêt grandissant pour la famille royale et pour les reines roumaines. C’est pour cela que les chercheurs s’intéressent à nouveau à la manière dont la reine Marie, par exemple, a manifesté sa préoccupation constante pour les hôpitaux du front, à sa manière d’accompagner les souffrants, les soldats blessés, mais aussi à sa manière de défendre les idéaux nationaux. Mais l’attention dont bénéficie la reine Marie ne compense pas le fait que les vies de tant d’autres femmes ont été jetées dans l’oubli. Et ce malgré l’extraordinaire esprit de sacrifice dont leurs activités font preuve. »

    Marta Trancu-Rainer a été une des proches collaboratrices de la reine Marie dans son activité médicale et caritative pendant la Grande Guerre. Epouse de l’intellectuel et anthropologue Francisc Rainer, Marta Trancu a été la première femme chirurgienne de Roumanie. Elle fait ainsi partie du groupe des pionnières qui, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, ont commencé à intégrer des domaines jusqu’alors réservés aux hommes, comme les sciences et le droit. L’historienne de l’art Oana Marinache esquisse une biographie du médecin Marta Trancu : « Elle a vécu entre 1875 et 1950. Née à Târgu Frumos dans une famille d’origine arménienne, elle suit les cours de la Faculté de médecine de Iași à compter de 1893. Elle déménage ensuite à Bucarest pour étudier l’anatomie pathologique, son rêve étant de faire la connaissance du spécialiste en bactériologie Victor Babeș. Mais elle fait une autre rencontre avant cela : celle du chef du service d’anatomo-pathologie de l’hôpital Colțea de Bucarest, Francisc Rainer. C’est lui qu’elle épousera en 1903. Finalement, elle se spécialise en chirurgie, ainsi qu’en gynécologie. Son nom apparaît assez souvent dans les mémoires de la reine Marie, ainsi que dans celles d’autres personnalités féminines de la famille royale. Marta Rainer faisait partie de l’entourage des reines et des princesses de Roumanie, car elle était chargée de leur santé. Elle a participé à la Première Guerre mondiale en tant que médecin militaire. Elle a même atteint le grade de commandant et a dirigé trois hôpitaux militaires. Il y avait l’hôpital Colțea, un hôpital temporaire de campagne qu’elle avait organisé dans le Palais royal, sur demande de la reine Marie, et un troisième hôpital aménagé à l’intérieur de l’Ecole des ponts et chaussées de Bucarest. »

    Dans le volume « Pages de journal », le docteur Trancu-Rainer raconte la méfiance et le dédain qu’elle a éprouvés dans les hôpitaux au début de sa carrière. Ce manque de confiance a entièrement disparu au moment de la guerre, à mesure des preuves, de plus en plus nombreuses, de sa compétence. Voilà sa description de la journée du 6 octobre 1916, dans un Bucarest marqué par l’entrée de la Roumanie en guerre dans le courant de l’été : « Je n’ai pas arrêté d’opérer à Colțea. J’ai fait une pause à 16h20 pour aller visiter un malade au Palais dont j’avais fait l’ablation de l’os iliaque. Il n’y avait rien d’inquiétant […]. Surprise à Colțea. Beaucoup de pansements. Je suis passée par Eforie, et de là je suis allée au Palais, où j’ai opéré quelqu’un qui avait été touché par une balle au cou. J’ai amputé un doigt du pied et j’ai fait une arthrotomie de l’articulation tibio-tarsienne. De retour au Palais, des pansements, des opérations. J’ai extrait un éclat d’obus d’une jambe. Le soir est tombé. »

    Toutefois, ses efforts et mérites ont été reconnus dans le temps. En 1919, Marta Trancu-Rainer reçoit l’Ordre de la reine Marie et, en 1953, elle intègre l’Académie de médecine et la Société de biologie.

    (Trad. Elena Diaconu)

  • Les Roumains et leurs voyages au 19e siècle

    Les Roumains et leurs voyages au 19e siècle

    “Il paraît que le Roumain a hérité des Daces (ses ancêtres), le don dêtre arrimé à son pays”, affirmait Dimitrie Ralet. Pourtant, dans les années 1800, un nombre croissant de boyards jeunes et même moins jeunes sont partis à la découverte, dabord, de louest de lEurope et ensuite du monde entier. Certains dentre eux ont fait publier leurs souvenirs et impressions de voyage, mais le premier à se faire connaître du grand public a été Dinicu Golescu, grâce à ses « Notes de mes voyages faits en 1824, 1825, 1826 ». Son circuit a débuté en Transylvanie, pour enchaîner par la suite la Hongrie, lAutriche, lItalie, lAllemagne et la Suisse. Le savant Gheorghe Asachi a été le premier jeune boyard roumain à faire des études dabord à Vienne et ensuite à Rome, en 1807. Les deux hommes ouvrent en fait un riche chapitre de littérature de voyage, dont les protagonistes sont des personnages intéressants, bien que peu connus.



    Le professeur des universités Mircea Anghelescu a rassemblé plusieurs de ces textes, dans une anthologie intitulée « Voyageurs roumains et leurs périples au 19e siècle » : « Le 19e est, pour nous, un siècle qui a resserré un certain nombre de choses que dautres peuples ont égrené sur deux ou trois siècles. Nous avons eu plein de réalisations, de nombreux voyageurs célèbres ont dit des choses importantes auxquelles on pense presque sans plus réfléchir. Il y en a aussi certains moins connus, mais extrêmement intéressants. Je vous donne lexemple dune dame, Otilia Cosmuţa, dont la vie a été plutôt agitée. Fille dun pope roumain du nord de la Transylvanie, elle a épousé, autour de lannée 1900, un fonctionnaire de lempire austro-hongrois. Mais elle avait des penchants artistiques qui lont poussée à partir en Allemagne, pour étudier la peinture, et là, elle a fait une passion pour le Japon. Elle y va, grâce à une bourse gouvernementale qui loblige à envoyer des correspondances, très intéressantes dailleurs, sur la vie et la culture des Japonais. Elle a aussi envoyé des correspondances depuis Paris, où elle aurait rencontré Constantin Brâncuşi ».



    Ce désir de récupérer les décalages sest prolongé jusquà lapproche de la Grande Guerre. Après des débuts assez timides, la seconde moitié du 19e siècle et surtout la première du siècle suivant ont vu de nombreux Roumains réaliser des voyages autour ou au bout du monde, pour se détendre, pour rencontrer laventure ou pour contribuer au développement de la science. Dimitrie Ghika-Comâneşti a voyagé en Afrique, Basil Assan a fait le tour du monde, Emil Racoviţă a fait des recherches en Antarctique. Parmi autant de noms connus, il y en a, pourtant, qui le sont moins, mais dont les contributions sont également importantes, affirme Mircea Anghelescu : « Certains sont tout simplement des aventuriers qui apparaissent et disparaissent sans explication. Cest le cas, par exemple, de soldats de la Légion étrangère qui se trouvaient en Afrique, vers lan 1900, et qui sy ennuyaient, probablement. Ils ont envoyés plusieurs lettres au pays et puis ils ont tout simplement disparu. Leur métier supposait pas mal de risques. Vers 1903-1904, un journaliste de gauche de la ville de Galaţi est parti en Afrique après la faillite de son journal. Il comptait y faire fortune grâce à lagriculture. Au bout de quelques années, il a échoué lamentablement dans son entreprise, mais ce fut aussi une expérience à raconter aux autres. Pour quelquun qui ne lit pas souvent de la littérature de voyage, il est intéressant de voir que les Roumains, réputés, fin 18e et début 19e, pour être « arrimés à leur pays », se transforment, en lespace de quelques dizaines dannées, en véritables aventuriers des mers et des terres ».



    Si la découverte de lOccident pousse nos voyageurs à se regarder dun œil critique, avec le temps, les Roumains ont aussi découvert autre chose, affirme Mircea Anghelescu: « Au 19e siècle, nous avons dès le début réussi un positionnement européen. Nous nous sommes rendu compte que nous étions, en fait, des Européens et nous avons adopté sciemment une conscience européenne. Cest toujours grâce aux voyages que débute lidentification des ressemblances et des zones de civilisation quil fallait remplir de matière européenne ». Mais pour ce faire, il a fallu créer, à travers les voyages, un choc qui nous aide à prendre conscience de notre retard et du fait que la modernisation ou leuropéanisation était à notre portée. Car les Roumains appartenaient plus à lOccident quà lOrient, malgré des siècles de rapprochement avec celui-ci. Et cest toujours au 19e siècle et à ses voyageurs que nous devons la récupération rapides des décalages par rapport à lEurope occidentale.


  • Rigas Feraios

    Rigas Feraios

    C’est pour la brillance de ses idées humanistes que le XVIIIe siècle a été appelé, à bon escient, le « Siècle des Lumières ». Les intellectuels de l’époque ont interpellé, parfois avec violence, les institutions établies, telles l’Eglise et la monarchie, mais aussi la noblesse et le clergé, sur la question de leurs privilèges. La modernité dont on se targue encore de nos jours était en train de voir le jour.

    Les pays roumains, eux, vivaient à l’époque dans la sphère d’influence de l’Empire ottoman. Les voïvodes régnant sur la Valachie et la Moldavie étaient issus du quartier du Phanar de Constantinople, connu pour ses habitants grecs aisés, survivants de l’ancienne Byzance. Et pour que ces derniers arrivent à monter sur les deux trônes des pays roumains, ces derniers devaient payer le prix fort auprès du Sultan. L’historiographie a longtemps taxé les phanariotes, c’est-à-dire ces voïvodes issus du quartier du Phanar de Constantinople et nommés par le Sultan pour régner sur la Valachie et la Moldavie, comme de hauts fonctionnaires symboles de la corruption qui régnait au sein de l’Empire ottoman. Et, en effet, souvent, une fois montés sur le trône, ils devaient s’enrichir à grande vitesse sur le dos du peuple, ne fut-ce que pour rembourser les dettes contractées afin payer leur haute charge confiée par le Sultan.

    De nos jours cependant, cette version de l’historiographie classique est devenue plus nuancée. Certes, la corruption était endémique et caractérisait sans nul doute le règne des phanariotes dans les deux pays roumains. Mais ce siècle, qui s’étend depuis 1714 à 1821, a vu aussi monter sur le trône des pays roumains nombre de princes éclairés et animés par des idées nouvelles qui se frayaient un chemin en Europe Occidentale. Des princes qui ont promu les principes de l’émancipation de l’individu et de la nation. Et c’est bien cette synthèse fortuite gréco-roumaine qui allait être le ferment des futurs mouvements anti ottomans de libération nationale grecque et roumaine.

    L’une des personnalités les plus connues du mouvement national grec en Valachie a été Rigas Feraios ou Rigas Velestinlis, dont les origines demeurent obscures et sont toujours sujet à débat entre les historiens roumains et grecs.

    Rigas est né en 1757 dans le village de Velestino, un village situé dans la province de Thessalie, dans le nord de la Grèce d’aujourd’hui, un village habité à l’époque par des Aroumains, une population répandue à travers les Balkans et qui parle un dialecte de la langue roumaine. C’est à partir de là que certains historiens roumains vont le revendiquer comme Aroumain, alors que les historiens grecs le contesteront. Ce qui est en revanche certain, c’est que Rigas a été, dans ses écrits et ses prises de position, un pan hellène, un militant de la première heure pour la fondation d’un Etat grec. Maître d’école dans un village situé près de Velestino, il devient célèbre au moment où, suite à une dispute, il arrive à tuer un fonctionnaire ottoman, pour ensuite se réfugier dans les montagnes, rejoignant une bande d’insurgés grecs. Il partira ensuite au Mont Athos, puis à Constantinople, où il devient secrétaire du futur voïvode phanariote de la Valachie Alexandru Ipsilanti, qui n’est par ailleurs pas moins l’un des leaders d’Eteria, l’organisation nationaliste grecque qui militait pour la libération de la Grèce du joug ottoman. Enfin, en 1775, le jeune Rigas descend à Bucarest avec le prince Ipsilanti, devenu voïvode de la Valachie. Il y restera longtemps, étant encore au service du successeur d’Ipsilanti au trône valaque, Nicolae Mavrogheni.

    L’historienne Georgeta Penelea-Filitti croit savoir que c’est à Bucarest que Rigas se radicalise, après être entré en contact avec les idées de la Révolution française : « Ce personnage fascinant qu’est Rigas, qui remplit tantôt les fonctions de secrétaire de la Chancellerie, tantôt de chargé d’affaires des boyards, tantôt de secrétaire du voïvode, qui écrit, travaille, qui est présent partout, il faut dire que c’est lui qui rédige, ni plus ni moins qu’une Constitution. Une Constitution élaborée pour tous les peuples des Balkans, sans préciser le rôle de chacun, mais l’objectif central demeure la libération du joug ottoman. Rigas a eu une fin tragique : il fut arrêté et remis par les Autrichiens au pacha de Belgrade et étranglé dans la forteresse de Kalemegdan en 1798 ».

    Pendant son séjour à Bucarest, Rigas a également été traducteur auprès du Consulat de la France révolutionnaire. Sous l’emprise des valeurs portées par la Révolution française, il rédigera « Thourios », sorte de Marseillaise grecque, chant mobilisateur aux accents patriotiques, qui sera popularisée par lord Byron. Arrivé à Vienne dans les années 1790, il concentra ses efforts pour constituer un groupe de pression censé influer les décisions de Napoléon pour faire libérer les Grecs de l’Empire ottoman. Là, il a publié nombre de pamphlets républicains et une carte reprenant les territoires habités par les Grecs à l’époque. Enfin, il adressa un Appel à tous les chrétiens de l’Europe de Sud-est, et notamment aux Grecs et aux Roumains, pour former une alliance pan balkanique et se soulever contre la domination ottomane. Rigas a été considéré comme un républicain radical et un véritable adepte du libéralisme. C’est toujours à Vienne qu’il fera paraître « La Nouvelle carte de la Valachie et d’une partie de la Transylvanie », mais aussi « La Carte générale de la Moldavie ». Son dessein, évident, était d’apporter à la conscience du public le caractère de terre conquise des territoires englobés dans la partie européenne de l’Empire ottoman. De ces cartes, un seul exemplaire a subsisté jusqu’à nos jours, et il se trouve à Athènes, au Musée national d’histoire de la Grèce. Il s’agit de la carte de la Valachie.

    La vie de Rigas finit de manière violente en 1798, alors qu’il n’avait que 41 ans. A Vienne, il essaya d’entrer en contact avec l’Armée de la France révolutionnaire, ennemie jurée de l’Autriche, et qui se trouvait en Italie. Alliés des Turcs, les Autrichiens vont arrêter Rigas et ses compagnons de combat et d’infortune et vont les remettre au Pacha de Belgrade. Ce dernier les fera exécuter. La postérité n’a en revanche pas oublié Rigas, figure particulièrement lumineuse du mouvement national grec, et qui a passé une bonne partie de sa vie à Bucarest. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Personnalités de la Grande Guerre

    Personnalités de la Grande Guerre

    Ce fut une période de combats acharnés et de sacrifices, Bucarest fut occupé par l’armée allemande ; pourtant, le pays sortit de la guerre renforcé — et unifié en 1918. Les hommes politiques et les militaires qui se sont distingués pendant cette période sont de nos jours des héros de la nation et leur passage à travers différents lieux et villes a été soigneusement étudié. L’Association « Histoire de l’Art » a récemment mis en œuvre un projet consacré aux personnalités de la Première Guerre mondiale et à leurs maisons bucarestoises — des villas plus ou moins somptueuses situées dans des zones historiques de la capitale et dont certaines ont subsisté. L’une d’entre elles se trouve dans un quartier aménagé au début du 20e siècle, suite au parcellement Ioanid. Un grand nombre de villas magnifiques y ont été construites, dont l’une a appartenu à Vintilă Brătianu, maire de la capitale et frère cadet du libéral Ionel Brătianu, premier ministre et un des artisans de la Grande Roumanie. Oana Marinache, de l’Association « Histoire de l’Art », retrace en quelques mots la biographie de Vintilă Brătianu, maire de Bucarest.



    « Il a approuvé le parcellement du Jardin Ioanid en 1909 et, à la fin de son mandat, il a gardé pour lui la plus grande parcelle de la zone. La partie couverte de végétation, c’est-à-dire le jardin ou le parc du quartier, n’était pas adjacente à sa propriété. Après la mort de Ionel Brătianu, en 1927, son frère cadet, Vintilă, prend les rênes du parti, mais il mourra, lui aussi, trois ans plus tard. Avant de se trouver à la tête du Parti libéral, entre 1907 et 1910, il a été maire de Bucarest. »



    La maison de Vintilă Brătianu, érigée selon les projets du grand architecte Petre Antonescu, est encore debout, rue Aurel Vlaicu. Oana Marinache.



    « On y retrouve un amalgame d’influences et de styles. Solide et volumineuse, elle rappelle les demeures fortifiées d’Olténie. Le portail a été créé sous l’influence de l’architecture spécifique de la zone collinaire bordant les Carpates. On y décèle aussi l’influence de l’architecture monastique, surtout de celle propre aux enceintes des monastères de Valachie. C’est une construction qui devient vite représentative pour l’architecture du début du 20e siècle. En général, les grandes personnalités politiques transmettent un message non seulement par leurs déclarations et leurs activités politiques, mais aussi par leur façon de vivre. Ainsi, après la Grande Union de 1918, dans les maisons des personnalités de l’époque fait son apparition le poêle transylvain. On met ainsi en évidence des éléments appartenant à la province pour laquelle tant de Roumains avaient lutté et sacrifié leur vie. Il s’agit d’un poêle en faïence avec des dessins en bleu ou en vert sur un fond clair. Dans tous les manoirs des boyards et dans toutes les maisons des hommes politiques de cette époque, on retrouve cette décoration à valeur symbolique et politique. »



    C’est dans un bureau de cette maison que, le 4 août 1916, on aboutissait à un accord secret avec l’Entente, accord qui allait être approuvé, par la suite, par le Conseil de la Couronne et en vertu duquel la Roumanie allait entrer en guerre. Un des militaires s’étant distingué dans cette guerre a été le général Henri Cihoski, participant au combat de Mărășești et adjoint au sein du Grand Etat-major. En décembre 1920, il fut chargé de réorganiser l’armée de Transylvanie, province qui avait réintégré depuis peu la mère patrie. Une année plus tard, Henri Cihoski se voyait confier la mission de superviser les cérémonies de couronnement du roi Ferdinand mais aussi le chantier de la Cathédrale de l’Union d’Alba Iulia. Sa maison de Bucarest avait une architecture moderne. Bâtie selon les projets de l’architecte Alexandru Săvulescu, elle fut achevée en 1934. Elle se trouve toujours dans une zone située à proximité du Parc Ioanid. Dans les années 1930, le roi Carol II a récompensé les officiers qui s’étaient distingués pendant la guerre, en leur offrant des terrains. Henri Cihoski a compté parmi ses officiers. C’est dans cette maison, où il habitait avec toute sa famille, qu’il fut arrêté par les communistes en mai 1950, pour s’éteindre, 11 jours plus tard, dans la prison de Sighet.


    – – –


    Le sort d’un autre officier ayant participé à la Première Guerre mondiale, le général Ioan Dragalina, ne fut pas meilleur. Il est mort en 1916, après avoir défendu la frontière ouest du pays, en tant que commandant de la première division d’infanterie basée à Drobeta Turnu Severin. Oana Marinache raconte :



    « Le 12 octobre 1916, le général Dragalina part, en voiture, accompagné probablement par quelqu’un d’autre à part le chauffeur, pour une mission de reconnaissance. Ils sont surpris par une rafale de balles et attaqués par l’armée austro-hongroise. Il s’en tire, sur le moment, mais il est blessé à l’épaule. On le transporte à Bucarest, sur l’ordre du roi. Pourtant, en raison du grand retard enregistré par les trains, une septicémie se déclenche et le 24 octobre il meurt dans d’atroces souffrances. »



    Durant l’entre-deux-guerres, les enfants du général allaient recevoir, à la mémoire de leur père, un terrain à Bucarest issu du parcellement Bonaparte, devenu par la suite le Parc Ferdinand Ier. A cet endroit se trouve, de nos jours, une des zones résidentielles les plus chic de la capitale : la zone des rues portant des noms de capitales.


    (Trad. : Dominique)

  • La maison Pompiliu Eliade

    La maison Pompiliu Eliade

    Comme toute capitale européenne ayant connu plusieurs périodes de modernisation, la ville de Bucarest a un patrimoine immobilier divers. L’évolution architecturale et urbaine de la capitale allait commencer durant le dernier quart du 19e siècle. Construite au début du 20e siècle, la maison Pompiliu Eliade est passée par toutes les phases qu’un bâtiment peut connaître, depuis les efforts de construction à l’abandon, la ruine et les tentatives de réhabilitation. L’éditrice Silvia Colfescu nous raconte brièvement l’histoire de cette maison unique : « La maison est située sur la rive de la Dâmboviţa, à l’intersection de la rue Splaiul Independenţei et de la rue Hașdeu. Elle a été construite par Pompiliu Eliade, lettré, importante personnalité culturelle de son époque et grand ami de l’écrivain Bogdan Petriceicu Hașdeu. Le projet de la maison repose sur une idée de Hașdeu, qui a imaginé un hall central octogonal et quatre ailes orientées vers les quatre points cardinaux, une structure architecturale que l’écrivain considérait comme bénéfique pour ceux qui allaient habiter la maison. Les projets ont été conçus par l’architecte Henri Susskind, à qui on doit aussi, d’ailleurs, le bâtiment de la Faculté de médecine vétérinaire, située vis-à-vis, et par l’entrepreneur Schindl. Le baron autrichien Susskind, avait épousé une roumaine, la petite fille du général Năsturel Herescu. Comme la quasi-totalité des belles maisons construites à Bucarest par les personnalités de la ville, celle-ci allait être érigée, elle aussi, avec de l’argent emprunté à une banque. A l’époque on ne faisait pas fortune du jour au lendemain. Pompiliu Eliade a donc obtenu un crédit. Il a habité la maison, avec sa femme et ses deux enfants, jusqu’à sa mort. Après son décès, sa femme n’a plus eu les moyens de payer les mensualités et la banque a pris possession de la maison. »

    Ce joyau d’architecture urbaine est née d’une heureuse rencontre entre la personnalité extraordinaire de Hașdeu et l’intelligence de Pompiliu Eliade. Silvia Colfescu : « La maison est effectivement hors du commun. Son architecture est romantique, wagnérienne même, je dirais. Elle ressemble à un château – plus précisément au château partiellement art nouveau que l’écrivain Hașdeu a érigé à Câmpina pour sa fille Iulia. Un peu plus loin, sur la rive de la Dâmboviţa, se trouve une autre maison qui lui ressemble un petit peu, mais une autre maison pareille à celle de Pompiliu Eliade, je n’en ai pas vue à Bucarest. Jusqu’il y a quelques années, elle a conservé sa clôture, qui est donc restée debout 100 ans, le portail a disparu de façon mystérieuse ; pour certains, il était juste bon pour être vendu à la ferraille. Pompiliu Eliade s’est éteint en 1914. Après sa mort, sa femme a quitté la maison et s’est établie à Paris avec les enfants. La banque a pris possession de la maison, mais elle ne savait pas trop quoi en faire. Pendant un certain temps, elle a essayé de la transformer en foyer pour étudiants. Finalement, elle fut achetée par un juriste, Anton Rădulescu, qui avait deux enfants et une belle famille. Ils ont très bien entretenu la maison. Initialement, l’étage n’était pas séparé du reste de la maison par un plafond. Anton Rădulescu a fait construire un plafond, la rendant plus efficace comme logement. Il a réservé l’appartement situé à l’étage comme dot pour sa fille et il a occupé le rez-de-chaussée, avec sa femme et son fils. Sa fille a épousé Grigore Olimpiu Ioan, un journaliste qui avait fait ses études à Paris, et le couple a donc habité à l’étage. »

    Le déclin de la maison a commencé à la fin de la deuxième guerre mondiale, après l’instauration du communisme. Silvia Colfescu: « Tout allait bien, la maison était très soignée ; c’était une des plus belles maisons de Bucarest, mais « la libération », est venue, suite à laquelle les propriétaires ont été « libérés » de leurs propriétés. Puisque c’était l’avènement du prolétariat, de nombreux villageois ont été appelés des campagnes et installés dans les villes pour diriger le pays. Bucarest comptait à l’époque 500.000 habitants et tout d’un coup, la population de la ville a monté en flèche. Où loger tant de personnes sinon dans les maisons de ceux qui bénéficiaient d’ »espace excédentaire », comme on disait à l’époque. Cette expression me donne encore la chair de poule, quand je l’entends. Dans la maison dont nous parlons ont été logés, par conséquent, toute sorte de personnages bizarres, dont un « Monsieur », soi-disant, qui recevait la visite des membres de sa famille qui habitaient la campagne et qui se rendait à Bucarest en charrette, qu’ils garaient dans la cour. Parmi les locataires, il y avait aussi un cadre du parti communiste dont le grand mérite a été de voler au juriste ses légumes en saumure. Toutes les pièces étaient dorénavant occupées. Seul le hall octogonal ne pouvait pas être habité. Or, dans ce hall où l’on recevait jadis des invités et où l’on buvait du thé en discutant de sujets élevés, on déposait à présent les bocaux de légumes en saumure. Chaque époque a ses spécificités. Or, les spécificités de l’époque dont il est question, furent la charrette garée dans la cour de la maison wagnérienne et les légumes en saumure dans le hall octogonal. »

    A la mort des propriétaires, leur gendre, le seul héritier de la maison, est obligé de vendre un appartement et, après la chute du communisme, en 1989, de vendre tout l’immeuble à un homme d’affaires et d’aller vivre à Paris. Abandonnée par son nouveau propriétaire, la maison a été occupée abusivement et peu à peu vandalisée. Récemment, les personnes qui l’avaient occupée ont été évacuées et l’immeuble a été entouré d’une clôture. Les passionnés de beauté espèrent qu’un projet sera mis en œuvre pour la réhabiliter. ( Trad. : Dominique)

  • La vie sociale et politique à Sibiu au XVIe siècle

    La vie sociale et politique à Sibiu au XVIe siècle

    Parmi les bourgs fondés par les Saxons en Transylvanie à compter du XIIe siècle, deux se détachent allégrement du lot. Il s’agit, bien évidemment, des villes de Braşov et de Sibiu. La première, plus grande et plus peuplée, avec son air peut-être un plus pragmatique et dynamique – plus conservatrice, aussi -, semble avoir un réel penchant pour le commerce. De l’autre côté, la ville de Sibiu a depuis toujours été considérée comme le centre politique, administratif et intellectuel de référence des Saxons de Transylvanie. Mais Sibiu a lui aussi un penchant certain pour le commerce, avec le développement des relations économiques étendues vers l’Europe centrale et occidentale, mais aussi vers l’Est et le Sud du continent. Historiquement, les liens commerciaux qu’elle noue avec la Valachie, dont notamment avec les villes de Câmpulung-Muscel, Târgoviște et Pitești, mais aussi avec l’Empire ottoman, contribuent grandement à assurer durablement sa prospérité. Ville peuplée d’artisans et de commerçants, Sibiu avait instauré au Moyen Age une forme de gouvernance propre, à l’instar d’autres bourgs médiévaux européens, mais avec certains particularismes locaux. C’est au XVIe siècle que le caractère local de ce mode particulier de gouvernance se fait sentir le mieux, dans ce que l’on pourrait appeler un début de démocratie locale. Ainsi, les habitants de Sibiu élisaient, déjà à l’époque et par vote direct, tous les ans, leur maire, les magistrats locaux ainsi que leur représentant royal. Cette forme de démocratie locale et la législation qui s’ensuivait était connue sous le syntagme allemand de « gute Polizey », autrement dit la bonne gouvernance. Mária Pakucs-Willcocks, l’auteure du livre Sibiu au XVIe siècle. La gouvernance d’une ville transylvaine nous fait mieux connaître les arcanes et les subtilités de la démocratie sibienne d’antan. « Les élites politiques, économiques et administratives de Sibiu essayaient de concevoir une certaine vision de la ville, une vision que l’on pourrait considérer politique, voire idéologique, c’est-à-dire une série de normes et de valeurs, synthétisée dans l’expression « gute Polizey ». Ces valeurs ne sont peut-être pas intégrées et assimilées de façon unitaire par l’ensemble de la population de la ville, mais les statuts de cette dernière, inspirés par les statuts et les normes en vigueur dans les autres villes occidentales de l’époque, font bien état de cette volonté assumée de la bonne gouvernance. Il y a donc les élections qui, comme souvent, évidemment, permettent d’élire les membres des mêmes familles, qui font part de l’élite existante, des familles qui disposent des ressources et des relations nécessaires pour se consacrer à la vie politique, à la gestion de la cité. L’on peut parler ainsi d’une certaine forme de démocratie des nantis, des privilégiés, une démocratie quelque peu biaisée, mais à travers laquelle les élus gardaient néanmoins contact avec leur base électorale et ses représentants. Parce que, en même temps, il existait le corps de centumvirs, c’est-à-dire cent hommes, élus tous les ans, et représentants les artisans, les classes moyennes, pour parler dans le langage d’aujourd’hui. Une classe formée notamment d’artisans et de commerçants. »

    Cette architecture institutionnelle n’est pas l’apanage du seul Sibiu, car on peut la retrouver ailleurs, elle est commune à d’autres villes saxonnes de Transylvanie. Pourtant, la ville de Sibiu a bénéficié de l’apport de personnalités particulièrement remarquables. Un homme d’Etat qui a frappé les mémoires, et dont le nom est encore connu de nos jours – c’est celui d’une place de la ville -, est Huet. Nous avons voulu en savoir un peu plus, et nous avons interrogé Mária Pakucs-Willcocks pour comprendre en quoi M. Huet était un personnage hors normes. « Pour la ville de Sibiu de ce temps-là, Albert Huet était déjà un homme d’une excellente éducation, bénéficiant d’une formation intellectuelle d’exception. Albert Huet a été élu et réélu représentant royal de la ville Sibiu, de 1577 à 1607. C’est à lui que l’on doit cette formule de gute Polizey, qui ne s’est répandue dans le langage administratif qu’un siècle plus tard. Albert Huet avait offert aux Saxons de Transylvanie un instrument pour qu’ils puissent se reconnaître et se distinguer en tant que nation à part entière. Sa carrière politique n’a pas été de tout repos. Contemporain de Michel le Brave, voïvode de Valachie, Albert Huet a pris par exemple part à la Bataille de Giurgiu aux côtés du voïvode valaque. Il s’est érigé comme représentant, une sorte de père des Saxons de Transylvanie, cherchant à élargir le champ de leur autonomie et le maintien des privilèges politiques, administratifs, juridiques et économiques dont ces derniers bénéficiaient. Ce que l’on constate en revanche, c’est qu’à plus long terme, ces privilèges ont déterminé une sorte d’incapacité des Saxons à s’adapter aux changements ultérieurs du contexte politique. Sibiu était resté un bourg longtemps fermé aux autres nationalités, qui n’avaient pas le droit de s’y établir. Et bien évidemment, les Roumains n’étaient pas les seuls affectés par cette politique. En fait, les Saxons de Sibiu essayaient de limiter l’établissement de tout intrus dans la ville, et cette acception recouvrait un vaste éventail de situations individuelles : tous ceux qui n’étaient pas Saxons, luthériens et bourgeois étaient a priori exclus. Même les nobles. Pour un bourgeois saxon de Sibiu, accepter l’établissement d’un aristocrate dans sa ville était difficilement imaginable. Cette situation, cette règle de ne pas accorder le droit d’établissement et la citoyenneté de la ville à ceux qui n’étaient pas coulés dans un moule prédéfini, a perduré pendant des siècles et a constitué un problème ». Quoi qu’il en soit, en 1589, Sibiu s’était doté d’une véritable Constitution. « Je l’appelle ainsi, Constitution, explique Mária Pakucs-Willcocks. Le titre officiel de l’acte en question est celui de « Statuts de la ville ». C’est là qu’on voit se cristalliser cette idée de gute Polizey, de bonne gouvernance. C’est là qu’étaient définies les règles et les principes qui régissaient la conduite politique et le fonctionnement administratif de la ville. Le principe du consensus y est central, même si ce principe n’est pas l’apanage exclusif de Sibiu. Toutefois, à Sibiu, cette idée de consensus recouvre et régit plusieurs aspects de la vie de la communauté : l’intérêt commun, la paix commune, les relations entre les gouvernants et les gouvernés, l’obéissance à l’autorité. Dans ce contexte, qu’est-ce que le bien commun ? Il s’agit pratiquement d’un contrat qui fait que les gouvernés obéissent à l’autorité pour autant et aussi longtemps que l’autorité agisse dans l’intérêt de tous. Et c’est bien cette poursuite de l’intérêt commun qui doit assurer la paix et la prospérité de la communauté. »

    Par cette recherche du consensus, par l’exercice d’une pratique démocratique naissante ou encore par sa constitution ancienne, la ville de Sibiu a contribué de manière remarquable à l’enrichissement de la culture politique de la Roumanie d’aujourd’hui, dont l’Etat, dans sa forme contemporaine, vient de fêter ses cent années d’existence.

    (Trad. Ionut Jugureanu)

  • L’imprimeur Barbu Bucuresteanul

    L’imprimeur Barbu Bucuresteanul

    Ce nest quau XVIIIe siècle que Bucarest prend véritablement son essor, au moment où les Principautés roumaines, la Moldavie et la Valachie, se trouvent encore sous suzeraineté ottomane. Durant ce siècle, elles sont dirigées par des voïvodes, par les princes que lhistoriographie appellera les Phanariotes, ces grecs riches et lettrés, originaires du Phanar, le quartier constantinopolitain dIstanbul. Bucarest devient petit à petit un véritable centre commercial, un centre dartisans, voire même un centre culturel, cœur dune société diverse et hétérogène dun point de vue ethnique et culturel. Cest à ce moment que paraissent les premiers écrits imprimés. Les documents historiques gardent la mémoire des premiers contrats dembauche par des métropolies et des évêchés de ces artisans précieux et raffinés quétaient les imprimeurs. Le nom de certains dentre eux, de la première heure, est arrivé jusquà nous. Aussi, reconstituer leur vie et leur quotidien, cest récupérer la mémoire de la société bucarestoise dalors. Parmi ces premiers imprimeurs dont lhistoire a gardé les noms, Stoica Iacovici, ses fils, ou encore Barbu Bucureşteanul.



    Daniela Lupu, historienne au Musée de Bucarest, nous plonge dans latmosphère dantan et dans le quotidien des premiers imprimeurs bucarestois :« Stoica avait une personnalité extravertie, cétait un homme agile et enthousiaste. Il voulait faire fortune, car il avait une famille nombreuse à charge : Trois fils et un nombre indéfini de filles. A lopposée, Barbu Bucureșteanul est quelquun dintroverti, un homme qui naimait pas traîner en société, qui appréciait la solitude. Il nest pas très aisé, et il a dû quitter Bucarest où il est probablement né, pour aller chercher du travail en Moldavie. Parce que Bucarest, au milieu du XVIIIe siècle, était un peu la chasse gardée de la famille de Stoica Iacovici. Ce dernier travaillait en famille, il sagissait dune affaire de famille. Il connaissait tout le monde, avait ses entrées, même auprès du voïvode et du métropolite. Donc il avait du travail, mais pour Barbu Bucureșteanul cétait différent ».



    Pour sattaquer au monopole de laffaire de famille de Stoica Iacovici à Bucarest, Barbu Bucureşteanul a dû dabord sexiler de sa ville natale. Daniela Lupu affirme que :« A la fin de sa période dapprentissage dans une des imprimeries de Bucarest, Barbu est allé chercher du travail en Moldavie, auprès de lArchevêché de Rădăuți. Il débute en 1744, comme maître imprimeur à limprimerie de lArchevêché de Rădăuți, et rentre à Bucarest en 1747 seulement. Une fois de retour, il se fait embaucher par limprimerie de lArchevêché Hongrois-Valaque, où il dirige latelier et forme de nombreux apprentis. Ceci jusquen 1758, lorsquil meurt, probablement de la peste. Barbu a édité dans lintervalle 8 livres religieux et des livres de prière, destinés aux pratiquants, pas pour le catéchisme. »



    Dès son retour à Bucarest en 1747, Barbu Bucureşteanul publie des livres religieux aussi bien en roumain, en utilisant les caractères cyrilliques qui avaient cours à lépoque, quen langue slave, la langue liturgique de léglise orthodoxe de son temps. Selon Daniela Lupu, il nétait pas rare quun maître artisan aille chercher du travail loin de chez lui. « Au début de leur art, les imprimeurs menaient une vie de pèlerins, étant obligés de chercher loin des commandes, du travail, sauf peut-être quand ils étaient les protégés dun archevêché ou autre. Lhistoire de Barbu est très parlante à cet égard : Après ses débuts, moins fastes sans doute, il grimpe les échelons, puis la manière dont il maîtrise son art est reconnue et appréciée, et il devient limprimeur attitré de la métropolie de Bucarest. Belle fin de carrière pour lartisan imprimeur. »



    Et cest en 1747 que paraît le premier volume édité par Barbu Bucureșteanul dans la Typographie de la Métropolie Hongro-Valaque de Bucarest. Edité en petit format, le livre sintitule « Prières de tous les jours de la semaine ». Son nom napparaît pas sur la page de garde, mais il signe la préface. On comprend que cest lui qui sest chargé de limpression de ce volume. Il ne travaillait pas seul, dautres maîtres artisans, dont Grigore Stan Brașoveanul, faisaient équipe avec lui. Daniela Lupu : « Une chose intéressante : Barbu et Grigore ont signé un contrat de travail, pour employer des notions contemporaines, avec le métropolite Neofit le Crétois, de Bucarest. Ce genre de contrats a sans doute dû être établi dans dautres contextes, mais cest le seul qui nous est parvenu. Cest un document rare, car il nous renseigne sur le niveau de salaire des imprimeurs de lépoque, de leurs droits et obligations envers leur employeur. On na gardé que deux contrats rédigés au XVIIIe siècle de ce type. Que stipulait le marché conclu entre lemployé et lemployeur? Et bien, on apprend que lemployeur devait nourrir lemployé chaque jour, un repas qui comprenait du pain, du vin, et différents plats. Il avait droit de recevoir du sel, du savon, des bougies, pour pouvoir travailler la nuit dans son atelier lorsque le temps pressait. Et puis, des bûches en bois pour chauffer les poêles. »



    En labsence de sources contraires, il semblerait que Barbu Bucureşteanul ait travaillé et habité Bucarest jusquà la fin de ses jours, cest-à-dire en 1758. Il est possible quil ait été une des premières victimes de lépidémie de peste qui a ravagé Bucarest entre 1756 et 1759. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Le Musée d’art de Timisoara

    Le Musée d’art de Timisoara

    Entre 1552 et 1716, après 164 ans de suzeraineté ottomane sur la région roumaine du Banat, son chef lieu, Timișoara, sera occupé, en 1716, par les troupes autrichiennes. De 1718 à 1918, lorsque le Banat deviendra enfin roumain, la ville fera partie intégrante de lEmpire des Habsbourg. A compter de 1718, Timisoara connaît une époque florissante, sous légide de la Maison de Habsbourg. Lempereur Carol VI va fonder lAdministration du Banat, cette nouvelle province impériale, avec Timisoara à sa tête. Un ample programme de transformation urbanistique va, dans ce contexte, démarrer.



    Le Palais baroque, sis de nos jours place de lUnion, au centre historique de la ville, et abritant le Musée dArt, représente un des témoins architecturaux de cette époque dor. Le directeur du musée, lhistorien Victor Neumann, nous fait plonger dans latmosphère de lépoque : « Le Palais a été érigé de 1733 à 1752. Il devient dabord la résidence du gouverneur, puis du président du comté de Timis, étant de fait le siège de ladministration du Banat. Entre 1718 et 1779, le Palais abrite dans ses locaux tant ladministration que les appartements de certains hauts fonctionnaires. Les plans du Palais, on les doit aux ingénieurs autrichiens. Des ouvriers sont venus de Vienne pour le bâtir. Une bonne partie des bâtiments érigés pendant la période ottomane a été rasée. Timișoara est lune des rares villes européennes qui a été presque entièrement détruite à un certain moment de son histoire, pour être reconstruite à partir de zéro, au 18e siècle. »



    Le visage de Timișoara change tout au long de ce siècle, les formes et les volumes du baroque tardif, style plus sobre et assez typique en toute lEurope centrale, laissant leurs traces indélébiles dans larchitecture de la ville. La répartition fonctionnelle des espaces commence à montrer son utilité pratique. Le rez-de-chaussée est généralement occupé par des espaces aux fonctions administratives et commerciales, alors que les étages servent surtout aux habitations. Les fenêtres des appartements donnent sur la rue, tandis que des passages voutés assurent laccès aux annexes situées dans les cours intérieures. Le Palais baroque suit les mêmes principes. Il sera Palais administratif du comté de Timis jusquen 1778, siège de la Préfecture entre 1778, le moment de lannexion du Banat à la Hongrie, et jusquau mois de juin 1848. Enfin, après la défaite de la révolution magyare, il servira, à partir de 1849, de siège du gouvernement du Banat et de la Voïvodine. Victor Neumann. « Le Palais est dabord le siège de ladministration autrichienne et serbe de la ville. Il compte le rez-de-chaussée et deux étages. Il a aussi deux cours intérieures, des annexes, des étables, des entrepôts que lon peut encore observer au 19e siècle. Le rez-de-chaussée est occupé par la chancellerie du Banat et sert de bureau des recettes destiné aux militaires. Pendant tout le 19e siècle et au début du 20e siècle, il continue de faire office de siège administratif régional. La préfecture y élit domicile à partir de 1918, lorsque la région du Banat intègre le Royaume de Roumanie. Après la Seconde Guerre Mondiale, pendant la période communiste, cest lUniversité dAgronomie et de Médecine vétérinaire qui prend possession des lieux. Enfin, ce nest quà compter de 1990 que le Palais abrite le musée dart de la ville ».



    Fin 19e, le Palais barque subit des transformations qui lamènent à son apparence actuelle. La restauration subie à lépoque suit la mode de ce que lon appelait le « style épuré ». Les travaux sont dirigés par larchitecte et entrepreneur Jakob-Jacques Klein, originaire de Cernauti, et se déroulent entre 1885 et 1886. Aujourdhui, le Palais baroque de Timisoara appelle à de nouveaux travaux de restauration, censés lui faire retrouver aussi bien son charme dantan quune meilleure mise en valeur des collections dart moderne et religieux quil abrite. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Le palais de la culture de Târgu Mureș

    Le palais de la culture de Târgu Mureș

    Expression de la révolte d’un groupe d’artistes qui voulaient briser les canons académiques, le courant Art nouveau, aussi appelé Sécession, apparaît en France, dans les années 1890. Il privilégiait les lignes courbes et les formes naturelles – plantes, fleurs etc. – ainsi que les ornements multicolores. Bien que surtout présent en peinture et en architecture, l’Art nouveau a influencé tous les domaines de l’art : arts décoratifs, art graphique, verrerie, mosaïque, bijoux, mobilier. L’Art nouveau fait irruption dans l’architecture des villes tout d’abord en France, en Italie, en Espagne, en Allemagne et en Belgique. Le courant gagne ensuite peu à peu l’Est du continent. Il fait son apparition dans l’architecture transylvaine entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle.

    Principauté roumaine multiethnique, la Transylvanie fait alors partie de l’Autriche-Hongrie. Le patrimoine urbain de Târgu Mureș, petite ville de l’Est de la Transylvanie, compte un monument de style Art nouveau impressionnant. Il s’agit du Palais de la Culture, un important édifice du centre-ville.

    Timea Fulop, guide du palais : « Le Palais de la culture, avec sa riche décoration inspirée de l’art traditionnel sicule, a été achevé en 1912. Les deux architectes qui avaient signé les projets – Komor Marcell et Jakab Dezso – venaient de Budapest et ils étaient déjà célèbres à l’époque. Ce sont eux qui ont conçu les projets du bâtiment – lui aussi de style art nouveau – situé vis-à-vis du Palais. Les deux édifices sont d’ailleurs très connus. Le Palais de la culture est peut-être un des plus beaux bâtiments de style art nouveau de Roumanie. Cet édifice unique a, dès le début, une finalité culturelle. Il accueille actuellement – un siècle après sa construction- plusieurs institutions, un musée, la Bibliothèque départementale et la Philharmonie de la ville. Chaque jeudi, elle se produit en concert dans la grande salle de 600 places. Le Palais compte également une petite salle réservée aux conférences et aux concerts de musique de chambre. Et puis, il y a la Salle des Glaces, la plus célèbre du Palais, appelée ainsi en raison des deux miroirs vénitiens placés à ses deux extrémités, et des ses 12 vitraux sur lesquels sont peintes des scènes inspirées des ballades et de la mythologie. »

    C’est la Salle des glaces qui attire d’ailleurs le plus grand nombre de visiteurs. En plus de ses deux miroirs triptyques, elle contient aussi les tables décorées de miroirs qui lui donnent sa spécificité.

    Les quatre architectes qui ont fait de la Salle des glaces une pièce si spéciale – Sandor Nagy, Ede Thoroczai Wigand, Sandor Muhics et Miksa Roth – provenaient de l’école de Gödöllö, localité située à une trentaine de kilomètres au nord de Budapest. Le Palais de la culture de Târgu Mureș est une construction originale, et non une simple copie d’autres bâtiments. Son architecture contient également des éléments empruntés à l’art traditionnel sicule, et les scènes peintes sur les vitraux sont inspirées de ballades sicules. Une de ces ballades s’appelle « Budai Ilona » ou « La mère impitoyable ». Elle raconte l’histoire d’une mère bien trop dure envers ses enfants – un thème qu’on retrouve aussi dans d’autres cultures européennes. La deuxième ballade illustrée sur les vitraux est celle de « Salamon Sara », qui parle d’une jeune fille leurrée par le Diable. Sur le troisième vitrail on retrouve des scènes de la ballade « Kadar Kata », l’histoire en vers d’un mariage interdit. Enfin, la dernière ballade dont s’inspirent les vitraux s’appelle « Julia, la belle jeune fille emportée au Paradis ». C’est l’histoire mi-chrétienne, mi-païenne d’une jeune fille dont la mère pleure la mort. (Trad. : Dominique)

  • Le parcellement Filipescu et la naissance d’un quartier

    Le parcellement Filipescu et la naissance d’un quartier

    A l’extrémité nord de Bucarest, l’Avenue Victoria, le boulevard le plus ancien et le plus important de la capitale, bifurque en deux belles avenues connues aujourd’hui comme la Chaussée Kiseleff et le boulevard Aviatorilor. Au 19e siècle, cet endroit de la banlieue bucarestoise alors, lieu de promenade et de batailles de fleurs, était appelée « La Chaussée ». La ville y finissait et d’immenses domaines, couverts de jardins, de vergers et de vignobles se déployaient à partir de là, à perte de vue. Vers la fin du 19e siècle, lorsque la ville s’était développée et avait besoin de nouvelles zones résidentielles, la Chaussée a commencé à se métamorphoser et se divisa en deux. Une partie fut appelée « La Chaussée Kiseleff», l’autre porta plusieurs noms, dont « La Chaussée Jianu », devenue de nos jours le boulevard Aviatorilor.

    L’historienne de l’art Oana Marinache renoue le fil de l’histoire : « La création de l’ancien boulevard Colțea, qui reliait à l’époque la Place Romană à la Place Victoria, fut un pas important dans le développement urbain de la capitale. Ce boulevard, appelé de nos jours Lascăr Catargiu, a été tracé durant le mandat du maire de Bucarest Nicolae Filipescu, à la fin du 19e siècle et au début du 20e. En 1902 déjà, les autorités envisageaient d’élargir davantage l’Avenue Jianu et d’instituer des règles de construction, après l’expropriation des vastes domaines qui s’y trouvaient, pour gagner des terrains qui puissent être transformés en zones résidentielles. »

    Sans rapport direct avec le maire Nicolae Filipescu, un autre Filipescu allait contribuer à l’aménagement de la Chaussée Jianu : il s’agit d’Alexandru Filipescu, petit-fils d’un riche boyard influent qui s’appelait toujours Alexandru Filipescu, mais surnommé « le Renard ». Oana Marinache : « On lui avait donné ce sobriquet parce qu’il était assez habile pour négocier sa position à la cour suite à tout changement politique, réussissant toujours à s’adapter à la nouvelle situation. Il n’a pas eu d’héritiers. Il a quand même eu un fils – illégitime à sa naissance – qu’il allait reconnaître par la suite et qui s’appelait Ioan Filipescu. Ce dernier a épousé Eliza Bibescu, la fille du prince régnant Bibescu. C’est de ce mariage qu’est né le deuxième Alexandru Filipescu, celui dont il est question dans notre entretien. Or, en 1912, l’idée vint à ce deuxième Alexandru Filipescu de diviser sa propriété, donc le domaine hérité de son grand-père. Jusqu’en 1913, ce boyard, homme d’affaires et promoteur immobilier avant la lettre, réussit à vendre plus de 120 parcelles de terre, mesurant entre 500 et 1.000 mètres carrés. Il poursuivit cette initiative jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. Alexandru Filipescu allait s’éteindre en 1916. Il a assumé la responsabilité de doter cette zone de tous les services nécessaires, qu’il paya de son argent. Il allait également faire don à la ville de Bucarest de deux parcs, en fait deux zones vertes, pour contribuer à l’idée de faire de la capitale une ville-jardin. Il n’a donc pas pensé uniquement aux spéculations immobilières, mais aussi à embellir cette partie de la ville. Il a gardé pour lui-même un lopin de terre, vers l’actuel boulevard Aviatorilor, pratiquement un grand parc où il a fait construire une villa d’après les plans de l’architecte Roger Bolomey. Il a également tracé les allées de sa propriété selon une idée française, les bordant de différentes espèces d’arbres. Ces allées, il les a baptisées du nom de ses ancêtres, gardant pour une des principales rues du nouveau quartier son propre nom et celui de son grand-père: l’allée Alexandru. »

    La villa du prince Alexandru Filipescu, que l’on peut voir de nos jours encore, boulevard Aviatorilor, est un des joyaux d’architecture de la capitale. Oana Marinache : « Les plans de la villa sont signés par Roger Bolomey, architecte roumain d’origine suisse, né à Piatra-Neamț, dans le nord-est de la Roumanie, où il a créé de belles villas. Etant originaire de Moldavie, il a adopté le style néo-roumain et il utilisait la brique apparente, ainsi que les belvédères qui rappelaient l’architecture des monastères de Bucovine. »

    Peu à peu, sur les parcelles de Filipescu allait se développer une des plus belles zones résidentielles de la ville. Les propriétaires ont acheté leurs parcelles en 1912-1913, mais la construction des villas allait se prolonger jusqu’à l’entre-deux-guerres. Les acquéreurs étaient des personnes aisées : banquiers, hommes politiques, boyards, industriels et artistes. L’architecture des villas était généralement néo-roumaine, un style qui s’était imposé notamment après la Grande Union de 1918. C’est le cas de l’édifice qui abrite l’Institut culturel roumain. Oana Marinache détaille : « Vasile Morțun a été le premier propriétaire et commanditaire de la villa située 38, Allée Alexandru. Elle a été construite selon les plans de l’architecte Petre Antonescu. Pendant l’entre-deux-guerres, la villa allait être achetée par l’industriel Nicolae Malaxa, qui allait l’agrandir, d’après les plans d’un autre architecte, Richard Bordenache. Des représentants d’une autre catégorie socio-professionnelle allaient s’installer dans la zone : des peintres et des artistes. Côté architecture, les règlements n’étaient pas très stricts à l’époque. Des projets d’une grande variété architecturale y furent donc mis en œuvre, signés par des personnalités importantes de l’architecture roumaine mais aussi internationale. »

    Malgré les destructions et les changements que la capitale a subis pendant le régime communiste, cette zone a réussi à conserver son aspect élégant. Pourtant, hélas, ces derniers temps, des constructions modernes et nullement inspirées y ont fait leur apparition, qui ne s’harmonisent pas avec les villas du quartier et ne respectent pas les règlements institués pour protéger cette zone appartenant au patrimoine architectural de la ville de Bucarest. (Trad. : Dominique)

  • La culture de Cucuteni

    La culture de Cucuteni

    Une des plus impressionnantes cultures Néolithiques a été la culture de Cucuteni-Ariuş-Tripolia qui s’étendait entre le nord-est de la Roumanie, la République de Moldavie et l’Ukraine de sud-est. Elle a eu son nom par le village de Cucuteni où, en 1884, on a découvert les premiers vestiges archéologiques. Réputée pour sa céramique peinte superbement, la culture de Cucuteni est datée autour de 4800-4600 avant notre ère. Ses habitants, nommés aussi cucuteniens, avaient un mode de vie principalement sédentaire. Ils étaient chasseurs, agriculteurs, pêcheurs, s’occupaient de l’artisanat, de l’exploitation du sel et de sa commercialisation.

    Lăcrămioara Stratulat est la directrice du Complexe Muséal Moldova de Iaşi qui accueille le Musée d’Histoire de la Moldavie. Des pièces représentatives de la culture de Cucuteni y sont exposées. Elle nous fait une courte introduction dans cette culture célèbre dans le monde entier. Lăcrămioara Stratulat : « La culture de Cucuteni, une magnifique culture Néolithique, importante et surprenante, est la plus importante culture d’Europe. Ce n’est pas nous, les Roumains, qui le disons. C’est une culture antérieure aux grandes pyramides et à la culture mycénienne. Les plus anciens artefacts ont un âge de 6.500-7.000 ans. Ce n’est pas peu si nous considérons ce qu’elle a de remarquable, les peintures splendides dont les couleurs sont restées presque intactes. Nous avons encore beaucoup de questionnements concernant cette culture. »

    La géographie des hommes qui vivaient il y a quelques milliers d’années était toute autre, l’espace tel qu’ils se l’imaginaient diffère fondamentalement de celui que nous imaginons aujourd’hui. Dans ce sens, la signification de la culture n’était pas limitée à notre compréhension moderne du terme. Lăcrămioara Stratulat : « Comme toute culture archéologique, elle a une période de début, une de développement maximal et une période de fin. La période de début s’est déroulée dans la zone de la Moldavie et c’est ici aussi qu’elle a eu sa période de développement, dans toute la Moldavie, d’un côté et de l’autre de la rivière Prut. La dernière partie de développement de cette culture s’est déroulée du côté ukrainien. Il y a 7.000 ans il n’y avait pas de frontières, les pays et peut-être qu’il serait bénéfique, lorsque nous parlons de culture, de souligner le fait que la chose la plus importante est la valeur et non les frontières administratives d’un pays qui, néanmoins, doivent être respectés.»

    Une des colonies les plus importantes de Roumanie de la culture de Cucuteni est le village Poduri du département de Bacău, dans l’est de la Roumanie. C’est ici qu’on a découvert en 1979 un important site archéologique qui contient des habitations, des outils, des réserves de provisions, de la céramique peinte, des statuettes et un moulin. On y a trouvé des grandes réserves de céréales, 16 dépôts ont été découverts dans une seule habitation. On a découvert, à différents niveaux, des constructions en terre crue / adobe en forme de boîte avec une surface d’un mètre carré et des murs de 45 cm. Le moulin était une construction à quatre silos de forme tronconique, haute de 1.1 mètres, prévues avec un couvercle et une aération. Au moment de la découverte, ils étaient un tiers pleins avec des céréales carbonisées. Les silos étaient spécialisés, deux contenaient de l’orge et les deux autres du blé. Près des deux silos, il y avait une construction carrée où étaient rangés cinq meules, trois grandes et deux plus petites. Elles étaient fixées sur des piédestaux en argile peints en blanc. Au coin de cette construction il y avait une conduite pour évacuer les résidus de la mouture. C’est un des plus anciens moulins de l’Europe de sud-est.Néanmoins,

    Lăcrămioara Stratulat souligne que la spécificité de la culture de Cucuteni est la céramique exceptionnelle et le savoir-faire des artisans : « C’est une culture qui a occupé 360.000 km carrés, c’est un territoire absolument énorme pour l’époque. Il y a eu des phases et des sous phases de développement, mais le fil rouge, l’élément commun à toutes ces époques reste la peinture incroyable sur la céramique. En fonction de la période, nous avons des motifs méandreux, en spirale, ou des motifs géométriques. Les spécialistes ont voulu trouver des explications à ces motifs en essayant de comprendre la mentalité des habitants, mais il est très difficile pour nous de retourner dans une période si éloignée dans le temps. Ce que nous pouvons affirmer avec certitude, c’est qu’ils étaient de grands amateurs de beauté et de grands artistes, s’ils ont pu exploiter les oxydes qu’ils trouvaient dans une zone proche d’eux. La céramique était travaillée d’une manière quasi parfaite, pas tournée, mais à la main. Si on prend n’importe quel pot de Cucuteni, on peut jurer qu’il a été tourné, les maîtres de Cucuteni détenaient un savoir-faire proche de la perfection. On les appelle des artistes, ils peignaient jusqu’à la louche utilisée pour manger. »

    Les cucuteniens travaillaient, priaient, avaient une vie de famille et une vie sociale. Leur culture est la preuve de la créativité admirable de l’homme, à toute époque. Les artefacts qui nous sont parvenus en parlent d’eux-mêmes. (Trad. Elena Diaconu)

  • Augustin Buzura et la censure communiste

    Augustin Buzura et la censure communiste

    Comme dans tout régime totalitaire, dans la Roumanie communiste, la censure était omniprésente et visait notamment les créations intellectuelles. Nombre d’écrivains se sont retrouvés dans le collimateur des autorités, étant obligés à modifier leurs textes ou tout simplement à renoncer à faire publier leurs livres. Augustin Buzura a été un des auteurs qui ont dû se battre contre la censure communiste, ayant fini par gagner la sympathie des lecteurs et l’appréciation des critiques.

    Né le 22 septembre 1938 et décédé le 10 juillet 2017, Augustin Buzura a étudié la médecine et il a même flirté avec l’idée de devenir psychiatre. Pendant ses années d’études, il a pourtant commencé à publier des articles dans d’importantes revues culturelles et il a fini par opter définitivement pour la littérature, ne pouvant pas pratiquer deux métiers très prenants en même temps.

    Dans une interview à Radio Roumanie Culture et conservé dans la phonothèque de la Radio, Augustin Buzura évoquait, en 2008, ses débuts littéraires : « Mon premier livre est sorti alors que j’étais étudiant en 3e année. J’avais écrit de la prose. Je travaillais pendant la nuit, lorsque les salles de lecture du foyer étudiant commençaient à se vider. C’est la nuit que j’ai réussi à écrire le volume de récits « Le cap de bonne espérance », qui a eu du succès auprès des lecteurs. Les récits réunis dans ces volumes ont été publiés dans la revue Tribuna ou dans d’autres revues culturelles. Le livre est paru dans la collection « Luceafărul » des Editions d’Etat pour la littérature et l’art. J’ai donc fait mon entrée dans le monde littéraire sous la pression des études de médecine. »

    Le premier livre d’Augustin Buzura, « Le cap de bonne espérance », était publié en 1963. Les années suivantes ont été marquées par une certaine détente et libéralisation du régime communiste, ce qui a permis à la littérature de s’éloigner de la doctrine du « réalisme socialiste » et de s’exprimer plus librement. Cela n’a pourtant pas duré. En 1971, Nicolae Ceauşescu lançait la « mini-révolution culturelle » conçue selon le modèle maoïste.

    Augustin Buzura : « La censure n’était pas aussi sévère qu’elle allait le devenir après la mini-révolution culturelle opérée au début des années ’70. Il y avait certaines règles, que l’on ne devait pas ignorer, mais à l’époque, cela ne m’intéressait pas de le faire. Par exemple, on ne devait pas écrire « allemand » mais « est-allemand » ou « ouest-allemand », on ne devait pas donner des noms de fabriques, de produits ou de tout ce qui entrait dans cette zone de protection primitive. Pourtant, on pouvait écrire presque tout ce que l’on souhaitait, à condition de ne pas s’en prendre directement au régime. En échange, on pouvait le décrire – ce qui me paraissait encore plus nocif que de l’attaquer ouvertement par les mots. Moi, j’ai choisi de le décrire et de parler de l’être humain dans le contexte d’une histoire brutale. J’ai écrit le roman « Les Absents ». Je l’ai écrit plutôt facilement et, à mon grand étonnement, une fois réalisée la mini-révolution culturelle, je fus frappé d’une interdiction de publier. Par la suite, j’ignore en vertu de quelle logique, le roman fut interdit de publication à nouveau en 1988, alors que dans les librairies et les bibliothèques il n’y en avait plus aucun exemplaire. »

    Malgré ses nombreuses tentatives, Augustin Buzura n’a pas réussi à apprendre la raison de cette interdiction. Finalement, on lui donna une explication plutôt vague : il paraît qu’il y avait dépeint le régime dans des couleurs trop sombres.

    Malgré l’interdiction de publier, Augustin Buzura n’a pas changé de style et ses autres romans ont eu quasiment le même sort : ils ont dû passer par les nombreux filtres de la censure : « C’était d’une importance vitale, pour moi, d’arriver à parler à un censeur. Cela prenait moins de temps d’écrire un livre que de lutter pour le faire publier. J’ai connu des censeurs en tout genre … Certains d’entre eux étaient des personnes cultivées, ce n’était pas des dilettantes. Prenons, par exemple, mon roman « Orgueils », qui a été mon livre le plus critiqué. Il est passé par de nombreuses censures, avant d’être envoyé à la censure de la Securitate, la police politique du régime communiste. Là, on me demanda comment je savais que les détenus politiques portaient des lunettes en tôle, comment je savais quelles étaient les méthodes de torture, comment je connaissais ce qu’il se passait dans les camps de travaux forcés. C’était le genre de discussions pour lesquels il fallait s’armer de patience. J’ai eu en échange des livres – comme « Refuges » par exemple – qui n’auraient jamais été publiés sans la contribution du censeur. Il a compris dès le début de quoi il s’agissait. Avec les plus âgés, qui n’étaient plus au début de leur carrière, on pouvait encore négocier. »

    Après la chute du communisme, en décembre 1989, Augustin Buzura a continué à participer à l’activité culturelle du pays, éditant des revues spécialisées et assumant la direction de la Fondation Culturelle Roumaine, qui allait devenir, toujours grâce à sa contribution, l’actuel Institut culturel roumain. (Trad. : Dominique)

  • Maria et C.A.Rosetti

    Maria et C.A.Rosetti

    Peu après l’écrasement des révolutions de 1848 dans les principautés roumaines, le peintre Constantin Daniel Rosenthal allait créer, pendant son exil parisien, un tableau qui deviendra rapidement un symbole de l’époque : « România revoluţionară ». La renommée de cette peinture est sûrement due aussi à la beauté de celle qui devient ainsi l’incarnation de cette Roumanie révolutionnaire : Maria Rosetti, l’épouse d’un des révolutionnaires de 1848, Constantin Alexandru Rosetti, homme politique et journaliste.

    Femme engagée civiquement et politiquement, première femme journaliste de Roumanie, épouse dévouée qui suit son mari en exil, Maria Rosetti change de nom suite à son mariage. Ecossaise de naissance, Mary Grant avait suivi son frère, Effingham Grant, venu s’installer à Bucarest comme membre du corps diplomatique britannique. Son mariage avec C.A.Rosetti, l’aide accordée au groupement révolutionnaire intégré par son mari, mais, surtout, sa contribution à la cause féminine, au développement du journalisme et à la modernisation de l’éducation, font de Maria Rosetti une figure remarquable, à la hauteur du mythe créé par la peinture de Rosenthal.

    Nicoleta Roman, historienne, nous parle de la réalité cachée derrière le mythe : « Les époux Rosetti ont célébré leur mariage en 1847, même s’ils se connaissaient depuis 1844. Maria Rosetti a aidé son mari et d’autres révolutionnaires arrêtés par le pouvoir turc, à s’échapper et à fuir en exil. D’ailleurs, elle était déjà mère à ce moment-là, leur fille Sophie Liberté étant née juste au début de la période révolutionnaire de 1848. Son mythe s’est construit aussi avec l’aide des amis français des révolutionnaires roumains. Je pense surtout à l’historien Jules Michelet qui, dans son œuvre « Légendes démocratiques du Nord », dresse un portrait très flatteur de Maria. Ce qui mérite d’être mentionné est la parfaite collaboration dans le couple Rosetti. Ils se sont entendus et soutenus mutuellement, pas uniquement dans leur vie domestique, mais aussi dans leurs travaux liés aux changements sociétaux, au journalisme et à l’éducation. Ils publient tous les deux des textes journalistiques, Maria Rosetti a été même directrice du magazine « Mama şi copilul » / « La mère et l’enfant » et a écrit aussi dans les publications de son mari comme, par exemple, dans le quotidien « Românul » / « Le Roumain » ».

    Le fait que C.A.Rosetti soutient son épouse dans ses activités et travaille avec elle sur plusieurs projets montre son ouverture d’esprit, dans le contexte de l’époque.

    Nicoleta Roman : « Son ouverture vient principalement de son éducation. Il devient évident pour les lecteurs de son journal et de la correspondance avec sa femme qu’il avait une idée très claire du type de partenaire qu’il recherchait même avant de rencontrer Maria. Il avait beaucoup aimé sa mère qui était très cultivée et qui venait d’une vieille famille de la noblesse paysanne, la famille Obedeanu. D’une certaine manière, son épouse se devait d’avoir les mêmes qualités : savoir rendre la maison accueillante, mais être dans le même temps capable de discuter avec lui de certaines idées politiques sur la modernisation de la société. Après avoir rencontré Mary Grant, qu’il nomme Granta dans son journal, il a souhaité qu’elle l’accompagne à Paris pour assister avec lui aux cours du Collège de France. Il souhaitait avoir une partenaire de tous les points de vue. »

    Maria Rosetti a été cette partenaire après le retour d’exil de son mari, à partir de 1857. C.A.Rosetti, homme politique libéral, nommé ministre de l’éducation pendant une courte période et après maire de Bucarest, a initié des projets législatifs concernant des sujets qui étaient soulevés par sa femme, dans son métier de journaliste. Maria Rosetti a lancé la publication « La mère et l’enfant » en 1865. C’était le premier magazine hebdomadaire de ce type dans la presse roumaine. Elle était la principale rédactrice du magazine, ayant un rôle de pionnier dans la presse féminine roumaine. Ses textes sur l’éducation accentuaient le rôle de la mère dans la formation de citoyens impliqués et patriotes, s’éloignant ainsi de la tradition selon laquelle l’éducation délivrée par les mères ne devait dépasser la sphère du foyer. Malgré cela, Maria Rosetti, mère de huit enfants, a été obligée de se retirer de la vie publique, au regret de son mari. Néanmoins, dans leur cas, comme souvent dans le cas des adeptes de certaines pédagogies, l’éducation de leurs enfants n’a pas reflétée les croyances des parents.

    Nicoleta Roman : « Il est quelque part paradoxal que, malgré leur implication dans l’éducation primaire, ils aient été plutôt malheureux en ce qui concerne leurs propres enfants. Ils ont mis beaucoup d’espoirs dans leur première fille, justement car elle était née à cette période de renaissance nationale, elle était devenue un symbole. Mais elle n’a pas confirmé les attentes de ses parents. De même pour leurs fils, Vintilă Rosetti étant le seul qui a suivi les traces de son père et repris la direction du journal « Românul ». En plus, ils étaient gâtés, capricieux, dispendieux, cela tourmentait beaucoup leurs parents. »

    C.A.Rosetti est mort en 1885, à l’âge de 68 ans et Maria s’est éteinte 8 ans plus tard, à l’âge de 74 ans. Aujourd’hui, deux rues du centre de Bucarest portent leurs noms, la rue Maria Rosetti se trouvant dans la prolongation de la rue C.A.Rosetti. (Trad. Elena Diaconu)

  • Adamclisi

    Adamclisi

    Dans le sud de la Roumanie, plus précisément dans les vieilles montagnes de la Dobroudja, lon retrouve lancienne cité dAdamclisi. La cité tire sa gloire dabord davoir été bâtie par lempereur romain Trajan, puis de garder les traces de la cité antique de Tropaeum Traiani, intrinsèquement liée à lhistoire de la Dacie romaine, après lan 106 de notre ère, une fois la Dacie occupée et colonisée par les Romains. Cest de 1977 que date le musée fondé à lendroit même, et qui accueille et protège les pièces dorigine du monument triomphal érigé par les Romains à la gloire de la conquête de la Dacie. Car Tropaeum Traiani est par dessus tout le mausolée érigé sur les ordres de lempereur Trajan à la gloire de son armée et à la mémoire des soldats tombés lors de cette guerre.



    Mariana Petruţ, conservatrice au musée dAdamclisi, sera notre guide daujourdhui. « Lempereur Trajan na pas choisi le lieu de ce monument au hasard. Cest bien sur le champ de la plus importante bataille livrée durant cette guerre de conquête de la Dacie que lempereur a décidé de bâtir ce monument à la gloire de sa victoire, et implicitement à la gloire de lempire. Le monument en soi est comme une bande dessinée avant la lettre, une bande dessinée taillée dans la pierre, qui reprend le film des luttes menées par les soldats romains contre les Daces. Erigé entre 106 et 109, le monument tombe en morceaux au fil des siècles. Nous ignorons les causes exactes de sa destruction – si elle fut brutale ou lente, si elle fut la conséquence dun violent tremblement de terre ou de laction humaine. Ce que lon sait en revanche avec précision, cest quau XIXe siècle, les archéologues allaient procéder aux premières fouilles sur le site. »



    La reproduction actuelle de ce mausolée est à deux km du site de la cité antique. Fondée sur les ruines dune cité dace, la cité romaine sest développée tout au long de la période doccupation romaine de la Dacie. Pendant six cents ans, la ville connaîtra une grande prospérité, devenant le principal centre urbain romain de Dobroudja, et accédant même au statut de municipe. Son rôle est mis en évidence par le monument même de Tropaeum Traiani, devenu le symbole de la cité. Le monument en soi est composé dune base cylindrique et dun toit en forme de cône, au sommet duquel trône le vautour bicéphale. Le monument impressionne par la solidité constructive, par léquilibre de ses volumes, mais plus encore par sa hauteur. Dépassant de dix mètres la hauteur de la Colonne Trajane de Rome, cela montre à profusion limportance accordée au monument par lempereur même, monument qui devient le symbole de la puissance romaine, aussi bien au nord quau sud du Danube. Il semble que le célèbre architecte Apollodore de Damas soit à lorigine du projet, celui qui avait fait bâtir louvrage monumental du pont en pierre traversant le Danube, et qui permit à larmée impériale dinvestir le royaume dace. Les ouvriers furent choisis des garnisons romaines situées à proximité. Et cest larchéologue roumain Grigore Tocilescu qui met au jour, au XIXe siècle, les ruines du mausolée et de la cité antique.



    Mariana Petruţ nous offre des détails. « Au XIXe, il ne restait plus du monument que le noyau. Les fresques en pierre qui racontaient le déroulement de la bataille étaient tombées tout autour, et le temps les a recouvertes de terre. Ce qui est remarquable, cest que lon a réussi à retrouver la plus grande partie des pièces dorigine qui composaient le monument. Une partie enfouie profondément, une partie en surface, puis dautres morceaux avaient été récupérés et utilisés par les villageois du coin, pour embellir les puits par exemple. Ils navaient pas conscience de linestimable valeur de ce monument. Les archéologues ont réussi à récupérer la majeure partie de ces pièces éparses, et ils ont même retrouvé une partie de linscription dédicatoire du monument, qui marque son identité : Tropaeum Traiani, cest-à-dire le Trophée de Trajan. »



    Cest bien grâce aux fouilles archéologiques que lon a pu reconstituer lapparence dorigine du monument antique. Les blocs de granit gardent les noms des soldats romains et de leurs villes dorigine. Derrière, à quelques mètres du monument principal, un deuxième mausolée a été érigé, celui du général romain. Cest grâce à toutes ces découvertes que Tropaeum Traiani a pu être reconstitué fidèlement, grandeur nature, et inauguré en 1977, au même moment que le musée abritant les pièces dorigine et situé dans le village actuel dAdamclisi. (Trad.: Ionut)