Tag: communisme

  • L’histoire des relations bilatérales entre la Roumanie et la Corée du Nord

    L’histoire des relations bilatérales entre la Roumanie et la Corée du Nord


    La Roumanie socialiste de Nicolae
    Ceausescu d’avant 1989 avait noué d’excellentes relations politiques, diplomatiques
    et commerciales avec la Corée de Nord de Kim Ir Sen, grâce notamment à la convergence des vues de leurs
    deux leaders, mais aussi à leurs intérêts économiques complémentaires. En effet,
    si la Roumanie cherchait des débouchés commerciaux hors l’Europe, la Corée de
    Nord tentait, elle, le rapprochement avec l’un des Etats européens du bloc communiste.


    Le colonel Emil
    Burghelea avait rejoint en 1970 et pour plusieurs années son poste d’attaché
    militaire de Bucarest à Pyongyang. Interviewé en 2000 par le Centre d’histoire
    orale de la Radiodiffusion roumaine, il a été un témoin direct de l’essor
    remarquable des relations bilatérales entre la Roumanie et la Corée du Nord. En
    effet, si la Roumanie n’exportait dans le pays asiatique avant 1970 que des
    camions de marque Bucegi, fabriqués à Brașov, et des pièces détachées, la Corée
    de Nord s’avérait assoiffée de toutes technologies industrielles, désireuse qu’elle
    était de bâtir sa propre industrie nationale.

    Emil Burghelea appelait dans son interview, avec une certaine nostalgie, l’enthousiasme
    des Coréens, et leurs prouesses en matière de débrouille, mais aussi certaines
    de leurs pratiques commerciales déloyales. :


    « Vous savez, ils avaient mis au point la production des aciers
    spéciaux à usage militaire dans des conditions terribles. L’on se demandait
    comment ils y parvenaient, alors que nous, l’on devait faire appel à l’expertise
    des Occidentaux, en payant grassement pour avoir accès à de telles
    technologies. Mais, d’un autre côté, ils étaient plutôt rompus aux pratiques
    commerciales déloyales. Prenez les tours d’usinage, ces machines-outils qu’ils
    importaient de chez nous, et qui étaient fabriqués dans nos usines d’Arad ou de
    Brasov, auxquels ils enlevaient l’étiquette « Fabriqué en Roumanie »,
    pour la remplacer par la leur, et les exporter en Corée du Sud. Nous, l’on
    faisait comme si de rien n’était. Et puis, on leur a monté aussi beaucoup de
    cimenteries. »



    La priorité de l’industrie
    nord-coréenne portait déjà à l’époque sur la construction d’un complexe industriel
    militaire moderne et puissant, l’économie nord-coréenne étant subordonnée à la
    doctrine militaire du pays. Emil Burghelea:


    « Ils étaient assoiffés de technologie. Ils étaient par exemple intéressés
    par nos chantiers de Mangalia. Ils étaient intéressés par tout ce qui touchait
    à l’aviation, aux chars, à l’artillerie. Ils avaient construit d’impressionnants
    batteries d’artillerie côtières, qui étaient entièrement cachées. L’on ne
    pouvait rien apercevoir depuis le large, rien depuis la terre. Les canons
    étaient enfouis sous la terre, pouvaient résister à une frappe nucléaire au
    besoin. Une véritable prouesse technologique. Nous, les Roumains, pouvions nous
    enorgueillir d’une certaine avancée en matière de technologie militaire à l’époque.
    Nous disposions d’une certaine tradition aux usines de Resita, où nous
    fabriquions ce canon antichar formidable de 75 mm, et puis d’autres encore. A
    Brasov, l’on avait démarré la fabrication d’hélicoptères militaires, des lance-roquettes
    multiples, de conception soviétique. Alors les Nord-Coréens y étaient forcément
    intéressés. Leurs représentants se rendaient parfois chez Ceausescu, lui sollicitaient
    l’accès à telle ou telle technologie, pour la fabrication de telle ou telle
    arme. Et Ceausescu, bon prince, comme toujours avec eux. Ensuite, on les
    faisait visiter nos usines, nos chaînes de production d’armes, et ils prenaient
    des notes. On a envoyé aussi des spécialistes qui les ont aidés de bâtir des répliques
    de notre Maison de l’Armée de Brasov chez eux ».




    Avoir la technologie
    est une chose. Savoir en faire bon usage en est une autre. Le colonel Emil
    Burghelea :


    « C’étaient des braves. Leur slogan était « Un contre cent ».
    Ils se voyaient entourés d’ennemis nombreux, et ils leur fallaient apprendre à
    les combattre, alors qu’ils se trouvaient en infériorité numérique. lls avaient
    développé aussi la pratique des arts martiaux, la discipline était au top. Des
    soldats très bien entraînés. Ils entraînaient les jeunes depuis qu’ils étaient
    encore sur les bancs de l’école. Le Palais des pionniers de Pyongyang disposait
    d’espaces spécialement dédiés à l’entraînement militaire de jeunes. Ils
    apprenaient le maniement et l’entretient des armes de poing et des fusils d’assaut
    ».


    Mais la bonne
    entente entre les Roumains et les Nord-Coréens allait dans les deux sens. En
    effets, les Roumains disposaient d’un accès privilégié aux matières premières nord-coréennes.
    Emil Burghelea :


    « Nos exportations en matière technologique n’était pas gratuits non
    plus. L’on avait besoin de leur charbon, de leur tabac, du poisson, du minerai
    de fer. Ceausescu avait certes ses visées de nature politique, mais il n’était
    pas des ceux qui perdent au change. L’essor de notre industrie avait besoin des
    matières premières nord-coréennes. Il ne s’agissait pas que d’une collaboration
    de nature militaire »




    Mais les relations
    bilatérales florissantes d’autrefois ont été jetées aux oubliettes après la
    chute du régime communiste en Roumanie. Le divorce idéologique entre les deux
    Etats a vite fait de mettre un terme à la poursuite des échanges militaires, technologiques
    et commerciaux être la Roumanie et la Corée de Nord. (Trad. Ionut Jugureanu)





  • Christian Ghibaudo (France)  – Les aventures de Pif le chien publiées en Roumanie

    Christian Ghibaudo (France) – Les aventures de Pif le chien publiées en Roumanie

    l’histoire de la revue Pif en Roumanie est très intéressante. Et pour pouvoir la raconter j’ai dû interroger aussi mon père, qui était adolescent dans les années ’60 – ’70, justement durant l’âge d’or de la revue Pif. En effet, durant cette période-là les Roumains avaient la possibilité de s’abonner à des publications étrangères, voire occidentales. Certes, il s’agissait de publications agrées par le régime et les publications de gauche et surtout celles financées par les communistes étaient privilégiées. A Bucarest, par exemple, certains kiosques proposaient aussi des magazines occidentaux, tel Paris Match. Mais le nombre des exemplaires était assez limité et les pages contenant des articles qui ne convenaient pas au régime étaient tout simplement découpées au ciseau. On pouvait retrouver seulement le titre et le résumé d’un article inconfortable portant par exemple sur la démolition des villages traditionnels roumains. Tel n’était pas le cas des revues Pif ou Rahan qui comptaient dans les années ’60 et ’70 parmi les quelques publications pour les enfants et les jeunes disponibles sur le marché roumain. Ces magazines étaient lus et relus, prêtés, collectionnés en séries complètes, sinon échangés pour d’autres jouets, puisqu’un abonnement n’était toujours pas à la portée de tout le monde.



    L’apparition d’un gadget vendu en accompagnement de la revue Pif aurait pu enchanter davantage les abonnés. Peu d’entre eux arrivaient à obtenir le très convoité gadget, puisque le plus souvent il était volé en route vers le destinataire final. Tout était ensuite à retrouver sur le marché noir. Mais les quelques fortunés qui avaient enfin la chance de pouvoir ouvrir le film en plastique du magazine pouvaient sentir l’odeur de l’Occident, car Pif était complètement supérieur à tout ce que l’on publiait en Roumanie à l’époque, tant côté contenu, que côté qualité graphique.



    Pour les jeunes roumains, parcourir un exemplaire original de Pif était une incursion dans l’Occident capitaliste, ce qui est assez ironique vu que la publication était éditée par le Parti communiste français. Mais même entre camarades communistes, les questions pécuniaires pouvaient mener à des dissensions majeures. Un tel épisode a eu lieu lorsque les autorités roumaines ont cessé de payer pour les revues arrivées en Roumanie, ce qui a poussé les Français à menacer par leur retrait du marché roumain. Finalement, un compromis a été scellé et pendant une certaine période de temps, la revue RAHAN fut imprimée en Roumanie. On disait que ces numéros étaient facilement identifiables puisqu’ils se dégradaient plus rapidement.



    Autre anecdote à propos de Pif : on pouvait choisir un ami par correspondance parmi les jeunes de tous les pays où le magazine était vendu. Beaucoup de jeunes roumains se son liés d’amitié avec des lecteurs étrangers. Certains lecteurs roumains ont réussi à émigrer grâce justement aux invitations officielles faites par leurs amis par correspondance. Parallèlement, à commencer par 1967, le régime a sorti son propre magazine pour les jeunes appelé « Cutezatorii »/ « Les téméraires », publication dans laquelle l’idéologie communiste était beaucoup plus présente. Seul son supplément « La fusée des téméraires » était dépourvue de textes doctrinaires, car son contenu était presqu’exclusivement technique. Mais le succès des deux revues n’a jamais atteint celui de leurs correspondantes de France, puisqu’entre autres le contenu de BD, dont les aventures en langue roumaine du célèbre chien Pif, était beaucoup plus réduit. Et cela même si « Les téméraires » était le fruit d’une collaboration franco-roumaine : un des personnages des séries BD roumaines, le robot Minitechnicus portait la signature justement de Jose Cabrero Arnal, le créateur des personnages tels Placid et Muzo ou Pif et Hercule et ainsi de suite.



    Minitechnicus déssinné pour la première fois par l’artiste durant sa visite en Roumanie en 1970, a bénéficié d’une grande notoriété et c’est probablement pourquoi une décennie plus tard il allait être supprimé, puisque selon les idéologues du Parti unique, son nom n’était pas roumain. Vers la fin des années 1980, Pif n’était plus disponible en Roumanie, où le régime imposait ses propres publications, dans lesquelles la propagande communiste et nationaliste était omniprésente. Ironie du sort, la seule publication toujours disponible d’une qualité quasi-identique à Pif et dépourvue en grande partie de la propagande communiste était un magazine soviétique de BD sorti en différentes langues étrangères dont en français. Somme toute Pif a marqué toute une génération en Roumanie et a contribué au renouveau de la francophonie dans ce pays.



    Par le biais de cette revue les Roumains entraient en contact avec la culture française, avec la culture populaire occidentale et avec une culture tout à fait inhabituelle pour nous, celle de la BD. Des générations entières d’enfants ont appris le français, de manière intuitive et spontanée, en lisant des bandes dessinées. Vous pouvez apprendre davantage sur la revue Pif et la BD en Roumanie à l’époque communiste si vous recherchez sur notre site rri.ro l’édition de notre dossier « Pro Mémoria » de novembre 2014 qui contient une interview avec le réputé politologue Ioan Stanomir, également passionné de BD.

  • 26.01.2023

    26.01.2023

    Aides – L’Etat roumain accordera cette année 1400
    lei d’aides pour le paiement des factures énergétiques par certaines catégories
    vulnérables de consommateurs: retraités, personnes handicapées, familles
    nombreuses. Pour en bénéficier, il faut juste que le revenu par tête au sein de
    la famille ne dépasse pas les 2000 lei, soit les 410 euros. Cette aide
    s’accordera à partir du mois de février sous la forme d’une carte d’Energie
    imprimée et délivrée par la poste, selon des listes élaborées par le Ministère du
    Travail et de la Solidarité sociale. Selon les autorités, presque 4 millions de
    Roumains se verront accorder une telle aide.


    Subventions
    – Le gouvernement roumain est censé décider ce jeudi le plafond de garantie
    pour le programme La Nouvelle Maison censée
    permettre aux Roumains d’acheter un logement en contractant des crédits
    garantis par l’Etat. Les responsables roumains se pencheront aussi sur un acte
    normatif pour pouvoir offrir aux fermiers des aides pour payer leur diesel.
    L’Exécutif roumain doit fixer le montant de la subvention par litre de diesel
    et la somme totale que le Ministère de l’Agriculture et du Développement rural
    allouera pour cela. Le gouvernement de Bucarest devrait mettre en place une
    commission chargée de résoudre les contestations dans le domaine du patrimoine
    culturel immobilier. Par ailleurs, les décideurs politiques voteront un accord
    cadre entre le Gouvernement roumain et le Conseil de la Fédération Suisse pour
    le versement de la deuxième contribution suisse en faveur de certains États
    membres de l’Union européenne au terme d’un document signé à Bucarest, en
    décembre dernier.


    JAI
    – Le Conseil Justice et Affaires Intérieures se réunit aujourd’hui et demain,
    pour la première fois depuis décembre 2022, sous la présidence suédoise du
    Conseil de l’UE. Lors de sa précédente réunion, la Roumanie et la Bulgarie se
    sont vu bloquer par l’Autriche et respectivement les Pays Bas, l’accès à
    l’Espace Schengen de libre circulation. Ce thème ne se retrouve pas sur
    l’actuel agenda du conseil. Le ministre roumain des Affaires Intérieures,
    Lucian Bode, affirmait la semaine dernière que l’adhésion de Bucarest à
    Schengen restait prioritaire et qu’elle sera discutée en marge des pourparlers
    de Stockholm. La commissaire chargée des Affaires Intérieures, Ylva Johansson a
    affirmé que les ministres se pencheront sur une nouvelle stratégie de retour
    des migrants illégaux dans leurs pays d’origine. Cette précision intervient
    après que les Pays Bas ont demandé à Bruxelles d’obliger plusieurs pays à
    reprendre leurs citoyens considérés comme illégitimes en Europe, en
    restrictionant leur accès aux visas. Mardi, à l’occasion du lancement d’une
    nouvelle stratégie censée accroître le taux de déportations d’Europe, la
    Commission européenne a fait savoir que rien qu’en 2022, le nombre de réfugiés
    illégaux en Europe s’est monté à plus de 300.000.












    Communisme – L’Institut pour
    l’Investigation des crimes du communisme lance la campagne nationale « le
    Baromètre de la nostalgie communiste » afin d’examiner et de répertorier
    les manifestations par lesquelles les Roumains tentent à réhabiliter le
    communisme. L’Institut constate l’existence d’un courant d’opinion censé
    relativiser la nature criminelle de la dictature communiste en Roumanie,
    notamment à l’époque de Nicolae Ceausescu, peut-on lire dans un communiqué. Et
    l’institution d’affirmer que sous le prétexte de la liberté d’opinion, de
    telles manifestations de réhabilitation communiste ont un fort impact notamment
    sur les jeunes, en minant leur confiance dans les valeurs démocratiques.
























    Cinéma – Deux films roumains, ‘Metronom’ de
    Alexandru Belc et ‘R.M.N.’ de Cristian Mungiu, ont été sélectionnés en
    compétition pour la 46ème édition du Festival international du Film
    de Göteborg en Suède, l’évènement de ce genre le plus important de Scandinavie,
    qui se déroulera du 27 janvier au 5 février. D’après un communiqué de presse de
    l’Institut culturel roumain de Stockholm, le festival présente chaque année
    environ 400 productions du monde entier, et quelques 160 000 personnes
    assistent aux projections. ‘Metronom’, le premier film du réalisateur Alexandru
    Belc, raconte une histoire d’amour entre deux jeunes dans la Roumanie
    communiste de 1972, les critiques le décrivent comme l’analyse socio-historique
    d’une génération obligée de vivre dans une société pleine de suspicion et de
    méfiance réciproque. Dans le film ‘R.M.N.’ du réalisateur consacré Cristian
    Mungiu, l’action se déroule dans un village de Transylvanie, où la paix des
    habitants est troublée lorsque des travailleurs étrangers sont engagés dans la
    petite usine locale. Les frustrations, les conflits et les pulsions
    rejaillissent alors, brisant le vernis de calme et de bonne entente du village.














    Kiev -Les autorités de Kiev ont annoncé leur intention
    d’ouvrir de nouveaux points de passage à la frontière avec la Roumanie, dans la
    région de Tchernivtsi, afin de faciliter le
    transport de marchandises et la circulation des personnes, suite aux
    embouteillages des derniers temps. Selon les autorités ukrainiennes, en plus du
    point de passage Diakivţi-Racovăţ qui va ouvrir prochainement, deux
    autres postes frontières sont en préparation : celui entre Sepit et
    Izvoarele Sucevei et un autre entre Rusca et Ulma. Ce dernier était fermé
    depuis 2010. La circulation au niveau du poste frontière de Siret, qui a
    enregistré un nombre de passages sans précédent, est bien plus fluide qu’en fin
    d’année dernière quand il y avait des files d’attentes de plus de 40 kilomètres
    côté ukrainien.











    Météo – Le
    ciel est couvert ce jeudi, en Roumanie où les chutes de neige se font de plus
    en plus présentes, notamment en altitude. Le vent souffle sur l’ensemble du
    relief à une vitesse de 40 à 50 km/heure. Les températures maximales vont de 0
    à 8 degrés. Plusieurs départements du sud et du centre de la Roumanie sont en
    vigilance jaune aux précipitations, au verglas et au vent très fort, en vigueur
    jusqu’à demain matin. Une deuxième vigilance jaune à la pluie et à la neige
    sera émise à partir de vendredi matin et jusqu’à samedi soir, dans le sud-est
    du pays et dans plusieurs départements du centre, de l’est et du sud-ouest de
    la Roumanie.

  • L’art dramatique et les archives de la Securitate

    L’art dramatique et les archives de la Securitate

    « Teatrul ca rezistență », « Le théâtre
    en résistance », ouvrage rédigé par la journaliste Cristina Modreanu,
    récemment paru aux éditions Polirom, détaille les manières insidieuses
    employées par la police politique du régime communiste roumain, la Securitate,
    pour museler la voix des acteurs, mais aussi les chemins détournés que ces
    derniers prenaient pour contourner le système mis en place par le régime, pour
    résister face au poison de la propagande et à l’intimidation omniprésente. Basé
    sur des documents issus des fonds d’archives de la Securitate, l’auteure,
    chroniqueuse théâtrale à l’origine, arrive à nous faire revivre l’atmosphère pesante
    de l’époque, comme nous l’explique la journaliste Oana Cristea Grigorescu :


    « L’ouvrage nous fait découvrir des faits inédits,
    méconnus jusqu’alors, sur chaque personnage. L’on apprend beaucoup sur leurs
    parcours, sur leurs relations avec la Securitate. L’autrice s’est plongée dans
    des archives ignorées depuis plus de 30 ans. Après 1989, une partie des archives
    des théâtres, souvent rangées dans des conditions impropres, a été détruite. L’on
    a aussi ignoré d’archiver ce qui devait l’être. Et le chercheur se trouve
    devant l’impossibilité de reconstituer des décennies d’histoire théâtrale. Or,
    par son ouvrage, Cristina Modreanu lance aussi un appel aux jeunes chercheurs,
    aux jeunes critiques, de piocher dans les archives qui ont survécu, de se
    plonger dans ce passé somme toute proche. Car nous avons aujourd’hui la chance
    de regarder ce passé à l’aune de cette information disponible dans les archives
    qui ont survécu, dans les archives conservées dans les fonds de la Securitate, au
    moyen des témoignages des contemporains, ou des descendants, qui peuvent
    éclairer certains aspects qui relèvent de la vie privée des personnalités qui
    ont marqué le théâtre roumain durant l’époque communiste. »


    Après un travail de fourmi réalisé durant 4 années, Cristina
    Modreanu est aujourd’hui en mesure de faire le bilan de ce qu’avait été cette
    relation compliquée entre les hommes et les femmes de théâtre et la Securitate :


    « Vous savez, ce que j’avais trouvé tout à
    fait inouï, c’était la phrase employée par les agents de la Securitate pour
    justifier face à leur hiérarchie le démarrage d’une enquête diligentée contre
    un homme de théâtre. Cette phrase était, je cite : « Il représente une
    menace pour l’ordre socialiste ». Cette formule était employée à chaque
    fois, comme une litote. Il ne s’agissait pas d’une coulpe personnelle, mais d’un
    soupçon d’ordre général. Pour le régime, l’artiste était coupable a priori. Il
    était d’emblée perçu comme une menace, car il avait ce pouvoir d’influer les gens.
    Il était au contact des gens, il pouvait promouvoir la pensée critique, il
    pouvait même, dans certaines conditions favorables, déclencher une révolte. C’était
    la vision du régime sur les artistes. Je n’ai pas voulu parler de dissidents
    dans mon ouvrage, de ceux qui se sont fait remarquer par des gestes publics,
    qui ont pris des risques. Il n’y en a pas eu beaucoup, même si ce qu’ils ont
    fait a marqué les esprits, mais ce n’était pas mon intention de me pencher sur
    cette catégorie particulière. J’ai voulu me pencher sur les « invisibles »,
    même si certains étaient des artistes très en vogue. Parler aussi des artistes
    qui ont joué dans les théâtres de province, moins connus par la force des
    choses. Des gens qui, tout au long de leur carrière dans le théâtre, ont dû
    affronter la menace pesante de la Securitate. C’est pourquoi j’ai employé dans
    le titre le terme de « résistance ». Parce qu’ils sont parvenus en
    fin de compte à ne pas bafouer ni leur métier, ni les principes moraux qui les
    animaient. Ils sont restés debout, et c’est ce qui compte
    ».


    L’auteure du « Théâtre en résistance » nous
    assure que son travail n’est pas achevé. Un nouveau volume pourrait même paraître
    prochainement. (Trad. Ionut Jugureanu)



  • 35 ans depuis la disparition du philosophe Constantin Noica

    35 ans depuis la disparition du philosophe Constantin Noica

    Constantin Noica, un des plus importants philosophes
    roumains du XXe siècle, est né en 1909, au sud de la Roumanie, dans le
    département de Teleorman. Il suit les lettres et la philosophie à l’université de
    Bucarest, cette dernière couronnée par un mémoire sur le philosophe allemand Immanuel
    Kant. Attiré par la version locale de l’existentialisme, intitulé le « trăirism »,
    il devient le disciple de Nae Ionescu, son professeur de la faculté de
    philosophie de l’université de Bucarest. Entre 1932 et 1934, il est membre de
    la société culturelle Criterion. Pourtant, apolitique convaincu, il ne se
    laisse pas séduire par l’idéalisme martyrologique de la Garde de fer,mouvement
    ultra-nationaliste et intégriste chrétien, antisémite et antidémocrate, tels d’autres
    membres de cette société culturelle. Au printemps 1938, il reçoit, à l’instar
    de Cioran et Ionesco, une bourse d’études de l’Etat français. Il demeure à
    Paris jusqu’au printemps 1939. De retour à Bucarest, il soutient sa thèse de
    doctorat en philosophie en mai 1940. La même année, on le retrouve à Berlin, en
    qualité de référent de philosophie auprès de l’Institut culturel roumain de
    Berlin. C’est là que Noica suit les cours du philosophe allemand Martin
    Heidegger. Il y restera jusqu’en 1944, lorsque la Roumanie rompt l’alliance
    avec l’Allemagne nazie et rejoint le camp allié.


    Après la fin de la guerre et l’arrivée au pouvoir des
    communistes en Roumanie, Noica se voit forcé de quitter Bucarest et de s’établir
    dans la petite ville de Câmpulung-Muscel, où il vivra de longues années en résidence
    surveillée. En 1958, à l’issue d’un procès monté de toutes pièces par le
    régime, le philosophe se voit condamné à 25 années de travaux forcés. Il
    exécutera 6 années de sa peine, dans le pénitentiaire Jilava, avant d’être
    libéré, en 1964, à la suite du décret d’amnistie de l’ensemble des prisonniers
    politiques consenti par le gouvernement communiste d’alors. Noica regagne dès
    lors Bucarest et travaille au Centre de logique de l’Académie roumaine à partir
    de 1965. C’est là qu’il se lie d’amitié avec de jeunes collègues, qui
    deviendront progressivement ses disciples et qui marqueront durablement de
    leur empreinte la culture roumaine, tels Gabriel Liiceanu, Sorin Vieru, Andrei
    Pleșu, Andrei Cornea. En 1975, il prend sa retraite, pour se retirer dans la
    petite station de montagne de Păltiniș, située en Transylvanie, dans le
    département de Sibiu, qu’il ne quittera plus. C’est là qu’il formera, en
    catimini, entouré de ses disciples, une véritable école philosophique. Noica meurt
    le 4 décembre 1987. Il laissera une œuvre écrite formé de 32 tomes de
    philosophie, esthétique, critique littéraire, recueils d’articles. De ses 32
    tomes, 12 paraîtront posthume, la plupart après la disparition du régime
    communiste.


    Le philosophe et essayiste Andrei
    Pleșu, ancien ministre de la Culture et ancien ministre des Affaires étrangères
    après la chute du régime communiste, avait été un des disciples assidus de
    Constantin Noica. Andrei Pleșu :


    « J‘avais eu la chance d’avoir été
    formé grâce à quelques membres marquants du goulag roumain. Je me suis abreuvé
    à ces sources exceptionnelles, grâce auxquelles j’avais pu dépasser cette
    époque figée, qui ignorait tout de ce qu’avait été l’histoire de la philosophie
    et de la pensée universelle, à l’exception de la pensée marxiste, dépourvue bien
    évidemment de l’indispensable recul critique. Et cette ouverture sur le monde,
    c’était énorme à l’époque. J’avis eu la chance d’avoir fait assez tôt
    connaissance avec Alexandru Paleologu, Sergiu Al-George, Remus Nicolescu, Teodor
    Enescu, I. D. Sârbu, Marin Tarangul
    . Ce dernier, on
    était collègues en 1re année de l’Histoire de l’Art. Mais il avait
    dix ans de plus que moi, une licence en théologie, et quelques années de prison
    politique à son actif. Je lui vouais un respect énorme, c’était un grand
    monsieur. Et puis, il avait une bibliothèque impressionnante, surtout pour
    cette époque. Et par-dessus tout, ce mec, cultivé, et qui semblait avoir vécu
    dix vies pour son âge, il n’avait pas perdu le plaisir de vivre, de jouir de la
    vie. C’est lui qui m’avait fait découvrir la bohème bucarestoise, dont j’ignorais
    tout à l’époque, cela lorsque je ne la méprisais pas. C’était aussi un farceur.
    Et puis, un beau jour, il rentre en coup de vent et me lance, enthousiaste :
    « Lis le prochain numéro de la revue « La Roumanie littéraire » ».
    Tu trouveras un auteur, dont je suis certain que tu n’avais jamais entendu
    parler. Il s’appelle Constantin Noica. Lis son texte. Tu comprendras ce qu’est
    la philosophie, la vraie ».


    Pour Andrei Pleșu, comme pour bien d’autres
    intellectuels de sa génération, découvrir la pensée de Noica avait eu l’effet d’un
    électrochoc. C’était la rencontre avec un monde merveilleux et insoupçonné.
    Andrei Plesu :


    « J’avais lu cet article, et sa
    lecture m’avait marqué. C’était complètement différent de tout ce que j’avais
    lu jusqu’alors. Et puis, le hasard fait que je prenais à la même époque des
    leçons particulières d’anglais avec une dame, Meri Polihroniade, veuve du
    pédagogue de droite Polihroniade, condamné par les communistes, et qui avait
    fini ses jours en prison. Et le mari actuel de cette dame était un avocat,
    Lăzărescu, qui avait été enfermé dans le même pénitentiaire que Noica. Et c’est
    par son entremise que j’ai pu rencontrer ce dernier. Monsieur Lăzărescu avait
    touché un mot à Noica, qui habitait à l’époque un appartement d’une pièce dans
    un quartier périphérique de Bucarest. Un immeuble neuf, des ceux qui avaient
    été érigés par les communistes. Il m’a reçu, et je me souviens avoir été frappé
    par son élégance. Il était habillé comme dans l’ancien temps. Et il a accepté
    de nous apprendre, à moi et à l’ami Marin Tarangul, le grec ancien. C’était le
    début de notre relation. Et c’est toujours lui qui m’avait dit : si tu
    veux commencer à faire de la philosophie, il faut apprendre l’allemand. Sans l’allemand,
    ce n’est pas possible. Et il m’a donné trois bouquins à lecturer »
    .


    Constantin Noica a marqué, par ses textes érudits,
    par ses traductions des philosophes grecs, par l’école de pensée qu’il fonda, l’histoire
    de la philosophie roumaine du 20e siècle. Un modèle éthique aussi. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • L’histoire de la protection de l’enfance en Roumanie

    L’histoire de la protection de l’enfance en Roumanie

    L’enfant occupe sans doute une place particulière dans l’histoire de l’humanité.
    Mis sous tutelle ou protégé tour à tour par des personnes privées, la société,
    l’Eglise ou l’Etat, ce dernier à travers ses institutions et ses services, l’enfant
    ne devient que progressivement un sujet de droit à part entière.


    Le sort de l’enfant né dans l’espace roumain au long
    des siècles a forcément subi l’influence des rapports que les sociétés qui exerçaient
    leur emprise sur cet espace entretenaient avec l’enfant. A partir de la seconde
    moitié du 19e siècle, c’est l’Etat qui entend prendre en charge, et
    réguler la vie de certaines catégories d’enfants, à travers ses orphelinats et
    autres institutions publiques, destinés notamment aux enfants sans famille. C’est
    en effet aux enfants pauvres, abandonnés, orphelins, gravement malades ou sans
    domicile fixe que ces services s’adressaient en premier lieu. La première
    institution moderne de protection de l’enfance voyait ainsi le jour en 1897 lorsqu’était
    fondé l’asile destiné aux enfants abandonnés sous l’égide de la société de bienfaisance « Sainte Catherine »,
    du nom de la patronne de l’une des cofondatrices, Ecaterina Cantacuzino, épouse
    de l’homme politique conservateur Gheorghe Grigore Cantacuzino. C’est la mairie
    de Bucarest qui fit don à la société d’un terrain de 20.000 mètres carrés, sur
    lequel cette dernière érigea un ensemble de 7 bâtiments. Aujourd’hui, cet
    ensemble, nationalisé par le pouvoir communiste en 1948, fait office de siège
    de la Direction d’assistance sociale et de protection de l’enfance du 1er
    arrondissement de Bucarest.


    Oana Drăgulinescu,
    la coordinatrice d’un nouveau projet muséal inédit, le musée de l’Abandon, met
    en exergue le rôle exemplaire détenu par la société de bienfaisance « Sainte
    Catherine » aux premières heures du domaine de la protection de l’enfance en
    Roumanie. Oana Drăgulinescu :


    « Une chose est claire : l’enfant
    d’autrefois était loin d’avoir occupé une place privilégiée dans la famille.
    Les gens avaient beaucoup d’enfants, et ces derniers étaient mis au travail,
    pour ne pas dire exploités, depuis un âge plutôt tendre. Un enfant en plus
    était une bouche de plus à nourrir. Il fallait donc leur faire gagner leur
    pitance dès que cela s’avérait possible. Ensuite, dans les archives de « Sainte
    Catherine » nous avons découvert les débuts de ce que l’on pourrait
    appeler une politique de protection de l’enfance, à partir de 1900. C’étaient
    des pionniers en la matière. Leur institution commence à faire des adoptions
    officielles, abandonnant la pratique des adoptions officieuses, qui avait eu cours
    jusqu’alors. Il ne s’agissait plus de prendre chez soi un enfant, à l’instar d’un
    meuble, ou par bonté de cœur, mais de professionnaliser l’approche. Vous savez,
    ils surveillaient la manière dont les nounous allaitaient, la manière dont
    elles éduquaient leurs pupilles, de sorte à assurer leur épanouissement futur
    ».


    Le régime communiste, instauré progressivement à
    partir du 6 mars 1945, a changé notablement la donne en matière sociale et
    sociétale. Et en dépit de bonnes intentions clamées, les politiques de protection
    de l’enfance seront bâties sous l’empire de la brutalité, tellement caractéristique
    du régime. Oana Drăgulinescu :


    « Après
    1945, le communisme parvient à s’imposer, et puis Ceausescu arrive au pouvoir, en
    1965. Et pour booster la natalité, il ne trouvera rien de mieux que de mettre
    la contraception et l’IVG hors la loi. Et les enfants arrivent, à profusion.
    Seulement, voyez-vous, personne ne s’était inquiété de savoir si les familles,
    les filles mères, les mères des familles nombreuses avaient l’envie et les capacités
    de s’occuper à élever ces nouveau-nés non désirés, arrivés à l’improviste. Les
    gens s’appauvrissaient à grande vitesse, surtout dans les années 80. Et l’abandon
    d’enfants fait son apparition, et rentre dans les mœurs, pendant que l’Etat
    institutionalise à tour de brasces enfants abandonnés par leurs géniteurs
    ».


    La déviance n’avait pas droit de cité dans la société
    socialiste. L’homme nouveau esquissé par les idéologues du régime ne pouvait
    être qu’un être parfait, le parfait soldat du régime. Oana Drăgulinescu :


    « C’est dans ce contexte très
    idéologisé qu’est apparu l’enfant modèle du régime. Un modèle de perfection,
    cela s’entend. Et tous ceux qui, pour une raison ou une autre, ne pouvaient pas
    espérer atteindre ces standards, les enfants souffrant d’une quelconque maladie
    handicapante par exemple, eh bien, ceux-là se voyaient condamnés à rejoindre les
    mouroirs qu’étaient devenus les orphelinats médicalisés, censés prendre en
    charge les « incurables », comme le régime avait appelé ces enfants.
    Avec la chute du régime, le monde entier découvre l’horreur, ces images qui
    rappelaient les champs d’extermination nazis, et qui hantent encore nos
    mémoires. Mais là, on n’était plus en 45, mais en 89, en 90, et l’on retrouvait
    d’un coup ces enfants moribonds, enchaînés nus à leurs lits de fer
    ».


    Après le changement de régime de 1989, tout restait à
    faire dans le domaine de la protection de l’enfance en Roumanie. Il fallait, en
    effet, tout reprendre à 0. Oana Drăgulinescu :


    « Heureusement que l’histoire ne s’est
    pas arrêtée en 1989. La transition a été longue et douloureuse. La sombre histoire
    des enfants martyres a continué longtemps après la chute du régime. Jusqu’en
    2004, rien n’avait en fait été entrepris pour améliorer le sort des enfants qu’on
    continuait d’abandonner. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là, lorsque la loi
    de la protection de l’enfance a été adoptée, que les choses ont commencé à
    évoluer, progressivement, dans la bonne direction.
    »



    L’histoire
    de la protection de l’enfance épouse sans doute les soubresauts de l’histoire
    de la Roumanie. Et le nouveau projet du musée de l’Abandon entend rendre la
    parole à ceux qui, depuis toujours, en sont privés. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Brasov, 35 ans plus tard

    Brasov, 35 ans plus tard

    « Le jour que l’on n’oublie pas », c’est le titre d’un livre sorti par deux historiens roumains contemporains, Marius Oprea et Stejărel Olaru, dédié à la révolte anticommuniste des ouvriers de la ville de Brasov dans le centre de la Roumanie, le 15 novembre 1987. Même si durement réprimée, cette révolte, la première à secouer la dictature communiste de Nicolae Ceausescu, a été selon les historiens un véritable prélude de la Révolution anticommuniste roumaine de décembre 1989, celle qui a renverse, après un demi-siècle, le régime imposé par l’armée soviétique d’occupation à la fin de la Seconde guerre mondiale. A la fin des années 80, à Moscou, le dernier leader soviétique, le réformateur Mikhaïl Gorbatchev, rompait avec la tradition de l’état policier hérité depuis Lénine et Staline et tentait d’humaniser le système par ses réformes appelées Glasnost (transparence) et pérestroïka (restructuration). En Pologne satellisée aussi comme la Roumanie après la guerre, le syndicat ouvrier anticommuniste de la « Solidarité » immobilisait par des protestations et des grèves marathon un régime communiste qui prétendait encore gouverner au nom et au bénéfice des ouvriers.

    Ce ne fut pas par hasard que l’explosion de furie des travailleurs de Brasov s’est produite sur une des plus importantes plateformes industrielles de la République socialiste, dans le climat sinistre de la fin des années 80, durant lesquels la précarité de la vie était doublée par la surveillance policière qui se voulait sans faille et par un délirant culte de la personnalité de Ceausescu.

    Le président de l’Association 15 novembre 1987 Brasov, Marius Boieriu remémore : « Nous avons demandé du pain puisqu’il se vendant en vertu de tickets de rationnement et il fallait patienter dans de longues files d’attente à la fin du programme. Nous avons demandé de la chaleur dans nos appartements glaciaux, où grelottaient les enfants de nos collègues plus âgés. J’avais 20 ans à l’époque. J’ai demande de la liberté. Et pour obtenir tout cela, j’ai crié « A bas Ceausescu ! », dans l’espoir que les habitants de Brasov allaient nous rejoindre, j’ai chanté « Eveille-toi Roumain » dans notre marche vers le siège départemental du Parti communiste roumain. Deux ans plus tars, les Roumains se sont éveillés. Il est difficile de décrire en quelques mots les souffrances qu’on a dû vivre ensuite. »

    Les ouvriers ont pénétré le siège local du pouvoir et jeté par les fenêtres les portraits de Ceausescu et les drapeaux rouges du parti unique communiste. Ensuite, quelque 300 protestataires ont été arrêtées et enquêtés sous torture par la Securitate, la police politique du régime. Le pouvoir a choisi toutefois de traiter ces protestations comme des « cas isolés d’houliganisme » et les peines n’ont pas dépassé les trois ans de prison, « sans privation de liberté », c’est-à-dire avec sursis, soit une peine relativement modérée dans le code pénal communiste. Néanmoins personne n’a empêché les forces du régime à torturer les travailleurs arrêtés. Certains d’entre eux ont également été déportés dans d’autres villes du pays.

    La pancarte affichée par les étudiants de la ville avec le texte « Les travailleurs arrêtés ne doivent pas mourir » a peut être contribué aux peines assez souples infligées aux participants à la révolte. Déjà, les mécontentements dépassaient les portes des usines de la ville, étant partagées par la majorité des Roumains. Deux années plus tard, la Révolution mettait fin au régime que l’Etat roumain post-communiste allait condamner officiellement le jugeant de criminel et d’illégitime.

  • Le metteur en scène Liviu Ciulei

    Le metteur en scène Liviu Ciulei

    Liviu Ciulei est un des metteurs en scène roumains qui ont réussi, à la fin des années 1950 et au début
    des années 1960, à sortir le spectacle de théâtre de sous l’influence néfaste
    des commandements rigides et artificiels du réalisme socialiste. Il fut aussi
    un des plus talentueux. Réalisateur de film en égale mesure, Liviu Ciulei a réintroduit
    la dimension esthétique dans le cinéma et le théâtre, une démarche due aussi à
    sa formation académique, faite à l’époque de l’entre-deux-guerres. Il est né en
    juillet 1923 à Bucarest dans une vieille famille d’intellectuels. Son père, qui
    s’appelait aussi Liviu Ciulley, avait été un fameux ingénieur en bâtiment,
    collaborateur des principaux architectes impliqués dans construction de la
    ville de Bucarest moderne. Pour respecter le désir de son père, Liviu Ciulei a fait
    d’abord des études d’architecture pour s’inscrire après au Conservatoire d’art
    dramatique. Au théâtre, il a commencé par se faire remarquer en tant qu’acteur,
    mais son talent d’architecte s’est exprimé dans les décors qu’il a réalisés
    pour un grand nombre de ses productions.

    La critique de théâtre Miruna Runcan explique
    qu’est-ce qui a poussé Liviu Ciulei à assumer aussi la mise en scène: Puisque nous sommes habitués à son image à l’âge mûr, il est, pour
    nous, un patriarche du théâtre et du cinéma de Roumanie. En fait, il a été un
    jeune très agité, dans le meilleur sens du mot. Il voulait toucher à tout et ça
    lui réussissait. Il s’est voulu réalisateur et il collabore en tant
    qu’acteur avec les réalisateurs des
    années 1950, dans des bides de propagande de l’époque, des films qu’on ne voit
    plus aujourd’hui. Mais il est l’assistant de Victor Iliu dans la réalisation du
    film « Moara cu Noroc/Le Moulin de la Bonne chance », où il imagine
    aussi les décors. Il y apprend beaucoup du métier et ça lui donne le courage de
    se tourner vers le cinéma. Ce fut une heureuse rencontre. Et ensuite il réalise
    le film « Valurile Dunării/ Les vagues du Danube », très apprécié au Festival
    de Karlovy Vary. Mais il a toujours affirmé que son intérêt pour le cinéma
    avait été inférieur à celui pour le théâtre.




    Après « Valurile Dunării »,
    réalisé en 1960, c’est à peine en 1965 qu’il sort « Pădurea spânzuraților/La
    Forêt des pendus », adaptation cinématographique du roman homonyme de
    Liviu Rebreanu et première production roumaine présentée au Festival de Cannes,
    où Liviu Ciulei remporte d’ailleurs le prix de la meilleure réalisation. Cependant,
    entre 1960 et 1965, il a cultivé le théâtre, remportant son premier succès en 1961,
    lorsqu’il a mis en scène la pièce « Comme il vous plaira » de William
    Shakespeare. En 1963, il prend la direction du Théâtre Bulandra de Bucarest, où
    il a créé une troupe exceptionnelle et des spectacles qui deviendront célèbres
    parmi les amoureux de la scène.

    Miruna Runcan décortique le style de Liviu
    Ciulei : Je ne sais pas si l’on peut parler d’un
    style particulier, Ciulei avait plutôt une méthodologie de travail
    perfectionniste. Il a parfois été accusé d’être baroque, mais ce n’est pas vrai
    pour tous ses spectacles et, en général, il a évolué vers une simplification de
    l’espace. Il a créé de nombreux spectacles importants. Par exemple, celui avec
    « L’Opéra de quat’sous » de Brecht, dans lequel Toma Caragiu réussissait
    un rôle magnifique. Plus tard, quand, malgré ses nombreux contrats aux
    États-Unis, il mettait en scène, de temps à autre, des pièces à Bulandra, il a
    créé un spectacle inoubliable et un des derniers à Bucarest, avec « La
    Tempête », de Shakespeare. Un chef-d’œuvre absolu avec George Constantin dans
    le rôle de Prospero, un spectacle pas du tout baroque, bien le contraire. Par
    contre, le perfectionnisme était quelque chose d’essentiel. Si un acteur ne
    faisait que traverser la scène, eh bien, il fallait que ce soit parfait.




    Par ses succès, Liviu Ciulei s’était attiré
    l’attention indéfectible de la Securitate, la police politique communiste,
    raconte Miruna Runcan: Ciulei a été surveillé depuis 1955, lorsqu’un
    premier dossier a été ouvert à son nom, et jusqu’à la chute du communisme. La
    chose la plus dégoûtante a probablement été le fait que certains de ses propres
    collègues ou des gens de théâtre l’ont surveillé et rapporté aux agents de la Securitate
    et à la direction de la section du parti communiste. Juste quelques uns de ses
    spectacles ont eu de gros problème de
    censure, car il avait beaucoup de tact dans les relations avec les autorités, sinon il n’aurait pas
    survécu près de dix ans en tant que directeur de théâtre, depuis la mort de
    Lucia Sturdza Bulandra jusqu’en 1972, lors du scandale de la pièce « Le
    Révizor » de Gogol. En revanche, en tant que directeur, il a dû défendre
    tout un tas de spectacles secoués par la censure ou qui s’étaient attiré les
    foudres de la presse et des autorités. Il a été un ami très fidèle et a eu une
    relation absolument extraordinaire avec son confrère plus jeune et bien plus
    turbulent Lucian Pintilie.




    D’ailleurs, ce fut Pintilie le metteur
    en scène du « Révizor » de Gogol, un spectacle qui a fini par être
    interdi par les autorités communistes. De toute façon, après 1971, en Roumanie,
    l’atmosphère s’est assombrie de plus en plus, ce qui a poussé Liviu Ciulei à
    quitter le pays en 1980, comme l’avaient fait de nombreux intellectuels et
    artistes, ajoute Miruna Runcan:
    On lui a conseillé de partir à
    l’étranger. Nous devons préciser le contexte et dire que le nationalisme
    communiste s’installe en fait en Roumanie à partir de 1971. Cela s’est traduit
    par un renforcement de la censure et par la domination de l’idéologie du
    protochronisme ou nationaliste, que les artistes importants n’agréaient pas.
    Alors certains d’entre eux quittent tout simplement le pays, ils s’évadent en
    profitant d’un voyage d’études ou touristique. D’autres, notamment les plus
    importants, reçoivent de tels conseils de partir de la part des gens du parti
    ou de l’État. « Écoutez, le parti vous approuvera des contrats et vous
    pouvez partir où vous voulez, où vous avez un contrat, et essayer de travailler
    à l’étranger. » Liviu Ciulei a raconté ça dans plusieurs interviews, après
    1990.


    Après avoir quitté la Roumanie, Liviu Ciulei a
    travaillé dans plusieurs pays européens, aux États-Unis, au Canada et en Australie. Il a été le
    directeur artistique de la compagnie théâtrale Tyrone Guthrie de Minneapolis et depuis 1986 il a enseigné l’art théâtral à l’Université Columbia ainsi qu’à
    l’Université de New York. Il est revenu en Roumanie après la chute du
    communisme en 1989. Liviu Ciulei est mort en octobre 2011. (Trad. Ileana Ţăroi)







  • “Le renard était déjà le chasseur”

    “Le renard était déjà le chasseur”

    Un roman d’une poétique tragique qui frappe son lecteur de la force d’un coup de poing, Le renard était déjà le chasseur de la romancière Herta Müller, prix Nobel de la littérature en 2009, est le coup de coeur littéraire de cette semaine, de Charlotte Fromenteaud. Un programme de RRI en partenariat avec la librairie française de Bucarest, Kyralina.

  • 23.08.2022 (mise à jour)

    23.08.2022 (mise à jour)

    23 Août – La Journée de la Commémoration des Victimes du
    Fascisme et du Communisme s’avère la meilleure occasion pour rendre hommage à
    ceux ayant subi les horreurs des régimes totalitaires, tout en réitérant notre
    engagement ferme à rejeter toute forme d’extrémisme, d’intolérance et de haine.
    C’est ce qu’a affirmé le chef de l’Etat roumain, Klaus Iohannis, dans un
    message. Le 23 août 1939, toute l’humanité a été condamnée, non seulement
    l’Europe centrale et de l’est. Le Pacte Ribbentrop-Molotov a été une conspiration
    criminelle suite à laquelle des générations entières ont connu les effets
    toxiques et barbares des idéologies totalitaires aux graves conséquences à long
    terme, a ajouté Iohannis. Et lui de rappeler la décision du roi Michel I de
    Roumanie qui, le 23 août 1944, a décidé que le pays quitte l’alliance avec
    l’Allemagne nazie pour rejoindre les Nations Unies, un geste qui a certainement
    contribué au racourcissement de la Seconde Guerre mondiale. Le Parlement
    européen a décidé en 2008 que le 23 Août soit désigné comme le Jour européen de
    commémoration des victimes du stalinisme et du nazisme, deux régimes nocifs en
    Europe au siècle dernier. La résolution du PE rappelle que lors de ceux-ci ont
    eu lieu des génocides, les droits et les libertés de l’homme ont été violés,
    des crimes de guerre et contre l’humanité ont été commis.




















    Ukraine – Le Palais du Parlement de Bucarest et celui de
    Victoria, siège du gouvernement, ont été éclairés mardi en bleu et jaune pour
    marquer la Journée du drapeau ukrainien, fêtée le 23 août et celle de
    l’indépendance de l’Ukraine, marquée le 24 août. De cette manière, la Roumanie
    réitère sa solidarité envers ce pays, victime « d’une agression militaire
    non provoquée, illégale et irrationnelle déclenchée par la Russie. La
    solidarité de Bucarest envers l’Ukraine est alimentée non seulement par la
    position géographique, mais aussi par les principes et les valeurs
    démocratiques que nos voisins, Ukrainiens, défendent face à la menace russe »
    a affirmé le premier ministre roumain, Nicolae Ciuca, dans un communiqué. La
    Roumanie continuera à soutenir l’Ukraine et à offrir refuge aux Ukrainiens
    obligés de quitter leur pays pour fuir la guerre, a-t-il ajouté.

    Réfugiés – Presque 315.000
    voyageurs, Roumains et étrangers, ont rempli lundi les formalités pour entrer
    ou sortir du territoire roumain, a fait savoir l’Inspection générale de la
    Police roumaine des frontières. Sur ce total, plus de 12 000 étaient des
    réfugiés ukrainiens, de 14% de moins que la veille. Depuis le 10 février
    dernier, soit deux semaines avant le début de l’invasion russe de leur pays,
    plus de 2 millions d’Ukrainiens sont entrés en Roumanie, la plupart juste pour
    la transiter.






    Prix– Le gouvernement roumain a décidé de majorer de 50%
    les enveloppes destinées aux sportifs roumains médaillés aux compétitions
    internationales, a annoncé le premier ministre roumain, Nicolae Ciuca. Et lui
    de préciser que l’acte normatif sera adopté par l’Exécutif de Bucarest la
    semaine prochaine. « C’est tout ce que le budget nous permet de faire pour
    l’instant. Du coup, on espère que vos performances nous inspirent nous aussi afin
    qu’on obtienne de meilleurs résultats économiques et financiers qui nous
    permettent à reconnaître vos efforts » a affirmé Nicolae Ciuca dans un
    discours adressé aux sportifs. Les athlètes médaillés aux Championnats
    européens de tennis de table, d’aviron et de kayac, tout comme ceux présents
    sur le podium des Championnats du monde d’escrime et de judo ont été félicités
    par les membres du gouvernement lors d’une cérémonie déroulée au Palais de
    Victoria.



  • La voiture dans la Roumanie socialiste

    La voiture dans la Roumanie socialiste


    Le monde d’aujourd’hui ne serait sans doute pas le même en l’absence de l’automobile. Comme toute nouveauté technologique, l’automobile avait d’abord été adoptée par des gens fortunés, avant de devenir un objet utilitaire, accessible à Monsieur et Madame Tout-le-monde.



    Dans la Roumanie des années 1945/1989, l’évolution du marché automobile avait subi des évolutions de plus diverses, suivant les politiques publiques décidées par le parti communiste, à la tête du pays durant cette période. En effet, si, pendant les premières années de l’après-guerre, l’achat d’une voiture était strictement réservé aux membres de la nomenklatura, à partir des années 60, le marché s’était progressivement démocratisé.



    Șerban Cornaciu, vice-président du Retro-mobile club Roumanie, se souvient de cette période : « La première vague de libéralisation s’était produite grâce aux importations d’Europe occidentale. La clientèle était surtout formée de ce que l’on appelle les professions libérales- avocats, médecins, artistes- une catégorie de privilégiés, alors même sous le régime communiste. Ils avaient pris les devants et avaient eu le courage, car il fallait avoir une certaine dose de courage, de s’inscrire sur les listes d’attente. La Fiat 850 et la Renault 16 furent les premiers modèles importés, disponibles avant la mise en production de l’usine Dacia. Il y avait aussi des modèles plus chers, telle la Fiat 1800. Mais ce n’était pas dépourvu de risques. L’on pouvait se réveiller avec les agents de la police économique à sa porte, et devoir s’expliquer sur la nature de ses revenus. Rappelez-vous, l’on était dans les années 1960, en plein régime communiste, et la Securitate veillait au grain. »



    L’économie roumaine se redressait péniblement des suites de la guerre. En plus, elle fut aussi chamboulée, comme dans tous les pays de l’Est, par le changement de paradigme, passant d’une économie capitaliste, libérale, à une économie d’Etat, planifiée. Par ailleurs, la Roumanie a dû se passer du plan Marshall, pour des raisons idéologiques. Alors, le redressement marquait le pas. Et ce n’est que vers la fin des années 60 que l’Etat roumain décida de la construction, à Pitesti, d’une usine automobile, destinée à fabriquer deux modèles sous licence Renault, la Renault 8 et la Renault 12. Ils deviendront la Dacia 1100 et la Dacia 1300. Cela marqua le coup d’envoi d’une période faste pour l’automobiliste roumain, à la production interne s’ajoutant les importations en provenance des pays de l’Est.



    Serban Cornaciu : « Au début de la production de la marque Dacia, il fallait s’inscrire sur une liste d’attente, aller à la banque, solliciter un prêt, et puis la voiture convoitée allait vous parvenir dans un horizon de temps acceptable. Dès 1974, le modèle Dacia 1300 se présentait même en trois options d’équipement. L’on pouvait aussi choisir la couleur. Une nouvelle version, la Dacia 1310, sortit de l’usine en 1984. Et puis, il y avait les importations en provenance des autres pays du bloc communiste, alors que les importations d’Europe occidentale avaient été arrêtées dès 1972, lorsque l’usine de Pitesti avait pris sa vitesse de croisière. Il y avait les modèles Lada, la Moskvitch, la Trabant. La liste d’attente pour cette dernière n’était pas énorme, même si, à partir de 1988, il fallait quand même attendre jusqu’à trois ans pour pouvoir entrer en possession de cette voiture fabriquée en Allemagne de l’Est. »



    Mais la crise du pétrole et la crise économique mondiale de la fin des années 70 frappa de plein fouet le régime et, par ricochet, l’industrie automobile.



    Șerban Cornaciu : « Les années 80 ont amené une crise de l’automobile. S’il y a eu un renouvellement de la gamme produite à Pitesti, l’accès aux voitures importées était devenu bien plus difficile. Et l’usine de Pitesti peinait à satisfaire la demande interne, car le régime, en quête de devises, cherchait à brader ses modèles à l’exportation. Dans les années 80, il fallait attendre jusqu’à 5 ans pour se voir livrer la voiture commandée. Les options sont passées à leur tour à la trappe, l’on recevait un modèle dont la couleur avait été choisie par le fabriquant. Les couleurs vives avaient disparu, une année c’était le bleu, une autre année le vert ou le blanc. »



    En 1978, Nicolae Ceaușescu décide de l’utilisation exclusive des modèles issues de la production interne par les institutions publiques et les membres de la nomenklatura. Malgré tout, au milieu des années 1980, la crise avait continué de s’aggraver. La consommation de carburant n’avait pas échappé au rationnement généralisé des produits de base. La mobilité automobile de week-end devait observer les règles de la circulation alternée. La chute de neige en hiver était l’occasion pour la suppression complète de la circulation des voitures des particuliers sur des périodes de plus en plus étendues. La vie de l’automobiliste roumain devenait un calvaire.



    Mais qu’en était du marché auto d’occasion ? Șerban Cornaciu répond : « Les voitures passaient de main en main, d’un propriétaire à l’autre. Vu l’absence de voitures neuves, qui soient disponibles sur ce marché réglementé, le prix des voitures d’occasion avait considérablement augmenté, surtout à la fin des années 80, alors même qu’il devenait compliqué de pouvoir se procurer de l’essence. On achetait sa voiture et puis, à la première neige, la circulation était mise à l’arrêt par décret. Et alors, il n’y avait plus que les voitures dotées de plaques minéralogiques jaunes, les voitures des apparatchiks, les étrangères, celles du corps diplomatique, c’étaient les seules voitures autorisées à rouler. Prenez, le célèbre metteur en scène de l’époque, Sergiu Nicolaescu, eh bien, pour pouvoir se déplacer en voiture sur le tournage de son film, il était parvenu à se munir d’une plaque de ce genre, de résident étranger. C’est dire combien les choses avaient dégénéré à la fin des années 80. »



    Ce n’est qu’après la chute du régime communiste, fin 1989, que le marché automobile roumain se libéralise et se démocratise. Un changement de régime qui acheva de descendre l’automobile de la place convoitée d’objet du désir à l’époque communiste, à celle de simple objet utilitaire, à l’époque actuelle. (Trad. Ionuţ Jugureanu)




  • Ștefan Augustin Doinaș

    Ștefan Augustin Doinaș



    Poète, essayiste, traducteur, membre de lAcadémie roumaine et homme politique, Ștefan Augustin Doinaș, dont on vient de marquer le centenaire de sa naissance, est notamment connu pour son poème « Mistrețul cu colți de argint/Le sanglier aux crocs dargent », longtemps étudié en cours de roumain par les élèves de Terminale.



    Ștefan Popa, qui sest choisi le nom de plume Ștefan Augustin Doinaș, est né le 26 avril 1922, dans une famille aisée, dans le département dArad (ouest) ; il sest éteint le 25 mai 2002 à Bucarest, à lâge de 80 ans. Durant ses années de lycée, dans la ville dArad, il se familiarise avec les œuvres décrivains roumains importants des XIXe et XXe siècles, tels que Vasile Alecsandri, Dimitrie Bolintineanu, Mihai Eminescu, Tudor Arghezi, ainsi quavec celles de poètes français, comme Stéphane Mallarmé et Paul Valéry. En 1941, il se rend à Sibiu, pour suivre les cours de médecine de lUniversité de Cluj, qui y avait trouvé refuge après 1940, lorsque le nord de la Transylvanie avait été cédé à la Hongrie. Mais il arrête les études de médecine et se tourne vers la Faculté des Lettres et de Philosophie, dont il obtient le diplôme final en 1948. Ștefan Augustin Doinaș enseigne le roumain entre 1948 et 1955, lorsquil abandonne la carrière enseignante et déménage à Bucarest. En 1956, il rejoint la rédaction de la revue « Teatru ». En 1957, il est condamné à un an de prison, ce qui lui fait perdre son emploi et lui vaut aussi une interdiction de publier, qui dure jusquen 1963. Après la prison, il réussit à se faire embaucher à la revue « Lumea », grâce à lintervention de George Ivașcu, un homme de culture influent de lépoque. En 1969, Ștefan Augustin Doinaș rejoint la rédaction de « Secolul 20 », une des meilleures revues littéraires de Roumanie, à laquelle il restera lié jusquà la fin de sa vie. Entre 1964 et 2000, il a publié treize recueils de poèmes existentialistes, six volumes de critique littéraire et dessais, deux livres de littérature pour enfants, une pièce de théâtre et un volume de prose.



    Le poète et historien de la littérature Ion Pop a rendu hommage à la personnalité de Ștefan Augustin Doinaș, précisant que celui-ci pouvait inventer un langage poétique en sappuyant sur la rigueur des sciences exactes et sur la liberté dun jeu sans contraintes. « À une première vue, la création poétique de Ștefan Augustin Doinaș semble très éloignée du monde du jeu, que de nombreuses voix considèrent comme un espace dédié à des activités libres et dépourvues de responsabilité envers le sérieux existentiel. Doinaș est lui aussi un artisan raffiné du verbe et son image, retenue dès ses débuts par la mémoire du lecteur, a été plutôt celle dun auteur de vers soumis aux rigueurs classiques, strictement contrôlées du point de vue intellectuel. Lui, il est « lhomme au compas », selon le titre dun de ses livres importants. »



    Ștefan Augustin Doinaș a également été un traducteur réputé, à qui lon doit trente volumes de poèmes traduits en roumain. Il a traduit deux chefs-dœuvre de la littérature universelle, « Faust » de Johann Wolfgang Goethe et « Ainsi parla Zarathustra » de Friedrich Nietzsche, ses traductions étant considérées comme des monuments de recréation des deux œuvres en roumain. Par ailleurs, les livres de Ștefan Augustin Doinaș ont été traduits en une dizaine de langues européennes, dont le français, langlais, lallemand, litalien et lespagnol. LAcadémie roumaine lui a ouvert ses portes en 1992.



    Ștefan Augustin Doinaș a fait partie dune génération de Roumains traumatisés par le régime communiste. Il sy est confronté tout de suite après linstallation de ce régime en Roumanie, à la fin des années 1940, lorsque ses parents ont été qualifiés de « chiaburi », équivalent des « Koulaks » en URSS, cest-à-dire des « exploiteurs des paysans », selon lidéologie marxiste-léniniste. Lannée 1957 apporte un grand changement dans la vie de Ștefan Augustin Doinaș. Après la mort de Staline en 1953, Doinaș, comme tous les Roumains dailleurs, sattendait à de grands changements qui ne se sont pas produits. Après la liquidation de la révolution anticommuniste de Hongrie, en 1956, Ștefan Augustin Doinaș est arrêté le 3 février 1957 et il est condamné à un an de prison pour « non-dénonciation ». Il avait reçu la visite de lécrivain Marcel Petrișor, qui avait parlé de la révolution anticommuniste hongroise et dune éventuelle solidarisation des Roumains avec les changements mis en place de lautre côté de la frontière. Arrêté et torturé, Petrișor avait avoué aux enquêteurs les noms de ses interlocuteurs. Après la chute du régime communiste en 1989, lopinion publique roumaine allait apprendre que le prisonnier politique Ștefan Augustin Doinaș, lui-même victime dune dénonciation, avait à son tour dénoncé deux autres écrivains, Ion Caraion et Ion Omescu, arrêtés en 1957 également en lien avec la révolution de Hongrie ; Doinaș avait été le témoin à charge. Mis en liberté une année plus tard, Ștefan Augustin Doinaș épouse Irinel Liciu, danseuse à lOpéra de Bucarest, le 8 avril 1958. Leur mariage allait durer 44 ans. En 2002, quelques heures après le décès du poète, Irinel Liciu avale le contenu dune boîte de somnifères et se donne la mort.



    Ștefan Augustin Doinaș sest aussi impliqué dans la vie politique. Après 1989, il a signé des dizaines darticles de presse anticommunistes virulents et il a adhéré au Parti de lAlliance civique. Il a rempli un mandat de sénateur de 1993 à 1996. (Trad. Ileana Ţăroi)




  • Une victime du régime communiste : Gheorghe Ene Filipescu

    Une victime du régime communiste : Gheorghe Ene Filipescu

    Pour l’écrivaine et angliciste Monica Pillat, petite-fille du poète Ion Pillat et descendante, par son père, de la famille des grands hommes politiques Brătianu, reconstituer l’histoire récente de sa famille est un projet assumé depuis longtemps. Elle a commencé par ramener dans l’espace public la biographie et l’œuvre de son père, Dinu Pillat, un important intellectuel de l’entre-deux-guerres, que le régime communiste avait jeté en prison au début des années 1960, pour avoir écrit un roman sur un sujet désapprouvé par le parti communiste. En 2021, c’est la branche maternelle de la famille qui se place au premier plan. De ce côté-là, un personnage particulièrement important a été le grand-père, auquel sa petite-fille a dédié le livre « Bunicul meu fără mormânt. Gheorghe Ene-Filipescu/Mon grand-père sans tombe. Gheorghe Ene-Filipescu ».

    Né dans une famille de paysans en 1884, Gheorghe
    Ene-Filipescu fut un enfant illettré, qui partit pieds nus de son Olténie
    natale à Bucarest, où il devint apprenti cordonnier. Des années plus tard, il
    allait ouvrir un atelier de chaussures de luxe sur Calea Victoriei (l’avenue de
    la Victoire), la principale artère de la capitale. Son talent et ses qualités
    professionnelles furent récompensés par un prix reçu à Barcelone, en 1929, et
    reconnus également dans son propre pays,où il devint le président du Syndicat
    professionnel des maîtres cordonniers de Roumanie, ainsi que député social-démocrate. L’écrivain
    et essayiste Horia Roman Patapievici esquisse le portrait d’un homme qui a
    réussi à gravir l’échelle sociale grâce à son travail et à son talent. Il y a une phrase qui rend l’essentiel du savoir-faire de cet ouvrier exceptionnel, une phrase écrite dans le Livre d’or de son atelier de cordonnerie, sur Calea Victoriei: s dans la Roumanie de l’entre-deux-guerres. C’est la vie d’un homme qui part du niveau social le plus bas pour arriver là où nous pouvons reconnaître l’excellence et la décence. Nous pouvons reconnaître l’accomplissement personnel dans une société qui lui avait permis de commencer à la base et de se hisser à l’élite. Nous devrions réfléchir au fait que l’élite était composée de gens qui pouvaient commencer en bas de l’échelle. Comme c’est d’ailleurs le cas de Gheorghe Ene Filipescu. C’est l’histoire d’un homme qui illustre ce qui nous plaît, ce qui nous attire, ce qui continue de fasciner dans la Roumanie de cette époque-là, un pays où il existait un équilibre entre le bien et le mal et où la liberté rendait possible l’expression de la beauté, même si le mal existait, bien évidemment., a-t-il expliqué.

    Gheorghe Ene Filipescu s’est appuyé sur son expérience de vie et il a voulu aider les autres à travers l’implication politique, un aspect de sa biographie développé par l’écrivain Horia Roman Patapievici. : J’avais un préjugé négatif lié au fait que Gheorghe Ene Filipescu avait été social-démocrate et qu’il avait apprécié le mot socialisme. Et je veux dire que Gheorghe Filipescu m’a aidé à comprendre la manière dont on peut regarder et vivre le socialisme, pour que ce qui se trouve au bout du chemin – et, de mon point de vue, il s’agit presque toujours de manque de libertés, de misère et finalement de terreur – se présente sous une lumière différente. Il est un homme humble, qui, très jeune déjà, avait épousé la cause socialiste. Il y a deux textes qu’il avait dictés à sa fille, Cornelia Pillat, la mère de Monica Pillat. L’un date de l’été 1936. Il s’intitule « Un glas din popor către oamenii superiori/Une voix du peuple parle aux hommes supérieurs » et il a été publié dans une plaquette en 1938. L’autre texte est son discours « Constatări asupra meseriilor/Remarques sur les métiers » prononcé au Parlement. Je voudrais vous dire à quoi ressemblait le socialisme de Gheorghe Filipescu, bien qu’il fût assassiné par les socialistes, pas par les siens, mais par ces socialistes qui revendiquent un principe du même paquet d’idées. Quel est donc le socialisme de Gheorghe Ene Filipescu? Eh bien, son socialisme est fait d’accès à la prospérité par le travail, de liberté pour les métiers, de possibilité pour les ouvriers et les artisans d’obtenir un rôle social, à travers la propriété et le profit. Gheorghe Filipescu rejette clairement la privation de liberté et le contrôle des esprits. Cette condamnation apparait explicitement dans sa plaquette de 1938. Le socialisme de Filipescu est un socialisme du maître ouvrier, de la liberté du métier, de la supériorité portée par le travail. La plaquette de 1938 s’adresse aux gens supérieurs, dont elle donne la définition. L’être supérieur accroît par ses propres mains ce qu’il a reçu.


    Son adhésion à la cause socialiste n’a pas empêché les communistes, arrivés au pouvoir après 1947, de jeter Gheorghe Ene Filipescu en prison, dans le cadre des épurations menées dans les institutions du pays. Horia Roman Patapievici revient au micro : Il a été arrêté en 1949, alors qu’il souffrait de tuberculose pulmonaire et de diabète. Donc, cet homme a été incarcéré et soumis à un régime d’extermination. Là, je cite Monica Pillat: « Deux jours après l’incarcération de mon grand-père à Târgu Ocna, le 19 février 1952, le commandant Al. Roșianu dispose l’ouverture d’un dossier d’action informative sur le criminel politique détenu Filipescu Ene, afin d’établir « son comportement et ses manifestations politiques durant sa détention dans votre pénitentiaire car, lors du procès du 16 janvier 1952, au Tribunal militaire Bucarest, il a eu une attitude hostile envers l’Union soviétique et notre régime démocratique, affirmant ouvertement qu’il n’était pas d’accord avec la politique appliquée par notre régime dans la République populaire roumaine. » Au tribunal, lorsqu’il a été autorisé à s’exprimer, il n’a pas demandé pardon. Il a dressé un réquisitoire contre ses accusateurs, sans clamer son innocence, mais en affirmant que les autres étaient dans le faux. Et ça c’est quelque chose d’impressionnant: cet homme jeté en prison s’est montré parfaitement digne, égal à soi-même et aux idées qu’il avait soutenues librement. Des idées qu’il a également affirmées durant son emprisonnement.

    Au tribunal, lorsqu’il a été autorisé à s’exprimer, il n’a pas demandé pardon. Il a dressé un réquisitoire contre ses accusateurs, sans clamer son innocence, mais en affirmant que les autres étaient dans le faux. Et ça c’est quelque chose d’impressionnant: cet homme jeté en prison s’est montré parfaitement digne, égal à soi-même et aux idées qu’il avait soutenues librement. Des idées qu’il a également affirmées durant son emprisonnement.

    Gheorghe Ene Filipescu mourut en détention, en 1952, et son corps fut jeté dans une fosse commune à Târgu Ocna. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Le métier d’archéologue dans la Roumanie communiste

    Le métier d’archéologue dans la Roumanie communiste

    Le contrôle
    exercé par l’Etat totalitaire, la censure, les ukases politiques et
    idéologiques, l’omniprésence de l’appareil répressif dans toutes les structures
    de l’Etat ne manquent pas d’empiéter sur le travail des scientifiques et
    d’affecter les résultats de leur travail. Dans le cas de l’Etat communiste, son
    premier souci était la primauté de l’idéologie dans tous les aspects de la vie
    sociale.






    Aussi,
    la maîtrise de la « vérité » historique constituait une priorité
    manifeste du régime, ce dernier faisant de son mieux pour transformer
    l’historiographie en une annexe idéologique du parti. Et en ce sens,
    l’archéologie ne pouvait pas échapper, l’on s’en doute, à la bienveillante attention
    du régime, et surtout de son bras armé, la Securitate, la bien connue police
    politique du régime communiste roumain.






    D’ailleurs,
    dès son accession au pouvoir, le régime communiste a frappé au cœur du monde
    scientifique, dans une tentative de mettre au pas les historiens récalcitrants.
    L’appareil de répression du régime n’a pas fait dans le détail, et ne s’est pas
    gêné d’incarcérer, à partir de 1950, des historiens illustres, tels que Gheorghe
    Brătianu, Constantin C. Giurescu, Petre P. Panaitescu, ou encore Silviu
    Dragomir. Certains, comme Gheorghe Brătianu, y laisseront la vie. D’autres
    parviendront à survivre dans les geôles communistes jusqu’en 1964, année où fut
    décrétée l’amnistie générale de tous les prisonniers politiques.








    L’archéologue Marian Cosac, professeur à
    l’université « Valahia » de la ville de Târgoviște et éditeur d’un recueil
    de documents sélectionnés des archives de la Securitate, nous apprend un peu
    plus sur les stratégies dont la terrible institution répressive usait pour
    orienter la recherche archéologique de sorte à mieux servir les objectifs du
    régime. C’est grâce à cet ouvrage que le lecteur apprend les ruses qu’utilisait
    la Securitate pour promouvoir certains thèmes de recherche et pour suggérer les
    conclusions voulues. Et certains thèmes avaient véritablement le vent en
    poupe : la naissance et la continuité des Roumains dans les régions
    disputées à leurs voisins, notamment aux Hongrois et aux Bulgares, constituent
    un exemple de choix. La nécessité qu’avait le communisme nationaliste, promu
    par Nicolae Ceauşescu, de prouver la continuité ininterrompue du peuple roumain
    en Transylvanie, au Banat, au Maramureş ou encore en Dobroudja était une
    évidence, devenue une véritable obsession pour le régime. Les fouilles devaient
    toutes affirmer haut et fort les hypothèses de la continuité nationale des
    Roumains dans les régions qui n’avaient intégré le giron étatique que
    tardivement, en 1878 ou en 1918. Pourtant, la Securitate n’avait pas l’exclusivité
    de ce type de pratiques. Les appareils répressifs des autres pays de l’Est
    agissaient de même.






    Le
    professeur Marian Cosac décortique le fonctionnement du mécanisme mis en place
    par la police politique roumaine pour atteindre ses buts : « La
    Securitate disposait d’un vaste réseau d’informateurs parmi les personnels des
    musées, surtout des musées d’histoire. Et ce sont bien ces gens qui étaient
    chargés de donner sens aux découvertes archéologiques. Les officiers de la 1ère
    Direction de la Securitate n’étaient pas
    en mesure de comprendre la signification des artefacts mis à jour lors des
    fouilles. Alors, certains muséographes, inféodés à la Securitate, prenaient la
    relève. Ce sont ces derniers qui tiraient la sonnette d’alarme lorsque les
    ukases idéologiques du parti semblaient être ignorés par leurs collègues. Et ce
    n’est qu’ensuite que les officiers de la Securitate ouvraient l’enquête à
    l’encontre des récalcitrants. Certains archéologues se sont ainsi retrouvés mis
    au ban de la profession, et accusés d’être des ennemis du peuple, alors qu’ils
    étayaient leurs thèses avec la plus grande rigueur scientifique. Mais ce n’était
    pas ce que cherchait l’Etat communiste, mais des scientifiques dociles. »









    L’immixtion de la police politique dans
    la profession n’avait pas manqué de provoquer des drames. Certains archéologues
    et muséographes se sont élevés ouvertement contre ces ingérences, inacceptables
    à leurs yeux, et ils ont souffert les conséquences de leur attitude. Ce fut le
    cas de Florin Medeleț, du Musée d’histoire de la ville de Timişoara.






    Marian
    Cosac : « Florin Medeleț est un des archéologues devenus la cible
    de la Securitate un peu par hasard. En effet, voici que l’on découvre trois
    briques, datant de l’époque romaine, à l’occasion d’un chantier de
    construction. Le régime y érigeait un bâtiment, les ouvriers avaient creusé
    pour y poser les fondations. Et ces trois briques furent analysées par un
    historien spécialisé dans la période moderne, Ioan Dimitrie Suciu, qui trouva
    que ces briques romaines apportaient la preuve irréfutable de la présence
    continue de l’élément romain dans cette région du Banat. Et ce mec soutenait la
    thèse de la présence d’un ancien castre romain dans les fondations de la ville,
    s’appuyant sur la présence de ces seules trois briques découvertes. Face à
    cela, Medeleț, archéologue d’excellente réputation, avait quant à lui réfuté
    avec vigueur l’hypothèse. Mal lui a pris. Il a été démis de son poste de
    directeur, a été banni des librairies, il ne pouvait plus publier, il était
    suivi, on l’empêcha de s’inscrire à l’école doctorale, enfin il subit
    d’innombrables chicanes, en tous genres. La Securitate lui a brisé la carrière,
    alors que Medeleţ était un excellent scientifique, qui avait jeté les bases
    d’une véritable école archéologique dans la région du Banat. »









    La période 1945-1989 a été une époque
    noire à plus d’un titre. L’archéologie n’y a pas échappé. Les communistes
    n’avaient que faire de l’éthique académique ou scientifique et ils l’ont fait
    savoir à tous ceux qui essayaient, au péril de leur carrière et parfois de leur
    liberté, de leur barrer la route. (Trad.
    Ionuţ Jugureanu)

  • Le médecin Constantin Ion Parhon

    Le médecin Constantin Ion Parhon

    Né le 15 octobre 1874 dans la ville de
    Câmpulung Muscel, située dans le département d’Argeş, Constantin Ion Parhon obtient
    un doctorat en médecine à l’Université de Bucarest en 1900. Débutant sa
    carrière de médecin dans de petites villes de province, il suit des cours de
    perfectionnement à Munich, en Allemagne, en 1906, se spécialisant dans les
    maladies du système nerveux, pour s’établir ensuite dans la ville de Iaşi, capitale
    historique de la Moldavie, où il dirige la chaire de neurologie et de
    psychiatrie de la Faculté de médecine de la ville.






    En
    parallèle, il démarre son cours d’endocrinologie à la Faculté de médecine de
    Bucarest, après avoir cosigné, avec Moise Goldstein, le premier traité d’endocrinologie,
    « Les sécrétions internes ; pathologie et physiologie », paru en
    1909 à Paris. En 1928, C.I. Parhon devient membre correspondant de l’Académie
    roumaine, pour en devenir membre titulaire en 1939. En cette période de
    l’entre-deux-guerres, il rejoint le mouvement de promotion de l’eugénisme,
    enclin semble-t-il à promouvoir le déroulement d’expériences scientifiques sur
    des sujets malades mentaux. Mais le personnage gagnera en notoriété seulement
    après l’instauration du régime communiste, Constantin I. Parhon étant un des
    premiers scientifiques roumains devenus partisans du régime instauré à la
    faveur de l’occupation de la Roumanie par l’Armée rouge. En effet, depuis
    l’instauration du premier gouvernement communiste le 6 mars 1945, ces derniers
    n’ont de cesse de saper les fondements de l’État et de la démocratie roumaine. Leur mainmise
    devient totale avec l’abdication imposée au roi Michel Ier et l’instauration de
    la république populaire, le 30 décembre 1947.








    C’est
    dans ce contexte particulier que l’étoile politique du professeur de médecine
    est au zénith. C. I. Parhon sera ainsi élu président de la nouvellement
    constituée Assemblée nationale, dominée par les communistes et instaurée juste
    après le changement de régime qui avait transformé le royaume de Roumanie en
    république. C’est lui qui, du haut de la tribune de l’Assemblée nationale,
    donne lecture à la proclamation de la république, lors des Vœux du Nouvel An 1948.








    Voici
    l’allocution tenue par C.I. Parhon à cette occasion : « Ce n’est qu’aujourd’hui
    que le peuple roumain recouvre véritablement sa liberté. La liberté de pouvoir
    choisir sa propre formule d’État, la seule qui corresponde à ses
    souhaits profonds : la république populaire. Le régime démocratique, instauré
    après que les meilleurs fils de notre peuple avaient chassé les nazis et leurs
    caciques locaux, devient ainsi plus fort, plus solide, par l’effort conjugué et
    acharné des meilleurs d’entre nous. Nulle barrière ne s’oppose dorénavant au
    développement plénier de notre démocratie populaire, seule forme d’organisation
    qui puisse assurer le bien-être matériel et spirituel de tous les travailleurs
    manuels et intellectuels, des habitants des villes et des villages, seul
    véritable garant de notre indépendance et de notre souveraineté nationale. »








    Le sacre politique de Constantin I. Parhon n’avait
    cependant été que le résultat d’un long cheminement, entamé avant la Première
    guerre mondiale. En effet, c’est en cette période que, sous l’influence des
    ouvrages de Karl Marx, le jeune scientifique adhère au mouvement socialiste,
    fondant même un parti, le Parti ouvrier, qui fusionnera avec le Parti paysan en
    1919, juste à l’issue de la Grande Guerre. Deux années plus tard, en 1921, les
    positions politiques de C. I. Parhon deviennent encore plus radicales, et il adhère
    au Parti communiste, membre de l’Internationale communiste.








    Le renversement, le 23 août 1944, du régime fasciste d’Ion
    Antonescu et l’occupation de la Roumanie par l’Armée rouge, qui s’ensuit, ouvre
    un boulevard aux ambitions politiques de C. I. Parhon. Elu président de
    l’association roumaine pour le resserrement des liens avec l’Union soviétique,
    il grimpe rapidement les échelons, pour devenir président du Présidium
    provisoire de l’Assemblée nationale de la république populaire de Roumanie,
    entre le 30 décembre 1947 et le 13 avril 1948, où il rejoint l’écrivain Mihail
    Sadoveanu et trois activistes communistes. Il est ensuite nommé président du
    Présidium de l’Assemblée nationale, du 13 avril 1948 au 12 juin 1952, fonction
    qui lui confèrent de facto la qualité de chef de l’État, alors que le vrai pouvoir est
    exercé par les dirigeants du Parti communiste.








    En cette période, C. I. Parhon est reçu membre des Académies
    de sciences de l’URSS, de la Bulgarie, de la Hongrie et de la RDA, et devient
    docteur honoris causa de l’Université Caroline de Prague en 1948. C.I. Parhon
    cumule les charges politiques, administratives et scientifiques, devenant
    également directeur de l’Institut d’endocrinologie et de l’Institut de
    gériatrie de Bucarest. Il se voit aussi décerner les plus hautes distinctions
    de l’État communiste, soit
    le titre de « héros du travail socialiste » et le prix d’État. Il démissionne
    de ses fonctions politiques en juin 1952 pour dédier le reste de sa vie à la
    recherche scientifique.








    Constantin Ion Parhon s’éteint le 9 août 1969, à 94 ans, et
    sera inhumé dans la salle circulaire du « Monument des héros pour la liberté du
    peuple et de la mère-patrie, pour le socialisme », titulature du panthéon
    communiste érigé dans le parc Carol, à Bucarest.








    Ștefan
    Bârlea, ancien activiste communiste, se souvenait en 2002, au micro du Centre
    d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, des obsèques de C. I. Parhon,
    qui se télescopaient de manière malencontreuse avec les travaux du dixième congrès
    du Parti communiste roumain : « Il se posait en ce moment la
    question de l’emplacement de sa tombe. Alors, Ceauşescu, le secrétaire-général
    du parti, intervient d’autorité et nous enjoint de l’enterrer au panthéon, en
    tant qu’ancien chef de l’État. L’ancien secrétaire-général du parti, Gheorhiu-Dej,
    décédé en 1965, y était déjà. Et pendant que Ceauşescu essaye de trouver une
    place convenable à l’intérieur du panthéon pour la dépouille de Parhon, Ion
    Gheorghe Maurer, premier-ministre à l’époque, fronce les sourcils et intervient,
    soucieux qu’on lui préserve, à lui aussi, une bonne place à l’intérieur du
    monument. Ceauşescu se tourne alors, lui tape l’épaule et le tance :
    « Pourvu qu’on y soit ». »








    Après le changement de régime de 1989,
    le panthéon communiste du parc Carol fut désaffecté, et les dépouilles des
    anciens dirigeants communistes relogées dans divers cimetières, reposant dorénavant
    sous des monuments dépourvus du faste d’antan. (Trad. Ionuţ Jugureanu)