Category: Pro Memoria

  • La crémation en Roumanie

    La crémation en Roumanie

    La technique funéraire de la crémation compte parmi les idées les plus novatrices qui se sont propagées dans la très conservatrice société roumaine de la fin du 19e siècle. Comme toute nouveauté, l’incinération a été soutenue notamment par les intellectuels, sans pour autant réussir à faire des adeptes au sein de la majorité de la société, ni même parmi les élites traditionalistes. Pourtant, au fil du temps, cette technique funéraire allait être encouragée et utilisée pour des raisons d’hygiène publique, avant d’être adoptée en tant que variante plus pratique à l’inhumation.



    L’incinération fait introduire dans le vocabulaire de la langue roumaine des termes nouveaux tels cremaţiune şi cremaţionist, crémation et crématiste. L’écrivain, poète et théologien Nechifor Crainic, un des adversaires de la crémation pendant l’entre deux guerres invente le mot péjoratif de « cenusar », que l’on peut traduire par « cendrier ».



    L’historien Marius Rotar, président de l’Association crématiste roumaine, évoque les débuts de cette technique funéraire dans l’espace roumain : « Cela a commencé dans la deuxième moitié du 19e siècle. Evidemment c’était un modèle occidental importé en Roumanie. Ses partisans étaient les membres d’une élite. Il s’agissait notamment de médecins, qui soutenaient la crémation pour des raisons pratiques. Parmi eux figuraient des célébrités de l’époque, dont le plus connu aujourd’hui est Constanti I Istrati. Dans sa thèse de doctorat de 1976, « L’élimination des cadavres », il soutient ouvertement l’idée de l’incinération. Il sera ministre à plusieurs reprises, maire de Bucarest et même président de l’Académie roumaine. Ses convictions ont été respectées et il fut incinéré en 1918 au crématorium Père Lachaise de Paris. Le directeur du Théâtre national de Iasi, Mihail Codreanu, et le professeur des universités Constantin Tiron, également de Iasi, ont eux-aussi compté parmi les partisans de la crémation. Néanmoins, il existe toute une série de différences entre le reste du pays et la Transylvanie, puisque cet espace s’est montré plutôt critique à l’égard de la crémation. Ce qui est aussi très intéressant c’est le fait que l’Eglise orthodoxe roumaine n’a pas réagi de manière trop critique avant la première guerre mondiale. Seule une série d’articles sur l’incinération apparaissent en 1900 dans la « Revue théologique » et dans la publication « L’église orthodoxe roumaine ». Avant 1914, la crémation était une pratique venue de l’extérieur et, en plus, aucun crématorium n’existait en Roumanie. »



    La construction du crématorium humain « Cenusa » « Les Cendres », à Bucarest, en 1928, a entraîné la croissance du nombre des crématistes. De l’avis de Marius Rotar, ceux qui optaient pour cette technique n’étaient pas uniquement des athées ou des anti-chrétienns : « Ce qui est intéressant c’est le fait qu’en Roumanie, les partisans de la crémation n’affirmaient pas être athées, libre-penseurs ou opposants du christianisme, à l’exception de Constantin Tiron, de Iasi. Les crématistes roumains étaient des idéalistes et ne s’imaginaient pas qu’après la Grande Guerre l’Eglise orthodoxe roumaine allait réagir avec autant de véhémence. Pendant l’entre deux guerres, le profil du crématiste roumain demeure inchangé, à l’exception du fait que la technique n’est plus l’apanage des élites, étant adoptée aussi par les classes sociales inférieures. »



    A quelles difficultés les crématistes de Roumanie étaient-ils confrontés ? Réponse avec Marius Rotar. « C’étaient tout d’abord des difficultés financières. Le crématorium « Les Cendres » et l’idée de l’incinération ne seraient jamais devenus réalité s’il n’y avait pas eu l’appui direct de la Municipalité de Bucarest. Au moins cinq maires de la capitale ont soutenu cette idée. Le plus connu d’entre eux, Ion Costinescu, était aussi président de la Société « La Cendre ». Il allait même devenir ministre de la santé. L ’idée de départ était celle d’incinérer les cadavres des personnes décédées non revendiquées, surtout des clochards, des marginaux. Des enfants aussi ont été incinérés, chose mentionnée dans la revue « La Flamme sacrée » et dans les registres du crématorium « Les Cendres ». »



    C’est toujours Marius Rotar qui nous apprend ce qui s’est passé après la deuxième guerre mondiale : « Après 1945, le mouvement crématiste de Roumanie reçoit un coup dur, car sa revue Flacăra Sacră, « La Flamme sacrée », cesse de paraître. La crémation ne semble pas gagner davantage d’adeptes. Les chiffres varient de 248 incinérations, en 1928, à 552, en 1947. Cela fait quand même un faible pourcentage, soit 0 et quelque pour cent, et ce tant pour la période de l’entre-deux-guerres qu’au lendemain de la seconde conflagration mondiale. L’avènement du communisme en Roumanie a lui aussi contribué à faire baisser le nombre des incinérations. En 1953, par exemple, on recensait 260 incinérations. L’idée selon laquelle les communistes auraient soutenu la crémation n’est pas confirmée par les statistiques. C’est à peine dans les années ’70 que la crémation commence à gagner du terrain, pour atteindre son pic dix ans plus tard. Pourtant, à cette époque précise, le phénomène est à mettre plutôt sur le compte d’une croissance de la population de Bucarest. »



    Sur la liste des Roumains qui ont choisi l’incinération comme alternative à l’inhumation on retrouve aussi des noms célèbres, dont l’historien des religions Mircea Eliade, son disciple Ioan Petru Culianu, le critique littéraire Matei Călinescu, le journaliste Felix Aderca, l’historien Adolf Armbruster, la chanteuse Doina Badea, la comédienne Clody Bertola, le politologue Silviu Brucan, le linguiste Theodor Capidan, le réalisateur Sergiu Nicolaescu.



    La crémation continue d’être une pratique controversée et peu répandue, vu qu’elle relève strictement des convictions et des choix personnels…(trad. : Mariana Tudose, Alex Diaconescu)


  • La Maison du Peuple – un territoire non cartographié

    La Maison du Peuple – un territoire non cartographié

    Le Palais du Parlement de Bucarest demeurera certainement, pour beaucoup de temps encore, la construction la plus étrange de la capitale roumaine. S’élevant jusqu’à 84 mètres de haut, il est en soi un vrai spectacle. Ce bâtiment est, avant tout, le symbole du totalitarisme communiste, emblème d’une ville défigurée, il témoigne d’un goût douteux, affichant son inutilité et posant le dilemme d’une destination appropriée. Il est aussi un espace inconnu, un territoire encore non cartographié, bien que produit d’un régime qui contrôlait et savait tout.



    La Maison de la République Socialiste de Roumanie fut le premier nom donné à ce bâtiment pharaonique érigé au centre de Bucarest et qui devait marquer «la nouvelle époque d’essor de la Roumanie, sans précédent dans son histoire».



    Son projet fut conçu par une équipe de jeunes architectes coordonnée par Anca Petrescu. On a beaucoup parlé de cette construction, après la chute du communisme en 1989, et on croyait que l’on savait tout sur elle. Eh bien, on se trompait. De nombreuses histoires et légendes urbaines circulent sur ce bâtiment et sur Nicolae Ceauşescu, auquel il doit son existence. Augustin Ioan est professeur à l’Université d’Architecture et d’Urbanisme ”Ion Mincu” de Bucarest. Encore étudiant dans les années ‚80, lorsque ce bâtiment fut construit, notre invité connaît certaines sources de ces histoires sur le Palais du Parlement. « Une des sources était l’ancien recteur de l’Institut d’architecture, Cornel Dumitrescu, qui, après la mort de l’architecte personnel de Ceauşescu, Cezar Lăzărescu, l’a remplacé précisément durant cette période de construction de la fameuse Maison du Peuple. Dumitrescu était un habitué du Club A, le club de l’Institut, où les discussions sortait souvent des limites du discours public. Arrivé là, il buvait une bouteille de whiskey — pour pouvoir dire après qu’il était ivre quant il a parlé — et après il racontait ses rencontres avec Ceauşescu. Certaines d’entre elles étaient formidables, pourtant, on peut se demander combien vrai était ce qu’il racontait après une bouteille de whisky? On a parlé des dessins faits par Ceauşescu lui-même, pourtant personne ne les a vus. Un des architectes qui ont fait les projets de la Salle du Palais affirmait avoir assisté à la création d’un tel dessin. Ceauşescu aurait demandé que tous les boulevards soient rectilignes, « tracés au compas ». C’était une compréhension un peu spéciale de la notion de « ligne droite », qui devait, selon lui, être dessinée au compas. Entre autres — et ce n’est plus une légende urbaine — on sait qu’il ne comprenait pas du tout comment un bâtiment était construit. Toutes les modifications opérées suite à ses visites sur le chantier supposaient des travaux à l’échelle 1 sur 1, il n’a jamais été question de maquettes. C’était uniquement des constructions « grandeur nature » et démolies — parfois à plusieurs reprises — quand quelque chose ne lui plaisait pas. »




    Les inconnues du Palais du parlement de Bucarest confèrent un air mystérieux et une atmosphère gothique à cette immense bâtisse. C’est une entité qui semble dévorer tous ceux qui entrent dans sa sphère, croit Augustin Ioan : « Cette Maison de la république est toujours un domaine non cartographié. La Maison du peuple semble être plus grande que ce que nous voyons actuellement. Il n’existe pas un plan général, parce que ce bâtiment a été dès le début classé secret défense et les travaux étaient réalisés par sections. Par exemple, le chef de projet d’une salle recevait uniquement le contour intérieur de la salle, mais il ne connaissait pas la structure de celle-ci. Je ne peux pas l’appeler objet architectural puisqu’il s’agit un ensemble d’objets. Cette structure est une véritable localité, en effet, en la dépliant elle s’étend sur la superficie d’une petite ville. Puis elle a détruit une partie de la ville, tout en s’éloignant de la ville. En plus, le bâtiment le plus publique de Roumanie est toujours entouré d’une muraille et protégé l’arme à la main. C’est tout simplement un objet rural, amplifié par plusieurs dizaines de fois, qui a une façade avant et une autre arrière. Et qu’est ce qu’il y a derrière ce bâtiment ? Et bien il y aura un boulevard appelé Uranus et la Cathédrale du Salut. »



    La Maison de la république a alimenté aussi l’imagination de ceux qui croient dans l’existence des catacombes de la ville. Les passionnés du paranormal affirment qu’il existe un véritable Bucarest souterrain, qui intègre la Maison du Peuple, par le biais de plusieurs tunnels. Un tunnel existe certainement, comme l’affirme Augustin Ioan. Mais il existe aussi l’opinion conformément à laquelle l’immense édifice serait relié à d’autres bâtiments du quartier, tel celui du Ministère de la défense et même aux immeubles situés plus loin, tel le Palais de Cotroceni, siège de la présidence de la république. Le mystère est amplifié aussi par le fait que le palais s’étend sur 7 niveaux souterrains et qu’il dispose aussi d’un abri anti-atomique, pouvant accueillir 3 mille personnes.



    Le Palais du Parlement et tout l’ensemble de bâtiments qui l’entourent forment un univers à part, séparé de la ville dans laquelle il n’a pas réussi à s’intégrer. Ce qui est certain, c’est qu’il est coûteux, puisque son budget est similaire à celui de Ploiesti, une ville de 228 mille habitants.( Trad. : Alex Diaconescu, Dominique)


  • Barques en carton

    Barques en carton

    Le 1er juin 1942, le régime du maréchal Ion Antonescu entamait la déportation des Roms dans les camps de travail de Transnistrie. Sur les 25 à 38 mille personnes envoyées travailler de l’autre côté du Dniester, près de 1500 étaient encore en vie à la fin de la guerre. Les conditions de vie et de travail étaient extrêmement précaires, la dysenterie et le typhus exanthématique étant les principales causes du taux de décès élevé parmi les détenus. Malgré l’opposition du roi Michel 1er et de la reine-mère Elena, le gouvernement Antonescu n’a ni libéré les Roms ni amélioré leurs conditions de vie. La motivation officielle était que les Roms nomades représentaient un danger social.



    La tragédie collective des Roms a aussi engendré des mythes, dont celui des barques en carton. Les Roms auraient été embarqués dans de petits bateaux en carton. Trempées d’eau, ces embarcations auraient crevé au milieu de la rivière Bug et les personnes à bord se seraient noyées. Adrian Nicolae Furtuna a dirigé une équipe de recherche qui a démontré que les barques en carton étaient un mythe: « Aucun document des archives ne fait état de cet épisode. Il n’y a aucun témoin oculaire parmi les survivants que nous avons interviewés ni parmi les personnes qui affirment que ces barques ont existé. L’histoire, c’est que les Roms ont été embarqués dans un bateau en carton laissé au gré du vent et des courants, et qu’une fois la barque imbibée d’eau, les Roms seraient morts noyés. A faire une analyse comparative avec la manière dont les Juifs sont morts en Transnistrie, on constate que l’histoire de la barque comporte aussi un brin d’ironie et d’hilarité. Dans le cas de la barque, la comparaison soulève de très nombreux points d’interrogation. Selon nos recherches, le mythe puise ses origines dans le naufrage du bateau Struma, qui a eu lieu toujours en février 1942. Les Roms ont repris cet événement et l’ont reformulé selon leur propre culture. Plusieurs éléments ont favorisé cette représentation sociale. Parmi eux, le plan du maréchal Antonescu selon lequel, au début, les Roms auraient dû être déportés par voie d’eau. Avant d’être déportés, ils ont été recensés, la gendarmerie faisant du porte-à-porte pour indiquer clairement qui allait être déporté. Une représentation sociale est une chaîne tout entière. Il y a aussi des documents qui attestent le nombre de Roms et de charrettes qui devaient arriver dans chaque ville — port sur le Danube. Et les Roms pensaient qu’ils allaient finir comme les Juifs, à savoir noyés».



    La mémoire poraimos ou celle du génocide des Roms est faible parmi les jeunes Roms d’aujourd’hui. Adrian Nicolae Furtună explique le fonctionnement de la chaîne de souvenirs et de reprises dans d’autres tragédies pour construire le mythe: «Nous avons essayé d’aller au-delà du mythe et nous avons voulu voir ce que cette histoire englobait. La plupart des jeunes Roms ne disposent pas d’éléments concrets relatifs à la déportation en Transnistrie. Ils ne connaissent pas l’année où la déportation a commencé, ni ne savent des mots-clé tels que «Bug» et «Transnistrie». Par contre, ils connaissent l’histoire des barques en carton. Ils l’associent à l’Holocauste des Juifs, qui a eu lieu en Occident. C’est parce que l’Holocauste a été beaucoup plus médiatisé. Beaucoup de jeunes Roms disent que les Roms déportés en Transnistrie ont été gazés. Or ces choses-là ne sont pas arrivées. Nous nous sommes proposé de voir comment l’histoire était transmise d’une génération à l’autre. Dans le cas des Roms, il y a une manière différente de s’y prendre, parce que les Roms ont fait passer des mythes et des contes. Ceux qui travaillaient le bois disent que les membres de la Maison royale utilisaient des cuillères et des récipients en bois et c’est grâce à cela qu’ils n’ont pas été déportés. Bien entendu, nous avons aussi des cas de personnes déportées qui travaillaient le bois, et les villages qui n’ont pas été déportés motivaient, par comparaison avec les autres, qu’ils produisaient des biens utilisés par la Maison royale. Encore un mythe parlant sur la culture des Roms».



    Le mythe des barques en carton a une fonction, à savoir celle de préserver la mémoire du génocide contre les Roms, même si c’est en s’y prenant d’une autre manière. Adrian Nicolae Furtună : «J’interrogeais une tante de 90 ans. Elle n’avait pas été déportée, mais à son âge, elle pouvait m’offrir des informations concrètes sur la situation générale de l’époque. Pendant l’entretien, son petit-fils lui a suggéré en passant de me raconter comment Antonescu les avait mis dans les barques en carton. Et il le disait en riant. Quand je vais dans les communautés, parfois je me fais accompagner d’équipes de tournage qui attirent l’attention des habitants qui savent que nous recherchons des survivants. Et ils disent, en riant: «Costicà, fais-les venir chez toi, parce que toi aussi, tu as été au Bug». Cela montre la manière dont les Roms se rapportent à l’événement, et la racine historique de la déportation, c’est qu’il y a eu des critères sociaux à cela. C’étaient surtout les Roms qui n’avaient pas de maison, qui n’avaient pas d’emploi qui ont été déportés. C’était un équarrissage social. Et cela a donné lieu à une certaine dérision: quoi, mon voisin qui n’a pas d’emploi est déporté, et moi pas. Il n’y a pas eu de solidarité entre les gens et alors la fonction du mythe des barques en carton est de préserver la mémoire. Mais il la conserve de manière ironique, d’une façon différente de celle dont une personne appartenant à la culture occidentale s’y rapporterait en faisant référence à un événement aussi tragique que la déportation».



    Même si l’épisode des barques en carton n’a pas existé, la tragédie de ces pauvres gens ne saurait être niée. Et les projets de construire de nouvelles sociétés, par l’annihilation de certains groupes de gens, ne peuvent être que dégoûtants. (trad.: Ligia Mihaiescu, Alexandra Pop)

  • Les petites plaques de plomb de Câmpina-Sinaia

    Les petites plaques de plomb de Câmpina-Sinaia

    60 petites plaques de plomb découvertes à Câmpina, à une centaine de kilomètres au nord de la capitale, et stockées dans le sous-sol de l’Institut archéologique de Bucarest ont déclenché une vague d’hystérie parmi les passionnés des cultures anciennes et des mystères. Sur ces plaquettes mesurant 15 centimètres de long et 10 de large figurent, pêle-mêle, des lettres, des symboles et des images, que les mordus d’histoire considèrent remonter à l’époque des Daces, nos ancêtres. Les histoires — l’une plus fantasmagorique que l’autre — tissées autour d’elles, ont eu un certain écho dans l’espace public roumain. Les spécialistes ont précisé, à maintes reprises, que ces petites plaques avaient été créées vers le milieu du 19e siècle ; pourtant, le public, séduit par les fantaisies des passionnés, ne leur a pas accordé trop Un de ces amateurs d’histoire affirmait que c’était l’écriture des Daces qui se retrouve sur ces plaques.Radu Băjenaru, chercheur à l’Institut archéologique « Vasile Pârvan » de Bucarest, nous présente les arguments des spécialistes, qui contestent l’authenticité des plaques. « Il y a deux hypothèses concernant ces plaques. La première est celle des archéologues et des spécialistes en histoire ancienne, des professionnels, qui nient leur valeur historique et le fait qu’elles auraient été créées il y a 2000 ans, à l’époque des Daces. La deuxième hypothèse est celles des enthousiastes, des passionnés d’histoire ancienne et de mythes, qui, à partir de ces plaques, essaient de reconstruire la société dace d’il y a deux millénaires. Dans les deux cas il y a des arguments pour et contre. Pourtant, à mon avis, les arguments favorisant l’idée qu’elles datent du 19e siècle sont beaucoup plus consistants. Premièrement, l’analyse du métal dont elles sont fabriquées prouve qu’il s’agit d’un type de plomb couramment utilisé dans les imprimeries du 19e siècle. Deuxièmement, tout ce qui est gravé sur ces plaques, toute l’iconographie et les signes qui y figurent parlent de choses connues au 19e siècle. Elles ne nous apprennent rien sur l’histoire des Daces par rapport à ce que l’on savait déjà il y a 150 ans. On n’apprend rien, au moins, de ce que l’on a découvert par la suite à ce sujet. Troisièmement, les grands historiens spécialistes de l’antiquité roumaine connaissaient l’existence de ces plaques — et je parle notamment de Vasile Pârvan, dont personne ne peut contester l’autorité scientifique, ni l’acribie. Or, au moment où Pârvan a écrit son œuvre, il n’a accordé aucune attention à ces plaques, car il connaissait leur histoire et leur provenance. »



    Quelle est alors l’origine de ces plaques et qu’est-ce qu’elles représentent, en fait ? Radu Băjenaru. « Ceux qui contestent leur valeur historique les désignent par le terme impropre de « faux ». Un faux est la copie d’un document authentique. Or, là, il n’y a pas de document authentique. Ces plaques ont été créées au 19e siècle, dans la zone de Câmpina-Sinaia, très probablement par Bogdan Petriceicu Haşdeu, encyclopédiste et écrivain qui possédait une vaste culture. Or, il avait, lui, la capacité intellectuelle et financière de créer une chose pareille. Pour moi, il est évident que Haşdeu y présente sa propre vision de l’histoire des Daces. C’est pourquoi il est difficile de considérer ces plaques lorsqu’on parle histoire. Et même si on les prenait en compte, on n’apprendrait rien de plus, elles ne nous sont d’aucune utilité. La seule chose qui aurait pu nous aider est cette écriture, dite « dace », qui est un amalgame de lettres grecques, cyrilliques, latines et orientales. Certes, pour un linguiste aussi érudit que Haşdeu, il était très facile de combiner ces caractères pour en tirer un texte. On a essayé de les déchiffrer — et, à ce que j’ai compris, on a même réussi, ce qui me paraît absurde. Ces caractères-là ne peuvent pas constituer une langue dans le vrai sens du mot. Ce serait là la seule nouveauté que ces plaquettes pourraient nous offrir : l’information dont elles sont porteuses, si l’on déchiffrait ces textes. Et même si l’on déchiffrait cette « écriture » — avec les guillemets qui s’imposent — ou même si l’on comprenait ce que Haşdeu a voulu exprimer à l’aide de ces plaques, cela ne nous aiderait pas beaucoup, vu que ces connaissances s’arrêtent au 19e siècle. »



    Pourquoi Haşdeu aurait-il voulu créer de telles plaques et comment devrions-nous nous y rapporter ? Radu Băjenaru. « Haşdeu n’a sans doute pas voulu induire en erreur qui que ce soit. En fait, il est l’homme de son temps ; il n’a voulu ni falsifier, ni faire une mauvaise chose, peut-être a-t-il eu l’intention de faire une bonne chose. On doit le considérer comme un esprit éclairé, qui connaissait beaucoup de choses et qui souhaitait apprendre davantage et transmettre davantage. Or, ces plaques ont été pour lui une manière de s’exprimer. Ce genre de choses était en vogue à l’époque. Il n’y a rien de mal à cela. Le mal, c’est de mal les interpréter ou utiliser, en les déplaçant 2000 ans en arrière. Si on les prenait pour ce qu’elles sont — soit les créations d’un lettré — ce serait extraordinaire. Ce qui est grave, c’est de les utiliser comme arguments pour justifier une histoire que nous ne connaissons pas et qui, de toute façon est la même — c’est-à-dire celle que nous racontent les plaques et celle que nous racontent les sources antiques, car ce que disent les plaques est fondé sur les sources antiques. Il n’y a pas de divergence à cet effet. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi souhaiter que ces plaquettes soient authentiques. Dans l’Antiquité, il n’y avait pas de genre d’inscriptions ; dans toute l’Antiquité on ne retrouve nulle part rien de pareil. Alors pourquoi en existerait-il chez nous ? »



    En plein 19e siècle — période dite de « faux nationaux » l’esprit romantique dominait la culture roumaine. A part ces plaques, on attribue également à Haşdeu la paternité de deux autres créations similaires : « Le diplôme de Bârlad de 1134» et « Le document de Iurg Koriatovitch de 1347 ». Pourtant, de nos jours, on écrit l’histoire autrement qu’on ne le faisait il y a un siècle et demi. (Trad.: Dominique)

  • La Croix rouge en Roumanie

    La Croix rouge en Roumanie

    La Croix rouge a fait officiellement son apparition en Roumanie en 1876, en tant qu’organisation humanitaire, étant accueillie par l’Hôpital Colţea de Bucarest, qui fut son premier siège. La Croix rouge roumaine a reçu le baptême du feu dès sa création: une ambulance dotée des équipements nécessaires et accompagnée d’un médecin et de plusieurs infirmières quittait le pays pour soigner les blessés de la guerre russo-turque. La guerre russo-roumano-turque de 1877-1878 était la guerre d’indépendance de la Roumanie et à l’époque, la Croix rouge avait déjà beaucoup d’expérience. La reine Marie, épouse du roi Ferdinand Ier, a compté parmi les grandes personnalité actives au sein de la Croix rouge roumaine. L’image de la reine, portant l’uniforme d’infirmière et passant d’un hôpital de campagne à un autre pendant la première guerre mondiale, a fait le tour du monde.



    Nous avons choisi quelques témoignages provenant de personnes actives au sein de la Croix rouge roumaine et conservés dans les archives du Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine. Nous écoutons, pour commencer, Ani Cicio-Pop Birtolan, fille de Ştefan Cicio-Pop, un des leaders politiques des Roumains de Transylvanie. Elle se rappelle la fin de la première guerre mondiale et l’effervescence de la période ayant précédé la constitution de la Grande Roumanie : « Pendant la guerre, j’étais déjà adolescente. Je travaillais pour la Croix rouge et je soignais les soldats sans discrimination. Je travaillais dans un hôpital où nous donnions à manger à la cuillère aux soldats qui n’avaient plus de bras ou de jambes. Nous faisions de notre mieux pour adoucir leur sort. Et nous avons pris l’initiative d’aller, avec d’autres dames roumaines de la Croix rouge, assurer une permanence à la gare et offrir du thé chaud et des petits pains cuits préparés à la maison. Nous préparions la pâte et ma sœur de 14 ans s’était chargée de les mettre au four — ce qu’elle faisait jour et nuit, elle ne dormait presque pas. Une femme, qui était pour nous une sorte de servante, l’y aidait. Et puis, je me suis dit que nous devions sortir un manifeste. Je regrette n’avoir gardé aucun exemplaire de ce manifeste que j’ai composé avec un extraordinaire enthousiasme juvénile, je ne me rappelle même plus comment. Tout ce que je me souviens, c’est que nous nous sommes précipités au piano et nous avons commencé à jouer et chanter « Réveille-toi Roumain ! » et « Aux armes ! ». Ce fut une sorte de folie juvénile. »



    Le journaliste Mircea Carp a été officier et proche des Américains qui travaillaient pour la Croix rouge. Avant de quitter illégalement la Roumanie et travailler pour Radio Free Europe et la Voix de l’Amérique, il avait été arrêté par les nouvelles autorités communistes, étant accusé d’entretenir des relations avec des Américains : « Entre mars 1947 et la date de mon arrestation, je me suis trouvé à la tête de plusieurs équipes qui distribuaient, à Iaşi et à Vaslui, ce que l’on appelait « le don américain ». C’est de ce côté-là que les enquêteurs voulaient pousser l’enquête, pour savoir si j’avais transmis des messages secrets de la part des autorités américaines aux différents membres de la Croix rouge roumaine de Vaslui et surtout de Iaşi. J’ai réussi à me faufiler en disant la vérité à moitié, sans donner d’informations : j’ai reconnu avoir porté, à deux reprises, des enveloppes fermées. J’ai affirmé, à chaque fois, que, puisqu’il s’agissait d’un officier, je ne pouvais pas ouvrir l’enveloppe pour voir ce qu’il y avait dedans. Les enquêteurs insistaient, affirmant qu’ils savaient que les enveloppes contenaient des ordres militaires pour la Croix rouge de Iaşi et de Vaslui, ce qui était, évidemment, une énormité, car, à ce moment-là, les Américains ne faisaient pas de choses de ce genre. Surtout qu’il s’agissait d’une mission d’assistance à la population des régions touchées par la sécheresse. Aussi, ai-je reconnu avoir porté des enveloppes, mais j’ai ajouté qu’elles avaient été ouvertes sous mes yeux, à Iaşi et à Vaslui, et qu’elles contenaient des renseignements sur la façon dont l’assistance américaine devait être distribuée. Il ne s’agissait ni d’espionnage, ni de sabotage ou de je ne sais quoi d’autre. »



    Alexandru Smochină a été détenu politique et, arrivé au camp de Magadan, dans l’Extrême Orient, on lui a dit qu’il pouvait envoyer des lettres en Roumanie par l’intermédiaire de la Croix rouge : « Je suis allé dans la salle à manger — car c’est là que nous avions été convoqués. Il n’y avait là que des étrangers : des Coréens, des Japonais, des Allemands, des Bulgares, des Serbes, des Hongrois, des Finlandais, des Roumains, des habitants des pays baltes, des citoyens soviétiques, des Grecs, des Perses d’Asie, enfin un grand nombre de nationalités. Après un certain temps, je me suis assis aux côtés de Lascu, un Roumain de Bucarest. Ensuite, quelqu’un est venu pour nous dire, de façon laconique, que nous avions le droit d’écrire à nos familles, restées au pays. Et on nous donnait, à cette fin, des cartes postales émises par la Croix rouge et le Croissant rouge. L’officiel nous a conseillé d’écrire à nos parents, car, disait-il, une mère reste une mère — et il avait raison. Celui qui a une femme, après quelques années n’est plus sûr de l’avoir toujours. Il nous a donc distribué à chacun une carte postale et nous a dit que nous avions le droit d’écrire tous les mois. Nous pouvions leur demander automatiquement une carte postale par mois, pour l’écrire. Il nous a dit que nous avions également le droit de recevoir des colis et même de l’argent, en précisant ce que nous ne pouvions pas recevoir — des armes et tout ça. Cela nous a beaucoup réjouis et nous avons tous écrit nos cartes postales, là, dans la salle à manger. Ensuite il les a ramassées. Pourtant, puisque je suis passé d’un camp à l’autre, je n’ai jamais reçu de réponse de ma femme et de ma fille. »



    La Croix rouge roumaine a été une expression de la solidarité humanitaire, au-delà de la haine entre les gens et entre les nations. Et elle a souvent accompli sa mission fondamentale: celle d’apporter un peu de consolation, un rayon de lumière et d’espoir pendant ces années troubles et difficiles. (trad. : Dominique)

  • Le tribut dans les principautés roumaines

    Le tribut dans les principautés roumaines

    Pendant les siècles de domination ottomane, les Principautés roumaines se sont vu obliger à payer des redevances envers la Sublime Porte, connues sous le nom générique de tribut. Ces obligations économiques, qui ont revêtu, au fil du temps, différentes formes, sont devenues de plus en plus accablantes, mais leur effet le plus nuisible a été la corruption. La pratique du pot-de-vin allait étouffer l’économie. Les réformateurs roumains de la fin du 18e siècle et du début du 19e siècle considéraient les obligations économiques des Principautés romaines envers les Ottomans comme principale cause de la mauvaise gestion de l’argent public et de leur situation désastreuse.



    La première de ces redevances a été payée en Valachie, la principauté du sud, pendant le bref règne de Vlad dit l’Usurpateur, en 1395. Connu sous le nom de «haraci» (karatch), ce tribut allait être payé par les descendants du prince Mircea le Vieux aussi. En Moldavie, le premier tribut envers la Porte Ottomane a été versé à l’été 1456 par le prince Petru Aron. Cette taxe avait été scellée par l’accord politique signé une année auparavant. L’Historien Bogdan Murgescu, qui enseigne à la Faculté d’histoire de l’Université de Bucarest, explique l’évolution dans le temps de la structure de ces redevances: « Le carache ou karatch, comme on appelait ce tribut, était pour l’essentiel une somme forfaitaire payée par le voïvode, mais les redevances consistaient aussi en cadeaux de protocole, certains en argent, d’autres en nature, tels que fourrures ou différents autres biens, faucons, chevaux. Au début, le tribut payé en argent était le plus important, les dons étant occasionnels. »



    Les obligations économiques ont évolué suivant l’histoire de la puissance ottomane. Par exemple, les redevances augmentaient pendant les périodes d’expansion de l’Empire.



    Bogdan Murgescu. « Lorsque la dépendance des Principautés roumaines de l’Empire Ottoman s’est accrue, des exigences supplémentaires sont apparues et pas forcément liées à l’argent. Certaines avaient trait au ravitaillement des armées ou des cités ottomanes, y compris celle de Constantinople. Les sollicitations concernaient parfois des produits, des animaux, du bois pour les bâtiments et les navires ou même des hommes de peine pour les constructions militaires. »



    Un véritable appel d’offre était organisé parmi les prétendants au trône des principautés roumaines de Valachie et de Moldavie. Les sommes à payer étaient parfois faramineuses, mais les futurs princes faisaient de leur mieux pour les acquitter, puisqu’ils les considéraient comme un investissement.



    Bogdan Murgescu: « On a ajouté des sommes qui n’avaient plus de rapport avec les ententes officielles, mais avec les marchandages permettant de monter sur le trône. Ceux qui le convoitaient proposaient certaines sommes au sultan. Pour éviter qu’il soit limogé, le prince qui occupait alors le trône offrait lui aussi au sultan ou bien à de hauts dignitaires ottomans soit de l’argent soit des bijoux ou autres objets de valeur. Lorsque la grande majorité des princes furent nommés par Istanbul, ces sommes devinrent toujours plus conséquentes, dépassant de beaucoup le tribut et les dons officiels. Dans les années 1580-1594 l’argent moyennant lequel on obtenait le trône représentait 60%, le tribut moins de 20%, tandis que les cadeaux comptaient pour 20% des obligations envers les Ottomans. A un moment donné, le pot-de-vin offert en échange du trône a même été plus important que le montant total du tribut, toutes obligations économiques confondues. Cette pratique perdurera jusqu’au 18 e siècle. »



    Alors que cet argent renflouait les caisses de l’Etat ottoman, les cadeaux revenaient au sultan ou à certains dignitaires de haut rang. Quel était le poids de ce tribut payé par les Principautés roumaines par comparaison avec les obligations économiques versées par des provinces ottomanes de l’époque?. Explication avec l’historien Bogdan Murgescu: « Le tribut payé par les Principautés roumaines n’était pas très significatif pour la trésorerie de l’Empire Ottoman. Il représentait moins de 10% des recettes officielles de l’Etat. La situation était toute autre pour les sommes perçues comme pot-de-vin, dont le pourcentage était bien plus grand. A comparer le fardeau fiscal par tête d’habitant, on constate qu’il est plus lourd dans les Principautés roumaines que dans les territoires administrés par des gouverneurs ottomans. Finalement, ce n’était pas une mauvaise affaire que de maintenir l’autonomie des Principautés roumaines, puisque les princes roumains se sont avérés être meilleurs collecteurs d’argent que les dignitaires ottomans eux-mêmes. »



    A commencer par la fin du 18e siècle et le début du 19e, l’influence ottomane dans l’espace roumain diminue. Les obligations de nature économiques vont elles-aussi décroître. Dernier à disparaître, le carache sera utilisé en 1877 pour doter l’armée qui sortira victorieuse de la guerre aboutissant à l’indépendance de la Roumanie. (trad. : Mariana Tudose)

  • La Roumanie lors du Printemps de Prague

    La Roumanie lors du Printemps de Prague

    Certaines photos, images – symboles d’un événement exceptionnel, parviennent à traverser les temps tout en gardant intact leur message. C’est le cas aussi des photos prises par le Tchèque Josef Koudelka pendant ce que l’on a appelé «Le Printemps de Prague», de 1968, lorsque la Tchécoslovaquie a essayé de sortir de sous la tutelle soviétique. Rentré de Roumanie deux jours seulement avant l’invasion des troupes du Pacte de Varsovie, Josef Koudelka a eu la grande chance de pouvoir immortaliser, pour en témoigner plus tard, la barbarie avec laquelle l’Union Soviétique et ses alliés ont étouffé, en août 1968, le désir de liberté de ses compatriotes. Les clichés allaient être sortis clandestinement de Tchécoslovaquie et les photos publiées en France en 1969. La Roumanie a refusé de participer à l’invasion, considérant cet acte comme une agression contre un Etat socialiste ami.



    Le colonel Alexandru Oşca, historien militaire, est l’auteur de plusieurs ouvrages sur ces événements et sur la position de la Roumanie: « Ce fut l’opération d’invasion d’un Etat la plus ample d’après la Seconde Guerre mondiale. Ceauşescu n’avait pas été invité à y participer, ni informé au sujet de cette action. Il y avait eu six réunions au sommet. Nous ne saurions dire maintenant qu’elle aurait été la position de Ceauşescu si on lui avait demandé l’avis sur la participation de la Roumanie. Par contre, ce n’est pas difficile de deviner ce qu’il avait pensé, sachant que tous les amis se rencontraient alors que lui, il n’était pas convié à ce conclave communiste. Personne n’ignorait le fait que ne pas y être invité, ne pas se retrouver à cette table, équivalait à une sorte d’adieu. »



    L’historien Petre Otu, directeur de l’Institut d’Etudes Politiques de défense et d’histoire militaire, a analysé plusieurs documents déclassifiés d’où il résulte que Nicolae Ceauşescu était au courant de la campagne que le Pacte de Varsovie préparait contre la Tchécoslovaquie : « Les documents auxquels nous avons eu accès prouvent que l’invasion n’était pas un secret. Une des sources les plus promptes et les plus exactes avait été un officier polonais dont la famille s’était réfugiée en Roumanie en 1939, où elle était d’ailleurs restée jusqu’en 1944. L’officier polonais, qui avait suivi les cours d’un lycée militaire en Roumanie, faisait partie du commandement du Pacte de Varsovie. Le conseiller de l’ambassade de Roumanie à Varsovie étant un ancien copain de lycée de celui-ci, c’est par cette filière que l’on a pu avoir des renseignements très exacts sur les préparatifs des Soviétiques. Ceauşescu a donc été informé par Ion Stănescu et, lorsqu’il est parti pour Prague, il a demandé que le message transmis par l’officier polonais soit traduit en tchèque aussi. Une fois à Prague, il l’a remis à Dubcek. A son retour en Roumanie, Stănescu a voulu savoir si Ceauşescu en avait parlé à Dubcek. La réponse de Ceauşescu a été la suivante : Oui, mais de deux choses l’une: ou bien il n’en sait rien, ou bien il ne souhaite pas que nous autres le sachions. Bref, Ceauşescu a été mécontent de la réaction de Dubcek. »



    Jusqu’en 1968, la Roumanie et la Tchécoslovaquie n’ont pas eu de relations étroites. En 1964, lorsque le plan Valev était mis au point et qui réserver à la Roumanie le rôle d’une économie agraire au sein du camp socialiste, la Tchécoslovaquie avait mis en valeur son influence pour que ledit plan soit mis en place. Petre Otu a expliqué l’évolution des relations roumano-tchèques au fil des événements : « Les leaders tchèques ont été très réticents, jusqu’au mois de juillet, à l’égard de la coopération avec Ceauşescu. Ils ont tenté de l’éviter, car l’association avec celui-ci risquait de servir aux Soviétiques de prétexte pour une éventuelle invasion. Les relations ne se sont réchauffées qu’au moment où ils ont appris que les choses se précipitaient et que les Soviétiques s’apprêtaient bel et bien à envahir la Tchécoslovaquie. Ceauşescu allait se rendre à Prague et signer le traité d’assistance mutuelle. Cela a conduit à la théorie selon laquelle on était en passe de refaire la Petite Entente de l’entre-deux-guerres. Les sources mémorialistiques confirment le fait que les Soviétiques suivaient de près cette connivence danubienne. C’est sur la base de ces informations que l’on a secrètement préparé les formations de lutte de la jeunesse et les gardes civiques patriotiques, qui ont défilé le 23 août. Ce fut un effort terrible et Ceauşescu s’y est préparé en cachette sachant qu’il y aurait une invasion. »



    En cet été 1968, 8000 touristes tchécoslovaques se trouvaient en Roumanie. Les 400 autres qui passaient leurs vacances dans la Bulgarie voisine les ont rejoints. Comme ils ne pouvaient plus regagner leur pays, on les a hébergés dans les hôtels de l’Office national du tourisme. Ils y sont restés jusqu’au moment où la situation s’est calmée à Prague. Tomaš Vostry, adjoint à l’ambassadeur de la République Tchèque à Bucarest, se rappelle qu’à l’été 1968 il passait ses vacances sur la côte roumaine de la Mer Noire : « Ce sont des souvenirs de mon enfance. Malheureusement, j’ai raté les sept jours que Koudelka a immortalisés dans ses photos. 1968 a été une des années où j’ai passé mes vacances d’été en Roumanie, dans la station littorale de Mamaia. J’étais avec mes parents. Puisque nous n’avons pu prendre l’avion le 22 août, nous sommes rentrés par le train, le 2 septembre. J’ai donc manqué ces moments de notre histoire, mais je peux confirmer que les touristes tchèques ont été très bien accueillis alors en Roumanie. J’avais 10 ans à l’époque. A Prague, en allant vers l’école, je voyais toujours les troupes soviétiques. Elles étaient partout : en ville et dans les forêts tout autour, ce qui mettait en colère les Pragois. Puis, au début de l’automne, elles ont commencé peu à peu à se retirer de Prague. »



    Voici en bref le récit d’un petit geste qui allait engendrer un grand rapprochement. (trad.: Mariana Tudose)

  • Perception publique de la révolution roumaine

    Perception publique de la révolution roumaine

    Les « terroristes » de la Révolution roumaine de décembre 1989 ont hanté nos esprits, l’implication des services secrets étrangers dans ces événements nous a déçu. Beaucoup plus qu’une simple obsession, les terroristes — une sorte de francs tireurs de la révolution — ont été une véritable névrose qui a marqué profondément la perception publique du plus important moment de l’histoire récente de la Roumanie. Les victimes du soulèvement anticommuniste, les changements malaisés et les attentes trompées ont déterminé les gens à regarder la Révolution roumaine avec un certain regret et même avec dédain. Les sentiments négatifs vis-à-vis de la révolution se sont amplifié à mesure que le problème des terroristes et du rôle joué par les services secrets étrangers est devenu de plus en plus opaque, avec le temps.



    Qui ont été les terroristes? Au micro de RRI pour répondre à cette question, l’historien Adrian Cioroianu, de la Faculté d’Histoire de l’Université de Bucarest : « C’est une idée que beaucoup d’entre nous ont acceptée, à l’époque. Ce que l’on désigne aujourd’hui par le terme de « terroriste » à propos des événements de décembre ’89, pouvait appartenir à des troupes de mercenaires venus de pays plus ou moins arabes, cela pouvaient être les fameux « touristes » soviétiques dont on a déjà parlé. Ce que nous savons avec un certain degré de certitude, dans l’histoire, c’est qu’une bonne partie de ceux qui ont tiré jusqu’au 25 décembre et, de manière sporadique, même après cette date pouvaient être des membres de la Securitate — donc de la police politique — restés fidèles à Ceauşescu. Certes, en acceptant la théorie de la conspiration, on peut spéculer et dire que tout a été une immense mise en scène dans le seul but de donner l’impression d’une révolution. C’est une interprétation dont j’ai peur et je ne voudrais pas la voir se vérifier après des années. Ce serait du cynisme pur, car ces tirs d’armes à feu ont fait des victimes. »



    Les Roumains attendent des historiens une réponse claire au sujet des terroristes. Pourtant, leurs explications prudentes n’ont pas la même force de conviction que la théorie de la conspiration. Selon Adrian Cioroianu, ce sont là les difficultés auxquelles se heurte tout historien : « Nous ne disposons pas encore de témoignages véridiques de la part des personnes qui ont géré la situation à l’époque et le rôle de l’historien est ingrat. Tout ce que nous pouvons faire, c’est de recueillir des témoignages, pourtant leur crédibilité est douteuse. Pendant ces journées de choc et de chaos, il est difficile de distinguer entre le vrai et le faux. L’historien est condamné à chercher la vérité, or, la vérité est pratiquement impossible à trouver dans le chaos d’une telle période si ceux qui ont géré la situation n’apportent pas leur part de vérité. Des vétérans des services de renseignement, ceux qui ont perdu la bataille en décembre ’89, parlent d’un complot qui aurait été préparé — selon certains — en Union Soviétique. Tant qu’on ne dispose pas d’une base documentaire minimale, on ne peut faire que des spéculations. »



    Dans l’histoire des révolutions on a toujours parlé d’éléments contre-révolutionnaires qui se seraient opposé à la vague novatrice. La présence des terroristes dans la révolte de ‘89 a fait d’elle une révolution considérée comme atypique. Adrian Cioroianu : « Je ne pense pas que la Révolution roumaine ait été atypique. Elle est différente de ce qui s’est passé dans le reste de l’Europe de l’Est, si fait une comparaison avec la Tchécoslovaquie, la Hongrie ou l’ancienne RDA. Nous devons accepter que l’existence d’un régime communiste national — ce qui n’a pas été le cas en Hongrie, en Pologne ou en Tchécoslovaquie — nous condamnait d’avance à une telle division des forces : des gens qui complotent contre Ceauşescu et des gens qui le défendent. En posant aujourd’hui un regard beaucoup plus limpide sur ces événements, nous nous rendons compte que nous aurions dû nous attendre à cette polarisation, à cette séparation en deux camps en conflit. Je voudrais seulement faire un rapprochement avec l’ex-Yougoslavie, pays où régnait aussi un communisme national. Et nous savons tous combien la séparation d’avec le régime de Miloşvici a été longue. Le communisme national crée toujours de tels problèmes et mène à des conflits intérieurs. »



    Y a-t-il des chances que les Roumains aboutissent à une perception juste de la révolution de décembre ’89 et de sa valeur ? Adrian Cioroianu pense que oui : « Je suis persuadé que de plus en plus de Roumains arriveront à la conclusion de bon sens que, du moins par ses conséquences, cette explosion de forces de décembre ’89 a été une révolution. Certes, nous l’avons appelée de différentes façons ; pour être neutres, nous préférons parler des « événements de décembre » justement pour éviter de trouver et d’utiliser un nom générique. Je pense que nous devrions l’appeler révolution, car ses conséquences sont celles d’une révolution, quelles qu’aient été les intentions de ceux à avoir conçu et préparé — ou non — le putsch contre Ceauşescu.



    Nous pourrions discuter, à l’avenir, de l’implication de nos voisins. Normalement, dans toute histoire de ce genre, lorsque des événements d’une telle ampleurs ont lieu dans un pays, les services secrets des pays voisins sont en alerte. Et il ne faut pas s’imaginer que les services secrets soviétiques, ceux de la Yougoslavie ou de la Hongrie n’ont pas été attentifs à ce qui se passait en Roumanie. Evidemment, être attentif est une chose et s’impliquer en est une autre. Pourtant, il n’est pas encore très clair pour nous dans quelle mesure l’Union Soviétique a été impliquée dans la révolution roumaine. Pourtant, moi, je suis persuadé que le temps guérit tout, même dans l’histoire. »



    La révolution roumaine de décembre ’89 a réinstauré la liberté et la démocratie après 45 ans de communisme. Or les mécontentements de chaque Roumain par rapport à ce qui s’ensuivit sont vraiment insignifiantes par rapport à la vie sous la tyrannie communiste. (trad. : Dominique)

  • La révolution roumaine à Iasi

    La révolution roumaine à Iasi

    Timisoara est la ville–symbole de la Révolution roumaine de décembre 1989. Le 16 décembre, les habitants de cette ville, capitale de la province du Banat, ont décidé que la Roumanie devait changer, que la Roumanie de Nicolae Ceausescu, qui était en fait leur Roumanie et celle de leurs enfants, ne pourrait plus rester la même, vu que tout le monde communiste était soumis à une transformation irréversible. En faisant preuve d’héroïsme et de détermination, les habitants de Timisoara sont donc descendus dans la rue pour réclamer leurs liberté et le droit à une vie meilleure.



    Toutefois, dans l’autre coin du pays, la capitale de la Moldavie, Iasi se préparait depuis quelques jours déjà à affronter la tyrannie communiste de Ceausescu. C’est ici qu’avait vu le jour dans les années ’80 un mouvement de protestations des écrivains Dan Petrescu, Tereza Petrescu, Luca Piţu et Alexandru Calinescu. Le 12 décembre 1989, l’économiste Stefan Prutianu, aux côtés d’autres intellectuels de Iasi regroupés au sein de l’organisation le Front populaire roumain, ont distribué des tracts à travers la ville, appelant la population à participer à une ample marche de protestation, place de l’Union, le 14 décembre, à 16 heures. Depuis longtemps dans le viseur de la police politique, les organisateurs ont été arrêtés 10 heures avant le début de la manifestation.



    La première personne arrêtée lors de la révolution de 1989 a été justement Stefan Prutianu, l’auteur de la proclamation écrite le 10 décembre et imprimée sur les tracts. Professeur d’économie à l’Université « Alexandru Ioan Cuza » de Iasi, Prutianu se souvenait du moment de l’arrestation et avouait qu’il avait eu un pressentiment, vu que c’était une suite logique de ses actions. Des troupes mixtes formées de miliciens, membres de la police politique et gardes patriotiques, déployées sur la Place de l’Union ont opéré des dizaines d’arrestations dans les rangs des personnes qui se dirigeaient vers le lieu du rendez-vous. Ainsi, la révolution de Iasi fut-elle étouffée avant qu’elle n’éclate.



    L’historien Adrian Cioroianu, doyen de la Faculté d’Histoire de l’Université de Bucarest affirme qu’on s’attendait à ce que la révolution éclate dans une grande ville de province et non pas dans la capitale. La révolution ne pouvait commencer que dans une ville près d’une frontière de la Roumanie où ce qui se passait dans les pays voisins constituait une forte impulsion au changement.



    Dans le modèle proposé par Cioroianu se retrouvent aussi bien Iasi que Timisoara, soit deux des grands centres industriels de Roumanie: « Je soulignerais un détail, à savoir que les mouvements contre Nicolae Ceauşescu ont éclaté dans des villes éloignées de la capitale et proches des Etats voisins. Iaşi est située à proximité de la frontière orientale du pays et donc, à l’époque, de l’Union Soviétique et plus précisément de la République soviétique de Moldova, où la perestroïka était plus avancée qu’en Roumanie. Timişoara, elle, est située dans le sud-ouest du pays. Je ne dirais pas qu’il était impossible qu’une révolution authentique éclate à Iaşi. Cette ville apportait un ferment contestataire évident — du moins au niveau intellectuel. Quelques téméraires y ont pris position contre le régime, mais on ne l’a appris qu’après ’90. Peut-être que la masse critique nécessaire pour déterminer un effet « boule de neige » n’était pas atteinte, comme ce fut le cas à Timişoara. A Timişoara le côté interconfessionnel était très fort ; c’était un endroit plus propice au déclenchement d’un mouvement contestataire qui réunisse des citoyens appartenant à des religions et des ethnies différentes — des Roumains aussi. Si les Roumains ne s’y étaient pas engagés, à Timişoara, Ceauşescu aurait eu toutes les raisons d’affirmer que ce soulèvement était la conséquence d’une ingérence de nos voisins — ce qu’il n’a pas manqué de dire, d’ailleurs. Pourtant, le fait que les Roumains y aient participé a donné un teinte nationale et globale à cette protestation. Ce qui s’est passé à Iaşi est important et significatif. Pourtant, une analyse plus poussée mène à la conclusion que la ville la plus propice devait se trouver à la frontière ouest — comme c’était le cas pour Timişoara. »



    Timişoara a été la ville où la révolution anticommuniste a fait connaître au monde les aspirations des Roumains et l’historien Adrian Cioroianu a mentionné ses atouts. Nous avons demandé à notre interlocuteur ce qui a manqué à la ville de Iaşi pour qu’elle ne donne pas le signal de la révolution roumaine : « Il lui a manqué ce germe du mécontentement, représenté à Timişoara par Laszlo Tökes. Et il faut accepter que, le plus souvent, ce ne sont pas les intellectuels qui déclenchent les révolutions. Les intellectuels les préparent, certes, mais si elles ne bénéficient pas de l’appui des masses, les intellectuels, eux, n’ont pas assez de force. L’élément Tökes » a apporté à Timişoara un côté interconfessionnel roumano-magyar — et sans doute les Allemands et les Serbes de la zone y ont-il adhéré. Cela a rendu le monde beaucoup plus sensible à ce qui s’y passait. Et quand je dis « monde », je pense surtout à l’Europe Occidentale de l’époque. C’est ce qui a mis fin au régime de Ceauşescu, accusé depuis une décennie déjà de mener une politique dirigée contre les Hongrois et les Allemands, pour uniformiser le pays. De ce point de vue, Timişoara avait un atout que Iaşi et les autres villes du pays n’avaient pas. »



    La révolution roumaine de Iaşi a été le résultat d’une conspiration de ceux qui ne supportaient plus rien de ce qui concernait leur vie quotidienne, une conspiration approuvée, tacitement, par toute la société roumaine. Timişoara et Bucarest sont les villes où les Roumains ont reconquis leur liberté. Toutefois, c’est la ville de Iaşi qui a contribué au déclenchement de l’événement le plus grandiose de l’histoire récente de la Roumanie. (trad. : Dominique, Alexandra Pop)

  • L’activité minière et la sécurité sur les  lieux de travail dans les années  ’80

    L’activité minière et la sécurité sur les lieux de travail dans les années ’80

    L’industrie lourde a été un des piliers de l’industrie communiste. Elle comportait l’industrie extractive, la sidérurgie et la construction automobile. L’extraction des minerais, notamment celle de surface, passait pour l’activité la plus difficile, vu les conditions dures de travail et le risque élevé d’accidents du travail et de décès. D’autre part, une solidarité à part unissait les mineurs qui n’avaient pas peur de faire la grève et de fait mettre le régime en difficulté. Ceci étant, les communistes leur ont offert des salaires généreux, de la protection sociale, tout en les surveillant de près. Pour ceux qui travaillaient dans le ventre de la terre, la sécurité au travail avait un volet social et un autre de suivi.



    En dépit du suivi et des mesures de précaution, les accidents n’ont pas manqué. Dans une interview de 2003 conservée au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, l’électromécanicien Petru Gherman racontait comment il l’avait échappé belle à un tel accident soldé par la mort d’un de ses confrères, dans une mine de la Vallée du Jiu. « Nous étions dans une descenderie, située à 150 mètres de profondeur, qui s’appuyait sur des pieds droits et des chapeaux en bois. Moi, qui travaillais sur un équipement, j’ai été enseveli par l’éboulement du plafond de la descenderie haute de 7 mètres. Heureusement, j’ai réussi à en sortir, mais un de mes compagnons a été moins chanceux. On l’a extrait des décombres trois jours après. Il s’appelait Mureşan Vasile. Je ne l’oublierai jamais. C’était un brave garçon. On s’entendait très bien ».



    Bokor Miklos a choisi le métier de mineur pour continuer une tradition familiale, mais aussi par passion. A première vue, on est enclin à croire que c’est le gain, les avantages matériels qui pousseraient quelqu’un à embrasser ce métier très risqué. Pourtant, bien des témoignages font état d’une vraie passion pour cette activité. Bokor Miklos a travaillé à la mine souterraine d’Aninoasa, dans la Vallée du Jiu. En 2003, il a raconté l’accident du travail lors duquel il s’était cassé une jambe. « Durant mes 31 années de travail, j’ai eu deux accidents dans le souterrain. L’un, c’était une fracture, et l’autre, un éboulement ; le charbon s’était éboulé, en fait c’était un plafond. La fracture, c’était lors d’une chute de roches. C’est une veine très inclinée, à 50 ou 60°. Quand un gros roc tombe, vous vous rendez compte de sa vitesse ! Une roche située en hauteur, à 20-30 m au-dessus de moi, est tombée. J’ai entendu le bruit et j’ai voulu l’éviter, j’ai sauté, mais elle m’a fracturé 3 phalanges du pied qui était restée sur son chemin. Quand il y a une grosse chute, on l’entend d’abord, et fort. Si vous êtes mineur et si vous réfléchissez à ce que vous faites, ça s’entend, c’est comme si vous parliez à la colline et qu’elle vous le disait. On peut voir et savoir quand quelque chose se passe. La mine, elle doit larmoyer d’abord, comme un homme, d’abord il larmoie et puis il pleure ; le rocher, c’est pareil. Dans le silence, parce qu’à l’époque il n’y avait pas de bruit, on peut se rendre compte que c’est une ligne de rupture, et alors on fait sortir ses hommes ».



    Les accidents miniers étaient des événements importants qui aboutissaient à des enquêtes et à l’identification des coupables. L’ingénieur Iulian Costescu a été directeur technique à la mine de Livezeni. En 1980, 53 personnes ont péri dans deux explosions : 32 mineurs ont été tués dans la première et 21 secouristes dans la deuxième. Une commission de sécurité au travail comprenant aussi des officiers de la police politique a démarré une enquête, à la fin de laquelle Iulian Costescu a été déclaré innocent. «A cette époque-là, les personnes occupant des fonctions importantes, telles le directeur de la mine et l’ingénieur en chef, ont purgé des peines de prison. Le général Macri de la police politique s’est rendu sur place pour surveiller tout ce qui s’y passait. Moi, j’ai eu une altercation avec lui, car il voulait entrer dans la mine juste après l’explosion. Le ministre des Mines, Virgil Trofin, m’a chargé de diriger l’opération de sauvetage. C’était mon droit de lui interdire d’entrer, vu qu’une nouvelle explosion aurait pu se produire. On avait l’exemple de la mine de Vulcan où deux professeurs de l’Institut des mines de Petrosani avaient trouvé la mort. L’un d’entre eux, c’était justement le chef de l’Institut et du Centre de la sécurité minière de Petrosani. Macri a donc proposé que je sois traduit en justice et condamné à une peine de prison. Finalement j’ai été acquitté au bout d’un procès qui s’est étalé sur toute une année. Ce matin-là, j’ai dit au chef du service d’aérage — sécurité au travail de la mine d’aller vérifier l’aérage. C’était un garçon exceptionnel. Il est donc descendu dans la mine. Qui sait, si je l’avais accompagné, la tragédie aurait pu être évitée. Les mesures que j’aurais prises auraient pu sauver la vie à tant de personnes. L’explosion aurait de toute façon eu lieu, c’est du moins ce que je pense, mais peut-être que j’aurais réussi à sortir les gens de la mine. Je ne sais pas ».



    Malgré les accidents miniers, les gens qui y travaillaient n’ont pas renoncé à leur métier, bien que les normes de sécurité au travail ne puissent pas garantir la sécurité de celui qui descend dans le puits. Les tréfonds de la terre, comme ceux de la mer ne peuvent pas être complètement apprivoisés…(trad. : Mariana Tudose, Ligia Mihaiescu, Alexandra Pop)

  • La Roumanie en 1918, entre l’extase et l’agonie

    La Roumanie en 1918, entre l’extase et l’agonie

    Occupée par les armées des Puissances centrales et avec une image ternie dans les yeux de ses alliés pour avoir conclu une paix séparée en mars 1918, la Roumanie s’efforçait, à l’automne 1918, de sortir du mieux qu’elle le pouvait d’une situation désespérée. Le changement du rapport de forces entre les Puissances centrales et l’Entente à l’automne 1918 a fait qu’à la fin de la guerre la Roumanie se trouve dans le camp des vainqueurs. La récompense fut l’apparition de la Grande Roumanie par l’union de la Bessarabie, de la Bucovine et de la Transylvanie avec l’ancien Royaume de Roumanie. Cela n’a pas été facile, pourtant. Jusqu’en 1920, l’élite politique et la société dans son ensemble ont dû dépasser les obstacles à la reconnaissance internationale du nouvel Etat.



    L’historien Ioan Scurtu sur la Roumanie entre l’extase et l’agonie dans les années de guerre 1916-1918. «Théoriquement, la Roumanie aurait dû être prête parce qu’elle est entrée en guerre en 1916, soit deux années après le commencement de la grande conflagration mondiale. Normalement, elle aurait dû en profiter pour armer ses contingents, préparer son arsenal de guerre et constituer ses réserves. Malheureusement, elle n’a rien fait de tout cela. Une fois éteint l’enthousiasme du départ à la guerre quand les soldats sont partis sur le front en chantant, les armes ornées de fleurs et acclamés par la foule comme s’ils allaient faire la fête, le désastre s’est installé lors de la bataille de Turtucaia. C’est à ce moment-là que les responsables roumains ont compris l’ampleur de la situation. En novembre, les troupes se sont retirées de Transylvanie pour qu’en décembre, la capitale soit placée sous l’occupation en forçant le gouvernement à se retirer à Iasi. En plus, une épidémie de choléra éclatée dans la région s’est soldée par des milliers et des milliers de victimes. Et comme si tout cela ne suffisait pas, un accident ferroviaire s’est produit près de Iasi quand un train a déraillé en provoquant la mort de plus d’un millier de personnes ».



    Mais, en 1917, l’armée roumaine enregistre enfin ses premiers moments de gloire, à Marasesti, Marasti et Oituz où elle arrive à bloquer l’avancée des troupes allemandes et austro-hongroises. Pourtant, suite à la révolution bolchevique, la Roumanie dépose les armes et se voit placer sous l’occupation russe. Même si son trésor fut à jamais perdu en Russie, même si elle a fait la paix avec ses adversaires et même si elle s’est vu forcer de tenir tête aux révolutions bolcheviques de Russie et de Hongrie, la Roumanie a pourtant réussi à surmonter toutes ses grandes difficultés.



    Tout cela, grâce à une élite politique visionnaire, selon Ioan Scurtu. « Evidemment que ce fut un succès, et tous ces obstacles ont été surmontés grâce à une classe politique roumaine de valeur. Je me réfère avant tout à I.C. Bratianu, le président du PNL, qui a participé aux événements et qui a joué un rôle important dans la Grande Union. Les habitants de Bessarabie ainsi que ceux de Bucovine et de Transylvanie ont envoyé à Iasi leurs émissaires. Lesquels se sont entretenus, avant la proclamation de l’Union, avec le roi Ferdinand, avec Ion C. Bratianu et d’autres hommes politiques sur les voies à suivre en vue de la mobilisation pour l’Union. I.C. Bratianu a dirigé la délégation roumaine à la Conférence de paix de Paris. C’est là qu’il a rencontré les grands noms politiques de l’époque, à commencer par le président américain Wilson jusqu’au premier ministre britannique. Ce fut finalement une victoire vu que les documents de l’union de Chisinau, Cernauti et Alba Iulia ont été ratifiés par les traités de paix de 1919 — 1920.»



    Ce sont les deux monarques de la Roumanie, Ferdinand Ier et Marie, qui ont mobilisé les énergies de la nation. Ioan Scurtu. « Le roi Ferdinand était Allemand et il avait été officier dans l’armée allemande. Lorsque le Conseil de la Couronne s’est déclaré en faveur de l’entrée de la Roumanie en guerre contre son pays, en fait, contre sa famille, en disant « oui », le roi a fait un sacrifice personnel et un acte d’une grande importance pour la Roumanie. La Conseil de la Couronne une fois achevé, l’homme politique Petre P. Carp fit remarquer au roi qu’il avait oublié sa nationalité allemande, en vertu de laquelle il n’aurait pas dû prendre une telle décision. Ferdiand lui répondit qu’il savait très bien qu’il était Allemand : « Si les intérêts de mon pays avaient concordé avec ceux de la Roumanie, c’est avec grande joie que j’aurais fait autrement. » – lui dit le roi. »



    Pourtant, il se considérait aussi Roumain, roi des Roumains, et a agi dans l’intérêt du pays à la tête duquel il se trouvait. Le sacrifice de la nation était aussi celui du couple royal, et les caractères forts, on les reconnaît dans les moments de difficulté maximale. L’historien Ioan Scurtu : « La reine Marie a été dès le début l’adepte de l’entrée de la Roumanie dans la Guerre aux côtés de l’Entente. Elle était Britannique et elle a joué un rôle important dans la démarche visant à convaincre Ferdinand de faire ce sacrifice personnel, dans l’intérêt du peuple roumain. Pendant la guerre, le roi et la reine sont restés en permanence aux côtés des Roumains, de l’armée, des principaux leaders politiques. Au moment où il fut question de quitter la ville roumaine de Iasi pour trouver refuge à Odessa, face à une possible occupation allemande de toute la Moldavie, le roi Ferdinand a refusé de partir. I.C Bratianu a fait de même. Ce geste a mobilisé la conscience publique, y compris certains hommes politiques qui s’étaient empressés à quitter le pays pour gagner l’Ukraine, dans des villes loin de la ligne du front ».



    La Grande Roumanie a été l’objectif de la génération au début du 20e siècle. Un objectif qui a été atteint par tous ceux qui y ont cru, en suivant certains modèles et principes, en dépassant des émotions et des hésitations, par une volonté puissante…(trad. : Ligia Mihaiescu, Dominique)


  • Le site archeologique de Târgşorul Vechi

    Le site archeologique de Târgşorul Vechi

    Située à 70 kilomètres au nord-ouest de Bucarest, la commune de Târgşorul Vechi est à première vue une commune comme les autres dans le département de Prahova. Pourtant, les historiens affirment qu’elle est spéciale parce qu’il y a plus de 600 ans, le centre d’importantes activités économiques se trouvait sur ces lieux. En témoignent les ruines réunies dans une réserve archéologique où les spécialistes locaux, ainsi que des archéologues de l’Institut « Vasile Pârvan » de Bucarest, cherchent des reliques qui puissent donner plus d’informations sur le passé. La réserve archéologique de Târgşorul Vechi est d’autant plus importante parce qu’elle elle est visitée aussi par les élèves des écoles de la région qui viennent travailler aux côtés des archéologues.



    Târgşorul Vechi est une localité qui date de l’époque du prince régnant Mircea le Vieux (1386-1418), son fondateur, le nom le plus important lié à l’histoire de l’endroit. Bogdan Ciupercă, chef du chantier archéologique de Târgşorul Vechi, nous introduit dans le plus ancien centre de culture et de civilisation roumaines. « Il y a 6 siècles, un document de la chancellerie du voïvode Mircea le Vieux, plus précisément un traité commercial entre la Valachie et les habitants de la ville de Braşov mentionne pour la première fois la localité de Târgşor dans sa variante slave ou Novum Forum dans la variante latine. Les deux noms sont très importants. D’un côté, dans la variante slave, Târgşor signifie petit bourg, alors que la capitale Târgovişte signifie grand bourg. De l’autre, c’est-à-dire le nom en latin, veut dire qu’il s’agissait d’une nouvelle localité, créée le plus probablement pendant le règne de Mircea le Vieux. Ce voïvode qui a fait tant de bonnes choses pour la Valachie a lié ainsi son nom de la création et du développement de Târgşor. »



    L’inventaire de la réserve archéologique de Târgşorul Vechi n’et pas riche, mais recèle suffisamment de matériel pour éveiller l’intérêt des passionnés d’histoire. Les traces les plus anciennes de l’habitat humain sont les outils en silex remontant au paléolithique tardif. Quant au néolithique, sa présence est attestée par la superposition des cultures de céramique décorée de Criş, Boian et Gumelniţa. Celles datant de l’âge du bronze, à savoir Glina, Monteoru et Tei, seront succédées par les cultures spécifiques de l’âge du fer, Hallstatt et La Tène. Les premiers vestiges d’une autre grande civilisation sont le camp romain et les thermes, construits au IIe siècle après J.-Ch. Le camp faisait partie d’une ligne fortifiée qui s’étendait vers le nord, dans la région subcarpatique de la Valachie. Il a été érigé pendant les guerres daco-romaines des années 101-102 et 105-106 après J.-Ch., et servait à surveiller les voies d’accès en provenance et en direction de l’arc carpatique.



    Les nécropoles et les complexes funéraires datent des siècles suivants. On y a découvert céramique, accessoires vestimentaires, bijoux et armes ayant appartenu aux tribus sarmathiques, d’origine iranienne, qui, durant leur migration, ont dû passer par la plaine roumaine.



    Bogdan Ciupercă précise en quoi consiste l’importance économique grandissante de Târgşorului Vechi aux alentours du règne du prince Mircea le Vieux. « La bourgade de Târgşor a été érigée sur les propriétés princières et joui de privilèges commerciaux considérables. Elle servit de point de douane aussi. En 1413, une taxe était perçue pour les chars transportant vers la Transylvanie du poisson pêché dans les marais de Brăila. Târgşor a donc eu une histoire économique importante. Elle comptait parmi les 3 premières bourgades ou cités de l’ancienne province roumaine de Valachie et était le principal partenaire des commerçants de la contrée de Braşov. On pourrait même dire que Târgşor est la cité de Mircea le Vieux, car c’est ce dernier qui l’évoque pour la première fois. Il se peut aussi que cette bourgade sise au pied des Carpates ait été pour beaucoup dans l’essor ultérieur de la ville de Ploieşti. Târgşor est aussi lié à une autre voïvode illustre, à savoir Vlad l’Empaleur, petit-fils de Mircea le Vieux. C’est ici qu’il sera sacré prince régnant de la Valachie, en 1456, après sa victoire sur l’armée de Vlad II. »



    C’est à Târgşorul Vechi, une des résidences secondaires des premiers princes valaques, que Vlad l’Empaleur Dracula fit construire en 1461 l’église St. Nicolas, partiellement conservée de nos jours. En 1667 elle fut reconstruite par les soins du voïvode Antonie qui y fonda aussi le Monastère de Turnu. Ce dernier allait être rénové et peint pendant le règne de Constantin Brancovan, vers 1700. Il n’en reste de nos jours qu’une partie des murs d’enceinte et des fresques originelles. D’autres églises, telle l’Eglise blanche et celle Rouge, datent de la fin du XVIe. Pour ce qui est de l’architecture civile, elle este représentée par le manoir des boyards Moruzi, situé vers le nord-ouest du périmètre de la réserve. La construction, du début du 20e siècle, est représentative du style néo-roumain. Derniers propriétaires du manoir, les Moruzi y ont fait élever des animaux et cultivé des plantes suivant le modèle occidental…(trad. : Mariana Tudose, Alex Diaconescu)

  • La Roumanie et la décolonisation en Afrique

    La Roumanie et la décolonisation en Afrique

    Après la fin de la Seconde guerre mondiale en 1945, le mouvement de décolonisation s’est emparé des relations internationales, la domination des empires coloniaux faisant l’objet de nombreuses contestations. Mais la décolonisation a également marqué le début de violences et de guerres civiles entre factions politiques qui proposaient différents modèles de développement des jeunes Etats. Dans très peu de cas, les situations conflictuelles ont été résolues par le dialogue.



    La décolonisation de l’Afrique a été fermement soutenue par l’Union Soviétique et par la Chine, deux pays communistes en quête de sphères d’influence dans leur lutte contre l’Occident capitaliste. Dans la majorité des colonies africaines, les disputes se sont transformées en guerres parce que les guérillas de gauche, subventionnées et armées par le bloc communiste, ont refusé de négocier avec d’autres groupes politiques. A l’instar des autres pays de ce bloc, la Roumanie s’est elle aussi impliquée dans la décolonisation de l’Afrique. Choisissant de mener sa propre politique, Bucarest a essayé de suivre la voie des pays non-alignés, un mouvement auquel la Roumanie n’a pourtant pas adhéré. Mircea Nicolaescu a été ambassadeur de Roumanie dans plusieurs pays africains et latino-américains, ainsi que membre de la délégation roumaine au Comité de décolonisation de l’ONU. Dans une interview accordée en 1996 au Centre d’histoire orale de la radiodiffusion roumaine, l’ancien diplomate a évoqué les principes promus par la Roumanie dans le processus de décolonisation : « La Roumanie avait des relations avec les espaces ex-coloniaux même avant la Seconde guerre mondiale, des relations très intenses, d’ailleurs. Elles s’étaient intensifiées davantage après la deuxième conflagration mondiale notamment sur la toile de fond des efforts de la Roumanie de s’afficher sur la scène politique internationale en tant que pays indépendant, qui mène sa propre politique étrangère, qui cherche à faire des alliances avec des pays partageant les mêmes intérêts. Les accords scellés avec ces colonies et ensuite Etats africains prévoyaient le maintien de la liberté individuelle, le droit de chaque pays de choisir son propre chemin de développement. Le problème du système d’administration des nouveaux pays et du respect de celui-ci par les autres a toujours figuré dans les documents de la diplomatie roumaine. »



    Pour ce qui est des guerres civiles, la diplomatie roumaine a choisi de promouvoir une politique équidistante et ne s’est pas impliquée ouvertement au côté d’un quelconque mouvement politique africain, affirme Mircea Nicolaescu. « Au Caire, les ambassades visitées par tous les mouvements de libération d’Afrique étaient peu nombreuses. En 1961 — 1964, tous ces mouvements qui suivaient différentes orientations politiques siégeaient au Caire. Mais les ambassades de Roumanie et de deux ou trois autres pays étaient les seules à recevoir des mouvements de libération tant de droite que de gauche. Les Soviétiques avaient leur propre groupe de clients qui soutenaient le modèle soviétique (de régime socialiste). Les Chinois avaient eux aussi leurs clients, pour ne pas mentionner aussi les Américains. Les Français et les Anglais étaient compromis. Dans les pays où les affrontements idéologiques ont divisé le mouvement de libération nationale — Congo, Angola, Mozambique, Kenya, Zimbabwe et ainsi de suite — la Roumanie a été le seul pays à maintenir des contacts avec toutes les parties. Notre canal de dialogue est toujours resté ouvert, mais nous avons constamment souligné que l’accord entre les différentes factions était leur problème à eux. »



    Les Soviétiques n’aimaient pas trop la voie d’une politique africaine indépendante qu’avait choisie la Roumanie. Mais l’équidistance affichée par la Roumanie n’avait pas de substance et elle n’a pas eu d’écho, comme nous l’explique Mircea Nicolaescu « A l’occasion de la proclamation de l’indépendance de l’Angola, les Soviétiques avaient organisé une réunion des ambassadeurs de tous les pays socialistes qui devraient présenter ensemble leurs hommages au nouveau président élu. Et pourtant, le représentant de la Roumanie, l’ambassadeur Gheorghe Stoian n’a pas accepté de s’y rendre en compagnie des autres et a choisi de saluer seul l’indépendance de l’Angola et présenter l’appui de la Roumanie. Le long des troubles en Angola, la Roumanie a entretenu des liens avec tous les mouvements qui ont choisi de la contacter. La Roumanie les a constamment conseillé à se réconcilier. Les Soviétiques ont misé sur un mouvement, les Américains sur un autre, les Chinois se sont rangés du côté des Américains et ça a fini par déclencher une guerre. Ce qui n’a pas été le cas en Tanzanie, où la maturité politique des forces intérieures les a poussées à prendre leur distance des uns comme des autres. »



    Mircea Nicolaescu a également parlé des particularités du continent africain, qui, si elles sont ignorées, ont mené à des échecs tels l’Algérie. « Pour ce qui est de la vision du processus de décolonisation, l’évolution de l’Afrique dite arabe est parfois artificiellement séparée de celle de l’Afrique dite noire. Le continent africain n’est ni complètement arabe ni complètement noir dans aucune de ses régions. Au Sahel, les influences sont réciproques. Historiquement, c’est aussi difficile à les séparer. Un des derniers Etats africains à avoir proclamé son indépendance a été l’Algérie. Dans le monde, peu de zones coloniales avaient été incluses dans le territoire national de la métropole, comme ce fut le cas avec l’Algérie, divisée en trois départements de la France. Pour le mouvement communiste, l’Algérie a été un échec à cause de l’incapacité de comprendre qu’il s’agissait de l’indépendance nationale d’un peuple, non pas de l’indépendance de trois départements français. »



    L’implication de la Roumanie dans la décolonisation de l’Afrique a également signifié le choix d’une direction d’action diplomatique sans perspectives. Dans les années 1980, isolée du monde occidental et maintenue à l’écart par les pays communistes, la diplomatie du régime a trop misé sur la carte africaine…(trad. : Alex Diaconescu, ileana Taroi)

  • Le paléolithique dans l’espace roumain

    Le paléolithique dans l’espace roumain

    A première vue, la préhistoire peut sembler un domaine de l’aventure, de l’adrénaline et de l’esprit rebelle. En fait, elle propose un des exercices les plus difficiles de reconstitution de l’histoire de l’humanité.


    C’est que pour « l’enfance de l’humanité » – comme la préhistoire a été appelée, par une métaphore — il n’y a pas de documents écrits et elle est étroitement liée à l’anthropologie. C’est un domaine sur lequel expriment plutôt leur avis les spécialistes en géologie, en archéozoologie, les chercheurs qui déterminent les espèces, qui étudient la micro-faune etc.



    En Roumanie, le paléolithique est attesté dans le bassin de la rivière Argeş, dans la dépression entourant la ville de Sibiu, dans la zone collinaire bordant les Carpates Méridionales.



    L’archéologue Adrian Doboş, de l’Institut d’archéologie « Vasile Pârvan » de l’Académie roumaine, nous fait plonger dans le monde du paléolithique, un monde où la civilisation matérielle était dominé par la pierre. « Comme son étymologie le laisse déjà comprendre, le paléolithique est l’ère ancienne de la pierre, qu’il faut distinguer de l’époque néolithique. La grande différence entre les deux, c’est que le paléolithique est l’âge de la pierre taillée. Au néolithique, on parle déjà de pierre polie. Contrairement à ce que l’on pense d’habitude, ce que nous faisons, nous, les historiens, est beaucoup plus exact qu’on ne le croirait. Nos sources d’information sont les objets en pierre taillée, les fossiles humains, assez rares, malheureusement, et la faune. Quand on étudie un site paléolithique, il est important et très utile de connaître la faune. Non seulement on identifie les espèces, mais on peut aussi tirer des conclusions sur le climat dans lequel ce site est apparu. »



    A Cuciulat, dans le comté de Sălaj, dans le nord-ouest de la Roumanie, on été découvertes des peintures rupestres remontant au paléolithique. Elles représentent un cheval et un autre animal — qui pourrait être une panthère ou un autre félin. Adrian Doboş a fait partie d’une équipe d’archéologues qui ont découvert le site paléolithique le plus ancien de Roumanie.



    C’était en 2009 à Dealul Guran, localité située dans le sud-est de la Roumanie, en Dobroudja. « La colline de Guran est un site découvert en 2009 dans le cadre d’un projet mené par l’Institut d’Archéologie en coopération avec l’Institut Max Planck de Leipzig et le Musée roumano-allemand de Mainz. Cette découverte, nous l’avons faite pendant 6 semaines de recherches de surface. Des fouilles, nous en avions fait 2010 et 2011 aussi. C’est un site d’exploitation du silex, qui se trouve à profusion dans cette zone calcaire. Nous en avons estimé l’âge à 390.000 ans, ce qui fait que ce site est à présent le plus ancien de Roumanie. C’est vrai que d’autres découvertes aussi ont été associées au paléolithique inférieur, mais certaines d’entre elles se trouvaient dans les lits des rivières. Dans ces cas-là, les sites n’étant pas intacts, il est difficile d’affirmer avec certitude qu’ils remontent au paléolithique inférieur. Ce site est vraiment spectaculaire pour la Roumanie et même pour l’Europe, où les sites de ce genre ne sont pas nombreux. On n’en recense qu’une quinzaine ou une vingtaine. »



    Il était comment, l’homme du paléolithique? Quels étaient les habitants du territoire actuel de la Roumanie? Nous écoutons Adrian Doboş. « On les désigne par le terme d’«hominien» c’est-à-dire l’humanoïde qui se taillait des outils, d’où l’appellation aussi de homo habilis, homme habile, adroit. La capacité de la boîte crânienne est un autre critère, en ce sens que si elle est supérieure à 600 centimètres cubes, l’humanoïde respectif peut rentrer dans notre arbre généalogique. A cela est venu s’ajouter un critère de date plus récente, celui de la locomotion. Ainsi s’explique pourquoi on vient de classer comme hominiens les australopithèques les plus anciens à démarche bipède. La locomotion est donc inhérente à la définition d’un ancêtre de l’homme. Le plus vieux des fossiles mis au jour en Roumanie, qui est aussi le plus ancien d’Europe, est celui qui présente les caractères anatomiques de l’homme moderne. On l’a trouvé dans le site appelé la Grotte aux os et daté de 36.000 ans. La Grotte aux os n’est pas un site archéologique. Elle a été découverte par des spéléologues et n’a aucun intérêt d’un point de vue archéologique. Malheureusement, en Roumanie il n’y pas de fossiles de l’homme de Neandertal, même si l’on peut se douter de son existence sur ces terres. Les traces du plus ancien hominien retrouvées chez nous appartiennent à l’homo Heidelbergensis, terme générique employé pour désigner l’homo erectus ayant vécu entre 600.000 et 300.000. L’homo Heidelbergensis avait une taille plus petite et un aspect de primate très marqué, dont des arcades saillantes et une réminiscence de crête sagittale située au milieu du crâne. On ignore s’il était chétif ou robuste, car les fossiles retrouvés sont peu nombreux. »



    Le site de Bugiuleşti est représentatif pour le paléolithique roumain parce que pendant longtemps, on a cru que c’est là que les plus anciens hominidés ont habité. Adrian Doboş : « C’est un site très important du point de vue paléontologique. Environ 10 points d’intérêt ont été signalés sur l’ensemble de la localité. C’est à la fin des années ’50 que les points respectifs ont été découverts, qui remontent à 1,8-2 millions d’années. Il s’agit principalement d’os de grandes espèces, trouvés en bordure d’un lac. A un moment donné, on avait retrouvé des tessons, dont il a été dit qu’ils avaient été faits par des hominidés, soit par certains australopithèques. Cela a sans doute été l’exaltation des archéologues combinées aux tendances protochronistes des autorités ».



    La préhistoire fascine, les racines de l’humanité présentent un grand intérêt pour la curiosité de l’homme de revoir ses ancêtres. Dans l’historiographie française, le jeu de mots « la préhistoire » et « l’après histoire » indique comment l’homme, quelles que soient ses origines, a toujours la nostalgie de ses débuts.


    (Trad. :Dominque)

  • Le XIVe Congrès du Parti Communiste de Roumanie – le dernier bal

    Le XIVe Congrès du Parti Communiste de Roumanie – le dernier bal

    A l’ouverture du XIVe Congrès du Parti communiste de Roumanie le 20 novembre 1989, tous les yeux des Roumains étaient pour une fois rivés sur la figure du dictateur pour voir la direction qu’il s’apprêtait à imprimer au pays. Jamais un congrès de ce parti unique de Roumanie n’avait provoqué un tel mélange de peur et d’émotion dans le cœur de l’électorat. Ce dernier ignorait normalement ce type de manifestation sauf s’il ne se voyait contraint d’y prêter attention sous la pression exercée par le pouvoir en place. A la différence des congrès antérieurs, le XIVe congrès du PCR se déroulait sur fond d’une vague d’inquiétude provoquée par la chute des régimes communistes en Europe. Mais puisque la dictature de Ceausescu semblait éternelle, les Roumains avaient perdu tout espoir de se voir libérer du joug communiste et un changement de régime leur semblait une véritable utopie.



    La société roumaine était donc prisonnière de ses propres frustrations et de l’absence de toute volonté politique de la part d’une classe incapable de trouver un successeur au dictateur en place depuis 1965. A commencer par 1974, Ceausescu avait instauré sa propre vision socialiste qui a culminé en 1980 par l’instauration d’une dictature effroyable. Dans le cas de la Roumanie, la crise économique chronique à laquelle s’associait normalement le communisme fut alimentée également par l’ambition démesurée de ce génie des Carpates de rembourser intégralement la dette extérieure du pays. Les réductions drastiques imposées à la consommation domestique dénergie, le rationnement des biens de consommation vitaux et leur pénurie se traduisirent pour la population par la faim, le froid et lobscurité.



    L’ingénieur Pamfil Iliescu a travaillé aux usines 23 Août, l’une des entreprise les plus importantes de la Roumanie communiste. Ancien leader syndical, M. Iliescu était en contact permanent avec les salariés. Or, son témoignage pris en 2002 par le Centre d’Histoire orale de la Radiodiffusion roumaine fait état d’une dégradation galopante du mental collectif. «Les 5-6-7 dernières années, on a commencé à ressentir de plus un plus le sentiment du travail en vain, et ce notamment dans les Usines « 23 August ». Pourquoi ? Les gens, eux ils travaillaient. Le problème est apparu à l’époque des investissements massifs. Ce fut notamment au milieu des années ’80 que l’on a notamment constaté que les investissements s’en allaient en eau de boudin. Moi, je peux affirmer que durant cette période–là, dans notre section nous avons fait des investissements de 500 millions de lei. C’était beaucoup à l’époque. De nos jours, cela se traduirait par des centaines, voire des milliers de milliards. Et je n’exagère pas lorsque je dis que sur un investissement de 500 millions de lei on ne mettait presque rien à profit. »



    L’industrie roumaine, qui avait bénéficié d’investissements importants, soit la plupart à l’aide de prêts contractés par la Roumanie, était censée assurer la prospérité du pays. En revanche, elle s’avérait un fardeau lourd à porter par l’économie. Ce dysfonctionnement gigantesque s’expliquait par la logique hyper bureaucratisée qui régissait le régime communiste.



    Pamfil Iliescu : «Ne donnons qu’un exemple de problème généralisé. Ils vous donnaient un outillage et vous disaient : « Voilà ! C’est votre machine ». Mais la machine n’était pas intégrée au processus de production. L’équipement, il fallait l’adapter, le modifier. Or pour cela, l’argent manquait toujours. On a toujours eu de l’argent pour construire, pour assembler un outillage, tel que l’on voit dans une exposition. Mais quand il s’agissait de l’intégrer, on n’avait plus de fonds à investir. Et alors, les outillages de ce genre, nombreux et coûteux, étaient délivrés mais jamais mis en marche ».



    Les relations commerciales avec les autres pays socialistes étaient de plus en plus difficiles, et c’est pourquoi la Roumanie était en train de devenir un système économique fermé. La production des usines roumaines était stockée, par manque de demande, et la direction de nombre d’entreprises était obligée d’accepter des produits et des équipements qui n’avaient rien à voir avec leur objet d’activité. L’explosion de décembre 1989 a été provoquée aussi par le fait que Nicolae Ceausescu, obtus jusqu’à sa fin, n’avait pas compris qu’il fallait céder le pouvoir lors du XIVe congrès du PCR. En décembre 1989, ceux qui sont sortis dans les rues ont été notamment les ouvriers des grands sites industriels roumains.



    Pamfil Iliescu : « Les gens disaient beaucoup de choses en privé. Ce système était très répandu : aux réunions on disait certaines choses, puis des choses complètement différentes en dehors de la salle. Aux réunions, les gens passaient en revue leurs plans ainsi que ce qu’ils avaient réalisé, mais la réalité était complètement différente. Les gens étaient fatigués, en raison aussi du fait qu’ils devaient se rendre au travail les samedis et dimanches aussi. Pratiquement, ils n’avaient plus de journées de repos. Ironiquement, les dimanches, les gens étaient plus productifs parce que les chefs s’absentaient. Mais le mécontentement était général. Certaines personnes étaient des activistes convaincus. Notamment les contremaîtres. Lors des moments de détente, les gens commençaient à discuter et même à critiquer le système. Il ne s’agissait pas de critiques ouvertes, mais la différence entre les séances du parti et les discussions entre collègues était colossale. Sans aucune exagération, les gens avaient attendu un changement lors du congrès. Il a été suivi par une immense désillusion parce les choses sont restées inchangées malgré l’exemple des autres pays communistes de la région. La situation était explosive et le dénouement prévisible. Ce qui a suivi n’a pas surpris grand monde. »



    Un mois après le XIVe Congrès du Parti communiste roumain, les Roumains ont versé leur sang pour gagner leur liberté. « Novembre, le dernier bal », c’est le titre d’un film signé par Dan Pita qui renvoie à la fête qu’un régime tyrannique met en place avant de rejoindre la poubelle de l’histoire. (trad.: Ioana Stancescu, Alexandra Pop, Alex Diaconescu)