Category: L’Encyclopédie de RRI

  • La Révolution de 1821

    La Révolution de 1821

    Déroulée durant
    la première partie de l’année 1821 (de février à mai) la Révolution dirigée par
    Tudpor Vladimirescu a mené à la fin des règnes phanariotes en Valachie et en
    Moldavie et plus tard à la transformation en mythe de son leader. Présent dans
    tous les manuels d’histoire, immortalisé par des statues et des tableaux, présent
    même sur des billets de banque, Tudor Vladimirescu est en réalité un personnage
    moins connu du grand public mais extrêmement intéressant et même assez
    controversé. La révolution qu’il a dirigée en Valachie s’est combinée à celle
    grecque de libération de l’Empire Ottoman. Et ses liens avec la « Filiki Eteria »,
    « la Société des amis » ou encore la « Hétairie des amis » une
    société secrète qui a commencé la révolution grecque, a finalement mené à son
    assassinat. « Eteria » était la plus importante des sociétés secrètes
    nées de la diffusion des idées de la Révolution américaine et de la Révolution
    française dans la société roumaine, serbe et surtout grecque des Balkans sous
    occupation ottomane. Né d’une famille de paysans libres du département de Gorj,
    Tudor Vladimirescu est devenu par ses habilités de s’adapter aux différentes
    situations administrateur de domaines agricoles, marchand, mais aussi officier
    dans l’armée des Tsars, alors que cette-ci occupait le pays, soit de 1806 à
    1812. Parmi les raisons qui l’ont mené à déclencher la révolution figuraient
    des ambitions personnelles, mais aussi le besoin de changements politiques. Ses
    actions dépendaient tant de la collaboration avec la « Hétairie » que
    de l’espoir d’une aide russe, jamais promise mais attendue aussi par les Grecs.
    Quel était le caractère de cette personne ? Comment est-elle arrivée à
    collaborer avec les membres de la société « Eteria » menées par
    Alexandru Ipsilanti ? Quels étaient les objectifs qui l’ont poussé à
    déclencher la révolte ? C’est l’historien Tudor Dinu qui tente de répondre
    à toutes ces questions dans son ouvrage le plus récent appelé « La
    révolution grecque de 1821 sur le territoire de la Moldavie et de la
    Valachie ».


    Ecoutons Tudor
    Dinu :

    « Tudor joue
    un rôle clé dans les plans des révolutionnaires d’Eteria. Dès 1820, lorsque les
    membres de cette société se rencontrent dans la ville d’Ismail pour élaborer le
    plan général de la Révolution, ils affirment qu’en Valachie celle-ci serait
    déclenchée par un certain Tudor Vladimirescu, qu’ils appellent « le
    commandant des hommes armés de Craiova ». Les révolutionnaires ont
    sponsorisé Tudor Vladimirescu, croyant qu’il serait un pion facile à utiliser. Mais
    ils ont eu tort sur toute la ligne, tout comme les grands boyards qui ont voulu
    se servir de lui. A mon avis, il est, peut-être, l’exemple le plus
    impressionnant de « self-made man » de notre histoire : un homme
    simple, qui croit dans sa chance et souhaite dépasser sa condition et qui fait
    tout pour avoir une carrière et s’approcher des boyards. Il commence par faire
    du commerce à succès – d’abord pour les boyards, puis pour soi-même. Il fait
    carrière dans l’administration, pour avoir enfin une carrière militaire. Il
    entre dans l’entourage du consulat russe, puis collabore avec les groupe
    révolutionnaire de « l’Hétairie des amis » et arrive à espérer à
    devenir Prince dans un nouveau système à installer une fois que les Russes
    aient libéré les Principautés roumaines. Les sources grecques en parlent
    longuement, précisant que les révolutionnaires de la « Filiki Eteria »
    avaient promis à Tudor le trône de « Décébale »».


    Effectivement,
    Tudor Vladimirescu et son armée ont réussi à déstabiliser l’ordre phanariote de
    Valachie, à bénéficier du soutien d’une partie importante des boyards locaux et
    à s’installer à la cour royale de Bucarest. Entre temps, les révolutionnaires
    de « la Société des amis » dirigés par Alexandru Ipsilanti sont
    entrés en Moldavie pour y former une armée à l’aide des habitants des lieux
    dans l’espoir d’une révolte générale de la population des Principautés
    roumaines contre les Ottomans. Mais à
    part les changements politiques, envisageaient-ils aussi des changements
    sociaux ? L’historien Tudor Dinu répond :


    « C’est Alexandru Ipsilanti qui était
    le plus radical d’un point de vue social et politique. Dans son programme politique,
    il propose par exemple non seulement d’avoir des princes roumains, mais aussi
    une sorte de monarchie constitutionnelle dans laquelle les revenus des princes
    soient contrôlés par un premier Parlement des Principautés roumaines. Tudor
    Vladimirescu a fait lui aussi des propositions importantes dans le domaine
    social, censées améliorer la vie des gens simples, mais elles n’étaient pas si
    radicales que nous l’imaginions. Par exemple, il propose le retour de certains
    impôts. Il a aussi des initiatives très intéressantes. La plus importante pour
    le développement du commerce est la suppression de la douane interne à cause de laquelle les
    produits apportés d’autres villes étaient extrêmement chers. Il propose aussi
    de réduire le profit des boulangers et des bouchers, pour rendre le pain et la
    viande plus accessibles. Et la proposition la plus radicale, voire impossible à
    mettre en place : nommer les autorités selon le critère du mérite, ce qui
    était impossible. En fait, le système de la corruption ne pouvait pas
    disparaître dans le contexte où Tudor lui-même plaidait pour la diminution des
    revenus des hauts fonctionnaires de l’Etat. »


    Malgré les
    intentions sur le long terme, la situation sur le terrain n’a pas été des
    meilleures. Le passage de l’armée des révolutionnaires de l’Hétairie par les
    territoires roumains s’est traduit par le chaos, le pillage et la révolte de la
    population locale. Plus encore, l’imminente invasion ottomane risquait de
    transformer les principautés en un théâtre d’opérations militaires, alors que
    l’aide russe se laissait attendre. Dans ce contexte, Tudor Vladimirescu a lancé
    une action diplomatique qui n’était pas sans risque afin de protéger son pays,
    mais aussi ses réussites. Il a donc commencé à négocier avec la Sublime Porte
    d’Istanbul. Dès qu’Alexandru Ipsilanti l’a appris il l’a qualifié de
    « traitre ». Tudor Dinu poursuit :


    « Peut-être l’acte d’accusation le plus important est une lettre envoyé
    par Tudor qui arrive dans les mains du sultan. Dans cette lettre, il propose de
    lancer une guerre contre le « traitre Ipsilanti » si la Sublime Porte
    accepte de l’aider. Mais cela n’était pas possible, vu que le Sultan ne pouvait
    pas offrir une aide militaire à un chrétien révolté. Il est possible que Tudor
    ait été très habile pour tenter de garder toujours de bonnes relations avec les
    Turcs et en même temps de ne pas attaquer Ipsilanti. Et puis, Tudor a gardé
    jusqu’au dernier moment l’espoir d’une intervention de l’armée russe. On l’en
    avait assuré par de nombreuses voies, c’est pourquoi il tardait à agir. Mais du
    point de vue des membres de la « société des amis », c’était une
    trahison »


    Accusé de
    trahison, Tudor Vladimirescu a été jugé selon le Code pénal de l’Hétairie et
    condamné pour avoir agi contre la patrie de celle-ci, la Grèce, bien que ce fut
    évident que la patrie de Tudor était la Valachie. C’est pourquoi son procès et
    son exécution sont considérés comme une injustice aujourd’hui encore par
    l’historiographie et par l’opinion publique roumaine. Pour les Principautés
    roumaines, la révolution de 1821 allait s’achever par la mort de Tudor
    Vladimirescu, le 28 mai. Mais les membres de la « Filiki Eteria »
    continueront de lutter contre les Ottomans jusqu’à la défaite de Drăgășani,
    début juin.


    Avant de
    terminer, Tudor Dinu nous parle des effets de l’année révolutionnaire 1821 en
    Valachie et Moldavie :


    « Pour les principautés roumaines, la
    Révolution grecque a été un désastre, parce que par la suite les principautés
    ont été dévastées d’un bout à l’autre. Le sacrifice des Roumains sert toujours
    d’exemple. Il a fallu une ou deux décennies pour que les Principautés roumaines
    se remettent sur pieds. En suivit une guerre russo-turque. Par ailleurs, le
    rôle de la Révolution de 1821 a été fondamental parce qu’il a marqué l’entrée
    définitive des principautés roumaines sur la voie de l’occidentalisation, bien
    que ce phénomène ait déjà commencé en 1812. Ce mouvement se concrétise au
    niveau des élites, mais pas au niveau des paysans roumains, qui continuent de vivre d’après des rythmes ancestraux
    au beau milieu du 19e siècle. Ce fut un sacrifice nécessaire pour
    que la Roumanie trouve sa place sur la carte de l’Europe, et non pas sur celle
    de l’Empire ottoman ».


    De nos jours
    encore, les historiens trouvent des interprétations inédites sur le rôle et les
    conséquences des actions de Tudor Vladimirescu, des interprétations qui peu à
    peu mettent de la lumière sur cette personnalité qui a accédé durant
    différentes périodes au statut de mythe national.



  • Le photographe Stelian Petrescu

    Le photographe Stelian Petrescu


    La photographie a été introduite en Roumanie par les
    étrangers qui s’y sont établis pour se répandre ensuite assez rapidement. Après
    les années 1850, le marché roumain de la photographie connaît une véritable envolée,
    puisque des studios de photographes apparaissent dans presque chaque ville du
    pays. Partout l’on trouve des clients désireux de bénéficier de ces nouveaux
    services.






    Les photographes étrangers ont en fait illustré
    l’histoire du pays et produit d’importantes sources documentaires sur les
    villes et les gens de l’époque. Carol Popp de Szathmary, Franz Mandy, Franz
    Duschek, Adolphe A. Chevallier, mais aussi des Roumains tels Ioan Spirescu et
    Iosif Berman ne sont que quelques noms ayant marqué l’histoire de la
    photographie en Roumanie.








    Un des photographes roumains les plus prolifiques à avoir
    produit des clichées et photographies est Stelian Petrescu. Né à Giurgiu en
    1874 d’une famille aisée, il est décédé le 23 juillet 1947 à Bucarest. Petrescu
    fait des études scientifiques, étant attiré par les sciences dès l’école
    primaire. Il se rend à Bucarest à la Faculté de physique et de chimie pour
    devenir ensuite professeur au lycée Gheorghe Șincai. Quelques années plus tard,
    il part pour l’Allemagne pour faire une deuxième faculté et se spécialiser dans
    la géodésie, avant de rentrer en Roumanie en 1901. Il a recommencé à enseigner
    à l’Ecole supérieure des métiers de Iaşi. En 1909 il est embauché en tant
    qu’ingénieur à la société des chemins de fer, où il travaillera jusqu’à sa
    retraite en 1930. Il n’abandonnera jamais son métier de professeur et
    enseignera les sciences à Bucarest aussi.








    Un des grands événements du début du 20e
    siècle, a été l’exposition jubilaire de 1906 à Bucarest. Elle était censée
    rendre hommage aux 40 ans de règne de Carol Ier de Hohenzollern-Sigmaringen, qui
    a débuté en 1866. Imaginée selon le modèle français et bénéficiant de
    l’attention de toutes les institutions intérieures et de la présence internationale,
    l’exposition a été l’occasion parfaite pour les photographes de gagner en
    visibilité. Y ont participé de grands noms tels Franz Mandy, Adolf Klingsberg, le
    propriétaire du célèbre atelier photographique « Julietta » de
    Bucartest, Alexandru Antoniu, mais aussi des noms moins connus tels que Marco
    Klein, le propriétaire d’un atelier à Brăila, dans le sud-est du pays. Petrescu
    y participe aussi et y décroche même le 1er prix et la médaille d’or.




    L’historienne Adriana Dumitran de la Bibliothèque Nationale
    de Roumanie a étudié la passion de Stelian Petrescu pour la photographie ainsi
    que sa présence à l’exposition jubilaire de 1906 : « Il a commencé son activité photographique assez tôt. Un de ses articles est paru en 1985 dans la
    Revue scientifique, puis il continue à réaliser des photos tout au long de ses
    études universitaires. Sa première grande présence dans le cadre d’une
    exposition a eu lieu en 1906, à l’exposition générale roumaine, à laquelle il a
    représenté la « Maison des écoles ». Sa présence a également été
    signalée par la presse. Il a exposé des photographies de technique militaire,
    des paysages de Roumanie, des portraits, des études d’expression, des animaux.
    Il a exposé plein de photographies, mais nous ne savons toujours pas exactement
    le nombre des photos qu’il a exposées. »








    Peu à peu Stelian
    Petrescu se construit une renommée et devient un artiste apprécié. Il est
    recherché pour des collaborations alors qu’il diversifie ses préoccupations
    liées à ses connaissances photographiques.








    Adriana Dumitran : « Il a commencé à collaborer avec la Commission des monuments
    historiques. Dès 1908, et le lancement du Bulletin de la Commission des
    monuments historiques il a publié des photos à plusieurs reprises, au moins
    jusqu’à la première guerre mondiale. Il a collaboré avec l’architecte Nicolae
    Ghica-Budești et a signé l’illustration de plusieurs volumes. En 1909 il a
    illustré un volume d’objets de culte du monastère Probota, ainsi que d’autres
    ouvrages visant les monastères de Neamţ et de Secu. Une de ses contributions
    les plus intéressantes date de 1910 lorsqu’il a photographié les toiles du
    peintre Nicolae Grigorescu pour illustrer une monographie que l’écrivain
    Alexandru Vlahuta avait dédié au peintre. »





    Stelian Petrescu est pourtant resté un scientifique, ce
    qui s’observe dans sa nouvelle orientation photographique. Adriana Dumitran
    revient avec des détails : « Sa
    passion pour les chemins de fer a été combinée à la photographie. En 1913 il
    sort un guide des Chemin de fer, une sorte de guide visuel. A l’époque, la
    Roumanie comptait 3 500 kilomètres de chemin de fer qui traversaient tout le
    pays. Il a parcouru toutes ces distances, réalisé des clichés, illustré son
    guide et chaque point important du réseau de voie ferrée a été illustré avec
    ses objectifs historiques et culturels. Ce guide compte plus de 350
    photographies. »









    Stelian Petrescu a
    continué à réaliser des photographies à l’occasion des événements publics. Le
    16 octobre 1922, il a immortalisé le passage sous l’arc de Triomphe de Bucarest
    du couple royal Ferdinand et Marie accompagnés de leur cortège. Après 1930 et après sa
    retraite, il a réalisé des photos publiées ensuite dans des revues techniques.
    Il passe à un autre style, le modernisme, avec des intérieurs de halles de
    construction de chemins de fer, des segments de moteurs, des roulements et
    d’autres pièces utilisées dans le domaine ferroviaire. Il photographie les Usines
    Malaxa et sort un album illustrant les véhicules ferroviaires qui y étaient
    produites. Il est considéré comme l’un des photographes « de niche »,
    auteur de photographies d’une grande valeur documentaire pour l’histoire de
    l’industrie roumaine.

  • Le Palais « Universul » de Bucarest

    Le Palais « Universul » de Bucarest

    Fondé par l’Italien
    Luigi Cazzavillan et devenu, avec le temps, une référence de la presse écrite
    roumaine jusqu’à sa suppression par le régime communiste au début des années
    1950, le journal « Universul » avait sorti son premier numéro le 20
    août 1884. La rédaction, dont les bureaux se trouvaient à l’intérieur du bâtiment
    également appelé « Palatul/Le Palais Universul »,
    au centre-ville de Bucarest, a multiplié les suppléments, finissant par créer
    un véritable empire de presse.

    Luigi Cazzavillan, ancien volontaire garibaldien
    établi dans la capitale roumaine, où il a enseigné l’italien, tout en étant le
    représentant du fabricant de vélos Bianchi, est salué de nos jours pour ses
    contributions essentielles au développement de la presse populaire roumaine à
    travers des publications qui rendaient accessibles à tout un chacun des
    informations culturelles et scientifiques. Cazzavillan est malheureusement
    décédé à seulement 52 ans, au début de l’année 1904. Durant la première guerre
    mondiale, le journal « Universul » cesse de paraître, mais après le
    retour de la paix, le quotidien est repris par des patrons successifs, dont le
    journaliste et homme politique de centre-droit Stelian Popescu fut le plus
    connu. Celui-ci s’est trouvé à la tête de la rédaction jusqu’en 1943, couvrant
    ainsi, entièrement ou presque, la période de l’entre-deux-guerres et marquant
    de son empreinte, notamment de ses options politiques, le travail des
    journalistes de la rédaction. Malgré l’abandon de sa neutralité politique, « Universul »
    a continué d’être le quotidien le plus vendu, ayant même réussi à survivre sous
    le régime communiste jusqu’en 1953.

    Le Palais Universul, siège de la rédaction
    à l’entre-deux-guerres, date lui-aussi de l’époque où Stelian Popescu dirigeait
    le journal. Imaginé par le grand architecte roumain Paul Smărăndescu, ce
    bâtiment imposant est un mélange de deux styles : le néo-roumain,
    caractéristique de l’architecture d’après la Grande Union de 1918, et le
    moderniste. L’historienne de l’art Oana Marinache parle de Paul Smărăndescu, un
    architecte prolifique né le 26 juin 1881, qui avait des racines profondes dans
    une des zones historiques de Bucarest, restée quasi inchangée jusqu’à nos jours: Il est né dans une famille aisée, dans le faubourg Mântuleasa. Par ses
    deux parents, il était le descendant de la grande famille de commerçants Solacolu,
    originaire du sud du Danube, de l’Empire ottoman à l’époque. Le jeune Paul
    Smărăndescu et ses petites sœurs naissent donc dans une famille de la
    bourgeoisie montante. À la fin du XIXe siècle, il est élève à l’école des
    garçons Mântuleasa, près de la maison familiale. Il continue ses études
    générales au lycée « Matei Basarab » et, après l’examen de
    Baccalauréat, il passe le concours d’entrée à la Faculté d’architecture déjà
    créée à Bucarest. Plus tard, grâce aussi au soutien de sa famille, Paul
    Smărăndescu se rend à Paris pour visiter l’Exposition universelle de 1900, où
    il côtoie l’élite de l’architecture mondiale. Cela amorce un changement de
    parcours, car il décide de suivre les cours de l’École d’architecture de la
    capitale française. Il obtient son diplôme de fin d’études en 1906 et en 1907
    il travaille déjà à Bucarest.


    De retour en
    Roumanie, Paul Smărăndescu devient peu à peu un représentant du style
    néo-roumain, auquel il ajoute des éléments modernistes. Oana Marinache raconte: Son activité suit deux directions, deux parcours professionnels. Le
    premier est à son compte, par le biais de son propre bureau d’architecte. En
    parallèle, il occupe un poste dans l’administration publique. Durant les
    premières années, il est architecte en chef au ministère des Cultes et de
    l’Enseignement public, ensuite il rejoint le service technique du ministère de
    l’Intérieur, d’où il partira à la retraite à l’approche de la deuxième guerre
    mondiale. Vers la fin de sa carrière, Paul Smărăndescu commence à travailler
    sur le projet du Palais du ministère de l’Intérieur, un bâtiment devenu par la
    suite l’ancien siège du Comité central du Parti communiste roumain et du Sénat
    de la Roumanie postcommuniste. Puisque c’était sa dernière année active avant
    la retraite et puisque des changements politiques se faisaient jour à la fin du
    règne de Carol II, ce bâtiment bucarestois très connu a été réalisé par un
    autre architecte, en fait par son collègue du ministère, Emil Nădejde, qui
    prend le relai. Sa capacité à traverser tous les styles, depuis l’éclectique
    français au néo-roumain, dont il devient un représentant de marque, est
    impressionnante. Dans les années 1930, il s’adapte aux demandes reçues et à
    l’air du temps. Autrement dit, il crée des immeubles modernistes, avec une
    décoration simplifiée, selon la mode de
    l’époque. C’est le cas, par exemple, des édifices modernistes, à plusieurs
    étages, qui longent le Boulevard Magheru.



    Le Palais Universul,
    inauguré en 1930, a lui-même sept étages. Érigé non loin de l’Université
    bucarestoise et de Calea Victoriei (l’avenue de la Victoire), près des sièges d’autres
    publications importantes des ces temps-là, le bâtiment abritait, en plus de la rédaction du
    journal, l’imprimerie, les bureaux de la direction et le
    département financier. Nationalisé en 1948, l’édifice ne change pas de
    destination et continue d’accueillir des rédactions de presse. Entre 2015 et 2016,
    il a subi de gros travaux de restauration, qui ont globalement préservé la
    forme imaginée par Paul Smărăndescu. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Livres anciens aux Archives nationales de Roumanie

    Livres anciens aux Archives nationales de Roumanie

    Objets que
    le temps a rendu fragiles, mais aussi objets d’art grâce au magnifique travail
    de ceux qui les ont décorés, les livres anciens fascinent tout un chacun. Traces
    du passage du temps sur le papier, langue, souvent morte, des textes, écritures
    particulières, ce sont autant de difficultés que le regard actuel en quête de
    lecture doit affronter. Mais les barrières attirent, provoquent et éveillent la
    curiosité envers ces objets du passé, vénérés par ceux à la recherche du savoir.

    Les Archives nationales de Roumanie et
    le Musée de la littérature roumaine ont organisé en partenariat une exposition
    de livres anciens du patrimoine des Archives. Parmi les cinquante-deux volumes
    d’une grande valeur, certains proviennent de grands centres d’imprimerie
    d’Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas et Suisse et datent des XV-XVIIe
    siècles, tandis que d’autres ont été imprimés dans les Principautés roumaines
    aux XVII-XIXe siècles. Ce sont notamment des livres religieux, des atlas
    géographiques, des livres d’histoires, écrits en latin, grec, allemand,
    français, italien. Les noms des auteurs sont tout aussi spectaculaires : Térence,
    Ammien Marcellin, Lucien de Samosate, Theodore Spandounes, Erasme de Rotterdam,
    Nicolaus Olahus. Parmi les auteurs, on retrouve aussi le nom de Dimitrie
    Cantemir, le prince érudit et humaniste de Moldavie du début du XVIIIe siècle,
    et des éditions en anglais, allemand et roumain en alphabet cyrillique de son
    « Histoire de l’Empire ottoman ». D’autres ouvrages publiés dans
    l’espace roumain et présentés dans le cadre de l’exposition sont un livre de
    minéralogie paru à Cluj en 1767, la « Bible » de Șerban Cantacuzino,
    le « Livre roumain d’enseignement » de Varlaam et le « Psautier slavo-roumain » de
    Dosoftei, publiés en Valachie et Moldavie.

    L’archiviste Șerban Marin,
    médiéviste et commissaire de l’exposition explique qu’il n’y a pas de différence
    entre les livres étrangers et roumains: « Il s’agit de livres
    anciens, aussi bien roumains qu’étrangers, bien que cette distinction ne soit
    pas la meilleure. Il nous est impossible d’établir, surtout à une époque de la
    mondialisation, où finit le livre étranger et où commence le roumain. Nous
    avons choisi des livres des plus anciens, dont quatre incunables stricto sensu,
    c’est-à-dire publiés avant 1500, des ouvrages d’une valeur inestimable. »


    Șerban Marin a raconté l’histoire pas
    vraiment réjouissante de l’entrée de ces magnifiques objets au patrimoine des
    Archives nationales: « Il y a eu, d’une part, des dons faits
    par des personnalités telles Bogdan Petriceicu Hașdeu, directeur des Archives
    durant une longue période de temps. Concernant les livres entrés dans nos
    collections plus récemment, en fait sous le régime communiste, je vais vous
    révéler, pour ainsi dire, une réalité peu connue. Ils ont pratiquement été
    volés, leurs propriétaires ayant pourri dans les geôles de Gherla, d’Aiud et
    autres. L’État roumain a pratiquement volé les biens privés de gens qui aimaient les
    livres. Qui plus est, certains de ces livres manquent de page de titre et de
    page de garde. Pourquoi ? Eh bien, j’ose soupçonner la raison: sur la page de
    titre il y avait l’ex-libris de l’ancien propriétaire, homme politique ou
    entrepreneur industriel. Nos braves agents de la police politique communiste
    ont donc combattu non seulement l’individu, mais aussi l’innocent livre
    appartenant à la personne en question. Ils ont déchiré la page de titre pour
    qu’il ne reste plus de trace de l’ex-libris. C’est mon opinion personnelle,
    mais elle peut être prise en compte. »




    Șerban Marin a aussi parlé plus en
    détail des quatre incunables:
    « Il s’agit premièrement de Gérard
    de Vliederhoven, auteur du XIVe siècle, dont l’ouvrage religieux « Quattuor
    nouissima » a été publié en 1492. Il y a ensuite l’édition de 1497, en fait
    la deuxième édition du volume « Liber Chronicarum » d’Herman Schedel,
    une encyclopédie qui pourrait être aussi lu comme un guide touristique très
    intéressant. Pour le voyageur du XVe siècle, le livre de Schedel était
    l’équivalent de notre guide Michelin. Vient ensuite le livre de Pomponio Leto consacré
    à la vie de Marc-Antoine Sabelic. Pomponio Leto était originaire de la région
    du Latium et il a aussi écrit une histoire de Venise. Enfin, nous exposons une
    édition tardive de « Gesta Romanorum », célèbre ouvrage du début du
    millénaire passé, qui raconte des exploits des Romains et qui a été imprimé en 1497. »



    La spectaculaire exposition de livres
    anciens du patrimoine des Archives nationales de Roumanie, accueillie par le
    Musée de la littérature roumaine, invite à des voyages imaginaires à travers le
    temps. Peu importe l’âge d’un livre, il continue d’être actuel tant que les
    gens le regardent ou le lisent. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Architectes et entrepreneurs en construction de Galaţi à l’entre-deux-guerres

    Architectes et entrepreneurs en construction de Galaţi à l’entre-deux-guerres

    La ville de Galaţi, dont la première mention
    officielle remonte à 1445, a toujours été un port danubien important. Mais la
    période la plus importante et la plus riche de son histoire fut comprise entre 1837
    et 1938, lorsqu’elle devint port franc (de 1837 à 1883) et accueillit ensuite
    la Commission européenne du Danube jusqu’en 1938. Durant ces cent ans, la ville
    se développa à un rythme effréné, des banques renommées, des agences navales,
    des compagnies internationales et des consulats s’y installant les uns après
    les autres. Cet essor s’est aussi traduit par l’existence d’une population de
    classe moyenne, dont le raffinement et la richesse sont encore visibles dans
    des bâtiments érigés par des architectes célèbres, roumains et étrangers. Car Galați
    a toujours été une ville multiculturelle. Malheureusement, les guerres et le
    régime communiste ont changé son visage, mais les archives gardent les noms des
    architectes et les plans des constructions qu’ils ont imaginées. Ainsi, le nom
    de Francisc Viecelli, architecte local d’origine italienne, a-t-il refait
    surface.







    C’est l’historienne de l’art Daniela Langusi qui a
    redécouvert cet auteur de plusieurs bâtiments emblématiques de la richesse et
    de l’intense activité économique de Galați à l’entre-deux-guerres : « Je ne crois pas qu’on puisse l’appeler architecte. En 1932, il avait
    fait une demande pour obtenir une carte professionnelle d’architecte, faisant
    référence à la nouvelle loi d’organisation et de fonctionnement du Corps des
    architectes, mais il ne l’a pas obtenue. La mairie de Galați lui a pourtant
    délivré un certificat sur lequel apparait son nom complet: Francesco Vittorio
    G. Viecelli. Un nom italien, car il était d’origine italienne, mais, en fait,
    il est né à Filești, dans le département de Covurlui, l’actuel département de Galați.
    Il est né en 1891 et il a obtenu la nationalité roumaine en 1933. D’après ces
    documents, nous pouvons déduire qu’il a commencé à travailler en 1919, donc
    vers l’âge de 28 ans. (…) Il obtient donc la nationalité roumaine en 1933 et en
    1935 il fait une nouvelle demande d’attestation de sa qualité d’architecte
    constructeur. Il est à nouveau refusé. On ne lui reconnait que la qualité de
    constructeur dessinateur d’architecture autorisé, ce qui veut dire, à mon avis,
    qu’il n’était pas un architecte en bonne et due forme ».






    Malheureusement, la plupart des édifices dessinés
    par Viecelli n’existent plus aujourd’hui, tout comme la plus grande partie du
    centre historique de Galați. Les recherches dénichent pourtant, dans les
    archives, des plans et des dessins qui permettent de retrouver le visage de
    bâtiments disparus.






    Daniela Langusi a récupéré ainsi une liste des
    ouvrages de Francisc Viecelli : « Nous avons une liste de neuf particuliers et
    une fabrique, dénommée « Talpa/La semelle ». Une fabrique de
    chaussures, qui n’existe plus, mais qui fabriquait des chaussures militaires,
    pour l’armée. Dans les archives de la ville, j’ai trouvé la demande de permis
    de construire de 1925. Dans le dossier, nous avons les plans signés par Viecelli.
    (…) Les plans d’architecture ont été finalisés sur le permis de construire. Ce
    qui est intéressant c’est que la fabrique demande ce permis, affirmant que l’exécution
    des travaux sera dirigée par un ingénieur. (…) La fabrique se trouvait à la
    périphérie de la ville, dans une rue Șanțului, qui est l’actuel boulevard George
    Coșbuc. (…) C’est une architecture
    plutôt simple, mais je voudrais attirer l’attention sur les fenêtres dont
    l’encadrement est rectangulaire. (…) Il utilise cet effet de fenêtre à la
    française, constituée de battants. (…) C’est un détail de style que nous
    retrouvons aussi dans d’autres ouvrages de Viecelli. (…) En 1925, la fabrique
    « Talpa » fait une demande de permis de construire un bâtiment de 350
    mètres carrés, avec rez-de-chaussée et étage, à destination de logements,
    bureaux et ateliers ».









    Les mêmes recherches dans les archives aident à
    reconstituer le visage passé du centre de la ville de Galați, une zone à
    proximité de laquelle se trouvaient de nombreux édifices conçus par Viecelli.







    Daniela Langusi nous fournit des détails : « Là se trouvait une place ronde, la place Royale, sur laquelle
    débouchaient six rues très importantes, dont la rue Domnească, (…) et une
    autre, qui est aujourd’hui encore la deuxième plus importante artère de la
    ville sur la direction est-ouest(…). Cette zone centrale a également subi les
    bombardements de la deuxième guerre mondiale et, en plus, après le 23 août 1944,
    l’armée allemande, qui y avait un QG très important, a jugé utile de faire
    sauter des édifices de ce périmètre. À la fin de la guerre, tout le centre
    était pratiquement rasé. Les autorités de la ville d’après 1945 ont considéré
    bon de reconstruire cette partie de la ville avec des bâtiments et des
    immeubles d’un tout autre type, ce qui a entièrement changé les lieux, qui
    n’ont plus aucun rapport avec la ville d’autrefois ».







    Les barres d’immeubles à plusieurs étages
    communistes ont remplacé les raffinées villas privées du passé, et l’ancienne
    image de la ville n’a pas survécu dans la mémoire collective de ses habitants.
    Et pourtant, une des maisons dessinée par Viecelli vers la fin des années 1920
    a survécu à la débâcle: c’est la maison de Cristache Teodoru, située en face du
    Palais de Justice, construit en style néo-roumain, et qui abrite l’Université
    du Bas Danube.






    Daniela Langusi nous présente le seul immeuble
    encore debout de ceux imaginés par Francisc Viecelli : « Que
    reconnaissons-nous là ? Nous reconnaissons le style simple, le traitement
    des fenêtres avec les six battants disposés de façon asymétrique. Mais ici,
    l’encadrement n’est plus rectangulaire, il est en demi-cercle. (…) Je ne sais
    pas si c’est une demande du propriétaire ou bien si elle est la seule maison
    dont Viecelli a choisi de traiter les fenêtres ainsi. Nous remarquons aussi
    cette ceinture en bas-relief avec des motifs floraux végétaux. La maison a été
    rénovée. (…) Le rez-de-chaussée est très haut, avec une ceinture de type socle
    pour maison rehaussée. (…) Son propriétaire, l’avocat Cristache Teodoru, a
    aussi occupé les fonctions de maire de Galaţi entre 1928 et 1931 et puis entre
    1932 et 1933 ».







    Les informations plus détaillées sur le constructeur
    roumain d’origine italienne Francisc Viecelli, manquent pour l’instant à
    l’appel. D’autres recherches devront mettre en lumière aussi bien son activité
    que le passé de Galaţi, la ville-port sur le Danube. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Le photographe Adolphe A. Chevallier

    Le photographe Adolphe A. Chevallier

    La
    photographie se répand rapidement dans l’espace roumain au cours de la seconde
    moitié du XIXe siècle, grâce à des étrangers, mais aussi à des habitants des
    lieux, qui prennent en photo des paysages, des gens, des localités et des
    situations quotidiennes. Des noms, tels celui de Carol Popp de Szathmary, sont
    liés à la photographie de guerre, Popp de Szathmary ayant participé à la guerre
    de Crimée de 1853-1856. Franz Duschek est l’auteur de quelques-unes des plus
    anciennes photos de Bucarest. Franz Mandy a documenté en photos la Guerre
    d’indépendance de la Roumanie de 1877-1878, Ioan Spirescu a fait connaître la
    photographie couleur, Iosif Berman a été le père du photojournalisme roumain,
    apparu au début du XXe siècle. Sur cette longue liste de noms, apparait aussi
    celui d’Adolphe A. Chevallier, photographe d’origine suisse et roumaine de la
    ville de Piatra Neamț (nord-est de la Roumanie).


    Fils d’un père suisse et d’une mère
    roumaine, Adolphe A. Chevallier naquit en 1881, dans le nord de la province de
    Moldavie. Enfant, il décida de devenir artiste visuel, ce qui le poussa plus
    tard à étudier l’art de la photographie en Suisse, à Lausanne, où son père
    l’avait envoyé. Après ses études, il obtint le brevet de photographe de la Cour
    royale de Roumanie et il ouvrit son propre atelier de photographie à Piatra
    Neamț. Certaines de ses photos se transformaient en cartes postales illustrées.
    Le professeur Sergiu Găbureac, qui signe, avec Ilie Gînga, le volume « Chevallier,
    le chroniqueur-photographe de la contrée de Neamţ », raconte le soutien reçu
    par Chevallier dans sa profession : « Un
    ingénieur forestier n’avait pas de difficultés matérielles à cette époque-là,
    d’autant plus qu’Adolphe Chevallier-père avait été appelé en Roumanie par le
    roi Carol I, pour s’occuper du domaine forestier de Moldavie. Que distingue
    Chevallier de tous les autres nombreux photographes de son temps? Premièrement,
    tous les ces photographes avaient pour but de gagner leur pain quotidien.
    Chevallier avait eu, lui-aussi, ce problème, mais il avait eu cette idée formidable
    de faire des photos d’intérêt public, devenues à la longue un vrai trésor
    ethnographique pour les chercheurs et très apprécié également à l’époque. Pas
    mal de ses photos se sont transformées en messagers de la poste. »


    Quels étaient les sujets des photos
    réalisées par Chevallier ? Sergiu Găbureac répond à cette question dans le
    livre structuré en huit chapitres : « Dans
    « Pe cărări de munte/Sur des sentiers de montagne », il décrit le
    mont Ceahlăul, le massif de Rodna, la vallée de la Bistrița. Le chapitre « Vetre
    de lumină/Foyers de lumière » est consacré à la lumière spirituelle, aux
    églises et monastères de Moldavie, jusqu’à Cernăuți/Tchernovtsy, où il reçoit, en
    1938, une commande du Patriarcat orthodoxe roumain de réaliser une série de
    photographies. Le chapitre « Domeniile Coroanei Broșteni și Bicaz/Les
    domaines de la Couronne de Broșteni et Bicaz » contient quasi entièrement
    des photos uniques de ces zones. Le quatrième chapitre, « Familia regală
    la Bicaz/La Famille royale à Bicaz », est lui-aussi sans pareil, puisque
    l’auteur fut le seul photographe à avoir été autorisé à prendre des photos de
    la famille royale retirée à Bicaz durant le premier embrasement mondial. Le
    cinquième chapitre est très intéressant puisqu’il documente la quasi-totalité
    des occupations quotidiennes des habitants de la vallée de la Bistrița. Le
    sixième chapitre présente pleinement la beauté du costume traditionnel de
    Moldavie et d’autres zones du pays. À travers le septième chapitre,
    Chevallier nous emmène à Piatra Neamț et dans d’autres lieux, grâce à des
    images-document de nombreux édifices, malheureusement abattus durant le régime
    communiste. Enfin, le huitième chapitre est consacré au premier jamboree des
    scouts de Roumanie, qui a eu lieu à Piatra Neamț. »


    En 1914, le ciel s’assombrissait
    au-dessus de l’Europe, annonçant le début de la première conflagration mondiale.
    La Roumanie est entrée elle-aussi en guerre en 1916 et Adolphe A. Chevallier s’est
    engagé comme soldat volontaire. Il a rempli son devoir dans le cadre de
    l’hôpital militaire de Piatra Neamț, sans pour autant abandonner la photographie,
    raconte Sergiu Găbureac : « Chevallier
    s’est montré plus patriote que beaucoup de patriotes de l’époque, notamment de
    la scène politique. Des fois, dans ses lettres, il s’indigne de la manière dont
    le problème roumain était traité. Il a constamment affirmé son origine
    roumaine, qu’il n’a jamais reniée, ni même sur son lit de mort. »


    Adolphe A. Chevallier mène une vie professionnelle
    et personnelle prospère, dans la Grande Roumanie de l’entre-deux-guerres. Il se marie en
    1925 et aura deux filles de ce mariage. Mais la deuxième guerre mondiale lui
    changera la vie. En 1945, après la fin du conflit, il se rend à Bucarest et
    constate que le monde a changé, raconte Sergiu Găbureac : « Il arrive à Bucarest et se met en
    colère lorsqu’il apprend que sa profession a été incluse de force dans une
    coopérative d’artisanat. De telles coopératives, d’inspiration soviétique, se
    répandaient dans tous les domaines d’activité. Chevallier, qui est un esprit
    libre, ne peut l’accepter et commence à avoir des ennuis avec les autorités.
    Constatant que sa place n’est plus en Roumanie, Adolphe A. Chevallier se retire
    chez ses filles, à Lausanne, en Suisse. »


    Adolphe A. Chevallier s’éteint à l’âge
    de 81 ans, le 23 avril 1963, à Baden, au bout de treize ans d’exil suisse,
    laissant derrière lui une vaste œuvre photographique, très appréciée des
    collectionneurs. (Trad. Ileana Ţăroi)



  • Les maisons de la culture – des centres d’éducation et de propagande ruraux

    Les maisons de la culture – des centres d’éducation et de propagande ruraux

    L’imaginaire
    collectif roumain associe les maisons de la culture rurales à la propagande
    communiste et, peut-être, à la boîte de nuit officieuse du village, improvisée
    de temps à autre, à la limite de la loi. Leur histoire remonte, pourtant, à une
    époque plus lointaine, plaçant ces établissements dans une démarche plus ample,
    de propagande, mais aussi d’éducation au sens large du mot. Les maisons de la
    culture rurales marqueront bientôt cent ans d’existence depuis leur création en
    1923, sous l’égide des Fondations royales, une importante institution
    culturelle publique.

    L’historien Răzvan Andrei Voinea explique le but de la
    mise en place de ces établissements à l’entre-deux-guerres: C’était toujours un rôle de propagande. Le discours
    nationaliste-monarchiste est très intéressant à analyser, surtout sa version
    d’après la prise du pouvoir par le roi Carol II et la période de la dictature
    royale débutée en 1938. La propagande de l’époque avait pour but d’éveiller la
    conscience nationale, tout en étant assaisonnée de nombreuses mesures qui
    mettaient en avant l’importance de la religion et qui redoraient l’image de la
    monarchie dans l’imaginaire populaire, chose visible notamment après 1934. Avant
    cette date, on comptait environ 100 à 150 maisons de la culture ouvertes dans
    les villages, mais, après l’arrivée du sociologue Dimitrie Gusti à la tête des
    Fondations royales, leur nombre explose à près de 2 000 établissements
    créés entre 1934 et 1938. Un nombre immense, qui fascine, effectivement !
    C’est aussi à ce moment-là que Gusti a proposé de nombreuses mesures pour
    améliorer la qualité de vie dans les campagnes roumaines. Ce fut une action à
    plusieurs dimensions : la première a été économique, introduite par le
    biais d’un tas de programmes qui apprenaient aux paysans comment agrandir leurs
    biens et avoirs ; et puis il y a eu une deuxième direction culturelle et
    une troisième sanitaire, très importante, que ces réformateurs essayaient de
    mettre en œuvre.


    Ces maisons de la culture ne fonctionnaient
    pas dans des bâtiments dédiés et ressemblaient plutôt à des associations de villageois.
    L’historien Răzvan Andrei Voinea énumère les activités qui y étaient
    organisées: L’on a essayé et partiellement réussi à
    ériger diverses constructions : étables pour les animaux, fontaines et
    monuments publics, lampadaires d’éclairage public, ou encore bains publics. (…)
    L’on creusait des fossés, l’on soignait des gens malades. Du point de vue de la
    santé, la propreté et les bains publics bénéficiaient de beaucoup
    d’attention. (…) Durant la Deuxième guerre mondiale, l’on collectait de
    l’argent et des matériaux pour les soldats engagés sur le front. (…) La
    bibliothèque a joué un rôle important. Chaque maison de la culture avait sa
    propre bibliothèque. Il faut rappeler qu’à l’époque, l’image de ces
    établissements ne ressemblait pas à celle qui nous est restée des constructions
    communistes. À l’entre-deux-guerres, les maisons de la culture fonctionnaient
    d’habitude à l’intérieur de l’école ou de la mairie du village. C’est la raison
    pour laquelle la plupart d’entre elles étaient entièrement liées à ces
    établissements ou bien leur direction était assurée par le prêtre ou par le
    directeur de l’école, les principaux animateurs de la vie culturelle locale.


    Ce premier chapitre de l’histoire des
    maisons de la culture s’arrête au moment de l’instauration du régime communiste
    et la suppression des Fondations royales. Dans le milieu rural, l’activité
    culturelle et éducationnelle entrait ainsi dans une nouvelle étape, explique
    Răzvan Andrei Voinea: Premièrement, les maisons de la culture font l’objet d’investissements majeurs. (…)
    Après 1948, un nouveau bâtiment fait son apparition dans chaque village de
    Roumanie, c’est la maison de la culture. Dans un premier temps, elles sont
    nombreuses à occuper des immeubles nationalisés ayant appartenu à des familles
    de boyards. Plus tard, on en a construit de nouveaux sièges, selon des projets
    réalisés dans les instituts d’architecture et d’ingénierie des grandes villes.
    Les activités accueillies par ces nouveaux bâtiments étaient d’une grande
    diversité et reposaient sur le même type de propagande. L’on y organisait des veillées,
    des expositions sur la collectivisation en U.R.S.S. ou dans différentes régions
    de la Roumanie. Une autre direction d’action intéressante a été la propagande à
    travers le film, entamée en 1960. (…) L’on a créé des troupes de théâtre
    campagnardes, avec un répertoire assez riche. Il y en eu des centaines partout
    en Roumanie. (…) D’habitude, ces troupes mettaient en scène des scénarios
    écrits à Bucarest et distribués ensuite dans les différentes maisons de la
    culture. (…) Chaque dimanche matin, à 11
    heures, les gens qui se rendaient à la Maison de la culture assistaient à une
    pièce de théâtre. C’était la même à travers le pays, selon le principe
    d’unification du discours culturel.


    Depuis 1990, les maisons de la culture
    rurales n’ont plus éveillé l’intérêt des décideurs politiques, ni des managers
    culturels des institutions publiques. Aujourd’hui, sur les 7100 établissements
    culturels des campagnes roumaines, seuls 125 organisent des activités plus ou
    moins spécifiques. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • L’émetteur radio de Bod

    L’émetteur radio de Bod

    Radio Roumanie émet sans interruption depuis 1928, ayant été le fournisseur dinformation le plus constant ainsi que le témoin le plus actif des grands événements qui ont tracé lhistoire de la Roumanie au XXe siècle. Le premier émetteur a été tout naturellement construit à Bucarest. Mais, pour couvrir lentièreté du territoire national, il a fallu développer systématiquement le réseau démetteurs, une démarche mise en pratique dans les années 1930. Lantenne-relais installée dans la commune de Bod, dans le département de Braşov, au centre de la Roumanie, a été lune des plus importantes du pays.



    De nos jours, la commune est composée du village de Bod et de la colonie homonyme, situés à 10 km au nord de la ville de Brașov. Elle compte environ 4 000 habitants, dont 84 % dethniques roumains, 8 % dethniques magyars et 1% dAllemands. Le nom de la commune est mentionné pour la première fois dans des documents officiels en 1211, année de linstallation dans la région des Saxons originaires du territoire compris entre le Rhin et la Moselle. En 1241, le village est incendié par les Tatars, lappellation allemande « Brenndorf » se traduisant par « Le village brûlé ». En 1889, une fabrique de sucre est érigée à Bod, où apparait aussi la colonie, soit les logements construits pour les travailleurs. Cest dans la Colonie de Bod que lÉtat roumain a fait installer, entre 1933 et 1934, lémetteur Grandes ondes et la fréquence de 153 KHz, qui est toujours en fonction et il est dailleurs le seul de ce type en Roumanie, à lheure où lon parle. Après le 23 août 1944, lorsque la Roumanie a rejoint la coalition des Nations unies, les armées roumaine et allemande se sont affrontées à Bod.



    Dans les années 1990, le Centre dhistoire orale de la Radiodiffusion roumaine a documenté lhistoire de lémetteur de Bod au travers dinterviews avec des gens ayant participé à sa construction. Parmi eux, lon retrouve le serrurier Gheorghe Crisbășanu : « En 1934, jétais embauché à lémetteur radio de Bod. Jy ai installé lantenne de 20 kW, qui devait fonctionner et maintenir la fréquence pour la future station de 150 kW. Jy ai travaillé avec lingénieur Ştiubei, beau-fils de lécrivain Mihail Sadoveanu, avec Lică Georgescu au poste de directeur et avec lingénieur Schnoll, chef des travaux. La station avait deux panneaux dans lesquels il y avait quatre lampes. Le système de refroidissement se trouvait dans une autre salle où une pompe faisait circuler leau industrielle, refroidissait leau distillée qui refroidissait à son tour le filament des lampes. La station de 150 kW a été installée et mise en fonction après, et celle de 20 kW a été démontée et transférée à Chişinău. »



    Lingénieur Alexandru Lică Georgescu, ancien directeur de lémetteur de Bod, a fait partie de ceux qui ont assisté à linauguration: « Dans la nuit où lémetteur radio devait commencer à fonctionner officiellement, moi je me trouvais à Bucarest, dans une réunion du Conseil dadministration, qui analysait la mise en fonction des antennes-relais. Parmi les participants, il y avait un certain Dicem, un grand scientifique de la société Marconi, qui était venu à Bucarest pour transférer linstallation. Et Dicem qui dit : « Nous la mettons en fonction à condition que M. Lică Georgescu soit là-bas. » Or, là, sur place, se trouvait lingénieur qui surveillait lémetteur depuis un an, pour les essais, pour les émissions et la garantie. On ma donné donc une voiture et je suis parti vers Bod autour de minuit. , linstallation fonctionnait, mais sans diffusait quelque chose. Une fois sur place, jai établi la connexion avec le studio et lancé les émissions officielles. Ce fut une grande satisfaction personnelle. »



    Gheorghe Cristoloveanu, qui a travaillé à Bod, se souvient de léquipe et des relations interhumaines après larrivée des communistes au pouvoir et lintroduction de la censure: « À cette époque-là, lentente était parfaite et je vous dis la vérité. Plus tard, en 1949-50, quand les communistes ont pris le pouvoir, ça a été plus difficile, parce quil a fallu faire très attention à ce que lon disait. Moi, je suis resté à Bod, parce que je navais pas un salaire trop généreux. Quand javais combattu sur le front, javais reçu toutes les décorations possibles, dont la « Croix de fer » et lordre « Mihai Viteazul », et donc javais peur davoir des ennuis. Cest la raison pour laquelle jétais plus en retrait, plus soumis. Nos relations étaient plutôt bonnes, nous avions, par exemple, un club à la Maison des ingénieurs, où on se retrouvait de temps en temps pour jouer du tennis de table, pour échanger. Je ne peux pas dire que cétait une période difficile. Nous étions environ 50-60 employés, nous nous connaissons tous et nous nous entendions bien. Nous savions devant qui il fallait se taire ou se surveiller les propos. »



    Lémetteur radio Grandes ondes de Bod fonctionne depuis 87 ans. Cest un vétéran de lémission en ondes hertziennes, en compétition avec le FM et internet. (Trad. : Ileana Ţăroi)

  • La tournée de Franz Liszt dans les Principautés roumaines

    La tournée de Franz Liszt dans les Principautés roumaines

    En 1846, le pianiste
    et compositeur Franz Liszt, déjà célèbre à l’époque, commença sa dernière
    grande tournée européenne dans le sud-est du Vieux Continent. Ses récitals ont
    été accueillis par le public de villes telles que Vienne, Sibiu, Bucarest,
    Iași, Tchernovtsy, Constantinople, Odessa, la Russie tsariste étant donc le
    dernier acte de la tournée. En décembre 1846, Franz Liszt s’arrêtait à
    Bucarest, où il logea chez le grand boyard Mihai Ghica. Son récital eut lieu en
    janvier 1847, au palais du prince régnant Gheorghe Bibescu. La société que le
    musicien cosmopolite rencontra dans la capitale de la Valachie était
    hospitalière et curieuse, attachée à l’Orient qui dominait à l’époque, mais
    attirée par l’Occident auquel les élites commençaient à
    ouvrir leurs demeures. En fait, l’élite sociale, c’est-à-dire les boyards, (les
    propriétaires de terres agricoles) et la bourgeoisie naissante, s’ouvraient à
    la modernité, notamment à travers les enfants, déjà éduqués à l’occidentale,
    qui étaient de plus en plus vus comme des entités individuelles, pas seulement comme
    des héritiers en miniature de la tradition portée par leurs parents.






    Nicoleta Roman, historienne
    spécialiste du XIXe siècle, explique le changement du goût artistique et de
    l’éducation des enfants dans les principautés de Moldavie et de Valachie au cours
    de la première partie du XIXe siècle :
    « Au XVIIIe siècle, dans les
    tableaux votifs, les enfants étaient représentés avec des vêtements similaires
    à ceux de leurs parents, mais en plus petit, pour ainsi dire. Ce qui fait de
    ces peintures une source d’informations extraordinaire sur l’apparence des
    enfants de l’élite. Et puis, il y avait leur éducation: le plus souvent, ils
    étudiaient à la maison, avec des professeurs d’origine grecque, puisqu’à la fin
    du XVIIIe siècle est l’époque des princes régnants phanariotes. Avec le passage
    au XIXe siècle, les professeurs viennent de France, quelques-uns d’Allemagne et
    parfois même d’Angleterre. Ces professeurs ou précepteurs font pratiquement
    entrer la culture occidentale dans l’espace sud-est européen et les pays
    roumains, les parents essayant de trouver un équilibre entre toutes ces
    influences. Il y a ensuite la bourgeoisie naissante, avec les marchands comme
    moteur, car ils s’efforcent à imiter tout ce qu’ils voient chez les princes et
    les boyards. Ces gens mettent leur argent dans l’éducation ou le semblant d’une
    éducation de leurs enfants. Cet élément fait la différence entre l’enfance dans
    les familles de l’élite et celles des paysans ».








    Le changement du paradigme éducationnel
    s’accompagne d’une transformation des goûts esthétiques. Cela explique le
    succès rencontré à Bucarest et Iaşi par un représentant de la musique
    occidentale tel que Franz Liszt. Dans la capitale de la Moldavie, où il se rend
    en janvier 1847, Liszt a été l’hôte du vistiernic (l’équivalent du ministre des
    finances) Alecu Balș, dans la maison duquel le grand pianiste a même donné un
    récital sur un piano Erard, ramené de Paris pour l’occasion, car de tels
    instruments professionnels étaient plutôt rares dans les pays roumains de
    l’époque. Les articles élogieux sur le grand musicien furent nombreux dans la
    presse du temps, où s’exprimaient les jeunes intellectuels, futurs
    révolutionnaires en 1848 et combattants pour la modernisation du pays. À son
    tour, l’artiste profité de sa tournée pour s’approcher du folklore roumain et
    pour rencontrer des compositeurs locaux, tel celui qui a écrit la musique de Hora Unirii (la Ronde de l’Union), la pièce
    musicale qui allait devenir l’hymne de la première union de la Moldavie et de
    la Valachie en 1859.






    Nicoleta
    Roman raconte : « J’ai beaucoup
    aimé Liszt parce qu’il a parcouru effectivement toute l’Europe du Sud-est et
    qu’il a eu la force de soutenir un programme très chargé. C’est un effort
    admirable pour l’époque dont on parle et pour son âge, car il approchait la
    quarantaine. Cette série de concerts est la dernière pour laquelle il est allé
    puiser cette force au plus profond de soi-même. Pour moi, Franz Liszt est
    l’incarnation parfaite de la rencontre entre l’Ouest et l’Est. Il est le
    produit de la culture occidentale, mais son origine l’aide à comprendre l’Europe
    du Sud-est. En plus, dans ses concerts, il ne bannit pas l’élément local et
    collabore avec le compositeur Alexandru
    Flechtenmacheret avec d’autres personnalités de chez nous ».









    Connu pour être un grand collectionneur
    de créations traditionnelles sud-est européennes, dont il s’est inspiré pour
    certaines de ses compositions, Franz Liszt a écouté, parait-il, quelques
    ménétriers valaques très connus à l’époque, tels Barbu Lăutarul. D’ailleurs,
    conscient de sa gloire et sans être intéressé par l’argent, Liszt avait le don
    d’attirer aussi un public moins aisé, raconte l’historienne Nicoleta Roman : « Nous pourrions dire qu’il se
    comportait comme une vedette. Il savait parfaitement qui il était et de quoi il
    avait besoin pour avoir du succès. C’est justement grâce à son style et à sa
    manière de jouer au piano que Liszt touchait la sensibilité d’un boyard ou du
    sultan, car il s’est aussi produit à Constantinople. Mais il réussissait à
    émouvoir aussi des gens moins fortunés. C’est la raison pour laquelle il était
    à ce point demandé, il savait faire du spectacle en 1846-1847, quand il était
    ici. Il a fait salles combles et il a
    été acclamé partout. Et il faudrait tout de même rappeler qu’il avait joué
    aussi pour des gens qui avaient peu de moyens et qui avaient assisté
    gratuitement aux concerts ou en bénéficiant de places moins chers ».







    Après Iași, Franz
    Liszt fit une escale dans la ville-port danubienne de Galați, avant de
    continuer son chemin vers Constantinople (Istanbul) et Odessa. (Trad. Ileana
    Ţăroi)

  • Le lac Morii (du Moulin)

    Le lac Morii (du Moulin)

    Le quartier de Crângași, sis dans l’ouest de Bucarest, est aussi le
    périmètre à l’intérieur duquel l’on retrouve le plus grand lac artificiel de la
    capitale roumaine, aménagé en 1986. C’est le lac Morii (du Moulin), mais il est
    aussi connu sous le nom de Ciurel et même de Dâmbovița, comme la rivière qui
    traverse la ville du nord-ouest à l’est. L’impressionnante étendue d’eau a fait
    partie du vaste projet d’aménagement de la rivière qui coupe Bucarest en deux.


    L’historien Cezar Buiumaci,
    du musée de la ville de Bucarest, nous raconte l’histoire du lac le plus récent
    et le plus grand de la capitale.:
    « Le lac Morii est une
    composante de l’aménagement de la rivière Dâmbovița. L’idée de le créer
    apparait dès le démarrage des travaux de systématisation de Bucarest, au début
    de la neuvième décennie du XXe siècle. C’était le grand projet de
    transformation radicale de la ville, nourri par Nicolae Ceaușescu. Le leader de
    Bucarest reprenait une idée lancée bien avant cela, celle de la construction
    d’un canal qui relie la capitale au Danube, via les rivières Dâmbovița et
    Argeș. L’analyse du débit de la Dâmbovița a montré que l’ancien lit de la
    rivière ne supporterait pas un transport fluvial. Or, pour augmenter ce débit,
    deux grands lacs de retenue ont été construits : le lac Ciurel, connu
    aussi sous les noms de Morii et Dâmbovița, et le lac Văcărești
    . »

    Cet ample projet, qui
    redessinait la rivière Dâmbovița vers le milieu des années 1980, avait une
    composante politique, mais aussi une autre, d’urbanisme, rappelle Cezar
    Buiumaci. « Le 5 juillet 1985, le Comité
    politique exécutif du Comité central du Parti communiste roumaine se réunit pour
    mettre en exergue la nécessité d’aménager la Dâmbovița, dans le cadre du projet
    du nouveau Centre civique de la capitale. Le projet comprenait un grand lac de
    retenue à l’ouest de la ville, pour stocker un grand volume d’eau propre,
    destiné à alimenter la rivière. Le lac était en même temps un système de
    protection contre les inondations et une zone de loisir. L’aménagement du lit
    de la Dâmbovița avait pour but d’améliorer le climat, de créer des conditions
    pour la rendre navigable et d’effectuer les travaux pour le canal Bucarest – Danube,
    approuvés par le Décret 201 du 12 juillet 1985.
    »


    L’idée de rendre la Dâmbovița
    navigable a finalement été abandonnée, suite à l’avis des experts. L’inauguration
    festive du chantier a lieu le 28 septembre 1985, et la porte du barrage de Ciurel
    se refermait une année plus tard, en août 1986, raconte l’historien Cezar Buiumaci. « Le grand ouvrage du lac de retenue Ciurel fut achevé le 21 août
    1986. C’était le plus grand lac artificiel de Bucarest, un plan d’eau de 240
    hectares et un volume total de 20 millions de mètres cubes, destiné à
    l’alimentation en eau de la ville, du système d’irrigation et des entreprises
    industrielles. Le lac était aussi censé collecter les crues. L’ouvrage incluait
    également l’aménagement de la Dâmbovița en amont du lac, jusqu’à Dragomirești-Deal,
    sur une longueur d’environ 5 km, pour protéger plus de 1100 hectares de terrain
    agricole ainsi que d’autres investissements réalisés à proximité du lit de la
    rivière. Pour évacuer l’eau du lac, un barrage fluvial en béton armé, prévu de
    trois vannes, chacune ayant une ouverture de 6 mètres, a été construit près du
    pont Ciurel. « La mer » du quartier Crângași a entre 5 et 10 mètres
    de profondeur et elle est endiguée par un barrage en argile compacte, provenant
    de l’excavation du réservoir de ce lac
    . »


    La mise en œuvre de cet
    ample projet a également impliqué le démantèlement de plusieurs communautés
    humaines et d’un cimetière de la zone. Des légendes urbaines parlaient de
    restes humains que l’on pouvait apercevoir, des fois, à la surface du lac
    surnommé « de la Mort ». Cezar Buiumaci ajoute : « Dans ce coin de la ville, en plus d’autres objectifs, il y avait
    le cimetière paroissial de l’église Crângași. Les autorités de l’époque ont
    décidé de le fermer et de faire réinhumer les restes humains dans le cimetière
    Giulești-Sârbi. Les exhumations ont commencé au début de l’année 1985. Puisqu’il
    fallait le faire vite, les membres du personnel ne pouvaient pas achever cette
    tâche dans les délais alloués et les fossoyeurs des autres cimetières avaient
    refusé de les aider. Alors, l’on y a fait venir des travailleurs du service de
    propreté de la ville. La construction du lac sur l’emplacement de l’ancien
    cimetière est un sujet de légendes urbaines. »



    Un autre objectif de la
    construction du lac Morii a été celui d’aménager une zone de loisir et de
    sport, raconte l’historien Cezar Buiumaci.: « Construit dans une zone
    très peuplée de la capitale, le lac Dâmbovița devait avoir aussi une composante
    culturelle et sportive. Accessible, depuis les autres quartiers, en métro et
    par le transport de surface, cette zone était dotée de facilitées pour des
    activités sportives terrestres et nautiques: des débarcadères pour la pêche
    sportive et une île d’environ 5 hectares, construite en grande partie par le
    travail dit patriotique, c’est-à-dire non rémunéré, des travailleurs de
    plusieurs entreprises, qui ont effectué plus de 70 000 heures de travail
    jusqu’au 2 septembre 1987. »



    Le lac Morii, sis au nord-ouest
    de Bucarest, est devenu un repère important de la ville. Son évolution durant
    les trois dernières décennies, les événements accueillis et le climat naturel,
    qui y est né, le rendent toujours plus attrayant.

  • Nicolae Steinhardt

    Nicolae Steinhardt

    Nicolae
    Steinhardt a été un des intellectuels roumains du XXe siècle qui se sont violemment
    confrontés à l’histoire. Né dans une famille juive, près de Bucarest, en 1912,
    il s’éteint à l’âge de 77 ans, en mars 1989, neuf mois avant la chute du régime
    communiste. Son père, ingénieur et architecte, avait combattu sur le front de
    la Grande Guerre, où il fut blessé et décoré pour sa bravoure.


    Nicolae
    Steinhardt fait ses débuts littéraires dans la revue du lycée « Spiru
    Haret », de la capitale. Durant les années de faculté, il est un habitué
    du cénacle littéraire « Sburătorul », coordonné par l’influent
    critique littéraire Eugen Lovinescu. En 1936, il devient avocat et obtient le
    titre de docteur en droit constitutionnel à l’Université de Bucarest.


    Nicolae Steinhardt commence à publier
    des chroniques littéraires et des essais sous le pseudonyme « Antistihus ».
    Avant son limogeage de la rédaction de la « Revista Fundațiilor Regale »
    sous la pression de la législation antisémite en vigueur à la fin des années 1930,
    il avait publié trois volumes de réflexions sur la spiritualité judaïque.


    Le nouveau régime, installé le 6 mars
    1945, ne se montrera pas bienveillant envers Steinhardt et ceux qui avaient
    refusé de collaborer. En 1947, il reçoit un double coup: un nouveau limogeage
    par la « Revista Fundațiilor Regale » et la radiation du barreau. En
    1958, deux ans après la révolution anticommuniste de Hongrie, Nicolae
    Steinhardt est arrêté avec le groupe « Noica-Pillat », dénommé ainsi
    d’après le philosophe Constatin Noica et l’écrivain Dinu Pillat. Accusé de
    complot contre l’ordre social, une accusation récurrente contre les opposants
    du pouvoir, il est condamné à 12 ans de prison.


    C’est en prison qu’il se convertit à la
    religion chrétienne orthodoxe, avant d’être libéré en 1964, après avoir purgée six
    années de sa peine. L’expérience carcérale est la source de son livre le plus
    connu, Jurnalul fericirii/Le Journal de
    la Félicité, qui a eu un impact très fort sur la conscience collective
    roumaine au début des années 1990. George Ardelean, éditeur de la
    correspondance de Nicolae Steinhardt, rappelait les deux formes d’enfer
    décrites dans Le Journal de la Félicité,
    ainsi que dans plusieurs lettres: « Il y a l’enfer du détenu
    seul dans une cellule, un homme dans un face-à-face rude avec le temps pur,
    qu’il doit remplir. Rappelons-nous, par exemple, le destin de Lena Constante,
    qui a passé 3 000 jours, c’est-à-dire 8 ans, seule dans un cachot où il n’y
    avait que les quatre murs, un lit, levé durant la journée, et une tinette. Pas
    de téléphone, pas de journaux ni de livres, pas d’horloge non plus, sans
    personne d’autre à ses côtés. Et puis, il y a l’autre enfer, le vacarme d’une
    cellule surpeuplée. Ça me rappelle Le Journal de la Félicité et les paragraphes « Bughi
    Mambo Rag », qui captent le croisement des dialogues à l’intérieur
    exsangue d’une cellule de prison. »



    Après sa sortie de prison, Nicolae Steinhardt publiera cinq
    volumes de critique littéraire et d’essais, quinze autres allant être publiés après
    sa mort. À partir de 1967,
    il commence à chercher un monastère où il puisse entrer dans les ordres et
    c’est en 1980 qu’il devient moine au monastère de Rohia, dans le département de
    Maramureș. « Dans Le Journal de la Félicité, on
    trouve plusieurs épisodes de 1938, quand Steinhardt se trouvait à Interlaken,
    en Suisse, pour participer aux réunions du Groupe d’Oxford, un groupe
    protestant œcuménique. Cela est une borne importante dans le rapprochement de Steinhardt
    avec la religion chrétienne, après l’échec de son intégration à la synagogue. Entre
    1935 et 1937, lui et son ami Emanuel Neuman, « Manole » du Jurnalul
    fericirii, avaient essayé d’intégrer la synagogue et d’assumer complètement
    l’identité judaïque. Leurs tentatives n’ont pas abouti, on ne sait pas
    pourquoi, et les chemins spirituels des deux amis se sont séparés. À Interlaken, Nicolae
    Steinhardt est fasciné par les débats et, un matin, un Irlandais lui dit avoir
    rêvé que Steinhardt allait recevoir le baptême. Cet épisode est aussi raconté
    dans ses lettres. »
    , raconte George Ardelean.


    La correspondance de Nicolae Steinhardt est fascinante, avoue
    l’éditeur George Ardelean: « Nous y avons trouvé plein de défis. Tout
    d’abord, celui de rassembler les quelques 1200 lettres et d’identifier leurs
    destinataires. Nous avons fait des recherches dans des archives personnelles, dans
    celles de diverses institutions, des monastères de Rohia, Cernica et Sâmbăta, du
    Musée national de la littérature roumaine, du Conseil national d’études des
    archives de l’ancienne Securitate. Il y a eu ensuite les lettres publiées après
    1990 dans différents volumes et dans la presse culturelle. L’autre étape
    particulièrement difficile a été celle d’identifier un critère pour y mettre de
    l’ordre. Nous avions trois possibilité : premièrement, un ordre
    chronologique absolu, deuxièmement les destinataires dans un ordre alphabétique
    et, troisièmement, la variante que nous avons choisie, une mise ensemble des
    deux premiers critères – regrouper les lettres en fonction du
    destinataire, dans un ordre chronologique de la correspondance avec celui-ci. »



    Les deux volumes de correspondance de Nicolae Steinhardt viennent
    compléter l’œuvre d’un grand penseur, mais ils sont également des livres
    d’histoire contemporaine de la Roumanie. (Trad. Ileana Ţăroi)



  • Aida Vrioni, la première femme journaliste de Roumanie

    Aida Vrioni, la première femme journaliste de Roumanie

    La modernisation de la Roumanie, débutée dans la
    seconde moitié du XIXe siècle, s’était accélérée jusqu’à l’approche de la
    Grande Guerre, se transformant à l’entre-deux-guerres en une synchronisation
    culturelle avec l’Occident, grâce aussi à une génération d’intellectuels
    exceptionnels. Parmi eux, Aida Vrioni est considérée comme la première
    journaliste professionnelle de Roumanie.

    Maria Mateescu, de son vrai nom, est
    née en octobre 1880, dans la ville de Ploiești, à une soixantaine de km au nord
    de Bucarest. Elle commence à signer des articles dans la revue « Aurora »
    de sa ville natale, revue créée par elle-même et son frère. Entre 1898 et 1904,
    elle publie des articles et des chroniques littéraires dans plusieurs journaux
    et revues de Bucarest, tels que « Dimineața », « Adevărul
    literar și artistic », « Rampa » etc. En 1904, le grand
    journaliste Constantin Mille lui offre un poste permanent dans la rédaction du
    journal « Adevărul », la jeune femme devenant ainsi la première
    journaliste professionnelle de Roumanie. À l’entre-deux-guerres, elle se fait
    aussi remarquer en tant qu’écrivaine, dramaturge et militante dans le cadre des
    organisations féminines fleurissantes à l’époque. Elle a longtemps travaillé pour
    la « Revista scriitoarei », devenue en 1929 « Revista
    scriitoarelor și scriitorilor din România », qu’Aida Vrioni a dirigée de
    1931 jusqu’à l’arrêt de l’activité en 1943. Les textes d’Aida Vrioni viennent
    d’être récupérés et publiés dans des recueils, grâce aux efforts de Monica
    Negru, chercheuse aux Archives nationales de Roumanie: Aida Vrioni a été une des cheffes de file du mouvement
    féministe de l’époque, membre de plusieurs associations féministes de ces
    temps-là. Elle a proposé et organisé les premiers concours littéraires pour les
    débutants, dans le but déclaré de les aider financièrement et de les convaincre
    d’écrire et de publier leurs textes. Je dirais donc que ses démarches
    culturelles ont été vastes et diverses. Quant à ses articles publiés dans la
    Revista Scriitoarei et ailleurs, ils sont tout aussi divers. Elle a signé des
    chroniques, des articles consacrés à des événements ou bien à des localités de
    différentes régions du pays. Elle a par exemple écrit sur Bucarest, Constanţa,
    Sinaia, où elle avait d’ailleurs une maison.



    Aida Vrioni a donc
    mis ensemble journalisme, dramaturgie, prose, littérature de voyage et
    féminisme, son activité frénétique lui ayant valu la reconnaissance
    bien-méritée de l’intelligentsia de l’entre-deux-guerres. Pourtant, ses mérites
    sont entrés dans une zone d’ombre, notamment après la disparition de la « Revista
    scriitoarelor și scriitorilor », affirme Monica Negru: Cette revue a été dirigée par Aida Vrioni, qui a constamment invité ses
    collaborateurs à écrire et à publier du contenu. Elle y a aussi publié ses
    propres écrits, elle a même soutenu financièrement la revue, exhortant
    également ses amis et connaissances à s’y abonner. En 1943, la rédaction a
    fermé ses portes, probablement parce qu’Aida Vrioni n’avait plus réussi à trouver
    l’argent nécessaire. Mais elle a continué à écrire pour d’autres publications de ces temps-là.
    Étrangement, à l’époque, Aida Vrioni était connue et appréciée par ses
    confrères et consœurs. Elle a aussi
    écrit deux romans et un volume d’essais, en plus des articles de presse.
    Ensuite, elle a été complètement oubliée. Ses écrits ont été abandonnés dans
    des archives et se perdent avec le temps qui passe.



    À la fin de la
    Seconde guerre mondiale, bien que malade, Aida Vrioni continue d’être active. Elle
    tient un journal personnel, malgré un spasme cérébral qui la laisse à moitié paralysée
    jusqu’à sa mort, survenue en 1954. Aujourd’hui, l’œuvre d’Aida Vrioni retrouve
    l’attention des lecteurs, à travers les recueils d’articles et les volumes de
    mémoires mis en page par Monica Negru, suite à ses recherches aux Archives
    nationales. (Trad. Ileana Ţăroi)



  • Ștefan Augustin Doinaș

    Ștefan Augustin Doinaș



    Poète, essayiste, traducteur, membre de lAcadémie roumaine et homme politique, Ștefan Augustin Doinaș, dont on vient de marquer le centenaire de sa naissance, est notamment connu pour son poème « Mistrețul cu colți de argint/Le sanglier aux crocs dargent », longtemps étudié en cours de roumain par les élèves de Terminale.



    Ștefan Popa, qui sest choisi le nom de plume Ștefan Augustin Doinaș, est né le 26 avril 1922, dans une famille aisée, dans le département dArad (ouest) ; il sest éteint le 25 mai 2002 à Bucarest, à lâge de 80 ans. Durant ses années de lycée, dans la ville dArad, il se familiarise avec les œuvres décrivains roumains importants des XIXe et XXe siècles, tels que Vasile Alecsandri, Dimitrie Bolintineanu, Mihai Eminescu, Tudor Arghezi, ainsi quavec celles de poètes français, comme Stéphane Mallarmé et Paul Valéry. En 1941, il se rend à Sibiu, pour suivre les cours de médecine de lUniversité de Cluj, qui y avait trouvé refuge après 1940, lorsque le nord de la Transylvanie avait été cédé à la Hongrie. Mais il arrête les études de médecine et se tourne vers la Faculté des Lettres et de Philosophie, dont il obtient le diplôme final en 1948. Ștefan Augustin Doinaș enseigne le roumain entre 1948 et 1955, lorsquil abandonne la carrière enseignante et déménage à Bucarest. En 1956, il rejoint la rédaction de la revue « Teatru ». En 1957, il est condamné à un an de prison, ce qui lui fait perdre son emploi et lui vaut aussi une interdiction de publier, qui dure jusquen 1963. Après la prison, il réussit à se faire embaucher à la revue « Lumea », grâce à lintervention de George Ivașcu, un homme de culture influent de lépoque. En 1969, Ștefan Augustin Doinaș rejoint la rédaction de « Secolul 20 », une des meilleures revues littéraires de Roumanie, à laquelle il restera lié jusquà la fin de sa vie. Entre 1964 et 2000, il a publié treize recueils de poèmes existentialistes, six volumes de critique littéraire et dessais, deux livres de littérature pour enfants, une pièce de théâtre et un volume de prose.



    Le poète et historien de la littérature Ion Pop a rendu hommage à la personnalité de Ștefan Augustin Doinaș, précisant que celui-ci pouvait inventer un langage poétique en sappuyant sur la rigueur des sciences exactes et sur la liberté dun jeu sans contraintes. « À une première vue, la création poétique de Ștefan Augustin Doinaș semble très éloignée du monde du jeu, que de nombreuses voix considèrent comme un espace dédié à des activités libres et dépourvues de responsabilité envers le sérieux existentiel. Doinaș est lui aussi un artisan raffiné du verbe et son image, retenue dès ses débuts par la mémoire du lecteur, a été plutôt celle dun auteur de vers soumis aux rigueurs classiques, strictement contrôlées du point de vue intellectuel. Lui, il est « lhomme au compas », selon le titre dun de ses livres importants. »



    Ștefan Augustin Doinaș a également été un traducteur réputé, à qui lon doit trente volumes de poèmes traduits en roumain. Il a traduit deux chefs-dœuvre de la littérature universelle, « Faust » de Johann Wolfgang Goethe et « Ainsi parla Zarathustra » de Friedrich Nietzsche, ses traductions étant considérées comme des monuments de recréation des deux œuvres en roumain. Par ailleurs, les livres de Ștefan Augustin Doinaș ont été traduits en une dizaine de langues européennes, dont le français, langlais, lallemand, litalien et lespagnol. LAcadémie roumaine lui a ouvert ses portes en 1992.



    Ștefan Augustin Doinaș a fait partie dune génération de Roumains traumatisés par le régime communiste. Il sy est confronté tout de suite après linstallation de ce régime en Roumanie, à la fin des années 1940, lorsque ses parents ont été qualifiés de « chiaburi », équivalent des « Koulaks » en URSS, cest-à-dire des « exploiteurs des paysans », selon lidéologie marxiste-léniniste. Lannée 1957 apporte un grand changement dans la vie de Ștefan Augustin Doinaș. Après la mort de Staline en 1953, Doinaș, comme tous les Roumains dailleurs, sattendait à de grands changements qui ne se sont pas produits. Après la liquidation de la révolution anticommuniste de Hongrie, en 1956, Ștefan Augustin Doinaș est arrêté le 3 février 1957 et il est condamné à un an de prison pour « non-dénonciation ». Il avait reçu la visite de lécrivain Marcel Petrișor, qui avait parlé de la révolution anticommuniste hongroise et dune éventuelle solidarisation des Roumains avec les changements mis en place de lautre côté de la frontière. Arrêté et torturé, Petrișor avait avoué aux enquêteurs les noms de ses interlocuteurs. Après la chute du régime communiste en 1989, lopinion publique roumaine allait apprendre que le prisonnier politique Ștefan Augustin Doinaș, lui-même victime dune dénonciation, avait à son tour dénoncé deux autres écrivains, Ion Caraion et Ion Omescu, arrêtés en 1957 également en lien avec la révolution de Hongrie ; Doinaș avait été le témoin à charge. Mis en liberté une année plus tard, Ștefan Augustin Doinaș épouse Irinel Liciu, danseuse à lOpéra de Bucarest, le 8 avril 1958. Leur mariage allait durer 44 ans. En 2002, quelques heures après le décès du poète, Irinel Liciu avale le contenu dune boîte de somnifères et se donne la mort.



    Ștefan Augustin Doinaș sest aussi impliqué dans la vie politique. Après 1989, il a signé des dizaines darticles de presse anticommunistes virulents et il a adhéré au Parti de lAlliance civique. Il a rempli un mandat de sénateur de 1993 à 1996. (Trad. Ileana Ţăroi)




  • La Villa Bendic de Târgovişte

    La Villa Bendic de Târgovişte

    Ancienne capitale médiévale de la principauté de
    Valachie, la ville de Târgoviște, sise à 80 km au nord-ouest de Bucarest, est connue pour la célèbre Tour
    de Chindia, à l’intérieur de l’ancienne Cour princière. La ville abrite aussi
    des trésors d’architecture plus ou moins modernes, mais certainement moins
    connus du grand public. C’est le cas de la Villa Bendic, dont la valeur est
    liée à son apparence ainsi qu’à son architecte, membre de la communauté
    italienne de la ville. Ionuț Catangiu, représentant de l’association
    Târgoviștea Restaurată (Târgovişte restaurée), raconte l’histoire de l’édifice: L’on connait des détails intéressants sur le propriétaire de la villa,
    Mihai Bendic, un entrepreneur industriel originaire de Croatie, qui a vécu au
    début du siècle dernier. Il s’était spécialisé dans le domaine minier sur la
    côte dalmate et, une fois à Târgoviște, il lança une très belle affaire:
    l’exploitation de la mine de lignite d’une commune proche de la ville. À
    Târgoviște, Mihai Bendic avait eu besoin de se faire construire une maison et il
    choisit donc Romano de Simon pour lui en dessiner une, la belle demeure que
    nous connaissons tous. L’immeuble imposant, construit dans le style éclectique
    néo-roumain, est situé dans un quartier historique typique, sur Calea Câmpulung,
    vieille rue commerciale de notre ville. Il fut érigé en 1925-1926, mais le
    propriétaire n’eut malheureusement pas la chance d’en profiter trop longtemps,
    car les autorités communistes installées après la fin de la deuxième guerre
    mondiale décidèrent de le confisquer en 1948. La villa devint par la suite la
    Maison des pionniers, puis le Club des enfants. De nos jours, elle est connue
    comme le Palais des enfants et accueille diverses activités destinées aux petits.


    Les détails ornementaux et la
    position géographique rehaussent la valeur de la Villa Bendic, affirme Ionuț
    Catangiu: Premièrement, si nous nous rendons sur
    place, nous remarquerons que cette maison occupe à peu près le centre du
    terrain, étant entourée de jardins et d’un très joli parc. Le rez-de-chaussée
    est dominé par une porte d’entrée imposante, au-dessus de laquelle plusieurs
    belles loggias, imaginées par Romano de Simon, décorent la façade ainsi que l’arrière
    de l’édifice. L’intérieur est tout aussi impressionnant. Le salon est couronné
    par un plafond à caissons, tandis que l’imposant escalier intérieur a été
    sculpté par l’architecte lui-même, qui l’a orné de motifs végétaux et
    animaliers, tels un sanglier, des oiseaux et des reptiles, rappelant la passion
    du propriétaire, Mihai Bendic, pour la
    chasse. Au rez-de-chaussée, la peinture du hall d’entrée reproduisait les mêmes
    motifs pour la même raison. Après l’installation du régime communiste, la villa
    a été modifiée et repeinte.



    La Villa Bendic met également
    en lumière la communauté italienne de Târgoviște, représentée par l’architecte
    Romano de Simon. Ionuț Catangiu précise : À la fin du XIXe
    siècle, de nombreuses familles du nord et du nord-est de l’Italie sont venues
    s’installer en Roumanie, répondant peut-être aussi à l’appel du roi Carol I,
    qui avait souhaité, dans un premier temps, une colonisation italienne de la
    plaine de Bărăgan. Une fois arrivés en Roumanie, ces Italiens ont migré petit à
    petit vers des villes telles Bucarest et surtout Târgoviște. Dans la seconde
    moitié du XIXe siècle, Târgoviște était un bourg qui cherchait à se développer
    et qui était, donc, en quête d’ouvriers, des tailleurs de pierre par exemple,
    pour construire de nouvelles maisons. La famille Del Basso a dessiné et construit
    le bâtiment de la préfecture, l’actuel Musée d’art de la ville, l’architecte Enzo Canela a imaginé la Casa d’Italia, des
    constructions représentatives de Târgoviște. La famille de Simon s’y est
    établie vers la fin du XIXe siècle. Romano de Simon y est né le 21 janvier 1900,
    dans une famille originaire d’une commune près d’Udine, au nord-est de l’Italie.
    Son père l’a envoyé étudier l’architecture à l’Académie des Beaux Arts de la
    ville de Parme. En 1923, il rentrait à Târgoviște, où il ouvrit son propre
    cabinet d’architecte et enseigna le dessin et l’italien au lycée de commerce de
    la ville.



    Malgré le grand nombre
    d’édifices réalisés dans le style néo-roumain, Romano de Simon s’est aussi
    tourné vers d’autres styles architecturaux, ajoute Ionuț Catangiu, représentant
    de l’association Târgoviștea Restaurată: Nous pouvons admirer une très
    belle série de créations de De Simon. Nous avons des maisons de style
    néo-roumain: la Villa Mihai Bendic et une autre, très belle aussi, à côté de
    l’Hôtel de Ville. Il y a ensuite des édifices de culte, tels que les Églises
    catholique de Ploiești et de Constanța,
    où il a utilisé un courant florentin mauresque. L’architecture des églises
    orthodoxes de Șotânga et de Gura Ocniței est tout aussi belle, bien que sans
    spécifique néo-roumain. En 1956, Romano De Simon a réussi à obtenir un poste à
    l’Institut d’architecture de Bucarest, mais il est revenu à Târgoviște après
    les tremblements de terre de 1940 et de 1977, pour vérifier l’état des édifices
    qu’il avait construits.


    Le 26 mai dernier, nous avons
    commémoré 41 ans depuis la disparition de Romano de Simon, une occasion de
    redécouvrir ses créations de Târgoviște et d’autres endroits du département de
    Dâmbovița. (Trad. Ileana Ţăroi)



  • Une victime du régime communiste : Gheorghe Ene Filipescu

    Une victime du régime communiste : Gheorghe Ene Filipescu

    Pour l’écrivaine et angliciste Monica Pillat, petite-fille du poète Ion Pillat et descendante, par son père, de la famille des grands hommes politiques Brătianu, reconstituer l’histoire récente de sa famille est un projet assumé depuis longtemps. Elle a commencé par ramener dans l’espace public la biographie et l’œuvre de son père, Dinu Pillat, un important intellectuel de l’entre-deux-guerres, que le régime communiste avait jeté en prison au début des années 1960, pour avoir écrit un roman sur un sujet désapprouvé par le parti communiste. En 2021, c’est la branche maternelle de la famille qui se place au premier plan. De ce côté-là, un personnage particulièrement important a été le grand-père, auquel sa petite-fille a dédié le livre « Bunicul meu fără mormânt. Gheorghe Ene-Filipescu/Mon grand-père sans tombe. Gheorghe Ene-Filipescu ».

    Né dans une famille de paysans en 1884, Gheorghe
    Ene-Filipescu fut un enfant illettré, qui partit pieds nus de son Olténie
    natale à Bucarest, où il devint apprenti cordonnier. Des années plus tard, il
    allait ouvrir un atelier de chaussures de luxe sur Calea Victoriei (l’avenue de
    la Victoire), la principale artère de la capitale. Son talent et ses qualités
    professionnelles furent récompensés par un prix reçu à Barcelone, en 1929, et
    reconnus également dans son propre pays,où il devint le président du Syndicat
    professionnel des maîtres cordonniers de Roumanie, ainsi que député social-démocrate. L’écrivain
    et essayiste Horia Roman Patapievici esquisse le portrait d’un homme qui a
    réussi à gravir l’échelle sociale grâce à son travail et à son talent. Il y a une phrase qui rend l’essentiel du savoir-faire de cet ouvrier exceptionnel, une phrase écrite dans le Livre d’or de son atelier de cordonnerie, sur Calea Victoriei: s dans la Roumanie de l’entre-deux-guerres. C’est la vie d’un homme qui part du niveau social le plus bas pour arriver là où nous pouvons reconnaître l’excellence et la décence. Nous pouvons reconnaître l’accomplissement personnel dans une société qui lui avait permis de commencer à la base et de se hisser à l’élite. Nous devrions réfléchir au fait que l’élite était composée de gens qui pouvaient commencer en bas de l’échelle. Comme c’est d’ailleurs le cas de Gheorghe Ene Filipescu. C’est l’histoire d’un homme qui illustre ce qui nous plaît, ce qui nous attire, ce qui continue de fasciner dans la Roumanie de cette époque-là, un pays où il existait un équilibre entre le bien et le mal et où la liberté rendait possible l’expression de la beauté, même si le mal existait, bien évidemment., a-t-il expliqué.

    Gheorghe Ene Filipescu s’est appuyé sur son expérience de vie et il a voulu aider les autres à travers l’implication politique, un aspect de sa biographie développé par l’écrivain Horia Roman Patapievici. : J’avais un préjugé négatif lié au fait que Gheorghe Ene Filipescu avait été social-démocrate et qu’il avait apprécié le mot socialisme. Et je veux dire que Gheorghe Filipescu m’a aidé à comprendre la manière dont on peut regarder et vivre le socialisme, pour que ce qui se trouve au bout du chemin – et, de mon point de vue, il s’agit presque toujours de manque de libertés, de misère et finalement de terreur – se présente sous une lumière différente. Il est un homme humble, qui, très jeune déjà, avait épousé la cause socialiste. Il y a deux textes qu’il avait dictés à sa fille, Cornelia Pillat, la mère de Monica Pillat. L’un date de l’été 1936. Il s’intitule « Un glas din popor către oamenii superiori/Une voix du peuple parle aux hommes supérieurs » et il a été publié dans une plaquette en 1938. L’autre texte est son discours « Constatări asupra meseriilor/Remarques sur les métiers » prononcé au Parlement. Je voudrais vous dire à quoi ressemblait le socialisme de Gheorghe Filipescu, bien qu’il fût assassiné par les socialistes, pas par les siens, mais par ces socialistes qui revendiquent un principe du même paquet d’idées. Quel est donc le socialisme de Gheorghe Ene Filipescu? Eh bien, son socialisme est fait d’accès à la prospérité par le travail, de liberté pour les métiers, de possibilité pour les ouvriers et les artisans d’obtenir un rôle social, à travers la propriété et le profit. Gheorghe Filipescu rejette clairement la privation de liberté et le contrôle des esprits. Cette condamnation apparait explicitement dans sa plaquette de 1938. Le socialisme de Filipescu est un socialisme du maître ouvrier, de la liberté du métier, de la supériorité portée par le travail. La plaquette de 1938 s’adresse aux gens supérieurs, dont elle donne la définition. L’être supérieur accroît par ses propres mains ce qu’il a reçu.


    Son adhésion à la cause socialiste n’a pas empêché les communistes, arrivés au pouvoir après 1947, de jeter Gheorghe Ene Filipescu en prison, dans le cadre des épurations menées dans les institutions du pays. Horia Roman Patapievici revient au micro : Il a été arrêté en 1949, alors qu’il souffrait de tuberculose pulmonaire et de diabète. Donc, cet homme a été incarcéré et soumis à un régime d’extermination. Là, je cite Monica Pillat: « Deux jours après l’incarcération de mon grand-père à Târgu Ocna, le 19 février 1952, le commandant Al. Roșianu dispose l’ouverture d’un dossier d’action informative sur le criminel politique détenu Filipescu Ene, afin d’établir « son comportement et ses manifestations politiques durant sa détention dans votre pénitentiaire car, lors du procès du 16 janvier 1952, au Tribunal militaire Bucarest, il a eu une attitude hostile envers l’Union soviétique et notre régime démocratique, affirmant ouvertement qu’il n’était pas d’accord avec la politique appliquée par notre régime dans la République populaire roumaine. » Au tribunal, lorsqu’il a été autorisé à s’exprimer, il n’a pas demandé pardon. Il a dressé un réquisitoire contre ses accusateurs, sans clamer son innocence, mais en affirmant que les autres étaient dans le faux. Et ça c’est quelque chose d’impressionnant: cet homme jeté en prison s’est montré parfaitement digne, égal à soi-même et aux idées qu’il avait soutenues librement. Des idées qu’il a également affirmées durant son emprisonnement.

    Au tribunal, lorsqu’il a été autorisé à s’exprimer, il n’a pas demandé pardon. Il a dressé un réquisitoire contre ses accusateurs, sans clamer son innocence, mais en affirmant que les autres étaient dans le faux. Et ça c’est quelque chose d’impressionnant: cet homme jeté en prison s’est montré parfaitement digne, égal à soi-même et aux idées qu’il avait soutenues librement. Des idées qu’il a également affirmées durant son emprisonnement.

    Gheorghe Ene Filipescu mourut en détention, en 1952, et son corps fut jeté dans une fosse commune à Târgu Ocna. (Trad. Ileana Ţăroi)