Category: Pro Memoria

  • La Radiodiffusion Roumaine et le fascisme

    La Radiodiffusion Roumaine et le fascisme

    La radio, aussi bien comme institution de presse que technologie de pointe, était une nouveauté absolue dans le paysage médiatique de lentre-deux-guerres. A commencer des années 1930, la Radio sest trouvée au centre des événements les plus importants, ce qui justifie sa qualité actuelle de source dinformation historique exceptionnelle pour lépoque contemporaine.



    A la fin des années 1930, des régimes fascistes ou autoritaires de droite étaient installés dans la quasi-totalité des Etats européens. La radio y était utilisée comme un instrument de propagande, de légitimation et de consolidation de ces régimes. Ce fut aussi le cas de la Radiodiffusion de Roumanie. Fondée en 1928, elle a dû surmonter des obstacles difficiles, dont la politisation qui allait impacter son objectivité et son équidistance. Les témoignages recueillis par le Centre dhistoire orale de la Radiodiffusion roumaine dans les années 1990 et 2000 ont confirmé la difficulté de garder un équilibre entre la conscience professionnelle et la pression du régime politique. Les infos nont jamais occulté lactualité, comme ce fut le cas du meurtre, en 1938, du patron de la Légion, la Garde de fer, Corneliu Zelea Codreanu.



    En 2001, le professeur Olimpiu Borzea se souvenait de cet épisode quil avait appris par la Radio. “Chaque année, le 29 novembre, la veille de la Saint André, lapôtre Andrei était commémoré dans la grande salle de lAcadémie théologique, où se rassemblait la crème de la crème de lintelligentsia de Sibiu. Nous, nous venions dune école neuve, très moderne ; cétait déjà ma deuxième année là-bas. Nous étions arrivées à la Place du fromage, qui était pleine de bergers, quand nous entendîmes un “Attention, attention !”, lancé par les haut-parleurs installés dans les rues. Cétait une annonce de la radio : un groupe de légionnaires, mené par Corneliu Codreanu, avait tenté de sévader lors dune escorte, les gardiens leur avaient tiré dessus et les avaient tous tués. Nous, on était resté figé sur place. “Comment ?!” Les gens sur la place du fromage étaient comme paralysés !”



    Vasile Blănaru a commencé à travailler dans la rédaction théâtre de la Radio en 1938, avant doccuper des postes de direction. En 1999, il racontait la présence du fascisme dans linstitution. “A la radio, les légionnaires constituaient une section. Ils étaient membres de lOrganisation “Răspândiţi”, autrement dit ils travaillaient à la Radiodiffusion, au futur ministère de la culture, dans des imprimeries et autres. Il y avait 5 ou 6 sections, siégeant toutes rue Esculap, près de la Radio. De par ma fonction mais aussi en tant que représentant politique, je participais aux réunions du conseil dadministration dont le président était Nichifor Crainic. Un décret de lépoque évinça les Juifs titulaires de fonctions dEtat. Moi, jétais également le responsable du service “salaires” et javais avancé une proposition : si nous licencions des gens, il faudrait leur payer au moins six mois de salaire. Il y eut un Juif, travaillant aux programmes de la Radiodiffusion ; il fut le seul limogé et reçut six mois de salaires.”



    Lassassinat du premier ministre Armand Călinescu, le 21 septembre 1939, par un commando de légionnaires, avait été un autre événement. Les assassins avaient annoncé leur “exploit” à la radio. Vasile Blănaru se trouvait là au moment où les légionnaires de la Garde de fer avaient fait irruption dans le studio. “Jétais à la radio, complètement par hasard. Parmi ces personnes, il y en avait 6 de ceux qui avaient exécuté Armand Calinescu à Cotroceni. Ils étaient montés à la salle démission, où jouait lorchestre. Ils étaient tous armés de fusils, de pistolets et de grenades. Les musiciens, effrayés, sétaient levés et lun des autres, Traian Popescu, a annoncé à lantenne quune équipe de légionnaires avait exécuté lennemi du peuple, enfin, tout ce qui sétait passé. Les autres avaient déposé leurs armes près de la porte du studio, pour aller se rendre au commissariat de police de la Société de radio. Moi-même, je les avais vus se rendre.”



    La Radiodiffusion roumaine sétait trouvée en première ligne pendant la rébellion de la Garde de fer, entre le 21 et le 23 janvier 1941, évincée du pouvoir par le général Ion Antonescu, appuyé par larmée roumaine et par lAllemagne nazie.



    Lingénieur Gheorghe Crisbăşanu a travaillé aux émetteurs de Bod en 1934. En 1997, il se souvenait de ces moments-là : “Moi, je venais en voiture depuis Bucarest, mais on ne mavait pas laissé entrer, de peur dapporter de larmement aux légionnaires. Le colonel qui maccompagnait à dit à la sentinelle dappeler le commandant de la garde légionnaire pour discuter. Celui-là arrive et le colonel lui demande de rendre toutes leurs armes, lassurant que chacun allait pouvoir partir sans aucune difficulté, que rien nallait leur arriver. Le gars sabsente pendant quelques instants pour revenir ensuite accompagné par la garde entière ; ils ont tous défait leurs ceintures et déposé leurs pistolets; ils étaient une douzaine, et on les a tous enfouis dans une fourgonnette qui les a emmenés à la prison de Braşov. Ce nest quaprès que jai pu entrer dans la cour où jai subi un contrôle pour voir si je ne transportais pas darmement.”



    La Radiodiffusion roumaine recouvrait sa liberté après le 23 août 1944, mais ce fut pour peu de temps, car lhistoire avait dautres plans. Lautre totalitarisme, le communisme, allait la soumettre pendant plusieurs dizaines dannées. (trad. : Ileana Taroi )

  • Sociétés caritatives dans la Roumanie de l’entre -deux-guerres

    Sociétés caritatives dans la Roumanie de l’entre -deux-guerres

    Pendant le régime communiste de Roumanie, celui même qui prétendait être la plus haute expression de l’humanisme et de la compassion, la vocation philanthropique et la charité se sont estompées, en raison notamment de l’extrême étatisation de la vie économique et politique. Comme en ces temps-là, l’existence des individus dépendait dans une très large mesure des institutions de l’Etat et que les initiatives d’entraide étaient strictement contrôlées, les gens ne ressentaient plus l’impulsion de s’investir dans des œuvres charitables.



    Mais la situation avait été toute autre auparavant. Dans la Roumanie capitaliste d’avant 1945, l’esprit de bienfaisance avait connu une véritable effervescence. L’église, les entreprises ou les institutions politiques se faisaient un point d’honneur d’aider les malheureux : veuves et vétérans de guerre, orphelins, chômeurs, invalides. Des écoles des métiers fonctionnaient auprès des grandes fabriques, tandis qu’associations professionnelles, syndicats, propriétaires de petits ateliers, personnels sanitaires, enseignants, avocats et autres offraient leurs services à titre gratuit à tous ceux qui manquaient de moyens financiers. Les grandes dames dirigeaient des comités, des fondations et associations qui se donnaient pour but de venir en aide aux infortunés.



    Figure de proue de la philanthropie roumaine, Maria Brăiloiu descendait des Lahovary, vieille famille de boyards membres de marque du Parti Conservateur. Fidèle aux préceptes religieux et conservateurs, Maria Brăiloiu allait prendre en charge trois jeunes orphelines. Dans une interview datée de 1996 et conservée au Centre d’Histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, Dina Balş, descendante elle aussi d’une famille noble, se rappelait une des oeuvres caritatives de Maria Brăiloiu, dont elle avait été témoin en 1919. « Madame Brailoiu avait des domaines à Sàrulesti, c’était une bonne personne qui faisait des actes caritatifs. Son nom est lié entre autres aux initiatives appelées Chindia et Timisoiu. Cette dernière était une société caritative destinée aux orphelins, aux filles orphelines. C’est madame Bràiloiu qui a fait bâtir sur ses domaines un foyer pour ces enfants, qui y restaient jusqu’à l’âge adulte. Quand on lui demandait ce que ces enfants y apprenaient à faire, elle répondait « Je leur montre comment devenir de bonnes épouses et mères ». Elle leur apprenait à cuisiner, à coudre, à élever les enfants, à laver les enfants, à prendre soin de leur futurs maris, à crocheter un vêtement pour homme, bref à bien se conduire en tant qu’épouse et mère. Il y a même une histoire dont je me souviens : à l’inauguration de ce foyer, qui était très bien équipé, et dont les frais de construction avaient été supportés uniquement par madame Brailoiu, a également participé le ministre de l’Enseignement, Trancu-Iasi. Un repas simple a été organisé par la suite dans le jardin et c’étaient des filles qui servaient les plats aux convives. Trancu –Iasi a voulu alors remettre une décoration à madame Bràiloiu. Laquelle s’est exclamée sur un ton glacial: « Non ! » « Mais pourquoi pas, madame Bràiloiu ? Vous qui avez fait tant de choses !, a insisté le ministre. « Non, c’est pas moi qui les ai faites, mais notre Seigneur, Jésus Christ. Sans lui, je n’aurais pu rien faire. C’est à lui que vous devez remettre la décoration et non pas à moi ! » Et elle refusa catégoriquement de la recevoir. Trancu–Iasi s’est retiré, la décoration dans la poche, et durant son voyage dans le train on l’entendit dire « Très intéressante cette madame Bràiloiu, très intéressante ! Mais quel caractère ! » Le refus de madame Bràiloiu l’avait contrarié et troublé ».



    Il y avait aussi des sociétés qui promouvaient la culture et le spécifique national. Dina Bals a évoqué la société Chindia: « A l’époque on connaissait très bien les danses traditionnelles roumaines. Et ce grâce à nos parents qui avaient spécialement mis en place une société dont la mission était de faire perdurer les danses et la musique roumaines traditionnelles. Et une fois toutes les deux semaines, on se réunissait dans la salle de gymnastique Richter, rue Luterana, au centre de Bucarest : c’était une salle au plancher très approprié pour les danses roumaines; certes on s’y rendait vêtu en costumes traditionnels authentiques et on y dansait sur la musique des ménétriers venus de plusieurs départements du pays. Et c’était toujours par les soins de madame Bràiloiu que cette société avait été créée. Tout le beau monde en faisait partie ».



    D’importants noms de la culture roumaine ont fait partie de sociétés culturelles, dans le cadre desquelles ils discutaient des thèmes et des sujets chauds de l’actualité. Parmi ces sociétés, mentionnons celle appelée « Parenthèse ». Pourquoi ce nom ? Réponse avec Dina Bals : « Toute une série de personnalités, parmi lesquelles le poète et homme politique Octavian Goga, se réunissaient pour parler de toute sorte de sujets. Et comme l’entretien impliquait de nombreuses digressions et parenthèses, la société a été appelée « Parenthèse ». Ces réunions régulières étaient un véritable régal intellectuel et Octavian Goga était une personne extrêmement agréable. »



    La qualité allait main en main avec la sociabilité et la vitalité caractérisait la société roumaine d’avant 1945. Ce fut pendant les deux conflagrations mondiales qu’ont eu lieu les épisodes de générosité les plus impressionnants…(trad.: Mariana Tudose, Alexandra Pop, Alex Diaconescu)

  • Les conseillers soviétiques en Roumanie

    Les conseillers soviétiques en Roumanie

    L’apparition et le développement de la société de type politique soviétique a présupposé quelques piliers fondamentaux : l’armée soviétique, le Parti communiste, l’appareil de répression et les conseillers soviétiques. Ces derniers ont apporté de Moscou dans tous les pays de l’Europe Centrale et de l’Est la manière de penser et de mettre en œuvre le modèle communiste. En Roumanie aussi, les conseillers soviétiques ont investi toutes les institutions de l’Etat afin de superviser la transformation complète de la société, qui devait passer d’une société capitaliste à une société socialiste. Formellement, il y avait eu une demande formulée par le gouvernement roumain, mais en réalité, l’envoi des conseillers soviétiques a été une décision de Moscou.



    A l’automne 1949, le leader des communistes roumains, Gheorghe Gheorghiu-Dej, envoyait une lettre à Andrei Gromyko, adjoint au ministre des Affaires étrangères de l’URSS, dans laquelle il demandait l’envoi « d’un ou deux spécialistes pour accorder de l’assistance au Parti ouvrier roumain afin d’analyser la situation de certains membres du parti ayant une activité trouble et suspecte ». La demande de Dej a été approuvée dans la réunion du 9 novembre 1949 du Bureau politique du Parti communiste de l’Union Soviétique. Le ministère de la Sécurité de l’Etat de l’URSS a dépêché en Roumanie les nommés A. M. Sakharovsky et V. S. Patrikeev. C’était le début. La convention signée par la Roumanie et l’URSS le 5 février 1950 consacrait une relation de subordination entre les deux pays.



    Les conseillers soviétiques ont été envoyés premièrement dans l’armée et la Securitate (police politique). La durée de leur séjour était de 3 ans, aux frais de la partie roumaine, tant pour leurs propres dépenses que pour celles de leurs familles. Ils touchaient deux salaires : l’un en lei, qu’ils encaissaient directement, et l’autre en roubles, payé par l’Etat soviétique. En dehors de cela, les conseillers bénéficiaient de logement gratuit, avaient accès à des magasins spéciaux, et se voyaient déduire différents frais de transport.



    L’armée et la Securitate n’ont pas été les seuls points stratégiques pour les conseillers soviétiques, les secteurs économiques l’ont été aussi. Nicolae Magherescu a été chef du cabinet du ministre libéral Mihail Romniceanu, dans son bref mandat au gouvernement Petru Groza, dominé par les communistes. En 1999, il racontait au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine l’existence d’un conseiller soviétique à la Banque nationale de Roumanie. « J’ai été envoyé travailler à la succursale de Ploiesti de la Banque nationale. Je n’y ai passé que deux années, puis je suis revenu à la direction centrale. A mon retour — cela devait être vers la fin de 1949-1950 — il y avait là un conseiller soviétique, Romachov de son nom, je me rappelle cela parfaitement. Ses vêtements étaient peu soignés, il portait des pantalons froissés. Il était venu avec toutes les instructions de la Gost Bank de Moscou, et toutes nos opérations bancaires, nous avons commencé à les faire d’après le modèle de cette banque-là. Nous avons pourtant eu de la chance, parce que notre gouverneur, Aurel Vîjoli, avait été fonctionnaire de la Banque nationale depuis 1923. Il était un excellent technicien, avec une très bonne formation et surtout, c’était quelqu’un qui tenait à la tradition de la Banque centrale, qui avait donc gardé la mentalité du fonctionnaire de banque ».



    Nicolae Magherescu raconte comment la Banque nationale a changé sa politique économique, politique dictée par les conseillers soviétiques. « Ce changement, nous l’avons fait parce que l’ordre était d’embrasser un nouveau système. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Tout l’argent présent sur le marché devait être déposé sur des comptes à la Banque nationale. Aucune entreprise n’avait le droit de garder de l’argent dans sa caisse, excepté un plafond minimum. Le plan de crédit de l’entreprise, qui était centralisé, était aussi fixé en fonction des sommes existantes dans les caisses à la Banque nationale. La Banque centrale finançait toutes les entreprises, après que le ministère des Finances les dotait des actifs courants qui leur étaient propres. La différence au-dessus du nécessaire en actifs courants devait être couverte par des crédits souscrits auprès des banques. C’est donc par nous, la Banque nationale donc, et par les banques de l’époque que le système centralisé de l’Etat a commencé ».



    L’appareil de répression et les secteurs économiques ont été les premiers visés par la politique de soviétisation. La politique culturelle a été non moins importante. En 2000, l’artiste Ion Sălişteanu se souvenait de la présence du conseiller Kovalenko. « Il n’avait pas de dialogue avec les étudiants, et il venait sous escorte. Il était dodu, avec une physionomie étrange. Il avait une vocation, et même une volupté du diktat et de faire peur. Les professeurs se parlaient à voix basse, tellement ils étaient timorés. (Plus tard, il allait être très mal payé, parce qu’il avait fait une scénographie de mauvaise qualité. Il est mort quelque part en Sibérie, accablé par les services dont il ne s’était probablement pas bien acquitté.) Il se faisait accompagner par une dame blonde bien en chair, une interprète à l’accent russe, et il avait une sorte d’impertinence à donner des exemples négatifs et positifs, bref, il était sentencieux dans tout ce qu’il affirmait. A cette époque-là, j’ai eu le sentiment de suffoquer. »



    Le 14 janvier 1957, le Parti communiste de l’Union Soviétique considérait que la Roumanie disposait d’un nombre suffisant de spécialistes pour continuer toute seule son cheminement vers le communisme. L’assistance des conseillers soviétiques n’était donc plus nécessaire. Même si la plupart des conseillers soviétiques ont été rappelés à Moscou en 1958, les conseillers militaires soviétiques ont été une présence constante à Bucarest jusqu’au début des années ’60. (trad. : Ligia Mihaiescu)

  • Francisc Josef Rainer et la naissance de l’anthropologie en Roumanie

    Francisc Rainer



    Le holisme, l’approche intégrale de l’activité humaine, a été le désir de plusieurs générations de savants et d’hommes de culture qui souhaitaient dépasser les frontières entre les sciences et celle entre la science théorique et les aspects de la vie quotidienne. C’est ainsi qu’est apparue l’anthropologie, science qui, à son apparition à la fin du XIXe et au début du XXe, de son temps, donc, avait l’ambition d’être davantage que d’autres sciences n’avaient été avant elle. L’objet d’étude de l’anthropologie, c’est le phénotype, soit notre propre corps, et comment le tempérament, le caractère, la mentalité sont modifiés par le cadre social et le cadre culturel.



    En Roumanie, l’anthropologie a été promue, entre autres, par le médecin Francisc Josef Rainer, ethnique allemand de Bucovine, venu d’Autriche-Hongrie avec ses parents en 1875, lorsqu’il avait un an. Professeur des Universités de Iaşi et de Bucarest jusqu’à sa mort en 1944, il a été le supporter le plus fervent de l’enseignement de l’anthropologie. Rainer a essayé d’intégrer la médecine dans le cadre culturaliste et comparativiste et a été le premier à introduire un cours d’anthropologie au niveau universitaire. Il a tenté de créer une école de pensée pour les futurs médecins, où la spécialisation comptait autant que la formation culturelle générale.



    A son cours d’anatomie, Rainer utilisait des statues de sculpteurs antiques ou des tableaux d’art médiéval comme matériel didactique, pour mettre en exergue la beauté du corps humain et de ses représentations. Il instruisait ainsi ses étudiants dans les secrets du métier de médecin et les familiarisait avec l’art.



    L’historien Adrian Majuru, chercheur de la biographie de Rainer, fait valoir la créativité de ce médecin érudit : « Qu’est-ce que Francisc Rainer a apporté de nouveau ? En 1937, Bucarest a accueilli un congrès international d’anthropologie, d’archéologie et de sciences préhistoriques. A l’occasion, il réussit à ouvrir le premier institut d’anthropologie de Roumanie. La méthode de recherche a été interdisciplinaire dès le début et il comptait parmi les premiers professeurs d’université à avoir introduit la culture dans un cours spécifique d’anatomie. La biologie ne doit pas être séparée de la culture pour comprendre véritablement la nature humaine. Pourquoi cette perspective est-elle importante ? Pour chaque profession, qu’elle soit corporatiste ou libérale, toute activité professionnelle liée à l’homme présuppose des connaissances qui forment la profession respective. Francisc Rainer a conféré à l’anatomie un nouveau côté, en affirmant qu’elle était la science de l’homme vivant, de l’homme en mouvement. L’homme en mouvement est un être vivant, dans un cadre limité, déterminé par le temps, et qui évolue depuis sa naissance jusqu’à sa mort ».



    Une des attractions scientifiques de l’âge d’or de l’anthropologie était l’eugénisme, qui avait d’autres ambitions que l’anthropologie: la science de l’amélioration des gènes humaines, de l’amélioration de l’état général de santé physique et somatique de l’homme. Le projet eugéniste a impliqué des médecins qui ont fait de ce projet non seulement une science, mais aussi une autorité censée légitimer la supériorité culturelle et raciale. Francisc Rainer a été également séduit par les perspectives de l’eugénisme, mais il est resté en dehors de celui-ci en raison de ses composantes idéologiques.



    Adrian Majuru: « Il s’est situé autour de l’eugénisme mais pas à l’intérieur de celui-ci. Généralement, il s’est éloigné de toute méthodologie disons scientifique, que les idéologies d’extrême droite avaient embrassée. En matière de convictions politiques, il a été un homme de gauche, près du cercle de Constantin Stere, sans faire partie pourtant des mouvements de gauche. Pour ce qui est de l’eugénisme, celui-ci a fait partie de sa sphère de préoccupations à application pratique ou théorique. »



    Malgré ses préoccupations rationalistes et ses convictions politiques, Rainer a toujours admis la relation de l’homme avec la Divinité. Il n’était pas un agnostique, comme la majorité des médecins et des socialistes, mais il pensait que la dimension métaphysique de l’individu était liée à sa dimension physique.



    Adrian Majuru : « Il a développé un élément intéressant que l’on pourrait résumer en quelques mots de la façon suivante : l’homme peut dresser un pont vers la divinité par la connaissance et la culture. Rainer a été un personnage qui a gardé une timidité affective face à la divinité. Il affirmait que l’homme moderne ne fait plus attention à l’homme intérieur : il mange, il s’amuse, il consomme. L’homme moderne a perdu l’homme intérieur que nous possédons tous, parfois sans le connaître jusqu’à la mort, et que nous n’allons jamais connaître. Cet être intérieur, l’alter ego, est celui qui peut réaliser le pont dont on vient de parler, et le savoir est accessible grâce à lui. Le côté pratique des choses, c’est l’apanage de l’autre personne. Nous avons tous une âme et un esprit. Rainer était très préoccupé par ce qu’il allait se passer avec son esprit après la mort. Il était sûr que son âme allait se libérer et suivre un trajet clair, mais il ne savait pas ce qui allait se passer avec son esprit.»



    La méthode de Francisc Josef Rainer d’offrir à l’individu un horizon culturel des plus larges visait à répondre aux questions de la vie. Et pour l’homme du 20e siècle qui pensait être libéré des difficultés spécifiques aux époques précédentes, l’autorité du scientifique était extrêmement importante. (Trad. : Ligia Mihaescu)



  • Staline et le stalinisme

    Staline et le stalinisme


    Joseph Vissarionovitch Staline est mort le 5 mars 1953. Ce ne sont pas ses détracteurs qui lui ont collé l’étiquette de plus grand criminel dans l’histoirede l’humanité, mais les preuves accablantes des crimes commis par son régime. Le régime stalinien est non seulement une page de l’histoire de l’Union Soviétique, mais aussi de bien des nations, en raison de son impact sur la période 1945-1991.


    Le stalinisme, la plus horrible des gouvernances politiques, est synonyme de tyrannie. Une tyrannie poussée à l’extrême, mais qui a bénéficié de l’accord des individus et de la société, de la soumission aveugle à l’idéologie qu’elle promouvait. Selon Liviu Rotman, professeur à l’Ecole nationale d’études politiques et administratives de Bucarest, c’est justement l’attachement à cette idéologie et au dirigeant qui l’incarne qui explique l’apparition et la survie du stalinisme : « Je voudrais souligner le fait qu’il existe plusieurs approches quand il s’agit de définir le régime communiste. Il y a, tout d’abord, celle que l’on véhiculait du temps de Staline, lorsqu’on considérait que l’on avait affaire à la forme supérieure de l’idéologie communiste et de sa pureté. A cette époque précise, on parlait d’écrivains, d’historiens, d’acteurs, de peintres ou encore d’activistes staliniens dans le sens positif voire mélioratif du terme. Rattachée aux activistes, cette épithète désignait les communistes les plus déterminés et zélés entre tous, mais aussi les plus durs. A propos de cette dernière caractéristique, il faut rappeler que Staline est en fait un pseudonyme et que «stal» est le mot russe qui désigne l’acier. Autrement dit, on pensait que c’était une politique dure comme l’acier, mais très appropriée pour l’accomplissement des idéaux communistes. »


    La perception populaire du stalinisme peut s’avérer trompeuse. Et ce parce que, tout en imposant sa propre volonté aux autres, le tyran se doit de rester crédible aux yeux de ses tenants et son discours politique doit avoir du sens pour ses auditeurs. L’historien Cristian Vasile de l’Institut d’histoire Nicolae Iorga de Bucarest nous livre la synthèse de la pensée politique de Staline : « Erik Van Ree, un spécialiste du système politique soviétique, a publié un livre très important, intitulé «La pensée politique de Staline». Pourquoi est-il si important? Parce qu’Erik Van Ree a eu le privilège d’étudier dans les archives russes un certain type de source historique et de documents. Il s’agit des nombreuses annotations de Staline sur les livres de sa bibliothèque. Cette excellente source d’information, qu’Erik Van Ree a très bien su mettre à profit, a quelque peu modifié la perception sur Staline et le stalinisme, notamment sur les sources d’inspiration de celui-ci. A la question de savoir d’où Staline a pu s’inspirer pour forger sa doctrine, Van Ree affirme tout d’abord que l’on a affaire à une pensée politique cohérente. Ensuite, il rappelle que l’historiographie occidentale est partagée sur la question de la source d’inspiration prédominante de Staline. D’aucuns trouvent qu’il s’est inspiré de la tradition russe autocratique, depuis Ivan le Terrible jusqu’à Pierre le Grand, deux despotes modernisateurs que Staline prend pour modèle.D’autres pensent au marxisme occidental, au mouvement révolutionnaire d’Occident. Van Ree a découvert que la source d’inspiration de prédilection a été pour Staline la tradition révolutionnaire occidentale, jacobine. Il est même tombé sur des annotations de Staline prouvant que ces idées-là, bien évidemment filtrées par la pensée léniniste, lui avaient servi de source d’inspiration».


    Après la chute du communisme, de nombreuses voix ont mis ce désastre sur le compte de l’échec des leaders soviétiques à mettre en oeuvre les idées de Marx. Liviu Rotman souligne le caractère essentiellement stalinien du régime communiste, un régime que seule la tyrannie peut faire fonctionner, à son avis : «Je pense que, par la terreur et par sa politique, Staline a instauré le communisme dans sa forme la plus pure. Une fois sorti des clichés staliniens, le communisme commence, dès Khrouchtchev, à battre de l’aile et à manquer son but. C’est pourquoi même les Soviétiques retournent au stalinisme. Sans rien affirmer officiellement, Brejnev tâche — sans succès, d’ailleurs — de revenir aux pratiques staliniennes. Dans les pays-satellites de l’URSS — dont la Roumanie — l’image de Staline est affectée, il est critiqué, ses statues sont enlevées de leurs socles. Pourtant ce fut là uniquement l’apparence des choses, car pour que le communisme puisse continuer d’exister, le stalinisme devait être conservé, d’une façon ou d’une autre, même si personne ne l’affirmait ouvertement. Si je le dis, c’est parce que l’on considère d’habitude que les critiques visant le communisme de Staline visent en fait Staline lui-même. Comme si le communisme d’avant ou d’après Staline avait été plus humain, plus proche de la nature humaine, de la marche normale de l’histoire. »


    Staline et le stalinisme n’ont pas été des modèles uniquement pour les sociétés non-démocratiques. Ils ont eu des sympathisants dans le monde de la démocratie aussi — ce qui prouve que la démocratie n’est pas infaillible. Elle a eu ses Staline, plus grands ou plus petits, qui ne cédaient en rien à l’original. Pourtant, la vérité, qui est une notion non seulement philosophique, mais aussi historique, refait toujours surface. (aut.Steliu Lambru; trad. Mariana Tudose, Dominique)

  • Le sociologue Dimitrie Gusti (1880-1955)

    Le sociologue Dimitrie Gusti (1880-1955)


    Dimitrie Gusti a été la plus importante personnalité de la sociologie roumaine de la seconde moitié du 20e siècle. La plupart des réalisations de ce domaine en Roumanie sont liées à son nom.Il a été professeur d’université, membre de l’Académie roumaine, ministre de l’Enseignement en 1932-1933, il a créé l’Institut social roumain et dirigé des publications spécialisées. Dimitrie Gusti a lancé les fameuses « équipes mixtes » constituées d’étudiants et de chercheurs spécialistes de plusieurs domaines différents, qui faisaient des études sur le terrain. Ce travail aboutissait sur la rédaction de monographies des villages roumains.


    Dimitrie Gusti a également été un promoteur du service social, qui réunissait recherche académique, action sociale et pédagogie sociale. Son idéal était l’émancipation des paysans, qu’il voulait sortir de l’état d’arriération économique, politique et culturelle, pour en faire des citoyens de l’Etat roumain constitué après 1918. En 1936, Gusti a créé l’institution publique qui a bénéficié de la plus grande visibilité jusqu’à nos jours : le Musée du Village de Bucarest.


    Dimitrie Gusti est considéré comme le fondateur d’un courant de pensée sociologique dont est issue la plus importante école roumaine de sociologie. Dimitrie Gusti et l’«école Gusti» ont été réévalués par la revue française Les Études Socialesdans un numéro double paru en 2011 sous le titre : « Sociologie et politique en Roumanie (1918-1948) ». Dimitrie Gusti a-t-il été un novateur ? Le sociologue Vintilă Mihăilescu explique: « Dimitrie Gusti n’est pas un novateur, il n’est pas un pionnier, il s’inscrit dans la tradition roumaine des études rurales. Le problème qui se pose là est très délicat. Quelqu’un qui se propose de faire une sociologie nationale est libre de le faire, pour servir la nation. Ce qu’il ne devrait pas faire, c’est une sociologie nationaliste. Et Gusti l’a affirmé clairement: tant que la construction nationale est le principal enjeu de la sociologie actuelle, la sociologie doit s’en occuper aussi. Par contre, si au 21e siècle, la sociologie s’occupait uniquement de l’état d’asservissement de la paysannerie, ce serait étrange. »


    Après la seconde guerre mondiale, la sociologie devait changer de contexte. Pourtant, dans les conditions où 85% de la population roumaine était rurale, accuser un sociologue de s’occuper uniquement de la paysannerie est plutôt bizarre.


    Dimitrie Gusti a été le fondateur de l’école de sociologie de Bucarest, qui étudiaient les changements au sein de la société, ainsi que la manière dont on pouvait prévoir les tendances et analyser les processus sociaux. Il a été un promoteur de la méthode de recherche monographique selon laquelle on pouvait considérer qu’un sujet était connu si on l’abordait par le biais de plusieurs disciplines.


    Le sociologue Dumitru Sandu a répondu à la question posée par la revue Les Études Sociales, à savoir si l’école créée par Gusti a vraiment été une école : « Tâchons de répondre à la question : quelle sorte d’école était celle de Gusti ? Car, à mon avis, Gusti a vraiment créé une école. Les étiquettes, on les connaît déjà : l’école Gusti, l’école sociologique de Bucarest, l’école monographique, l’école roumaine de sociologie. En fait, en sociologie, il y a 3 types d’écoles : l’école de méthode, l’école de théorie et l’école de méthodologie-épistémologie. A cette classification s’ajoute l’école de promotion d’un modèle d’action sociale, à savoir une école d’intervention. Or, l’école de Gusti avait toutes ces composantes. »


    L’un des reproches que la revue française fait à Dimitrie Gusti dans son dossier était d’avoir été un sympathisant du fascisme. Antonio Momoc, lecteur à la Faculté de journalisme et des sciences de la communication de Bucarest, explique la raison d’une telle accusation : « L’Institut social roumain organisait des débats auxquels toute l’élite intellectuelle de l’époque était présente. Or, lors d’une de ces rencontres il a fait une affirmation à propos des doctrines des partis politiques. C’était en 1922. Le fascisme italien était à ses débuts. En Roumanie, à l’époque, le mouvement fasciste était pratiquement inexistant. Il allait naître en 1922-1923, en tant que réaction à la Constitution de 1923. Dans les années ’20, avec ses scrutins, l’appui de la population aux partis extrémistes était très faible — soit 3-4% des suffrages. Dans les années ’20, le fascisme était une curiosité. Le seul à se rapporter au fascisme — à celui de Mussolini — a été Dimitrie Gusti. Aucune des personnes présentes ne considérait que ce qui se passait en Italie avait vraiment de l’importance. Dans quel contexte Gusti faisait-il sa remarque pour que l’on puisse en tirer brusquement la conclusion qu’il était fasciste ? Dimitrie Gusti parlait de la distinction entre les différents partis politiques. A son avis et jugeant d’après le système de la sociologie politique et éthique qu’il avait adopté, il existait deux types de partis : les partis dotés d’un programme et les partis opportunistes. Selon lui, le parti fasciste faisait partie de la première catégorie, celle des partis dotés d’un programme politique. Et il affirmait que ce parti avait suscité un certain enthousiasme, une certaine émulation. Un point c’est tout. Et c’est tout ce qu’il a dit du fascisme italien. Mais de là jusqu’à l’accuser de fascisme, le chemin est long. »


    Après la guerre, Gusti a collaboré discrètement avec le parti communiste. Ce qui prouve que — tout comme les autres intellectuels qui ont marié science et politique — lui, non plus, il n’a pas pu se soustraire aux influences que le temps et l’époque a exercées sur lui. (aut.: Steliu Lambru; trad. : Dominique)

  • Lettres des années 1980

    Lettres des années 1980


    Dans les archives des Services de renseignements, on trouve généralement des informations portant sur les missions secrètes, le travail des agents, les coulisses diplomatiques ou les intérêts politiques. A l’instar des autres Services secrets des régimes communistes, l’ancienne police politique roumaine, la Securitate, contrôlait la société dans son ensemble. Or, parmi ses principales sources d’informations, la correspondance a contribué de manière importante à l’obtention des renseignements et au chantage des citoyens.






    Liviu Taranu, chercheur au Conseil National pour l’Etude des Archives de l’ancienne Securitate est également l’éditeur de l’ouvrage « Les Roumains à l’Epoque d’or. La correspondance dans les années ’80 », qui regroupe une partie des lettres adressées par les citoyens roumains aux institutions de l’Etat. Création de la propagande, le syntagme « l’Epoque d’or » servait au culte de la personnalité de Nicolae Ceausescu, en se proposant de mettre en lumière les performances enregistrées par la Roumanie sous les communistes. Pourtant, la réalité était tout autre: le régime du dictateur Ceausescu avait poussé le pays au bord du précipice, en pleine crise matérielle et spirituelle sur fond d’une profonde dégradation psychologique.






    Nous passons le micro à M. Liviu Taranu pour une brève caractérisation de la Roumanie des années 1980, telle qu’elle apparaît dans la correspondance de l’époque: « Elle était pessimiste, tragique. Dramatique, c’est ça le mot juste. Il y a des lettres, des documents pleins d’humour, puisque les Roumains savent faire bonne mine contre mauvaise fortune. Pourtant, le contenu est dramatique, en raison de la pénurie quotidienne. Ce sont notamment les familles nombreuses qui se plaignent de toute sorte de difficultés: manque d’aliments, d’électricité, majoration des prix, insécurité de l’emploi. C’est incroyable de parler de l’insécurité de l’emploi dans les années ’80, mais on en parle fréquemment! »






    La Securitate passait au peigne fin toute la correspondance de l’époque, avec une attention particulière accordée à celle adressée aux institutions publiques. Liviu Taranu: « Toutes les lettres adressées aux journaux, au Comité Central, aux personnes morales, notamment à celles de la capitale , passaient à travers le filtre de la Securitate. Sur leur ensemble, plusieurs arrivaient à destination, mais d’autres, comportant des messages durs à l’adresse du régime, étaient confisquées et attachées par la suite au dossier ouvert par la police politique. Comme vous voyez, la liberté d’expression était généralement entravée. Mais, il y avait aussi des cas heureux quand les Roumains arrivaient à s’adresser par écrit aux responsables politiques ».





    Les mécontentements liés au niveau de vie étaient dominants. Et pourtant, l’insécurité de emploi est également évoquée, ce qui était inimaginable dans un régime qui prétendait être un régime des ouvriers. Cette peur contredit en effet le cliché qui affirme que dans les années du socialisme les emplois étaient garantis. Liviu Taranu : « Cette peur était très justifiée par la désorganisation des entreprises au plus haut niveau, en raison des changements opérés du jour au lendemain dans les structures d’Etat qui géraient différents secteurs de l’économie. Puis, il y avait aussi le problème de la commercialisation des produits roumains qui s’avérait de plus en plus difficile. Alors, les entreprises accumulaient des stocks. Le plan de production n’était plus respecté parce qu’à leur tour, les entreprises ne possédaient plus la matière première nécessaire pour produire. Les gens ne touchaient plus leurs salaires, la direction essayait de réduire le personnel afin de pouvoir payer les autres salariés. Toutes les réorganisations et les difficultés endémiques au niveau macroéconomique ne faisaient que produire l’insécurité de l’emploi et le chômage. Certains salariés étaient simplement virés et c’était à eux de trouver un nouvel emploi. »






    La violence de la révolution anti-communiste roumaine s’explique notamment par le fait que la voix des gens était étouffée. C’est une des choses que l’on peut observer dans la correspondance éditée dans ce volume. Tous les pays communistes se confrontaient à cette crise, mais nulle part la liberté d’exprimer son mécontentement n’était punie avec une telle sévérité qu’en Roumanie à l’époque de Nicolae Ceausescu.





    Est-ce qu’il existe un lien entre la fermeté du régime dans les années ’80 et la violence de la révolution anticommuniste de décembre 1989 ? Liviu Taranu : « Oui, j’en suis convaincu. Les tensions ne se sont pas dissipées de manière progressive. Elles couvaient avant de se manifester sous différentes formes, tant au niveau des minorités qu’à la périphérie de la société. La majorité n’aboutissait pas à esquisser des points de riposte. Au moment où ces points sont apparus, ils se sont multipliés dans tous les pays. Ces tensions étouffées pendant plus d’une décennie, même si les choses avaient commencé à ne plus aller bon train avant 1980, n’ont fait que produire ce mouvement violent. Les mécontentements étaient trop importants pour que les choses puissent se dérouler calmement, sans violence, comme en Tchécoslovaquie ou dans d’autres pays de la région. »





    Un des effets traumatisants de l’époque communiste a été d’inoculer à la population un état d’esprit névrosé. Cet état d’esprit s’est fait sentir dans les années 1990, dans le nouvel espace public démocratique roumain….(trad. : Ioana Stancescu, Alex Diaconescu)

  • Symboles nationaux sicules

    Symboles nationaux sicules


    Les Sicules constituent la plus ancienne minorité de l’espace roumain. En 1116, ils sont mentionnées comme une avant-garde de la chevalerie magyare tout comme les Petchénègues, un autre peuple nomade d’origine turque. Guerriers chevronnés au Moyen Age, les Sicules ont été colonisés par le Royaume de Hongrie sur la frontière est longeant les Carpates Orientales afin de la défendre contre les invasions des peuples migrateurs provenant d’Asie. Le premier document qui les mentionne à l’intérieur de l’arc carpatique date de 1210 et affirme qu’une armée formée de Sicules, Saxons, Roumains et Petchénègues a participé à la répression d’une révolte contre le tsar bulgare Borila.


    Ce fut toujours à cette même époque, plus précisément en 1217, que les Sicules figurent parmi les combattants de l’armée du roi hongrois André II, lors de la 5e croisade contre les Arabes. Dès lors, les Sicules habitent sans interruption les mêmes territoires appelés le pays Sicule, qui s’étend sur les actuels départements de Harghita, Covasna et Mureş. Ils comptent aujourd’hui 650 mille personnes, soit environ 45% des 1.430.000 membres de l’ensemble de la communauté magyare et 6,6% de l’entière population de la Roumanie.


    L’Académicien Pál Antal Sándor explique quelle était la place et la condition sociale des Sicules dans la Hongrie médiévale, mais aussi après l’occupation autrichienne : « S’ils remplissaient des tâches militaires, ils ne payaient plus d’impôts. Les premières obligations fiscales envers la cour royale hongroise étaient celles que les sujets devaient payer trois fois pendant le règne d’un roi : à son intronisation, à la naissance de son héritier et lors de son mariage. Cette tradition a été valable jusqu’en 1555, quand à eu lieu la dernière collecte. Sur six bœufs, par exemple, il fallait en donner un. Les obligations fiscales n’ont pas existé jusqu’en 1657, lorsque les Sicules ont commencé à payer des taxes à la Sublime Porte ottomane, suite à la campagne militaire entreprise par Gyorgy Rakoczy II en Pologne, qui s’est achevée par une défaite cinglante. Pendant l’occupation autrichienne, ils ont été exemptés de la prestation de tâches militaires en 1711, parce que leurs façon de lutter était déjà obsolète. Ils sont devenus contribuables, mais leur état social était celui de personnes libres, bénéficiaires de tous leurs anciens droits. Devant la justice par exemple, ils bénéficiaient des mêmes droits que la noblesse. »


    Après 1989, des présences publiques des Sicules ont facilité l’expression des sentiments de nationalisme les plus exacerbés, alimentés par les perceptions de leur passé. Le plus récent épisode de ce genre date de février 2013, lorsque le drapeau hissé dans la ville de Sfântu Gheorghe, département de Covasna, a provoqué un nouveau scandale. Ce geste a été vu comme une nouvelle tentative des Sicules de demander l’autonomie territoriale sur des critères ethniques. Même s’il est une création récente, les origines du drapeau Sicule datent de plusieurs siècles. Pál Antal Sándor explique comment ce drapeau est apparu : « La bannière a été instituée en 2004, sur l’initiative du Conseil national Sicule, d’après un projet imaginé par Konya Adam, muséographe de la ville de Sfântu Gheorghe. Ce drapeau s’inspire d’un étendard militaire de 1601, celui des fantassins de Moïse Secuiul, le seul prince transylvain d’origine sicule. Les couleurs jaune et bleu en ont été puisées dans les documents historiques, tandis que l’étoile à huit branches est une innovation récente. Jadis, on utilisait plutôt des étoiles à cinq ou six branches… La symbolique renvoie aux huit régions habitées par des Sicules, des contrées appelées aussi « chaises ». Le croissant de lune, lui, a la forme et la signification traditionnelles. »


    Bien que très anciens, les symboles nationaux des Sicules n’ont pas été constamment utilisés tels quels. Ils ont été adaptés aux différents contextes historiques, explique Pál Antal Sándor : « Au fil des siècles, les Sicules n’ayant pas d’origines hongroises ont été magyarisés vu notamment les missions militaires qu’ils devaient assumer ; ils bénéficiaient d’un statut particulier au sein de la communauté de souche hongroise. Les Sicules vivaient sur un territoire très bien délimité, mais durant la révolution de 1848, ils ont explicitement renoncé aux droits qui les différenciaient des autres Magyars, intégrant la nation hongroise. En octobre 1848, après le rassemblement national de Agyagfalva–Lutiţa,les assemblées des régions Sicules ont reconnu toutes les lois hongroises et ont déclaré leur appartenance à la nation hongroise unique. Depuis, au sein de la Hongrie, les Sicules n’ont plus utilisé de bannière spécifique. »


    Après 1918, lorsque s’est constituée la Grande Roumanie, les symboles Sicules ont été inclus sur les armoiries de la Transylvanie. Peu de monde est cependant au courant du fait que certains d’entre eux étaient identiques à ceux faisant partie des armoiries des Principautés roumaines médiévales. Pál Antal Sándor: « Moi, j’attends la réponse des historiens roumains à ce sujet. La question est de savoir quelle est l’origine de ces symboles. En tout cas, ils sont orientaux, turcs le plus probablement. Ils ont été utilisés par les populations d’origine turque et la Valachie a subi la domination des Coumans pendant 200 ans. Il est tout à fait normal que ces symboles soient également présents dans l’héraldique de la Valachie. De telles influences existent probablement aussi dans le cas de la Moldavie. Ce n’est pas une affirmation de ma part, c’est une question que je pose. Le croissant de lune apparaît partout, mais il est possible que nous rencontrions une étoile à la place du Soleil. »


    Les Sicules sont une minorité à forte conscience ethnique, qu’ils entendent conserver. Ils investissent donc leurs symboles nationaux de la même importance que d’autres communautés ethniques et nations attribuent à leurs propres symboles. (trad. : Ileana Taroi, Alexandru Diaconescu, Andrei Popov)

  • Smaranda Brăescu, première femme parachutiste et première femme pilote de Roumanie

    Smaranda Brăescu, première femme parachutiste et première femme pilote de Roumanie


    L’aéronautique a été un domaine très à la mode dans la Roumanie des années 1920 — 1940. Ce fut une période d’effervescente émulation parmi les jeunes qui s’engageaient dans tout ce que ce domaine supposait : aéroclubs, programmes, entraînements, concours. Certains ont obtenu des performances notables et se battaient d’égal à égal avec les grands compétiteurs de pays à tradition dans le domaine.


    Un des grands noms de l’aéronautique roumaine est celui de Smaranda Braescu. Elle fut une présence assez inattendue parmi les pilotes et parachutistes roumains non seulement parce qu’elle était femme, mais aussi parce qu’elle ne provenait pas des couches supérieures de la société roumaine de l’époque.


    Smaranda Braescu a été la première femme pilote, parachutiste et instructrice de pilotes de combat de Roumanie. Avec son caractère fort elle a suivi sa passion avec une ténacité extraordinaire. Elle a été championne européenne au parachutisme en 1931, à 34 ans, lorsqu’elle a sauté de l’altitude de 6 mille mètres pour établir un record européen, et championne mondiale en 1932, à Sacramento, aux Etats-Unis, avec un saut réalisé à l’altitude de 7400 mètres. Ce fut un record du monde imbattable pendant pas moins de 20 ans. Elle fut décorée de l’ordre de la Vertu aéronautique, classe croix d’or.


    La ténacité avec laquelle Smaranda Braescu a pratiqué son hobby est assez surprenante si on prend en compte le fait qu’elle avait étudié les Beaux arts à Bucarest, à la section art décoratif et poterie. Ce qui plus est, pendant la guerre, Smaranda a servi dans la fameuse « escadrille blanche » formée d’avions sanitaires, active sur le front est jusqu’à la steppe kalmouke, au delà de Stalingrad, et puis d’ouest en Transylvanie, Hongrie et Tchécoslovaquie. Aux côtés de 11 personnalités, elle a signé un mémorandum qui condamnait la falsification des élections de novembre 1946. Poursuivie par les autorités communistes, Smaranda Braescu a disparu. Il paraît qu’elle a trouvé refuge dans un couvent, où les religieuses l’ont ensevelie sous un faux nom après son décès le 2 février 1948, à seulement 51 ans.


    Ana Maria Sireteanu est l’arrière petite-fille de la grande championne roumaine. Elle se souvient de la force du caractère de Smaranda Braescu, que même un accident très grave n’avait pas pu briser : « Après un saut à Satu Mare, elle fut traînée par le parachute et s’est blessée aux jambes. Ceci pourrait être un indice pour ceux qui découvriront sa dépouille. Les effets de ce grave accident aux jambes seraient toujours visibles. Elle a passé 5 mois dans un hôpital où un médecin providentiel l’a opérée. Après sept mois de plus, une personne qui avait subi un accident si grave a obtenu deux records, l’un européen et l’autre mondial, en 1931 et respectivement en 1932. Ces exploits prouvent la motivation et le désir acharné de produire des performances pour son pays. »


    Les historiens découvrent des détails sur les personnalités de l’histoire en étudiant des sources écrites. Parmi elles figurent aussi les journaux personnels. Celui de Smaranda Braescu indique le fait qu’elle avait une personnalité forte. Ana Maria Sireteanu: « Dans les notes personnelles qu’elle ne voulait pas faire publier pendant sa vie, on apprend que Smaranda Braescu avait une personnalité passionnelle. Souvent elle évoque des mots pas vraiment polis au sujet de personnalités de l’aéronautique roumaine qui la chicanaient. Ceux-ci ne lui ont pas délivré de laissez passer, elle devait attendre beaucoup de temps avant les audiences où elle avait été invitée. Ses collaborations et son activité à l’Association roumaine de parachutisme et d’aéronautique et notamment le côté propagation de l’aéronautique sont moins connues. Cette partie de son activité a été très intense, puisque Smaranda Braescu était très populaire et très aimée par tous les Roumains et non seulement pas ses camarades de l’aviation. A l’époque le grand public soutenait avec enthousiasme l’aéronautique roumaine. »


    Ana Maria Sireteanu se souvient aussi du célèbre épisode où Smaranda a volé son avion qu’elle avait tant attendu : « Fabriqué en Angleterre en 1935, Milles Hawk était un avion léger et très performant pour cette époque-là, le bois y étant prédominant. La carlingue était bien évidemment ouverte et Smaranda ressemblait à une reine lorsqu’elle pilotait cet appareil qui lui offrait une très bonne visibilité. Smaranda avait acquitté l’avion, grâce à une loi émise par le Secrétariat d’Etat et les autorités de l’époque: ceux qui se montraient performants se voyaient accorder un bonus représentant la moitié du prix d’un avion. Le reste de l’argent était obtenu suite à une donation publique, réalisée par le quotidien Universul, qui a mis en place une campagne. Elle a commandé l’avion, qui était presque achevé, mais les responsable de la société ne voulaient pas le lui remettre, faute d’argent pour le carburant, arguaient-ils. Smaranda les a d’ailleurs très mal notés dans son journal. Face à cette situation, Smaranda Braescu a volé l’avion et quitté l’Angleterre, en traversant la Manche et défiant le brouillard pour finalement atterrir en France, où l’histoire a fait couler beaucoup d’encre dans la presse. Le colonel Andrei Popovici, secrétaire au Club aéronautique roumain, a présenté ses excuses mais il n’a cessé de lui créer des ennuis, comme par exemple, il refusa de lui donner le permis de traverser les pays européens. »


    Smaranda Braescu avait obtenu son brevet de pilote aux Etats-Unis en 1932, sur Roosevelt Field, soit l’aéroport d’où avait décollé Charles Lindbergh pour son vol transatlantique. Elle s’est finalement vu délivrer le permis par le Club aéronautique français. (trad.: Alexandra Pop, Alex Diaconescu)

  • 1.La première attestation de Suceava.2. L’abolition de l’esclavage en Valachie

    1.La première attestation de Suceava.2. L’abolition de l’esclavage en Valachie


    La première attestation de Suceava, capitale de la principauté roumaine de Moldavie au XIV- siècle


    La ville de Suceava est un des plus anciens habitats urbains de la Moldavie médiévale. Rappelons que la Moldavie, grande région qui couvre l’Est du pays, est une des 3 principautés historiques roumaines et Suceava fut sa première capitale.


    L’apparition de cette ville est liée à la fondation de l’Etat médiéval de Moldavie. Vers la moitié du 14e siècle, un groupe de Roumains du Maramures, contrée de l’extrême nord de la Roumanie actuelle, dirigés par un chef local appelé Dragoş, étaient chargés par le roi Louis Ier de Hongrie de protéger ce territoire-tampon qu’était la Moldavie contre les Tatars, qui la menaçaient à l’Est.


    Après la consolidation de l’Etat de Moldavie, pendant le dernier quart du 14e siècle, Suceava allait être, pendant deux cents ans, une résidence princière.


    Quelle est l’étymologie du nom de cette ville? Les spécialistes ont formulé deux hypothèses:


    Selon la première, il paraît qu’au 17 siècle, des pelletiers hongrois se seraient installés à Suceava. Or, en hongrois, le nom qui désigne le manteau de fourrure est szücs. C’est donc ce mot magyar qui se trouverait à l’origine du nom de Suceava, dérivé de szücs auquel on avait ajouté le suffixe roumain –eavă. On suppose que la nouvelle vocable signifiait pelleterie”


    Selon la deuxième hypothèse – moins plausible — le nom de la ville de Suceava serait un dérivé du mot soc” — sureau, à l’aide du suffixe slave -va”, ce qui aurait donné un mot signifiant forêt de sureaux”.


    A part son nom, nous avons conservé de l’habitat médiéval de Suceava les deux cités entre lesquelles il s’est développée. La première est située au nord-ouest de la ville, au sommet d’une colline de 384 mètres d’altitude — et à 80 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle faisait partie du système de fortifications construit par le prince régnant Petru Ier à la fin du 14e siècle. Au début du 15e siècle, pendant le règne du voïvode Alexandru cel Bun — Alexandre le Bon — cette cité a été abandonnée. A présent elle est en ruine. Elle figure, en tant que site archéologique, sur la liste des monuments historiques du comté de Suceava.


    La deuxième cité — qui est la cité princière de Suceava — se trouve dans l’est de la ville, sur un plateau situé à 70 mètres d’altitude. Construite, elle aussi, par le voïvode Petru Ier, agrandie par ses descendants et renforcée par le prince régnant Etienne le Grand, elle fut détruite en 1675. Tout comme l’autre cité, elle est actuellement en ruine et figure sur la même liste des monuments historiques du comté.


    La cité médiévale de Suceava était multiethnique, habitée, par des Roumains, des Allemands, des Hongrois et des Arméniens. Son économie était fondée sur le commerce.


    Pendant le règne d’Alexandru Lăpuşneanu, vers la moitié du 16e siècle, la capitale de la Moldavie allait être transférée à Iaşi, mais Suceava allait servir de résidence à d’autres princes régnants moldaves jusqu’au début du 17e siècle.


    2. L’abolition de l’esclavage dans la Province historique de Valachie


    Dans les principautés roumaines, la révolution de 1848 compte parmi les repères de la modernité. Fruits des échanges de plus en plus intenses avec l’Occident et de la sortie de sous l’influence pluriséculaire des Ottomans, les Roumains, tout comme les autres nations d’Europe centrale et orientale, cherchaient leur propre chemin pour arriver au développement économique et culturel. Les révolutionnaires roumains ont été les promoteurs de la majorité des idéaux de modernisation, vecteurs de l’émancipation sociale, politique et économique. La nouvelle société se proposait de libérer l’homme de son asservissement et de stimuler sa créativité. Sur cette toile de fond, l’esclavage semblait être l’héritage le plus rétrograde du passé. A l’époque, la servitude économique existait toujours dans l’espace roumain. Mais hormis certaines catégories de paysans, il y avait aussi un asservissement racial, beaucoup plus dur, appliqué aux Roms. C’était en fait une forme d’esclavage puisque les tziganes n’étaient pas libres, mais appartenaient à un propriétaire.


    L’origine de l’esclavage de cette population se perd dans la nuit des temps. A commencer par le 13e siècle, les tribus de roms nomades du nord-ouest de l’Inde ont été rattachées aux armées mongoles et amenées dans des campagnes militaires en tant qu’auxiliaires. Dans les principautés roumaines, les esclaves tziganes étaient divisés en trois catégories, selon leurs propriétaires : l’Etat, l’Eglise et les particuliers. L’esclavage a été une institution bien réglementée dans la société médiévale et moderne roumaine. Les lois stipulaient clairement quelles étaient les droits ou mieux dire l’absence de droits et à quel traitement il pouvait être soumis. Le grand obstacle que les libéraux roumains ont dû surmonter a été l’opposition des propriétaires de tziganes de les libérer de leur statut humiliant, inhumain. Pour les abolitionnistes, l’esclavage était une pratique inacceptable dans la société moderne qui allait être édifiée. L’idée de l’abolition a difficilement pénétré la société, puisque les premières demandes datent de 1837 — 1838. Peu à peu, à la veille de la révolution de 1848, elle est devenue de plus en plus populaire. Vu que les arguments humanitaires en faveur de l’abolition de l’esclavage ont eu peu de succès, les abolitionnistes roumains ont décidé d’analyser l’efficacité économique de l’esclavage.


    Mihail Kogălniceanu et Ion Cîmpineanu, ce dernier étant le premier boyard roumain a libérer ses esclaves roms en 1837, ont mené des campagnes abolitionnistes acharnées dans la presse et, dans leurs interventions publiques, ils insistaient sur le manque de rentabilité de l’esclavage. Entretenir une armée d’esclaves était une affaire trop coûteuse et ne justifiait pas les bénéfices provenant du travail apparemment gratuit de ces personnes. Après 1850, les boyards propriétaires d’esclaves ont finalement compris la nécessite économique de l’abolition de l’esclavage. Le 8 février 1856, le prince valaque Barbu Stirbey signait la loi qui libérait de l’esclavage 250 mille personnes, soit 7% de la population du pays. ( trad.: Dominique, Alex Diaconescu)

  • Les opérations de la Securitate avec des devises

    Les opérations de la Securitate avec des devises


    En dépit de sa rhétorique emphatique, de supériorité par rapport au régime capitaliste, le régime communiste a été, pendant toute son histoire, dépendant du premier. Les économies communistes ont cherché à tirer un profit maximal des relations avec le monde capitaliste, alors qu’elles n’obtenaient même pas la moitié des performances économiques de celui-ci. La faim de devises a été une constante de tous les pays communistes, la Roumanie n’étant pas une exception. Vu que l’économie socialiste ne pouvait pas satisfaire le besoin en ressources, le régime communiste de Bucarest a mis au point un appareil de répression, à savoir la Securitate, avec la mission de produire de l’argent.


    La plupart des opérations de la Securitate avec des devises restent un mystère pour la majorité des Roumains d’aujourd’hui. C’est pourquoi les recherches de l’historien Florin Banu dans les archives du Conseil national pour l’étude des archives de la Securitate (CNSAS) est un début dans cette page d’histoire des services secrets roumains des années du communisme : « Le problème de certaines opérations en devises a commencé à se poser pour la Securitate dans les années 1950. Dans les premières années après sa création, elle a dû faire face aux difficultés inhérentes à tout service de renseignements, et d’autant plus à une police politique comme c’était son cas. Le besoin de devises n’était pas si important, étant donné la rupture des relations commerciales avec l’Occident. A partir de la moitié des années ’50, avec l’ouverture vers l’Occident, suite à la reprise des rapports avec la France et par la suite avec l’Allemagne, avec le Royaume Uni, le problème des devises s’est posé aussi. Au début, les devises étaient obtenues par la récupération des héritages des citoyens roumains établis en Occident. Tous ces héritages devaient être ramenés au pays et des démarches étaient faites en ce sens. Ce n’étaient pas des opérations de grande ampleur, mais des opérations occasionnelles. Vers la fin des années ’50, la possibilité est apparue d’obtenir des devises par l’intermédiaire des canaux confidentiels de la Securitate, en échange de la délivrance de certains visas d’émigration. Une partie de la communauté juive et une partie de la minorité allemande ont estimé que leur avenir en Roumanie était plutôt incertain et sombre et ont fait le choix d’émigrer ».


    Les devises comptaient parmi les plus précieux objectifs du régime, c’est pourquoi les autorités le traitaient avec beaucoup d’attention. Florian Banu : « L’Etat roumain possédait le monopole de toutes les sommes en devises qui étaient considérées comme propriété de l’Etat et que celui-ci devait encaisser. Les autorités ont élaboré une législation très stricte à ce sujet, et l’argent que la Securitate obtenait était déposé à la banque d’Etat de la République populaire roumaine, dans un compte spécial, dont l’évidence était très stricte. Le 31 juillet 1965, celui-ci contenait 6.857.000 dollars. La collecte de ces sommes d’argent se faisait sous une surveillance stricte. Les officiers qui collectaient effectivement l’argent, puisque pendant un certain temps, les paiements se faisaient en liquide, portaient des microphones, les conversations étaient enregistrées et la possibilité qu’ils s’approprient une partie de cet argent était beaucoup diminuée. La Securitate pouvait utiliser 20% de cet argent dans les opérations qu’elle déroulait, par pour payer ses informateurs à l’extérieur et pour acheter des équipements occidentaux. Une petite partie de cet argent a été utilisé pour l’achat de fusils de chasse pour certains apparatchiks, plus importants. »


    Pendant le régime de Nicolae Ceausescu, entre 1965 et 1989, la Securitate a constamment cherché de nouvelles modalités d’obtenir des devises : « La nouveauté c’est qu’à partir des années 1970, les transferts bancaires sont de plus en plus utilisés au détriment du liquide, même si cette pratique a continué aussi dans les années ’80. La tâche de dérouler ce genre d’opérations avait été confiée aux officiers de la 1ère de Direction de renseignements étrangers. Après 1978, lorsque l’entier système d’espionnage de la Roumanie a été reconfiguré suite à la défection du général Ion Pacepa, l’adjoint du contre-espionnage roumain, les choses changent. La Securitate constitue une unité chargée exclusivement de la mission d’obtenir des devises. Une intensification de ces opérations a eu lieu à la fin des années 1970 en raison du besoin accru ressenti par le régime communiste en raison de son endettement extérieur. C’est dans les années 70 qu’ont eu lieu les chocs pétroliers, dont le premier en 1973 et le deuxième en 1979 — 1980. Le développement excessif de l’industrie chimique et la perte de certains marchés extérieurs, ainsi que l’augmentation sensible des taux d’intérêts aux dettes souveraines ont mis une pression immense sur l’Etat roumain. »


    L’historien Florian Banu donne un exemple révélateur sur la manière dont la Securitate a réussi a récupérer une partie de cet argent : « Les officiers ont reçu des indications claires sur les types d’opérations de change agrées. Par exemple, la récupération de sommes d’argent en devises à partir des commissions confidentielles approuvées et versées par les autorités roumaines aux étrangers qui avaient favorisé la conclusion de contrats avantageux pour la partie roumaine. Quelle était le mécanisme ? L’Etat roumain contractait l’exportation de tracteurs vers l’Iran. Afin de gagner l’appel d’offres de l’Etat iranien, l’Etat roumain offrait une commission à un haut dignitaire iranien. Après la signature du contrat et le début de sa mise en application, les officiers de la Securitate contactaient le dignitaire en question. Ils invoquaient des dépenses supplémentaires comme l’embarquement et la préparation pour l’exportation. Bref, on lui disait qu’une partie de cet argent devait être remboursé. Et les dignitaires cédaient. Si le haut dignitaire avait reçu un pot-de-vin de, mettons, 10 % du contrat, les officiers de la Securitate lui disaient qu’il devait restituer 5%. Et eux, ils récupéraient cet argent pour le transférer ensuite en Roumanie. »


    Les opérations de change de la Securitate n’ont pas réussi à arrêter la dégringolade du système communiste. Elles ont contribué à la formation de personnes qui après 1989 se sont transformés en hommes d’affaires. (trad. : Ligia Mihaiescu, Alex Diaconescu)

  • Le sel dans l’espace préhistorique roumain

    Le sel dans l’espace préhistorique roumain


    Le bassin des Carpates et la zone à l’extérieur de cette chaîne montagneuse constituent la plus grande réserve de sel d’Europe. Les archéologues ont mis en évidence des traces préhistoriques de routes du sel reliant cet espace aux régions de l’ouest et du sud du continent, ce qui semble confirmer la théorie d’une première identité européenne forgée autour du commerce du sel. Dans la Rome impériale, une « via salaria » était le chemin emprunté par tous ceux qui approvisionnaient la ville en sel.


    D’autres théories considèrent que l’expansion romaine dans la Dacie antique et la conquête de celle-ci ont eu non seulement des raisons politiques, mais aussi économiques, de contrôle des ressources. Les Romains avaient cherché un accès plus facile aux filons d’or et aux gisements de sel. Bucarest garde aussi une preuve, bien que médiévale, de l’importance du sel pour l’économie roumaine, puisque la capitale a une rue appelée « Drumul Sării » (la Route du sel).


    Peu de ce qui nous entoure aujourd’hui s’appuie sur une existence ininterrompue, commencée pendant la préhistoire, comme c’est le cas du sel. Ce que nous désignons du nom de « préhistoire » est lié à la culture matérielle et spirituelle de l’humanité, depuis l’apparition de l’homme jusqu’à la fondation des premières cités et l’invention de l’écriture, et couvre, grosso modo, environ 5 millions d’années. L’espace carpatique a été la principale source de sel de l’homme européen ; le professeur Carol Căpiţă, qui enseigne la préhistoire à la Faculté d’histoire de l’Université de Bucarest, nous parlera de l’importance du sel pour les communautés humaines de la préhistoire. « Le sel est un élément essentiel pour la plupart des organismes vivants, un élément indispensable pour les processus d’électrolyse qui assurent leur fonctionnement. Qu’il s’agisse de processus d’oxydation ou de réduction, le sel assure l’état de santé des organismes. Il est également fondamental pour l’existence des communautés de l’espace roumain, mais aussi de l’espace des Pays-Bas ou de l’espace français, par exemple . Nous avons des arguments archéologiques très solides pour l’exploitation du sel, dès l’an 10.000 avt. J.-Ch., où l’on exploitait des gisements de sel gemme parce qu’il y avait aussi une longue tradition de l’exploitation des roches dures. Ainsi, la technologie était-elle disponible aussi à ce niveau. Pour l’espace roumain, en Transylvanie, dans la zone de Covasna, mais aussi dans celle de Vâlcea en Valachie, nous avons des preuves de l’existence d’exploitations de sel gemme qui remontent à 1800 avt. J.-Ch.. Ce qui est très intéressant, c’est qu’il existe une association entre des cultures de l’époque du bronze, très riches et avancées, et l’existence de gisements de sel d’une importance plus ou moins grande. Le cas Sărata Monteoru est emblématique. C’est une culture qui s’étend loin en Europe Centrale et vers le sud du Danube. Nous avons aussi l’exemple de la zone de Vâlcea (sud), avec le site de Buridava, et l’on sait que cette zone a une densité d’habitations extraordinaire ».


    De l’arc carpatique, le sel partait vers deux directions : vers l’ouest et le nord-ouest et vers le sud et le sud-est. Carol Căpiţă : «S’il fallait considérer une carte et indiquer les emplacements des exploitations de sel par rapport aux centres de céramique – la forme la plus visible de témoignage archéologique — on constate que l’espace roumain approvisionnait en sel gemme deux aires fondamentales pour la cristallisation d’une culture européenne. D’une part, nous avons une direction de Transylvanie vers la Hongrie et la Slovaquie, et de là — plus loin vers l’espace allemand, un espace traditionnel qui manque de sel. Cela assurait l’importation de cuivre d’Europe centrale et constituait le fondement de cultures d’époque du bronze de Roumanie absolument spectaculaires, telles que Wittenberg. D’autre part, c’est toujours à base de céramique que l’on peut refaire les échanges avec l’espace sud-danubien, notamment en zone dalmate, dans les Balkans de l’ouest et même plus loin, vers la Thrace. Ce qui est intéressant, c’est aussi que ces directions de force de l’est vers l’ouest, du nord vers le sud sont aussi la ligne de pénétration des dernières vagues de migrateurs indo-européens, ceux qui mènent à la dernière étape de création de peuples indo-européens dans l’espace roumain. Des études très sérieuses viennent confirmer le fait que ces vagues migratoires indo – européennes étaient formées pour la plupart des bergers. Or, il y a une relation très serrée entre ces culturelles agropastorales et l’existence du sel gemme. Voici autant d’éléments qui nous poussent à croire que l’existence du sel en terre roumaine s’est avérée fondamentale pour la création d’un horizon culturel qui marque la fin de la préhistoire européenne. »


    Plus qu’un aliment, le sel fut considéré comme un des principaux éléments qui a contribué au rapprochement des individus appartenant à des communautés éloignées. Le professeur Carol Capita : « L’espace roumain n’est pas tellement central dans la genèse des peuples européens, surtout que l’histoire mentionne plusieurs noyaux d’ethno — genèse. Une chose reste pourtant certaine : plus que l’or, ce fut notamment le sel roumain qui a contribué à un processus de diffusion culturelle, à une propagation des traits communs des différentes culturelles européennes. Je dirais que le sel a contribué à la création d’un véritable couloir pour la circulation des idées, des objets, des personnes. Sans or, on peut toujours se débrouiller. Sans sel, jamais ! Quant au sel roumain, il a deux avantages : il se trouve en grande quantité et l’exploitation n’est pas difficile. Les gisements roumains ne supposent pas de travaux risqués ou en profondeur. Ce ne fut que plus tard, quand on commença à laver le sel, que l’on s’est heurté à des problèmes de relief, tels la formation de cavités dangereuses. L’exploitation du sel s’est pourtant faite pour un grand laps de temps dans des carrières. »


    Même à présent, au bout de quelques millions d’années, les réserves de sel de la Roumanie sont considérables…(trad.: Ligia Mihaiescu, Ioana Stancescu, Alex Diaconescu)

  • 1.Les relations roumano – polonaises à la fin du 14e siècle 2. La rébellion de la Garde de fer

    1.Les relations roumano – polonaises à la fin du 14e siècle 2. La rébellion de la Garde de fer


    Les chroniques de la seconde moitié du 14e siècle annonçaient déjà la présence dans l’Europe orientale du futur Empire Ottoman, celui qui allait devenir la plus grande puissance en cette partie du monde entre 1500 et 1900. Les nations chrétiennes des Balkans ont tenté à maintes reprises de tenir tête à l’armée ottomane, mais elles n’y sont parvenues que pour un bref laps de temps. Au moment où la frontière de l’empire islamique eut atteint le Danube à la fin du XIVe siècle, le prince valaque Mircea le Vieux (1386- 1418) chercha à faire alliance avec ses voisins pour arrêter l’expansion ottomane. Et puisque les rapports avec la Hongrie de Sigismond de Luxembourg (1387-1437) n’étaient pas des meilleures, Mircea se tourna vers la Pologne dirigée à l’époque par le roi Ladislas II Jagellon.



    Suite à la défaite de l’armée serbe à Kossovopolje en 1389, Mircea le Vieux se retrouva dans une position encore plus vulnérable. Grâce à Petru Muşat, prince de la Moldavie entre 1375 et 1391 et vassal du roi de Pologne, il demanda au roi polonais d’unir leurs forces pour lutter ensemble contre le roi de Hongrie et contre d’autres ennemis. Un document allait être conclu en ce sens le 20 décembre 1390, à Lublin, entre le roi polonais et les représentants du prince valaque. Malheureusement, les chroniques du temps préservées jusqu’à nos jours, telles la lettre adressée par Mircea le Vieux au roi polonais pour parachever l’entente – n’offrent pas trop de détails sur le document en question. Pourtant, on sait que la signature du traité de Lublin fut suivie d’une nouvelle alliance, cette fois-ci à trois, entre Mircea le Vieux, Ladislas II Jagellon et le roi hongrois, Sigismond de Luxembourg. Au terme de cet accord conclu le 17 mars 1930, les deux rois et le prince roumain s’engageaient à s’appuyer réciproquement dans leurs efforts de lutter contre les Ottomans.



    La décision du souverain hongrois de rejoindre l’alliance fut saluée par Mircea le Vieux qui savait que grâce à sa position, la Hongrie allait s’impliquer plus que la Pologne dans l’organisation des campagnes militaires anti-ottomanes. Et pourtant, cela n’a pas empêché le prince valaque de renouveler son alliance avec la Pologne en 1404, 1410 et 1411 pour mettre sa principauté à l’abri de l’expansion magyare. Cette alliance a d’ailleurs porté ses fruits durant la bataille de Grunwald le 15 juillet 1410, quand un contingent valaque et un autre moldave ont contribué à la victoire des Polono- Lituaniens contre la force teutonique.


    2. Dans les minutes suivantes, nous allons nous pencher sur ce que l’histoire roumaine retient dans ses chroniques comme « la rébellion de la Garde de Fer », nom pris par le parti fasciste de Roumanie. Du 21 au 23 janvier 1941, Bucarest fut le théâtre de la lutte pour le pouvoir entre le général Ion Antonescu et la Garde de Fer. Installé à la tête de l’Etat le 6 septembre 1940 suite à la crise du régime autoritaire du roi Carol II, le général Antonescu allait instaurer une véritable dictature d’inspiration hitlérienne. Elle allait continuer la politique raciste instaurée entre 1937 et 1938 par le règne de Carol et décida de la mise en place d’une commission dite de la « roumanisation » afin de pouvoir interdire aux Juifs de participer à l’économie du pays et confisquer le patrimoine des grands industriels, banquiers et commerçants juifs. Finalement, le durcissement des lois racistes et antisémites a fini par toucher toute la minorité juive de Roumanie. Le 4 décembre 1940, la Roumanie conclut un accord économique roumano-allemand sur dix ans qui allait renforcer le pacte pétrole-armement signé le 27 mai 1940 à l’époque du gouvernement de Gheorghe Tătărăscu.



    Pendant les 4 mois et demie de cohabitation, le général Antonescu et la Garde de Fer ont cherché à se tolérer réciproquement, en essayant de renforcer leurs positions au sein de l’Etat. Antonescu fait entrer dans son gouvernement plusieurs membres de la Garde auxquels il permet de s’infiltrer au sein des institutions ou même de créer leurs propres institutions, tandis que lui, il s’est réservé le droit de s’emparer des ministères clé du gouvernement et de contrôler les services de renseignements.





    En plus, le général Antonescu a accordé aux membres de la Garde de Fer la permission de se venger contre les dignitaires qui les avaient persécutés dans les années 1930. 64 d’entre eux allaient trouver la mort dans la prison de Jilava, dans la nuit du 26 au 27 novembre 1940. Pourtant, les divergences entre Antonescu et les légionnaires, membres de la Garde de Fer, n’allaient pas tarder à se faire jour. Appuyé par le roi Michel Ier et par l’armée, Antonescu allait gagner aussi le soutien d’Hitler qu’il rencontre en Allemagne le 14 janvier 1941.



    Lors de cette rencontre, Antonescu promet à Hitler la coopération de la Roumanie dans un futur conflit avec lUnion soviétique, et obtient laccord tacite dHitler pour éliminer ses opposants dans le mouvement légionnaire. Finalement, le général passe à l’attaque et décide de restreindre les actions de la Garde de Fer, en chassant plusieurs de ces responsables dont le ministre des Affaires Intérieures, Constantin Petrovicescu. Ce fut là une des décisions qui serviront détincelle pour déclencher le coup dEtat organisé par la Garde de fer.



    Les légionnaires refusent de se soumettre au général Antonescu qu’ils tentent d’arrêter pour s’installer à la tête de l’Etat. Du 21 au 23 janvier 1941, la capitale roumaine, Bucarest, fut le théâtre de combats entre l’armée et les membres de la Garde de Fer. Larmée roumaine va se défendre pendant deux jours, et essaye dassiéger les places fortes des légionnaires, mais ne lance aucune attaque leur laissant même parfois les mains libres.



    Pour légitimer leur rébellion, les légionnaires lui attachent un caractère antisémite. 125 Juifs allaient être torturés et assassinés pendant le pogrom de Bucarest. Quand Antonescu pense que le moment est le plus approprié, il ordonne de mater la rébellion. Larmée la réprime en quelques heures, sans grande difficulté. Quelque 8000 membres de la Garde de Fer ont été arrêtés, jugés et condamnés et leur mouvement a été chassé du pouvoir. Les leaders des légionnaires qui y ont échappé se sont réfugiés en Allemagne qui a profité de leur présence pour menacer le général Antonescu… (trad.: Ioana Stancescu)

  • Iuliu Maniu, le gentleman de la démocratie roumaine

    Iuliu Maniu, le gentleman de la démocratie roumaine


    Quand ils prononcent le mot « politique », la plupart des Roumains deviennent suspicieux. Pour eux, la politique telle quelle se présente aujourdhui est synonyme de corruption, darrogance, darrivisme, quelques-uns des pires traits de caractère de nous autres humains. Seulement, voilà, les exceptions sont là pour confirmer la règle ; cest le cas de Iuliu Maniu qui vient infirmer la majorité de nos préjugés.


    Iuliu Maniu est né en 1873 dans le nord-ouest du territoire actuel de la Roumanie, dun père avocat et dune mère qui était la fille dun prêtre uniate (grécà-catholique). Il suit lexemple de son père et choisit une carrière davocat, soutenant sa thèse de doctorat en 1896, à lUniversité de Vienne, capitale de lempire austro-hongrois. Le jeune Maniu entre en politique et adhère au Parti national roumain de Transylvanie, à lépoque sous la domination de lAutriche-Hongrie.


    En 1906, il est élu député au parlement de Budapest ; en 1915, il est mobilisé dans larmée austro-hongroise qui combat sur le front italien et en 1918, à la fin de la Grande guerre, Iuliu Maniu et plusieurs autres leaders des Roumains de Transylvanie décident de lunion de cette province historique avec le Royaume de Roumanie. En 1926, Maniu et Ion Mihalache fondent le Parti national paysan, un des partis politiques les plus importants de lentre-deux-guerres en Roumanie.


    Entre 1918 et 1945, Iuliu Maniu occupe trois fois le fauteuil de premier ministre. Démocrate convaincu, il refuse de collaborer avec la dictature fasciste et surtout avec celle communiste. Jeté en prison en 1947, lorsquil avait déjà 75 ans, Iuliu Maniu meurt le 5 février 1953, à cause des mauvais traitements appliqués aux détenus dans la geôle de Sighet.


    Incorruptible, charismatique, tenace, Maniu a vraiment été lhomme dont les Roumains avaient besoin pour traverser les moments difficiles de leur histoire de la première moitié du 20e siècle. Tous ceux qui lont connu se souviennent de lui comme dun modèle à suivre en politique et dans la vie courante. Parmi les innombrables témoignages, nous en avons choisi deux, archivés au Centre dhistoire orale de la Radio publique roumaine. En 2000, Ioana Berindei, fille de Ioan Hudiţă, un des ténors du Parti national paysan, se souvenait de celui quelle appelait « Monsieur Iuliu Maniu » comme dune personne exceptionnellement généreuse et modeste : « Maniu était dune modestie rare ! Cétait quelquun de très gentil, avec une voix très douce. Je me souviens quun jour il est venu déjeuner chez nous et ma sœur et moi lavons accueilli ; “bonjour, mes chères demoiselles”, nous a-t-il saluées. Moi, jai remarqué une tache sur le col de sa veste et je lui ai demandé de me permettre de la nettoyer. “Aïe, quelle honte !”, sest-il exclamé. Alors je lui dis que cela peut arriver et quil me laisse enlever la tache pour pas quil lemporte aussi ailleurs. M. Maniu était très malade à lépoque, il se laissait pratiquement choir sur la chaise. Ses genoux lui faisaient mal et il avait des difficultés à marcher, mais je ne lai jamais vu nerveux ou irrité par quoi que ce soit. Il était dun calme reposant. En tant quhomme politique, il était intransigeant. Cest ce que mon père aimait chez lui, dailleurs. Il ne cédait jamais ! Les mauvaises langues disaient qu’il avait du mal à se décider. Mais ce sont des méchancetés faciles, tous les hommes politiques ont des ennemis, personne nest parfait ni ne peut vivre sans avoir des opposants. Mais pour M. Maniu, je vous dis que je ne lui ai pas trouvé de failles, et je ne dis pas ça parce que mon père laimait bien, ni parce que moi je lai connu. Il sest opposé de toutes ses forces au roi Carol II. Maniu a été déçu par le roi dont il a vu toutes les erreurs. »


    Sergiu Macarie, militant de la jeunesse nationale paysanne, racontait en 2000 que lentrée des Soviétiques en Roumanie à la fin de la seconde guerre mondiale a été un signal dalarme pour la société roumaine qui sest mobilisée contre ces ennemis. Malgré son âge et sa maladie, Iuliu Maniu na pas hésité à sy impliquer activement : « Il ne passait pas deux-trois jours sans un accrochage avec les bandes communistes. Il y avait des réunions plus importantes et on savait tout de suite que ceux-là allaient venir. Nous nous rassemblions tous sur la Place du Palais et acclamions le roi, et puis le roi sortait au balcon et nos ovations faisaient résonner la grande place.Et à chaque fois, des véhicules transportant des ouvriers armés de matraques faisaient leur apparition. Le 15 mai 1947, par exemple, cétait lanniversaire des 98 ans depuis le discours d’affirmation nationale de Simion Bărnuţiu, au Champ de la Liberté de Blaj, en Transylvanie, et Maniu sest joint à nous. A la fin, on a vu de ces véhicules. On a peiné pour évacuer le président du parti de là. »


    Iuliu Maniu a été un symbole de la démocratie. Entre 1944 et 1947, le poids de son nom a attiré les espoirs des Roumains et la considération des Occidentaux qui lont tenu pour leur plus important partenaire de dialogue. Son intransigeance lui a coûté la vie, mais son sacrifice la transformé en un repère de la politique roumaine du 20e siècle. (trad. : Ileana Taroi)