Tag: littérature

  • Dictionnaire des lieux littéraires de Bucarest

    Dictionnaire des lieux littéraires de Bucarest

    Le Dictionnaire des lieux littéraires de Bucarest,
    cosigné par Andreea Răsuceanu et Corina Ciocârlie, raconte 167 histoires de la
    cité littéraire. Au départ, les deux autrices avaient inventorié près de deux
    mille lieux et légendes urbaines liées à des personnages des belles-lettres roumaines,
    à la géographie réelle et littéraire de la capitale. « Qu’ils relèvent de la réalité ou de la
    fiction, boulevards, rues, allées se bifurquent et se répondent, donnant
    naissance à des histoires qui s’entremêlent. Cette flânerie littéraire sur les
    traces des personnages nous emmène tantôt Place Romană et sur le marché Amzei,
    tantôt à l’Athénée ou encore dans le jardin public de Herăstrău, dans les
    quartiers de Cotroceni ou de Dudeşti. A la fin, une sorte de carte virtuelle de
    Bucarest se dessine, permettant au lecteur de se repérer dans ses promenades
    urbaines et livresques »
    , écrivent les autrices du Dictionnaire des
    lieux littéraires de Bucarest, Andreea Răsuceanu et Corina Ciocârlie.


    L’Avenue Victoriei, la rue Mântuleasa, les parcs Ioanid
    et Cişmigiu, l’Auberge de Manuc, la Chaussée Virtuţii, l’Avenue Văcăreşti, la
    maison de la rue Sirenelor, l’Hôtel Universal, la Gare de l’Est, ce ne sont que
    quelques-uns des endroits de la capitale à retrouver dans ce dictionnaire.
    Andreea Răsuceanu, écrivaine et critique littéraire nous en dit davantage : «Au
    tout début, nous avons eu un petit
    moment de panique face à la perspective assez effrayante de relire la majeure
    partie des écrits littéraires, ce que nous avons fait, d’ailleurs. On a décidé
    de commencer par certains noyaux. On a donc relu la littérature roumaine du
    XIXe siècle, puis on s’est arrêté sur les écrivains de l’entre-deux-guerres -
    un moment d’intenses tractations – pour arriver aux auteurs contemporains.
    Comme j’avais déjà écrit sur certains de ces derniers, j’ai tenté de ne plus
    revenir sur les noms évoqués antérieurement. Corina Ciocârlie a été une
    partenaire extraordinaire. Nous avons partagé le même enthousiasme et surtout
    une énorme passion pour la ville de Bucarest et ses histoires. C’est là, je
    crois, le secret de ce livre. En plus, l’une a complété tout naturellement l’autre,
    car, cette fois-ci, j’ai souhaité explorer la banlieue bucarestoise, alors que Corina
    s’est confinée aux quartiers huppés. Moi, je me suis proposé de dépeindre la
    ville pittoresque, celle des faubourgs. J’ai tenu à parler de la Fosse de Cuţarida
    (lieu baptisé d’après le nom de l’ingénieur Nicolae Cuţarida, personnage
    présent dans le roman « Groapa », de Eugen Barbu, paru en 1957 et
    traduit en français sous les titres « La Fosse » ou « Le Grand
    Dépotoir »), de la zone dite Buzeşti, avec ses charmantes guinguettes qui
    « font ouvrir les yeux sur la vie », pour citer un personnage. J’ai
    également consacré des pages à la banlieue Filantropia, à l’Avenue Griviţei, une
    zone pas encore cartographiée, un terrain vague qui rend compte du devenir
    urbanistique de la ville. »


    Le Dictionnaire des lieux littéraires de Bucarest se
    veut « une revanche pour la ville mutilée, agressée, disparue », précise Corina
    Ciocârlie, critique littéraire et docteur en philologie : « Dans notre dictionnaire, le quartier Uranus est
    toujours là, pas encore démoli, la Maison de la Presse libre, initialement
    connue sous le nom de Casa Scânteii, n’a pas pris la place de l’hippodrome de Băneasa,
    la Salle Dalles garde toujours sa façade moderniste des années ’30, tandis que,
    derrière l’hôtel Lido, on devine l’agitation des bucarestois venus profiter de
    la fameuse piscine à vagues. Petit exercice d’imagination : si l’on
    regardait par les fenêtres de la librairie Humanitas Cişmigiu, qui nous
    accueille ce soir, on verrait cette belle artère qu’est le Boulevard de la Reine
    Elisabeth. Tout un spectacle se dévoilerait à nos yeux : affiches
    multicolores, enseignes lumineuses, tenues et coiffures excentriques, passions
    amoureuses, adultères et trahisons comme on en voit au cinéma. Sur les
    trottoirs du boulevard, entre, d’une part, le Parc Cişmigiu et la brasserie Gambrinus
    et, de l’autre, le cinéma Capitol et le Palais du Cercle militaire, défilerait
    le beau monde de la Belle époque. Rien d’étonnant à ce que l’on croise tel ou
    tel personnage de roman : Nory Baldovin (protagoniste du roman Rădăcini, Racines,
    écrit par Hortensia Papadat Bengescu et paru en 1938), Emilia Răchitaru ou bien
    Madame T (personnages du roman homonyme, publié par Camil Petrescu en 1933).
    Rien ne serait terne, ni ennuyeux : pas de façades décrépies, ni de salles de
    cinémas fermées. Et puis, l’héroïne du roman Fontana di Trevi, de l’écrivaine Gabriela
    Adameşteanu, Letiţia Branea de son nom, récemment revenue de Paris, ne
    regretterait plus « le paysage désolant du boulevard Elisabeta, avec ses
    édifices aux façades écorchées et aux corniches délabrées ». Un paysage
    dont l’unique point lumineux reste la librairie Humanitas Cişmigiu, à deux pas
    de la brasserie Gambrinus, plus petite, mais remise à neuf. »


    Outre le répertoire des rues, le Dictionnaire des
    lieux littéraires de Bucarest est un inventaire précieux où l’on retrouve
    monuments, gares, carrefours, parcs, places, marchés, bistrots, cafés, hôtels,
    cinémas, voire même étals de bouquinistes ou kiosques à journaux. Autant de
    repères, de mailles du réseau de symboles de la ville. (Trad. : Mariana
    Tudose)

  • Radu Bata, poète et traducteur franco-roumain

    Radu Bata, poète et traducteur franco-roumain

    Le poète et traducteur franco-roumain Radu Bata revient sur le devant de la scène littéraire avec Le blues
    roumain, « une anthologie imprévue de poésies roumaines », parue chez
    les éditions Unicité. « Dû au
    hasard des rencontres sur les réseaux
    sociaux », comme son auteur se confesse, le volume réunit 100 poèmes
    de 57 poètes roumains, toutes périodes confondues, en laissant de côté toute
    hiérarchie, pour offrir aux lecteurs seulement « l’émotion et le
    plaisir » que la poésie provoque. Comment l’idée d’un tel volume lui est-elle venue, ce sera à Radu Bata
    lui-même de détailler au micro de RRI.

  • Les conteurs-facteurs du 1er juin

    Les conteurs-facteurs du 1er juin

    En Roumanie, la Journée internationale de l’enfance a lieu chaque année, le 1er juin. En cette période atypique, théâtres, maisons d’édition, ONG, écrivains se sont mobilisés pour offrir aux enfants roumains une journée mémorable, mais en ligne. Sur l’ensemble de toutes ces initiatives pour la plupart privées, mentionnons une qui nous a particulièrement attiré l’attention, puisqu’elle s’est déroulée aussi bien en roumain, qu’en français et dans d’autres langues étrangères. Lancé par les Ateliers de Thomasina, le projet Povestasi de 1 juin, en traduction libre Les conteurs-facteurs du 1 juin, a offert l’opportunité à Clara Traistaru, spécialiste en management culturel, de lire quelques textes en français. Pour en apprendre davantage, on a invité Clara au micro de RRI.



  • Nouveaux débuts en littérature : Ema Stere

    Nouveaux débuts en littérature : Ema Stere

    « Parmi les 94
    manuscrits reçus cette dernière année, la maison d’édition Polirom de Iași a
    choisi « Copiii lui Marcel » / « Les enfants de Marcel »,
    de Ema Stere comme gagnant de notre Concours annuel de début »
    – c’est un extrait d’un communiqué de presse de Polirom,
    une des maisons d’édition les plus renommées de Roumanie.


    « Je serais
    ravie que ce livre, dont je n’attendais pas grand-chose, soit lu avec la même
    joie que j’y ai mis en l’écrivant »
    , avoue l’autrice, Ema Stere,
    journaliste à Radio România Cultural, la chaîne culturelle de Radio Roumanie.
    Qui est-elle et comment voit-elle « Les enfants de Marcel », cette
    histoire où le suspense, le mystère et les retournements de situation ne
    manquent pas ? Ema Stere : « Des jeunes vont à la campagne, quelque part
    dans un village imaginaire. Les étapes que leur groupe parcourt sont les étapes
    parcourues par toute communauté. Ensuite, j’ai aussi voulu m’amuser, car, au
    bout du compte, c’est pour ça que j’ai écrit ce livre. Il y a beaucoup de
    personnages, j’espère que le lecteur arrive à les distinguer. Il y a aussi une
    narratrice qui ne sait pas tout, car elle fait confiance à la mémoire du
    village où s’installe ce groupe de jeunes. Et, comme la mémoire collective
    n’est pas toujours précise, la narratrice connait seulement une petite tranche
    de réalité, très tirée par les cheveux en plus. Par-dessus le marché, cette
    narratrice a une personnalité dominatrice. C’est le genre à garder les gens
    près d’elle et à assumer les mérites pour toute la communauté. « C’est moi
    qui ait fait, c’est moi qui… » C’est un personnage important, car tous les
    évènements sont filtrés à travers son discours. »




    Neuf ans, avec des
    pauses – c’est ce qu’il a fallu à Ema Stere pour… élever les enfants de Marcel.
    Enthousiaste, elle a fait des recherches dans plein de directions, tous des
    chemins qui se sont ouverts en écrivant. Elle a rédigé son livre à la main, a aménagé
    une étagère d’auteurs utopistes dans sa bibliothèque pour l’occasion et, en
    gros, à profité pleinement de toute l’expérience. C’est son mari qui a été son
    premier lecteur. Son enchantement l’a fait montrer le manuscrit à d’autres et,
    enfin, à l’envoyer au concours de début des éditions Polirom. La suite de l’aventure ?
    Ema Stere : « Je m’attendais à recevoir un message type,
    quelque chose dans le genre « Nous sommes désolés, mais non, pas
    encore. » Quand j’ai reçu le courriel de l’éditeur Adrian Botez qui m’annonçait,
    ravi, que j’avais gagné, et qui me demandait mon nom, j’étais chez moi et je me
    suis mise à crier. J’étais très heureuse. Maintenant, j’attends la sortie du
    livre, je n’ai pas d’autres attentes. Généralement je n’attends pas à recevoir
    des choses, ni pour Noël, ni pour mon anniversaire. Voilà que mon histoire
    personnelle me montre qu’en n’attendant rien, on en reçoit bien davantage. Cela
    semble fonctionner pour moi, en tout cas. »




    Ema Stere prouve que
    le célèbre proverbe « Tout vient à point à qui sait attendre » ne
    s’applique pas en toute situation. Enfin, elle nous a parlé d’une société
    utopique. « Si j’avais à bâtir, en pensée, une société utopique, elle devrait
    avoir le sens de la mesure et du ridicule. Nous en avons tous besoin. »

    (Trad. Elena Diaconu)

  • Cristina Hermeziu

    Cristina Hermeziu

    Cristina Hermeziu, journaliste, traductrice, écrivaine, docteur en philologie, critique littéraire, établie à Paris depuis octobre 2004 quand elle arrive dans la ville des Lumières avec une bourse post doctorale à l’Université Panthéon Assas. C’est par ces mots qu’on pouvait décrire brièvement le parcours de cette Roumaine qui depuis son installation en France n’arrête pas de se battre pour rendre la littérature roumaine encore plus visible. Elle signe des articles dans des publications prestigieuses telles le Magazine Littéraire, La Lettre, ActuaLitté ou encore Hermès, elle publie un recueil de 30 témoignages des Roumains de la diaspora sous le titre « La révolution lointaine», un volume de vers « Paris ne croit pas aux larmes » ou encore le livre « Vue depuis la Tour Eiffel » où son œil et sa plume de journaliste deviennent extrêmement visibles. Dernièrement, Cristina Hermeziu a coordonné un volume dont le titre est fortement d’actualité : « La vie sur facebook. Je like, donc j’existe ». Depuis Paris, par téléphone, Cristina Hermeziu est aujourd’hui en dialogue avec nous.



  • Du Rififi À Bucarest – un polar, beaucoup de personnages, une ville, deux pays

    Du Rififi À Bucarest – un polar, beaucoup de personnages, une ville, deux pays

    Elena Diaconu interpréte les questions imaginées par Sylvain Audet concernant son premier roman, le polar Du rififi à Bucarest. Le livre, sorti en janvier 2020 aux éditions Ex Æquo, est disponible à la commande, mais aussi en format électronique.

    Merci à Sylvain Audet pour avoir
    accepté de nous recevoir dans son dispositif. Nous espérons pouvoir lui dédier dans le futur proche une émission « Le son des mots ».




  • L’écrivain Mateiu Caragiale

    L’écrivain Mateiu Caragiale

    Parmi les écrivains roumains excentriques comme personnalité et style littéraire, Mateiu Caragiale est peut-être celui qui a suscité le plus d’intérêt, ces dernières décennies. Né le 25 mars 1885 et éteint en janvier 1936, Mateiu Caragiale était le fils illégitime du grand dramaturge Ion Luca Caragiale, dont il a essayé de se démarquer, en tant qu’écrivain, toute sa vie. Si, dans ses pièces de théâtre, le père a décrit, avec réalisme et humour, les mœurs balkaniques de ses compatriotes, le fils, poète et romancier bohème, s’inspirait plutôt d’écrivains comme Barbey d’Aurevilly et Oscar Wilde.

    L’historien littéraire Vasile Spiridon esquisse le portrait de Mateiu Caragiale. « Le père de Mateiu Caragiale, le dramaturge I.L. Caragiale n’a pas assumé officiellement la paternité de son fils, bien qu’il eût vécu, pendant un certain temps, en concubinage avec Maria Constantinescu, la mère de Mateiu. Celui-ci ne pardonnera jamais à son père de ne pas lui avoir donné pour mère au moins une comtesse, car il a toujours eu l’obsession des généalogies célèbres. Toute la vie, il a affiché un comportement aristocratique et il s’est construit un arbre généalogique fantasque, inventant, pour ses ascendants, des titres, des décorations et des emblèmes héraldiques. Pourtant, même s’il ne l’a pas reconnu, son père l’a accueilli dans sa famille et l’a élevé aux côtés de ses autres enfants. En 1904, Ion Luca Caragiale partait pour Berlin, où il allait s’établir définitivement. Il emmena Mateiu, pour que celui-ci puisse y étudier le droit. Pourtant, le fils n’était pas attiré par l’étude, il préférait se balader dans les parcs et les musées. Le fruit de cette période fut le récit « Remember ». Ensuite, son père le renvoya en Roumanie, pour étudier le droit à Bucarest. Pourtant, là non plus, Mateiu ne montra aucun intérêt pour les études. Il commença, en échange, à publier des articles dans différentes revues et des poèmes – dont une partie allaient être réunis plus tard dans le recueil « Pajere ». En 1923, Mateiu Caragiale épousa une riche héritière, Marica Sion, de 25 ans son aînée et propriétaire d’un domaine à Fundulea, à l’est de la capitale. Il allait s’y installer et arborer une prétendue bannière nobiliaire à l’entrée de la maison. Six ans plus tard, en 1929, paraissait enfin son roman «Craii de Curtea-Veche/Les Princes de l’Ancienne Cour », qu’il avait commencé en 1910 et auquel il avait travaillé de manière sporadique, mais intense. Il allait léguer à la littérature roumaine deux autres romans restés inachevés : « Sub pecetea tainei/Sous le sceau du secret » et «Soborul ţaţelor/ Le conseil des commères ».

    Au moment de leur parution, « Les Princes de l’Ancienne Cour » ne jouirent pas d’un accueil très enthousiaste, pourtant, au XXe siècle, ce roman commença, de plus en plus, à séduire les lecteurs. Au début des années 2.000, dans la revue « Observator Cultural », les écrivains et les critiques le classaient parmi les meilleurs romans de la littérature roumaine. Si le livre de Mateiu Caragiale n’a pas été pris au sérieux à sa publication, c’est peut-être aussi à cause de la personnalité de son auteur et de ses manières de dandy désabusé et cynique.

    Outre les écrits de Barbey d’Aurevilly et d’Oscar Wilde, certains personnages énigmatiques d’Edgar Alan Poe ont également influencé Mateiu Caragiale dans la création du héros de son récit « Remember » – Aubrey de Vere – estime Vasile Spiridon. « Il a eu des modèles, mais son inspiration, il la puisait surtout dans un passé énigmatique qu’il s’était créé lui-même. Il a été passionné d’héraldique toute sa vie. A 14 ans, il lisait l’Almanach de Gotha. Il a toujours été obsédé par une possible ascendance aristocratique, alors que son père le ramenait, lui, toujours, les pieds sur terre, en lui disant que tous les membres de la famille avaient le sommet de la tête aplati à cause des plats à tartes que leurs ancêtres avaient portés quand ils étaient des marchands de tartes en Albanie. D’ailleurs, Caragiale sénior a été un contre-modèle pour Mateiu. Les modèles de Caragiale Jr. auraient donc été livresques, mais ils ont également été une réaction au balkanisme de son père, qu’il haïssait avec une sincérité débordante. »

    Pourtant, « Les Princes de l’Ancienne cour » évoquent une atmosphère typiquement bucarestoise et contribuent à la mythologie de cette ville des contrastes, où Mateiu était, en fait, chez lui. Vasile Spiridon.« L’écrivain Mateiu Caragiale a été redécouvert après 1970, bien qu’un club sélect d’admirateurs se fût déjà créé de son vivant, parmi lesquels figurait le poète Ion Barbu, qui le vénérait. Ce club n’était pourtant pas ouvert à tout un chacun. Pourquoi ? Parce que les écrits de Mateiu Caragiale sont très difficiles à lire, car ils abondent en termes archaïques et argotiques, que tout le monde ne peut pas comprendre. » Celui qui veut et peut déchiffrer ce langage, découvrira dans les écrits de Mateiu Caragiale non seulement un Bucarest mythique, mais aussi ce que la ville de jadis a conservé jusqu’à nos jours. (Trad. : Dominique)

  • Urmuz, auteur de l’absurde

    Urmuz, auteur de l’absurde

    En mars 1883, à Curtea de Argeș (dans le sud de la Roumanie), voyait le jour un des plus importants écrivains roumains d’avant-garde : Demetru Dem. Demetrescu-Buzău, personnage énigmatique et bizarre, connu sous le pseudonyme d’Urmuz. Précurseur du surréalisme et de la littérature de l’absurde, Urmuz fascinait surtout par ses textes apparemment dépourvus de sens, mais séduisants du point de vue esthétique. Homme plutôt effacé, à première vue, il a également suscité l’intérêt du public par sa biographie, très peu connue, et par une vie intérieure riche et secrète.

    Qui était Urmuz ? Le critique et historien littéraire Paul Cernat esquisse son portrait: Urmuz était un homme solitaire, timide, qui a eu une existence plutôt bizarre – tout comme son œuvre, d’ailleurs. Il a tenté de devenir médecin, paraît-il, mais il y a renoncé, car, lors des dissections, il pinçait les cadavres et il a été effrayé de voir qu’ils ne réagissaient pas. Ensuite, il s’est mis à étudier le droit et il est devenu greffier à la Cour de Cassation. Il faisait aussi de la musique. Pendant ses heures de loisir, il composait des pièces musicales pour divertir sa famille – selon l’une de ses sœurs. Malheureusement, ses partitions ne se sont pas conservées. Elles ont disparu dans les années 1960. La littérature a été pour lui une occupation plus secrète que la musique. Urmuz a eu la chance de rencontrer l’écrivain et poète Tudor Arghezi, à qui il doit son nom de plume. Le grand poète lui a publié les écrits. D’ailleurs, les seuls textes publiés par Urmuz sont parus en 1922, grâce à Arghezi, dans la revue « Cuget românesc » – « Esprit roumain », paradoxalement, une revue traditionnaliste. Urmuz était un être solitaire et il est resté célibataire. En novembre 1923, il se suicide par balle, dans un buisson au bord de l’avenue Kiseleff, vers la sortie nord de Bucarest. Les raisons de ce geste restent obscures. On a parlé d’une triste histoire d’amour ou d’une terrible maladie cachée, mais rien n’est certain. Des légendes se sont tissées autour de cette biographie énigmatique, cachée, souterraine, créant un véritable mythe. Ce mythe est encore vivant, conférant une identité à la littérature roumaine de l’absurde.

    En outre, son existence de petit fonctionnaire, agrémentée de textes apparemment absurdes et achevée par un suicide dont on ne connaît pas encore la raison, ont augmenté la fascination que cet écrivain exerce sur le public. On se demande encore s’il y a un lien entre sa biographie et ses écrits. Paul Cernat qffirme que « Urmuz était un esprit bizarre, avec un certain penchant pour le divertissement, mais qui avait peut-être aussi quelques traumas profonds. On l’a comparé à Kafka, les spéculations tournant autour des relations que les deux écrivains ont eues avec leurs pères. En fait, on ne sait que très peu de choses sur lui et toute spéculation est plausible. On peut parler d’une schizoïdie, d’une rupture entre son identité publique, de greffier qui prend son métier au sérieux, et celle d’écrivain anarchique, qui ne respectait aucune des règles littéraires de son temps. Pourtant, ce caractère anarchique et absurde mis à part, ses textes ont été longuement ciselés et ils ont une rigueur intrinsèque. Tout comme Flaubert, Urmuz choisissait soigneusement chaque mot et faisait attention à la façon dont il orchestrait ses petits textes. »

    Les deux ouvrages parus de son vivant dans la revue « Cuget românesc », à savoir « Algazy & Grummer » et « Ismaïl et Turnavitu », ont été ciselé jusqu’à la dernière minute. Selon Tudor Arghezi, alors que les manuscrits étaient déjà à l’imprimerie, Urmuz a souhaité changer certains mots. Paul Cernat dit que La mini-œuvre explosive d’Urmuz a refait surface après la mort de l’auteur. Une partie de cette œuvre a été publiée dans les années ’20, dans la revue « Contimporanul », éditée par Ion Vinea et Marcel Iancu. Pourtant, les nouveautés ont été publiées pour la plupart dans les pages de la revue UNU, par les écrivains Sașa Pană et Geo Bogza, qui, dans les années ’30, sont allés voir la sœur d’Urmuz, détentrice d’un coffre plein de manuscrits. Ils ont publié la partie de son œuvre qui y avait été conservée. Pas encore tout, paraît-il. Beaucoup de textes se sont perdus, mais ce qui reste est amplement suffisant pour assurer à Urmuz un statut qu’il n’aurait jamais imaginé.

    Parmi ses textes – en vers et en prose – publiés à titre posthume, il convient de rappeler « Chroniqueurs », « L’entonnoir et Stamate», « La Fuchsiade » et « Le départ à l’étranger ». Urmuz a influencé non seulement la vague d’écrivains d’avant-garde qui ont fait leur apparition dans la littéraire roumaine après la première guerre mondiale, il a aussi exercé une influence sur la prose de Tudor Arghezi. Les générations d’écrivains qui se sont affirmés après 1965 – connus sous le nom de l’Ecole de Târgoviște – ainsi que les grands poètes Marin Sorescu et Nichita Stănescu ont subi l’influence d’Urmuz, qui a marqué de son sceau la littérature roumaine jusqu’au post-modernisme actuel. Trad. : Dominique

  • Voyages littéraires

    Voyages littéraires

    Après un premier livre consacré à la Roumanie, le jeune auteur français installé à Bucarest, Grégory Rateau, publie un premier roman placé, lui, au Liban. Voyage littéraire dans le studio de RRI.



  • L’histoire à la portée de tous – L’exposition « The Dracula Investigation »

    L’histoire à la portée de tous – L’exposition « The Dracula Investigation »

    De double origine, hollandaise et roumaine, ils ont grandi à Sighișoara, renommée ville médiévale transylvaine, au centre de la Roumanie. Ils sont passionnés d’histoire et c’est de là qu’est partie la décision d’enrichir l’offre culturelle de leur ville natale. Même si Sighișoara se trouve déjà sur toutes les cartes touristiques, on peut toujours mieux faire. C’est ainsi qu’une exposition inédite a vu le jour, une invitation dans le monde fascinant de Vlad Țepeș, connu aussi sous le nom de Vlad l’Empaleur. Vlad Țepeș est né en 1431, à Sighișoara, d’un père prince de Valachie, Vlad II ou bien Vlad Dracul. Vlad II rejoint l’Ordre du dragon, qui visait à protéger les intérêts de la chrétienté de l’Empire ottoman, d’où son surnom de « Dracul », le Dragon. Son fils, Vlad Țepeș, sera désigné du même nom, transformé par les étrangers en Drăculea ou Dracula. L’appellation est rendue célèbre bien plus tard, par Bram Stoker, dans le roman homonyme. Vlad Țepeș a lui aussi été prince de Valachie, à trois reprises, en 1448, de 1456 à 1462 et en 1476. C’est autour de cette personnalité historique que les huit frères ont construit une exposition.

    « The Dracula Investigation » / « L’Investigation Dracula » présente l’histoire de Vlad Țepeș au-delà des légendes. Une personne sensible, un enfant traumatisé, Vlad Dracula – le fils, le frère, le guerrier.Un des huit frères, Timon, 26 ans, raconte pour Radio Roumanie comment a commencé le projet :
    « Ca fait longtemps que nous voyons tous ces jeunes qui partent de Sighișoara. Il y a peu d’opportunités ici et très peu de monde démarre de nouveaux projets ou crée des activités pour les touristes. Les gens qui visitent la ville disent qu’il n’y a rien à faire outre les 2-3 heures de promenade dans la ville médiévale. C’est comme ça que nous nous sommes dit qu’il y avait sûrement des possibilités. C’était un long processus, nous n’étions pas toujours d’accord, mais, jusqu’à présent, c’est une réussite. Au début, par exemple, nous pensions faire nous-même la scénographie de l’exposition. C’est ainsi que nous avons rencontré Silvia, car nous savons que nous ne pouvons pas tout faire ou bien que d’autres peuvent faire certaines choses mieux que nous. Et maintenant nous pensons déjà à des projets futurs. »

    Silvia dont parle Timon est la scénographe Silvia Ioana Horobeanu. Elle nous raconte comment elle s’est jointe au projet : « Au départ, Timon m’a contacté et m’a parlé de leur initiative. J’ai trouvé ça intéressant qu’ils voulaient raconter notre histoire d’une façon innovante. Je leur ai proposé une version moderne et minimaliste, car je crois que la simplicité est primordiale quand ont veut raconter des faits historiques. Au départ, j’ai eu l’idée de faire des projections ou d’utiliser l’animation. Après, j’ai pensé aux jeux d’ombres et de lumières, pour arriver ensuite à l’idée de transparence. »

    Petit à petit l’exposition a pris forme et aujourd’hui elle utilise toutes ces techniques, les projections, l’animation, les ombres chinoises et les sculptures. C’est Vlad lui-même qui guide le visiteur à travers les cinq pièces et qui raconte l’histoire de sa vie. La technologie est mise au service de l’histoire, pour créer une expérience immersive et interactive pour le visiteur. Le résultat final a aussi à voir avec l’âge des entrepreneurs. Lemre, le frère cadet de Timon, explique : « J’aime beaucoup tout ce qui est médiéval, j’aime l’histoire. Nous savions qu’il y avait du potentiel, sans savoir exactement quoi faire. Nous réfléchissions autour de Sighișoara, où nous avons grandi, et dont le centre-ville est inscrit au patrimoine de l’UNESCO. Or, dès qu’on entend parler de la Transylvanie, on pense à Vlad Țepeș, à Dracula. Or d’habitude les gens ne connaissent pas la vraie histoire, mais plutôt les contes avec des vampires. Nous avons décidé de raconter la vérité, car elle est aussi intéressante. Mais il fallait rendre la réalité attrayante, unique pour les gens qui visitent l’exposition. »

    C’est vrai que la mise en scène de « L’Investigation Dracula » interpelle. La scénographe Silvia Ioana Horobeanu parle d’un élément de décor un peu particulier : « Je voulais créer une certaine sensation pour les visiteurs. Toute la narration de l’exposition se déroule à l’extérieur. Nous avons alors décidé d’introduire dans cet espace fermé, entièrement blanc, un élément de l’extérieur. Nous pensions aussi au son, avoir comme un son extérieur, mais diffuser ça dans les enceintes semblait artificiel. En plus, on voulait que les gens ressentent une sensation physique. C’est là qu’est apparue l’idée du gravier. Les garçons m’ont détesté, ils en ont porté des seaux et des seaux. Mais, au final, ils étaient contents : ils ont vu que c’était cohérent avec le projet. »

    D’autres jeunes artistes roumains ont travaillé aux côtés de Silvia Ioana Horobeanu, des écrivains, des sculpteurs, et ensemble ils ont créé un parcours d’exposition qui dure 20 minutes. Les huit frères sont ouverts aux critiques : ils ont placé deux urnes à la sortie de l’expo et encouragent les visiteurs à y déposer un billet avec leurs impressions. Une urne accueille les avis positifs, l’autre – les avis négatifs. D’ailleurs, un écriteau « Satisfait ou remboursé » est affiché au même endroit.Plusieurs lieux de Roumanie évoquent la figure historique de Vlad Țepeș : la Vieille cour royale de Bucarest ou le Château des princes à Târgovişte. Voilà que l’exposition « L’Investigation Dracula » de Sighișoara peut venir s’inscrire dans un itinéraire qui retrace la vie du plus célèbre prince roumain. (Trad. Elena Diaconu)

  • Comment approcher les poèmes d’Eminescu dans l’enseignement moderne

    Comment approcher les poèmes d’Eminescu dans l’enseignement moderne

    Plusieurs défis se font jour dans ce contexte, obligeant les enseignants à changer de méthodes, afin de susciter la curiosité et d’attirer l’attention des élèves. Par exemple : comment faire en sorte pour que les classiques intéressent toujours les lycéens ? Aujourd’hui, nous prenons l’exemple de deux professeures de roumain, qui nous expliquent leur approche en classe du poète national des Roumains, Mihai Eminescu. Et pour cause : le 15 janvier dernier nous avons marqué le 170-e anniversaire de ce poète, écrivain et journaliste, considéré comme le plus grand auteur que la Roumanie ait jamais connu.

    Avant de donner la parole à nos invitées, voyons un peu qui est ce poète. Mihai Eminescu (Mihail Eminovici de son vrai nom) est né le 15 janvier 1850 à Botoşani, dans ce qui était à l’époque le Royaume de la Roumanie (formé suite à l’union des principautés de Moldavie (est) et de Valachie (sud)). Il a écrit son premier poème à l’âge de 16 ans. Ses poésies s’inscrivent dans le courant du romantisme et parlent de thèmes tels l’histoire nationale, l’amour, la nature, la nostalgie de l’enfance, la mélancolie. Il a écrit aussi des ouvrages philosophiques qui renvoient aux philosophes antiques, aux théories de Schopenhauer ou de Kant. Ses approches journalistiques étaient plutôt conservatrices, Eminescu se faisant remarquer en tant qu’âpre critique de la classe politique de son époque. La critique littéraire roumaine le place parmi les 4 grands classiques de notre littérature, aux côtés des prosateurs Ion Creangă et Ioan Slavici et du dramaturge Ion Luca Caragiale. Les manuscrits de Mihai Eminescu, réunis dans 46 volumes, avec un total de 14.000 pages, se trouvent à l’Académie roumaine. Le plus grand poète des Roumains est mort le 15 juin 1889, à Bucarest, à 39 ans seulement.

    Un siècle et demi plus tard, comment faire en sorte pour que les lycéens d’aujourd’hui aiment ce poète ? Notre première invitée, Dumitriţa Stoica, mise sur une approche qui évite les clichés et les étiquettes, privilégiant les discussions plutôt amicales avec les enfants : « Les jeunes doivent être conscients entre autres que la plupart des textes écrits par Eminescu ont donné naissance à des bibliothèques entières de commentaires. Qu’il est possible d’interpréter son œuvre d’une multitude de manières et de créer un dialogue culturel, entre nous, ses lecteurs. Plus encore, j’ai constaté que la plupart des élèves sont attirés par l’aspect existentiel des créations d’Eminescu, par sa philosophie sur la vie. Ce qui est tout à fait normal, d’ailleurs. On peut donc rendre accessible l’œuvre de cet auteur en partant des principaux thèmes qu’il aborde, sans oublier le langage artistique. Sans doute, les jeunes s’intéressent à des sujets tels l’amour, l’évasion dans l’imaginaire, le bien et le mal, etc. Une des poésies philosophiques d’Eminescu a été source d’un débat très ample en classe. C’était un texte qui invitait au détachement, à l’abandon de la lutte quotidienne, à la contemplation passive de la vie. Or, cela a beaucoup intrigué mes élèves, qui sont des jeunes pro-actifs. »

    Loin de les trouver obsolètes ou compliquées, les ados aiment les œuvres d’Eminescu et ils attendent avec impatience les classes de littérature pour en débattre. C’est ce qu’a pu constater notre seconde invitée, Dorica Boltaşu Nicolae, prof de roumain. Outre le sens de la vie, les élèves s’intéressent aussi aux amitiés, célèbres en Roumanie, entre Eminescu et le prosateur Ion Creangă ou le critique littéraire Titu Maiorescu, deux autres figures de proue de la littérature roumaine, ou bien à l’histoire d’amour entre Eminescu et la poétesse Veronica Micle. Dorica Boltaşu Nicolae ajoute : « Je me rappelle souvent une idée de l’écrivain contemporain Radu Cosaşu, qui dit que l’âme roumaine est un mélange d’Eminescu et de Caragiale (un grand dramaturge, connu pour ses comédies satiriques). Et bien que je ne sois pas une adepte des étiquettes et que je n’aime pas présenter Eminescu en tant que « notre poète national », je dis à mes élèves que Mihai Eminescu et Ion Luca Caragiale sont deux grands écrivains roumains, parce que chacun parle d’aspects essentiels de l’âme roumaine, de notre mentalité, de nos aspirations, de nos pensées et de nos rêves. Je leur dis aussi que Mihai Eminescu a été le dernier grand romantique européen, pour leur donner un contexte plus large. En fait, je commence par leur parler du romantisme, je fais une présentation plus ample de ce courant littéraire pour qu’ils comprennent mieux où se situe notre poète. Et je tente de faire des analogies entre le monde imaginaire du poète et la réalité virtuelle, un terme familier pour les jeunes d’aujourd’hui. J’ai vu qu’ils s’intéressent particulièrement à la poésie philosophique et cosmique. Je leur parle donc de poèmes où Eminescu décrivait des phénomènes que la science de l’époque n’avait pas encore expliqués ».

    Bien que les temps changent, une chose est sûre : la création poétique d’Eminescu suscite toujours l’intérêt des nouvelles générations. Il y aura toujours un thème intéressant à débattre. Cela prouve que Mihai Eminescu est un poète qui transcende le temps. (Trad. Valentina Beleavski)

  • Tatiana Ţîbuleac

    Tatiana Ţîbuleac

    Tatiana Ţîbuleac, jeune écrivaine originaire de République de Moldova, a été décorée le 1er décembre dernier par le président de la Roumanie, Klaus Iohannis, avec l’ordre du Mérite culturel au grade chevalier. La médaille visait à récompenser la riche activité littéraire, le talent et le professionnalisme de cette ancienne journaliste, qualités qui lui avaient apporté une reconnaissance européenne.

    C’est que Tatiana Ţîbuleac venait justement de recevoir une récompense attribuée aux meilleurs écrivains émergents d’Europe. En octobre 2019, elle comptait parmi les 14 lauréats du Prix de littérature de l’Union européenne 2019 mis à l’honneur lors d’une cérémonie au Palais BOZAR de Bruxelles. « Grădina de sticlă » / « Le jardin de verre », le roman qui lui a apporté cette récompense, est, pour la critique littéraire Simona Sora, « le roman de toute une génération de femmes et celui d’une conteuse aussi authentique que surprenante ».

    Tatiana Ţîbuleac était aussi présente à Bucarest en octobre dernier, l’occasion de nous entretenir avec elle sur l’écriture, sur la manière dont le roumain a façonné ses histoires, sur Chişinău et sur Paris, où elle vit en ce moment. Nous avons aussi discuté du rôle formateur de sa grand-mère et de la résilience devant les adversités, des controverses provoquées par son dernier roman « Le jardin de verre », sorti en 2018 chez Cartier, une importante maison d’édition moldave, et du Prix européen de littérature qu’elle venait de recevoir.

    Tatiana Ţîbuleac : « La chose la plus émouvante par rapport au prix de l’UE c’était de lire en roumain sur la scène du BOZAR. Ca m’a réellement ému, il y avait beaucoup de Roumains dans la salle et il m’a semblé que le roumain qui résonnait sur cette scène était un prix en soi. J’ai trouvé que tout ce monde, les écrivains primés, ils s’étaient tous rassemblés pour raconter une histoire et la voix de la Roumanie y était tout aussi audible. Ca m’a ému même plus que le prix, qui a été une joie inattendue. J’essaie de me réjouir de ces récompenses, mais ensuite je retourne à mon travail, l’écriture. »

    « Il y a à Chişinău une rue, la plus longue et la plus rude rue au monde. Dans cette rue, les bâtiments, les arbres, les feux, même les poubelles, même les creux connaissent des mots en russe. » C’est ce fragment de son dernier livre qui nous a poussé à interroger Tatiana Ţîbuleac sur sa relation avec les langues. Tendue, rapprochée, imprévisible.

    Tatiana Ţîbuleac : « Il y a des personnes qui parlent très bien une seule langue, d’autres qui en parlent plusieurs et elles les parlent mal. Je crois que je fais partie de cette catégorie de gens qui se débrouillent en plusieurs langues. Mais lorsqu’ils doivent écrire ou utiliser une langue, c’est la langue qui les choisit. Chez moi, je parle surtout en anglais avec mon mari et c’est aussi en anglais que je peux raconter le mieux la vie quotidienne. En vivant à Paris, j’entends beaucoup le français et mes enfants le préfèrent à toute autre langue. C’est grâce à eux qu’il m’est proche, je fais maintenant cette association entre français, enfance et jeux. Le russe, que je parle assez bien, représente beaucoup pour moi. Il me permet de me connecter à une littérature que j’aime, j’écoute de la musique en russe. Dans le même temps, quand je dois écrire quelque chose, c’est le roumain que je choisis et qui, à son tour, me choisit. Je me suis rendu compte que j’arrive à entretenir une relation d’amitié avec le roumain et que c’est une langue que j’apprends en écrivant. Le roumain m’est devenu encore plus proche après avoir écrit « Le jardin de verre ». C’était l’occasion de revisiter Chişinău, mon enfance, la cour de mon enfance où je parlais beaucoup russe et j’ai compris qu’en fait nous, le roumain et moi, on se connaissait depuis bien des années. Après ce dernier livre alors, notre amitié est devenue encore plus forte. »

    L’écrivaine roumaine Gabriela Adameșteanu fait elle aussi une critique élogieuse du roman « Le jardin de verre » : «Tatiana Ţîbuleac fait un retour en force, dans un contexte et à un niveau différents, au thème de la maternité, de l’enfant aimé/pas aimé, des conséquences tragiques du « non-amour », du remords, dans un livre tout aussi troublant que « L’été où maman a eu les yeux verts ». L’orpheline qui découvre un Chişinău multiculturel a été adoptée de l’orphelinat d’un village par une femme seule et ambitieuse qui veut lui offrir un avenir florissant ? Ou elle a été achetée en tant que main d’œuvre et sera exploitée sans pitié comme dans les romans de Dickens ? Les questions continuent leur assaut même après la fin de ce roman d’apprentissage passionnant, l’apprentissage d’une fille qui grandit entre deux langues et entre deux cultures, à une époque où les frontières et les systèmes politiques changent. »

    Tatiana Ţîbuleac, sur son roman le plus récent : « Je me suis demandée si « Le jardin de verre » sera compris. Si les réalités de ce Chişinău que je décris parleront aux écrivains de Roumanie et, heureusement, elles ont fait écho chez eux au-delà de mes espoirs. Je me suis aussi interrogé sur les raisons d’un lecteur français de lire cette histoire qui se passe à Chişinău. L’histoire d’une petite fille qui essaie d’apprendre le russe au détriment du moldave, tel qu’on l’appelait à l’époque, et qui est par la suite devenu le roumain. En discutant avec le traducteur du livre, qui paraîtra en France au mois de mars, je me suis rendu compte que lui avait trouvé toute autre chose dans ce roman. C’est lui toujours qui m’a dit que cette lutte pour l’identité n’est pas quelque chose de rare, beaucoup de monde se reconnaît dans ce type de combat. Je ne crois pas qu’il y ait une seule manière de lire « Le jardin de verre ». »

    Pour ceux qui veulent découvrir l’univers littéraire de Tatiana Ţîbuleac, sachez que son premier roman, « L’été où maman a eu les yeux verts », est paru en français aux Editions des Syrtes en 2018. Son deuxième, « Le jardin de verre », paraîtra en mars chez le même éditeur. (Trad. Elena Diaconu)

  • L’écrivaine néerlandaise d’origine roumaine Nausicaa Marbe

    L’écrivaine néerlandaise d’origine roumaine Nausicaa Marbe

    L’écrivaine néerlandaise d’origine roumaine a participé à une série de lectures et de débats organisés à Bucarest et à Braşov, dans le cadre du projet « Les Journées Sofia Nădejde », qui s’est déroulé en novembre 2019. Née à Bucarest, Nausicaa Marbe, est la fille de la célèbre compositrice Myriam Marbe. Elle a étudié au Lycée allemand de Bucarest et en 1982 s’est établie aux Pays-Bas, où elle a fait des études supérieures de politologie et de philosophie.

    Nausicaa Marbe a débuté dans la littérature en 1999, avec le roman « Mandraga », une histoire sur l’émigration, aux accents autobiographiques. Le roman « Mandraga » a reçu le prix du début en littérature « Charlotte Kohler » et a été traduit en allemand. Son deuxième roman, « Smeergeld » (Pots-de-vin), paru en 2014 et qui lui a valu d’excellentes critiques dans la presse, allait être vendu à une maison d’édition allemande. Deux ans plus tard, ce roman était distingué du prix belge De Diamanten Kogel. Les critiques ont vanté le talent de Nausicaa Marbe de brosser, dans un langage truffé de sarcasmes, une large fresque des mœurs des Pays-Bas d’aujourd’hui. Dans le canevas du récit, elle mêle ses propres dilemmes aux dilemmes politiques de toute une génération occidentale. Il en ressort une histoire palpitante d’amour et de corruption, au sein du beau monde de Haarlem, la ville où l’auteure vit avec sa famille.

    A Bucarest et à Brasov, Nausicaa Marbe a dialogué avec ses lecteurs, lu des extraits de son roman « Smeergeld » (Pots-de-vin) et expliqué dans quel contexte elle l’avait écrit : « Vous voyez un champignon sur la première de couverture. C’est moi qui ai voulu ce dessin, car mon livre parle des relations qui pourrissent, des problèmes de la société, des choses que l’on ne voit pas d’habitude, des endroits obscurs et laids dont on a tendance à détourner nos regards. En un mot, mon roman est une triste comédie de mœurs. Le personnage principal, l’architecte de la ville de Haarlem, perd son emploi à cause de la crise économique. Impliqué dans la vie politique locale, il lui arrive de découvrir des faits de corruption, car oui, la corruption existe aux Pays-Bas aussi. Lorsque je suis allée le voir, mon roman était presque fini. Je lui ai rendu visite dans son bureau, car je voulais voir comment il travaille, plonger dans l’atmosphère, vu que je ne savais que peu de choses sur le sujet. Je lui ai donc parlé de mon livre, dont j’avais déjà écrit la majeure partie, mais auquel je pouvais à tout moment apporter des ajouts. Plutôt réservé, il devenait de plus en en plus réticent. L’architecte ne m’a rien dit alors. Entre temps, mon roman est sorti dans les librairies. Trois mois plus tard, quand on s’est rencontrés, il a avoué avoir eu peur à cause de mon roman. Et cela parce la fraude, les pots-de-vin et les conflits d’intérêt dont il était question dans l’histoire que j’avais inventée, tous ces faits-là existaient bel et bien dans la politique locale, mais n’avaient pas encore été révélés. Or l’architecte, qui avait tenté d’en parler à la presse, pour que tous ces agissements soient mis au jour, avait eu l’impression que les politiciens impliqués m’avaient envoyée espionner. Bref, j’ai été très intéressée par ce sujet, à savoir la corruption aux Pays-Bas. »

    « Il est rare qu’un écrivain néerlandais nous offre un livre tellement intéressant et complexe qui parle de notre société, dans un langage riche, savoureux, discrètement railleur », pouvait-on lire dans les pages du journal néerlandais Trouw en 2014, au moment de la parution du roman « Smeergeld » (Pots-de-vin).

    Nausicaa Marbe : « Je m’intéressais à comment raconter l’histoire des gens arrivés au moment où ils souffrent beaucoup de pertes et qui, séduits par les choses matérielles, finissent par perdre tout repère. A l’époque où je travaillais à mon livre, les Pays-Bas étaient en pleine crise. Bien des gens se retrouvaient au chômage, sans abri et dans l’insécurité. Il ne se passait pas un jour sans que les médias ne dévoilent la corruption, les conflits d’intérêt, le népotisme et l’injustice. Tout cela me faisait mal. Je me rendais compte que si l’on fermait les yeux et que l’on ne fît quoi que ce soit, la démocratie risquait de s’éroder. On dit que petite négligence accouche d’un grand mal. C’est parfaitement vrai. Tout commence par l’indifférence. L’indifférence à l’égard des dessous de table, de l’acquisition illégale de terrain par tel ou tel élu. Et un jour viendra quand on ne souciera pas non plus des choses les plus graves. »

    Nausicaa Marbe a travaillé comme journaliste de télévision et signé maints articles publiés dans les journaux néerlandais les plus prestigieux. Considérée comme un des journalistes les plus appréciés, elle a collaboré avec Volkskrant. Depuis l’été 2013, elle écrit pour De Telegraaf. (Trad. Mariana Tudose)

  • Odile Serre – L’amour de la littérature roumaine

    Odile Serre – L’amour de la littérature roumaine

    Odile Serre est éditrice au Seuil, maison dédition historique en France. Présente en Roumanie pour le Festival international de littérature et de traduction FILIT de Iaşi, ses propos et son expérience permettent de mieux comprendre le secteur français du livre. Un marché très compétitif où les auteurs étrangers, notamment, trouvent difficilement une place. Mais la discussion avec elle était aussi loccasion de passer en revue les auteurs roumains publiés au Seuil, ainsi que les raisons de leur publication.


    Une interview dElena Diaconu




  • Littérature et Francophonie à Sofia

    Littérature et Francophonie à Sofia

    A Sofia, en Bulgarie, le
    début de cet hiver s’est drapé en habits francophones pour parler de créations
    littéraires, précédant ainsi la Foire international du livre et le Festival
    littéraire de la capitale bulgare, deux événements qui ont eux aussi misé sur
    les écrivains de langue française. Dans le cadre de
    son programme « La gouvernance culturelle et linguistique, le dialogue des
    cultures », l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) à travers
    son Bureau régional pour l’Europe centrale et orientale (BRECO), a organisé la
    première édition du Colloque international « Être, venir d’ailleurs et écrire
    en français » qui s’est tenu à la salle de conférence de l’Université de
    Sofia « Saint Clément d’Ohrid », en Bulgarie les 9 et 10 décembre
    2019. Les débats, l’ambiance générale, sont racontés par Rennie
    Yotova, directrice du BRECO-OIF, et Magda Cârneci, ancienne directrice de l’Institut culturel roumain de Paris,
    professeure à l’Université nationale d’art de Bucarest et rédactrice en chef de
    la revue d’arts visuels ARTA , au micro d’Ileana Ţăroi.