Category: Pro Memoria

  • La popularité de Radio Free Europe

    La popularité de Radio Free Europe

    Cette radio a bénéficié d’une très grande audience, sa
    popularité étant due à son professionnalisme et à son esprit critique. Dans les
    années 1970-’80 Radio Free Europe a été en Roumanie une des peu nombreuses
    sources crédibles d’informations sur le monde démocratique, offrant aux esprits
    assoiffés de liberté la possibilité de sortir un peu de la prison où le régime
    communiste tenait enfermés des millions de Roumains.




    Pour la génération de jeunes auxquels
    on doit la révolution anticommuniste de décembre ’89, Radio Free Europe a été
    une école dans tous les sens du mot : école de liberté, de politique, de
    culture. Preuve de la popularité dont jouissait cette radio, les noms des
    réalisateurs travaillant pour Radio Free Europe étaient plus connus que ceux
    des journalistes des médias roumains. Noël Bernard, Vlad Georgescu, Mircea
    Carp, Neculai Constantin Munteanu, Raluca Petrulian, Doina Alexandru – voilà
    quelques noms seulement parmi ceux auxquels des millions de Roumains se
    sentaient attachés grâce à la vérité qu’ils disaient en leur nom. Certaines
    émissions, comme, par exemple, « Le programme politique » réalisé par
    Mircea Carp et diffusé chaque soir à 18 h10, mais surtout
    « L’actualité roumaine » et le dossier « Le monde
    communiste », diffusés entre 19h10 et 20h, étaient nettement supérieures aux
    productions radiophoniques roumaines, sur lesquelles planaient la censure et la
    peur.




    Mircea Carp est un des journalistes dont l’histoire se confond
    pratiquement avec celle du service roumain de Radio Free Europe. Il a commencé
    à y travailler en 1951, après s’être évadé de la Roumanie communiste. Ensuite,
    il a rejoint « La Voix de l’Amérique ». En 1978, il est revenu à
    Radio Free Europe, où il a conçu et réalisé la très populaire émission de
    politique extérieure « Le programme politique ».




    Interviewé en 1997 au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion
    roumaine, Mircea Carp a parlé de la façon dont il avait contribué à accroître
    l’audience et la popularité de Radio Free Europe : « Avant mon arrivée à Radio Free Europe, leurs émissions étaient
    plutôt impersonnelles, pas dynamiques. Or moi, excusez-moi de vous le dire sans
    fausse modestie, j’ai réussi à mettre plus de rythme dans les programmes, du
    nerf à l’américaine, avec des reportages plus courts, parsemés de voix de
    personnalités des quatre coins du monde, y compris de la diaspora roumaine.
    Mais, ce qui serait plus important que tous ces changements, ce serait le fait
    que Radio Free Europe a anticipé la fin du Rideau de fer et a renforcé son
    offensive sur les ondes. Dans ce contexte, on ne saurait nous étonner du fait
    que le département des émissions en roumain a décidé de mettre davantage en
    lumière la situation intolérable des Roumains de Roumanie. Et je pense à tous
    ces aspects qu’on ne laissait pas voir, mais dont on ne cessait de parler. Or,
    le fait qu’une chaîne de radio basée à l’étranger offrait tant de détails sur
    la véritable vie économique, politique, culturelle et militaire de Roumanie a
    éveillé l’enthousiasme de tous ces auditeurs, se trouvant dans l’impossibilité
    de partager tout ce qu’ils savaient ou voyaient autour d’eux. Du coup, nos
    programmes parlaient à leur place. Je pourrais donc conclure que ce fut
    précisément dans les années ’80 que les émissions de Radio Free Europe, y
    compris celles en roumain, avaient changé de dynamisme, en devenant plus
    agressives dans le sens positif du terme. Notre programme politique avait
    acquis une nouvelle dimension. Il ne traitait plus seulement des réalités
    européennes, mais aussi, des roumaines. »





    La popularité de Radio Free Europe se rattache à la liberté préservée
    par le management américain de l’antenne et à la véridicité des sources
    journalistiques. Dans le cas de la Roumanie, il s’agissait bien de la presse
    occidentale, de la diaspora, de personnalités roumaines invitées à participer à
    des congrès à l’étranger, des lettres envoyées illégalement par des auditeurs
    roumains courageux et du Centre de documentation et de recherche de Radio Free
    Europe.




    Mircea Carp passe en revue les
    principaux objectifs des émissions L’actualité roumaine et Le monde communiste,
    les deux programmes qui ont fait exploser l’audience : « Plus tard, est apparue
    L’actualité roumaine, présentée, dans un premier temps, par Emil
    Georgescu et ensuite par Neculai Constantin Munteanu; peu à peu, cette émission
    est devenue un élément – clé de nos programmes. Une autre émission, Le
    monde communiste, réalisée par Doina Alexandru, est venu s’y ajouter ; on
    y présentait la réalité des pays communistes d’Europe de l’Est, y compris,
    éventuellement, de l’URSS, de Cuba, mais pas de Roumanie. L’ but en était d’informer
    nos auditeurs pour qu’ils puissent comprendre que ce qui se passait en Roumanie
    n’était pas quelque chose d’isolé, mais que ça faisait partie de tout un
    ensemble de situations, de persécutions, d’attitudes des régimes au pouvoir, à
    retrouver en égale mesure à Varsovie, à Sofia ou à Budapest. La dynamique des émissions de Radio
    Free Europe, dans les années ’80, a atteint un point culminant en décembre
    1989. Avec une petite répétition lors de la révolte de Braşov, le 15 novembre
    1987 ; ce fut le premier indice d’une situation claire, à savoir que les
    Roumains n’avaient plus envie d’accepter une situation absolument intolérable
    de tous les points de vue. »





    Radio Free Europe est un exemple du fait que la
    vérité ne peut pas être muselée. (Trad. : Ileana
    Ţăroi, Ioana Stăncescu, Dominique)

  • Une ville dans la ville. Le 3e arrondissement de Bucarest.

    Une ville dans la ville. Le 3e arrondissement de Bucarest.

    En 1862, Bucarest devient la capitale des
    Principautés unies de Moldavie et de Valachie. Il se développe en tant
    qu’important centre culturel et artistique, dont les élites importent le modèle
    occidental, notamment français, vers le début du 20e siècle. L’architecture
    particulière et l’atmosphère de la bohème bucarestoise d’avant la première
    guerre mondiale avaient donné à la capitale roumaine le surnom de « Petit
    Paris », qui allait être gardé aussi pendant l’entre-deux-guerres.

    Malheureusement,
    le régime communiste est brutalement intervenu dans l’architecture et
    l’infrastructure bucarestoises. De nombreux monuments historiques ont été
    détruits, surtout dans les années ’80, pour laisser la place aux immenses quartiers
    dortoirs prolétaires. A l’heure actuelle, Bucarest est divisé du point de vue
    administratif en 6 arrondissements, leurs limites allant comme des rayons du
    centre vers la périphérie. L’historien Emanuel Badescu évoque les débuts de la
    capitale roumaine actuelle.


    « Bucarest a eu comme noyau la Cour princière, le Palais princier
    et un village dont est issu le plus vieux quartier de la ville. C’était autour
    de l’Eglise Saint Georges l’ancien. Ce quartier, appelé le faubourg de Popescu,
    s’étendait jusqu’au-delà des églises Delea Veche et Delea Noua, arrivant à
    proximité du monastère de Marcuta, dans l’est de Bucarest. Le lieutenant -
    colonel Papazoglu, historien archéologue et géographe roumain du 19e
    siècle, affirmait que le quartier Dobroteasa serait le lieu de naissance de la
    ville. Il se trompait de quelques centaines de mètres, puisque le noyau était
    en fait l’Eglise Saint Georges l’ancien. »


    Le troisième arrondissement de la capitale inclut
    la plus grande partie du centre historique de la ville. Mélange
    inédit de bâtiments anciens, représentatifs pour la capitale, et de quartiers
    nouveaux, le 3e arrondissement s’étend de la Place de l’Université jusqu’à
    l’extrémité est de la ville.
    Avec ses 34 kilomètres carrés et 342 mille
    habitants, selon le recensement de 2011, cet arrondissement est aussi le plus
    peuplé de la capitale. Le long de son histoire, il a souffert de nombreuses
    transformations, pour des raisons plus ou moins connues.

    Plus de détails avec
    l’historien Emanuel Badescu : « Cette ville dans la ville est l’endroit qui a souffert le plus,
    suite au grand incendie du 23 mars 1847. Si nous regardons la carte dessinée
    par le même lieutenant – colonel Papazoglu, nous constatons que l’incendie
    déclenché dans la cour de la famille Filipescu, devant l’Eglise Saint Démètre,
    s’est étendue jusqu’au delà de l’Eglise Saint Etienne, sur l’actuelle avenue
    Calarasilor. Pratiquement ce grand incendie s’est propagé sur l’ensemble du
    territoire occupé actuellement par le 3e arrondissement de Bucarest.
    Ce fut également là qu’ont été appliquées les premières réglementations dans la
    construction des immeubles, proposées tant par Gheorghe Bibescu que par son
    frère Barbu Stirbey. Ces normes de construction des maisons privées sont
    valables de nos jours encore. Je ne sais pas quel fut le rôle joué par ce feu
    et s’il n’avait pas été provoqué par quelqu’un puisque certains quartiers n’ont
    pas été touchés. Par exemple, l’ancien hôtel de ville, bâti par Xavier
    Villacrosse en 1843, fut miraculeusement épargné par le feu. Le bâtiment a été
    démoli plus tard, durant les travaux de canalisation de la rivière Dambovita,
    autour de l’an 1880. »


    Sur l’emplacement
    actuel de l’Université de Bucarest, un des plus importants bâtiments qui sert
    pour délimiter les 1er et le 3e arrondissements de
    Bucarest, était l’ancien monastère Saint Sava. Au 18e siècle, le
    monastère école devient Académie princière. La Banque nationale, le Palais des
    Postes – actuel Musée national d’histoire de la Roumanie, le Caravansérail de
    Manuc, mais aussi les églises Stavropoleos, Coltea et l’Eglise russe sont
    autant de monuments qui ont heureusement résisté à la période communiste.

    Ce ne
    fut pas le cas pour d’autres quartiers du 3e arrondissement de la
    capitale, extrêmement importants pour l’histoire de Bucarest, explique Emanuel
    Badescu : « Tout
    historien peut constater avec amertume l’ampleur des grandes destructions de la
    période 1981-1986. Pendant ce
    temps, cet arrondissement a souffert davantage que les cinq autres. Il s’agit
    de la destruction du plus grand faubourg de Bucarest, le faubourg de Popescu,
    qui incluait le vieux noyau délimité par l’église Saint Georges
    l’ancien et l’église Saint Vendredi, qui ont tout simplement disparu. De
    nouveaux immeubles à plusieurs étages ont été érigés jusqu’au croisement des
    avenues Calarasilor et Mihai Bravu. Nous voyons comment la partie la plus
    ancienne de l’arrondissement et de la Capitale a carrément été mutilée. Au delà
    de l’Avenue Mosilor, ce qui reste, c’est l’église fondée par le maréchal Ion
    Antonescu, où se trouve toujours le buste de celui-ci ».


    C’est dans les quartiers dortoirs du Centre
    civique, Dristor, Muncii, Titan et Timpuri Noi qu’est concentrée la plupart de
    la population du 3e arrondissement de la Capitale. L’organisation
    verticale de la ville avait été imaginée à l’époque communiste comme solution dans
    le cadre de la politique d’urbanisation de la ville. A l’heure actuelle, le
    développement immobilier provoque des inquiétudes quant au sort des monuments
    et des quartiers historiques de Bucarest.


    (trad : Alex Diaconescu)

  • La politique culturelle de la Roumanie dans la période 1965 – 1974

    La politique culturelle de la Roumanie dans la période 1965 – 1974

    Vers les années ’60, voyait le jour dans la société occidentale une contre-culture dominée par le mouvement hippie. Les créations artistiques s’affranchissent des vieilles règles et le non conformisme émerge dans tous les domaines de la culture. La Roumanie communiste de cette décennie-là délaisse peu à peu le proletcultisme. Surtout après 1965, date à laquelle Nicolae Ceauşescu prend les rênes du Parti Communiste Roumain, le régime politique favorise la récupération de certaines formes culturelles de l’entre-deux-guerres, tout en maintenant dans un cône d’ombre les créations des artistes qui s’intéressent à la nouvelle esthétique. Le réalisme socialiste imposé à la littérature après 1948 est remplacé par le soi-disant humanisme socialiste.



    L’historien Cristian Vasile explique les étapes de ce processus : « Le réalisme socialiste ou la méthode de création unique, qui représente le pendant de l’idéologie marxiste-léniniste sur le plan esthétique et politique, était étroitement lié à l’Union Soviétique et à la première période du communisme en Roumanie. Il supposait une vision internationaliste et fortement pro-soviétique. On entend de moins en moins souvent le syntagme réalisme socialiste”, surtout après 1960-1962. Les organes du parti, les hauts responsables du ministère de la Culture et de l’Art n’insistent plus tellement sur ce que les hommes de lettres et les autres catégories d’artistes respectent le socialisme réaliste et le terme tombe en désuétude. Cette tendance va s’accentuer pendant les premières années du régime Ceauşescu. Pourtant, encombré par le fardeau soviétique, Ceauşescu entend se débarrasser du réalisme socialiste et propose son remplacement par l’humanisme socialiste. Dans un premier temps, de 1965 jusqu’en 1971-1972, il laisse une certaine marge de manœuvre aux écrivains et aux artistes. Voilà pourquoi on a parlé d’une libéralisation, d’une vraie détente. »



    Les idéologues proletcultistes recommandaient une littérature accessible à tous, par l’utilisation d’un langage poétique élémentaire et la schématisation de la construction épique. Quant à la critique, elle remplissait plutôt une fonction de censure, puisqu’elle veillait à ce que les créations littéraires et artistiques respectent les exigences du dogmatisme communiste et qu’elle sanctionnait tout dérapage par rapport à « la ligne du parti ». Les excès politiques de l’époque et le style propagandiste se reflétaient dans tous les domaines de la création.



    Les années ’60 amènent un certain esprit d’ouverture dans les belles lettres roumaines. Cristian Vasile : « La thématique se diversifie, chose très importante, car avant 1953, les thèmes des romans et la documentation afférente étaient imposés. Auparavant, les créateurs étaient obligés de se rendre dans les usines, les champs ou les coopératives agricoles de production pour y puiser leurs sources d’inspiration. Or, après 1965, l’écrivain se voit offrir plus de liberté dans le choix de ses thèmes. Si au début des années ’50 on pouvait compter sur les doigt d’une main les traductions de romans américains étaient très rares, l’après 1965 change totalement la donne, de sorte que l’on assiste à une véritable explosion. En plus, après cette date, on peut trouver dans les kiosques de Bucarest de la presse littéraire et même politique occidentale. Pour comparaison, avant 1965, quiconque était pris en possession de publications occidentales risquait d’être renvoyé devant la justice et soumis à un simulacre de procès. »



    La soi-disant libéralisation n’a pas été uniforme dans tous les domaines de la culture. La philosophie servait entièrement à l’idéologie marxiste — léniniste. De même, la sociologie, interdite après 1948, a été difficilement redécouverte et réinventée au milieu des années 60. Dans l’historiographie, la direction antisoviétique adoptée par Ceausescu amenait une certaine tendance nationaliste, visible dans le domaine de la muséographie. Cristian Vasile: « La dimension nationaliste se fait remarquer toute de suite après 1960 — 1962, à l’époque de Gheorghe Gheorghiu-Dej, comme une légère réaction antisoviétique. Il faut dire que les textes de Marx sont interprétés dans un esprit anti-soviétique, car on redécouvre certains de ses écrits à fort message antirusse, contre l’Empire russe du 19e siècle et contre sa politique expansionniste. Provenant de Marx, le fondateur de l’utopie communiste, ces textes avaient de l’autorité et le régime pouvait se légitimer par son fondateur même, lui conférant aussi des nuances antisoviétiques à mesure qu’il s’éloignait du Kremlin dans sa politique étrangère. Ceauşescu adopte cette direction qu’il souhaite retrouver non seulement dans les ouvrages d’histoire, mais aussi dans les musées. Seulement voilà, la création d’un Musée national d’histoire de la Roumanie s’est avérée difficile. Même son nom a été changé à plusieurs reprises.


    Et pour cause: après 1948, à l’exception du Théâtre National, aucune appellation d’institution ne comportait le terme de « national ». Même le championnat de foot n’était plus « national », mais « républicain ». La Banque Nationale était devenue la Banque d’Etat. Dire d’un musée qu’il était « national » c’était déjà un pas suggérant un certain écart par rapport à Moscou. Ce musée n’a pas été créé, comme prévu, à l’époque de Gheorghiu–Dej. C’est pendant le régime de Ceauşescu que sont jetés ses fondements ».



    A compter de 1970, le Musée national d’histoire de Roumanie devient le Musée d’Histoire de la République Socialiste de Roumanie. C’était un retour à l’orientation soviétique des années 50, le Parti Communiste Roumain ayant eu une relation fluctuante avec Moscou. Le 6 juillet 1971, les 17 « Propositions de mesures pour améliorer l’activité politique et idéologique, d’éducation marxiste — léniniste des membres du parti, de tous les travailleurs », figurant dans le discours de Nicolae Ceauşescu marquaient le début d’une révolution en miniature contre l’autonomie culturelle, qui visait à la conformation idéologique des sciences humaines et sociales. La culture redevenait le principal instrument de la propagande communiste. (Trad.: Mariana Tudose, Valentina Beleavski)

  • Callatis, une colonie antique sur la côte roumaine de la Mer Noire

    Callatis, une colonie antique sur la côte roumaine de la Mer Noire

    Du 6e au 8e siècle avant J.-Ch., l’histoire a connu le phénomène dit de « la grande colonisation grecque ». Des colons grecs ont quitté la mère patrie pour des raisons politiques ou économiques et en parcourant la Méditerranée, ils se sont établis sur les rives les plus accessibles et hospitalières où ils ont fondé des cités florissantes, en rapports commerciaux avec leurs régions natales. C’est de cette manière qu’apparurent au bord de la mer Noire les cités de Histria et de Tomis fondées par les colons grecs de Milet, tandis qu’à leurs confrères de Héraclée du Pont ont doit la création de la ville de Callatis. Celle-ci était, à en croire les experts et les archéologues, l’épicentre culturel de la Dobroudja antique, véritable centre économique et un des principaux ports à la mer Noire.



    Fondée par les colons grecs originaires de Héraclée du Pont sur les lieux d’une ancienne cité gète consignée par les documents historiques sous le nom de Acervetis ou Cerbates, Callatis fut habitée par les Géto-Daces et les colons grecs. De nos jours, à la place de l’ancienne cité grecque se trouve la ville de Mangalia dont la population s’élève à 33.000 habitants.



    Sorin Marcel Colesniuc, chef du Musée Callatis du Complexe culturel homonyme, nous présente les principaux indices selon lesquels la cité de Callatis a connu jadis une vie florissante: « Je mentionnerais en tout premier lieu des inscriptions découvertes à Mangalia et puis des représentations des professeurs sur des monuments funéraires. A tout cela s’ajoutent les écrivains antiques de la vieille cité de Callatis, comme par exemple Istros de Callatis, Demetrios, Heraclide connu aussi sous le nom de Lembos ou encore le rhéteur Thalès. D’ailleurs, c’est bien à Mangalia que les archéologues ont découvert, en 1959, le seul papyrus antique du territoire roumain qui, en l’absence de conditions de préservation propices, fut envoyé à Moscou. Par la suite, il a été considéré perdu un demi-siècle durant avant qu’il ne fût découvert en 2011, au centre de restauration et conservation de la capitale russe, par mon collègue, le docteur Paslaru, et moi-même. Il nous a fallu deux ans de recherches avant de le découvrir et de pouvoir le rapatrier. Malheureusement, on ne saurait vous dire exactement de quoi parlait le texte vu que le parchemin s’était désintégré en contact avec l’air et le soleil. Il aurait risqué la destruction totale si on n’était pas arrivés sur place pour le sauver. A présent, on dispose de 154 fragments dont plusieurs, plus grands, conservent des lettres de l’alphabet grec ancien. On n’a aucun mot entier, mais seulement des lettres disparates. Le papyrus date du 4e siècle avant J.Ch. »



    Dans les minutes suivantes, nous allons demander à Sorin Marcel Colesniuc de nous présenter brièvement le Musée de Callatis et ses collections: « Le musée renferme de nombreuses pièces architectoniques telles colonnes, capitaux, architraves, frises composées de métopes, corniches, différents vases en terre cuite dont plusieurs amphores. S’y ajoutent une collection de lampes antiques, des statuettes en terre cuite de Tanagra, des vases en verre, quelques objets funéraires, ainsi que des inscriptions et représentations de différentes divinités, des bijoux, des pièces de monnaie et des objets en métal. Juste en face du musée, les visiteurs peuvent admirer plusieurs fragments architectoniques. Il y a également un parc archéologique, des remparts encore debout du côté nord et vers le nord-ouest de l’ancienne cité, tout comme la tombe princière découverte à 3 km de Mangalia, sur la route menant à Albesti. »



    Un repère important de la vie économique de Callatis est le port antique, actuellement englouti sous les eaux de la mer. Sorin Marcel Colesniuc : « Le port de Callatis a été construit au 4e s. avt. J.Ch. Malheureusement, le niveau de la mer Noire ayant augmenté de près de 2 mètres en deux millénaires, le port et les aménagements portuaires se trouvent à présent sous les eaux. Dans les années ’60-’70, Constantin Scarlat a fait des plongées sous-marines à Callatis pour dresser la carte du port. Il y a découvert nombre de fragments architectoniques, dont beaucoup en céramique, surtout des tuiles et des amphores. La carte, il l’a publiée en 1973, dans une revue scientifique qui paraissait à Cluj. Sur cette carte-là sont également indiquées quelques épaves. Nous avons collaboré aussi avec des spécialistes d’Italie et de Hongrie, qui, équipés de scanners, ont balayé le fond de la mer Noire à la hauteur de la ville port de Mangalia. C’est à l’aide de ces scanners que l’on a découvert les épaves de navires antiques. »



    Sous l’effet des vagues successives de migrations, la cité de Callatis commence à décliner jusqu’à être réduite à l’état de ruines, précise Sorin Marcel Colesniuc : « Vers le 2e siècle avant J. Ch., les peuples migrateurs font leur apparition dans la région. Les premières invasions sont celles des Costoboques, suivis par les Goths et les Carpes. Les Huns arrivent au 5e siècle, tandis que vers la fin du 6e et au début du 7e les Avars et les Slaves y font irruption et saccagent la cité. Faute de sources archéologiques, on ignore le sort de la cité pendant les trois siècles qui s’ensuivent. Ce n’est que plus tard, au 13e siècle, que l’ancien emplacement de la cité antique de Callatis est consigné sous le nom de Pangalia. Enfin, le toponyme de Mangalia est mentionné pour la première fois dans un document datant de 1593. »



    Le peu de vestiges de la cité antique de Callatis ne fournit pas top d’informations sur la vie de ses habitants, mais certains autres de ses secrets seront sans doute dévoilés, ce qui rajoutera encore à l’attractivité de ce site. (trad. Ioana Stancescu, Mariana Tudose)

  • Réformes monétaires dans la Roumanie de l’entre-deux-guerres

    Réformes monétaires dans la Roumanie de l’entre-deux-guerres

    Au lendemain de la Première Guerre mondiale voyait le jour la Grande Roumanie, la victoire des pays de l’Entente ayant permis aux provinces historiques de Bessarabie, de Bucovine, du Banat et de Transylvanie de rejoindre le Royaume de Roumanie. La Grande Roumanie, déjà confrontée à une situation économique et financière précaire, devait faire face à un nouveau défi, celui de mener à bien l’intégration de ces provinces.



    Le budget déséquilibré par l’émission monétaire continue, solution artificielle à laquelle la Banque nationale avait recouru, la dévaluation de la monnaie nationale, le leu, et le non-remboursement des dettes extérieures avaient perturbé le fonctionnement du système administratif dans son ensemble. Sous la direction de Vintilă Brătianu, le ministère des Finances de Bucarest allait poursuivre le plan de consolidation de l’économie, lancé par son prédécesseur, Nicolae Titulescu.



    L’historien Ioan Scurtu présente les principales étapes de la réforme fiscale mise en place en Roumanie dans les années 1920: « Nicolae Titulescu a été le premier ministre des Finances à avoir élaboré une loi, laquelle n’a pas pu être appliquée, parce que trop complexe et touffue. Cette loi introduisait le principe de la progressivité, suivant le niveau des revenus, ainsi que l’impôt sur le revenu global. Ceux qui avaient plusieurs sources de revenus devaient payer un impôt cumulé, calculé sur le montant total. En fait, Vintilă Brătianu a repris les idées de base formulées par Nicolae Titulescu. C’est sur son initiative que fut adoptée, en février 1923, une nouvelle loi, mais dont l’unique nouveauté consistait dans le nombre plus restreint de catégories de revenus ».



    La politique financière promue par Vintilă Brătianu a visé notamment la modernisation de la fiscalité et le respect du principe de l’équilibre budgétaire. Or, le projet de loi relatif aux contributions directes, élaboré sous sa houlette et voté en 1923 par le Parlement, a pu répondre aux besoins de modernisation du système fiscal de Roumanie. Il a eu un impact positif sur la valeur et sur la structure des recettes publiques.



    Le nouveau système de distribution des dépenses était un important pas en avant pour la consolidation financière du pays durant l’entre-deux-guerres, précise l’historien Ioan Scurtu: « Cette loi prévoyait aussi une protection spéciale des revenus provenant des activités industrielles. Vintilă Brătianu était adepte de la politique “comptons sur nos propres forces”, une politique censée mener à l’essor de l’économie, en général, et de l’industrie en particulier. Il soutenait que grâce à l’union accomplie après la guerre, la Roumanie avait regagné ses territoires et l’indépendance politique, mais qu’elle avait toujours à reconquérir son indépendance économique. Selon lui, l’indépendance politique était inconcevable en l’absence de cette dernière. Cette réforme envisageait d’appuyer le développement économique de la Roumanie, de l’industrie en tout premier lieu. Tout cela dans un cadre de gouvernance libérale, la plus longue de toute la période de l’entre-deux-guerres. Les libéraux ont gouverné le pays plus de quatre ans, de janvier 1922 à fin mars 1926. Pendant ce laps de temps allait être adoptée une nouvelle Constitution, qui stipulait la nationalisation des richesses du sous-sol. C’est sur cette base que fut élaborée aussi une législation propice à la mise en place du concept des libéraux comptons sur nos propres forces”, qui remettait l’économie nationale sur les rails et favorisait son développement accéléré. En 1928, dix ans après l’Union, le niveau de développement industriel du pays était presque deux fois et demie plus grand que celui enregistré avant la Grande Guerre ».



    L’importance économique particulièrement significative de la frontière danubienne et la valorisation du pétrole roumain étaient autant de défis que devait relever le ministre des Finances de l’époque. On reconnaît à Vintilă Brătianu le mérite d’avoir décelé les difficultés pour l’économie roumaine engendrées par la présence importante des entreprises à capitaux étrangers dans l’industrie pétrolière autochtone. C’est lui qui établit donc les principales coordonnées d’une politique énergétique nationale.



    Selon le principe libéral qui insistait les efforts nationaux, Vintilă Brătianu a mis un accent particulier sur l’utilisation optimale des ressources pétrolières locales, dans le contexte d’une demande accrue d’énergie, sur le plan interne et surtout international. Ioan Scurtu: « La réforme de Nicolae Titulescu a été importante parce qu’elle a donné une direction précise. Vintilă Brătianu a, lui, conféré un contenu concret à cette réforme, en ce sens qu’il a indiqué comment utiliser les deniers publics, en dehors des paies et des pensions de retraite, même si, en ces temps-là, ceux qui bénéficiaient de pensions publiques n’étaient pas nombreux. Il n’a pas misé sur le remboursement de la dette publique, mais sur les investissements, notamment par le biais des crédits accordés aux personnes qui osaient démarrer des activités industrielles afin de produire des biens que l’on n’avait pas fabriqués jusque là en Roumanie. La construction automobile en était une. Ainsi allaient voir le jour les usines Malaxa. Enfin, ont également été jetés les fondements de l’industrie aéronautique roumaine et de certaines autres grandes entreprises roumaines de la période de l’entre-deux-guerres ».



    Mettre à profit les ressources naturelles était, de l’avis du ministre des finances Vintilă Brătianu, un élément important pour la création d’une économie qui ne dépende plus aussi largement des capitaux étrangers. Les mesures de politique économique promues par le gouvernement libéral ont en outre contribué, de 1918 à 1940, à la stabilisation de facto de la monnaie roumaine. (trad.: Mariana Tudose)

  • Maintenir la neutralité

    Maintenir la neutralité

    Lorsqu’éclata la Première Guerre Mondiale, la Roumanie se trouvait au milieu d’une controverse au sujet de sa participation à cette conflagration aux côtés des Puissances centrales. Les germanophiles, avec à leur tête, le roi Carol Ier, étaient sceptiques à l’égard d’une possible alliance avec l’Entente.



    Au pôle opposé, les tenants de cette dernière, également appelés aussi ententophiles, considéraient comme inacceptable l’entrée en guerre du pays en tant qu’allié de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. Ils avançaient l’argument des intérêts de Bucarest liés à la situation des Roumains vivant dans les territoires occupés par l’Empire des Habsbourg. Dans ces conditions, la neutralité apparut comme la solution provisoire à même de retarder la prise d’une décision.



    L’autre raison de la neutralité relevait de la nécessité de doter l’armée roumaine en vue d’une éventuelle participation à la guerre. Malgré les efforts des élites politiques roumaines visant à l’alignement sur les normes occidentales, le caractère vétuste de l’économie roumaine et le manque d’armement moderne ont beaucoup pesé dans le maintien de la neutralité pendant les deux premières années de la Grande Guerre, précise l’historien Alin Ciupală : « La situation de la Roumanie était très compliquée. Il y avait déjà un trait d’alliance avec l’Allemagne et les partenaires de celle-ci, mais ce traité défensif était méconnu de l’opinion publique et de la majeure partie des hommes politiques roumains. Le chancelier de l’Empire allemand, Otto von Bismarck, avait exigé du milieu politique de Roumanie, en tout premier lieu du roi Carol Ier, de garder secret ce traité, dont seuls le souverain et une poignée de politiciens étaient au courant. L’alliance signée en 1883 avait offert des garanties de sécurité au jeune Etat roumain. Pourtant, en 1914, c’est le même document qui allait poser problème à la Roumanie, car il limitait, du moins au plan juridique international, la liberté de manœuvre de sa classe politique. »



    En 1914, les relations internationales étaient marquées par les rivalités entre les deux alliances militaires, l’Entente et les Puissances centrales. La Roumanie était préoccupée par la situation des droits nationaux et civils en Transylvanie, au Banat et en Bucovine, territoires à population roumaine majoritaire, occupés par l’Empire austro-hongrois. Voici comment le premier ministre roumain de l’époque, Ionel Bràtianu, avait synthétisé les arguments du rejet des demandes formulées par les Puissances centrales et du maintien de la neutralité du pays:



    Alin Ciupală : « Un Etat comme le nôtre, qui est entré dans cette alliance sur un pied d’égalité, en tant que pays souverain, ne peut être traité ainsi […] D’autre par, la Roumanie ne saurait accepter de prendre les armes et de participer à une guerre qui vise à l’anéantissement d’une petite nation. […] La quasi totalité de la population se déclare contre cette conflagration. […] Le sort des Roumains de Transylvanie, l’idéal national de roumanité sont autant d’aspects que pas un gouvernement du pays ne saurait ignorer. »



    L’historien Alin Ciupală relate le déroulement des travaux du Conseil de la Couronne lors duquel fut proclamée la neutralité du pays : « Les hommes politiques et Ionel Brătianu, premier ministre et chef du Parti National Libéral, étaient conscients du fait que l’armée roumaine n’était pas prête, que ses dotations ne se hissaient pas aux exigences d’une guerre moderne. Cette incapacité militaire avait déjà été constatée en 1913, lorsque l’armée roumaine avait dû combattre au sud du Danube, en Bulgarie, pendant la Deuxième Guerre Balkanique. Voilà pourquoi les discussions sur l’entrée en guerre de la Roumanie ont été très tendues. Le roi Carol Ier a convoqué, au Palais de Peleş, un Conseil de la Couronne, auquel ont participé tant les leaders du Parti National Libéral, les ministres du cabinet en place, lui aussi libéral, que d’autres hommes politiques, dont l’héritier du trône, le prince Ferdinand. Carol Ier a demandé explicitement que la Roumanie entre en guerre aux côtés de l’Allemagne et de ses alliés, invoquant, comme principal argument, le traité défensif de 1883. Pour la première fois pendant son long règne, Carol allait éprouver une vive désillusion. La plupart des politiciens présents à la réunion ont rejeté sa demande, car elle nuisait au projet national, celui de l’Union avec la Transylvanie. En plus, le pays et son armée n’étant pas préparés pour l’effort de guerre, la majorité des participants au Conseil de la Couronne ont proposé de maintenir la neutralité. Le Parti National Libéral et ses chefs y ont joué un rôle tout aussi important que d’autres hommes politiques de l’époque. Ionel Brătianu lui — même était conscient du fait que la décision relative à l’entrée en guerre concernait l’intégralité de la classe politique autochtone. A considérer strictement le rôle des libéraux, notamment des ministres issus de ce parti, on peut affirmer que le gouvernement avait entamé des préparatifs assez soutenus en vue de l’entrée en guerre. Son chef, Ionel Brătianu souhaitait, en fait, repousser aussi longtemps que possible le moment où la Roumanie allait s’engager dans la guerre. »



    Deux années durant, après la mort de Carol Ier, les puissances belligérantes allaient déployer d’intenses efforts pour attirer la Roumanie dans l’un ou l’autre des deux camps. Ni le nouveau souverain, Ferdinand Ier, ni le premier ministre, Ionel Brătianu, sympathisant de la France et de l’Angleterre, n’avaient l’intention de renoncer à la neutralité, avant que l’évolution du conflit ne devienne prévisible et ce afin d’accomplir les objectifs nationaux. Ayant reçu des garanties concernant son intégrité territoriale, la Roumanie entra en guerre, du côté des pays de l’Entente, en août 1916. Un choix qui, au lendemain de la Grande Guerre, rendait possible la création de la Grande Roumanie, suite à l’union des provinces historiques de Transylvanie, de Bessarabie et de Bucovine avec le Royaume de Roumanie. (Trad. Mariana Tudose)

  • Témoignages de survivants d’Auschwitz

    Témoignages de survivants d’Auschwitz

    Pour les Juifs européens, le camp d’Auschwitz-Birkenau a signifié leur extermination systématique à travers un programme imaginé par lidéologie nazie. Le nombre des prisonniers tuées dans cette « fabrique de la mort » est estimé à 1 million — 1 million et demi de personnes. A commencer par le printemps 1944, les autorités hongroises ont envoyé à Auschwitz 150.000 Juifs de la Transylvanie du Nord. Pour marquer les 70 ans écoulés depuis la libération du camp, le 27 janvier 1945, nous avons puisé dans les archives de la Radio roumaine quelques témoignages de survivants de cet enfer.



    Eva Berger de Cluj a été internée avec sa mère dans une dizaine de camps de travaux forcés. Elle est restée à Auschwitz 3 jours seulement, mais cela lui a suffi pour comprendre ce qui s’y passait. L’enregistrement date de 1966.



    Eva Berger: « La droite c’était la vie, la gauche c’était la mort ! J’y fus envoyée avec ma mère, mais ils ne nous ont pas attachées par les mains, bien que nous nous ressemblions. Peut-être qu’ils ne se sont pas rendu compte que nous étions mère et fille et nous ont placées du côté droit. Nous ne savions pas ce que cela signifiait. Les autres membres de notre famille ont été envoyés du côté gauche — car nous avions des tantes, des cousins avec des enfants en bas âge, des personnes qui ne pouvaient pas servir à quelque chose et quil fallait donc exterminer. Je me suis aperçue — et je l’ai même dit à ma mère — que l’on n’y entendait aucun oiseau chanter. Il y avait là une espèce de forêt. C’était en mai-juin, pourtant il n’y avait aucun oiseau. Qu’est-ce que c’était que cette forêt où les oiseaux ne chantaient pas ? Je me suis rendu compte, plus tard, que les chambres à gaz se trouvaient là et que probablement le vent y amenait du gaz et de la fumée et les animaux et les oiseaux ne pouvaient pas y vivre. Un peu plus tard, j’ai vu aussi mon père, qu’ils ont placé du côté gauche, c’est-à-dire avec ceux qui allaient être gazés. Les Allemands ne cessaient de nous répéter : « Allez-y tranquillement. Les vieux et les enfants seront séparés des autres, c’est mieux ainsi. » Nous avons franchi ce portail sur lequel il était écrit « Arbeit macht frei » – Le travail rend libre — et je me suis dit que cela devait être une bonne chose. Nous travaillions et donc, si nous travaillions, nous allions être libres. On nous a fait entrer dans une dans baraque où on nous a coupé les cheveux ; après, je n’ai plus reconnu ma mère. Elle était tout près de moi, mais je la reconnaissais uniquement au son de sa voix car, sans cheveux, elle ressemblait à un homme. Nous nous sommes tenues par la main pour ne pas être séparées lune de lautre. J’ai eu la chance de ne rester que 3 jours à Auschwitz, au bout desquels j’ai échappé à la misère, à la famine et à toute cette horreur que je ne saurais décrire. »



    En mai 1944, Mauriţiu Sabovici de Sighetu Marmaţiei a été envoyé au ghetto de Vişeu, suite à l’occupation de la Transylvanie du Nord par l’armée de la Hongrie de Horty. En 1997, il racontait son quotidien à Auschwitz. Jeune serrurier qualifié, il avait travaillé dans une fabrique à l’extérieur du camp.



    Mauriţiu Sabovici: “La journée dans le camp de concentration commençait vers 5 heures du matin quand le gong du réveil se faisait entendre. Très vite, on passait aux lavabos et on allait prendre un petit déjeuner composé de 100 grammes de pain, dun peu de margarine et du thé ou du café. A six heures, c’était le départ pour Gleiwitz, car la fabrique se trouvait au bout d’un kilomètre ou deux de marche. On avançait par groupes et on tentait de trouver une place au milieu pour éviter à encaisser les coups des gardiens. Une fois arrivés à la fabrique, les officiers SS restaient dehors pour nous empêcher de nous enfuir et c’était aux Kapos de nous rouer de coups. Ceux-ci étaient des prisonniers allemands communistes auxquels les officiers nazis faisaient confiance et qu’ils chargeaient de nous surveiller. Parmi les Kapos, il y avait aussi des Juifs polonais qui nous traitaient très mal. Peu importait qu’on était des Juifs comme eux; ils nous en voulaient pour être arrivés dans le camp en ‘44 et non pas en ‘39, comme eux. Ils nous reprochaient d’être venus trop tard, quand le front s’écroulait déjà. Ils préféraient nous rendre la vie amère au lieu de nous aider un peu. On travaillait toute la journée pour échapper à leurs coups.”



    L’électricien Otto Sharudi de Baia Mare nous racontait en 1997 des histoires similaires à celles vécues par d’autres rescapés. C’était en juin 1944 que les Juifs de Baia Mare ont été ramassés dans un ghetto avant d’être embarqués dans des trains à destination d’Auschwitz.



    Otto Sharudi: “Le train nous a déposés à Birkenau où se trouvait le camp d’extermination. Là, il y avait aussi pas mal de Tziganes et je me rappelle que même nos commandants étaient Tziganes. Nous, on était presque un millier de personnes enfermées dans des granges, obligées à sortir le plus vite possible par une porte minuscule pour l’appel du matin. On nous faisait avancer à coups de bâton. C’est dans cette grange qu’on a passé une semaine ou deux avant que les officiers SS débarquent sur place pour chercher parmi nous des maçons, des mécaniciens et des électriciens. On s’est vu attribuer un numéro, le mien était 13034, avant de nous conduire six kilomètres plus loin, dans le camp d’Auschwitz. On était 16 électriciens au total et on a été emmené dans un atelier. C’était un grand atelier avec des piliers sur lesquels on devait grimper pour tirer les câbles électriques. Quant à moi, je me souviens davoir été obligé à vérifier la clôture électrique.”



    Très peu didéologies ont réussi à mettre dans un seul mot a substance même du crime comme l’a fait le nazisme. Même de nous jours, le mot Auschwitz donne des frissons dans le dos à tout être humain rationnel. (Aut.: Steliu Lambru; Trad.: Ioana Stăncescu, Dominique)

  • Le groupe anticommuniste « La Roumanie indépendante »

    Le groupe anticommuniste « La Roumanie indépendante »

    Après l’installation brutale du communisme en Roumanie, les mouvements de résistance organisés par les partis démocratiques n’ont pas tardé. Le groupe « La Roumanie indépendante », créé par les jeunes du Parti National Paysan (PNŢ) compte parmi eux. Pendant l’été 1947, la direction du PNŢ a été arrêtée par le gouvernement communiste, suite à l’incident de Tămădău.



    Il s’agit du moment où les leaders de cette formation politique se virent offrir un avion pour quitter le pays. En fait, les communistes leur avaient tendu un piège, afin d’avoir un prétexte pour arrêter l’opposition démocratique.



    Pourtant, les choses ne se sont pas arrêtées là. L’opposition s’est rendu compte qu’une nouvelle étape approchait : celle des affrontements armés, après que les communistes soutenus par les Soviétiques eurent accaparé le pouvoir, entre 1944 et 1947.



    A l’initiative des jeunes membres du Parti National Paysan, des groupes de résistance furent créés, dont « La Roumanie indépendante », organisé en 1947.



    Nistor Bădiceanu, sénateur du Parti National Paysan Chrétien et Démocrate entre 1992 et 1996, a participé à l’organisation du groupe « La Roumanie indépendante ». Il raconte comment les choses se sont passées dans un entretien conservé par le Centre d’Histoire Orale de la Radiodiffusion roumaine.



    Nistor Bădiceanu: « Nous, jeunes membres du Parti Paysan, avons essayé de jeter les fondements d’un réseau subversif. C’est ainsi qu’est née toute une série d’organisations : Vlad Ţepeş (soit Vlad l’Empaleur), Vulturii (Les Vautours), Grupul 4 (Le groupe 4), România Independentă (La Roumanie indépendante). Nous avons estimé que nous devions nous préparer, rester en contact, nous armer et démarrer une rébellion armée au bon moment. Nous espérions que l’occasion d’une intervention se présenterait, nous pensions qu’une nouvelle guerre allait éclater… Les jeunes étaient enthousiastes — et pas seulement eux. J’étais resté le contact avec toute une série d’anciens membres, présidents et militants du parti dans la partie Nord du comté de Bihor dont je provenais, et j’ai essayé de refaire la filière. Les gens ont répondu avec joie et confiance, ils se sont engagés. J’ai mis chacun d’entre eux en garde sur les risques d’une telle action. Malgré notre enthousiasme, nous nous rendions bien compte du danger, nous savions à qui nous avions affaire et quelles méthodes ils pouvaient utiliser, sans hésitation. »



    Nistor Bădiceanu nous parle de la structure du groupe et de ses membres : « Il y avait un noyau de 32 à 35 membres. Finalement, à vrai dire, je ne sais plus combien on était au total. Plusieurs centaines, de toute façon ! L’idée s’était répandue, tous ne se connaissaient pas entre eux. Un membre sur trois recrutait trois autres membres et ainsi de suite. Si une révolte éclatait, on pouvait agir en force. Le groupe avait été organisé dans l’ouest du pays et la plupart de ses membres avaient été recrutés dans la région de la ville d’Oradea et du côté de Marghita, où je connaissais des gens auxquels je pouvais faire confiance. De nombreux souvenirs nous liaient : notre vie de lycéens passée ensemble, les bals ou les différentes activités au sein du parti. Je connaissais leur choix, leurs convictions, leur force de caractère. On ne pouvait pas recruter n’importe qui. »



    Quel rôle Bădiceanu a-t-il joué au sein du groupe « La Roumanie indépendante »? Eh bien, celui d’un initiateur, d’un révolutionnaire qui tâchait d’éveiller les autres, de leur faire prendre conscience du danger qui menaçait la Roumanie.



    Nistor Bădiceanu : « J’étais « l’instigateur », si vous voulez, l’organisateur. Parce que là, il ne s’agissait pas de direction démocratique, de tenir des conférences ou des congrès, d’élire démocratiquement un dirigeant. C’était un groupe paramilitaire et il fonctionnait comme tel. Nous nous apprêtions à lutter contre le pouvoir ; ce que nous faisions était vraiment ce que les communistes qualifiaient de « crime ourdi contre l’ordre social » – prévu dans le Code pénal et puni comme tel ; son but était en effet de changer l’ordre social par la force. Nous avions des armes — pendant la guerre c’était permis. Nous avions même une charrette à grenades, ensuite des pistolets et des mitraillettes. Ce n’était pas un problème pour nous. Les Allemands s’étant retirés en désordre, des soldats étaient morts, l’arme à côté. Ceux qui l’ont trouvée l’ont prise et cachée. Je parcourais les villages, je rassemblais les gens dignes de confiance et je leur disais ce qu’ils devaient faire, où parler aux autres, à quoi faire attention. Le cercle se resserrait : on avait introduit les quotas, on prélevait le blé des champs, la politique devenait de plus en plus répressive et les conditions pour notre activité de plus en plus propices. »



    Bădiceanu avait voulu organiser un groupe de partisans qui devait se retrancher dans les montagnes et mener une lutte armée. Des militaires de l’armée royale, d’anciens membres de la Légion de l’Archange Michel et des paysans dépossédés de leurs terres ont rejoint les membres du PNŢ pour participer à ce mouvement de résistance anticommuniste. 8 mois plus tard, le groupe « La Roumanie indépendante » a été découvert et son noyau arrêté, une personne nouvellement recrutée n’ayant pas gardé le secret.



    Ce groupe a prouvé que devant cette hydre du mal, certains ne se sont pas laissé intimider. (Trad.: Dominique)


    Après l’installation brutale du communisme en Roumanie, les mouvements de résistance organisés par les partis démocratiques n’ont pas tardé. Le groupe « La Roumanie indépendante », créé par les jeunes du Parti National Paysan (PNŢ) compte parmi eux. Pendant l’été 1947, la direction du PNŢ a été arrêtée par le gouvernement communiste, suite à l’incident de Tămădău.



    Il s’agit du moment où les leaders de cette formation politique se virent offrir un avion pour quitter le pays. En fait, les communistes leur avaient tendu un piège, afin d’avoir un prétexte pour arrêter l’opposition démocratique.



    Pourtant, les choses ne se sont pas arrêtées là. L’opposition s’est rendu compte qu’une nouvelle étape approchait : celle des affrontements armés, après que les communistes soutenus par les Soviétiques eurent accaparé le pouvoir, entre 1944 et 1947.



    A l’initiative des jeunes membres du Parti National Paysan, des groupes de résistance furent créés, dont « La Roumanie indépendante », organisé en 1947.



    Nistor Bădiceanu, sénateur du Parti National Paysan Chrétien et Démocrate entre 1992 et 1996, a participé à l’organisation du groupe « La Roumanie indépendante ». Il raconte comment les choses se sont passées dans un entretien conservé par le Centre d’Histoire Orale de la Radiodiffusion roumaine.



    Nistor Bădiceanu: « Nous, jeunes membres du Parti Paysan, avons essayé de jeter les fondements d’un réseau subversif. C’est ainsi qu’est née toute une série d’organisations : Vlad Ţepeş (soit Vlad l’Empaleur), Vulturii (Les Vautours), Grupul 4 (Le groupe 4), România Independentă (La Roumanie indépendante). Nous avons estimé que nous devions nous préparer, rester en contact, nous armer et démarrer une rébellion armée au bon moment. Nous espérions que l’occasion d’une intervention se présenterait, nous pensions qu’une nouvelle guerre allait éclater… Les jeunes étaient enthousiastes — et pas seulement eux. J’étais resté le contact avec toute une série d’anciens membres, présidents et militants du parti dans la partie Nord du comté de Bihor dont je provenais, et j’ai essayé de refaire la filière. Les gens ont répondu avec joie et confiance, ils se sont engagés. J’ai mis chacun d’entre eux en garde sur les risques d’une telle action. Malgré notre enthousiasme, nous nous rendions bien compte du danger, nous savions à qui nous avions affaire et quelles méthodes ils pouvaient utiliser, sans hésitation. »



    Nistor Bădiceanu nous parle de la structure du groupe et de ses membres : « Il y avait un noyau de 32 à 35 membres. Finalement, à vrai dire, je ne sais plus combien on était au total. Plusieurs centaines, de toute façon ! L’idée s’était répandue, tous ne se connaissaient pas entre eux. Un membre sur trois recrutait trois autres membres et ainsi de suite. Si une révolte éclatait, on pouvait agir en force. Le groupe avait été organisé dans l’ouest du pays et la plupart de ses membres avaient été recrutés dans la région de la ville d’Oradea et du côté de Marghita, où je connaissais des gens auxquels je pouvais faire confiance. De nombreux souvenirs nous liaient : notre vie de lycéens passée ensemble, les bals ou les différentes activités au sein du parti. Je connaissais leur choix, leurs convictions, leur force de caractère. On ne pouvait pas recruter n’importe qui. »



    Quel rôle Bădiceanu a-t-il joué au sein du groupe « La Roumanie indépendante »? Eh bien, celui d’un initiateur, d’un révolutionnaire qui tâchait d’éveiller les autres, de leur faire prendre conscience du danger qui menaçait la Roumanie.



    Nistor Bădiceanu : « J’étais « l’instigateur », si vous voulez, l’organisateur. Parce que là, il ne s’agissait pas de direction démocratique, de tenir des conférences ou des congrès, d’élire démocratiquement un dirigeant. C’était un groupe paramilitaire et il fonctionnait comme tel. Nous nous apprêtions à lutter contre le pouvoir ; ce que nous faisions était vraiment ce que les communistes qualifiaient de « crime ourdi contre l’ordre social » – prévu dans le Code pénal et puni comme tel ; son but était en effet de changer l’ordre social par la force. Nous avions des armes — pendant la guerre c’était permis. Nous avions même une charrette à grenades, ensuite des pistolets et des mitraillettes. Ce n’était pas un problème pour nous. Les Allemands s’étant retirés en désordre, des soldats étaient morts, l’arme à côté. Ceux qui l’ont trouvée l’ont prise et cachée. Je parcourais les villages, je rassemblais les gens dignes de confiance et je leur disais ce qu’ils devaient faire, où parler aux autres, à quoi faire attention. Le cercle se resserrait : on avait introduit les quotas, on prélevait le blé des champs, la politique devenait de plus en plus répressive et les conditions pour notre activité de plus en plus propices. »



    Bădiceanu avait voulu organiser un groupe de partisans qui devait se retrancher dans les montagnes et mener une lutte armée. Des militaires de l’armée royale, d’anciens membres de la Légion de l’Archange Michel et des paysans dépossédés de leurs terres ont rejoint les membres du PNŢ pour participer à ce mouvement de résistance anticommuniste. 8 mois plus tard, le groupe « La Roumanie indépendante » a été découvert et son noyau arrêté, une personne nouvellement recrutée n’ayant pas gardé le secret.



    Ce groupe a prouvé que devant cette hydre du mal, certains ne se sont pas laissé intimider. (Trad.: Dominique)

  • Les victimes de la révolution anticommuniste de Timişoara

    Les victimes de la révolution anticommuniste de Timişoara

    La Révolution de décembre ’89 demeure un des plus tragiques événements de l’histoire récente de la Roumanie et les sacrifices humains qui ont rendu possible la chute de la dictature communiste ont laissé des traces profondes dans la conscience collective.



    Le 16 décembre 1989, à Timişoara, la protestation pacifique contre la violation de la liberté religieuse se transforma le lendemain en une manifestation contre la violation flagrante des libertés fondamentale et des droits de l’homme. Les 17 et 18 décembre, l’appareil de répression constitué des forces de l’armée et du ministère de l’intérieur, y compris de la Securitate, ouvrait le feu contre le manifestants.



    Alexandra Enache, directrice de l’Institut médico-légal de Timişoara, se rappelle les jours où il a fallu autopsier les victimes. Une première analyse visait la nature des blessures: «L’orifice d’entrée et de sortie de la balle nous permet de déterminer la direction du tir. Dans la plupart des cas, ces orifices se trouvaient à la même hauteur, pourtant les balles sont arrivées de plusieurs directions. Les lésions d’entrée et de sortie des balles se trouvaient aussi bien sur la partie antérieure du corps que sur la partie postérieure. On a donc tiré de face et de dos. Le tir de bas en haut a été moins fréquent, pourtant, parfois, les projectiles ont ricoché. Une synthèse sur la direction du tir se retrouve dans les documents du Parquet militaire. Dans la plupart des cas, les personnes tuées s’étaient tenues debout, car leur blessures se trouvaient notamment au niveau de la tête. Une partie des victimes étaient en mouvement quand les balles les ont touchées. Nous n’avons pas trouvé de lésions provoquées par des objets contondants, la totalité des blessures étaient des plaies par armes à feu. D’ailleurs on ne peut pas se défendre d’un fusil en jetant des pierres, par exemple, et les tireurs se trouvaient à une certaine distance des victimes. Même si elles avaient voulu se défendre, elles n’auraient pas réussi. Il n’y a pas eu de personnes mortes poignardées. Par contre, je me souviens d’un décès survenu dans la rue et classé « accident de la route », mais qui avait été, en fait, le résultat d’une altercation entre des personnes armées et des manifestants. Les blessés qui ont survécu un certain temps n’ont pas été abandonnés, ils ont été transportés par les manifestants à la clinique ou à l’hôpital les plus proches. Nous avons examiné à l’époque des corps d’enfants tués tous par balles. Ils avaient entre 2 ans et demi et 16 ans. Toutes les victimes avaient la nationalité roumaine ».



    Alexandra Enache s’est rapportée aux procédures d’identification des cadavres et à l’atmosphère tendue qui régnait dans d’institution qu’elle dirigeait : « Parmi les victimes du 17 décembre examinées le lendemain, 6 cadavres sont restés non-identifiés. Durant les premiers jours, il y a eu beaucoup de victimes non-identifiées. Pourtant, à partir des examens et des notes que nous avons prises, les familles ont réussi à identifier les victimes en décembre 1989, en janvier 1990 et même après. Elles ont pu les reconnaître grâce aux rapports médico-légaux : signes particuliers, vêtements des victimes etc. Les familles ont également parlé aux médecins légistes et ont pu ainsi identifier leurs proches. Dans un premier temps, les cartes d’identité et les objets personnels ont été gardés au département judiciaire, dont les employés ont également photographié les corps. A ce que je sache, les papiers d’identité n’existent plus, ils ont été brûlés en même temps que les pellicules photos et d’autres documents rédigés par les employés de la milice judiciaire. Les rapports que nous avons rédigés sont les seuls documents conservés. Le 18 décembre, nous avons travaillé jusque tard, le soir, pour rédiger ces documents pour tous les cadavres examinés. A l’époque j’étais médecin interne. La pression exercée sur nous pendant cette période a été très forte et impersonnelle, si je puis dire. On nous a permis de quitter l’Hôpital départemental de Timişoara, où se trouvait la morgue, empruntant un trajet bien défini. Après avoir terminé l’examen des corps, nous devions retourner dans notre bureau, qui se trouvait dans un autre bâtiment. Un cordon de policiers nous a interdit de quitter l’hôpital par l’entrée principale, nous avons dû utiliser une sortie de secours. »



    En janvier 1990, on a procédé à l’archivage des documents délivrés entre le 16 et le 18 décembre 1989 par l’Institut de médecine légale de Timişoara, y compris ceux de l’autopsie des cadavres disparus de la morgue de l’hôpital. Des personnes décédées avaient été transportées en secret à Bucarest pour y être incinérées — dernière tentative de l’appareil répressif communiste de cacher les preuves du massacre de civils non armés. Un quart de siècle plus tard, les interrogations liées au fil des événements qui ont secoué Timişoara pendant ces journées de décembre ’89 n’ont toujours pas trouvé de réponse. (Trad.: Dominique)

  • Lettres de la Grande Guerre

    Lettres de la Grande Guerre

    La première guerre mondiale, appelée aussi “la Grande guerre”, a été la conflagration qui profondément a changé le monde. Ce fut le plus grand déploiement de forces humaines et matérielles qui a provoqué des dégâts tels que lhumanité, lEurope en tout cas, sen ressent encore aujourdhui. Sur les champs de bataille, les adversaires ont vécu les mêmes traumatismes, ce qui a rendu dautant plus émouvants les moments de communion humaine. La correspondance est une source dinformations particulièrement importante, qui raconte le vécu personnel des combattants. Le Musée militaire national de Bucarest détient une collection denviron 120 lettres et cartes postales ayant appartenu aux militaires roumains engagés dans la Grande guerre.



    Lhistorienne et conservatrice Carla Duţă nous guide à travers le ressenti, la souffrance et lespoir de ceux qui, il y a cent ans, ont sacrifié leur vie pour préserver les valeurs auxquelles ils croyaient.



    Nous avons demandé à Carla Duţă à qui étaient adressées les lettres des militaires. « Les militaires roumains partis combattre écrivaient le plus souvent à leurs familles, aux épouses, aux mères, aux enfants. Voilà, par exemple, lalbum de lettres envoyées à son épouse Elena par le colonel Alexandru Stoenescu, du 10e Régiment dinfanterie. Cest un paquet de 12 cartes postales militaires, qui commencent toutes avec “Ma chère Lunca” et finissent par la formule “je vous embrasse tous, avec tout mon amour, Alexandru”. Les 12 lettres datent de 1916, lorsque le colonel Stoenescu avait participé aux combats du sud de la Dobroudja où il a été légèrement blessé. Je vais vous en lire un extrait: “Ma chère Lunca. Je suis en bonne santé, grâce à Dieu, le régiment sest distingué dans le combat que nous avons mené le 6 septembre 1916, et a été cité à lordre de larmée. Jai éprouvé une grande satisfaction, je vous ai écrit dans une autre carte postale quune balle a traversé mon oreille gauche. Ma blessure est maintenant complètement guérie. Je suis content que les enfants soient sages et suivent mes conseils. Comment faites-vous avec les zeppelins? Ici, nous sommes tout le temps sous les coups de lartillerie. Je vous embrasse tous, Alexandru ».



    Carla Duţă a énuméré les valeurs que défendaient ceux qui vivaient les pires privations sur le front : «Les sentiments, les pensées, les aspirations des militaires roumains partis sur le front étaient dabnégation pour lidéal (national) roumain mais aussi dinquiétude et de préoccupation pour les familles, dépourvues de soutien et vivant souvent dans la précarité; cest ce qui ressort de la correspondance envoyée par les familles. Voici quelques lignes de la lettre dun certain Pascal Rădulescu, participant à la bataille de Flămânda de 1916. “Je noublierai jamais cette image, lorsque à moitié dans leau, la mitraillette brisée par une balle, portant dans mes bras un sergent aimé et dévoué dont une balle avait transpercé la cervelle, jai donné au clairon lordre de sonner la charge. Pour partir ensuite à lattaque les mains vides.” Ces lettres nous transmettent aussi les sentiments de fierté, doptimisme et de foi en Dieu que les Roumains ressentaient en ces moments. Voici une autre citation: “Les Allemands et les Bulgares, morts de peur de la baïonnette, sefforçaient de courir. Mais malheur à celui rattrapé par la crosse du fusil du Roumain! »



    Lhistorienne Carla Duţă a reconstitué des scènes de guerre récupérées dans cette correspondance : « Nous avons des descriptions très intéressantes dans certaines lettres, les cartes postales ne permettant pas des textes dune telle longueur. Pourtant, de telles scènes de guerre, succinctes, apparaissent dans les cartes postales du colonel Alexandru Stoenescu, précitées; et jen cite. “Le 6 septembre 1916, le régiment est engagé dans la bataille. Un combat acharné, comme on nen avait pas connu. Le régiment a perdu la moitié de ses effectifs. Dieu ma protégé. 20 officiers sont blessés, le champ est couvert de cadavres de Bulgares, nos charges soutenues les ont découragés et ils se retirent. Nous avons occupé leurs positions, où il y a plein de cadavres bulgares.” Ensuite, les scènes de guerre sont plus détaillées, les images suggérées sont plus complètes et dautant plus impressionnantes. Voici ce que raconte un militaire qui se trouvait dans les tranchées de Moldavie, en 1917. “Les Allemands vont mal, il y en a tout le temps qui passent à nous. Ils disent quils nont rien à manger. A peine sortent-ils la tête des tranchées que nos fantassins leur tirent dessus. Les boulets, trois je dirais, viennent tout juste de passer. Cest la guerre ».



    Quel regard portaient les Roumains sur la présence sur le front? Carla Duţă lit un extrait de la lettre, envoyée depuis Galaţi en 1917, par un père à son fils, le soldat volontaire Vasile Florescu : « Mon cher garçon, cest aujourdhui que monsieur Niculescu ma apporté ta lettre. Vas-y, mon cher fils, en croyant dur comme fer que tu seras vainqueur. Noublie pas qui étaient tes ancêtres et honore le nom de Roumain. Cest ton devoir que de lutter pour que nous puissions revoir nos terres, qui saignent sous loccupation des ennemis. Ne te soucie pas de ta vie, qui nappartient plus quau Roi et à ton pays. Que lidée dêtre les créateurs de la Grande Roumanie élève ton âme et chasse le dernier doute. Car mourir pour la patrie cest mourir en héros. Chasse donc de ton esprit toute pensée autre que celle de la cause sacrée de la victoire. Montre-nous un comportement à la hauteur de ton écriture et mon cœur de père te bénira. Ta mère et tes frères souhaitent te voir rentrer victorieux et noublient jamais de prier Dieu pour toi et pour le salut de notre cher pays. Salue tes camarades darmes pour moi et que Dieu vous protège! Vasilică, mon fils, noublie pas quil ny a pas eu de lâche dans ta famille et que lhonneur a toujours été sa devise ».



    Les grandes victoires demandent de leffort et du sang versé. Cest ce que prouve parfaitement aussi la correspondance des militaires roumains ayant lutté dans la première guerre mondiale. (Trad. Ileana Taroi)

  • L’année 1989 en Bessarabie

    L’année 1989 en Bessarabie

    Comme tous les autres Roumains, ceux de Bessarabie célèbrent le quart de siècle écoulé depuis la chute du communisme et la fin de la politique de russification, qui a entraîné une violation des droits nationaux les plus élémentaires. Bref retour sur l’année 1989 en Bessarabie, soit en République soviétique moldave, avec l’historien Sergiu Musteaţă, professeur à l’Université d’Etat de Chişinău. « Entre 1985 et 1989, les choses ont commencé à changer en République socialiste soviétique moldave aussi. Ce qui est intéressant, c’est que les premières revendications formulées à Chişinău n’étaient pas d’ordre économique et social, mais elles visaient la langue autorisée et l’alphabet imposé — celui cyrillique. Et évidemment, « liberté » était le mot le plus important, qui se retrouvait sur toutes les lèvres. En regardant attentivement des photos remontant à cette époque, on constate que les gens portaient des pancartes sur lesquelles était écrit le mot « liberté ». C’est ce qui les intéressait le plus. Les gens voulaient discuter, ils voulaient entendre dire la vérité. Et ce qui était le plus humiliant pour eux, c’est qu’ils ne pouvaient pas parler ouvertement ni écrire dans leur langue maternelle : le roumain. C’est pourquoi les premières revendications de Chişinău furent liées à la langue et à l’alphabet et le mouvement militant pour ce droit d’utiliser leur langue maternelle et l’alphabet latin ont marqué toute l’année ’89. Dès janvier 1989, suite à des débats entamés en 1988 au sein de l’Union des écrivains, les gens ont commencé à unir leurs forces en faveur de la langue roumaine même si le Comité central du Parti Communiste de l’Union Soviétique posait des entraves, tâchant de critiquer et d’interdire certains rassemblements publics, qualifiés de provocations. Pourtant, les gens continuaient à se rassembler, de plus en plus nombreux, de sorte qu’à l’été 1989, ils étaient déjà plusieurs dizaines de milliers. »



    Comme toutes les autres capitales des républiques de l’URSS, Chişinău était en ébullition sous l’impact de la perestroïka et de la glasnost promues par le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev. Les revendications des nations opprimées de l’URSS étaient les mêmes. Selon Sergiu Musteaţă, c’est la Grande assemblée nationale tenue à Chişinău le 27 août 1989 qui a vraiment déclenché les changements en Bessarabie, soit en République soviétique moldave.« Le 31 août 1989 était approuvée la loi sur l’utilisation de la langue roumaine et le retour à l’alphabet latin. Au cours de cette année-là, les écrivains avaient demandé l’annulation de la décision du pouvoir soviétique d’introduire l’alphabet cyrillique. Ils ont contesté les règlements qui empêchaient une bonne connaissance de la langue roumaine ou la corrompait. C’est ainsi que les élections pour le Soviet suprême de l’URSS ont amené au premier plan une nouvelle élite, des hommes de culture, notamment des écrivains, qui ont formé une équipe participant, au nom de la Moldova, aux réunions du Soviet Suprême de Moscou. En 1989, ils ont eu l’immense courage de dire que le pacte conclu entre Hitler et Staline était un pacte contre l’humanité. Ils ont demandé au parlement soviétique la création d’une commission chargée d’examiner l’impact de cet acte politique. Pour la première fois, le quotidien « Littérature et Art » publiait à Chişinău l’accord additionnel secret que Moscou souhaitait maintenir comme tel. Pendant longtemps, on a même cru que c’était un mythe. C’est à ce moment-là que fut publié pour la première fois ce pacte de partage du monde. »



    La liberté triomphait à Chişinău, comme elle allait triompher à Vilnius, Riga, Tallinn, Kiev et dans d’autres républiques ex-soviétiques. Sergiu Musteaţă.« Ce qui est arrivé à Chişinău a stimulé le mouvement général de libération nationale. En 1987, on parlait encore de ces choses-là avec crainte, en 1988 commençait la publication du pacte germano-soviétique pour qu’en 1989, la liberté d’expression et les réunions s’affirment vigoureusement. Pour la première fois en 1989, les gens ont commencé à porter le drapeau tricolore — soit le drapeau roumain — aux manifestations publiques et à affirmer que le tricolore était leur vrai drapeau. Et c’est toujours en 1989, vers la fin de l’année, que fut lancée, pour la première fois, l’idée d’une union de la Bessarabie avec la Roumanie, alors que le pacte conclu entre Hitler et Staline en 1939 était condamné. Les revendications culturelles et historiques ouvrirent le chemin aux revendications sociales et économiques : indépendance économique et gestion autonome, qui ont amené le pays à la déclaration de souveraineté de la république et, en 1991, à la déclaration d’indépendance. »



    On peut dire qu’en 1989, les Roumains de Bessarabie se sont retrouvés eux-mêmes. Sergiu Musteaţă se rappelle : « En 1989, j’étais étudiant en première année à la faculté d’histoire et je me rappelle avoir participé à beaucoup de manifestations. Le 7 novembre, jour où l’on organisait, chaque année, un défilé militaire pour fêter la révolution bolchevique, pour la première fois, à Chişinău les gens ont eu le courage de se mettre devant les chars pour les arrêter. A partir de ce jour-là, les chars ne défilèrent plus sur la grande place de la ville. Les gens distribuaient des fleurs et bien que les soldats aient été d’ethnies différentes, ils n’ont pas riposté. Ils se sont arrêtés, ont embrassé les passants et reçu les fleurs qu’ils leur offraient. Pour la première fois, la direction du Parti communiste a quitté la tribune. C’était le signe que la société était en train de changer, qu’elle souhaitait d’autres dirigeants, qu’elle voulait autre chose. Ce fut le signe que le régime totalitaire, qui faisait vivre des millions de personnes dans la peur, avait fait faillite. »



    En Bessarabie, le passage à la démocratie a été plus calme qu’en Roumanie. Pourtant, son passé, beaucoup plus traumatisant, lui a offert cette compensation longuement attendue : la liberté. (trad. Dominique)

  • Tragédies de la Révolution roumaine: le cas Otopeni

    Tragédies de la Révolution roumaine: le cas Otopeni

    Le renversement sanglant de la dictature communiste a été lévénement le plus important de la seconde moitié du 20e siècle. Un tel déchaînement de forces et dénergies a été totalement inédit et a surpris la quasi-totalité des Roumains. Cétait un événement unique pour une vie humaine et la plupart dentre eux avaient souhaité ne pas rester à lécart du renouveau de leur pays.



    Toutefois, les événements tragiques ont émaillé cette quête de liberté. Parmi eux, ce que lhistoire a appelé « le massacre dOtopeni », intervenu le 23 décembre 1989, dans les environs de laéroport international de la capitale, Bucarest. Suite à un terrible malentendu, les troupes en charge de la défense du site ont ouvert le feu sur un convoi de trois camions transportant des soldats devant les rejoindre, ironie du sort, en renfort. Une cinquantaine de militaires ont alors été tués, étant pris pour des « terroristes » et payant de leur vie le manque de formation des forces se trouvant sur place, la communication déficitaire, les ordres contradictoires, lexcès dadrénaline des gens et la force destructrice des rumeurs.



    Pour RRI, lhistorien Şerban Pavelescu fait la reconstitution de cette journée noire: « Lincident du 23 décembre 1989 devrait être un cas école pour la formation des militaires. Lenquête et le procès qui l’a suivi et qui ont duré une vingtaine dannées ont révélé que ce fut le résultat dun concours de circonstances. Concrètement, plusieurs sous-unités étaient présentes sur les lieux, appartenant au ministère de la Défense, mais aussi à la Police aux frontières, à la Direction de laviation militaire et aux gardes patriotiques. Il convient de préciser dès le début que certains parmi ces militaires manquaient complètement de formation, dautres étaient en train dêtre formés. Notons que les forces les plus expérimentées étaient déjà désarmées, car jugées suspectes. Il sagit de lUnité spéciale de lutte antiterroriste (USLA) et de la sous-unité du ministère de lIntérieur, les deux chargées de la protection régulière de laéroport ».



    Serban Pavelescu décrit également la composition du dispositif militaire ainsi que les prémisses de la tragédie qui allait se produire: « Il y avait des rangées de tireurs disposées à la fois au premier niveau de laérogare quau rez-de-chaussée dun autre bâtiment situé sur la voie daccès principale du bâtiment. Les militaires étaient dotés darmement léger et lourd dinfanterie, dont un transporteur blindé amphibie et des mitrailleuses lourdes de calibre 14,5 mm. Les gens étaient là depuis 48h déjà, ils étaient très fatigués, alors quils avaient été déjà mis en alerte par plusieurs incidents, dont on ne saurait dire, même à ce jour, sils ont été réels ou fictifs. Les militaires étaient surexcités et, comme lenquête ultérieure nous la révélé, ils étaient mal dirigés. La communication entre les différentes composantes du dispositif était mauvaise ».



    Le matin du 23 décembre des renforts se mettent en marche vers laéroport de Bucarest. Il sagissait du détachement dit « Câmpina », du nom de lécole de sous-officiers du ministère de lIntérieur, basée à dans cette ville du département de Prahova, située à une centaine de kilomètres de la capitale. Serban Pavelescu: « Cest Grigore Ghiţă, commandant des troupes de la Securitate, cest-à-dire du ministère de lIntérieur, qui avait donné lordre au détachement de Câmpina de se déplacer à laéroport. Les militaires qui sy trouvaient déjà avaient été pourtant alertés par des coups de fil anonymes, par des informations diffusées tant par la télévision publique que par les moyens internes de communication quils allaient être attaqués. Le dispositif attendait donc ces renforts, mais à un autre endroit. Au lieu demprunter la route qui menait au terminal fret de laéroport, parallèle à la voie principale daccès à laérogare, les camions du détachement Câmpina sont allés tout droit, de manière perpendiculaire, vers le dispositif de défense ».



    Suite à ce contretemps, la tragédie se produit et les conséquences sont fatales, explique lhistorien Şerban Pavelescu: « Il était 7h du matin et il faisait encore noir dehors. Les gens étaient très fatigués, après plusieurs alertes durant la nuit. Le commandant du dispositif, le capitaine Zorilă, fait un excès de zèle et ordonne douvrir le feu sur les camions. Sauf que les militaires se trouvant dans le bâtiment annexe de laérogare, dans le premier alignement donc, ont cru quils avaient été attaqués et ont à leur tour tiré devant. La canonnade ne sarrête que difficilement. Les militaires survivants du détachement de Câmpina crient quils se rendent et quils ne sont pas armés, en descendant des camions les mains en lair. Et là, on entend un coup de feu, mais personne ne saurait dire sil a été réel ou imaginaire. En tout cas, il est très réel pour les gens du dispositif et, par un effet boule de neige, une deuxième phase du massacre se déclenche. Les militaires de Câmpina sont la cible de tirs nourris, encore plus intenses que la première fois, qui durent une dizaine de minutes. Et ce nest pas tout, au moment où les militaires survivants et blessés sont prélevés, un bus emmenant les employés de laéroport se dirige vers le site. Il est pilonné et sept civils perdent la vie ».



    Les militaires du détachement de Câmpina ont payé de leur vie une partie du prix pour la liberté des Roumains, en décembre 1989. Il est nest pas moins vrai que cet enchaînement de faits et de bavures est désormais un cas école et il est à lorigine de toute une réflexion sur les carences de communication et de formation des militaires en cas de situation de crise.(trad. Andrei Popov)

  • Le régime de Ceauşescu et la révolution sanglante de 1989

    Le régime de Ceauşescu et la révolution sanglante de 1989

    A la différence des autres pays d’Europe de l’Est où l’on assisté, en 1989, à la chute des régimes communistes, en Roumanie la révolution qui l’a entraînée a causé une effusion de sang. C’est que le régime de Nicolae Ceauşescu était le plus susceptible d’utiliser la violence contre son propre peuple si la situation l’exigeait. La répression brutale des manifestations des ouvriers de Braşov en novembre 1987 en fut un premier indice. Malheureusement, les soupçons furent confirmés en décembre 1989.



    Nous avons demandé à l’historien Ioan Scurtu, ancien directeur de l’Institut de la révolution roumaine, si l’effusion de sang aurait pu être évitée en décembre 89, vu les caractéristiques du régime de Ceauşescu : « Théoriquement, elle pouvait être évitée. Si l’on pense à ce qui distinguait Ceauşescu des autres leaders des Etats socialistes d’Europe, on constate qu’il a été pratiquement le seul à ne pas avoir accepté les idées de Gorbatchev concernant la glasnost et la perestroïka, estimant que par de telles formules celui-ci minait le socialisme et contribuait, en fait, à sa chute. Par conséquent, après 1987, Ceauşescu était devenu un des dirigeants les plus rigides d’Europe Orientale et du Sud-Est, s’accrochant à l’idéologie de Marx, Engels et Lénine, et n’acceptant pas qu’entre temps les sociétés avaient évolué, rendant nécessaires d’autres formes d’édification — comme il disait — du socialisme et du communisme. »



    L’historien Ioan Scurtu considère l’obsession de l’indépendance totale de la Roumanie comme une autre caractéristique du régime de Ceauşescu : « S’y ajoute un deuxième aspect : Ceauşescu a été le seul à se proposer que la Roumanie rembourse toutes ses dettes extérieures, en prétendant que le pays gagnait ainsi véritablement son indépendance — non seulement économique, mais aussi politique. Ce qui s’est matérialisé par des exportations massives de marchandises, depuis les produits industriels jusqu’aux produits alimentaires. Il a provoqué ainsi une grave crise alimentaire, il a introduit les rations, depuis longtemps éliminées de la société roumaine ».



    Prisonnier des clichés marxistes, selon lesquelles il fallait forcer l’économie, Nicolae Ceauşescu, a imposé une politique désastreuse, qui a touché de plein fouet la population : «Troisième élément: puisqu’il a souhaité développer beaucoup la pétrochimie, industrie intensément énergophage, Ceauşescu a décidé d’économiser de l’énergie sur le compte de la population — d’où manque de chaleur dans les logements, interruptions de l’électricité etc. Les gens devaient faire face à des situations extrêmement graves, ce qui a augmenté le mécontentement général, surtout après avril 1989, lorsqu’on a annoncé que la Roumanie avait entièrement remboursé sa dette extérieure. Car, cette fois-ci, Ceauşescu souhaitait devenir bailleur de fonds et gagner de l’argent en recueillant des taux d’intérêt. Parmi tous les peuples vivant à l’époque sous le communisme, les Roumains avaient la situation la plus précaire et leur mécontentement a atteint un niveau intolérable. Aussi, en décembre ’89, des millions de personnes sont-elles sorties dans la rue, demandant le départ de Nicolae Ceauşescu. »



    Pourquoi n’y a-t-il pas eu, au sein du PCR, de personnage réformateur, capable de demander l’évincement de Ceausescu et d’assurer un changement pacifique de régime? Voici la réponse de l’historien Ioan Scurtu: «Ceausescu a été très habile. Dans un laps de temps relativement court, de 6 à 7 ans, il a réussi à écarter tous ses rivaux potentiels à la direction du parti et du pays . En revanche, il a promu des personnes qui manquaient de probité, mais qui lui étaient dévouées. J’ai lu dans les mémoires de Dumitru Popescu, membre du Comité Politique Exécutif du Comité Central du Parti Communiste Roumain, que, lors des réunions du parti, Nicolae Ceausescu était le seul à parler, alors que tous les autres l’écoutaient. A mon avis, si Ceauşescu était arrivé à accaparer la parole au point que les autres se voyaient réduits à l’écouter et à prendre des notes, c’était aussi à cause de ceux qui avaient accepté cette situation humiliante. Le moment le plus choquant a été celui où Ceauşescu, irrité par le fait que l’on n’avait pas pris de mesures draconiennes contre les protestataires de Timişoara, aurait déclaré: Je ne peux plus travailler avec ce Comité Politique Exécutif. Allez chercher un autre secrétaire général!”. Et l’assistance de crier d’une seule voix: « s’il vous plaît, ne nous quittez pas! Nous vous sommes fidèles et nous resterons près de vous, sous votre direction ». Autant dire que, même à la vint-cinquième heure, personne n’a eu le courage de dire: « Nous prenons acte de votre démission. On va constituer un collectif de direction et porter à la connaissance du peuple révolté la démission de Nicolae Ceauşescu ». Peut-être que les choses auraient pris une tout autre tournure et que l’on aurait pu éviter le bain de sang. Bref, l’opportunisme de ces gens a eu un rôle très important dans le déroulement des événements dramatiques ultérieurs ».



    Le régime tyrannique, cupide et prétendument omniscient de Nicolae Ceauşescu a été renversé. Malheureusement, 1204 Roumains en ont payé le prix le plus fort, celui de leur vie. (Trad. : Dominique, Valentina Beleavski, Mariana Tudose)

  • Carol Ier de Hohenzollern-Sigmaringen – roi de Roumanie et… de Bulgarie

    Carol Ier de Hohenzollern-Sigmaringen – roi de Roumanie et… de Bulgarie

    Vers la moitié du 19e siècle, l’Europe bouillonnait. Les Etats balkaniques tâchaient de se débarrasser de l’influence ottomane et d’adopter le modèle occidental de la modernisation économique, politique et sociale. Les réactions anti-ottomanes étaient doublées de rivalités locales, alimentées par un certain nationalisme, chaque pays tentant de se présenter comme supérieur aux autres. Des rapprochements entre les nations ont certes existé; pourtant, en raison des enjeux géopolitiques au niveau du continent, ils étaient voués à l’échec. Parmi ces rapprochements échoués compte celui entre la Roumanie et la Bulgarie, deux pays voisins qui aspiraient à l’indépendance.



    Les relations historiques entre les Roumains et les Bulgares avaient connu des hauts et des bas. Toujours plus ferme dans les Balkans à commencer par le 14e siècle, la présence ottomane a mené à l’instauration de la paix ottomane, qui signifiait que l’Empire contrôlait toutes les nations de l’Europe du sud-est.



    Durant la première moitié du 19e siècle, l’élite de la société roumaine a réussi à définir l’espace roumain et à lui donner une identité étatique; les Bulgares y aspiraient aussi et ils étaient en pleine effervescence. Les Bulgares émigrés en Roumanie après 1850 ont trouvé une base solide pour répandre leurs idées nationales au sud du Danube, sur le territoire occupé par les Turcs et considéré comme noyau du futur Etat bulgare.



    L’avènement, en 1866, du prince Carol Ier de Hohenzollern-Sigmaringen au trône de Roumanie a apporté au pays beaucoup de stabilité, stimulant la modernisation de l’espace roumain et lui imprimant une direction européenne. Après la guerre russo-roumano-turque de 1877-1878, suite à laquelle la Roumanie allait devenir indépendante, Carol Ier offrait l’image d’un souverain responsable et crédible.



    La Roumanie et la Bulgarie avaient connu un rapprochement significatif qui allait s’amplifier davantage lors de la guerre de 1877 — 1878. Tout a commencé par la camaraderie qui s’était formée entre l’armée roumaine et les troupes de volontaires bulgares qui luttaient aux côtés des Russes et des Roumains. De nombreux combattants bulgares ont reçu des décorations roumaines. Même avant ces contacts directs entre le Roumain lambda et le Bulgare lambda durant la guerre, les liens entre les deux peuples étaient beaucoup plus anciens. Les historiens évoquaient l’Etat médiéval roumano-bulgare des frères Petru et Ioan Asan, fondé sur la lutte commune des Roumains et Bulgares contre l’Empire byzantin.



    Le rapprochement entre la Roumanie et la Bulgarie était basé aussi sur l’amitié entre le prince Carol de Roumanie et le prince régnant de Bulgarie, Alexandre Battenberg. Proclamé prince à 22 ans en 1879, Alexandre, neveu du tsar russe Alexandre II, était plus jeune que Carol Ier. La tentative d’Alexandre, à l’initiative des politiciens bulgares, de gouverner sans l’avis positif de la Russie a provoqué une crise qui allait le renverser en 1885. Cette année a marqué le début de l’idée d’une union personnelle entre la Roumanie et la Bulgarie.



    En juin 1886, un groupe d’émissaires bulgares offrait la couronne de la Bulgarie au roi Carol Ier de Roumanie. Une union personnelle se créait ainsi entre les deux pays. L’offre était fort tentante, mais les calculs géopolitiques dans la région allaient mettre en échec ce projet. L’historien Sorin Cristescu détaille les raisons pour lesquelles l’idée n’a finalement pas pu être matérialisée: « On avait parlé en 1878 et aussi en 1886, lorsque Alexandre Battenberg avait été détrôné, de cette idée d’une union personnelle entre la Roumanie et la Bulgarie. A noter que les Russes souhaitaient contrôler la Bulgarie. C’était d’ailleurs la motivation de la guerre de 1877-1878. En plus, ils avaient constaté qu’il y avait à la périphérie de l’Europe un pays qui sympathisait avec la France ou qui se considérait comme la sœur cadette de celle-ci, à savoir la Roumanie. Ils se sont dit alors qu’il serait bon d’avoir tout près d’eux un pays qui sympathise avec la Russie, qui soit leur sœur cadette. D’où leur implication particulière. Le Premier ministre Ion I. C. Brătianu s’est rendu compte du fait que toute acceptation de la part de l’élite roumaine ou de Carol 1er, toute suggestion d’accepter cette couronne, allait susciter la riposte ferme de la Russie. Les représentants de la Bulgarie auraient été éconduits. On leur aurait dit de partir, sinon ils seraient renvoyés de force, comme des voyous. On en a discuté, mais Brătianu s’est montré prudent, refusant des débats plus longs sur ce sujet ».



    L’idée de l’union personnelle entre la Roumanie et la Bulgarie doit être considérée dans le contexte où le fédéralisme passait pour un des projets les plus en vogue dans l’Europe du 19e siècle. Les détracteurs des empires multinationaux se sont demandé ce qui allait se passer après leur démantèlement.



    Une possible réponse à cette question était la création de fédérations ou de confédérations d’Etats capables d’empêcher la domination d’une seule nation sur les autres. La révolution de 1848 avait vu dans le fédéralisme un principe d’alliance régionale et une politique viable pour la période suivant l’effondrement des empires multinationaux. Bref, l’échec de l’union des dynasties roumaine et bulgare a deux explications: la menace de l’invasion russe et la victoire finale du nationalisme. (trad. : Mariana Tudose, Alex Diaconescu, Dominque)

  • Le prince Charles-Antoine de Hohenzollern-Sigmaringen

    Le prince Charles-Antoine de Hohenzollern-Sigmaringen

    Karl Anton Joachim Zephyrin Friedrich von Hohenzollern-Sigmaringen est né 7 septembre 1811 à Krauchenwies, dans l’actuel land de Bade-Württemberg, et il est mort le 2 juin 1885. Marié à Josephine Friederike Luise de Bade, fille de Karl, grand-duc de Bade, il a eu 6 enfants, dont le 3e allait être le futur roi de Roumanie, Carol Ier. Le 4e enfant, Anton, est mort en 1866, à l’âge de 25, dans le combat de Königgrätz, pendant la guerre austro-prusienne. D’orientation libérale, Karl-Anton a été le chef de la Maison de Hohenzollern-Sigmaringen et premier ministre de la Prusse du 6 novembre 1858 au 12 mars 1862.



    Charles-Antoine a joué un rôle des plus importants dans toute la carrière politique du futur roi Carol Ier de Roumanie. Il a conseillé son fils dès le début de son règne et l’a secondé durant les moments difficiles que celui-ci a traversés : la crise dynastique de 1870, la guerre d’indépendance de la Roumanie de 1877-1878, la reconnaissance internationale de la Roumanie comme Etat souverain. C’est toujours Karl-Anton qui a plaidé la cause de la Roumanie en Allemagne, qui a conseillé Carol dans la gestion des intérêts des grandes puissances telles l’Allemagne, la Russie, l’Empire Ottoman et l’Angleterre.



    Ainsi, le 15/27 août 1878, le prince Charles-Antoine écrivait-il a son fils une lettre l’exhortant à faire preuve de sagesse dans sa politique envers la Russie: « La réconciliation avec la Russie devrait être le sujet le plus pressant. Une relation d’inimitié avec cet Etat voisin serait un éternel danger et entraverait le développement intérieur. Pour hostiles que les esprits pourraient demeurer envers la Russie, les amis sincères de la Roumanie ne sauraient ne pas lui conseiller de trouver un arrangement supportable. »



    L’historien Sorin Cristescu, éditeur et traducteur des lettres personnelles adressées par le roi Carol Ier aux membres de sa famille et des rapports diplomatiques austro-hongrois et allemands directement liés à l’activité du roi, parle du rôle extrêmement important joué par Karl-Anton. « Dès que le problème d’assumer la couronne des Principautés roumaines unies s’est posé pour Carol, Charles-Antoine de Hohenzollern a guidé son fils. Il avait été premier ministre de Prusse — un premier ministre honorifique, certes, il se trouvait à la tête d’un parti libéral qui rêvait de l’unification de l’Allemagne, mais réalisée comment ? La Prusse aurait dû devenir un pays des libertés démocratiques et du progrès scientifique et technique, de sorte que les autres Etats allemands finissent par lui demander de s’unir à elle. Ce n’était pas une solution réaliste. La preuve : Charles-Antoine et son parti n’ont pas gardé le pouvoir pendant longtemps. C’est Bismarck qui a donné la solution de l’époque : par le fer et le sang. Jusqu’à sa mort, survenue en 1885, Charles-Antoine a guidé son fils. Pendant ces 15 premières années de son règne, il lui a donné cette clé d’un bon gouvernement : comment amener chaque famille de boyards, à tour de rôle, au pouvoir. Ce fut là son principal secret. On le sut tout de suite et, déjà en janvier 1867, le Parlement roumain décerna à Charles-Antoine le titre de citoyen d’honneur de la Roumanie. C’était un défi à l’adresse des puissances étrangères, qui estimait que pour régner en Roumanie, on devait être né de parents roumains. On peut dire que Charles-Antoine s’est trouvé à la tête de la Roumanie, aux côtés de son fils, c’est certain. Pourtant, ce n’était pas quelque chose d’unique, à l’époque. En 1887, on assistait en Bulgarie à l’avènement du prince Ferdinand de Saxe-Cobourg-Koháry, dont la mère était Clémentine d’Orléans. Celle-ci a accompagné son fils et l’a guidé jusqu’à sa mort, en 1910. Ces deux parents ont toujours été très attachés à leurs enfants et les résultats, aussi bien en Roumanie qu’en Bulgarie, ont été des meilleurs. »



    Carol Ier revit son père Karol-Anton le 6/16 août 1880, après 14 années de séparation. A cette occasion, le secrétaire du roi notait dans ses Mémoires : « Le prince Karol-Anton attend son fils dans son fauteuil roulant. Longtemps, ni l’un, ni l’autre ne trouvèrent de mots pour exprimer leurs sentiments. Le prince Carol constate avec joie que son père n’a pas changé, les années ne l’ont pas marqué ! »



    Lors de l’assemblée publique du 10/22 août dédiée au roi roumain, le secrétaire des Mémoires mentionnait l’ambiance apparemment sévère et pourtant très chaleureuse de l’accueil de Carol Ier dans son pays natal.



    « Sa ville natale n’a pas voulu manquer l’occasion d’apporter un chaleureux salut à l’arrivée de son Prince, qui revenait d’un pays lointain qu’il avait conduit à l’indépendance par des combats et des victoires… Accueilli Place Carol, le prince est salué par des allocutions chaleureuses et, au portail du château, le prince Charles-Antoine, en grande tenue et affichant pour la première fois le cordon de l’ordre roumain, attend son fils qui avait porté si loin la célébrité et la gloire de sa Maison. Touché par un tel accueil — encore plus impressionnant lorsque son père se leva de son fauteuil roulant — le prince Carol fut submergé par l’émotion. »



    Si Carol Ier a été une personnalité providentielle pour la Roumanie, son père, Charles-Antoine de Hohenzollern-Sigmaringen, ne le fut pas moins. Sans ces deux grands hommes, l’histoire des Roumains n’aurait pas été la même.



    (Trad. : Dominique)