Category: L’Encyclopédie de RRI

  • L’histoire du commerce roumain dans la peinture murale de Cecilia Cutescu Stork

    L’histoire du commerce roumain dans la peinture murale de Cecilia Cutescu Stork

    Le
    musée « Frederic Stork et Cecilia Cuţescu Stork » de Bucarest,
    composante du Musée municipal, a invité le public à réfléchir sur la
    complexité, la technique et la vie d’un type particulier de peinture.
    L’exposition« L’Histoire du commerce roumain – la peinture murale de
    Cecilia CuţescuStork. Étapes de la création et de la restauration » a pu
    être visitée entre les mois d’août et d’octobre.


    Cecilia
    CuţescuStork (1879-1969) a été une femme-peintre très influente dans la vie
    culturelle de la Roumanie de l’entre-deux-guerres et très
    connue aussi pour ses convictions féministes. Irina Cîrstea, muséographe à la
    section Arts du Musée municipal Bucarest, nous donne des détails sur
    l’exposition mentionnée :« L’exposition thématique « L’Histoire
    du commerce roumain – la peinture murale de Cecilia Cuţ­escuStork. Étapes de la
    création et de la restauration » a rassemblé les dessins réalisés par
    l’artiste en préparation de la peinture monumentale, ainsi que des explications
    sur les travaux de restauration dont cette peinture a fait l’objet. Appelée
    aussi « L’histoire du commerce roumain », cette peinture murale a été
    réalisée en 1933, dans l’Aula Magna de l’Académie (Ecole) de Hautes Etudes
    Commerciales, actuelle Académie d’études économiques, pour marquer le vingtième
    anniversaire de l’institution. Dans une première étape, Cecilia CutescuStork a
    réalisé de nombreuses esquisses au crayon et des dessins au charbon, sur des feuilles
    grand-format, dont la plupart font partie de la collection du musée
    « FredericStorck et Cecilia CuţescuStork ». L’artiste a également réalisé
    une maquette deplâtre, haute de deux mètres, du mur concave de la salle, sur
    laquelle elle a peint sa composition entière, avant d’exécuter la peinture
    murale finale. »


    Irina
    Cîrstea a aussi parlé de la personnalité de la peintre Cecilia CuţescuStork:« Cecilia CuţescuStork a été une artiste exceptionnellement
    complexe et prolifique, qui a eu une contribution des plus notables non
    seulement dans le domaine des arts, mais aussi dans celui des droits des femmes
    dans la société roumaine. Elle a étudié à l’Académie des arts de Munich et
    ensuite à Paris, où elle a vécu jusqu’en 1909, lorsqu’elle rentre en Roumanie
    et épouse le sculpteur FredericStorck. Ensemble, ils se font construire une
    maison qu’ils décorent eux-mêmes – des éléments sculptés en pierre par lui, des
    peintures murales,ayant pour sujet les Jardins du Paradis, par elle. Les gens
    qui leur ont rendu visite en ont été très impressionnés et cela a attiré les
    premières commandes pour décorer des bâtiments publics. »



    Comment la peinture
    « L’histoire du commerce roumain » a-t-elle été réalisée et quels
    travaux de restauration a-t-elle subi à travers le temps ? Irina Cîrstea
    répond : « Pour revenir à la peinture murale
    « L’histoire du commerce roumain », finalisée en 1933, Cecilia CuţescuStork
    raconte, dans son livre de mémoires « La fresque d’une vie », le
    processus de création de cette peinture. L’artiste y met en évidence
    l’importance des esquisses et des dessins avec des personnages grandeur nature
    pour la réalisation de l’œuvre finale. Et par cette exposition, nous avons
    voulu présenter au public justement ces dessins. Nous avons gardé le spécifique
    thématique de la peinture murale, avec des registres chronologiques sur des
    sujets variés, unifiés par le thème du commerce. L’exposition documente aussi
    l’existence de la peinture monumentale à travers le temps, en soulignant les
    restaurations antérieures. Les premières interventions sur la peinture murale de
    la Aula Magna de l’Académie d’études économiques ont eu lieu en 1966. À la
    suite du tremblement de terre de 1977, d’autres travaux de restaurations ont
    été menés en 1982, puis en 1997 et encore récemment en 2021-2022. L’exposition
    s’est donc proposé de présenter en détail un processus de création, depuis les
    premières ébauches jusqu’à la maquette de plâtre, en passant par les dessins des
    personnages grandeur nature. Elle documente aussi la technique de la peinture
    murale à l’huile, ainsi que le très complexe processus de restauration d’une
    telle œuvre.
    », a conclu Irina Cîrstea, muséographe à la section Arts
    du Musée municipal Bucarest. (Traduction Ileana Taroi)

  • La rue Batiştei, à Bucarest

    La rue Batiştei, à Bucarest

    Le centre-ville de Bucarest, en face du grand bâtiment de lUniversité et derrière celui du Théâtre national, déroule devant le regard des passants lune de ses rues les plus anciennes et les plus connues. Dessinée dans la zone historique de lest, la rue Batiște croise dautres rues et traverse des faubourgs notoires, parsemés de joyaux darchitecture ayant appartenu aux familles de propriétaires terriens et à lélite bourgeoise ; les histoires attachées à ces immeubles et la littérature se sont nourris mutuellement. Par chance, les interventions urbanistiques et darchitecture malheureuses communistes et post-communistes nont pas modifié lapparence de la rue, de toute façon déclarée zone protégée.


    Il est possible que le nom de la rue provienne du régionalisme linguistique « băteliște », qui désignait un terrain piétiné par du bétail, comme une sorte de point de rencontre ou encore de foire ou marché. Mais le nom de la rue pourrait aussi être lié à Batista Velleli, un personnage qui aurait fait partie du personnel de la cour princière autour de lannée 1600. On dit quen tant quhomme de confiance, il sétait vu conférer des fonctions publiques et attribuer des propriétés, dont certaines se seraient trouvées sur le positionnement actuel de la rue Batiștei.

    Lhistorienne Oana Marinache met en lumière le passé plus éloigné de cette rue, tel que le raconte les archives.


    « Premièrement, on dit quil y avait des marres dans cette zone où arrivait leau qui partait du terrain vague dIcoanei, où se trouve aujourdhui le jardin public du même nom. En fait, cétait le ruisseau minuscule de la Bucureștioara, un affluent disparu de la Dâmbovița, et les marres quil formait provoquaient un tas de dégâts dans cette zone, où les propriétaires pataugeaient dans de la boue. En réalité, ça se trouvait sur une route vers le centre commercial de la ville, fréquentée par les chars à bœufs. On raconte quà la fin du XVIIIe siècle, les commerçants avaient pris lhabitude de se partager le même conseil déviter la zone marécageuse et la boue qui bloquait les chars, les obligeant à frapper les animaux afin de sortir de là. »



    Quelle que soit lorigine de son nom, la rue Batiștei a gagné en importance avec le passage du temps et le développement de la capitale en tant que bourg de commerce et de métiers artisanaux. Oana Marinache nous donne plus de détails.



    « On dit que des chaises ou des échoppes des bouchers y étaient ouvertes. Quest-ce que cela veut dire? Pas très loin, il y avait la rue Scaune (Les chaises), actuellement Nicolae Filipescu, où les gens tuaient des animaux sur des troncs darbres, appelés « scaune » (des chaises). Ils découpaient les animaux et lavaient les morceaux de viande pour les vendre ensuite. Dans le même coin, dautres gens pratiquaient le métier de fourreur et ils utilisaient cette eau qui débordait ou qui montait en surface. Cela produisait une odeur fétide, qui balayait la zone Batiștei surtout au printemps, selon des notes écrites par les prêtres des paroisses. Les habitants craignaient beaucoup ces exhalaisons, capables, croyaient-ils, de provoquer aussi des infections. Ce sont des notes écrites en fait pendant la première moitié du XIXe siècle. »



    Après la première moitié du XIXe siècle, lorsque les Principautés roumaines ont commencé à sapprocher de lOccident européen, Bucarest aussi sest mis à lheure de la modernisation et change de visage. Les rues sont pavées, les commerçants rencontrent la prospérité et se font construire des résidences de plus en plus chères, la municipalité dessine les grands boulevards que nous arpentons encore aujourdhui. Restée dans le centre dune ville en pleine expansion, la rue Batiștei de la fin du XIXe siècle et du début du XXe est de plus en plus bordée de maisons imposantes, rappelées par lhistorienne de lart, Oana Marinache.



    « Il faut savoir, tout dabord, que la rue Batiștei est une zone protégée, cest-à-dire un ensemble darchitecture en raison de la valeur des constructions présentes encore de nos jours. Et jen soulignerais le fonds résidentiel de la fin du XIXe siècle, ces hôtels particuliers qui sont toujours debout. Nous connaissons les noms des propriétaires, nous avons aussi les signatures des architectes, parmi lesquels larchitecte dorigine suisse Louis Blanc, dont nous commémorons 120 ans depuis son décès, en 1903. Dans la rue Batiștei, il nous a laissé la résidence Filipescu, qui a abrité à une époque lambassade des Etats-Unis, ainsi que la magnifique résidence, érigée en 1900, du banquier Herman Speier. Celui-ci était le beau-fils du banquier Mauriciu Blank, pour lequel larchitecte suisse Louis Blanc avait construit une belle résidence dans une autre rue du même coin. Et puis, dans la rue Batiștei, on peut admirer aussi les hôtels particuliers des familles Boambă-Argetoianu et Callimachi, dessinés par Leopold Schindl, un entrepreneur important de la fin du XIXe siècle. »



    Ces immeubles sont intéressants non seulement par leur architecture extérieure, mais aussi par leur intérieur, évidemment là où le passage du temps na pas fait trop de ravages. Ecoutons à nouveau lhistorienne de lart Oana Marinache.



    « Ces résidences de la fin du XIXe siècle sont typiques de la Belle Époque, dominée par linfluence française. Les façades affichent des éléments classiques, mais les intérieurs, que nous avons eu la chance de voir au cours de nos visites ou sur des photos dépoque, montrent un éclectisme très à la mode à ce moment-là. On y trouve des salons de style Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. Il existe aussi des espaces destinés aux hommes, par exemple une bibliothèque ou un salon fumoir. On découvre un bureau oriental, car le style ottoman était toujours présent vers le milieu du XIXe siècle. Nous constatons aussi quà travers le temps, certains propriétaires ont aménagé un salon de style néo-roumain pour recevoir leurs invités. Donc, ces résidences dépoque nous enseignent une leçon dhistoire de la déco intérieure. »



    La rue Batiștei et les rues adjacentes sont, toutes, une leçon dhistoire vivante. Puisquil sagit dune zone historique protégée par la loi, espérons que leur visage restera inchangé dans le temps. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Des messages gravés en pierre

    Des messages gravés en pierre

    Les plus anciennes traces
    laissées par nos ancêtres montrent leur besoin de transmettre aux générations
    futures des signes de leur passage dans ce monde. Avant de découvrir
    l’écriture, l’être humain a exprimé ses pensées à l’aide de dessins rupestres
    et d’objets ornés ou peints. Avec l’invention de l’écriture, les messages et
    les pensées destinées à la postérité ont gagné en forme et contenu, ce qui nous
    permet d’apprendre davantage sur les perceptions du passé. Parmi eux, les
    messages gravés dans la pierre font partie des plus durables qui sont arrivés
    jusqu’à nous. S’agissant de cette catégorie tellement spéciale, nous pensons
    presque immédiatement à l’Antiquité et à ses imposants temples, statues et
    monuments funéraires. Pourtant, ce genre de textes datant d’époques plus
    proches de nous ne sont ni éparses ni moins importants.


    Dans la société roumaine du XIXe siècle, les
    messages gravés dans la pierre, notamment ceux inscrits sur des croix ou des
    crucifix, dégagent une force impressionnante. Dans le Bucarest d’il y a deux
    siècle, la pierre a retenu ce que les habitants de la ville ont cru
    représentatif pour eux et pour leur ville. Cezar Buiumaci, muséographe au Musée
    municipal Bucarest, est un chasseur des croix et crucifix en pierre et des
    messages gravés dessus dans la capitale roumaine: Cette étude nous a
    permis de retrouver deux croix dont nous avions perdu la trace. L’une est celle
    d’Ioan Pometcovici, une croix de fontaine de la zone Ferentarilor qui, de nos
    jours, orne la tombe du général Gheorghe Brătianu, au cimetière Bellu. Elle a
    changé de destination, devenant une croix tombale. L’autre croix est celle de
    Miloradovici, un monument rappelant une victoire des troupes russes sur les
    Ottomans. La général Miloradovici a réussi à éviter une confrontation armée
    dans la ville, ce qui lui a valu le surnom de « sauveur de Bucarest ».
    Une croix en pierre a été érigée en souvenir de ces événements sur la colline
    de la Métropolie, près du clocher.


    Les
    messages les plus puissants gravés dans la pierre de Bucarest au XIXe siècle
    sont écrits sur les croix et crucifix, un des plus anciens symboles universels,
    d’avant l’apparition du christianisme, qui lui a donné une valeur centrale. Les
    quatre bras de la croix représentent les grands axes du monde universel et les
    coordonnées physiques sur lesquelles l’homme construit son monde matériel. La
    croix était ainsi une base sur laquelle les messages étaient écrits et dessinés
    pour l’éternité. Par exemple, la scène biblique de l’Annonciation est gravée
    sur la croix de Tănase Cismarul (le Cordonnier), qui se trouve actuellement dans le quartier de
    Ferentari, au sud-ouest de Bucarest. La Mère du Seigneur est agenouillée à
    droite de la scène, l’archange Gabriel est debout à gauche. Des rayons de
    lumière, figurés au-dessus de la Sainte Vierge, signifient la présence du Saint
    Esprit. Le texte est écrit en roumain avec l’alphabet cyrillique utilisé en
    1829, année de la construction de la croix et de la fontaine: « Grâce à la miséricorde et l’aide de
    Dieu glorifié en Trinité, nous avons érigé cette Sainte croix à la gloire de
    l’Annonciation faite à la Très Pure Mère et nous avons creusé ce puits. »

    Car un élément important des messages gravés dans la pierre est lié non
    seulement au côté abstrait de la vie mais aussi au côté matériel, représenté
    dans ce cas par une fontaine. Cezar Buiumaci souligne la connexion entre
    l’esprit et la matière, retenue par les messages gravés sur les croix en pierre
    de Bucarest, dont celle de la rue Puțul cu Tei, dans l’actuel quartier de Berceni: La croix du quartier Bellu datait, selon différents auteurs, du temps
    des Pandours en 1821, ou de l’époque de la génération révolutionnaire de 1848.
    La vraie date est à mi-chemin entre ces deux années, puisque le monument a été
    commandé en 1831. C’est une croix de fontaine, érigée sur un terrain vague rue
    Puțul cu Tei. A l’époque, il y avait cette coutume de planter un arbre et de
    construire une croix lorsque l’on creusait une fontaine. Or c’était très
    généreux d’offrir de l’eau au voyageur assoiffé à une époque où les réseaux
    d’alimentation en eau potable n’existaient pas. Et puis, les fontaines avaient
    aussi la fonction économique de désaltérer les troupeaux d’animaux ou d’arroser
    les cultures agricoles. Cette croix a été érigée là où commençaient les vignes
    de la Colline des Vignes (Dealul Viilor). L’histoire était la suivante: un
    voyageur arrivait, calmait sa soif et se reposait à l’ombre de l’arbre. Et là,
    il arrivait à un point où il lisait le message de ceux qui avaient construit le
    monument.



    Les
    messages inscrits sur les croix en pierre ne transmettent pas que des
    remerciements. Ce sont aussi des messages triomphants, à l’exemple de celui
    gravé sur la croix du prince de Valachie, Leon Vodă, érigée en 1631 en souvenir
    de sa victoire militaire sur l’ennemi. D’autres messages déplorent la perte
    d’un être cher, comme celui écrit sur la croix du grand boyard Papa
    Brâncoveanu, tué en 1655 pendant une révolte paysanne. Et les exemples ne
    s’arrêtent pas là, leur diversité étant une véritable chronique en pierre de
    l’histoire bucarestoise. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Le prince Nicolae de Roumanie

    Le prince Nicolae de Roumanie

    Il y a 120 ans, le 5 août 1903,
    voyait le jour à Sinaia le prince Nicolae, le seul frère parmi les trois sœurs
    du roi Carol II de Roumanie. La fin du destin des deux frères royaux a été
    distincte, mais ils se sont aussi beaucoup ressemblé par leur comportement et
    par leurs vies privées, dû en partie à la façon dont ils ont été élevés. Leur
    mère, la reine Marie, écrivait d’ailleurs dans ses mémoires qu’elle avait
    permis à ses enfants de grandir librement, sans aucune obligation de respecter
    le protocole royal.

    Ștefania Dinu, directrice du Musée national Cotroceni, continue
    à raconter l’histoire du prince Nicolae: Son baptême a eu lieu le 3 octobre
    1903 ; son nom, Nicolae, rappelle celui du tsar Nicolas II de Russie, cousin
    germain de sa mère, la princesse qui allait devenir la reine Marie. Il a été le
    deuxième fils et le quatrième enfant du couple des futurs monarques de
    Roumanie, Ferdinand et Marie. Il était donc plus éloigné du trône, car il
    n’occupait pas une position principale dans l’ordre de succession. Cela a
    permis au prince Nicolae de jouir d’une enfance parfaitement heureuse à la Cour
    royale. Comme il était un enfant facétieux, il a mis à mal toute tentative
    éducatrice. Mais tout le monde a fini par aimer bien le petit prince.



    Appelé tendrement Nicky
    par ses proches, le prince Nicolae, petit-neveu préféré du roi Carol I, a été
    envoyé au Royaume Uni pour étudier à Eton. La passion du prince pour le sport
    et l’automobilisme s’est déjà manifestée quand il était à peine adolescent et ensuite
    très jeune adulte. Durant la Grande Guerre, après le retrait de la Cour royale
    à Iași en 1916, il avait l’habitude se promener en compagnie de sa mère dans
    une petite automobile appelée Bambino, histoire de se détendre un peu soit-il
    pendant cette époque tellement difficile. Ștefania Dinu raconte le parcours du
    prince Nicolae après la guerre et la Grande Union de 1918: Il a continuait ses
    études à Eton, avec des résultats pas brillants, mais bons quand même. Le
    prince était de nature rêveuse, préférant plutôt les lettres et les humanités,
    mais à Eton il a évidemment suivi une formation militaire, car la reine Marie
    voulait absolument pour son fils une carrière d’officier de marine, avec des
    études à l’Ecole navale de guerre du Royaume Uni. Mais cela n’a pas pu se faire
    car le roi Ferdinand décéda prématurément en juillet 1927 et le prince Nicolae
    rentra en Roumanie pour assumer les fonctions de haut régent. Puisque le prince
    héritier Carol avait renoncé pour la deuxième fois au trône en 1925 et s’était
    exilé en France en compagnie d’Elena Lupescu, le roi Ferdinand s’était vu obliger
    à instituer une régence pour le roi-enfant Mihai. Cette régence entra en
    fonction lors du décès du roi Ferdinand, avec le prince Nicolae, âgé alors de
    24 ans, comme haut régent. Le roi Mihai n’avait que six ans à l’époque. Cette
    régence a donc dû assumer la direction des affaires de l’État, tandis que le
    prince Nicolae était en même temps le tuteur légal de son petit neveu.



    Durant la régence, le prince
    Nicolae a bien rempli ses fonctions jusqu’en 1930, lorsque le roi Carol II a
    revendiqué son trône et repris les rênes de l’Etat. Les deux frères, élevés dans
    le même esprit sans restrictions, se ressemblaient aussi par leur vie
    sentimentale tumultueuse. Tout comme son frère le roi, le prince se lance dans
    une idylle avec une femme mariée, Ioana Doletti, qu’il a fini par épouser après
    le divorce de celle-ci, ce qui était contraire aux coutumes royales. Le roi n’a
    pourtant pas accepté la situation, malgré une suite d’événements quasi
    identiques dont il avait été le protagoniste. Ștefania Dinu ajoute plusieurs
    détails sur la vie privée du prince Nicolae: Entre temps, il
    a continué à se passionner pour l’automobile, pour l’aviation, pour le sport en
    général. Il préférait Le ski était, mais il participait aussi aux courses
    automobiles, telles le Paris-Nice, en 1933, et Le Mans. Il a accompagné la
    reine Marie dans sa visite en Amérique en 1926, et il y a rencontré plusieurs
    fabricants d’automobiles des Etats-Unis, dont Henry Ford. De retour en
    Roumanie, le prince Nicolae a d’ailleurs acheté plusieurs voitures de marques
    américaines qu’il a conduites dans ces courses. Le 28 octobre 1931, il a épousé
    Ioana Doletti sans l’autorisation du roi Carol II, qui ne l’a pas compris
    malgré sa propre relation avec Elena Lupescu. Le roi a fait preuve d’une
    certaine hypocrisie quand il a demandé à son frère de renoncer à Ioana Doletti
    et au mariage contracté secrètement dans la commune de Tohani. Le résultat en a
    été l’exclusion du prince, qui a d’abord été envoyé à l’étranger pour six mois,
    devenus six années. Pendant tout ce temps, le prince Nicolae revenait
    régulièrement en Roumanie, pour participer tout de même à une série
    d’événements aux côtés du roi Carol II.


    Ce n’est
    qu’en 1937 que le prince renonça définitivement à son titre royal, s’exilant
    définitivement sous le nom de Nicolae Brana, aux côtés d’Ioana Doletti. En
    1942, le roi Mihai lui a réaccordé le titre de prince de Hohenzollern et il a
    reconnu le mariage de son oncle, sans pour autant lui réattribué aussi le titre
    de « prince de Roumanie ». Pendant son exile, le prince Nicolae s’est
    installé en Italie et en Suisse, étant surveillé de près par les services
    secrets de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre, la Sureté et
    respectivement la Securitate. Après l’installation du communisme en Roumanie,
    le prince Nicolae a été un des plus dynamiques représentants de l’exile
    roumain. Il a essayé de rassembler la diaspora roumaine autour de plusieurs
    projets, comme par exemple la création de bibliothèques roumaines, comme celle
    de Freiburg, et de centres culturels, comme ceux de Madrid et de Rome. Le
    prince Nicolae est décédé à Madrid en 1978 et il a été enterré à Lausanne, en
    Suisse. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Les représentations diplomatiques de la Roumanie dans l’espace turc

    Les représentations diplomatiques de la Roumanie dans l’espace turc

    C’est au XIXème
    siècle que les Principautés roumaines commencent à s’affranchir graduellement
    de l’ottomanisme et à importer
    massivement la civilisation et la culture de l’Occident. Dans ce contexte, les
    relations diplomatiques bilatérales vont elles-aussi acquérir une nouvelle
    dimension. Au fur et à mesure que la Roumanie gagne son droit d’Etat
    indépendant, elle repense également ses missions diplomatiques, ouvertes à ceux
    qui allaient représenter les intérêts roumains dans le monde ottoman et turc.


    A l’heure où l’on parle, un
    groupe d’historiens roumains s’est engagé dans un projet d’écrire une histoire
    des représentations diplomatiques de la Roumanie, dont la vedette est, de toute
    évidence et de loin, celle de Paris. Mais les missions diplomatiques roumaines
    dans l’Empire ottoman et en Turquie ont elles-aussi leur propre poids dans ce
    projet. Silvana Rachieru, qui enseigne l’histoire ottomane à l’Université de
    Bucarest, a réalisé une étude sur les résidences diplomatiques de la Roumanie
    dans l’espace turc. Une recherche dont le point de départ est un bâtiment à
    proximité de la Place Taksim d’Istanbul, siège de légation d’abord, de
    consulat, plus tard, et de l’Institut culturel roumain à présent. Silvana
    Rachieru a commencé son travail en écoutant les histoires de ce bâtiment
    particulier: « La plus palpitante de ces histoires
    était celle qui disait qu’un amoureux de la princesse Marthe Bibesco avait joué
    le bâtiment au poker ou un autre jeu de hasard et l’avait perdu, et que l’État
    roumain avait réussi à le récupérer. Toute cette histoire, très belle et très
    romanesque, correspondait parfaitement à l’espace où nous nous trouvions. Mais
    l’information sur l’appartenance de l’édifice à Marthe Bibesco était clairement
    mentionnée dans les archives. »



    Pera la diplomatique était
    le quartier européen d’Istanbul. Les Grandes puissances y avaient installé
    leurs résidences diplomatiques dans « La Grand-Rue de Pera » depuis
    le XVIIème siècle. Deux cents ans plus tard, au XIXème siècle, le nouvel État
    roumain envoyait ses représentants diplomatiques auprès des grands décideurs de
    l’époque, mais les besoins de financement de cette démarche dépassaient les
    moyens de Bucarest, raconte Silvana Rachieru: « L’Agence
    diplomatique roumaine avait fonctionné entre 1859 et 1878 dans un espace loué.
    En réalité, c’était l’appartement-même de l’agent diplomatique, qui servait
    aussi de siège de l’agence. Dimitrie Brătianu, le premier représentant de la
    Roumanie à Constantinople d’après l’indépendance, l’affirmait haut et fort en
    1878. Quelques semaines à peine après son arrivée dans la capitale ottomane, il
    informait déjà Bucarest que la légation fonctionnait dans une maison en pierre,
    dans le quartier de Çukurcuma, dans la zone de Pera où se trouvait aussi son
    logement. Brătianu écrivait que ce n’était pas le siège le plus approprié pour y
    ouvrir une légation et que le ministère aurait dû faire le beau geste de
    financer la location d’un espace plus généreux et plus adapté aux nouvelles
    exigences. »



    Ce
    n’est qu’en 1887 que Bucarest loue le premier siège séparé du logement du
    représentant diplomatique. Et à partir de 1903, la Roumanie exprime ouvertement
    son intention d’acheter un bâtiment pour y installer la représentation
    permanente, précise Silvana Rachieru: « L’adresse finale de la
    mission diplomatique roumaine dans la capitale de l’Empire ottoman et, par
    après, dans la ville la plus importante de la République turque se trouvait Rue
    Sîraselviler, « La rangée de cyprès » en turc. La Roumanie y loue un
    édifice en 1903, grâce à l’implication du ministre plénipotentiaire de ce
    temps-là, Alexandru Lahovary. Dans le contrat de bail, il est écrit que lorsque
    le propriétaire décidera de vendre la construction, l’État roumain sera le
    premier à faire une offre d’achat. La discussion deviendra plus sérieuse à
    partir de 1905 et la finalisation aura lieu en 1907. Donc, depuis 1907, près de
    la Place Taksim, nous avons un repère associé à la Roumanie. »



    L’édifice
    est connu sous le nom de « manoir de Musurus Pacha », d’après le nom
    de son propriétaire, un diplomate turc d’origine grecque. D’ailleurs, le
    quartier est lui-même grec et son essor avait débuté après le grand incendie de
    1870. C’était une zone commerciale, active, pleine d’énergie, où l’on construisait
    des appartements sur le modèle français et des bureaux. La plus importante
    église orthodoxe grecque d’après la chute de Constantinople en 1453 se dresse
    dans la même zone. C’est donc là que la légation de la Roumanie allait
    fonctionner jusqu’en 1927.


    La première guerre mondiale
    allait avoir des conséquences dramatiques sur l’Empire ottoman. Après la
    proclamation de la République turque en 1923, le transfert de la capitale dans
    la ville d’Ankara a modifié le centre de gravité du nouvel État. Et les
    représentations diplomatiques ont dû suivre, bien qu’avec un certain retard. La
    Roumanie a, elle aussi, longtemps hésité à faire le pas et Silvana Rachieru en
    explique la raison: « Elle a hésité parce qu’en 1923 Ankara
    était plus rurale. Le président Mustafa Kemal offre aux premières missions
    diplomatiques des voitures de train pour y fonctionner. Il était difficile de
    quitter le Bosphore et une résidence imposante. Le voyage vers Ankara était
    long. Les autres puissances n’étaient pas non plus pressées de déménager, mais
    elles ont fini par le faire. La Roumanie avait laissait passer un train dans
    cette gare, pour ainsi dire, car, dans premier temps, des parcelles avaient aussi
    été distribuées dans une zone que Mustafa Kemal voulait transformer en quartier
    diplomatique. Lorsque la Roumanie déménagea enfin à Ankara, il n’y avait plus
    de terrains disponibles dans ce quartier. »

    La
    Roumanie revient donc à la location d’espaces pour sa légation dans le quartier
    résidentiel de Çankaya. Dans les années 1950, elle y achètera un terrain rue de
    Bucarest et y fera construire son ambassade. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Ion Ghica et le manoir de Ghergani

    Ion Ghica et le manoir de Ghergani

    Si l’on suit la
    route qui mène à la ville de Târgovişte, ancienne capitale de la Principauté de
    Valachie à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Bucarest, l’on arrive
    au domaine Ghica dans la commune de Ghergani. Lieu notoire de l’histoire
    culturelle de la Roumanie, la commune s’est relativement récemment attiré
    l’attention du public grâce à la récupération par une descendante de la famille
    du domaine Ghica, nationalisé par le régime communiste. Ce fut à Ghergani que
    vécut et travailla Ion Ghica, homme politique, diplomate, érudit, écrivain et
    un des plus importants membres de la génération qui a réalisé la révolution de 1848
    et modernisé par la suite les Principautés roumaines.


    Né en 1816, Ion
    Ghica mourut en 1897 à Ghergani, où il est enterré aux côtés de son épouse,
    Alexandrina. Leur descendante, Irina Ghica Bossy, résume l’histoire du manoir
    et de la famille: Le manoir que vous voyez date de 1869, car Ion
    Ghica, qui l’avait hérité de son père, le « ban »/commandant
    militaire Dumitrache Ghica, avait voulu le refaire dans un style éloigné de la
    tradition architecturale empruntée à la région des Balkans par les vieux
    manoirs des terres roumaines. Lui, il a cherché un air occidental, inspiré par
    l’architecture française qu’Ion Ghica souhaitait voir partout en Roumanie. Il
    est un des principaux auteurs de la modernisation de la Roumanie, qu’il a voulu
    pousser en direction de l’Occident, non pas des Balkans ni de l’Empire ottoman,
    et encore moins en direction de la Russie. Il a donc voulu appliquer ces
    principes chez lui et c’est ce qui explique la disparition de l’ancien manoir,
    construit sur le domaine par la famille Văcărescu au XVIIème siècle. Au XVIIIème
    siècle, le domaine apparait sur la liste de dot d’un Ghica et c’est à partir de
    ce moment que le domaine de Ghergani est devenu un domaine Ghica, que les
    générations successives ont tenté d’embellir, d’agrandir et de rendre
    accueillant. Mais Ion Ghica a rompu avec la tradition du manoir ancestral,
    qu’il a transformé en un petit palais occidental, absolument étonnant, au beau
    milieu d’un village du sud de la Munténie.



    Irina Ghica
    Bossy raconte aussi à qui nous devons l’aspect occidental du manoir Ghica de
    Ghergani: Il y a eu deux architectes, car Dimitrie
    Berindei a commencé le projet et Gheorghe Mandrea l’a continué après le décès
    de Berindei. Les deux s’étaient formés en Occident – Berindei à Paris et Mandrea
    à Viena – et ils ont donc parfaitement compris Ion Ghica quand il leur a dit
    qu’il voulait un exemple d’architecture occidentale. Autre influence
    occidentale – la chapelle construite tout près du manoir. Ça aussi c’était une
    coutume occidentale qui n’existait pas en Roumanie, du moins pas à ce moment-là.
    Pourtant, même si la source d’inspiration était ces traditions et styles
    occidentaux, la chapelle de Ghergani est purement byzantine, affichant le style
    traditionnel des églises orthodoxes, car il ne voulait pas que sa foi
    chrétienne orthodoxe fût mise en doute. Voilà l’explication de ce style
    parfaitement orthodoxe et néo-roumain de cette chapelle privée, où le service
    religieux avait lieu le dimanche, de temps en temps, et surtout à Pâques, en
    présence de tous les habitants du village. Nous en avons même des photos de ces
    occasions spéciales. C’est dans la crypte de la chapelle que reposent Ion Ghica
    et son épouse, Alexandrina.



    Connu dans le
    monde littéraire grâce notamment au volume de correspondance « Lettres à
    Vasile Alecsandri », rédigées et envoyées depuis Londres, Ion Ghica avait
    travaillé sur plusieurs projets académiques pionniers dans la Roumanie de
    l’époque, dans des domaines tels les mathématiques, l’économie politique ou
    encore la pédagogie, pas mal de ces projets ayant été écrits à Ghergani. Irina
    Ghica Bossy raconte : Tous les manuscrits d’Ion Ghica étaient
    restés au manoir et mon père les a remis à l’Académie roumaine quelques jours
    seulement avant la nationalisation, car il ne voulait pas qu’ils soient perdus
    ou brûlés. De toute façon, la documentation pour son activité politique et
    littéraire ainsi que pour celle d’auteur de traités économiques et
    administratifs se trouvait dans ce manoir. Il a écrit ses œuvres pendant
    longtemps car il a eu une longue vie, de 81 ans. Il a très probablement
    commencé à écrire dans la maison de ses parents ; ensuite, il a écrit la
    plupart de ses lettres à Vasile Alecsandri à Londres, où il était diplomate à
    la Cour de la reine Victoria. Certaines de ces lettres ont évidemment été
    écrites à Ghergani, puisque l’endroit et la date sont notés dessus. C’est à
    Ghergani qu’il avait vécu les moments les plus heureux de sa vie. D’ailleurs,
    il écrivait à sa femme, Alexandrina, qu’il aimait toujours revenir à Ghergani
    de ses voyages en Europe. Il voulait aussi que tout le monde fût bien accueilli
    au domaine de Ghergani et en effet de nombreuses personnalités sont passées par
    là. Dans une des lettres à sa femme, Ion Ghica écrivait combien il était fier
    de voir que les invités aimaient Ghergani et qu’ils le félicitaient pour la
    beauté des lieux, du bâtiment, du parc, car celui-ci avait lui-aussi été
    redécoupé sur le modèle des parcs anglais que Ghica avait visités durant les
    neuf ans passés à Londres en tant qu’ambassadeur.



    Le manoir de
    Ghergani a commencé à se dégrader après le tremblement de terre de 1940, quand
    l’étage s’était effondré et il n’a jamais été reconstruit. En 1948, le manoir
    et le domaine ont été nationalisés et l’Etat communiste y a installé, dans un
    premier temps, une entreprise agricole et ensuite un hôpital pour enfants. Il
    n’y a pas eu de travaux de réparation avant 1990, l’on a juste monté une
    toiture en tôle et ce fut tout. Ultérieurement, les descendants d’Ion Ghica ont
    récupéré la propriété, le manoir faisant actuellement l’objet de travaux de
    restauration. Le reste du domaine et la chapelle attendent les visiteurs.
    (Trad. Ileana Ţăroi)





  • Les crucifix en pierre de Bucarest

    Les crucifix en pierre de Bucarest

    Les
    crucifix ont constamment été présents dans l’espace public de Bucarest. A
    travers le temps, une cinquantaine de tels monuments ont été érigés sur le
    territoire de la ville, pour marquer des événements militaires ou sociaux, pour
    délimiter une propriété ou pour jouer le rôle de cénotaphe. Certains crucifix
    ont été ramenés d’ailleurs pour intégrer les lapidaires de monastères et de
    musées locaux, tels le monastère Antim et les Palais brancovans de Mogoşoaia.
    Le monument le plus ancien est sculpté en bois sur les ordres de Leon Vodă, prince
    régnant de Valachie entre 1629 et 1632, qui voulait marquer ainsi sa victoire sur
    Matei Basarab du 23 août 1631. La dégradation due au passage du temps a
    poussé le fils de Leon Vodă, Radu Leon,
    à le faire refaire, mais en pierre, entre 1664 et 1665. Un autre crucifix en
    bois, refait plus tard en pierre, est celui de Papa Brâncoveanu, le père de
    Constantin Brâncoveanu, prince régnant de Valachie de 1688 à 1714, qui a été
    tué pendant la révolte des corps militaires des Seimeni et des Dorobanţi en
    1655.


    Cezar-Petre
    Buiumaci, muséographe au Musée municipal de Bucarest, est le coordonnateur d’un
    projet centré sur les crucifix en pierre de la capitale de la Roumanie. Il a
    expliqué la construction de ces monuments publics avant l’époque moderne : Les grands fléaux qui se
    sont abattus sur la ville ont persuadé la population d’ériger ces monuments à
    double signification : la protéger des désastres et lui rappeler ce
    qu’elle avait subi. C’est le cas du crucifix en pierre que le serdar
    (commandant de cavalerie) Matei Mogoş (Mogoşescu) a fait installer sur son
    domaine au début du XVIIIème siècle, dans l’espoir d’accélérer la fin de
    l’épidémie de peste, qui secouait la ville. Le monument a acquis une importance
    telle dans le mental de la communauté que le métropolite Grigore II a fait
    bâtir une église autour de cette croix en pierre. Placé à l’intérieur de
    l’autel de l’église Oborul Vechi, le crucifix, qui devait rappeler aux gens les
    temps difficiles de l’épidémie de peste et de la période de famine, est devenu
    un objet de culte très peu visible de nos jours. Nous retrouvons ce même type
    de rappel d’une épidémie à Vienne, où l’empereur autrichien avait fait ériger
    une colonne dédiée à la miséricorde divine à la fin de l’épidémie de peste de
    la fin du XVIIème siècle. Dans la ville d’Arad, sise à la frontière actuelle de
    la Roumanie avec la Hongrie, une colonne similaire, représentant la Sainte
    Trinité, a été dressée vers le milieu du XVIIIème siècle. De tels monuments
    existent aussi dans d’autres villes, de la région du Banat, de Hongrie ou
    d’Allemagne, résultats des promesses faites en lien avec la fin des épidémies.



    Les
    crucifix publics pesaient d’un poids impressionnant sur le mode de vie et le
    mental collectif des habitants de Bucarest. Cezar-Petre Buiumaci raconte une de
    ces nombreuses histoires : Un des crucifix très importants de l’histoire de Bucarest est celui,
    aussi visible que peu connu, dit de Neofit. Il a été commandé par le
    métropolite de l’Ungrovalachie Néofit le Crétois pour servir de borne de
    frontière. Il avait pris cette décision en raison des nombreuses violations des
    droits de propriété sur les terrains et les vignobles de la métropolie par les
    supérieurs du monastère Mihai Vodă. Après une enquête sur le terrain, le
    métropolite a décidé de faire poser la croix en pierre à l’endroit où se
    trouvait la fontaine des Gueux, dans la rue Cazărmii (de la Caserne). Sauf que
    l’enquête n’a pas vraiment produit le résultat espéré, car les moines du
    monastère Mihai Vodă avaient convaincu les habitants du faubourg de ne rien
    dire sur les anciennes limites des domaines de la métropolie. Comme il ne
    réussissait à obtenir aucune information qui l’aide dans sa démarche, Neofit a
    lancé une malédiction contre les habitants du faubourg, pour les presser de
    dire la vérité. « La Grande malédiction » et la « Terrible
    imprécation » ont été lues dans les églises Alba-Postăvari,
    Arhimandritului, Gorganului et Golescu, dans les trois premiers dimanches du
    Carême, leurs destinataires étant tous ceux qui connaissaient les repères des
    terrains en question, mais qui ne voulaient pas en parler. La démarche a eu du
    succès, car les gens ont indiqué les repères à la commission d’enquête chargée
    de faire de la lumière dans ce cas.



    L’une
    des plus récentes croix publiques de Bucarest se trouve Place de l’Université,
    au centre-ville de la capitale. La Croix de Bessarabie se dresse aux côtes des
    crucifix qui commémorent la Révolution de décembre 1989. Cezar- Petre Buiumaci
    a raconté l’histoire de cet ensemble : La Croix de Bessarabie est une croix en bois ramenée de Chişinău par
    un groupe d’étudiants de la République de Moldova lors de la Marche de l’Union
    et posée le 27 mars 1992, date de l’union de la Bessarabie avec la Roumanie en
    1918. La croix en bois symbolise l’union de la nation, étant pratiquement le
    premier crucifix de l’ensemble actuel, dressé à la place de crucifix posés en
    décembre 1989. Huit autres croix en pierre y ont été ramenées de la commune
    d’Alexeni, dans le département d’Ialomiţa, et forment ainsi l’Ensemble des
    Héros de la Révolution de décembre 1989. C’est devenu le principal lieu de
    commémoration des martyrs de la révolution anti-communiste. C’est un exemple de
    changement de la signification d’un monument, passé de borne de frontière à
    monument de forum public important dans l’histoire récente.



    Par
    leurs messages forts et expressifs d’un point de vue artistique, les crucifix
    en pierre de Bucarest, sont devenus des éléments constitutifs du paysage urbain
    actuel. Même si le bucarestois lambda peut s’habituer à leur présence, ces
    monuments gardent intacte tout leur poids symbolique. (Trad. Ileana Ţăroi)



  • Les auberges bucarestoises

    Les auberges bucarestoises

    Bâtiments massifs, rappelant
    les forteresses médiévales, avec des murs extérieurs pour protéger les chambres
    des voyageurs et une cour intérieure pour abriter les charrettes et leurs
    chevaux – les auberges s’étaient multipliées dans le Bucarest des XVIIème et
    XVIIIème siècle. Ville de commerce par excellence, la capitale de la
    Principauté de Valachie était en même temps un carrefour des routes
    commerciales reliant l’Orient à l’Europe occidentale. De ce fait, les auberges
    avaient une importance vitale aussi bien pour les voyageurs que pour la
    population locale, qui y trouvait refuge en cas d’invasion ou de guerre.
    Certains de ces voyageurs étrangers nous ont laissé des descriptions plutôt
    minutieuses des établissements où ils avaient logé, raconte Gabriel Constantin,
    muséographe au Musée municipal de Bucarest.




    « La
    plus ancienne attestation documentaire d’une auberge date de 1673.
    Mais déjà en 1632, un étranger de passage à Bucarest remarquait le grand nombre
    de commerçants turcs, grecs, italiens, français et même anglais qui y
    apportaient leurs marchandises. L’apparition des auberges répondait donc à
    cette activité marchande et il y en avait plusieurs types: princier, commerçant
    et monastique. Chaque faubourg de la ville avait sa propre auberge, mais la
    plupart de ces établissements n’étaient pas grands, leurs clients étant
    quasiment tous des commerçants venus de province, avec de petites quantités de
    marchandises. Il existait bien-sûr aussi des auberges aux dimensions
    impressionnantes, construites près des foires bucarestoises, qui offraient aux
    commerçants roumains et étrangers les meilleures conditions pour stocker et
    vendre leurs marchandises. Pourtant, suite à la modernisation des moyens de
    transports, le besoin de s’approvisionner sur le long terme baisse jusqu’à la
    disparition à partir du moment où le train et le bateau ont commencé à ramener
    de grandes quantités de marchandises en très peu de temps. Parallèlement, les
    voyageurs et les commerçants préfèrent de plus en plus des bâtiments nouveaux,
    modernes, plus confortables et mieux équipés pour la commercialisation des
    marchandises. C’est ainsi que prend fin l’histoire des auberges bucarestoises -
    noyaux de développement urbain. Celles, qui se sont adaptées au changement et
    qui ont réussi à surmonter le danger des démolitions de l’histoire récente, continuent
    à préserver leur charme. »




    Le déclin des auberges
    s’enclenche officiellement en 1828, lorsque le premier hôtel de style européen
    est érigé à Bucarest. Mais avant cette date, des auberges célèbres étaient
    mentionnées dans les récits de l’histoire orale et écrite de la ville: Hanul cu
    Tei (L’Auberge aux tilleuls), Hanul lui Manuc (L’Auberge de Manuc), Hanul/L’Auberge
    Hagi Tudorache, Hanul Şerban Vodă//L’Auberge Şerban Vodă. D’ailleurs, les ruines
    des caves de ce dernier établissement sont toujours visibles près du bâtiment
    de la Banque nationale de Roumanie, érigé à la place de l’ancienne auberge. La
    majorité de ces auberges se trouvait dans le périmètre actuel du Centre
    historique de Bucarest, la zone commerçante par excellence de la capitale, où
    l’on trouvait quelques-uns des marchands les plus connus de la ville. Gabriel
    Constantin raconte.




    « Les
    auberges cachent des histoires de vie remarquables,
    dont une était celle d’Emanuel Mîrzăian, connu plutôt sous le nom de Manuc Bei.
    Ce personnage fabuleux, devenu riche à la mort de son père, avait su multiplier
    sa fortune grâce aussi à son talent de cultiver des relations à la fois parmi
    les représentants du pouvoir ottoman et parmi les élites de la Principauté de
    Valachie. Personnalité remarquable, il parlait douze langues couramment,
    maniait le tact et la diplomatie et, par-dessus tout, il avait un but bien
    défini. En même temps, il jouait un jeu ambigu, aussi bien avec les Russes
    qu’avec les Ottomans. Emanuel Mîrzăian – Manuc Bei était un commerçant riche,
    qui prêtait de l’argent à tout le monde, y compris aux élites dirigeantes
    ottomanes et valaques. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu d’être un des
    médiateurs de la paix entre l’Empire des tsars et celui du sultan, l’accord de
    paix ayant été signé dans une des salles de l’Auberge de Manuc en 1812. Pour
    avoir trahi les Ottomans, il a dû se retirer à sa propriété de Bessarabie, où
    il est décédé, très probablement empoisonné par quelqu’un de son entourage, malgré
    la version officielle d’une chute de cheval. »




    De nos jours, l’Auberge de Manuc est le
    seul bâtiment de ce genre préservé à Bucarest, accueillant à l’intérieur un
    restaurant et un hôtel. Hagi Tudorache est un autre personnage de ce monde
    tellement particulier, dont l’histoire est racontée par Gabriel Constantin.




    « Hagi Tudorache est parti du bas de l’échelle
    sociale. Fils de paysan, il s’appelait en fait Tudor Todoran et il était venu à
    Bucarest, poussé par son père qui voulait qu’il apprenne le métier de
    commerçant. C’est ainsi qu’il devient apprenti chez Tudorache Hagiu, le gérant
    de l’échoppe de l’Auberge Sfântul Gheorghe. Le commerçant, qui n’avait pas
    d’enfant, fut impressionné par les qualités du jeune Tudor Todoran, dont il fit
    son héritier, à condition que celui-ci adopte son nom. Et c’est comme ça que
    Tudor Todoran devint Hagi Tudorache.
    Préférant le commerce de gros, il a inventé le commerce ambulant à l’aide de
    charrettes couvertes, à l’intérieur desquelles les marchandises étaient
    exposées sur des étagères. Ces charrettes sillonnaient le pays, apportant à la
    population locale quasiment tous les produits nécessaires dans une maison. Il
    faut dire que Hagi Tudorache n’était pas allé à l’école, et il savait à peine écrire
    son nom. Mais il avait une mémoire prodigieuse, qui enregistrait chaque
    transaction et chaque somme d’argent qui lui était due. Ses fils aussi ont
    appris le commerce en travaillant aux côtés des commis de la boutique, leur
    père ayant voulu leur apprendre ainsi les moindres détails du fonctionnement de
    ses affaires et le respect pour le travail des salariés. »




    Le Musée municipal Bucarest a organisé
    cette exposition temporaire, consacrée aux anciennes auberges de la ville, pour
    célébrer un chapitre important de l’histoire de la capitale roumaine. (Trad.
    Ileana Ţăroi)

  • Cilibi Moise

    Cilibi Moise

    L’humour est un trait caractéristique de
    l’être humain, ayant été analysé par une pléthore de théoriciens de la
    littérature, philosophes, moralistes, psychologues, théologiens, sociologues, anthropologues
    et j’en passe. Tout en étant universel, l’humour est spécifique pour des
    groupes de gens plus ou moins nombreux, pour différents pays et nations de la
    planète. Selon les chercheurs qui l’ont analysé, l’humour est un trait culturel
    d’un certain espace.


    Dans l’espace roumain, il
    existe depuis aussi longtemps que les gens qui y habitent. Cependant,
    l’histoire écrite de l’humour roumain, dont les documents témoignent de
    l’esprit de chaque époque, apparaît au cours de la seconde moitié du XIXème
    siècle, étant liée à l’apparition des revues et des canards satiriques et
    humoristiques. L’histoire de l’humour roumain a également retenu des noms de
    gens qui ont fait rire leur semblables ou qui ont produit des expressions, des
    gestes ou des attitudes amusants. Un tel nom du XIXème siècle est celui du
    légendaire Cilibi Moise, retenu surtout par les souvenirs des concitoyens que
    les archives.

    Eugen Istodor, ancien journaliste de la rédaction de
    l’hebdomadaire satirique et humoristique « Academia Cațavencu », fondé
    en 1991, a consacré des articles et des recherches à Cilibi Moise, le héros de
    notre rubrique: « Comment comprendre l’humour? Comment
    le perçoit-on dans l’espace roumain? Me voilà devant Cilibi Moise, le plus
    humble de nos grands humoristes. Pourquoi humble? Que savons-nous sur Cilibi
    Moise? Très sincèrement, je vous dis que nous ne savons pratiquement rien sur
    lui. « L’homme n’a l’impression de compter que lorsqu’il a le sentiment de
    n’être rien » est une assertion qui exprime sa profession de foi, que je
    partage entièrement. Tout ce que nous reste de lui est une photo, quelques
    témoignages, quelques anecdotes littéraires, quelques découpages. Nous pouvons
    le placer plutôt dans une équation littéraire que dans une démarche de théorie
    littéraire, et encore moins de critique littéraire. »



    Cilibi Moise, né Moise Froim
    en 1812 à Focșani et mort en 1870 à Bucarest, à l’âge de 58 ans, était le fils
    d’une famille juive pauvre de la région de Vrancea, à l’est de la Roumanie.
    Selon les très peu nombreuses sources d’informations le concernant, il a dû
    travailler et s’occuper du commerce alors qu’il n’était qu’un enfant. Il paraît
    qu’il était connu de tous les marchands pour son esprit ludique, qui attirait
    la clientèle. On dit aussi que Moise ne savait ni lire ni écrire et qu’il
    dictait à un imprimeur les proverbes, aphorismes et maximes, qui lui sont
    attribués. Il paraît que le père du grand dramaturge roumain Ion Luca Caragiale
    était un ami de Moise, qui a dicté une partie de ses créations à Caragiale
    lui-même. Malgré leur différence d’âge, Cilibi a été très proche du rabbin,
    philologue, historien et journaliste Moses Gaster, qui l’appelle dans ses
    mémoires « cilibi », mot d’origine turque traduit par « l’amical »,
    mais aussi « esprit fin ». Le philologue et historien littéraire Ștefan
    Cazimir racontait que Moise s’était vu adouber de nombreux autres surnoms, tels
    « le facétieux », « le farceur », « le sage », « le
    philosophe », mais aussi « le distingué », « le noble »,
    « l’élégant ».

    Cilibi Moise a été un miroir de son temps, affirme Eugen
    Istodor: « Il se comporte de la même manière que
    la société roumaine. Il fait partie de l’histoire littéraire parce qu’il l’a
    voulu, mais ce fut quelque chose d’instinctif, d’animal social, plutôt que
    celui de commerçant. Moi, je le soupçonne d’avoir souhaité être commerçant, il
    aurait aimé être riche et profiter de la vie. Il est resté quelque part à la
    marge. Moise Froim Schwartz ne s’était pas beaucoup exprimé sur sa propre
    personne. Il a certes été un sujet d’auto-ironie, mais sans se mettre à nu. Il
    n’a pas dit qui ni comment il était en tant que personne. Cela en dit long de
    la composition des hiérarchies littéraire et sociales et de notre rapport à ces
    hiérarchies. À la différence de, disons, Caragiale, Macedonski, Ranetti et Geo
    Bogza, Moise n’a rien dit de lui-même. Il s’est glissé et a existé derrière des
    proverbes dans lesquels il s’est auto-ironisé. Cilibi Moise vit uniquement à
    travers sa reprise par les autres, par leur entrée dans une certaine rhétorique. »



    Plusieurs des « mots
    d’esprit » créés par Cilibi Moise nous parlent encore aujourd’hui, car
    porteurs d’un message universel. En voici un exemple sur la pauvreté: « Un
    jour, Cilibi Moise a vécu une grande honte, des cambrioleurs se sont infiltrés
    dans sa maison, mais ils n’y ont rien trouvé. »
    La politique et la
    richesse peuvent être comprises même de nos jours, sachant que les choses
    étaient différentes jadis. Et Moise faisait lui aussi des commentaires
    politiques: « cela fait 30 ans que la pauvreté ne me quitte d’une semelle
    et 14 ans depuis que je fais de même avec la politique. Moi, j’en ai marre de
    la politique, mais la pauvreté n’en a pas marre de moi. »
    Voilà juste deux
    exemples extraits du trésor de 15 volumes d’aphorismes, proverbes, réflexions,
    anecdotes et conseils que Cilibi Moise nous a laissés en héritage. (Trad.
    Ileana Ţăroi)

  • Varsovie et Bucarest – les Paris de l’Europe de l’Est

    Varsovie et Bucarest – les Paris de l’Europe de l’Est

    Le Bucarest d’aujourd’hui se distingue par un
    certain nombre de particularités, dont celle d’être une ville est-européenne
    qui a adopté le modèle de développement d’une ville de l’Occident continental.
    Et quel meilleur modèle à suivre que celui de Paris, la capitale de la France? Sa
    recherche obstinée d’une modernisation inspirée par la capitale française a
    valu à la capitale de la Roumanie le surnom de « Micul Paris/Le Petit
    Paris », dès le XIXème siècle. Un surnom, certes, flatteur, que
    Bucarest a longtemps gardé. Mais la capitale roumaine n’a pas été la seule à
    adopter le type d’expansion urbaine mis en œuvre sur les quais de la Seine. Une
    autre capitale, celle de la Pologne, Varsovie, avait reçu elle aussi le même
    surnom bien avant Bucarest.

    Cette appellation identique pour deux villes, qui bataillaient
    tellement pour imiter Paris, a servi de source d’inspiration à l’historien
    polonais Błažej Brzostek pour son livre « Parisul altei Europe/Paris de
    l’autre Europe. Varsovie et Bucarest au XIXème et XXème siècles ». Dans
    cet ouvrage, il remarque le fait que, malgré le surnom identique, les deux
    villes affichaient des différences issues de leurs histoires respectives: Des différences existent dans les deux espaces culturels, roumain et
    respectivement polonais. La première différence visible est la présence en
    Roumanie d’un moule, ou d’une vision des Balkans, qui n’existe pas en Pologne.
    C’est un concept très important en Europe du Sud, notamment, et il est négatif.
    D’un autre côté, nous avons aussi une vision historique positive, très rarement
    négative, de l’Europe Centrale. Cette vision est très urbaine, tout comme celle
    des Balkans, mais en même temps très différente. En matière d’urbanisme, les
    deux concepts sont extrêmement visibles et clairs.


    La
    Pologne et la Roumanie ont longtemps été voisines à travers l’histoire, leurs
    relations ayant été marquées par les intérêts spécifiques de chaque époque. Le
    mois de septembre 1939 en a retenu un épisode mémorable. La deuxième guerre
    mondiale venait d’éclater et le gouvernement roumain du premier ministre Armand
    Călinescu avait consenti à ce que les autorités de Varsovie et le trésor de
    l’État polonais transitent la Roumanie vers l’Occident, pour ne pas être
    capturés par les troupes de l’Allemagne nazie. Mais même au XIXème siècle,
    lorsque la Pologne n’existait plus sur la carte politique de l’Europe, la
    présence polonaise en Roumanie n’avait pas été oubliée.


    Le
    surnom de « Petit Paris », dont Varsovie et Bucarest furent adoubées,
    est plus ancien du côté polonais. Les idées de la Révolution française arrivent
    en Pologne à la fin du XVIIIème siècle, mais l’appellation de « Petit
    Paris » est mal perçue par l’aristocratie polonaise conservatrice. Les
    nobles polonais s’opposent aux idées modernes occidentales, à tout ce que Paris
    signifie, et une longue dispute éclate entre le camp traditionnel et celui
    moderniste. Trente ans plus tard, vers 1830, une même faille apparaît à
    Bucarest entre deux camps similaires. L’historien Błažej Brzostek a mis en
    exergue le rôle joué par la capitale française: Paris est un repère
    symbolique pour les deux cultures, une référence opposée à tout ce qui vient d’Orient,
    mais aussi à tout ce qui est local. C’était une question d’auto-définition et
    d’auto-réflexion, posée assez clairement: au fond, qui sommes-nous? En Europe en
    général, dans de nombreux textes, notamment du XIXème siècle, être parisien
    était présenté comme quelque chose de positif ou de négatif, jamais de neutre. Le
    débat concernait notamment les élites, une « couche superposée », selon
    Titu Maiorescu, à la société pré-moderne, qui veut moderniser les masses afin de
    leur apporter la civilisation.



    À première vue, le surnom de
    « Petit Paris » était synonyme d’organisation et d’atmosphère
    urbaines, mais ce n’était pas que cela. C’était aussi un type d’attitudes
    sociales, de mode vestimentaire, de langue parlée et d’habitat. Varsovie et Bucarest
    avaient reçu ce surnom, malgré leurs différences en termes d’héritage culturel
    et d’imitation de la capitale française. À Bucarest, le changement était plus
    visible qu’à Varsovie, ville parsemée d’hôtels particuliers de l’aristocratie.
    Vers la fin du XIXème siècle, la capitale de la Roumanie était encore une ville
    orientale, où les élites habitaient dans des maisons parisiennes. Les jeunes,
    qui avaient fait des études en France, ramenaient Paris à Varsovie et à Bucarest,
    explique Błažej Brzostek: Dans la construction du concept de « Petit
    Paris », quand on revient sur le début de son utilisation et sur les
    moments essentiels de l’évolution du concept, la première émission est celle
    d’un décalage entre Varsovie et Bucarest. Il y avait un écart entre la Pologne
    et la Roumanie, qui s’est creusé au XVIIIème siècle. Varsovie est la capitale
    d’un très grand État, marqué comme important sur la carte de l’Europe. Varsovie
    et la Pologne disparaissent, tandis que la Roumanie prend forme graduellement.
    Varsovie, traumatisée par la perte de sa fonction, est la plus grosse source de
    textes écrits et d’idées. En Roumanie, c’est le contraire. Il n’y a pas de choc
    produit par la perte d’un État, mais celui issu de l’édification d’un État
    moderne et d’une capitale moderne. Ce traumatisme, provoqué par la destruction
    d’une ville patriarcale, est très visible, notamment dans des textes de
    l’entre-deux-guerres, l’époque où Bucarest est remodelé et refait, avec des
    blockhaus, des gratte-ciel, de nouveaux boulevards.



    Les
    postérités actuelles de Varsovie et de Bucarest, gardent cependant avec
    nostalgie le souvenir du surnom de « Petit Paris ». Les deux villes
    ont énormément souffert en termes d’urbanisme, des traumatismes qui les
    rapprochent d’une certaine manière, à présent. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Calea Văcărești / L’avenue de Văcărești

    Calea Văcărești / L’avenue de Văcărești

    Durant le dernier demi-millénaire, la ville
    de Bucarest s’est construite sur un squelette et un tissus urbains comprenant
    aussi un certain nombre de vieilles artères, facilement reconnaissables grâce
    au mot roumain « cale » (qui se traduit en français par voie, route
    ou, plus tard, avenue) inclus dans leurs noms: Calea Victoriei, Calea
    Călărașilor, Calea Moșilor, Calea Dudești, Calea Floreasca etc. La plus connue de
    ces avenues est, sans aucun doute, Calea Victoriei/l’avenue de la Victoire, qui
    est aussi un des axes nord-sud de la capitale roumaine, mais les autres n’étaient
    pas moins importantes pour la ville. Calea Văcărești/l’avenue de Văcăreşti, par
    exemple, garde encore la mémoire de ses anciens habitants et d’autres
    bucarestois.


    À
    l’origine, Calea Văcărești commençait près de l’actuelle Place Unirii (de
    l’Union), dans la mahala (le faubourg) Popescului (de Popescu), le plus vieux
    quartier de la ville. Aujourd’hui, on l’appelle aussi le Quartier juif, en
    raison des nombreux Juifs bucarestois qui y habitaient. C’était l’ainsi-appelé
    Bucarest séfarade, parsemé de synagogues et de maisons pavillonnaires de la
    classe moyenne. Depuis la Place de l’Union, Calea Văcărești suit le lit de la
    rivière Dâmbovița vers le sud-est, pour atteindre le quartier actuel de
    Berceni. Le nom de l’artère est lié au grand monastère de Văcărești, sis au sud
    de la ville et démoli en 1987.


    À
    l’instar de la ville de Bucarest toute entière, l’avenue de Văcărești a traversé
    plusieurs périodes d’évolution, débutées dans la seconde moitié du XIXème
    siècle et qui coïncident avec les diverses étapes de modernisation également
    parcourues par les autres artères et quartiers. La période la plus ample, mais
    aussi la plus traumatisante, a été celle des années 1980, lorsque le programme
    de systématisation de Nicolae Ceaușescu l’a quasiment entièrement changée.
    Cristian Popescu, auteur de l’album de photographies et de récits « 1985-1987
    Calea Văcărești, Cartierul evreiesc și alte locuri uitate. Aduceri
    aminte »/ « Le Quartier juif et autres lieux oubliés. Souvenirs »,
    s’est justement penché sur l’histoire de cette artère bucarestoise et ses
    environs. L’historienne Anca Tudorancea, chercheuse au Centre d’histoire des
    Juifs de Roumanie « Wilhelm Filderman », a elle aussi étudié ladite
    zone, la positionnant sur la carte actuelle de la ville: La zone en question
    comprenait la mahala (le faubourg) de Popescu, ce que Google Maps désigne
    aujourd’hui comme le Quartier juif. Ce périmètre fait depuis longtemps l’objet
    de mon étude. Cela fait vingt ans que je cherche et continue d’y trouver du
    nouveau. La conclusion serait que cette empreinte numérique est plutôt
    simpliste, car il n’y a jamais eu un seul quartier juif. C’est en fait la plus
    ancienne zone résidentielle, le noyau du quartier, qui est à l’heure actuelle
    le lieu où l’on trouve le plus grand nombre de temples, de morceaux de rue et
    de restes d’habitations. Tout cela existait déjà dans ce périmètre il y a vingt
    ans, lorsque j’avais commencé à travailler au Centre d’études de l’histoire des
    Juifs de Roumanie et j’arpentais des bouts de rue rescapés des démolitions.


    Calea
    Văcărești des temps présents est difficilement reconnaissable par un habitant
    de la jeune génération ou par quelqu’un venu de l’extérieur de la ville. Mais
    l’album de Cristian Popescu nous donne la chance de mieux comprendre ce qui
    s’est perdu dans les années 1980. Anca Tudorancea raconte: Les noms des rues
    ont souvent été préservés, mais en réalité ce ne sont que des morceaux, car les
    rues n’existent plus en entier. Le livre de Cristian Popescu est un travail
    d’archéologie visuelle, du moins par
    rapport à Calea Văcărești. La réalité d’autrefois n’existe plus et, tout comme
    dans le cas des grandes artères urbaines, une rue a aussi changé. Plus encore,
    les habitants de la zone en question ont disparu. Ce livre est en partie une
    évocation sentimentale des rues, des habitations et des habitants.


    Nous
    sommes à présent en mesure de reconstituer l’ancienne Cale Văcăreștilor, en
    nous appuyant sur le livre de Cristian Popescu. Mais d’autres volumes nous
    aident aussi beaucoup en cas d’expédition d’exploration urbaine, même si
    certains de ces volumes sont entachés par l’idéologie, affirme Anca Tudorancea: Quand on prononce le nom de l’avenue, Calea Văcărești, nous pensons
    très probablement, avant tout, à la littérature. Même le nom de la rue est
    devenu une sorte de stéréotype littéraire. Isac Peltz a écrit, en souvenir de
    sa mère, un livre dans lequel il évoque un monde très pauvre. Ce genre de
    livres était très apprécié par le public et toléré par les autorités
    communistes. Un livre qui parle des gens aisés du quartier juif n’aurait pas pu
    exister. En revanche, la parution d’un volume sur les membres pauvres de la
    communauté a été encouragée par ces autorités. Mais le livre a aussi une grande
    valeur littéraire. Les lecteurs ont été choqués d’apprendre l’existence d’un
    tel monde aussi près du centre-ville de la capitale: un monde des petites
    couturières, des petits commerçants, des gens vivant au jour le jour, un monde
    que Peltz connaissaient parfaitement. C’est un traumatisme dont a hérité sa fille,
    Tia Peltz, qui l’a transformé artistiquement. Ses très beaux dessins créent une
    image de la Calea Văcărești qui reste avec nous, mais c’est un monde
    schématisé, en noir et blanc.


    L’album
    de Cristian Popescu ressuscite l’ancienne avenue Calea Văcărești. C’est un
    recours à une mémoire perdue et retrouvée sur du papier. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Bucarest mis en boîte

    Bucarest mis en boîte


    Dans les années 1970-1980,
    l’histoire de la capitale roumaine, Bucarest, a été impactée par les démolitions
    brutales imposées par Nicolae Ceausescu afin de faire place à la construction
    pharaonique de son Palais du Peuple et d’autres immeubles modernes. Il est vrai
    qu’au fil des années, les villes et les villages changent et se modernisent,
    mais leurs transformations progressives ne doivent pas entraîner une crise du
    logement comme ce fut le cas suite à la destruction totale du quartier
    historique d’Uranus, l’un des plus beaux de la capitale roumaine. Un havre de
    paix verdoyant dont 90 % de la superficie a été détruite par les communistes, laissant de nombreuses
    familles sans domicile.


    Bucarest, telle qu’elle
    était à l’époque où ses habitants pouvaient encore arpenter les petites ruelles
    de la colline de Spirii, bordées de villas et d’immeubles chics, n’existe plus
    de nos jours. Les nostalgiques peuvent la ranimer en regardant des photos
    d’époque ou des documentaires d’archives ou bien, en feuilletant l’album « La
    ville mise en boîte. Une chronique affective de Bucarest », portant la
    signature de l’architecte Gabriela Tabacu. C’est un ouvrage qui invite les lecteurs
    à découvrir le Bucarest des années 1960 à travers le regard d’une fillette de
    10 ans, venue à Bucarest depuis Oradea, une ville du nord-ouest de la Roumanie.
    La romancière Tatiana Niculescu nous en dit davantage, tout en énumérant les
    aspects que l’architecte que Gabriela Tabacu met en lumière:


    « On trouve toute sorte
    d’endroits connus à l’époque, tels la piscine de Lido, le magasin Polar, les
    galeries Unic, la glace Parfait ou encore la reine des desserts, la profiterole,
    qui a fait à l’époque son entrée triomphale dans les adresses les plus chiques
    où les Bucarestois pouvaient déguster de délicieux gâteaux. Je me souviens du
    jour où j’ai goûté à ma première profiterole, ce fut quelque chose de
    fantastique, un moment de pur bonheur pour l’enfant que j’étais à l’époque. Le
    livre parle aussi des épiceries et de tous ces endroits qui marquaient le
    passage d’un monde d’autrefois, auquel les parents de cette fillette étaient
    habitués, à un autre en place dans ces années-là. On ne sait pas exactement
    comment le monde était avant, mais on observe une transition vers une réalité
    qui nous fait penser à celle d’après 1989. Une réalité de la transition, sans
    savoir encore vers quoi le monde se dirige.




    En fait, la ville a commencé
    à changer de visage, mais d’une manière brutale qui reste figée dans la tête de
    cette fillette de dix ans qui nous fait voir Bucarest à travers ses yeux. Tatiana
    Niculescu :




    « On change les noms des rues, on enlève des statues et on les
    remplace par d’autres, on modifie la structure du paysage urbain que cette
    fillette est en train de découvrir. La protagoniste nous fait découvrir son
    Bucarest à elle, un Bucarest de l’innocence et non de la nostalgie. Attention,
    l’ouvrage ne se propose pas de nous rendre nostalgiques des temps d’autrefois
    et d’ailleurs, c’est ce qui lui confère sa valeur documentaire. Il s’agit tout
    simplement d’un exercice descriptif d’un monde que cette fillette a connu. En
    faisant la lecture de l’album de Gabriela Tabacaru, je me suis souvenue du
    poète Cristian Popescu, mort très très jeune. Et lui, à un moment donné, il
    s’est mis à me raconter à quel point il détestait l’époque de Ceausescu qui
    était, selon lui, la période la plus noire de l’histoire roumaine. Mais, en
    même temps, c’était l’époque de sa jeunesse. Or, il m’est impossible de
    renoncer à ma jeunesse, disait-il. Voilà pourquoi, je regarderai toujours cette
    période de l’histoire à travers le regard de la jeunesse. C’est exactement ce
    que cet ouvrage fait : il présente une ville du point de vue d’une enfant qui
    se transforme en même temps que la ville
    .




    Avec le regard de
    l’adulte qu’elle est devenue, l’architecte Gabriela Tabacu explique aux
    lecteurs les images restées dans la mémoire de la fillette qu’elle était dans
    les années 1960. Les descriptions et les histoires s’accompagnent de
    photographies d’époque. Tatiana Niculescu nous explique :




    « Le livre est divisé en deux et la deuxième partie est sous la forme
    d’un album de photos. Avec sa voix d’adulte, l’architecte Gabriela Tabacu
    raconte l’histoire de tous les bâtiments dont la fillette nous parle dans un
    premier temps. C’est une lecture à faire de plusieurs points de vue, ou du
    moins, c’est ce que moi j’ai fait. Un des points de vue serait celui de la
    génération d’aujourd’hui, qui n’a pas connu le Bucarest de cette époque-là. Un
    autre serait celui de la génération des années 1980 impactée par toute la folie
    des thèses de juillet et des horreurs des années 80. Pour elle, le livre serait
    une occasion de ressusciter une certaine période de normalité et d’accalmie
    idéologique des années 1959-1971. Tandis que pour ceux qui ont vraiment vécu
    dans ces années-là, la lecture se fera avec une curiosité doublée du désir de
    se retrouver eux-mêmes dans les histoires racontées. »




    « La ville mise en
    boite. Une chronique affective de la ville de Bucarest » est un pont sur
    le temps que l’architecte Gabriela Tabacu a jeté pour empêcher que l’oubli
    s’installe et que les souvenirs s’effacent.





  • Ferentari

    Ferentari

    Considéré aujourd’hui comme un quartier
    économiquement et socialement difficile, une sorte de ghetto au sud-ouest de
    Bucarest, le faubourg de Ferentari n’a pas toujours été une zone frappée de
    problèmes. Son histoire fait l’objet d’un ouvrage paru récemment -
    « Ferentari incomplet », coordonné par Andrei Răzvan Voinea, Dana
    Dolghin et Gergely Pulay.


    Le quartier commence à se développer à
    l’entre-deux-guerres, lorsqu’il n’est qu’une simple zone interstitielle de la
    périphérie de Bucarest. L’historien Andrei Răzvan Voinea raconte : Dès le début, le quartier de Ferentari a dû faire avec un handicap de
    développement, puisque l’avenue du même nom – Calea Ferentari – par exemple, ne
    menait nulle part, en ce sens qu’elle s’arrêtait pratiquement dans un champ.
    Ici, à Ferentari, il y a toujours eu un vignoble appartenant à la métropolie orthodoxe
    et à plusieurs autres monastères. Petit à petit, ces vignobles ont été vendus,
    des lotissements et des constructions ont fait leur apparition, ce qui l’a
    transformé en une zone résidentielle plus ou moins officielle. Les loyers très
    bas ont attiré de nombreux ouvriers, notamment ceux qui travaillaient dans les
    entreprises industrielles sises sur la colline de Filaret, la première zone
    véritablement industrielle de Bucarest. Ce fut le point de départ d’un
    développement très, très lent. Avant 1940, le quartier était connu comme le
    Champ de la Joie, car il était parsemé de nombreuses caves à vin, issues des
    anciens vignobles, qui se sont transformées lentement mais surement en autant
    de tavernes. À un moment donné, elles en étaient une centaine et la rue la plus
    importante de l’époque s’appelait la Rue de la Joie. Il n’y avait même pas de
    quartier. C’était tout simplement le Champ de la Joie, sous-développé avant
    1940, ignoré par les autorités centrales, sans égouts, sans eau potable ni
    électricité, et avec très peu d’interventions.




    Également à
    l’entre-deux-guerres, le quartier de Ferentari accueillait, en plus des
    ouvriers de condition modeste, quelques entrepreneurs et leurs affaires.
    Certains des plus aisés se sont fait construire des maisons d’une meilleure
    qualité, même des villas dans les styles architecturaux les plus prisés à
    l’époque, mais ces immeubles sont peu nombreux. L’historien Andrei Răzvan
    Voinea en a documenté une partie:
    Il y avait quelques petites affaires,
    dont celles d’un entrepreneur juif, Littman, qui demande, en 1935, à
    l’architecte Paul Rossini de lui dessiner cette magnifique maison dans un style
    international très moderniste, en phase avec la mode européenne du moment. De
    tels exemples ne sont pas nombreux. Il y aussi un autre immeuble, appelé Vila
    Coca, au 43 rue Veseliei (de la Joie) ; là aussi, l’architecture est très
    gracieuse, très équilibrée. Malheureusement, l’homme d’affaires Littman fut un
    des Juifs tombés victimes de la rébellion légionnaire de la Garde de Fer de 1941,
    qui avait aussi secoué le quartier de Ferentari.




    La vraie
    systématisation de cette zone a pourtant débuté après l’installation du régime
    communiste, dans le but d’offrir aux travailleurs des conditions de vie
    décentes, un objectif réalisé dans un premier temps. Des immeubles à étages, en
    briques, appelés encore aujourd’hui « blocurie roșii/les immeubles
    rouges », se sont dressés sur une sorte de terrain vague. De tels projets
    ont été imaginés dès 1946, explique Andrei Răzvan Voinea: Ce terrain
    vague a été racheté par un Institut des fonctionnaires publics pour y
    construire des logements destinés aux fonctionnaires publics. En 1948, le
    terrain passe à la mairie et change constamment de commanditaire. Mais un
    projet très fonctionnaliste est mis en œuvre, ce qui se traduit par le lancement
    de la construction de 20 immeubles à étages. L’architecte en est Gheorghe Popov
    et les communistes inventent pratiquement l’habitation en commun. C’est un
    espace imaginé entièrement en rupture avec le modèle de lotissements – maisons
    et jardins individuels – à l’horizontale. Là, nous parlons d’un développement à
    la verticale. Tous les immeubles ont quatre étages, sont séparés par des
    parterres de végétation et dotés de nombreux services sociaux. Nous parlons de 20
    tels immeubles, chacun habité par une trentaine de familles, donc environ 600
    familles au total. Les immeubles avaient leur propre système de chauffage, une
    école maternelle et une salle de cinéma se trouvaient à proximité. Lorsque les
    immeubles ont été finis, l’on y a aussi ajouté une piscine publique, qui a
    fonctionné jusqu’après 1990. Au début de l’avenue Ferentari, des commerces en
    tout genre, l’échoppe d’un coiffeur-barbier se partageaient les clients.
    C’était pratiquement une petite ville qui s’autogérait en quelque sorte.




    La situation
    a commencé à se dégrader vers le milieu des années 1960 et ça continue
    aujourd’hui encore. L’historien Andrei Răzvan Voinea propose une explication: Que s’est-il passé après 1966? Après avoir érigé les immeubles rouges,
    les communistes ne font plus grand-chose. Ils construisent encore une école
    quelque part, dans Prelungirea Ferentari, un canal collecteur et l’éclairage
    public attaché à ce morceau de canalisation. Mais ce ne sont pas des
    interventions majeures, justes normales. En 1966, le plan de systématisation de
    l’ensemble de cette zone voit le jour à l’Institut Proiect de Bucarest. C’est
    un plan très sérieux, qui prévoit la construction d’immeubles à étages. Pour
    cela, il fallait abattre le fonds d’habitations pavillonnaires, pour tout
    remplace par de tels logements. Les communistes ont prêté beaucoup d’attention
    à un début de renouveau urbanistique sur les terrains vagues. Malgré un
    projet de démolition tous azimuts et de construction d’immeubles à étages tout
    le long de l’avenue de la Victoire, le projet initial envisageait de construire
    des immeubles le long de l’avenue Ferentari, mais cela se fait par îlots sans
    lien direct avec l’avenue. Un autre projet était axé sur la construction de
    studios et d’appartements d’un confort moindre, sinon carrément basique. En
    fait, la caractéristique de faubourg de la périphérie était maintenue, les habitations
    étant destinées à des gens venus à Bucarest pour trouver un emploi, qui louent
    un studio à court terme, fondent une famille et déménagent ailleurs. On
    constate encore une fois que Ferentari restait une zone interstitielle, de
    transit, mais ce projet est finalement abandonné. L’on a construit au total
    plus de 150 immeubles de studios et d’apparts deux pièces, habités par un tas
    d’ouvriers des Usines Vulcan. Après 1973, la législation nationale change
    elle-aussi. C’était de la folie.




    Un plan complexe
    de développement de cette zone est imaginé suite au terrible tremblement de
    terre de 1977, mais rien n’est malheureusement mis en œuvre jusqu’à la chute du
    régime en 1989. Vient ensuite la dégringolade de la transition des années 1990
    et les pouvoirs publics se sont désintéressés du quartier où les problèmes
    sociaux se sont graduellement amplifiés. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Le botaniste Alexandru Borza

    Le botaniste Alexandru Borza

    Ces deux derniers siècles et demi, la nature a été
    considérée comme un véritable berceau de l’humanité, de l’individu, de la
    famille et de la société dans son ensemble. Sacralisés depuis longtemps, les
    plantes, les animaux, les eaux ou les rochers sont devenus petit à petit des
    objets d’étude pour les spécialistes des sciences naturelles. Parmi eux, le
    prêtre Alexandru Borza. Né sur le territoire de l’Empire de l’Autriche Hongrie,
    en 1887 et mort à 84 ans, en Roumanie, il est considéré de nos jours encore,
    comme un des grands botanistes de cette partie du monde. Son parcours scolaire
    a été assez inédit. Diplômé d’une Université catholique d’études théologiques,
    il opte pour la Faculté des sciences de Budapest et à 26 ans, il obtient le
    titre de docteur en sciences de la nature. Entre 1913 et 1918, il est
    professeur des sciences naturelles dans un lycée de garçons, de Blaj. A partir
    de 1918, année de l’union des principautés roumaines, sa carrière s’épanouit.
    Il devient recteur de l’Université de Cluj, directeur du Jardin botanique de la
    même ville et directeur scientifique de la Commission chargée des Monuments de
    la nature. On lui doit la découverte de plus de 80 espèces de plantes et la
    publication de 500 articles. Il est auteur d’un dictionnaire ethnobotanique qui
    réunit plus de onze mille dénominations populaires roumaines de 2095 espèces de
    plantes autochtones. Il a coordonné la parution de neuf périodiques
    scientifiques et a participé à des campagnes de prise de conscience
    environnementale, sur le rôle de la nature dans la vie des gens. Il s’est même
    aventuré vers d’autres domaines de recherche, tels l’anthropologie, la
    folkloristique et l’eugénisme.


    La présence d’une délégation roumaine au quatrième
    Congrès de botanique de New York, en 1926, a encouragé la Roumanie à doubler
    d’efforts pour protéger la nature. L’historien Cosmin Koszor-Codrea explique la
    manière dont le modèle américain est arrivé à inspirer les scientifiques
    roumains.




    Organisé en 1926,
    le quatrième congrès international de botanique a réunit à New York des
    botanistes du monde entier. Parmi eux, Alexandru Borza qui a présenté un exposé
    sur les fleurs des îles. Hormis les allocutions habituelles, le congrès a
    proposé aux participants des visites dans les Jardins botaniques et des
    randonnées dans des parcs naturels, tels celui de Yellowstone, de Niagara ou
    des Montagnes rocheuses. De retour en Roumanie, Borza et le zoologue roumain
    Andrei Popovici-Bâznoșanu décident d’un commun accord d’organiser en 1928, un
    premier congrès des sciences de la nature à Cluj, avec un agenda commun pour
    tous les participants: professeurs de lycée, associations alpines roumaines,
    hongroises et allemandes, responsables politiques et chercheurs renommés. Parmi
    les nombreuses résolutions sur lesquelles le congrès a débouché, notons un
    renouvellement du programme d’étude des sciences naturelles dans les écoles, la
    reconnaissance du Delta du Danube comme région ornithologique et la création du
    parc naturel des Monts Retezat
    .




    Une fois ces objectifs assumés, pour leur mise en place,
    la Roumanie a du adopter d’autres mesures, explique Cosmin Koszor-Codrea.


    Suite à toutes
    ces propositions, le Ministère de l’Agriculture et du domaine public a soumis
    au vote, en 1930, une loi pour la protection des monuments de la nature. Une
    année plus tard, au terme d’un décret royal, la Roumanie reconnaissait
    officiellement l’existence de la Commission des monuments naturels. Dans un
    document officiel, celle-ci expliquait que les monuments de la nature sont tous
    ces territoires qui, en raison de la faune qui y vit et de la flore qui y
    pousse, ont une grande importance scientifique et esthétique. Toujours parmi
    les monuments naturels, on retrouve les aires qui suscitent l’intérêt des
    scientifiques grâce à leur beauté et donc, qui ont besoin d’être conservées
    pour la postérité. Bien évidemment, la Commission a dressé une liste des
    animaux, des plantes, des pierres, des minéraux et des fossiles censés être
    protégés.



    Créé en 1935, le Parc naturel du Mont Retezat rattache
    son existence au nom d’Alexandru Borza, mais aussi à l’implication de l’Etat
    roumain. En 1939, le magazine Les Carpates publia une liste de 17 espèces de
    plantes protégées parmi lesquelles le rhododendron, l’edelweiss ou encore le nénuphar.
    A en croire Cosmin Koszor-Codrea, les Mots de Retezat ont suscité dès le départ
    l’attention des écologistes :


    « Les Monts de Retezat ont été la première région de
    Roumanie à répondre à tous les critères censés lui permettre sa transformation
    en réserve naturelle. Tout correspondait : le parcours géologique, la
    faune, la flore et le rôle identitaire. Je voudrais citer Borza affirmer les Monts de Retezat représentent une région
    extrêmement importante pour la science, un monument de la nature sacré, unique
    en Roumanie. Voilà pourquoi tous les naturalistes souhaitent en faire une
    réserve naturelle nationale, comme Yellowstone. C’est au sein de ce parc que
    les jeunes roumains pourront apprendre à protéger la nature, tout en respirant
    à pleins poumons l’air de liberté que le prince dace Decebal nous a laissé un
    héritage. Ils nourriront leurs cœurs de la fierté de vivre dans un pays qui
    s’enorgueillit d’un coin de terre unique, symbole d’une nature saine
    ».




    Alexandru Borza figure parmi les pionniers de la
    protection de la nature en Roumanie. Il a fait partie des ceux ayant milité en
    faveur de l’éducation écologique des
    Roumains.



  • Le botaniste Alexandru Borza (1887-1971)

    Le botaniste Alexandru Borza (1887-1971)

    Au cours des deux derniers siècles et demi,
    la nature a été regardée comme le berceau de l’humanité, de l’être humain, de
    sa famille, de la société et de la nation. Petit à petit, les spécialistes en
    sciences de la nature ont commencé à étudier les plantes, les animaux, l’air,
    l’eau, les pierres. En Roumanie, le prêtre Alexandru Borza a été un des plus
    importants botanistes. Né en Autriche-Hongrie en 1887, il est décédé en
    Roumanie en 1971, à l’âge de 84 ans.


    La
    formation scolaire d’Alexandru Borza a été assez inhabituelle pour un
    scientifique. Après des études dans un séminaire théologique catholique, il a
    intégré la Faculté de sciences de Budapest, où il a obtenu le titre de docteur en
    sciences de la nature en 1913, à l’âge de 26 ans. Avant l’union des territoires
    de l’Autriche-Hongrie habités par des Roumains avec le Royaume de Roumanie, en
    1918, Borza a enseigné les sciences de la nature au lycée de garçons de la
    ville de Blaj, en Transylvanie. Après cette année-là, sa carrière prend de l’ampleur :
    président de l’Université de Cluj, directeur du Jardin botanique de la même
    ville, directeur scientifique de la Commission des monuments de la nature. Il
    découvre plus de 80 espèces de plantes, 20 autres sont dénommées en son
    honneur, il publie environ 500 textes scientifiques. Alexandru Borza a aussi publié un
    dictionnaire ethnobotanique de Roumanie, qui contient 11.000 appellations
    populaires de 2095 espèces végétales et il a géré la publication de neuf
    périodiques scientifiques. Il s’est impliqué dans de fortes campagnes de
    sensibilisation à l’importance de la nature dans la vie des êtres humains, à
    travers des articles de presse et des pamphlets, des conférences publiques et
    des émissions radio. Alexandru Borza est aussi passé de l’étude de la nature à
    des recherches d’anthropologie, de folklore et eugéniques.


    La
    participation des Roumains au quatrième Congrès de botanique de New York, en
    1926, a encouragé leur implication dans la protection de l’environnement.
    L’historien Cosmin Koszor-Codrea a expliqué comment le modèle américain avait
    inspiré les actions ultérieures des Roumains: « En 1926, le quatrième Congrès
    international de botanique a eu lieu à New York, rassemblant des botanistes du
    monde entier. Borza a présenté, dans la section d’écologie, une recherche sur
    les plantes insulaires. Au-delà des sessions de présentations habituelles, l’agenda
    du congrès a aussi inclus des visites au Jardin botanique, des excursions dans
    des réserves de la nature, le Parc national Yellowstone, les chutes du Niagara et
    les Rocheuses. De retour en Roumanie, Borza a contacté le zoologue roumain
    Andrei Popovici-Bâznoșanu pour se mettre d’accord sur l’organisation du premier
    congrès roumain des sciences de la nature à Cluj en 1928. L’agenda était
    identique pour tous les participants : enseignants du secondaire,
    associations alpines roumaines, magyares et allemandes, hommes politiques et
    chercheurs de hauts niveaux. Parmi les nombreuses résolutions du congrès, les
    participants ont introduit à l’agenda politique la réorganisation du programme
    d’enseignement de l’histoire naturelle dans les écoles secondaires, la
    certification du Delta du Danube en tant que région riche en oiseaux et la
    création d’un parc naturel dans le Massif Retezat. »



    Les
    actions ultérieures ont été les conséquences logiques des objectifs assumés,
    précise Cosmin Koszor-Codrea: « Le ministère de l’agriculture et des domaines publics a entendu
    les participants au Congrès et proposé, en 1930, la loi de la protection des
    monuments de la nature. L’année suivante, un Décret royal autorisait
    officiellement l’existence de la Commission des monuments de la nature, et la
    loi imaginée par la Commission stipulait que « les monuments de la nature
    sont les terrains ayant une importance scientifique et esthétique spéciale en
    raison des animaux et des plantes qui les peuplent. Les monuments de la
    nature sont également les terres qui, dû à leur beauté naturelle et à leur
    intérêt scientifique, doivent être conservées et laissées en héritage à la
    postérité. La loi protège les espèces d’animaux et de plantes, ainsi que les
    roches, les minéraux et les fossiles ». »



    L’histoire
    du Parc Naturel Retezat, créé en 1935, est liée au nom d’Alexandru Borza. La
    conservation de la nature y a été consistante, grâce à l’implication de
    l’Etat. En 1939, la revue « Carpații/Les
    Carpates » publiait une liste de 17 plantes protégées, dont le rhododendron,
    l’edelweiss et le nénuphar thermal. Cosmin Koszor-Codrea a souligné le fait que
    le Massif Retezat avait dès le début éveillé l’attention des écologistes: « La première région
    qui répondait à cette définition inscrite dans le texte de loi était le Massif Retezat,
    en raison de sa géologie, de sa flore et de sa faune, ainsi que de sa réponse à
    l’identité nationale roumaine. Pour Alexandru Borza, « le Retezat est une
    terre sainte pour la science, un monument de la nature sacré, singulier parmi
    les montagnes de Roumanie. C’est pourquoi tous nos spécialistes considèrent que
    ce massif a été prédestiné par la nature à devenir notre parc national, notre Yellowstone à nous. Là, les jeunes vont apprendre l’éducation
    patriotique et respirer l’air de liberté que le roi Decebal nous a laissé en héritage,
    ils ressentiront de la fierté en reconnaissant l’unicité de ce bout de terre,
    symbole de notre santé naturelle. ». »


    Alexandru Borza a été l’un
    des noms les plus importants dans le domaine de la protection de
    l’environnement en Roumanie à l’entre-deux-guerres. Il a aussi soutenu
    l’enseignement de l’histoire naturelle en tant qu’élément composant du
    spécifique national. (Trad. Ileana Ţăroi)