Tag: histoire

  • Les représentations diplomatiques de la Roumanie dans l’espace turc

    Les représentations diplomatiques de la Roumanie dans l’espace turc

    C’est au XIXème
    siècle que les Principautés roumaines commencent à s’affranchir graduellement
    de l’ottomanisme et à importer
    massivement la civilisation et la culture de l’Occident. Dans ce contexte, les
    relations diplomatiques bilatérales vont elles-aussi acquérir une nouvelle
    dimension. Au fur et à mesure que la Roumanie gagne son droit d’Etat
    indépendant, elle repense également ses missions diplomatiques, ouvertes à ceux
    qui allaient représenter les intérêts roumains dans le monde ottoman et turc.


    A l’heure où l’on parle, un
    groupe d’historiens roumains s’est engagé dans un projet d’écrire une histoire
    des représentations diplomatiques de la Roumanie, dont la vedette est, de toute
    évidence et de loin, celle de Paris. Mais les missions diplomatiques roumaines
    dans l’Empire ottoman et en Turquie ont elles-aussi leur propre poids dans ce
    projet. Silvana Rachieru, qui enseigne l’histoire ottomane à l’Université de
    Bucarest, a réalisé une étude sur les résidences diplomatiques de la Roumanie
    dans l’espace turc. Une recherche dont le point de départ est un bâtiment à
    proximité de la Place Taksim d’Istanbul, siège de légation d’abord, de
    consulat, plus tard, et de l’Institut culturel roumain à présent. Silvana
    Rachieru a commencé son travail en écoutant les histoires de ce bâtiment
    particulier: « La plus palpitante de ces histoires
    était celle qui disait qu’un amoureux de la princesse Marthe Bibesco avait joué
    le bâtiment au poker ou un autre jeu de hasard et l’avait perdu, et que l’État
    roumain avait réussi à le récupérer. Toute cette histoire, très belle et très
    romanesque, correspondait parfaitement à l’espace où nous nous trouvions. Mais
    l’information sur l’appartenance de l’édifice à Marthe Bibesco était clairement
    mentionnée dans les archives. »



    Pera la diplomatique était
    le quartier européen d’Istanbul. Les Grandes puissances y avaient installé
    leurs résidences diplomatiques dans « La Grand-Rue de Pera » depuis
    le XVIIème siècle. Deux cents ans plus tard, au XIXème siècle, le nouvel État
    roumain envoyait ses représentants diplomatiques auprès des grands décideurs de
    l’époque, mais les besoins de financement de cette démarche dépassaient les
    moyens de Bucarest, raconte Silvana Rachieru: « L’Agence
    diplomatique roumaine avait fonctionné entre 1859 et 1878 dans un espace loué.
    En réalité, c’était l’appartement-même de l’agent diplomatique, qui servait
    aussi de siège de l’agence. Dimitrie Brătianu, le premier représentant de la
    Roumanie à Constantinople d’après l’indépendance, l’affirmait haut et fort en
    1878. Quelques semaines à peine après son arrivée dans la capitale ottomane, il
    informait déjà Bucarest que la légation fonctionnait dans une maison en pierre,
    dans le quartier de Çukurcuma, dans la zone de Pera où se trouvait aussi son
    logement. Brătianu écrivait que ce n’était pas le siège le plus approprié pour y
    ouvrir une légation et que le ministère aurait dû faire le beau geste de
    financer la location d’un espace plus généreux et plus adapté aux nouvelles
    exigences. »



    Ce
    n’est qu’en 1887 que Bucarest loue le premier siège séparé du logement du
    représentant diplomatique. Et à partir de 1903, la Roumanie exprime ouvertement
    son intention d’acheter un bâtiment pour y installer la représentation
    permanente, précise Silvana Rachieru: « L’adresse finale de la
    mission diplomatique roumaine dans la capitale de l’Empire ottoman et, par
    après, dans la ville la plus importante de la République turque se trouvait Rue
    Sîraselviler, « La rangée de cyprès » en turc. La Roumanie y loue un
    édifice en 1903, grâce à l’implication du ministre plénipotentiaire de ce
    temps-là, Alexandru Lahovary. Dans le contrat de bail, il est écrit que lorsque
    le propriétaire décidera de vendre la construction, l’État roumain sera le
    premier à faire une offre d’achat. La discussion deviendra plus sérieuse à
    partir de 1905 et la finalisation aura lieu en 1907. Donc, depuis 1907, près de
    la Place Taksim, nous avons un repère associé à la Roumanie. »



    L’édifice
    est connu sous le nom de « manoir de Musurus Pacha », d’après le nom
    de son propriétaire, un diplomate turc d’origine grecque. D’ailleurs, le
    quartier est lui-même grec et son essor avait débuté après le grand incendie de
    1870. C’était une zone commerciale, active, pleine d’énergie, où l’on construisait
    des appartements sur le modèle français et des bureaux. La plus importante
    église orthodoxe grecque d’après la chute de Constantinople en 1453 se dresse
    dans la même zone. C’est donc là que la légation de la Roumanie allait
    fonctionner jusqu’en 1927.


    La première guerre mondiale
    allait avoir des conséquences dramatiques sur l’Empire ottoman. Après la
    proclamation de la République turque en 1923, le transfert de la capitale dans
    la ville d’Ankara a modifié le centre de gravité du nouvel État. Et les
    représentations diplomatiques ont dû suivre, bien qu’avec un certain retard. La
    Roumanie a, elle aussi, longtemps hésité à faire le pas et Silvana Rachieru en
    explique la raison: « Elle a hésité parce qu’en 1923 Ankara
    était plus rurale. Le président Mustafa Kemal offre aux premières missions
    diplomatiques des voitures de train pour y fonctionner. Il était difficile de
    quitter le Bosphore et une résidence imposante. Le voyage vers Ankara était
    long. Les autres puissances n’étaient pas non plus pressées de déménager, mais
    elles ont fini par le faire. La Roumanie avait laissait passer un train dans
    cette gare, pour ainsi dire, car, dans premier temps, des parcelles avaient aussi
    été distribuées dans une zone que Mustafa Kemal voulait transformer en quartier
    diplomatique. Lorsque la Roumanie déménagea enfin à Ankara, il n’y avait plus
    de terrains disponibles dans ce quartier. »

    La
    Roumanie revient donc à la location d’espaces pour sa légation dans le quartier
    résidentiel de Çankaya. Dans les années 1950, elle y achètera un terrain rue de
    Bucarest et y fera construire son ambassade. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Les crucifix en pierre de Bucarest

    Les crucifix en pierre de Bucarest

    Les
    crucifix ont constamment été présents dans l’espace public de Bucarest. A
    travers le temps, une cinquantaine de tels monuments ont été érigés sur le
    territoire de la ville, pour marquer des événements militaires ou sociaux, pour
    délimiter une propriété ou pour jouer le rôle de cénotaphe. Certains crucifix
    ont été ramenés d’ailleurs pour intégrer les lapidaires de monastères et de
    musées locaux, tels le monastère Antim et les Palais brancovans de Mogoşoaia.
    Le monument le plus ancien est sculpté en bois sur les ordres de Leon Vodă, prince
    régnant de Valachie entre 1629 et 1632, qui voulait marquer ainsi sa victoire sur
    Matei Basarab du 23 août 1631. La dégradation due au passage du temps a
    poussé le fils de Leon Vodă, Radu Leon,
    à le faire refaire, mais en pierre, entre 1664 et 1665. Un autre crucifix en
    bois, refait plus tard en pierre, est celui de Papa Brâncoveanu, le père de
    Constantin Brâncoveanu, prince régnant de Valachie de 1688 à 1714, qui a été
    tué pendant la révolte des corps militaires des Seimeni et des Dorobanţi en
    1655.


    Cezar-Petre
    Buiumaci, muséographe au Musée municipal de Bucarest, est le coordonnateur d’un
    projet centré sur les crucifix en pierre de la capitale de la Roumanie. Il a
    expliqué la construction de ces monuments publics avant l’époque moderne : Les grands fléaux qui se
    sont abattus sur la ville ont persuadé la population d’ériger ces monuments à
    double signification : la protéger des désastres et lui rappeler ce
    qu’elle avait subi. C’est le cas du crucifix en pierre que le serdar
    (commandant de cavalerie) Matei Mogoş (Mogoşescu) a fait installer sur son
    domaine au début du XVIIIème siècle, dans l’espoir d’accélérer la fin de
    l’épidémie de peste, qui secouait la ville. Le monument a acquis une importance
    telle dans le mental de la communauté que le métropolite Grigore II a fait
    bâtir une église autour de cette croix en pierre. Placé à l’intérieur de
    l’autel de l’église Oborul Vechi, le crucifix, qui devait rappeler aux gens les
    temps difficiles de l’épidémie de peste et de la période de famine, est devenu
    un objet de culte très peu visible de nos jours. Nous retrouvons ce même type
    de rappel d’une épidémie à Vienne, où l’empereur autrichien avait fait ériger
    une colonne dédiée à la miséricorde divine à la fin de l’épidémie de peste de
    la fin du XVIIème siècle. Dans la ville d’Arad, sise à la frontière actuelle de
    la Roumanie avec la Hongrie, une colonne similaire, représentant la Sainte
    Trinité, a été dressée vers le milieu du XVIIIème siècle. De tels monuments
    existent aussi dans d’autres villes, de la région du Banat, de Hongrie ou
    d’Allemagne, résultats des promesses faites en lien avec la fin des épidémies.



    Les
    crucifix publics pesaient d’un poids impressionnant sur le mode de vie et le
    mental collectif des habitants de Bucarest. Cezar-Petre Buiumaci raconte une de
    ces nombreuses histoires : Un des crucifix très importants de l’histoire de Bucarest est celui,
    aussi visible que peu connu, dit de Neofit. Il a été commandé par le
    métropolite de l’Ungrovalachie Néofit le Crétois pour servir de borne de
    frontière. Il avait pris cette décision en raison des nombreuses violations des
    droits de propriété sur les terrains et les vignobles de la métropolie par les
    supérieurs du monastère Mihai Vodă. Après une enquête sur le terrain, le
    métropolite a décidé de faire poser la croix en pierre à l’endroit où se
    trouvait la fontaine des Gueux, dans la rue Cazărmii (de la Caserne). Sauf que
    l’enquête n’a pas vraiment produit le résultat espéré, car les moines du
    monastère Mihai Vodă avaient convaincu les habitants du faubourg de ne rien
    dire sur les anciennes limites des domaines de la métropolie. Comme il ne
    réussissait à obtenir aucune information qui l’aide dans sa démarche, Neofit a
    lancé une malédiction contre les habitants du faubourg, pour les presser de
    dire la vérité. « La Grande malédiction » et la « Terrible
    imprécation » ont été lues dans les églises Alba-Postăvari,
    Arhimandritului, Gorganului et Golescu, dans les trois premiers dimanches du
    Carême, leurs destinataires étant tous ceux qui connaissaient les repères des
    terrains en question, mais qui ne voulaient pas en parler. La démarche a eu du
    succès, car les gens ont indiqué les repères à la commission d’enquête chargée
    de faire de la lumière dans ce cas.



    L’une
    des plus récentes croix publiques de Bucarest se trouve Place de l’Université,
    au centre-ville de la capitale. La Croix de Bessarabie se dresse aux côtes des
    crucifix qui commémorent la Révolution de décembre 1989. Cezar- Petre Buiumaci
    a raconté l’histoire de cet ensemble : La Croix de Bessarabie est une croix en bois ramenée de Chişinău par
    un groupe d’étudiants de la République de Moldova lors de la Marche de l’Union
    et posée le 27 mars 1992, date de l’union de la Bessarabie avec la Roumanie en
    1918. La croix en bois symbolise l’union de la nation, étant pratiquement le
    premier crucifix de l’ensemble actuel, dressé à la place de crucifix posés en
    décembre 1989. Huit autres croix en pierre y ont été ramenées de la commune
    d’Alexeni, dans le département d’Ialomiţa, et forment ainsi l’Ensemble des
    Héros de la Révolution de décembre 1989. C’est devenu le principal lieu de
    commémoration des martyrs de la révolution anti-communiste. C’est un exemple de
    changement de la signification d’un monument, passé de borne de frontière à
    monument de forum public important dans l’histoire récente.



    Par
    leurs messages forts et expressifs d’un point de vue artistique, les crucifix
    en pierre de Bucarest, sont devenus des éléments constitutifs du paysage urbain
    actuel. Même si le bucarestois lambda peut s’habituer à leur présence, ces
    monuments gardent intacte tout leur poids symbolique. (Trad. Ileana Ţăroi)



  • “La princesse Bibesco. Frondeuse et cosmopolite” un livre par Aude Terray

    “La princesse Bibesco. Frondeuse et cosmopolite” un livre par Aude Terray

    Le top
    départ de la rentrée littéraire 2023 a été donné. Parmi les titres à découvrir
    dans les librairies françaises, notons le livre qu’Aude Terray, historienne du
    XXème siècle, consacre à la princesse roumaine Marta Bibescu. Intitulé
    « La princesse Bibesco, frondeuse et cosmopolite», le livre paru chez
    Tallandier suscite l’intérêt d’Alina Pavelescu, autrice, historienne et
    archiviste et surtout, grande admiratrice de cette princesse roumaine de
    naissance et française de plume. Ensemble, nous essayerons dans les minutes
    suivantes de vous donner, madame, monsieur, le goût à la lecture de cet
    ouvrage.

  • 30 années d’histoire de Radio Roumanie

    30 années d’histoire de Radio Roumanie

    L’histoire du dernier siècle peut être sans doute investiguée en outre grâce aux archives radiophoniques, témoin fidèle des terribles soubresauts de l’histoire récente. Aussi, si durant les années noires du communisme, le degré de véracité de l’histoire orale conservée dans les archives demeure sujet à caution, après 1989, après la fin du communisme, cette source historique commence à retrouver toute sa place. Le premier patron de la Radiodiffusion roumaine d’après 1989, Eugen Preda, posait ainsi, en 1993, les bases des archives d’histoire orale de la vénérable institution de presse.

    La journaliste et historienne Mariana Conovici a fait partie de cette première équipe d’historiens qui a commencé à confectionner les archives d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine. A son micro se sont succédés des témoins oculaires privilégiés des deux guerres mondiales, des exactions du communisme, des historiens et des savants, des victimes et des complices des bourreaux, des hommes politiques et des anonymes.

    Aujourd’hui, Mariana Conovici se rappelle la période exaltante de ces débuts : « Eugen Preda, le directeur de la Radiodiffusion de l’époque, était historien, il avait un doctorat en histoire. Il s’agissait d’un véritable érudit, toujours très bien informé. Il avait pris part au Congrès international des historiens qui s’est tenu à Bucarest en 1980, et qui avait remis dans ses droits l’histoire orale. Il était donc au fait de l’importance de cette dernière parmi les autres sources historiographiques pertinentes. Et puis, en 1992, nouvelle réunion internationale, cette fois dans la ville de Sinaia, et c’est alors qu’il a pris cet engagement de constituer les archives audios, d’immortaliser la voix de certains des grands témoins de notre histoire récente. »

    Le livre du sociologue et historien britannique Paul Thompson, intitulé « The Voice of the Past », « Les voix du passé » en traduction française, a constitué le modèle de départ du projet des archives audio de la Radiodiffusion roumaine.

    Mariana Conovici : « La liberté nous a permis d’approcher la vérité historique d’une manière différente. L’on découvrait les nuances, l’on découvrait les contrevérités qu’on nous avait servis sous l’apparence de la vérité absolue pendant le communisme. L’on a pu ainsi approcher les gens, la petite histoire, les drames et les tragédies personnelles qui font à la fin la grande histoire. Ce fut comme un bain de vérité. J’entrais avec mon micro dans la vie et dans l’intimité des gens, et j’arrivais non seulement à mieux comprendre leur vécu, mais à mieux me comprendre, moi et le monde qui m’entourait, grâce à cet exercice de vérité. Car je pouvais alors me mettre à leur place. Ce qui n’était pas de tout repos. »

    Mariana Conovici et son équipe, composée en tout et pour tout de 5 journalistes, sont parvenues à conjuguer de manière heureuse histoire orale et journalisme radio. C’est grâce à leur travail que le public roumain a pu approcher des pans de l’histoire récente, cachés jusqu’alors.

    Mariana Conovici : « Par ce genre d’interview que l’on utilise dans l’histoire orale, on interroge l’histoire. L’objectif d’une telle démarche consiste souvent à réaliser une étude, une recherche historique. Mais ce n’était pas notre objectif. Nous n’avions pas le désir de suivre cette voie. Notre objectif était de partager avec nos auditeurs ce que nous venions de découvrir, de faire entendre la voix de ces témoins privilégiés de l’histoire, grâce à des programmes hebdomadaires. C’était cela notre vocation. Il y avait une démarche civique dans cette approche, et c’est toujours le cas lorsqu’il s’agit d’utiliser cet outil de l’histoire orale, où que ce soit. Mais j’avais dû batailler ferme pour garder la place de notre rubrique dans la grille de programmes de l’époque. J’avais moi-même des doutes. Est-ce que la société roumaine était suffisamment mûre pour ce que nous proposions ? Je n’en savais strictement rien, mais on se disait que s’il y avait ne fut-ce que dix auditeurs qui pouvaient raisonner avec ce qu’ils venaient d’entendre de la bouche de tel ou tel témoin de notre histoire récente, c’était déjà ça » .

    « Histoire vécue » a été le titre de la célèbre émission radiophonique. Et les auditeurs, roumains et étrangers, sont allés jusqu’à plébisciter le pari des réalisateurs. « Les interviews d’histoire orale n’enrichissent généralement pas de manière décisive les connaissances des historiens. Mais elles font revivre l’atmosphère d’une époque, rappellent des détails méconnus, mettent de la chair sur le squelette des connaissances, font vivre l’émotion des témoins, des ceux broyés par la marche de l’histoire. Et la puissance du message qu’arrive à transmettre la victime d’un épisode historique est sans nulle pareille. Prenez cette interview qui ne durait que 20 minutes, et que j’avais prise à une dame qui avait été arrêté alors qu’elle n’avait pas encore 14 ans. C’était à la fin de la dernière guerre mondiale. Elle faisait partie d’un groupe de jeunes que les nazis avaient amené en Allemagne, et puis aussi en Autriche, les soumettant aux travaux forcés. C’était une enfant. Et tout au long de ces 20 minutes d’interview, elle racontait toute l’angoisse provoquée par le déplacement, et toute la panique qui l’avait surprise lors d’un bombardement subi près de Vienne, où elle avait dû se réfugier dans un champ, cachée par un arbre, pour avoir la vie sauve. Vous savez, toute l’horreur de la guerre était concentrée dans ces 20 minutes d’interview de cette enfant, qui avait été arrachée à ses parents et jetée en plein milieu de la folie de l’histoire ».

    Les archives d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine se sont étoffées avec le temps. Ceux qui avaient passé les premières interviews ne sont plus de ce monde depuis belle lurette. Mais leurs voix résonnent encore et toujours dans les oreilles, et surtout dans les consciences des auditeurs de ces émissions hors normes. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • La législation psychiatrique et son évolution dans l’espace roumain

    La législation psychiatrique et son évolution dans l’espace roumain

    Les maladies psychiatriques ont depuis toujours soulevé nombre de questions de nature éthique aux sociétés humaines quelles que soient les époques. Trop souvent pourtant, ces sont les malades qui ont fait les frais de l’incompréhension de leurs contemporains eu égard la nature du mal qui les rongeait. L’espace roumain n’a pas constitué non plus un havre de compréhension à l’égard de ce que l’on appelait, il y a peu de temps encore, les « fous ». La justice s’employait pourtant à prévoir les causes et à diminuer les effets des actes commis par ces derniers. L’histoire de la jurisprudence des pays roumains montre toutefois comme tendance lourde la décriminalisation des infractions commises par les malades psychiques. Les premiers codes de loi dont les principautés roumaines s’étaient dotées, en 1646 pour la Moldavie, sous le règne de Basile Lupu, en 1652 pour la Valachie, sous le règne de Matei Basarab, traitent de cette question.

    Le psychiatre Octavian Buda, professeur en histoire de la médecine à l’Université de médecine et de pharmacie Carol Davila de Bucarest détaille le point de vue du législateur de l’époque. Octavian Buda : « Il ne s’agit pas à proprement parler de lois constitutionnelles, même pas d’un code pénal. Il s’agit toutefois d’un recueil de textes légaux censés réglementer diverses activités, y compris en matière juridique. Concernant leur approche dans la matière qui nous occupe, ce qui me semble remarquable est que ces textes légaux précisent qu’un criminel qui montrent des signes apparents de folie ne pourra pas être puni d’office et qu’il faille d’abord évaluer son état de santé mentale. Prenez, je lis dans le texte d’origine, qui dit ceci : « si untel était fou au point de tuer son père ou son fils, qu’il soit exonéré de toute peine, car la peine de la folie dont il est atteint lui suffira ». Bref, au-delà de ce cas précis, il s’agissait en fait de prendre en considération l’état mental du coupable ».

    Le 18e siècle c’est le siècle des Lumières. Grâce aux princes souverains phanariotes, les idées des Lumières d’abord, les réformes législatives ensuite, débarquent dans l’espace roumain. Octavian Buda : « Certains princes phanariotes mettront au point une législation largement compréhensive. Tel Alexandru Ipsilanti en 1780. Callimachi și Caragea ensuite, en 1817. Les princes souverains phanariotes avaient cette coutume d’inviter des médecins étrangers à s’établir à leur cour. Nous sommes à l’aurore de la modernité roumaine, dans la première moitié du 19e siècle, lorsque les sciences connaissent le début de ce qui sera un essor jamais connu jusqu’alors ».

    Les pays roumains sont en effet gagnés par la fièvre de la modernité au début du 19e siècle. Le Règlement organique, soit la première constitution qu’ils aient connue, a été adopté en 1831-1832. Il poursuivait l’œuvre législative déjà engrangée par les législations antérieures. Octavian Buda : « Le Règlement organique jette tout d’abord les bases d’une institution qui précède la création du Collège des médecins, la Commission des médecins, qui s’attache à réguler et à organiser la pratique médicale, en délivrant le droit d’exercice. Cela fait que nul ne pouvait plus exercer à moins d’avoir obtenu le droit d’exercice délivré par cette Commission. Il y avait des médecins expatriés d’origines grecque et italienne qui exerçaient déjà dans l’espace roumain à l’époque. Cette élite médicale devra dorénavant composer et s’adapter à son public, offrir ses services et s’avérer capable de communiquer avec une population rurale assez traditionaliste et plutôt réticente face aux pratiques médicales nouvelles ».

    La première institution de soins psychiatriques sera fondée en 1838, et s’appellera l’hospice Mărcuța. Octavian Buda : « C’était durant le règne d’Alexandre Ghica que les choses commencent à prendre leur forme. L’hospice Mărcuța est fondé alors que l’institution monastique entre sous l’autorité du ministère de l’Intérieur. Et c’est au sein de ce ministère que l’on commence à comprendre la nécessité de fonder une telle institution. Mărcuța est tout d’abord dirigé par le docteur Minis, médecin d’origine grecque, qui avait suivi sa formation en médecine en Allemagne, à Leipzig. Ensuite, ce sera le tour du docteur Nicolae Gănescu de prendre sa direction, qui avait suivi la faculté de médecine d’Kharkov. Ce médecin mettra ce que l’on peut appeler les bases de l’intervention psychiatrique. L’on est déjà autour de 1850. Partisan de l’ergothérapie, le docteur Nicolae Gănescu impose l’emploi de méthodes plus humaines pour la contention des patients, il utilise des sangles en laine, pour éviter de faire mal au patient. Il essaye aussi d’utiliser les ondes électromagnétiques dans ses traitements, des machines et des techniques modernes. L’époque du docteur Nicolae Gănescu sera ensuite suivie par celle d’Alexandre Suțu, issu de la célèbre famille homonyme de princes phanariotes. Il pouvait se targuer des études suivies à Athènes et Paris. Ce médecin publiera en 1877 son tome intitulé « L’aliéné devant la médecine et la société », qui constitue de fait le premier traité de psychiatrie sociale et judiciaire ».

    Reconnue en tant qu’Etat indépendant en 1878, la Roumanie poursuivra la mise au point de ses politiques sanitaires et judiciaires adéquates. Et la psychiatrie gagne progressivement ses galons pour devenir une branche à part entière de la médecine. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Les Pâques en Roumanie : une richesse des symboles et traditions

    Les Pâques en Roumanie : une richesse des symboles et traditions

    De la
    lumière sainte, des œufs peints, un lapin avec des
    cadeaux, des repas en famille, le sacrifice de l’agneau, la « pasca », beaucoup d’émotions dans la vie liturgique – voilà la richesse
    des Pâques roumaines. Dans les minutes suivantes, nous vous proposons une brève
    présentation de l’histoire, des traditions et des significations des principaux
    éléments qui composent ce que l’on appelle « la plus grande fête du
    christianisme ».




    L’étymologie
    du mot « Paști » (Pâques en roumain, au pluriel)
    nous conduit vers les anciens égyptiens. En hébreux, le mot
    « Pesach », qui signifie « passage » a été hérité de la
    langue des Egyptiens. Le monde romain-byzantin l’a emprunté ensuite, sous la
    forme « Pascha », nom neutre, d’où il est entré dans les langues
    latines.




    Chez les
    Juifs, « Pessah » ou la fête des pains sans levain, reste la fête la
    plus importante. Elle commémore la traversée miraculeuse de la mer Rouge, qui
    les a conduits de l’esclavage sous les égyptiens à la liberté. Le Pessah juif
    était célébré huit jours durant, du 15eau 22e jour du
    mois de Nisan, septième mois de l’année civile des Hébreux et premier mois de
    leur année sacrée. La cène qui marquait le passage de la mer Rouge avait lieu
    dans la nuit du 14eau 15edu mois, à la pleine lune, après
    l’équinoxe du printemps. En 33 de notre ère, cette fête coïncida avec des
    événements étonnants racontés dans la Bible, ayant Jésus Christ pour
    protagoniste et qui se passaient dans la province romaine de la Judée : il
    s’agissait d’un autre passage, de la mort à sa propre Résurrection, à l’époque
    du préfet romain Ponce Pilate.


    D’ailleurs,
    les Romains avaient toujours l’habitude de célébrer le passage vers un temps nouveau.
    Pour un certain laps de temps, la Rome antique célébrait le Nouvel An le 1er
    mars. Ce mois marquait plusieurs autres célébrations de grands dieux de la
    végétation et de la fécondité qui, à l’origine, étaient des personnifications
    du Soleil. Par exemple, le dieu Mars était considéré l’incarnation du Soleil à
    l’équinoxe du printemps. Bien avant d’être considéré comme le dieu de la
    guerre, il était considéré le « Jeune Soleil », un dieu de la
    fécondité et de l’abondance, de la multiplication des grains et des animaux. Le
    même mois de mars, les romains célébraient aussi les Matronalia, la fête des épouses et des mères de famille, dédiée à
    Junona Lucina et à Matrona. Lucina (nom provenant du mot « lux »,
    « lumière » en latin) était la déesse de la lumière, tandis que Matrona
    (nom provenant de « mater », « mère » en latin) était la
    protectrice des mères.


    Le 15e
    mars était à la fois le jour de Jupiter et le jour d’Anna Perenna, dont
    le nom signifiait « l’année pérenne », c’est-à-dire éternellement
    renouvelée. Le jour du 25e mars était appelé Hilaria (« jour de la joie » en latin) parce que c’était
    le jour de la résurrection d’Attis, l’époux de Cybèle, déesse de la fécondité,
    honorée dans l’ensemble du monde antique. C’était donc un jour de la victoire
    de la vie sur la mort et d’une promesse d’immortalité. Dans la Grèce classique
    aussi il y avait une fête du printemps, qui était liée à Dionysos, représentant
    le Soleil fécondateur. Son nom était « Anthesterion »,
    provenant du grec où ce mot signifie « fleur ». Par ailleurs, dans la
    Rome antique, Flora, la déesse du printemps, des fleurs et de la floraison,
    était aussi vénérée pendant un festival appelé Floralia. Il n’est donc pas surprenant qu’en Roumanie, le dimanche
    des Rameaux (appelé « Florii ») marque les 7 derniers jours de
    préparation avant Pâques.




    Les
    traditions roumaines dédiées aux fêtes pascales placent au centre l’œuf, peint
    surtout en rouge, mais aussi dans d’autres couleurs. Le rouge symbolise le
    sang, le feu, mais aussi l’amour et la joie de vivre, le jaune signifie la
    lumière, la jeunesse et le bonheur, le vert symbolise la renaissance de la
    nature, l’espoir et la fécondité, tandis que le bleu est la couleur de la
    vitalité et de la santé. Sur les œufs peints selon la tradition roumaine, les
    lignes utilisées ont aussi des significations des plus diverses. La spirale
    signifie l’éternité, la ligne verticale symbolise la vie, la ligne horizontale
    représente la mort, tandis que le rectangle signifie la pensée et la sagesse.


    Assis autour de la table, les gens cognent entre
    eux les œufs peints, en disant « Le Christ est ressuscité » et en
    répondant « Il est vraiment ressuscité ». L’œuf, présent dans
    de nombreuses mythologies, symbolise avant tout, la source de la vie et la
    naissance de notre monde. Les habitants de l’Égypte et de l’ancienne Perse, par
    exemple, s’offraient des œufs, teints ou peints, qu’ils cassaient avant de les
    manger, comme un acte sacré, pour aider le monde à renaître.




    Un autre
    symbole pascal est le lapin qui offre des cadeaux. Le lapin appartient à la
    lignée du bestiaire lunaire et aux archétypes associés au clair de la lune.
    Dans l’art chrétien médiéval, il avait une signification particulière : il
    était vu comme hermaphrodite, ce qui a conduit à la connexion avec la Vierge
    Marie, la mère de Jésus Christ, en raison de sa virginité. Les images avec un
    lapin offrant des cadeaux et des œufs de Pâques sont spécifiques à l’Allemagne
    et remontent au XVe siècle. Le lapin est aussi un symbole de la fertilité,
    présent dans toutes les mythologies. Il est associé à la divinité de la Terre
    Mère, à l’idée de la régénération et du renouvellement ininterrompu de la vie.
    C’était aussi un être céleste, qui incarnait une ancienne déesse germanique,
    Eostra, mythifiant le printemps et la fécondité, encore adorée au XIIIe siècle,
    à la campagne. Comme les Saxons célébraient l’arrivée du printemps avec des
    fêtes tumultueuses, les missionnaires chrétiens n’avaient d’autre choix que de
    les intégrer. En outre, la fête païenne d’Eostra coïncidait avec la célébration
    de la résurrection de Jésus Christ.




    L’agneau
    est un autre animal associé à Pâques. Son symbolisme est lié à la célébration
    juive du passage de la mer Rouge. A Pâques, chaque chef de famille devait
    choisir un agneau ou un bouc mâle de son troupeau, sans défauts physiques, qu’il
    devait garder du 10e jusqu’au 14e jour du mois de Nisan
    et le sacrifier d’un coup de poignard avant de le manger. L’agneau est aussi le
    signe de la douceur, de la simplicité, de l’innocence et de la pureté, autant
    d’attributs de Jésus-Christ.




    Pendant
    les 7 jours des Pâques juives, on ne consomme que du pain sans levain. Ce pain
    rappelle le pain sans levain que les Israélites ont préparé la nuit de leur fuite
    d’Égypte et symbolise, par l’absence de ferments levants, la propreté, la
    prévention de corruption et l’appel à une vie pure et sainte. Les traditions
    populaires roumaines sont loin de cette tradition juive qui associe le pain à l’amertume
    de l’esclavage en Égypte. Pour marquer la joie à Pâques, la « pasca »est,
    en fait, un pain sucré.




    La dernière
    partie de notre programme est consacré au jour de célébration de Pâques. Bien
    que les catholiques et les protestants aient célébré Pâques le 9 avril dernier,
    les Pâques orthodoxes ont lieu, cette année, le dimanche, 16. Cette situation découle
    des calculs astronomiques imprécis qui ont servi au premier synode œcuménique,
    organisé à Nicée en 325 de notre ère, de décider que les Pâques chrétiennes ne
    seraient plus célébrées au même moment que la fête juive, mais le premier
    dimanche après la pleine lune suivant l’équinoxe de printemps. La notion d’équinoxe
    vernal avait une signification particulière, car elle était considérée comme un
    moment représentatif du temps primordial où Dieu sépara la lumière des ténèbres
    et ordonna que la lumière soit donnée par le soleil – le jour, et par la lune -
    la nuit.


    Jusqu’en
    1582, tous les chrétiens célébraient Pâques à la même date. Le changement de date
    dans le christianisme occidental s’est fait par une réforme du calendrier
    initiée par le pape Grégoire VIII, qui voulait corriger le décalage découvert
    par les astronomes entre le calendrier utilisé jusqu’alors, soit le calendrier
    julien, et le temps astronomique réel. En utilisant le calendrier julien, la
    date de Pâques était, donc erronée. Alors que les catholiques commençaient à
    célébrer Pâques selon le nouveau calendrier rectifié, les Eglises orthodoxes
    continuaient, elles, à célébrer selon le calendrier julien, qui indiquait
    pourtant l’équinoxe et la pleine lune à des dates qui ne correspondaient plus
    aux dates astronomiques. Ceci explique l’écart qui persiste de nos jours encore.


    Lors de
    la conférence inter-orthodoxe de Constantinople en 1923, les Eglises orthodoxes
    ont essayé de trouver un compromis entre les deux calendriers, julien et
    grégorien. Lors de cette conférence, on a donc fixé Noël selon le calendrier
    grégorien, et Pâques, selon l’ancien calendrier julien.




    Avant de
    finir l’exposée de ce panorama des traditions pascales en Roumanie, il faut
    préciser que la plupart des Roumains suivent, du point de vue liturgique, la
    tradition byzantine. Les 7 jours de la Semaine sainte prennent fin à la nuit de
    la Résurrection, ce moment culminant de la fête pascale. La Semaine Sainte
    débute par le Dimanche des Rameaux. Dans les églises à travers la Roumanie, les
    prêtres rappellent dans leurs offices religieux chaque instant avant le sacrifice
    suprême que Jésus-Christ a fait pour sauver l’humanité entière. C’est une nuit
    spéciale, symbolisant la nuit de la lumière, de la purification, la libération
    de l’humanité de l’esclavage de l’enfer, du mal et de la mort. C’est pourquoi la
    fête pascale est une célébration de la lumière. A minuit, lorsque les gens se
    rendent au service de la Résurrection, ils allument des bougies, symbolisant le
    passage des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie.




    En vous
    remerciant de votre attention, nous souhaitons à ceux qui célèbrent Pâques, de Bonnes
    Fêtes, ainsi qu’à tous ceux qui nous écoutent, un printemps plein d’espoir et
    de lumière ! (écrit par Andra Juganaru)

  • Quelques moments de l’histoire de la presse roumaine

    Quelques moments de l’histoire de la presse roumaine


    Le rôle de la presse dans l’évolution de la société
    moderne a été tellement énorme, qu’en parler n’est que lui faire justice. Aussi,
    les premiers journaux quotidiens parurent dans l’espace roumain voici près de 200
    ans, vers la fin des années 1820. Mais la première publication roumaine, parue à
    Iasi, et éditée en langue française, est sans nulle doute « Courier de la
    Moldavie ». Dans son premier numéro, issu en 1790, elle informait ses
    lecteurs des actualités moldaves, sans oublier les nouvelles d’ailleurs. La
    récente exposition, abritée par la Bibliothèque de l’Académie roumaine et intitulée La presse roumaine entre tradition et modernité, entend retracer les 200 années d’histoire de presse
    roumaine. Le choix du lieu de l’exposition n’est pas anodin. En effet, la
    Bibliothèque de l’Académie conserve les plus importantes collections de quotidiens
    et de revues parus dans l’espace roumain depuis l’apparition de la presse
    écrite, soit plus de 8,5 millions d’exemplaires.


    La
    commissaire de l’exposition, Daniela Stanciu, relève au public présent à l’inauguration
    le rôle essentiel que joue cette presse roumaine pour l’historiographie
    contemporaine. Ecoutons-la :


    « Vous
    savez, lorsque l’on parle presse écrite, il ne faut pas entendre juste magazines
    et quotidiens, mais encore périodiques, revues de spécialité, parfois même les
    actes des conférences. Cela fait que l’on peut retracer l’histoire moderne d’une
    nation en puisant tout simplement dans ces sources riches d’information. C’est
    l’histoire écrite, à chaud, par ces témoins privilégiés qu’ont depuis toujours
    été les journalistes. Prenez les reporters, qui puisent leurs informations à la
    source, au plus près de l’événement. Et leurs reportages, qui rendent compte au
    mieux de l’ineffable de ce quotidien d’un autre temps, et dont l’on soupçonne à
    peine l’existence. Prenez encore la manière dont sont relayés les grands soubresauts
    de l’histoire, ne fut-ce que pour avoir un aperçu de la manière dont ils ont
    été perçus par ceux qui les traversaient et qui en étaient directement
    concernés. Ces reportages et articles, relus après des décennies, voire des
    siècles, rendent au mieux compte de ce que les Français appellent « l’air
    du temps » ».


    Mais
    l’apparition et l’essor de la presse écrite ont bien évidemment été depuis
    toujours liés au développement technologique. L’apparition de l’imprimerie a représenté
    un saut décisif pour le développement d’une presse écrite rapidement accessible
    à son public. Daniela Stanciu :


    « C’est
    grâce à l’apparition de l’imprimerie que la presse écrite est née, et a pu ensuite
    répandre avec célérité l’information. Avant elle, il n’y avait que ce que l’on connait
    sous l’appellatif de feuilles volantes, soit des feuilles détachées, manuscrites,
    imprimées ou copiées à la machine à écrire. Et dans notre exposition, vous
    allez pouvoir admirer ces feuilles volantes, qui ont été mises en valeur dans l’espace
    réservé aux parutions de presse écrite du 19e siècle. Voici la
    feuille volante qui annonce le lancement du quotidien Le courrier de Bucarest,
    devenu ultérieurement Le courrier roumain. Ou encore la feuille volante de la
    Proclamation d’Islaz, qui reprenait le programme politique révolutionnaire de
    1848, apprécié par certains comme étant la première constitution roumaine. La
    feuille volante encore qui renseigne de la fondation de l’imprimerie de la Métropolie,
    en 1859. Enfin, celle reprenant et diffusant le discours du prince souverain Alexandru
    Ioan Cuza, devant l’Assemblée constituante, en 1860, moment où l’on avait acté
    l’union de la Moldavie et de la Valachie, et la fondation de l’Etat roumain.
    Enfin, la feuille volante distribuée par le roi Carol 1er, au moment
    où il décidé d’envoyer ses troupes traverser le Danube, pour recouvrir la
    pleine indépendance de l’Etat roumain envers la Sublime Porte. »


    Mais
    qu’allons-nous trouver dans cette exposition intitulée « La presse roumaine,
    entre tradition et modernité » ? Daniela Stanciu, commissaire de l’exposition
    abritée par la Bibliothèque de l’Académie roumaine, nous renseigne :


    « Des
    parutions des célèbres quotidiens « Adevarul », « La vérité »
    en traduction française, fondé en 1871, et « Dimineata », « Le
    matin », fondé en 1900. Mais l’exposition présente aussi des inédits.
    Telle la revue intitulée « Le musée National. Gazette littéraire et industrielle »,
    parue en 1836, où l’on découvre, pour la première fois, une rubrique météo,
    nichée en dernière page de chaque numéro. C’est encore cette revue qui publie
    la correspondance entre ces deux grands poncifs de la révolution de 1848, Constantin
    Negruzzi et Ion Heliade Rădulescu, le premier originaire de Valachie, le second
    de Moldavie, deux pays encore séparés à l’époque. Vous pourrez voir aussi « Claponul. Feuille
    populaire et humoristique », parue en 1877, rédigée d’un bout à l’autre
    par un seul homme, le célèbre écrivain Ion Luca Caragiale. Six numéros parurent
    de cette revue, mais c’est dans cette revue que Caragiale publia pour la
    première fois quelques-unes de ces nouvelles, où il faisait connaître au public
    sa vision sur le risible de la politique politicienne. Les numéros d’Adevarul,
    La vérité, contiennent les premières correspondances de l’étranger publiées par
    un quotidien roumain. C’est encore le premier journal qui introduit la
    caricature de presse dans ses pages. La rédaction d’Adevarul s’est muni au fil
    du temps d’une bibliothèque propre, d’une maison d’édition, d’une archive
    extrêmement riche et même du premier palais, propriété de la rédaction d’un
    journal. Les journalistes de ce quotidien étaient bien rétribués, et c’était un
    vrai privilège de faire partie de sa rédaction. »


    Ces
    deux cents ans d’histoire de presse écrite roumaine constituent un héritage du
    passé autant qu’une promesse d’avenir. Confrontée au défi de l’internet et de
    la digitalisation, aux nouvelles technologies et aux nouveaux médias, la presse
    écrite fait encore et toujours son petit bout de chemin, malgré vents et marées. (Trad.
    Ionut Jugureanu)

  • Il était une fois Bucarest – La « braga » et les « bragagii »

    Il était une fois Bucarest – La « braga » et les « bragagii »

    « Ieftin ca braga/Aussi peu cher que la braga » est une phrase toujours utilisée en roumain, dans un langage familier, pour désigner des produits ou des services très accessibles en terme de prix à tout un chacun. L’origine de cette phrase est liée à une boisson rafraîchissante orientale, appelée « boza » dans les langues slaves et turque, que les Roumains avaient plébiscitée pendant des siècles pour son goût aigre-doux, avec une petite touche alcoolisée. La braga était préférée par les catégories de population moins aisées et notamment par les habitants de Bucarest, qui la sirotaient bien fraîche, même glacée, afin de faire face à la canicule estivale. Souvent, ils l’accompagnaient des célèbres « covrigi » – espèce de bretzels – que l’on peut toujours acheter dans les rues de la capitale. Pourtant, si la production et la consommation des covrigi n’ont pas connu de syncopes, la braga, elle, est devenue une rareté, surtout durant la dernière partie de la période communiste.

    Ce n’est que récemment, depuis juste quelques années, que la fabrication de cette boisson a repris, et les peu de « bragagii » – fabricants de braga – encore en vie ont ressorti les vieilles recettes pour les partager avec les nouveaux venus dans le métier.

    Dragoș Bogdan, qui est un d’entre eux, connait parfaitement l’histoire de la consommation de braga dans les Principautés roumaines : Il y avait jadis cette phrase – « aussi peu cher que la braga », qui se référait au prix très bas du produit, que tout un chacun pouvait acheter, mais aussi à la popularité de la boisson, très présente sur les foires, par exemple. Dans les campagnes, les bragagii arpentaient les villages en portant de gros seaux remplis de leur rafraichissement, sans se faire payer à chaque fois. Ils marquaient sur le chambranle de la porte d’entrée les verres de braga ingurgités par les enfants, qui jouaient dans la rue, et puis ils revenaient une semaine ou une dizaine de jours plus tard pour encaisser le sous dû par le père des enfants. La braga était tellement bon marché et consommée en une quantité telle, que le bragagiu était un habitué de la maison. Les temps modernes ont mis la braga en compétition avec les boissons rafraîchissantes qui apparaissent vers la fin du XIXème et le début du XXème siècle. Celles-ci étaient préparées dans de petites fabriques, à partir des recettes de boissons rafraîchissantes que nous connaissons si bien. Mis dans des bouteilles individuelles de capacité différente, ces rafraîchissements, que la main humaine n’avait pas touchés, ont poussé les fabricants à se faire de la pub, s’appuyant sur l’argument du respect des exigences de sécurité alimentaire. Cela explique peut-être pourquoi la braga a commencé à perdre du terrain devant les nouveaux-venus et à passer dans l’ombre. Cela est d’autant plus visible à Bucarest, y compris à cause de sa nouvelle qualité de capitale de la Grande Roumanie, que l’élite de l’époque veut transformer en une capitale d’un niveau européen. Une décision qui a non seulement enrichi la ville de bâtiments imposants et majestueux, mais qui a aussi voulu « nettoyer » les rues d’une partie des commerces ambulants. Les bragagii allaient donc migrer en quelque sorte vers la périphérie, devenant des habitués des faubourgs, qu’ils n’ont plus quittés. A la fin de la deuxième guerre mondiale et après l’installation du régime communiste en Roumanie, lorsque tout ce qui était commerce et production devient propriété de l’Etat, certains bragagii n’ont pas voulu se joindre aux coopératives ni aux fabriques de l’industrie alimentaire d’Etat, continuant à fabriquer leur braga de façon plus ou moins licite.

    Vers la fin des années 1980, la braga avait pratiquement disparu de Bucarest, où seulement les anciens bragagii la préparaient encore pour la famille et les ami. L’on avait cependant plus de chances de la savourer à Galați, Brăila, Turnu Severin et Giurgiu, des villes de régions danubiennes multiethniques, qui avaient entretenu des échanges culturels plus intenses avec les anciennes provinces de l’Empire ottoman.

    Mais comment prépare-t-on la braga ? Dragoș Bogdan répond à la question : En fait, tous les bragagii préparent à peu près la même chose, c’est-à-dire une boisson fermentée à base de céréales cuites à l’eau et mélangées ensuite avec du sucre ou du miel. Le mélange est filtré juste ce qu’il faut et puis il est laissé fermenter pendant quelques jours. La boisson doit être aigre-douce et un peu pétillante aussi. Mais chaque bragagiu a sa propre recette. Pourquoi ? Parce que c’est selon le goût de chacun. Si je constate que le produit final est meilleur en ajoutant ou en retirant un ingrédient ou en modifiant la quantité, je vais le préparer ainsi. Donc, les recettes de braga ne sont pas très strictes, mais le goût est à peu près le même, quel que soit le bragagiu. De toute façon, ils ne sont plus nombreux à travers le pays (…), mais ce qui est important c’est ce qui rapproche et ce qui différencie les variantes de la variante de base. Cela ne fait qu’enrichir l’héritage.

    Dragoș Bogdan veut partager sa passion pour la bragă et a ouvert sa propre « bragagerie/bar à braga » dans une zone historique de Bucarest, où il veut aussi renouer avec la gastronomie orientale prisée autrefois par les habitants de la capitale : Cette relation s’est construite dans le temps, parce que la braga a besoin de temps pour s’adapter et se faire connaitre, et plus on la connait plus on a des interrogations et des questions à poser. En 2013-2014, j’ai fait une recherche à travers les pays des Balkans qui avaient fait partie de l’Empire ottoman. J’ai cherché des recettes de Braga, des façons de la consommer, et j’ai constaté que là où elle existait, même si je ne connaissais pas la langue des lieux, les gens me traitaient comme si j’étais un frère ou quelqu’un de proche, avec lequel ils ont beaucoup de choses à partager. Je me suis donc rendu compte que la braga est un véhicule capable de nous transporter partout dans les Balkans et de nous rapprocher les uns des autres. Plus tard, en 2016, j’ai décidé d’ouvrir ma propre bragagerie, qui existe toujours, et d’y vendre ma propre production de bragă.

    Pour l’instant, c’est aussi l’un des peu nombreux endroits de Bucarest où l’on peut boire de la bragă artisanale, en espérant de pouvoir bientôt utiliser la phrase « ieftin ca braga/aussi peu cher que la braga » au sens très concret. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Le Pont de la Mogoșoaia

    Le Pont de la Mogoșoaia

    Baptisée Podul Mogoșoaiei/Le pont de la Mogoșoaia dès sa création autour de l’année 1689, cette artère de la ville a subi un grand nombre de transformations en profondeur durant ses presque 350 ans d’existence. Rebaptisée Calea Victoriei/l’avenue de la Victoire lorsque la Roumanie a gagné son indépendance suite à la guerre contre l’Empire ottoman de 1877-1878, elle porte les traces de toutes les étapes historiques vécues par Bucarest et la Roumanie au cours des trois derniers siècles. Calea Victoriei a été mentionnée par des auteurs roumains et étrangers dans des centaines de livres, et certains épisodes racontés par ces auteurs circulent aujourd’hui en tant que légendes urbaines.

    Un tel livre, devenu classique, s’intitule « Podul Mogoșoaiei. Povestea unei străzi/Le pont de la Mogoșoaia. L’histoire d’une rue », écrit par le diplomate Gheorghe Cruţescu. De nombreuses voix considèrent que c’est le plus bel ouvrage dédié à Calea Victoriei, principalement grâce au style de l’auteur, puisque Gheorghe Cruțescu n’était ni historien ni homme de lettres, mais un diplomate qui écrivait bien. Né en 1890 dans une famille de propriétaires terriens moyens, il était le petit-fils du colonel Lăcusteanu, le commandant du premier bataillon de l’armée roumaine créé en 1830 et un des révolutionnaires fervents de 1848. Gheorghe Cruțescu fait des études de droit à Paris, où il obtient son diplôme en 1915, et en 1916 il est volontaire sur le front de la Grande Guerre. Lorsque la paix revient dans le monde, il rejoint le ministère des Affaires étrangères de Bucarest et se voit nommer attaché de légation. Son dernier poste a été à Stockholm, durant la deuxième guerre mondiale, mais il a refusé de quitter la capitale suédoise pour rentrer en Roumanie en 1947, lorsque le régime communiste s’est installé à Bucarest. Gheorghe Cruţescu est mort, parait-il, le 30 décembre 1950, à Mougins, dans le sud de la France.Cătălin Strat, qui est le rédacteur de l’édition 2022 du volume « Podul Mogoșoaiei. Povestea unei străzi », explique le succès de ce livre particulier : « Gheorghe Cruțescu était un passionné d’histoire, pas un chercheur ni un universitaire. Je crois plutôt que ce qu’il voulait c’était de sauvegarder une partie de l’histoire orale de son temps, de préserver les histoires racontées au sein de sa classe sociale, et qui sont délicieuses, pour les raconter dans un livre. Et il l’a fait dans ce merveilleux livre qu’est « Podul Mogoșoaiei », un extraordinaire montage de micro-histoires bucarestoises. C’est l’histoire de l’avenue de la Victoire, certes, mais c’est aussi l’histoire de Bucarest, de la modernisation de la ville, de l’évolution de la société locale, depuis sa variante orientale à celle occidentale, très sophistiquée. C’est l’histoire des vêtements, de la vie quotidienne, c’est – si vous voulez – une sorte d’histoire des mentalités avant la lettre. C’est une histoire des institutions et des petites choses avant que ces disciplines se différencient à l’intérieur du vaste domaine qu’est l’étude de l’histoire. »

    Cătălin Strat nous sert de guide pour une balade imaginaire le long de l’avenue de la Victoire, en empruntant le parcours décrit par Gheorghe Cruţescu dans son livre et dont le point de départ est le quai de la Dâmbovița. L’idée était de trouver des bâtiments emblématiques mentionnés dans le livre de 1943 et qui sont encore debout : « Il commence effectivement sa balade au bout de l’avenue qui donne sur la Place Națiunilor Unite/des Nations Unies et nous pourrions imaginer des voyageurs ou des visiteurs de la ville qui se promènent en compagnie de Cruţescu. Il était quelqu’un d’une grande qualité humaine, très sympathique et très drôle, et ça c’est visible dans les explications de son merveilleux livre. Il nous reste encore, bien-sûr, des bâtiments des temps anciens : le Palais de la Caisse d’épargnes, l’Église Zlătari, sur laquelle l’auteur pose un regard un peu critique, en disant qu’elle ressemble à un jeu de cubes en bois. Il y a ensuite le bâtiment du Cercle militaire, érigé sur l’ancien emplacement du monastère et de l’église du Sărindar, l’hôtel et restaurant Capșa, dont il raconte l’histoire particulière d’une manière très amusante. Le bâtiment du Théâtre national n’existe malheureusement plus, mais nous avons un chapitre bien fourni sur le commencement de l’activité théâtrale chez nous. Il nous reste encore les passages couverts, l’Hôtel Continental. Le Palais royal n’a plus la forme décrite par Gheorghe Cruţescu, car un tas de changements séparent l’ancien hôtel particulier Golescu de l’édifice actuel. Le Palais royal a brûlé en décembre 1926 et il a été reconstruit dans sa forme actuelle par l’architecte Nenciulescu. L’Athénée roumain est debout à la place de l’ancien Jardin de l’Evêché, qui abritait une statue du général Emanuel Florescu. L’Hôtel Athénée Palace est toujours à sa place, mais à l’entre-deux-guerres sa façade Beaux-Arts a été remplacée par Duiliu Marcu avec une façade dans un style vaguement Art Déco. Nous retrouvons toutes les églises mentionnées par l’auteur de mémoires Kretzulescu, par exemple Biserica Albă-l’église Blanche. Et puis il nous reste des hôtels particuliers d’anciens boyards- Casa/La Maison Cesianu, Casa Grădișteanu. D’autres bâtiments ont disparu, tandis que d’autres ont été remplacés par de nouvelles constructions. »

    « Podul Mogoșoaiei. Povestea unei străzi » raconte aujourd’hui le centre-ville de Bucarest à la génération des Millennials. C’est l’histoire d’une actualité débutée il y a environ 350 ans. (Trad. Ileana Ţăroi)

  • Maguy Roy (France) – Le dialecte aroumain

    Maguy Roy (France) – Le dialecte aroumain

    Selon certains chercheurs, l’aroumain, le mégléno-roumain et l’istroroumain constituent, aux côtés du dacoroumain, les quatre dialectes de la langue roumaine. En effet, en Roumanie et en République de Moldova, nous parlons le « daco-roumain », les Daces étant les ancêtres des Roumains tout comme les Gaulois sont les ancêtres des Français. Pour simplifier, alors que le daco-roumain s’est constitué et est utilisé au nord du Danube, les autres dialectes se sont constitués et sont encore parlés dans des régions isolées des Balkans, en raison du passage des différents peuples migrateurs, notamment les slaves. Ces derniers ont préféré s’installer dans les plaines alors que la population latinisée s’est retranchée dans les montagnes. C’est pourquoi l’aroumain est parlé dans les régions montagneuses du nord de la Grèce, mais cette population a migré aussi vers le centre continental du pays suivant le massif du Pinde, et a fondé des villages même dans les îles Ioniennes, en Céphalonie.

    Ces communautés sont aussi présentes dans le sud de l’Albanie et de la Macédoine du nord, ainsi que dans le sud-ouest de la Bulgarie et selon les estimations, on dénombre au total quelque 250 000 locuteurs d’aroumain. Le mégléno-roumain, ou le méglénite, compte moins de 3 000 locuteurs recensés dans une région de montagne entre la Grèce et la Macédoine du Nord. Enfin en 2001, l’istro-roumain était parlé par moins d’un millier de personnes dans huit villages seulement de la péninsule d’Istrie, en Croatie. Selon la théorie la plus répandue actuellement, les Aroumains, tout comme les autres locuteurs de langues romanes de l’est, descendraient directement des Thraces latinisés. Certes, il existe une série d’autres théories issues de chaque pays où vivent ces populations, des discours variés qui se sont propagés durant différentes périodes historiques. En réalité, actuellement le nombre de locuteurs de ces trois langues est de plus en plus réduit puisqu’ils sont en voie d’intégration, dans tous les pays où ils sont présents, y compris en Roumanie. Mais comment et quand est arrivée cette population du sud du Danube en Roumanie, soit au nord du fleuve ? Sachez d’abord que les Aroumains étaient principalement éleveurs de moutons et bergers et pratiquaient la transhumance, c’est-à-dire qu’ils sillonnaient avec leurs troupeaux tous les massifs des Balkans. Au Moyen-Âge, ils sont arrivés dans les principautés roumaines. D’autres s’y sont établis dès le Moyen-Âge, lorsqu’ils ont vu leurs villes des Balkans détruites par les Ottomans.

    Puis la Roumanie moderne a ouvert, dans la seconde moitié du 19e siècle, une centaine d’écoles en langue roumaine en Grèce, en Macédoine et en Albanie afin d’éduquer les Aroumains en langue roumaine. Des écoles, collèges et lycées à enseignement roumain en Grèce ont été financées par la Roumanie jusqu’après la Seconde Guerre Mondiale. Pourquoi cet intérêt de Bucarest pour ces populations ? Et bien le jeune Etat-nation roumain cherchait à éveiller une conscience nationale roumaine parmi les Aroumains. Pour ceux-ci, la langue roumaine était la langue la plus proche de leur langue maternelle qui pouvait être utilisée à l’école, puisque l’aroumain littéraire unitaire n’existait pas à l’époque. Qui plus est, leur identité était contestée dans des Etats tels la Grèce, qui les considéraient comme des grecs latinisés, position que cet Etat maintient encore de nos jours. C’est pourquoi ce rapprochement entre les Aroumains et le petit mais ambitieux Royaume de Roumanie s’est poursuivi et renforcé après la Première guerre mondiale et la création de la Grande Roumanie – un véritable poids-lourd de l’Europe de l’est à l’époque.

    Nombre d’Aroumains avaient décidé de s’installer en Roumanie, attirés par les opportunités que celle-ci leur offrait. Parmi elle, celle de pouvoir s’installer dans la région du Quadrilatère, soit le sud de la Dobroudja, que la Roumanie avait obtenu à la fin de la deuxième guerre balkanique. Afin de modifier la composante ethnique de cette région et de la « roumaniser », les autorités de Bucarest ont encouragé les Aroumains des Balkans à s’y établir. Ceux qui l’ont fait l’ont quittée en 1940 lorsque la Roumanie a été contrainte de rétrocéder ce territoire à la Bulgarie sous la pression d’Hitler. Par conséquent, à l’heure actuelle, une certaine partie des habitants des régions de Tulcea et de Constanta, – soit entre 10 et 15% – parle l’aroumain alors que la ville portuaire de Constanta sur les rives de la mer Noire est un centre actif de la culture aroumaine renaissante d’après 1990. Tout au long de l’histoire de la Roumanie, nombre de personnalités politiques, culturelles et sportives ont été des Aroumains ou bien ont eu des origines aroumaines. Pour ne donner que deux exemples très actuels dans le domaine sportif : la joueuse de tennis Simona Halep et le footballeur Gheorghe Hagi sont Aroumains.

    Les Aroumains sont-ils une minorité nationale en Roumanie ? Et bien non, puisque du point de vue légal, ils font et ont effectivement toujours fait partie de la nation roumaine dans le sens ethnique du terme. C’est précisément pour cela que les autorités de Bucarest soutiennent la culture et l’identité aroumaine par différents moyens, dont la radio publique et Radio Roumanie Internationale. Dans les Balkans, la Macédoine du nord et l’Albanie reconnaissent les Aroumains comme minorité nationale et l’aroumain est enseigné dans quelques écoles étant utilisé durant les services religieux et dans les émissions de télévision et de radio. Evidemment, l’histoire et le rôle qu’ont joué ces peuples dans l’histoire des Balkans ne peuvent pas être racontées en quelques minutes seulement, mais j’espère avoir réussi à résumer en quelque sorte ce que signifie « dialecte aroumain », une langue très similaire à la langue roumaine qui a certes reculé dans différentes régions, mais qui subsiste toujours. Et nous espérons bien que les émissions de Radio Roumanie International contribuent elles aussi à la préservation de cette langue qui ne fait qu’enrichir le patrimoine culturel européen.

  • Nature et politique dans la Roumanie du 19e siècle

    Nature et politique dans la Roumanie du 19e siècle

    Le rapport entre l’homme et la nature, la manière dont l’homme se rapportait à la nature a depuis toujours constitué un grand sujet de réflexion. A partir du 18e siècle, l’homme moderne commence à redécouvrir et à se réapproprier la nature. Le surnaturel, la divinité, qui semblaient régenter jusqu’alors la nature laissent la place à la science. La nature se fraie aussi une place dans le débat politique. Les théories politiques, qu’elles soient conservatrices ou modernisatrices, ne peuvent plus faire fi du concept. La nature s’invite au débat politique, qu’elle ne quitte plus depuis.

    Il n’en sera pas autrement en Roumanie. Les intellectuels roumains, francophiles et francophones convaincus, vont importer les thématiques qui sont en vogue dans la philosophie politique française. Et le thème de la nature n’est pas en reste, demeurant essentiel pour situer l’humain dans ses rapports avec l’environnement qui l’entoure, et dans lequel il évolue. La professeure Raluca Alexandrescu de la Faculté des Sciences Politiques de l’université de Bucarest nous invite à faire un plongeon dans les origines des débats des idées politiques dans l’espace roumain d’alors : « Dès 1850, le discours politique européen intègre le concept de nature. Prenez un auteur de référence de l’époque, ce que l’on peut appeler une autorité : Jules Michelet. Même sa réflexion change après 1851, son discours, tout comme son domaine d’étude de prédilection ».

    L’un des premiers penseurs qui avait introduit le concept de nature dans la réflexion politique dans l’espace roumain a été l’ingénieur, le géographe et l’écrivain Nestor Urechia. Raluca Alexandrescu a fait œuvre d’archéologie culturelle, et tente aujourd’hui de faire redécouvrir, aux initiésb et au public large, l’œuvre d Urechia. Raluca Alexandrescu : « Nestor Urechia était le fils de V. A. Urechia. Un auteur important à plus d’un titre, un auteur qui interpelle de plus en plus les historiens, les politologues, les anthropologues d’aujourd’hui. Mais un auteur plutôt ignoré jusqu’à très récemment. C’est un polytechnicien formé à Paris, diplômé des Ponts et Chaussées. La Nationale 1, c’est son œuvre. Il dirige les travaux entre 1902 et 1913. Et c’est un francophile passionné. Sa femme était d’ailleurs française. Et un montagnard tout aussi passionné, un amoureux de la nature. Et ces passions s’agencent d’une manière heureuse, et nourrissent une réflexion de haut vol ».

    Urechia invite le lecteur à réfléchir sur le rapport qui se noue entre des concepts aussi disparates que le territoire, la nature, la démocratie, ou encore la souveraineté. Raluca Alexandrescu :« Vous savez, l’on pourrait dire qu’on est devant un écologiste avant la lettre. Urechia analyse la nature dans ses rapports avec l’humain. Mais il va au-delà de ce qu’on pourrait appeler aujourd’hui une perspective écolo militante : la protection de l’environnement, comment le protéger au mieux. Il va plus loin, en essayant d’avancer des propositions qui prônent la cohabitation pacifique avec la nature, un concept complètement novateur pour l’époque. Il conçoit l’homme et la nature comme deux partenaires, bénéficiant des droits égaux, qui jouent sur une même scène, selon les lois d’un régime politique harmonieux. »

    Pour ce qui est du sentiment national, de l’appartenance nationale, Nestor Urechia s’avère tout aussi révolutionnaire dans les concepts qu’il avance. Raluca Alexandrescu : « Ses idées sur l’identité nationale ressortent surtout de son œuvre littéraire. Il publie en effet une série de romans d’aventures qui ont tous en toile de fond les monts Bucegi. Et de ses tentatives littéraires ressort en fait le dessein de bâtir l’identité nationale de cette relation complexe qu’entretiennent l’homme et la nature, dans la manière dont la dernière façonne le premier, dans leur interdépendance. On est à la croisée du champ de la nature et du champ du politique. »

    Un siècle et demi plus tard, l’homme moderne, incapable plus que jamais de se départir de son milieu naturel, vit aujourd’hui toujours à la croisée de ces deux champs. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • L’assassinat d’Armand Călinescu

    L’assassinat d’Armand Călinescu

    Le premier ministre et sa garde de corps tomberont sous la rafale de 21 balles tirées par les assaillants. L’action du commando légionnaire voulait venger de la sorte la mort de son leader, Corneliu Zelea Codreanu, arrêté, puis tué par la police, sous escorte, au mois de novembre 1938. Armand Calinescu, ministre de l’Intérieur au moment de l’assassinat, en était tenu responsable par les partisans de Codreanu. Après avoir accompli son forfait, le commando s’est ensuite dirigé vers le siège de la Radio, pour faire une déclaration. Vasile Ionescu, l’un des responsables de la Radio roumaine de 1935 à 1945, avait assisté à la descente des légionnaires au siège de la Radio. Dans une interview réalisée en 1974, il raconte la scène : « J’étais le directeur général adjoint de la Radio roumaine, et au moment de la descente des légionnaires je me trouvais dans mon bureau, situé au premier étage. J’avais comme toujours le poste de radio allumé, j’écoutais les émissions que l’on diffusait. A ce moment-là, les actualités venaient de s’achever, et la radio diffusait le prélude d’une aire d’opéra, joué par l’orchestre de la radio, dirigée à l’époque par le célèbre Constantin Bobescu ».

    En dépit de la surprise et de la violence employés par le commando légionnaire dans l’exécution de la mission qu’il s’était assignée, le personnel de la Radio roumaine était finalement parvenu à les empêcher de mener à bien leur dessein. Vasile Ionescu : « J’entends tout un coup le bruit de deux coups de révolver. Le bruit parvenait depuis l’entrée du bâtiment de la Radio. Je me jette vers la fenêtre, je l’ouvre, et demande des éclaircissements aux gens qui s’amassaient sur le trottoir, devant l’entrée. Et l’on me répond : « Ce sont les légionnaires ». Je comprends tout de suite que l’on était attaqué. L’orchestre continuait pourtant de jouer, comme si de rien n’était, je l’entendais sur mon poste. Et puis, alors que je revenais depuis la fenêtre et que me dirigeais vers la porte, j’entends sur les ondes un drôle de bruit, suivi d’une voix étranglée qui s’exclame : « Le premier-ministre Armand Calinescu a été… ». Mais le mec n’est pas parvenu à achever sa phrase. Dès que j’entends ce début de phrase, j’appuie sur le bouton de panique, qui produisait un court-circuit, et mettait le micro hors service. Je déclenche aussi l’alarme, qui avait été installée précisément pour parer à ce genre d’occurrence ».

    En ce mois de septembre 39, la Seconde Guerre mondiale venait juste de commencer. La Roumanie, encore neutre, prenait déjà des mesures de précaution, et la militarisation des institutions publiques clées en faisait partie. Entre autres, la direction de la Radio allait passer sous commandement militaire. Vasile Ionescu : « J’étais tout remué par ce que je venais de vivre. J’ai dévalé les marches à toute vitesse et, une fois arrivé au rez-de-chaussée, j’avais pris le commandement des gardes qui se trouvaient sur place, à l’entrée. J’ai fait mettre les gens en dispositif, devant la porte d’entrée du studio, là où le commando s’était retranché. J’avais à ma suite un gradé de l’armée, mais aussi un chauffeur, Coşciug Theodor, et le concierge Crâşmaru Vasile, les deux armés ».

    Et c’est bien cette troupe improbable qui se lance à désarmer et à mettre hors état de nuire le commando légionnaire. Vasile Ionescu : « Je vois s’ouvrir d’un coup la porte du studio où s’étaient retranchés les mecs. Ils avaient l’air perdu, complétement sonnés. C’est moi qui ai hurlé : « Haut les mains, sinon je tire ! ». J’avais juste mes lunettes à la main. Mais mes compagnons, qui me suivaient de près, les ont tout de suite pris en joue. Je n’ai pas eu le temps de répéter la somation que le type qui était devant moi, et qui était le meneur de la bande, Miti Dumitrescu, a tout de suite jeté son arme. Les autres lui ont emboîté le pas, tous les 7. »

    Une fois la menace annihilée, Ionescu et ses compagnons s’empressent de sécuriser le périmètre : « Les gardes sont rapidement arrivées en nombre et les ont immobilisés. On a ensuite appelé la préfecture de police, puis je suis allé voir les musiciens de l’orchestre, qui étaient anéantis par la scène qu’ils venaient de vivre. Le directeur de l’orchestre, Constantin Bobescu, s’était figé, sa baguette à la main. Il était incapable de sortir le moindre son, incapable de bouger, tellement il était effrayé. La pianiste, madame Voicu, me montre alors ce que les tueurs avaient déposé dans une niche, qui cachait un fichet, et que l’orchestre utilisait pour entreposer les partitions. Et là, je découvre une machine infernale, dotée d’une mèche, qui était allumée. La mèche brûlait déjà. Longue de 30, 40 centimètres. Vous imaginez que mon premier réflexe a été d’éteindre la mèche, de désamorcer la bombe. Je l’ai éteinte, je l’ai écrasé sous les semelles de mes chaussures ».

    Les tueurs du premier-ministre Armand Călinescu seront exécutés sous peu, en l’absence de tout procès légal. Mais cet épisode marque pour la Roumanie son entrée de plein pied dans l’époque des horreurs de la Seconde Guerre mondiale. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Les jeunesses légionnaires, ou les confréries de Croix

    Les jeunesses légionnaires, ou les confréries de Croix

    Le XXe siècle a fait le lit de ces deux formes terribles de totalitarisme qu’ont été le communisme et le fascisme. Ce fut le siècle qui a mis la démocratie à rude épreuve, alors que les totalitarismes florissaient, et se voyaient embrassées par des foules enthousiastes. La Roumanie n’avait pas été épargnée par la tendance totalitaire qui n’allait pas tarder d’embraser le monde. Le mouvement légionnaire roumain, d’extrême droite, et son bras politique, la Garde de Fer, se sont rangés parmi les courants idéologiques et politiques les plus radicaux dans leur genre. Les confréries de Croix firent leur apparition dès 1923, à l’initiative de Corneliu Zelea Codreanu, futur leader de la Garde de Fer, sous la forme d’associations de jeunesse regroupant les jeunes nationalistes. Ces organisations devinrent très vite le creuset du fanatisme totalitaire, version extrême droite.

    Le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine a récolté après 1990 plusieurs témoignages d’anciens membres de ces organisations. Aussi, en 1997, Alexandru Băncescu, originaire de la ville de Câmpulung Moldovenesc, se rappelait, avec une certaine nostalgie, du sentiment de solidarité qui unissait les membres de son mouvement :« L’idéologie légionnaire constituait notre lient. Nous priions souvent ensemble, et puis il y avait ce que l’on appelait « la minute de l’amitié », une sorte de confession publique, de thérapie de groupe. C’était le moment où chacun regardait en soi, et confessait ses défauts, ses travers, et il se faisait aider par ses camarades pour s’en affranchir. Et puis il y avait aussi les camps, organisés par nos confréries dans des régions montagneuses, à Rarău, à Moara Dracului, le Moulin du Diable en français, où nous nous réunissions pour vivre ce sentiment de fraternité, de partage, de communion, et en profiter pour nous raffermir le corps et l’esprit. On se réunissait, et on parlait de notre nation, de notre histoire, on chantait, et on communiait ensemble ».

    C’est en 1999 que Mircea Dumitrescu, originaire de Bucarest, racontait son initiation, à 13 ans, dans les Jeunesses légionnaires : « J’avais approché le mouvement par la lecture, et grâce aux échanges que j’avais avec des collègues d’école et des copains. J’avais lu le manifeste intitulé « Aux membres de la Légion », écrit par Corneliu Zelea Codreanu. Et aussi, la « Confrérie de Croix », de Gheorghe Istrate, et « Foi de ma génération » d’Ion Mota, ou encore « Du monde légionnaire », et bien d’autres fascicules encore. Ces livres paraissaient souvent en samizdat, et étaient distribués en douce. Je connaissais certains de leurs éditeurs. L’un d’entre eux a été tué par la police du roi Carol II en 1939. Je le connaissais bien, je connaissais son père aussi. Il y avait aussi les frères Stan, détenteurs d’un doctorat en économie. Je les avais rencontrés grâce à mon père, par l’intermédiaire de ses amis ».

    Ces fratries devinrent bien vite le creuset de la spiritualité légionnaire, le creuset de cette homme nouveau, pur et héroïque, vanté par la propagande légionnaire. Mircea Dumitrescu :« Pour y parvenir, il fallait tout d’abord embrasser intensément la pratique religieuse orthodoxe. Il fallait dédier à Dieu une quarantième de sa journée. Sur 24 heures, cela fait 36 minutes. Il fallait donc dédier ces minutes à sa relation avec Dieu. Lire le Nouveau Testament, par exemple ; Repasser en revue sa journée, les actions accomplies, et les jauger à l’aune des Saintes Ecritures, pour comprendre ses errements, ses erreurs, ses péchés éventuels. Puis, l’on nous disait que l’on ne pouvait nouer une véritable relation avec Dieu, à moins de nouer d’abord une relation de confiance, de sincérité et de partage avec notre prochain. Alors, une quarantaine de nos dépenses, il fallait les réserver pour aider son prochain. Prenez, si l’on a mangé une glace qui avait coûté 40 francs, il fallait mettre de côté 1 franc pour celui qui se trouve dans le besoin. Et c’est ce qu’on faisait. Parce qu’il y avait des contrôles, cela ne rigolait pas. Il fallait noter dans un calepin ses dépenses, son emploi de temps. Et ce calpin, on l’appelait « notre carnet » ».

    L’éducation chrétienne instillée dans le chef de cette jeune génération, sous-tendue d’une exigence éthique permanente, était vouée à forger la nouvelle élite du pays. Dans son interview de 1994, le prêtre Ilie Ținta, ancien membre de la fratrie, détaillait la manière dont le processus de sélection et d’embrigadement se déroulait : « En règle générale, l’on ne sélectionnait que les bons élèves, au comportement exemplaire. Des cancres, on n’avait que faire. À la suite de la répression des années 38, 39, nos rangs s’étaient quelque peu clairsemés. La Sûreté de l’Etat nous avait à l’œil, et nous prenait en chasse. Mais le mouvement était parvenu à survivre. Et puis, en 1940, le mouvement a pris le pouvoir, pour un bref laps de temps, à l’occasion de la constitution du gouvernement national-légionnaire, dirigé par le général Antonescu. A l’époque, je dirigeais l’organisation de la Fratrie de Croix du Séminaire Nifon, de Bucarest ».

    Le fascisme, défait en 1945, laissara la place au communisme. Un totalitarisme chassa l’autre. La plupart des survivants des Jeunesses légionnaires passèrent de longues années dans les geôles communistes. Malgré tout, certains parvinrent toutefois à constituer l’une des branches les plus combatives de la résistance anticommuniste de l’après-guerre. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Jacques Augustin – “d’où est née l’amitié entre la Roumanie et la République de Moldova?”

    Jacques Augustin – “d’où est née l’amitié entre la Roumanie et la République de Moldova?”

    Mais de temps en temps, il faut rappeler certains repères historiques. Eh bien, l’actuelle République de Moldova faisait partie jusqu’au début du 19e siècle de la principauté médiévale de Moldavie. Durant la période des guerres napoléoniennes et à l’issue d’une guerre russo-turque – soit en 1812 – l’Empire des Tsars s’empare du territoire délimité grossièrement par les rivières Prut à l’ouest et Dniestr à l’est, soit la partie est de la principauté de Moldavie, à l’époque vassale de l’Empire Ottoman. Pendant plus d’un siècle, la région est une province de l’Empire des Tsars, soumise à un processus de « russification » de la population locale, doublé par l’installation de Russes et d’Ukrainiens. Selon les recensements réalisés à la fin du 19e siècle, moins de la moitié de la population se déclarait roumaine ou moldave. Entre temps, l’union des principautés roumaines de Valachie et de Moldavie, en 1859, donne naissance à la Roumanie. A la fin de la Première guerre mondiale, sur la toile de fond du chaos produit par la révolution bolchévique, tous les peuples de la Bessarabie votent pour l’indépendance du pays et puis pour l’union avec le Royaume de Roumanie.

    Pendant une vingtaine d’années, la région fait partie de ce que l’on appelle « la Grande Roumanie » et connait un certain développement par rapport au siècle dernier lorsqu’elle avait tout simplement un statut de grenier. Les chemins de fer sont adaptés aux normes européennes et les écoles bénéficient de davantage de financements. Mais l’attention des autorités de Bucarest est rivée sur la Transylvanie, et la Bessarabie demeure une véritable cendrillon parmi les régions du pays. Le status quo change dramatiquement en 1940, lorsqu’en vertu des accords secrets entre Hitler et Staline, l’Union Soviétique occupe la région suite à un ultimatum lancé aux autorités de Bucarest. Récupérée par la Roumanie, pour trois années seulement durant la Seconde guerre mondiale, la Bessarabie est à nouveau occupée par l’URSS qui la transforme en République socialiste soviétique et entame un processus de russification encore plus intense que celui déroulé par l’Empire des Tsars avec la déportation des Roumains et l’installation de colons russes.

    Economiquement, la République socialiste soviétique moldave demeure un pays agraire, dont les principales industries et sources d’énergie se retrouvent sur la rive gauche de la rivière Dniestr. Et voilà qu’avec la chute de l’URSS en 1991, la République de Moldova déclare son indépendance. Avec deux tiers des habitants roumanophones, le pays aurait pu s’unir avec la Roumanie, comme ce fut le cas en 1919. Mais la situation était beaucoup plus compliquée. La population russophone n’est pas du tout insignifiante, les liens économiques avec les autres Etats ex-soviétiques, et surtout avec la Russie, sont très importants et la petite république doit aussi faire face à la sécession de la Transnistrie, soit le territoire situé à l’est de la rivière Dniestr, qui détenait à l’époque toute l’industrie et surtout toutes les sources d’énergie du pays. Des combats ont opposé les forces de Chisinau aux séparatistes épaulés par l’armée russe. Le pays le plus pauvre d’Europe a connu des périodes très difficiles ces vingt dernières années avec des crises économiques ou politiques et évidemment des scandales de corruption. L’alternance entre les politiciens pro-russes et pro-européens place le pays dans un état d’oscillation entre l’ouest et l’est, entre l’Occident et la Russie. Le seul élément constant dans toute cette incertitude a été l’appui de la Roumanie.

    Le « soft power » de Bucarest se traduit par des aides humanitaires, des financements non-remboursables et des bourses d’étude. La nationalité roumaine accordée à tout citoyen de la République de Moldova est un autre aspect à ne pas négliger, vu que le passeport roumain assure l’accès des ressortissants de ce pays au marché de l’emploi de l’UE. Sur le plan énergétique, un gazoduc entre la Roumanie et la République de Moldova a été construit et depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la petite république ex-soviétique a été branchée au réseau énergétique européen, qui inclut aussi la Roumanie. L’aide accordée par la Roumanie à la République de Moldova a visé plusieurs domaines dont notamment l’enseignement et la santé. Je ne vais donner que quelques exemples concrets. Durant la pandémie, la Roumanie a livré à la République de Moldova des aides humanitaires sous la forme de fournitures sanitaires et de vaccins anti-covid. Conformément au site du ministère des Affaires Etrangères de Bucarest, grâce aux aides offertes par la Roumanie, 200 minibus scolaires ont été achetés et un millier de maternelles ont été rénovées partout dans le le pays, y compris dans la minuscule région autonome moldave de Gagaouzie. L’aide de Bucarest ne tient compte ni de l’ethnicité des bénéficiaires, ni de la langue dans laquelle ils s’expriment, ni de leur opinion politique. Et ce n’est pas tout, puisque la Roumanie est l’avocat le plus actif de la République de Moldova dans ses efforts d’adhérer à l’Union Européenne.

    D’ailleurs dès le début de la crise ukrainienne, plusieurs donateurs européens et internationaux dont l’Allemagne, la France et la Roumanie ont mis en place une plateforme d’aide à la République de Moldova dans le contexte de la guerre en Ukraine. Désormais, les liens entre les deux Etats devraient se renforcer vu que la République de Moldova semble avoir un parcours européen stable grâce à la présidente pro-européenne Maia Sandu. D’ailleurs, dans le contexte de la crise ukrainienne, l’ex République soviétique a accédé au statut de pays candidat à l’UE. En fin de compte, la frontière entre les deux Etats devrait disparaitre de facto suite à son intégration à l’UE.

  • Tourisme au Maroc pour les Roumains

    Tourisme au Maroc pour les Roumains

    En quête de destinations ? Un tour à la Foire du tourisme peut très bien vous donner des idées. Cette année, le Maroc ? Cest là que jai rencontré Rachid En Naciri, Directeur de lOffice national marocain du tourisme en Europe de lEst.