Category: L’Encyclopédie de RRI

  • Le général Maurice Sarrail

    Le général Maurice Sarrail

    A la fin de la Première Guerre mondiale, la Roumanie a bénéficié dun soutien important de la part de certains milieux français influents et de personnalités civiles et militaires françaises. Les noms du général Henri Berthelot, du géographe Emmanuel de Martonne, du comte de Saint-Aulaire sont bien connus de nos jours. Pourtant, ils nont pas été les seuls à avoir apporté leur appui à la cause roumaine, dès la période de la Première Guerre mondiale. Une autre personnalité fut le général Maurice Sarrail. Né en 1856 à Carcassonne, Sarrail finissait ses études à lAcadémie militaire de Saint-Cyr en 1877. Pendant la guerre, il a participé aux batailles de Verdun, de la Marne et des Ardennes. Il fut nommé à la tête dun corps expéditionnaire envoyé en Macédoine, pour protéger les alliés de la France. Il a été destitué de ce poste en décembre 1917, pour sêtre associé à un cercle dhommes politiques socialistes, qui ont provoqué une crise. Jusquà la fin de la guerre, il sest retiré dans sa maison de campagne.





    En 1916, après avoir attendu impatiemment pendant deux ans, la Roumanie entre en guerre, aux côtés de lEntente, constituée de la France, du Royaume Uni et de la Russie. La Roumanie sétait vu promettre, entre autres, des territoires dAutriche-Hongrie habités par des Roumains et, du point de vue militaire, le déclenchement dune offensive dans la zone de la ville grecque de Thessalonique, où luttaient les divisions françaises commandées par le général Sarrail. Cette offensive aurait obligé la Bulgarie à lutter sur deux fronts, entraînant un affaiblissant de ses attaques contre la Roumanie. Suite au manque de coordination des opérations de lEntente dans les Balkans, à lété 1917 la Roumanie se trouvait dans une situation désespérée : la capitale était sous occupation allemande, les autorités sétaient réfugiées en Moldavie, lépidémie de typhus ravageait le pays, les réfugiés, le surpeuplement et la pénurie daliments rendaient la vie pénible. En ce moment difficile, les hommes de culture roumains ont pensé à remonter le moral des troupes roumaines et de la population en exposant publiquement létendard dEtienne le Grand, prince régnant de Moldavie. Cet étendard était en fait une bannière de Saint Georges, broderie se trouvant, à lépoque, en possession du monastère de Zographou, du Mont Athos. La récupération de létendard est devenue une des priorités de la politique intérieure et extérieure de la Roumanie pendant lété de cette année catastrophique. Les commandants français se sont tout de suite ralliés à cette idée et ont fait en sorte que les Roumains entrent de nouveau en possession de ce symbole.



    Lhistorien Ernest Oberlander-Târnoveanu, directeur du Musée national dhistoire de la Roumanie, estime que le général Maurice Sarrail a été, à ce moment précis de lhistoire, lhomme providentiel pour la cause roumaine : « Les paroles du général Maurice Sarrail ont pesé lourd dans cette affaire. Sarrail, nous le connaissons, hélas, par un célèbre adage de larmée roumaine de 1916 : « Oh, Sarrail, Sarrail, Sarrail, nous nous battons et toi, tu te croises les bras ! » Pourtant, lhistoire a porté sur lui un tout autre jugement. En fouillant dans des documents que personne na daigné lire depuis un siècle, on constate que Sarrail a offert au peuple roumain un cadeau inestimable. De nos jours – et même après la guerre – il ne nous aurait plus été possible de récupérer cet étendard dEtienne le Grand se trouvant au monastère de Zographou. A ce moment-là, le contexte a été favorable : Zographou était un monastère bulgare et les Alliés étaient en guerre contre la Bulgarie. Les moines de Zographou ont été, pour ainsi dire, des victimes collatérales. Lhistoire a ses propres lois et règles et quand elle juge quelquun ou quelque chose ; ce qui compte, cest le résultat et pas les petits détails depuis longtemps oubliés. »





    Larmée française nétait pourtant pas une armée de barbares et de criminels pour semparer des biens des civils ou qui tolère les pillages et fasse subir des souffrances à la population innocente. Et pourtant, létendard dEtienne le Grand devait être récupéré et rendu aux alliés roumains.



    Quelle solution les Français ont-ils trouvée ? Ernest Oberlander-Târnoveanu : « Pendant très longtemps je me suis intéressé à ce sujet de la récupération de létendard dEtienne le Grand et je suis persuadé – je laffirme publiquement – que les Français ont payé pour lavoir. Le reçu a certainement été conservé dans les archives militaires françaises et je pense quils ont payé une somme importante. Les moines du monastère de Zographou nont jamais réclamé cet étendard depuis, sachant quils lavaient vendu. Sarrail nous a fait un cadeau, au compte des contribuables français. Aujourdhui, 100 ans après ces événements, létendard est là, ce qui compte beaucoup pour nous. »





    Le consul de Roumanie à Athènes, Gheorghe Ionescu, a proposé que les militaires ayant rendu de grands services à la Roumanie pendant la guerre soient décorés. Parmi eux figurait le général Sarrail. Ernest Oberlander-Târnoveanu : « Des documents olographes de Gheorghe Ionescu ont été conservés, par lesquels le consul demandait au premier ministre que le lieutenant Dich, chef de la garnison russe, et le capitaine français Gilbert Gidel soient décorés. En haut de la page il y a une résolution où il est dit que le décret royal avait été préparé pour que Gidel se voit accorder lEtoile de la Roumanie, au grade de Commandeur – qui est un très haut grade. Ionescu demande avec insistance quun ordre soit accordé aussi au Général Sarrail, soulignant le rôle important que celui-ci avait joué – et pouvait jouer à lavenir – pour protéger les Roumains de Macédoine, qui se trouvaient sur la ligne du front et lon sait très bien à quelles atrocités avaient été soumis les civils dans les Balkans. Les Alliés français ont été une fois de plus à la hauteur de ce moment de lhistoire : on leur avait demandé que létendard soit envoyé en France par un navire miliaire. Ils ont accepté et létendard fut confié à un major qui sappelait Dion. Celui-ci a pris la bannière et la placée dans une boîte en tôle portant le sceau du Consulat roumain. Le navire est parti de Thessalonique vers Athènes et de là, létendard est arrivé à Marseille, à bord dun autre navire. Et le voilà à Paris, dans la cour de la Sorbonne. »





    Le général Maurice Sarrail est mort en 1929 à Paris. Il a été un ami de la Roumanie et il sest trouvé au bon endroit au bon moment pour nous offrir son aide. (Trad. : Dominique)

  • Jardiniers et paysagistes étrangers dans les Principautés Roumaines

    Jardiniers et paysagistes étrangers dans les Principautés Roumaines

    Au début du 19e siècle,
    lorsque la civilisation roumaine a commencé à se tourner vers l’Occident, de nombreux
    domaines nécessaires à la modernisation n’étaient pas encore développés. C’est
    pourquoi les princes régnants et les boyards des principautés roumaines de
    Moldavie et de Valachie ont fait venir de l’étranger les spécialistes qui
    manquaient : des architectes, des médecins, de professeurs, des ingénieurs
    mais aussi des jardiniers paysagistes. Le parc de Cişmigiu, le jardin public le
    plus ancien et peut-être le plus aimé de Bucarest, est l’œuvre de plusieurs de
    ces paysagistes étrangers. Son aménagement commença vers les années 1847 et il fut
    inauguré en 1854.

    Le prince régnant de Valachie, Gheorghe Bibescu, a fait venir
    de Vienne le paysagiste d’origine allemande Wilhelm Mayer, ancien directeur des Jardins impériaux de
    Vienne, un nom assez connu de nos jours. Mayer n’a pourtant pas été le
    seul spécialiste étranger à avoir conçu ce jardin public, d’autant plus qu’il
    est mort en 1852, à 38 ans. Notre interlocuteur, le paysagiste Alexandru Mexi
    explique que « à la différence d’autres jardins publics, le parc de Cişmigiu
    allait subir de nombreux changements. Les plus importants sont dus à Wilhelm
    Knechtel et ils datent de 1880, environ. Cependant, les changements qui
    allaient conférer à ce jardin son aspect d’aujourd’hui ont été réalisés dans
    les années ’20 par Friedrich Rebhun. Wilhelm Knechtel a travaillé en Valachie
    entre autres à l’aménagement des jardins du Château de Peleş de Sinaïa. C’est lui
    qui a réalisé les petits sentiers pavés à travers la forêt. Des paysagistes
    d’origines française allaient également travailler dans les principautés
    roumaines, au 19e siècle et au début du 20e, dont Edouard
    Redont et Emile Pinard. Ils ont réalisé ensemble plusieurs parcs publics de
    Valachie, entre autres le parc Romanescu de Craiova. Ils ont également
    travaillé à Caracal, et dans la zone de Muşcel – Argeş. Emile Pinard a
    travaillé aussi dans la Vallée de la Prahova, à Floreşti, Breaza et Buşteni.
    »


    Au 19e siècle, partout dans
    le monde, les jardins publics et privés étaient aménagés surtout dans le style
    anglais. Plus tard, au 20e siècle, on commença à préférer les
    jardins à la française. Dans les principautés roumaines, les paysagistes y
    respectent souvent la spécificité locale. Alexandru Mexi affirme que « Wilhelm
    Meyer, Wilhelm Knechtel, Friedrich Rebhun et les autres paysagistes qui
    arrivaient de l’espace culturel d’expression allemande, ont gardé une partie
    des particularités locales et ont tâché de les adapter aux jardins qu’ils ont
    aménagés en Valachie et en Moldavie. Les jardins conçus par les paysagistes
    français sont beaucoup plus proches de ce que l’on réalisait en France et ne
    prenaient pas tellement en compte les spécificités locales. Edouard Redont a
    même publié un livre sur le parc Bibescu – actuel parc Romanescu – de Craiova,
    peu après son inauguration. Les esquisses et les dessins insérés dans ce livre
    ressemblent beaucoup à ceux que l’on retrouve dans les pages d’une des
    publications françaises spécialisées les plus connues en Europe. Ces
    paysagistes avaient donc des connaissances solides et ils tentaient d’appliquer
    presque sans hésitation les principes qu’ils avaient étudiés.
    »


    Durant
    la seconde moitié du 19e siècle, alors que le marché européen de
    l’architecture et de l’aménagement paysager était saturé, les architectes et
    les jardiniers paysagistes établis dans les principautés roumaines avaient la
    possibilité de pratiquer leur métier et obtenir des revenus satisfaisants, tout
    en se sentant chez eux au sein d’une société qui les avait reçus
    chaleureusement. Friedrich Rebhun en est un exemple. Il s’est très bien adapté
    à la vie sur Bucarest qu’il avait considéré au début comme une halte sur la
    route vers le Japon. Alexandru Mexi raconte que« Friedrich Rebhun est
    arrivé à Bucarest en 1910. Les dernières références qui le concernent datent de
    1958. Durant ce demi-siècle – ou presque – d’ «adaptation », il a
    publié de nombreux articles, ainsi qu’un livre où il parle du spécifique
    roumain ou des particularités de certaines villes.

    Un premier projet
    d’aménagement de l’actuel parc de Herăstrău – qui devait s’appeler le Parc
    National – fut conçu au début des années ’30. Rebhun a fait une analyse des
    plantes acclimatées pour ce parc, estimant qu’un parc national devait comporter
    aussi une végétation autochtone, beaucoup plus riche que les espèces exotiques
    importées. En effet, bon nombre de plantes acclimatées à ce moment-là n’ont pas
    résisté, mais d’autres, si. Par exemple, dans le jardin de Cişmigiu, il y a
    encore plusieurs exemplaires de vieux platanes et sophoras du Japon. Quelques
    autres espèces se sont conservées dans le parc du palais de Peleş, à Sinaïa. A
    l’époque, c’était comme un jeu de hasard, on ne savait pas si ces plantes
    allaient s’adapter aux conditions des différentes villes roumaines, car, à
    l’époque il y avait peu de pépinières pour les tester. La plupart des plantes
    étaient apportées d’Autriche et d’Italie, les Archives Nationales conservant
    encore des factures et des reçus qui attestent leur achat. (Trad. :
    Dominique)

  • Le cimetière Bellu – le Père-Lachaise roumain

    Le cimetière Bellu – le Père-Lachaise roumain

    Dans le sud de la ville de Bucarest, dans une
    zone vers laquelle la capitale s’est développée, à partir de son centre
    historique, du côté de la colline de la Métropolie et ses alentours, se trouve
    le cimetière Bellu. C’est la première zone funéraire de la capitale aménagée
    d’après les normes modernes et devenue, au fil du temps, un véritable musée
    d’art et d’architecture en plein air.

    Un nombre impressionnant de personnalités
    culturelles et politiques y reposent et de véritables œuvres d’art y ont été
    érigées, dues à des architectes et des artistes qui ont marqué de leur sceau le
    paysage urbain. L’historienne de l’art Oana Marinache nous invite à une
    incursion dans les origines du cimetière Bellu de Bucarest. « Si
    l’on fait un saut en arrière, vers la première moitié du 19e siècle,
    on constate que les racines mêmes de notre ville sont liées à l’histoire de ce
    lieu. A l’époque, la zone était couverte de jardins, de vergers et de vignobles
    appartenant soit à l’archevêché de l’Eglise orthodoxe, soit au monastère de Văcăreşti,
    soit au baron Barbu Bellu. Homme éclairé, ce boyard a occupé des fonctions
    importantes dans l’administration publique : il a été échanson, député,
    ministre des Cultes et de la Justice. Il a compris le besoin de mettre en œuvre
    une décision plus ancienne, remontant aux Règlements organiques adoptés autour
    de l’année 1830, de bannir les enterrements et les tombeaux du centre-ville, là
    où se trouvaient les églises paroissiales et les tombes qui les entouraient.
    Les tombeaux du centre-ville représentaient en fait des foyers d’infection.
    Aussi, en 1830, avait-on prévu que toutes les confessions disposent de cimetières
    au-delà des confins de la ville et de la zone résidentielle. En 1852, c’est à
    cette fin que Barbu Bellu offre en donation une partie de son domaine à la
    municipalité de Bucarest. Les années suivantes, les bâtiments administratifs
    allaient y être construits : la maison du gardien et la chapelle, la
    première de ce genre, selon les projets de l’architecte Alexandru Orăscu. En 1859,
    selon les documents conservés jusqu’à nos jours, commence l’achat des parcelles
    de terrain pour les tombeaux. »



    Un des premiers enterrements qui y eut lieu,
    en 1859, fut celui de la fille de l’homme politique et journaliste C.A.
    Rosetti, morte à l’âge de 3 ans. C’est au cimetière Bellu qu’exerça son talent
    la première génération d’architectes roumains, dont le chef de file a été,
    incontestablement, Ion Mincu, créateur du style architectural néo-roumain. Oana
    Marinache nous parle des monuments funéraires les plus connus de ce cimetière. « Il
    s’agit, avant tout, d’un ensemble de cinq caveaux conçus par l’architecte Ion
    Mincu et dont les plus renommés sont ceux des frères bulgares Gheorghiev et du
    Nabab – surnom du prince
    Georges Grégoire Cantacuzène. Jusqu’à la fin du 19e siècle et
    durant les premières années du 20e, la plupart des monuments
    funéraires étaient probablement commandés à l’étranger par des familles aisées.
    C’est pourquoi de nombreuses sculptures réalisées par des artistes étrangers
    décoraient les allées du cimetière. Pourtant, dès lors que Ion Mincu crée un
    style d’architecture funéraire, le cimetière Bellu se fait une place parmi les
    grandes zones de ce genre du continent. Il faut dire qu’Ion Mincu a été très
    impressionné par un voyage qu’il avait fait pendant ses études. Il est arrivé
    jusqu’à Constantinople et il a été si impressionné par la basilique
    Sainte-Sophie qu’il a eu cette idée ingénieuse d’associer la coupole byzantine
    aux éléments de l’architecture funéraire occidentale. Il a été soutenu dans son
    travail par des familles importantes. Parmi ceux qui lui ont commandé des
    caveaux comptaient l’homme politique libéral Eugen Stătescu, les banquiers et
    marchands Gheorghiev, le général Iacob Lahovary, les familles de boyards Ghica
    et Cantacuzène. En créant ces monuments, il lançait une mode et, pendant
    l’entre-deux-guerres, ses anciens étudiants et d’autres architectes qu’il avait
    influencés ont tenté d’imiter son style et d’adapter le modèle qu’il avait
    créé. »



    Au
    fil du temps, les terrains entourant le cimetière Bellu ont été eux aussi
    transformés en cimetières appartenant aux confessions catholique, évangélique
    ou juive, ainsi qu’à l’armée. En 1990 y était également créé le cimetière des
    Héros de la révolution de 1989. De nos jours, le cimetière Bellu fait partie du
    patrimoine national et il peut être visité, comme un musée en plein air. (Trad. :
    Dominique)

  • En montgolfière, au-dessus de Bucarest

    En montgolfière, au-dessus de Bucarest

    Les plus importantes inventions de l’histoire, l’humanité les doit à des esprits originaux qui ont bénéficié d’un soutien financier pour mettre leurs idées en œuvre. Un engin tout à fait banal de nos jours a été considéré à l’époque de sa création comme quelque chose d’extravagant, suscitant à la fois l’intérêt et l’amusement. Ce fut le cas de la montgolfière, qui a compté au début parmi les inventions les plus prometteuses, mais elle a été surclassée par la suite par d’autres inventions. Le ballon à air chaud le plus populaire a été celui de l’inventeur Samuel Fergusson, héros du roman de Jules Verne Cinq semaines en ballon. En 1863, cet écrivain de génie imaginait un tel voyage au-dessus de l’Afrique.Le premier vol du ballon à air chaud a été effectué à Paris, en 1783, par le mathématicien et inventeur français Jacques Charles.

    Un siècle plus tard, des vols en montgolfière furent entrepris en Roumanie aussi. Le ballon « România » – Roumanie – a été une apparition étrange dans le ciel de Bucarest, accueillie avec étonnement et enthousiasme par ceux qui ont assisté à cet événement. Il y a plus de 100 ans, l’actuel Parc Carol et la colline de Filaret, située à proximité, comptaient parmi les points d’attraction de la capitale. Sur la colline de Filaret avait été construite, en 1869, la première gare de la ville ; c’est là qu’allait être érigée la Grande Exposition de 1906 pour marquer le 40e anniversaire de l’avènement de Carol I au trône de Roumanie, et c’est toujours là qu’allait être ouvert, plus tard, le Musée Technique. Plusieurs fabriques se trouvaient à l’époque autour du parc, dont l’Usine électrique Filaret, un bâtiment imposant en brique, bâti en 1908, et qui allait produire de l’électricité nécessaire à la ville.

    En 1905, année de l’événement dont nous allons parler, cette usine n’était encore qu’un projet. Donc, en 1905, à proximité de l’emplacement de la future Usine électrique, 4 importantes personnalités – à savoir le prince George Valentin Bibescu et 3 militaires – le lieutenant Eugeniu Asachi, le lieutenant Paul Moruzzi et le major Demetriad – montaient à bord de la première montgolfière à s’être jamais élevée dans le ciel de Bucarest et de la Roumanie, pour des observations et des expériences scientifiques.

    L’anthropologue et historien Călin Cotoi raconte en quelques mots l’aventure de ces 4 téméraires. « Avant 1905, un des princes Bibescu achète une montgolfière à Munich, qu’il baptise « România » – Roumanie. Il effectue ce vol secondé par Eugeniu Asachi, lieutenant dans l’armée roumaine, qui avait servi pendant une année dans l’armée austro-hongroise, dans un bataillon de dirigeables militaires et qui savait donc comment fonctionnait un tel engin. « Roumanie » était une grande montgolfière jaune. Son premier vol fut aussi sa première activité de marketing. Les personnes à bord ont lancé sur Bucarest des chocolats fabriqués par une entreprise qui avait payé l’équipage pour cette publicité inédite. Quand le ballon survolait la capitale, les gens saluaient les personnes à bord. Quand il sortait de la ville, les paysans les regardaient de travers et visaient la montgolfière de leurs fusils – raconte Asachi. En 1926, ils réussissent à réaliser les premières photos aériennes Bucarest et d’une partie de la Roumanie, ainsi que des expériences scientifiques. »

    Le 20 octobre, les quatre passagers à bord de la montgolfière avaient emporté dans sa nacelle des équipements nécessaires pour réaliser des observations : aéromètre, psychomètre aspirateur, barographe, quelques appareils photo spéciaux, de nombreuses jumelles, deux pigeons voyageurs, ainsi que plusieurs petites bouteilles de cognac et de champagne – notait la presse de l’époque. Après quelques heures passées sans incidents majeurs, l’engin a atterri en toute sécurité dans le village de Săpunari, à quelque 75 km à l’est de Bucarest.

    Dix jours plus tard, le 30 octobre 1905, avait lieu une deuxième expédition du ballon « România », qui se dirigea, cette fois-ci, vers le nord de la capitale et atterrit à une trentaine de km de celle-ci, à proximité de la gare de Periș. Quelques mois plus tard, le 26 mars 1906, un équipage constitué de quatre officiers a entrepris un voyage de 120 km jusqu’à Zimnicea, la ville la plus méridionale du pays, située au bord du Danube.

    Le 16 juin de la même année, deux officiers ont tenté un long voyage en montgolfière. Ils souhaitaient atteindre la Bucovine, grande région du nord de la Roumanie, située à 500 km de la capitale. Pourtant, au bout de 24 heures, les turbulences atmosphériques les ont obligés à renoncer et à atterrir à une centaine de km au nord de Bucarest. Survoler la Roumanie en montgolfière n’était pas seulement la réponse de ces téméraires à l’appel de leur esprit d’aventure, c’était un projet beaucoup plus vaste et plus précis : voir le territoire du pays d’en haut.

    La géographie, le folklore, la démographie, l’histoire et l’art militaire se retrouvaient dans cette tentative de réaliser une image cartographique de la Roumanie. Ces voyageurs ont suivi le modèle occidental ; ils voulaient apporter une contribution à la science et à l’enseignement.
    (Trad. : Dominique)

  • Alexandrina Cantacuzène et les débuts du féminisme roumain

    Alexandrina Cantacuzène et les débuts du féminisme roumain

    Caractérisé, à ses débuts, durant la seconde moitié du 19e siècle, par la présence de plusieurs associations plutôt caritatives et féminines que féministes, le mouvement démancipation des femmes a pris de lampleur en Roumanie au début du 20e siècle. Alexandrina Cantacuzène demeure une des figures emblématiques de ce mouvement. Personnalité controversée et pittoresque en même temps, pleine dénergie et dinitiative, elle appartenait à la classe des boyards, mais elle a compris quelle devait soutenir surtout léducation des filles pauvres et leur formation professionnelle. Monica Negru, directrice adjointe des Archives nationales de la Roumanie, résume en quelques mots la vie dAlexandrina Cantacuzène.



    « Elle est née en septembre 1876. Son père était le lieutenant Theodor Pallady, participant à la guerre dIndépendance, alors que sa mère, Alexandrina Kretzulescu, appartenait une grande famille de boyards. Alexandrina Kretzulescu a épousé un homme politique conservateur, Grégoire G. Cantacuzène. Ministre et sénateur à plusieurs reprises, celui-ci descendait de lillustre famille des Cantacuzène. Ils ont eu 3 fils. Cette alliance avec les Cantacuzène non seulement lui a valu un haut statut social, mais lui a aussi fourni des moyens financiers pour accomplir ses rêves. Elle a soutenu le mouvement démancipation des femmes roumaines, finançant, par exemple, par ses propres moyens, 33 écoles et envoyant 5.000 livres en Bessarabie. En mai 1910, elle a accordé son soutien à un groupe de militantes pour les droits des femmes et a fondé par la suite la Société orthodoxe nationale des femmes roumaines (SONFR), à la tête de laquelle elle sest trouvée à partir de 1918. Cette société a contribué à la création dassociations culturelles, décoles et de logements sociaux à Bucarest et dans dautres villes du pays. Pendant lentre-deux-guerres, Alexandrina Cantacuzène a fondé et coordonné plusieurs organisations féminines. »



    Durant les années de la Première Guerre mondiale, Alexandrina Cantacuzène a choisi de rester à Bucarest pendant loccupation allemande. Présidente de la Croix rouge roumaine, elle a veillé au bon fonctionnement dun hôpital, offrant assistance aux blessés et aux prisonniers de guerre. Même après la fin de la guerre, Alexandrina Cantacuzène est restée attachée aux victimes de la conflagration. Alina Pavelescu explique:



    « Alexandrina Cantacuzène et les membres de la Société orthodoxe des femmes de Roumanie ont été les principales promotrices de la collecte de fonds nécessaires à la construction du Mausolée de Mărășești, un monument dédié aux héros de la première guerre mondiale. Au musée du Mausolée on peut voir une photo dAlexandrina Cantacuzène entourée des responsables présents à linauguration du monument. Et ce nest pas tout. Le terrain sur lequel le Mausolée a été construit avait appartenu à la famille Negropontes et il a été offert en donation en vertu des relations damitié quAlexandrina Cantacuzène entretenait avec cette famille. Durant la Première Guerre mondiale, les femmes de Roumanie ont dailleurs prouvé leur engagement civique et leur capacité à répondre aux besoins dune société en pleine crise. »



    Cest là une des caractéristiques du mouvement féministe roumain, qui est un peu différent des mouvements similaires de lépoque en Occident. Les militantes féministes de Roumanie ne protestaient pas dans la rue, comme les suffragettes britanniques, habillées de pantalons et exigeant bruyamment le droit de vote. Selon Alina Pavelescu, la personnalité dAlexandrina Cantacuzène a marqué de son sceau le mouvement féministe de Roumanie.



    « Le mouvement féministe de Roumanie na pas suivi le modèle occidental. Il ressemble plutôt à la biographie et à la personnalité dAlexandrina Cantacuzène qui la dailleurs parrainé longtemps, sous différentes formes. Elle a fait beaucoup de choses dans sa vie et elle a également été un personnage controversé, comme on dirait de nos jours. En 1929 elle a créé un groupe de femmes considéré être et accusé à lépoque dêtre le premier parti politique féministe de Roumanie. En même temps, elle se prononçait pour un rôle traditionnaliste de la femme dans la société. Elle a créé plusieurs écoles pour la formation professionnelle des jeunes filles, mais elle soulignait toujours lidée que la femme doit apprendre à être bonne ménagère, à bien cuisiner et à devenir le soutien moral de la famille en préservant la tradition religieuse. Alexandrina était très attachée à cette tradition religieuse et elle était en général plutôt élitiste dans ses manifestations féministes. Ses options politiques nont pas été non plus très libérales et démocratiques, son nationalisme layant même conduite, à la fin des années 30, à un rapprochement de la Légion de larchange Michel. Un de ses fils a même été tué dans un camp de travaux forcés, avec dautres jeunes adeptes de la Garde de fer, sur lordre du roi Carol II. Ce qui, durant la dernière période de sa vie, la déterminée à promouvoir des idées tout à fait condamnables sur leugénie et le racisme. Heureusement pour elle, elle est morte en 1944, ce qui lui a évité de connaître les prisons communistes, à lâge de la vieillesse. A travers elle, on découvre le mouvement féministe de Roumanie, un mouvement tout à fait original, un mélange de féminisme occidental où se retrouve le militantisme des suffragettes et de traditionalisme quand il sagit du rôle de la femme dans la société. »



    Une anthologie rédigée par Monica Negru et publiée aux Editions « Cetatea de Scaun » sous le titre: « Alexandrina Cantacuzène et le mouvement féministe dans lentre-deux-guerres » jette une nouvelle lumière sur la vie et lactivité de cette femme remarquable. (Trad. : Dominique)




  • Un docteur américain en Roumanie durant la première guerre mondiale

    Un docteur américain en Roumanie durant la première guerre mondiale

    Car, bien sûr, personne ne s’attendait à ce qu’un Américain arrive à Bucarest à cette époque-là et rende fonctionnel un hôpital militaire. Pourtant, c’est ce qui s’est passé.

    Joseph Breckinridge Bayne est né en juin 1880 à Washington, où il a fait des études de médecine, à l’Université de Georgetown. Le docteur Bayne n’étant pas une personnalité de l’histoire ou de la science médecine américaine, sa biographie n’a pas été facile à reconstituer. Ernest H. Latham jr., attaché culturel à l’ambassade des Etats-Unis à Bucarest dans les années 1980, a pourtant réussi à mener cette tâche à bonne fin.

    Se rapportant à sa documentation pour le livre « Une destinée étrange. J. Breckinridge Bayne, un médecin américain sur le front roumain en 1916 – 1919 » publié aux éditions Vremea de Bucarest, Ernest Latham explique : «La documentation n’a pas été facile à réaliser. Il n’a pas été une personnalité connue aux Etats-Unis, alors j’ai commencé par chercher son nom sur Internet. J’ai appris ainsi qu’il avait étudié la médecine à l’Université de Georgetown, à Washington. J’ai donc contacté l’université, qui m’a envoyé une copie de sa feuille matricule. En consultant ces documents, j’ai appris qu’il avait étudié auparavant dans une école privée de la Nouvelle Angleterre, plus exactement à Andover – école dont, par une étrange coïncidence, j’avais moi aussi été élève. J’ai donc contacté la direction de l’école. Malheureusement, là, aucun document concernant ses résultats scolaires ou les cours qu’il avait suivis ne s’était conservé, il n’y avait que la preuve qu’il avait fréquenté cette école. »

    Passionné de chirurgie, le docteur Bayne n’a pourtant pas réussi à la pratiquer, comme il l’avait souhaité, car, après la mort de son père, il a dû reprendre son cabinet de médecine générale. C’est peut-être ce besoin de pratiquer la chirurgie, mais aussi son altruisme, qui ont poussé le docteur Bayne à partir comme bénévole sur le front, rejoignant le corps médical de l’armée britannique en 1916, après deux années de guerre dévastatrices pour l’Europe. Il est arrivé à Bucarest le 7 novembre 1916, avec quelques autres professionnels britanniques et presque tout de suite, ce petit groupe fut assigné au Pavillon n°1 de l’Hôpital militaire « La reine Elisabeth », avec l’accord du président de la Croix Rouge Roumaine, Alexandru Marghiloman. Le docteur Bayne allait y rester même après l’évacuation de la ville, suite à la capitulation de Bucarest devant l’armée allemande, en décembre 1916. Les Etats-Unis étant encore neutres à l’époque, Bayne a pu continuer son activité à l’hôpital, devant pourtant se passer du personnel médical qualifié, car tous les spécialistes – les Britanniques compris – s’étaient réfugiés à Iaşi. Le chirurgien a dû instruire les bénévoles restés à ses côtés, pour pouvoir opérer et soigner le grand nombre de soldats blessés qui arrivaient à l’hôpital. En affrontant les difficultés propres à une ville assiégée, le docteur Bayne a réussi non seulement à opérer, mais aussi à réaliser des prothèses pour les soldats amputés. La situation a pourtant changé en 1917, lorsque les Etats-Unis sont entrés en guerre contre les Allemands.

    Bayne a été obligé de quitter Bucarest, après 8 mois de travail ininterrompu et de stress. Il n’a pourtant pas renoncé à pratiquer sa profession. Retiré dans la zone rurale du sud de la Roumanie, il a continué à soigner les paysans en proie à la pauvreté, à la malnutrition et aux différentes épidémies. D’ailleurs, lors d’une épidémie de choléra, Bayne a attrapé lui-même la maladie, mais il a réussi à guérir. Ses efforts ont été reconnus, le roi Ferdinand décidant de lui attribuer l’Ordre « L’Etoile de la Roumanie » en 1918. La même année, en été, le docteur Bayne est retourné à Washington – mais pas pour longtemps. Fin octobre, il partait de nouveau, accompagné, cette fois-ci par une équipe de la Croix Rouge, pour tâcher d’enrayer l’épidémie de typhus qui sévissait dans plusieurs villages situés au sud-ouest de Bucarest. En 1919, le docteur Bayne est rentré définitivement aux Etats-Unis et n’est plus revenu en Roumanie. De nos jours, les témoignages qui figurent dans ses mémoires, publiés en 1944 sous le titre « Bugs and Bullets » (Des bestioles et des balles), constituent un document important de la présence américaine en Roumanie pendant la première guerre mondiale – estime Ernest Latham.

    Ernest Latham : « La liste bibliographique de la présence américaine en Roumanie durant les années de la première guerre mondiale est très brève. Outre les mémoires du docteur Bayne, il y a les souvenirs de l’ambassadeur américain de l’époque, Charles Vopicka, ainsi qu’une référence sommaire à la Roumanie faite par le journaliste John Reed dans son livre « The War in Eastern Europe » (La Guerre en Europe de l’Est). Quelle impression les soldats Roumains ont-ils laissée au docteur Bayne ? Une impression profonde et positive, qui contrastait avec celle que lui avait laissée les soldats russes et allemands. »

    De l’avis de Bayne, les soldats roumains combattaient avec plus d’enthousiasme, non seulement parce qu’ils savaient qu’ils défendaient leur pays, mais aussi parce qu’ils se trouvaient sur cette terre à laquelle ils étaient extrêmement attachés – ce que ce médecin américain n’a pas manqué de remarquer. (Trad. : Dominique)

  • Les Roumains et leurs ancêtres

    Les Roumains et leurs ancêtres

    Comme tous les autres peuples, les Roumains ont eux aussi, des mythes sur leurs ancêtres, qui en exaltent la grandeur, la force civilisatrice, la vitalité créatrice dans tous les domaines de la vie matérielle et spirituelle, augmentant la confiance de leurs descendants.

    Les ancêtres des Roumains sont les Daces et les Romains. Les Géto-Daces étaient la population ancienne qui occupait grosso modo le territoire actuel de la Roumanie. Pourtant, d’autres populations – celtiques, germaniques et scythiques – y vivaient aussi. Les Géto-Daces sont mentionnés au 5e siècle av. J-Chr. par Hérodote, l’historien grec de l’Antiquité, et on les retrouve également dans les écrits des historiens des siècles suivants. Les références sont peu nombreuses, ce qui atteste le fait que les Géto-Daces représentaient une population située à la périphérie du grand espace de la civilisation et de la culture méditerranéennes. Les découvertes archéologiques ne sont pas plus riches que les sources écrites. Les Romains, qui représentent l’autre branche d’ancêtres des Roumains, n’ont plus besoin de présentation. En l’an 106 après deux guerres successives, l’empereur romain Trajan a vaincu le roi dace Décébale et la Dacie fut entièrement occupée par l’Empire romain jusque vers l’an 270, lorsque les Romains se sont retirés au sud du Danube.

    Au 19e siècle, la création des Etats nationaux fut précédée par une quête des ancêtres. Les Roumains ont découvert les Daces et les Romains et des mythes se sont tissés autour d’eux. Le plus grand mythe a été celui de l’ancienneté de la langue et de la continuité spirituelle de ces ancêtres et les intellectuels se sont hâtés de « produire de la science » sur eux.

    Selon le linguiste Dan Alexe, Mircea Eliade a compté parmi les créateurs de mythes sur les Daces : « Le livre de Mircea Eliade « De Zamolxis à Genghis Khan » est un exemple précis de méthode erronée et d’approche exaltée dans ce domaine. Ce volume est une compilation d’articles que Mircea Eliade avait publiés dans différentes revues. Ce que l’on y découvre est un magma occultiste d’idées mystiques, selon lesquelles un culte du loup aurait traversé l’histoire des Roumains. C’est là un des fils conducteurs du livre. Et tout est erroné, rien ne tient debout. Eliade prend pour point de départ l’idée que les Daces vénéraient le loup. Pourtant, dans les textes antiques, dans les relations antiques sur les Daces, rien ne soutient cette affirmation. Eliade tente de prouver, sans pour autant apporter des arguments solides, car il n’était pas linguiste, que le nom « Dace » lui-même, aurait signifié « loup ». Or, dans l’anthropologie, c’est absurde. Il n’y a pas de population sur la planète qui se soit désignée, de manière totémique, par un nom d’animal. Il n’y a jamais eu de population qui s’appelle, elle-même, « les loups ». Les populations se désignent par le terme générique d’« homme », comme par exemple cette tribu germanique qui s’est désignée elle-même par le terme d’« Aléman » – c’est-à-dire « tous les hommes ». En général, du point de vue historique, une population n’a pas d’identité ethnique, elle se considère elle-même comme représentant les vrais « hommes » au sens générique du terme, les autres étant pour elle « les étrangers » et « les barbares ». »

    Les mythes sur les ancêtres se caractérisent par leur continuité et leur permanence. Dan Alexe estime que, dans l’œuvre de Mircea Eliade, le loup a été soumis à ce cliché mental : « Le même Mircea Eliade affirme qu’en s’installant en Dacie, les Romains apportaient leur propre loup comme identité totémique – Lupa Capitolina (la Louve Capitoline) – et que Mars lui-même, le dieu de la guerre chez les Romains, aurait été un dieu-loup. Or, dans la typologie de Mars, rien ne justifie cette identification avec le loup. Eliade suggère que le loup dacique et le loup latin auraient fusionné, après quoi, ce loup aurait continué d’exister jusqu’aux invasions mongoles de Genghis Khan, les Mongols ayant eux aussi comme totem le loup. (Selon la légende, Genghis Khan serait né de l’union mystérieuse avec une louve.) Le loup dacique aurait donc subsisté pendant un millier d’années, jusqu’à ce que les Mongols de Genghis Khan y apportent un autre loup. C’est ainsi que le totem et le loup ont fini par nous définir au fil des millénaires. »

    Dan Alexe estime qu’il faut faire très attention à la véracité des informations que les sources antiques nous fournissent sur les populations éloignées : « On trouve quelques remarques chez Strabon et, en parlant des Daces, Hérodote dit, lui, qu’ils étaient « les plus justes des Thraces ». N’oublions pas que les Grecs ne nous ont laissé aucun guide de conversation, aucun dictionnaire, aussi minuscule soit-il, des langues environnantes. Les Grecs avoisinaient les Thraces, les Phrygiens, les Lydiens et d’autres peuples dont on ne sait absolument rien, parce que les Grecs ne s’intéressaient pas du tout aux idiomes qu’ils parlaient, pour eux c’étaient des « barbares ». Si l’on ne dispose pas d’un dictionnaire grâce auquel on puisse découvrir quelle langue parlait Alexandre le Grand, qui n’était pas Grec à 100% – la langue macédonienne était quand même différente, ce n’était pas une langue grecque – pouvons-nous imaginer qu’ils savaient des choses précises sur les barbares du Danube, qui se trouvaient à 2.000 km vers le nord, dans des territoires inaccessibles ? « Dace » et « Gète » sont des appellations génériques. Dans ma jeunesse, quand quelqu’un quittait la Roumanie, passant illégalement la frontière en Yougoslavie, on disait de lui qu’il s’était enfui « chez les Serbes ». Les Macédoniens, les Albanais, les Croates, les Slovènes étaient tous « des Serbes ». Pour nous, c’était «chez les Serbes ». Si, avec toutes les possibilités d’information dont on dispose actuellement, les choses sont ainsi à notre époque, comment pouvons-nous croire qu’Hérodote savait exactement qui étaient les Daces ? »

    Les ancêtres des Roumains ont leur place dans l’histoire ; ils ont été les gens de leur époque, avec leurs aspirations et leurs échecs, en rien supérieurs ou inférieurs aux autres. Tout comme nous, aujourd’hui. (Trad. : Dominique)

  • Le roi Carol II et Elena Lupescu

    Le roi Carol II et Elena Lupescu

    Roi de Roumanie entre 1930 et 1940, Carol II est encore de nos jours un personnage historique controversé. D’une part, en 1938, il interdit les partis politiques et impose un régime autoritaire appelée « la dictature carliste ». En 1940 il est obligé d’abdiquer, après le démembrement de la Grande Roumanie, la Bessarabie étant cédée à l’URSS et la Transylvanie à la Hongrie dirigée par Horthy. D’autre part, Carol II a encouragé le développement culturel et économique du pays. Pourtant, l’aspect de sa biographie qui a suscité le plus de clichés, de racontars et de controverses reste sa relation sentimentale avec Elena Lupescu.

    Victime de campagnes successives de dénigrement menées par les gouvernements libéraux des années ’20, par l’extrême-droite représentée par la Légion de l’Archange Michel et, enfin, par le régime communiste, il est difficile de connaître aujourd’hui la vraie personnalité d’Elena Lupescu, son rôle dans la politique de l’époque et la véritable nature de sa relation avec Carol II. Quelques faits historiques sont certains. En 1921, le prince héritier Carol, fils du roi Ferdinand et de la reine Marie, épouse contre son gré, pour des raisons d’Etat, la princesse Hélène de Grèce, un enfant étant né de cette union. En 1925, Carol renonce au trône pour aller vivre à Paris avec sa maîtresse, Elena Lupescu, fille d’un pharmacien juif converti à la religion chrétienne orthodoxe et ex-épouse d’un officier appelé Ion Tâmpeanu. Suite à cet exil volontaire, c’est Mihai, le fils mineur de Carol, qui hérite de la couronne, après la mort de son grand-père, le roi Ferdinand, en 1927.

    La situation allait pourtant changer 5 ans plus tard, lorsque Carol revient en Roumanie, envoie en exil la princesse Hélène, dont il avait divorcé, et récupère son trône. A la différence d’Edouard VIII de grande Bretagne, auquel il était apparenté et qui avait renoncé au trône pour épouser Wallis Simpson, une Américaine divorcée, Carol II décide de régner, avec Elena Lupescu à ses côtés, même si elle restait dans l’ombre. Ce fut le début d’une période de grandes transformations pour la Roumanie : le développement culturel et économique sans précédent dans l’histoire du pays fut doublé de troubles et de changements politiques et sociaux, culminant par l’essor de l’extrémisme de droite et l’instauration de la dictature carliste.

    Autour du roi s’est coagulé un groupe de favoris, que la presse de l’époque désignait par le terme de « camarilla » et qui était dominé, paraît-il, par Elena Lupescu. Elle a d’ailleurs été maintes fois le bouc émissaire du mécontentement général – politique et non seulement. Quelle est la vérité derrière les campagnes de dénigrement dirigées contre elle dans le passé et les clichés à travers lesquels nous nous imaginons de nos jours cette femme, surnommée à l’époque « Duduia » – « la Mam’zelle » ? Un livre vient de paraître qui tente d’apporter une réponse à cette question : « Le Roi et la Mam’zelle. Carol II et Elena Lupescu, au-delà des racontars et des clichés » écrit par Tatiana Niculescu et paru aux Editions Humanitas. Ce livre est une double biographie – celle d’Elena et de Carol II – mais aussi et surtout une biographie de leur relation qui, une fois le livre parcouru, se présente aux yeux des lecteurs comme une histoire d’amour, profonde et authentique. En outre, en lisant les lettres qu’ils avaient échangées, en découvrant des documents d’époque pas encore étudiés – entre autres le certificat d’études d’Elena Lupescu – ou en analysant la manière dont le couple avait été surveillé par la police et les services secrets un peu partout où il allait, on voit leurs personnalités se libérer des clichés et s’humaniser. Surtout « la Mam’zelle » nous apparaît avec ses qualités et ses défauts, que l’on rencontre si souvent chez nombre de nos semblables.

    Alina Pavelescu, directrice adjointe des Archives nationales de Bucarest, nous parle des aspects moins connus de la biographie d’Elena Lupescu présentés dans le livre: « J‘ai souri en lisant qu’à l’internat, Elena Lupescu excellait en « intuition », discipline où elle décrochait les meilleures notes. Le langage parfois vulgaire des lettres d’amour qu’Elena et Carol II échangeaient et les platitudes qu’ils se disaient font également sourire. Il appelait Elena « ma fille » et elle appelait Carol par toute sorte de diminutifs hilaires, ce qui peut paraître amusant, de nos jours. Pourtant, il paraît qu’ils se faisaient un plaisir de parodier ainsi le style des personnages de Caragiale. Et le fait d’avoir choisi d’exprimer leur amour dans un style pas du tout sophistiqué a-t-il rendu leurs sentiments moins légitimes ? Pas du tout. En fin de compte, en parlant de ces deux personnages, on peut dire que, pour Elena, Carol a été l’homme de sa vie et pour Carol, Elena a été la femme de sa vie. Cette histoire d’amour entre le roi Carol II et Elena Lupescu ne doit pas nécessairement être lue dans un registre politique. Je doute que le destin de la Roumanie ait été différent si Elena Lupescu n’avait pas existé dans la vie de Carol II ou qu’il ait été un meilleur roi. »

    Par ailleurs, les contradictions qui se font jour dans la personnalité du roi Carol II se retrouvent chez nombre de représentants de la jeune génération de l’entre-deux-guerres, notamment ceux nés après 1900. Alina Pavelescu : « Carol II était le représentant de cette génération de jeunes qui s’étaient affirmés après la Première Guerre mondiale, une génération que Mircea Eliade décrivait, dans la presse de l’époque, comme une génération touchée par les égarements d’extrême droite, mais qui a été l’enfant de la Grande Guerre. Cette génération était l’enfant d’un trauma historique majeur et elle souhaitait rompre avec les moules du vieux monde. Or, c’est ce que Carol II a fait, d’une manière plutôt douteuse. Il a rompu avec les moules du vieux monde. Il a détruit l’image de la monarchie, mettant souvent la monarchie roumaine et la famille royale dans des situations difficiles – ce dont on ne doit certainement pas le féliciter. Pourtant, un autre côté de son caractère se laisse entrevoir. S’il n’avait pas été roi, il aurait peut-être été un personnage beaucoup plus sympathique. Il n’aurait peut-être pas marqué de son nom le démembrement de la Grande Roumanie héritée de ses parents, ce qui a fait de lui un roi lamentable. Qui sait ? »

    Après avoir abdiqué, en 1940, Carol II a pris la route de l’exil, accompagné par Elena Lupescu. Leur long périple au Brésil et au Mexique s’est achevé au Portugal. Ils se sont mariés en 1947 au Brésil, mais ils se sont établis à Estoril, au Portugal, où l’ex-roi est mort en 1953. Son épouse allait s’y éteindre en 1977. (Trad. : Dominique)

  • Les forteresses d’Etienne le Grand

    Les forteresses d’Etienne le Grand

    Jusqu’au début du 20e siècle, les fortifications, les châteaux forts, les redoutes et les forteresses ont joué un rôle très important dans le déroulement des guerres. Lors des grandes conflagrations mondiales du siècle passé, la casemate et le bunker ont remplacé ce genre de fortifications. Les systèmes de fortifications ont aidé les chefs militaires à protéger les frontières, à assurer la sécurité de la population et à défendre les intérêts économiques de leur Etat.

    Un des premiers princes du Moyen-Âge roumain à avoir mis en place un système bien conçu de fortifications permanentes dans les pays roumains a été Etienne le Grand, prince régnant de Moldavie durant la seconde moitié du 15e siècle et les premières années du 16e. Comme tout dirigeant politique authentique, Etienne le Grand a commencé par renforcer la capitale de sa principauté, la cité de Suceava, située au nord du territoire de la Roumanie actuelle. Le premier château fort avait déjà été élevé par Petru Muşat, à la fin du 14e siècle. A ce château fort, Etienne le Grand a ajouté un mur d’enceinte qui l’entourait, le rendant beaucoup plus difficile à conquérir. Prévu de bastions et de créneaux, le mur d’enceinte était aussi entouré d’une douve. D’autres dépôts d’armes et de munitions, ainsi qu’une poudrière ont été construits à l’intérieur de la cité. La forteresse de Suceava a bien résisté aux attaques des Turcs ottomans, en 1476, et à celles des Polonais, en 1485, sans tomber entre les mains de l’ennemi.

    Une autre forteresse en pierre, renforcée par Etienne le Grand, a été celle de Neamţ, située à 70 km de Suceava. Le château fort le plus ancien de la cité avait été élevé par le même Petru Muşat. Etienne le Grand y fit construire la muraille de défense et élargir la douve qui l’entourait. La cité a résisté à l’attaque ottomane de 1476, menée par le sultan Mahomet II contre Etienne le Grand.

    La troisième forteresse du nord de la Moldavie agrandie par Etienne le Grand a été celle de Hotin – située à 115 km au nord de Suceava et qui se trouve actuellement sur le territoire de l’Ukraine. Là aussi, Etienne le Grand a surélevé et épaissi les murs de défense. Cette forteresse a, elle aussi, résisté aux assauts ennemis pendant la campagne turque de 1476. Roman a été la 4e forteresse d’Etienne le Grand située dans la zone de la capitale moldave. Elle fut élevée en 1466, à 95 km au sud de sa résidence. Bâtie dans une zone de campagne, à proximité de la rivière Siret, la forteresse était constituée de 7 tours liées entre elles par des murs et entourés de douves remplies de l’eau de la rivière. Cette forteresse jouait le rôle d’un avant-poste.

    Les forteresses d’Etienne le Grand étaient disposées de manière à défendre la Moldavie de tous les côtés. Ce prince régnant a également accordé beaucoup d’attention aux forteresses érigées au bord du Dniestr et du Danube, car c’étaient les invasions tatares arrivant de l’Est qui provoquaient à la Moldavie les plus grandes pertes. L’historien Gheorghe Postică, de l’Université Libre Internationale de Chişinău, en République de Moldova, a étudié les fortifications situées le long du Dniestr et du Danube : « Le système défensif créé le long du Dniestr, du nord au sud, entre les montagnes et la mer Noire, n’est pas fortuit. Il s’agit d’une délimitation nette entre deux espaces : l’espace roumain et les espaces se trouvant au-delà du Dniestr et même au-delà du Boug et du Dniepr. Ces forteresses tracent une sorte de frontière entre deux mondes, une séparation née au début du Moyen-Âge et qui allait se creuser jusqu’au Moyen-Âge tardif. »

    Les forteresses d’Etienne le Grand situées le long du Dniestr prouvent l’importance que ce prince régnant accordait à la défense de la frontière Est de la Moldavie et à l’expansion de la principauté vers le fleuve. A part la forteresse de Hotin, censée défendre également le nord de la Moldavie, Etienne le Grand comptait beaucoup sur les forteresses de Soroca, Orhei, Tighina et Cetatea Albă. Les deux dernières, ainsi que la forteresse de Chilia, avaient été construites pour défendre le sud de la principauté, jusqu’au Danube. Située à hauteur de la courbure des Carpates, dans la région de Vrancea, la forteresse de Crăciuna défendait la frontière terrestre avec la Valachie. Selon Gheorghe Postică, la forteresse de Soroca, avait été construite selon le modèle occidental, par des bâtisseurs roumains de Transylvanie : « Du point de vue de sa structure, la forteresse de Soroca ressemble à des constructions du même genre d’Italie. Bien que sa forme soit particulière, cela n’a rien d’extraordinaire. A l’époque médiévale, dans les pays européens, les forteresses en pierre étaient souvent construites par des bâtisseurs professionnels originaires d’autres régions et même d’autres pays. On en trouve des exemples en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. La forteresse de Soroca a été construite par des bâtisseurs de Bistriţa, dans le nord de la Transylvanie. »

    Constructions de défense spécifiques de la Renaissance, les forteresses d’Etienne le Grand ont également contribué à la consolidation de l’économie et au progrès de la culture et de la science en Moldavie. Au fil des siècles, la plupart d’entre elles ont été détruites ou sont tombées en ruine. Considérées comme des monuments historiques, de nos jours elles font l’objet de projets de restauration.(Trad. : Dominique)

  • Logements sociaux en Roumanie pendant l’entre-deux-guerres

    Logements sociaux en Roumanie pendant l’entre-deux-guerres

    Au début du 20e siècle, alors que la capitale roumaine était en pleine expansion, les responsables de la municipalité se donnaient pour but d’assainir la ville et de construire des habitations adéquates pour une couche sociale de plus en plus nombreuse : celle des ouvriers et des petits artisans. C’est ainsi qu’en 1907-1908 fut élaboré un programme de construction de logements à prix modique, adopté ultérieurement par une société créée dans ce but. Cela se passait pendant le mandat du maire libéral Vintilă Brătianu et bien que les projets de cette société aient été conçus pour répondre à l’idéal de la ville-jardin, la raison initiale était, en fait, moins poétique : éradiquer la tuberculose qui ravageait la capitale.

    Notre interlocuteur est l’historien Andrei Răzvan Voinea, auteur du livre « Mode idéal d’habiter à Bucarest : la famille possédant une maison avec jardin. Les parcellements des Sociétés communales pour les habitations à prix modéré, Bucarest 1908-1948 ».

    Andrei Răzvan Voinea : « Le principal but de la Société était de construire des habitations dans de petits quartiers ou sur des terrains issus de parcellements de propriétés situées en banlieue. Durant les 40 années de son existence, la Société a réalisé des projets pour 20 à 25 parcellements, qui ont permis la construction de 4 mille habitations. En 1910, Bucarest était loin de l’image idyllique que nous nous en faisons peut-être aujourd’hui : belles villas et dames élégantes se promenant le long de l’Avenue de la Victoire. En réalité, c’était une ville de 300.000 habitants où l’on enregistrait environ 6.000 décès par an, dont un millier par tuberculose. Or, la tuberculeuse est due entre autres aux mauvaises conditions d’habitation. Des gens du milieu rural affluaient vers la capitale et ils habitaient de petites maisons sans éclairage et mal aérées. Les responsables se sont rendu compte qu’ils devaient faire quelque chose pour ces habitants vulnérables. Ils ont donc envisagé de construire des maisons vendues initialement à des prix modiques et payés par mensualités, destinées aux ouvriers, aux petits employés, aux tailleurs, aux boulangers etc., pour qu’ils puissent bénéficier de meilleurs conditions de vie. »

    Pourtant, peu à peu, au fil des 40 années de son existence, la Société a oublié le but initial de son activité. Răzvan Voinea : « En 1912, la Société pour les logements sociaux a commencé à conclure des partenariats avec trois ou quatre grandes institutions d’Etat. La première fut la Société des Chemins de Fer. Les quartiers Grivița et Steaua (dans le nord de la capitale) et Viilor (dans le sud-est), furent le fruit de cette collaboration. D’autres protocoles furent signés avec la Régie des Monopoles d’Etat, dont est issu le quartier Regie, ainsi qu’avec le Ministère des Finances et l’armée. Ces institutions étaient pratiquement les commanditaires. La Société devenait déjà un promoteur immobilier plutôt qu’un constructeur d’habitations à prix modique. Ce n’étaient plus des habitations de 40-50 m2 qui auraient pu être vendues à des prix accessibles. On commençait à bâtir des habitations plus complexes et leurs prix augmenta. Du coup, les ouvriers et les boulangers, les typographes, les tanneurs et tous les autres petits artisans ne pouvaient plus s’acheter ces maisons, qui allaient accueillir une classe moyenne, constituée notamment de fonctionnaires d’Etat. Finalement, en 1948, lorsque la société a été dissoute, son but était entièrement oublié. »

    Au début, les prix de ces maisons – mensualités et taux d’intérêts compris – étaient accessibles aux ouvriers. Ensuite, ils ont beaucoup augmenté. En 1933, lorsque le quartier Vatra Luminoasă fut construit dans l’Est de la capitale, le montant de la mensualité était de 1.000 lei. C’était la somme qu’un ouvrier gagnait par mois à l’époque. Les hauts fonctionnaires gagnaient beaucoup plus, mais théoriquement, ce programme ne leur était pas destiné. Ses effets sur l’aspect de la ville et sur les conditions de vie de ses habitants ont été néanmoins bénéfiques, ces maisons étant construites dans des zones strictement résidentielles, pour lesquelles on avait prévu toutes les facilités de l’époque : électricité, rues goudronnées, système d’égouts. La valeur architecturale des habitations était également incontestable.

    Andrei Răzvan Voinea : « La Société pour les logements sociaux a collaboré avec de très bons architectes. Le plus remarquable d’entre eux fut Ioan Traianescu, qui avait été l’architecte de la cathédrale de Timişoara. Il a été architecte en chef de la Société à deux reprises : en 1912, à sa création, et ensuite entre 1923 et 1927. Les maisons sont très belles, pour la plupart de style néo-roumain, en vogue à l’époque. Ce sont des maisons d’une très grande valeur architecturale. C’est d’ailleurs là une des raisons pour lesquelles elles sont très recherchées actuellement. Elles présentent aussi un autre avantage : les zones où elles ont été bâties étaient strictement résidentielles, sillonnées de petites rues étroites, qui ne se prêtent pas tellement à la circulation routière. Chaque maison est prévue d’un petit jardin ou d’une cour, ces quartiers étant jolis et très calmes. ». (Trad. : Dominique)

  • Nouveaux visages des armes anciennes

    Nouveaux visages des armes anciennes

    Comme tous les objets conçus et fabriqués par l’homme, les armes à feutémoignent de l’imagination créativede celui-ci et des acquisde la science. Qu’elles soient de chasse ou de guerre, elles ne cessent de susciter l’admiration de ceux qui en apprécient les performances ou la maîtrise de l’exécution. Bien des musées prestigieux abritent aussi d’impressionnantes collections d’armes, accessibles au grand public. Ces armes sont restaurées et conservées comme tout autre objet de patrimoine, même si elles renvoient à des moments tragiques de l’histoire.

    Le Musée national d’histoire de Roumanie commémore le centenaire de la Grande Guerre en exposant des armes à feu utilisées pendant cette conflagration. Ces armes ont été restaurées par les spécialistes de la conservation et de la restauration du patrimoine technique et militaire du musée. Le restaurateur Paul Popa : « L’exposition Nouveaux visages des vielles armes montre des armes restaurées datant de la Première Guerre Mondiale. La restauration d’une arme ressemble à celle de n’importe quel objet à support métallique, à cette différence près qu’il faut en connaître et comprendre les mécanismes techniques. On commence par démonter l’arme, puis on la restaure pièce par pièce. On enlève la rouille et les autresproduits de corrosion, on l’enduit d’huile de lubrification et on procède à un entretien périodique

    L’exposition « Nouveaux visages des vieilles armes »offre au public l’occasion de voir de près des objets qui ont changé la destinée de millions de personnes. Les restaurateursPaul Popa et Bogdan Mladin ont tenu à ce que l’exposition inclue, à part les armes, des éléments de l’équipement militaire, tel le casque Adrian des sapeurs-pompiers. Deux journaux de guerre d’un soldat confèrent à l’exposition une dimension émotionnelle aussi. «Nous avons une large gamme d’armes:pistolets semi-automatiques, revolvers, carabines, fusils et même mitrailleuses. Le fusil-mitrailleur Chauchat est une pièce exceptionnelle. Fabriqué en France en 1915, il a été introduit dans l’artillerie de l’armée roumaine en 1916 avec la mission militaire française du général Berthelot. C’est la piècesur laquelle nous avons le plus travaillé, parce qu’elle avait le plus de problèmes, il lui manquait même des morceaux. Une grande partie des armes exposées ont eu le même typede problème. Nos armes proviennent de différentes zones,certaines ont été saisies aux ennemis par l’armée roumaine, notamment un revolver Nagant, fabriqué en Russie en 1895, et des pistolets semi-automatiques Steyr, de fabrication allemande. Notre collection compte aussi quelques munitions, et même des baïonnettes. De plus, nous avons le casque Adrian, apporté en Roumanie par la mission Berthelot en 1916. Nous avons exposédiversesmunitions, comme des tubes de cartouche, mais aussi deux journaux qui ont appartenu à un soldat roumain. »

    Nous avons demandé à Bogdan Mladin de nous dire si les armes exposées avaient été utilisées et de nous présenter un bref historique de leurs parcours, du front de combatà la vitrine dumusée: «En partie, nous supposons que oui, mais pour être certains que ces armes ont été utilisées, nous aurions dû procéder à une expertise balistique judiciaire. Ces armes étaient dans un état de dégradation précoce. Elles ont intégré la collection du Musée national d’histoire de Roumanie dans les années 70, après avoir été transférées à d’autres musées. Vuleur état, il a fallu les restaurer avant de les présenter au public. Le Musée national d’histoire possède une collection d’armes impressionnante, qui inclut, en plus de celles datant de la Première Guerre mondiale, des armes de toutes les époques historiques. Ces armesseront restaurées progressivement, pour ensuite être présentées au public. »

    Les armes sont encore captivantes et continueront de l’être, car elles font partie de la civilisation et de la culture des sociétés humaines. Plus on invente de nouvelles générations d’armes, plus l’intérêt pour les anciennes augmente. (Trad. Mariana Tudose /AndreeaSuta)

  • Sur les traces des bijoux de la reine Marie

    Sur les traces des bijoux de la reine Marie

    Souveraine de Roumanie entre 1914 et 1927, en tant qu’épouse du roi Ferdinand, la reine Marie était la petite-fille de la reine Victoria d’Angleterre – par son père, le duc Alfred d’Edinbourg, deuxième fils de la souveraine d’Angleterre – mais aussi cousine germaine du dernier tsar de Russie, Nicolas II – par sa mère, la grande-duchesse Marie Alexandrovna. Restée dans la mémoire des Roumains notamment pour ses efforts diplomatiques en faveur de la Grande Union de 1918, la reine Marie a également fasciné par sa forte personnalité, par son amour des arts et des traditions roumaines. Dans son existence – comme dans celle d’autres monarques – les devoirs publics et la vie privée s’entremêlent. Une histoire apparemment intime comme celle de ses bijoux personnels en dit long sur les vicissitudes du 20e siècle roumain.

    Au cours de sa vie, la reine Marie a reçu, hérité et acheté de nombreux joyaux. Elle aurait possédé quelque 400 bijoux et pierres précieuses. Malheureusement, beaucoup d’entre eux sont introuvables. Dans son livre « Le bijoux de la reine Marie », Diana Mandache en dresse un inventaire non officiel. Elle a eu l’idée d’écrire ce livre après avoir découvert dans les archives du Conseil national pour l’étude des archives de la Securitate des dessins et des aquarelles illustrant une grande partie des bijoux de la reine. Ces images ainsi que des photos d’époque et des portraits ont constitué le point de départ de la tentative de Diana Mandache de retracer l’histoire des bijoux de la reine, à commencer par ceux hérités de sa célèbre grand-mère, la reine Victoria.

    Diana Mandache : « Il s’agit notamment de deux bracelets très intéressants de l’époque victorienne, qui ont survécu à plusieurs changements de régime politique et de législation. L’un d’entre eux, ayant appartenu à la reine Victoria, est orné de cœurs et de turquoises ; des mèches de cheveux de ses 4 premiers enfants y sont incrustées. L’autre bracelet est en or et il est décoré de portraits en miniature des enfants du duc d’Edinbourg, père de la reine Marie. Parmi ses portraits se trouve celui de la princesse Marie d’Edinbourg, la future reine Marie de Roumanie. Bien que propriété privée, ces bijoux ont été confisqués après l’installation du régime communiste en Roumanie, en 1948. C’était un procédé bolchévik, que les communistes au pouvoir à Bucarest avaient adopté. Certains bijoux n’ont même pas été inventoriés et ils ont été désassemblés. »

    A part les bijoux hérités de sa grand-mère, la reine Marie a reçu plusieurs joyaux comme dot, au début de son mariage avec le roi Ferdinand. Ces bijoux allaient pourtant prendre le chemin de la Russie, en même temps que le trésor de la Roumanie, après l’entrée du pays dans la Première Guerre mondiale, en 1916. Le trésor n’a été que partiellement récupéré jusqu’ici, les bijoux de la reine comptant, hélas, parmi les pièces qui n’ont pas été rendues et qui sont introuvables.

    Diana Mandache : « Le premier convoi transportant le trésor de la Roumanie est parti vers Moscou le 14 décembre 1916. Au trésor s’ajoutaient deux caisses métalliques où se trouvaient les bijoux de la reine Marie et qui avaient été envoyés à Moscou sans inventaire, ce qui laisse deviner la précipitation avec laquelle on avait agi. En 1920 déjà, une information est envoyée par voie diplomatique, selon laquelle une partie des diamants se trouvant dans les boîtes à bijoux de la reine Marie auraient été vendus à Londres par l’intermédiaire du bolchévik Lev Kamenev, sans passer par les maisons de vente aux enchères, mais à des collectionneurs privés. Une autre information similaire apparaît en 1921 : une partie des bijoux de la reine Marie avaient été vendue dans les pays scandinaves, à des collectionneurs privés. Après la guerre, lors de la Conférence de paix de Paris, la reine Marie, qui a mené des négociations diplomatiques ad-hoc, soutenant les intérêts de la Roumanie, n’a porté aucun bijou. Avant tout, parce qu’elle n’en avait plus. Elle mentionne cet aspect dans son journal et dans sa correspondance. Ensuite, elle a voulu mettre en évidence ce fait et l’utiliser durant la Conférence de Paris devant la commission des réparations des dommages au sein de laquelle on discutait de la rétrocession du trésor de la Roumanie. »

    Après la Grande Union de 1918 et le couronnement du roi Ferdinand et de la reine Marie en 1922, la collection de bijoux de la reine commence à se refaire par d’autres acquisitions, notamment grâce au roi.

    Diana Mandache : « Le roi acquiert pour la reine Marie une tiare en saphirs et en diamants, qu’il achète en fait à la sœur de la reine, Victoria Melita. C’est toujours le roi Ferdinand qui va acquérir le célèbre collier Cartier, avec son saphir immense, un bijou à part. Par le Parlement de la Roumanie, la couronne de la reine est commandée à la maison Falize. Cette couronne est un joyau exceptionnel, en or transylvain incrusté de pierres précieuses ingénieusement agencées. Après 1948, la plupart des bijoux les plus précieux de la reine restés en Roumanie ont été alloués au ministère des Finances et à la Banque d’Etat – soit la Banque centrale du régime communiste. Par la suite, certains d’entre eux ont été envoyés à différents musées. La reine Marie allait léguer ses bijoux par testament à sa famille. Evidemment, l’exil a obligé ses membres à vendre une partie de ces bijoux. Par exemple, Ileana, fille de la reine Marie et archiduchesse d’Autriche, a dû vendre la tiare en saphirs, qui, selon ses propres dires, ne lui faisait ni chaud ni froid, alors qu’elle devait assurer la subsistance de ses enfants. Une autre fille de la reine, Mignon – ancienne reine de Yougoslavie – a vendu, en 1960, le diadème aux rayons de diamants.»

    Quelques-uns des bijoux de la reine Marie restés en Roumanie après l’instauration du communisme en 1948 sont exposés actuellement au Musée national d’histoire de Bucarest, entre autres plusieurs broches et bracelets, une croix de Malte ornée d’améthystes et une ceinture en argent, opale et améthyste. (Trad. : Dominique)

  • Le mémorial de Sighet

    Le mémorial de Sighet

    Le musée de Sighet concentre larchipel de la terreur communiste des années de plomb, de 1950 au début des années 1960, et dans lequel ont trouvé la mort plus de cent mille Roumains. La fondation « Academia Civică/LAcadémie civique », fondée et longtemps dirigée par les écrivains et opposants anticommunistes Ana Blandiana et feu Romulus Rusan, a réussi, au milieu des années 90, à ouvrir ce premier lieu de mémoire dédié aux victimes de la répression communiste. Au fil du temps, ce lieu réussit à se forger une place particulière dans la conscience collective des Roumains.



    30 ans après la chute du communisme en Roumanie et dans toute lEurope de lEst, Ana Blandiana rappelle limportance de ce lieu de mémoire. Au-delà des mots, lon entend la voix particulière de lécrivaine et de lopposante anticommuniste dont lémotion suinte, comme pour mieux transmettre toute lhorreur de lindicible. « Le mémorial de Sighet, qui pour moi remplace une pile de livres que je nai pas écrits, cest un livre en soi. Un livre dans lacception médiévale, dans lacception des chroniqueurs, un manuel de mémoire, un abécédaire qui nous apprend à recouvrir notre mémoire collective. Car la victoire la plus retentissante du communisme a été celle de nous avoir privés de notre mémoire. Nous en sommes devenus conscients de toute la tragédie de cette situation seulement après 1989. Parce que lhomme sans mémoire, lhomme nouveau, le lavage des cerveaux que le régime appelait de ses vœux, cet être qui ne devait se souvenir ni de celui quil avait été, ni de ce quil avait fait, ni des biens quil possédait avant linstauration du régime communiste, cétait bien cet homme que le régime ambitionnait de créer. La mémoire demeure une forme de vérité, et elle devait être anéantie pour que la vérité soit anéantie avec. Ou manipulée. La guerre contre la mémoire, qui représente à la fois un crime contre la raison et contre lhistoire, a représenté lœuvre capitale du communisme. »



    Les deux écrivains fondateurs du Mémorial ont ressenti le besoin de faire revivre le souvenir de la prison de Sighet devenue, durant les années 50, le cimetière de lélite roumaine. Cétait leur petite pierre apportée à lédifice de la renaissance du passé, celui obnubilé et déformé par lidéologie marxiste. Ana Blandiana encore: « Réaliser ce Mémorial nétait pas un but en soi, mais plutôt un moyen. Nous ne nous sommes pas proposé de créer un chef dœuvre muséographique, où les crimes de notre passé récent soient mis en lumière dune manière artistique et scientifique, rangés dans une bibliothèque de lindifférence contemporaine. Non. Nous avons voulu faire une œuvre de mémoire, creuser et faire revivre la mémoire au profit de cette génération qui, lavage du cerveau aidant, ne connaissait plus ni ses origines, ni ses buts. Cette génération devenue incapable de transmettre lhéritage du passé aux générations futures. Le musée du Mémorial de Sighet est bien le lieu où les jeunes ont loccasion dapprendre une histoire que ni leurs parents, ni lécole nont été en mesure de leur transmettre. Il sagit dune véritable pédagogie de la mémoire que lon a désiré instaurer à travers la création de ce musée. Les visiteurs peuvent lire les documents, regarder les images, écouter des analyses et des témoignages qui décortiquent les ressorts intérieurs dune mécanique historique qui a broyé des destins et qui sest nourrie de la haine de classe, faisant fi des droits humains les plus élémentaires. »



    La haine, cest le mot clé du marxisme déchaîné. Les contemporains de lépoque ont ressenti pleinement sa force destructrice. La haine, un sentiment, un état desprit qui perdure encore aujourdhui, et qui trouve ses racines et ses origines à lépoque communiste, croit Ana Blandiana: « Dailleurs, la haine, le fanatisme perdurent au-delà de leurs formes premières, institutionnalisées, consacrées. En effet, le communisme a disparu en tant que système, mais il perdure dans nos manières dêtre, dans les mentalités. Lanalyser, le décortiquer, serait salutaire, pour notre avenir dabord. Il suffit de penser aux membres des organisations terroristes actives pendant les décennies 6, 7 et 8 du siècle passé, des terroristes qui sentraînaient dans des camps spécialement aménagés par les Etats communistes de lEurope de lEst. Leurs armes étaient fabriquées en Tchécoslovaquie et en URSS, vous savez. Des armes et des techniques qui seront utilisées dans des attentats perpétrés en Europe de lOuest. Etudier le communisme nest guère en vain. »



    Mais ce que lon vit aujourdhui, trente ans après la chute du mur de Berlin, est-il vraiment lié à ce qui sétait passé à lépoque? Ana Blandiana croit dur comme fer que les évolutions daujourdhui sont intimement liées à lexpérience communiste passée : « La question qui nous importe le plus est de savoir dans quelle mesure nous continuons dêtre influencés par le communisme, 30 ans après son décès officiel. Je me rappelle avoir répondu à une vaste enquête lancée par une revue culturelle à peu près à ce sujet. A la question de savoir si le thème du communisme et de lanticommunisme aurait encore une relevance lors des 4 prochaines élections présidentielles, la grande majorité de ceux qui ont été questionnés a répondu par la négative. Pensant aussi que laugmentation des prix aura infiniment plus de poids. En même temps, effectivement, il est évident que pour ce qui est des droits et des libertés, du respect des droits de lhomme, de léconomie, les choses sont complètement différentes de ce quelles étaient à lépoque communiste. Mais si lon regarde la moitié vide du verre, lon identifie encore lombre menaçante du communisme, des similitudes, et cela dans plein de choses : dans la capacité de manipulation, par exemple, ou encore dans celle déluder la vérité. »



    En vertu de limportance du passé quil fait revivre, le Mémorial de Sighet gardera toujours vivante la flamme de la mémoire traumatisée des quatre décennies de communisme subies par les Roumains. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • A la découverte des femmes de la Grande Guerre

    A la découverte des femmes de la Grande Guerre

    Durant les années de la Première Guerre Mondiale, si difficiles pour le royaume de Roumanie, dont la plus grande partie se trouvait, depuis 1916, sous occupation allemande, les soldats combattant sur la ligne de front nont pas été les seuls à se faire remarquer par des actes de prouesse. Derrière le front, ce fut aux femmes de lever le moral des troupes et de les aider à surmonter les innombrables difficultés auxquelles celles-ci étaient confrontés. A part les actions humanitaires et diplomatiques de la Reine Marie et de la princesse Martha Bibescu, sur lesquelles les informations abondent, limplication dautres femmes a commencé à être étudiée ces dernières années.



    Une exposition de photos dépoque, de documents et de manuscrits a récemment été organisée par les Archives nationales, qui met en évidence lactivité dautres femmes remarquables, à la fois sœurs de charité et premières représentantes du féminisme roumain. Monica Negru, commissaire de lexposition « A la découverte de lhistoire. Les femmes de la Grande Guerre », esquisse quelques portraits. Et ce nest pas du tout par hasard quelle commence par Alexandrina Cantacuzino, symbole du mouvement féministe de lentre-deux-guerres. Monica Negru: Alexandrina Cantacuzino a été une femme dune grande culture et particulièrement volontaire, un esprit religieux, traditionnaliste et nationaliste, une oratrice de taille internationale. Née en septembre 1876, elle a épousé un homme politique conservateur, Grigore G. Cantacuzino, ministre, secrétaire dEtat et sénateur. Elle a soutenu le mouvement démancipation des femmes roumaines, finançant, par exemple, par ses propres moyens, 33 écoles et envoyant des milliers de livres en Bessarabie. Alexandrina Cantacuzino a été une personnalité marquante du féminisme roumain et international durant les 4 premières décennies du 20e siècle. A partir de 1918, elle allait se trouver à la tête de la Société Orthodoxe Nationale des Femmes Roumaines (SONFR) et soutenir la création dassociations culturelles, décoles et dhabitations sociales à Bucarest et dans dautres villes du pays. Durant les années de la première guerre mondiale, Alexandrina Cantacuzino a choisi de rester à Bucarest pendant loccupation allemande. Membre active de la Croix Rouge, elle a veillé au bon fonctionnement dun grand hôpital de blessés de la capitale et a aidé les prisonniers de guerre des camps de Bucarest. »



    Après la guerre, Alexandrina Cantacuzino a poursuivi son activité daide aux filles pauvres et démancipation des femmes en général. Elle a soutenu la création de la Petite Entente des Femmes, réunissant la Roumanie, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Grèce. Elle a été la présidente de ce forum en 1923 – 1924. Entre 1925 et 1936, elle a été vice-présidente du Conseil international des Femmes. Elle sest éteinte en 1944. Son activité a été soutenue par une autre Alexandrina. Monica Negru: « Alexandrina Fălcoianu est née dans une vieille famille de boyards de Valachie. Son père a été mathématicien et professeur à lUniversité de Bucarest. Elle était la cousine de lécrivaine Elena Văcărescu, première femme membre de lAcadémie, avec qui elle a habité en Occident. Alexandrina Fălcoianu a laissé des mémoires, dont le manuscrit a été conservé par les Archives Nationales. Pendant les guerres des Balkans, elle sest formée comme infirmière. Elle est devenue membre de la Croix Rouge roumaine et a travaillé comme bénévole même sur une ambulance envoyée en Bulgarie, en 1913. En 1916, après la conquête de Bucarest par les Puissance Centrales, elle a organisé une cantine à la gare de Titu, près de la capitale, où elle assurait aux soldats un repas chaud par jour. Environ 40.000 soldats sy rendaient quotidiennement pour recevoir une assiette de soupe, un quart de pain et du thé.»



    Toujours pendant la guerre, la Croix Rouge nommait Alexandrina Fălcoianu à la tête de plusieurs hôpitaux de la capitale. Elle raconte, dans ses mémoires, la protection accordée aux prisonniers roumains évadés qui sétaient cachés dans un de ces hôpitaux. Sous la tutelle dAlexandrina Cantacuzino sest formée une autre femme remarquable, qui sest distinguée par son activité derrière le front et qui avait été surnommée « la fée des prisonniers ». Monica Negru: « Il sagit de Zoe Râmniceanu, qui a compté parmi les membres fondatrices de la Société orthodoxe nationale des femmes roumaines et dont elle a été la caissière générale. Elle a travaillé comme infirmière à lhôpital 113 de Bucarest, aux côtés dAlexandrina Cantacuzino. Les deux femmes ont été emprisonnées, pour peu de temps, en novembre 1917, étant accusées dagir contre loccupation allemande de lépoque. Zoe Râmniceanu a été membre de la Croix Rouge roumaine et a travaillé sans cesse pour aider les prisonniers roumains. A commencer par le 1er décembre 1916, elle a assuré de la nourriture et des soins médicaux pour 4.000 prisonniers roumains se trouvant à Bucarest. »



    A part ces femmes que nous venons de mentionner, dautres se sont fait remarquer durant les premières années de la Grande Roumanie, soit après 1918, dans les domaines philanthropique et de lactivisme social, ainsi que des arts ou des sciences. (Trad. : Dominique)

  • Noms roumains sur la voûte céleste

    Noms roumains sur la voûte céleste

    Des noms roumains sont présents dans notre système solaire aussi. 13 d’entre eux nomment des formations topographiques situées sur les planètes Mercure, Vénus, Mars et sur la Lune, le satellite naturel de la Terre. Il s’agit de 11 cratères, d’une chaîne de montagne et d’une vallée. 27 astéroïdes et 3 comètes sont baptisés de noms roumains, tandis que l’appellation de 7 autres astéroïdes renvoient à la toponymie roumaine.



    En 1961, on nommait « Montes Carpatus » une chaîne de montagnes de la Lune du nom des montagnes terrestres, les Carpates.C’est vrai que seulement deux tiers des Carpates se trouvent en Roumanie, mais leur étymologie renvoie au terme désignant la tribu antique des Géto-Daces, ancêtres des Daces. C’est en 1970 que l’on a donné pour la première fois à un corps céleste le nom d’un Roumain. C’était en l’honneur du mathématicien et astronome Spiru C. Haret (1852-1912), ministre libéral de l’éducation. L’astronome Magda Stavinschi, ancienne directrice de l’Institut astronomique de l’Académie roumaine, nous a parlé des circonstances dans lesquelles on a attribué des noms roumains aux astres:



    « La nomenclature établie par l’Union astronomique internationale tente de rendre hommage aux plus grandes personnalités du monde. La Roumanie n’est pas présente depuis très longtemps sur cette carte du ciel. Le premier nom consacré à y figurer a été celui de Spiru Haret. Un cratère situé sur la face visible de la Lune a reçu son nom, au moment de la cartographie. Pour la plupart des Roumains, Spiru Haret est le ministre qui a mis au point la plus importante réforme éducationnelle en Roumanie, au début du XXe siècle. Il faut savoir, toutefois, que Spiru Haret a été aussi le premier à avoir passé un doctorat en astronomie, plus précisément en mécanique céleste. Les résultats des recherches pour sa thèse de doctorat, soutenue à Sorbonne, ont été appréciés par la communauté scientifique du monde entier. »



    Découvert en 1936 par le Belge Eugène-Joseph Delporte, l’astéroïde 2331 allait être baptisé du nom du professeur astronome roumain Constantin Pârvulescu. Cet astéroïde, de forme quasi sphérique, mesure 11 km de diamètre et a une superficie de 24 km. Sa révolution autour du Soleil se fait en 3,78 ans terrestres et sa position la plus proche de la Terre a été à 140.000.000 km. Magda Stavinschi :



    « Un autre nom, plus intéressant de mon point de vue, revient au premier astéroïde baptisé roumain. Il s’agit de Constantin Parvulescu. Pour l’anecdote, à cause d’une coïncidence de noms, car c’était aussi le nom d’un célèbre dissident anticommuniste, il nous était défendu de prononcer le nom de cet astéroïde. Ce sont les Belges qui avaient baptisé l’astéroïde du nom de Constantin Parvulescu, qui était un important astrophysicien et qui avait travaillé pendant un certain temps à Bruxelles. Mais alors, chez nous, à cause de son nom, ce monsieur était un parfait inconnu ».



    Les noms des Roumaines ne manquent, eux non, plus à l’appel de l’espace. Des cratères présents sur la surface de la planète Vénus ont repris des noms de certaines Roumaines célèbres, mais aussi des prénoms plus communs, parfois rigolos, tels Veta, Irinuca, Natalia, Zina, Esterica. Magda Stavinschi:



    « C’était au temps où je dirigeais l’Institut astronomique de l’Académie roumaine, et c’est à ce moment-là que certains éléments de relief de la planète Vénus ont été baptisés. L’on nous avait demandé de formuler des propositions. Elena Vacarescu, l’une des propositions que l’on avait faites, a été rapidement adoptée, parce qu’elle était bien connue des Français et au plan mondial. Puis, l’on a proposé Ella Marcus, célèbre astrophysicienne roumaine, Ana Aslan, les noms de pianistes célèbres et ainsi de suite. »



    Magda Stavinschi avoue que les découvertes récentes de nouveaux corps célestes mettent la pression sur l’inventaire des noms disponibles, la demande augmentant constamment.



    « Aujourd’hui, il y a beaucoup d’astéroïdes récemment découverts et l’heure est à la chasse aux noms. Jusqu’il y a quelques années, la coutume voulait que l’on ne baptise les corps célestes que du nom de personnalités passées dans l’au-delà. A présent, les noms nous font défaut. Pourtant, nous autres, astrophysiciens roumains, nous essayons de poursuivre la tradition de faire connaître les grands noms qui ont marqué la culture ou la science roumaine, en baptisant les corps célestes de leurs noms: Brancusi, Enesco, Eminescu, ou encore du nom des astronomes, tel Gheorghe Demetrescu, ou celui du professeur Ban, de Cluj. Il est probable que l’on retrouve de plus en plus de noms roumains sur la voûte étoilée, mais je souhaite surtout que les noms des Roumains ayant marqué de leur empreinte la civilisation roumaine et universelle demeurent.»



    Le nom du poète national Mihai Eminescu ne pouvait pas manquer de cette liste. L’astéroïde 9495 et un cratère situé sur la surface de la planète Mercure ont eu l’honneur de le porter bien loin de la Terre. Magda Stavinschi :



    « Les astéroïdes, ces petits corps célestes que l’on appelle aussi micro-planètes, font des va-et-vient entre les orbites des planètes Mars et Jupiter. A l’heure actuelle, on compte par milliers les astéroïdes découverts. Alors, soyez sans crainte: faites quelque chose de bon sur notre planète et votre nom sera immortalisé dans les étoiles. Ça vaut la peine, n’est-ce pas ? ».



    Ce ciel, disons roumain, demeurera un patrimoine chéri des astronomes, professionnels et amateurs confondus.


    (Trad. Mariana Tudose/Ionut Jugureanu)