Category: Pro Memoria

  • Le sort des prisonniers soviétiques en Roumanie pendant la Seconde Guerre mondiale

    Le sort des prisonniers soviétiques en Roumanie pendant la Seconde Guerre mondiale

    La Bessarabie, un territoire roumain perdu

     

    Pour tenter de récupérer la Bessarabie occupée par l’Union soviétique à la suite d’un ultimatum au mois de juin 1940, la Roumanie prend part à l’invasion de l’URSS par l’Allemagne nazie, et cela dès le début de l’opération Barbarossa, le 22 juin 1941. Aussi, l’armée roumaine mènera la guerre contre l’URSS pendant plus de trois ans, jusqu’au 23 août 1944, et fera pendant ce laps de temps 91 060 prisonniers soviétiques. 82 057, soit près de 90% de ces prisonniers de guerre seront emprisonnés sur le sol roumain, au sein de 12 camps organisés pour l’occasion.

     

    Dans leur ouvrage intitulé « L’armée roumaine pendant la Seconde Guerre mondiale », les historiens Alesandru Duțu, Florica Dobre et Leonida Loghin notent que de ces plus de 90 000 prisonniers soviétiques, 13 682 avaient été libérés par décision du gouvernement roumain, s’agissant de prisonniers d’origine roumaine, originaires de ces deux provinces historiques, la Bessarabie et le Nord de la Bucovine, occupées par l’URSS un an auparavant. Des autres, 5 223 décèdent dans les camps de prisonniers, alors que 3 331 parviennent à s’évader. Le 23 août 1944, lorsque la Roumanie décide d’abandonner l’alliance avec l’Allemagne nazie pour rejoindre le camp allié, elle compte encore près de 60 000 prisonniers soviétiques sur son sol, dont 2 794 officiers. Selon l’origine ethnique des prisonniers soviétiques, l’on compte 25 533 ukrainiens, 17 833 russes, 2 497 kalmouks, 2 039 ouzbeks, 1 917 turcs, 1 588 kazakhs, 1 501 arméniens, 1 600 géorgiens, 601 tatares, 293 juifs, 252 polonais, 186 bulgares, puis encore des prisonniers moins nombreux d’autres ethnies présentes en URSS. Par ailleurs, si au début de la guerre les conditions de vie des prisonniers soviétiques étaient peu enviables, la grande majorité de décès ayant été enregistrés durant cette période, il semblerait qu’assez rapidement l’accueil des prisonniers soviétiques se soit amélioré, s’alignant sur la législation internationale en la matière.

     

    Témoignage d’un colonel roumain de l’époque 

     

    Le colonel Anton Dumitrescu qui a pris part au coup d’Etat du 23 août 1944, qui fit sortir la Roumanie de son alliance avec l’Allemagne nazie, se rappelait dans une interview de 1974, conservée par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, les conditions de vie en 1944 dans le camp des prisonniers soviétiques de Slobozia, où il avait été envoyé en mission. Ecoutons-le :

     

    « Il y a avait à Slobozia un important camp de prisonniers soviétiques géré par les Allemands. Des prisonniers qui s’étaient ralliés à la cause de Vlasov, un général russe fait prisonnier et qui s’était rallié aux Allemands. Selon nos informations, les Allemands tentaient d’organiser les prisonniers de ce camp en troupes qui leur soient fidèles même dans le cas où la Roumanie ferait défection, des troupes qui puissent épauler les troupes allemandes non seulement contre les Soviétiques mais aussi contre l’armée roumaine au besoin. J’avais déjà connu les hommes du général Vlasov dans le Caucase. C’étaient des fanatiques. Ils ne reculaient devant rien. Ils ne pouvaient pas se laisser prendre prisonniers. Pour les Russes, c’étaient des traîtres, et ils les auraient tout de suite tués. »  

     

    L’amélioration des conditions de travail des prisonniers de guerre

     

    L’ingénieur Miron Tașcă qui a travaillé pour l’entreprise franco-roumaine de Brăila, dont une partie de la production était destiné aux besoins de l’armée et qui pour cette raison faisait appel au travail des prisonniers de guerre, se rappelait dans une interview de 1995, du sort des prisonniers soviétiques après l’occupation de la Roumanie par les troupes de l’Armée rouge :

     

    « L’on faisait appel aux prisonniers de guerre dans notre entreprise, à Braila. Ils étaient bien traités, c’étaient des travailleurs manuels et ils étaient employés dans le nettoyage et dans les taches qui nécessitent un travail physique. Lorsque les troupes soviétiques sont arrivées chez nous, ils les ont libérés et les ont emmenés en Russie. Ces gens n’en menaient pas large. L’un d’entre eux, un Ouzbek, m’a supplié de le garder chez nous, à l’usine. Il ne voulait surtout pas rentrer en URSS. C’était un brave homme, travailleur, un gars tranquille. Mais naturellement il nous était impossible de les aider. Les prisonniers étaient interrogés, enregistrés, puis pris en charge par l’Armée rouge. Il a dû lui aussi partir. Il y en avait sans doute d’autres qui pensaient pareil. Ils ne savaient pas ce que l’avenir allait leur réserver dans leur pays, mais ils se doutaient bien. Ils connaissaient quand même Staline et son régime ».  

     

    La crainte de rentrer en URSS après la guerre

      

    Cristinel Dumitrescu, élève à l’Ecole militaire en 1944, avait lui aussi connu des prisonniers soviétiques et les conditions de vie qui étaient les leurs à l’époque :

     

    « Chez nous, à la campagne, nous employions dix ou vingt prisonniers russes. Ils travaillaient, allaient et venaient librement, ils n’étaient pas gardés. Ils étaient accueillis au poste local de gendarmerie, et travaillaient au maintien en état des routes et des voiries, mais se faisaient aussi quelques sous en travaillant chez des gens. Et vous savez, après le 23 août 1944, ils furent les premiers à déguerpir. Mais pas vers l’Est, pour rentrer chez eux, mais vers l’ouest. Car ils avaient une vague idée de ce qui les attendait une fois rentrés en URSS ».    

     

    Mais le quotidien de ces dizaines de milliers de prisonniers de guerre soviétiques demeure une page encore trop peu connue de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • L’exil du prince Nicolas de Roumanie

    L’exil du prince Nicolas de Roumanie

     Nicolas, frère cade du futur roi Carol II

     

    Né le 18 août 1903 à Sinaia, dans la résidence d’été des souverains roumains, le frère cadet du futur roi Carol II, s’avéra être un enfant vif et intrépide, féru de sport en général, de sport automobile en particulier. Eduqué dans le collège britannique d’Eton le prince Nicolas devient régent de Roumanie du 20 juillet 1927 au 8 juin 1930 pendant la minorité de son neveu, le roi Michel Ier et avant l’accession au trône de son frère le roi Carol II. Mais la vie privée du prince ne fut pas de tout repos. Marié à une roturière, Ioana Doletti, en 1931, il se verra privé de ses titres par son frère, le roi Carol II, en 1937, puis forcé à l’exile dans sa maison de Lausanne. Le prince Nicolas de Roumanie deviendra dorénavant Nicolas Brana. Le retour d’exil, pourtant espéré un moment après l’abdication du roi Carol II en 1940, ne se matérialisera jamais. La Deuxième guerre mondiale d’abord, l’arrivée des communistes au pouvoir à Bucarest ensuite l’en empêcheront.

     

    « Le prince Nicolas. Exil et rivalités » par Diana Mandache

     

    Dans son ouvrage récent intitulé « Le prince Nicolas. Exil et rivalités », Diana Mandache, s’appuyant sur des informations récoltées des archives nationales et sur des sources étrangères, reconstitue la personnalité du prince Nicolas et la place qu’il occupe dans la diaspora roumaine pendant son exil.

     

    Diana Mandache : « Le prince Nicolas avait un caractère bien trempé. Certes, ses manières britanniques l’empêchaient de donner libre cours à ses sentiments. Il avait vécu de longues années en Grande-Bretagne et y a suivi des études juste après la fin de la Grande Guerre. Le grand historien et professeur Nicolae Iorga avait beaucoup d’estime pour le prince Nicolas, surtout pour avoir accepté de rejoindre la régence constituée après la mort de son père, le roi Ferdinand, alors que son neveu, le roi Michel, n’avait que 5 ans. Iorga appréciait qu’en acceptant cette charge, aux côtés du patriarche Miron Cristea et du président de la Cour des comptes, Gheorghe Buzdugan, le prince Nicolas avait assuré la stabilité du trône et de la dynastie. Le prince n’avait que 23 ans à l’époque, et il accepta de renoncer à sa vie privée pour occuper une charge publique d’une telle importance sous les insistances de sa grand-mère, la reine Marie ».    

     

    Une vie publique très active

     

    Avec son départ en exil de 1937, Nicolas ne demeure pas tout à fait à l’écart de la vie publique roumaine ni des négociations diplomatiques initiées par son pays pendant les années sombres d’avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Diana Mandache :

    « Il reçoit des diplomates roumains en 1940, avec lesquels il aborde des sujets d’actualité mais aussi la nécessité pour que la Roumanie demeure dans le camp allié pendant la guerre qui s’annonce. Il prône de fait un changement d’alliances, car la Roumanie se trouvait déjà à l’époque dans le giron de l’Axe. Il envisage même la constitution d’un comité des Roumains en exil qu’il voyait basé en Suisse, chose impossible pourtant de par le statut de neutralité de la Suisse, qui défendait les agissements de nature politique de la part des étrangers. Mais il rencontre encore des diplomates étrangers, dont notamment Leland Harrison, ancien ambassadeur des Etats-Unis à Bucarest, en poste à Berne en 1940, puis l’ambassadeur britannique. Le prince projette même de doter la Roumanie d’une nouvelle constitution, qu’il commence à rédiger avec l’aide d’un juriste suisse. Face à ces manœuvres, aussi discrètes qu’elles soient, les autorités de Berne prennent position et demandent gentiment au prince Nicolas d’y mettre fin. Certes, il pouvait toujours faire valoir son opinion, sans pour autant agir de manière trop évidente ».   

     

    Nicolas se consacre à la diaspora roumaine

     

    Après la fin de la guerre et l’arrivée au pouvoir des communistes, l’activité en exil du prince Nicolas prend un nouveau tournant.

    L’historienne Diana Mandache raconte :

    « Après 1947, l’activité du prince se tourne résolument vers la diaspora roumaine. Vers la diaspora présente en France tout d’abord, qui ne cesse d’étoffer ses rangs après l’arrivée des communistes au pouvoir à Bucarest et qui est fortement touchée par l’abdication forcée du roi Michel et par l’abolition de la monarchie, le 30 décembre 1947, mais aussi vers la diaspora roumaine d’Espagne, qui comprenait beaucoup d’anciens partisans du mouvement d’extrême droite de la Garde de Fer, puis la diaspora et d’Italie. L’on peut entendre la voix du prince Nicolas sur les ondes de Radio Madrid et de Radio Rome à l’occasion du jour de la monarchie, le 10 mai, ou encore le 24 janvier, jour de l’Union des principautés danubiennes. Le prince Nicolas s’efforce pendant toute cette période de trouver un consensus et d’unir autour de sa personne la diaspora roumaine présente en grand nombre dans ces zones, rendant visite aux associations et aux organisations roumaines actives dans ces pays. Il passe des interviews aussi dans la presse italienne et espagnole, il fait des déclarations au sujet du sort des Roumains devenus prisonniers dans leur propre pays à cause d’un régime imposé de l’extérieur. (…) Mais le prince s’intéresse aussi et organise des évènements culturels, qu’il conçoit comme un moyen de propagande. Il organise pendant la Guerre froide en l’Allemagne de l’Ouest et à Madrid les semaines roumaines, il soutient la constitution de la Bibliothèque roumaine de Fribourg puis, après la mort de son épouse, il créé la Fondation culturelle « Princesse Ioana ». Il tente de réunir les Roumains qui se trouvent en exil, et ce quelques soient leurs orientations politiques, autour de l’idée nationale. Et il rencontre un certain succès dans ses démarches, car il parvient à réunir autour de lui, lors de ces événements, un nombre important de personnalités culturelles d’origine roumaine qui se trouvent en exil. »  

     

    Le prince Nicolas de Roumanie s’éteint à Madrid en 1978. Inhumé tout d’abord à Lausanne, sa dépouille et celle de sa première femme, Ioana Doletti, retrouveront finalement le sol de leur patrie natale cette année, rejoignant la nécropole royale de Curtea de Arges, la première capitale de la principauté de Valachie.   (Trad. Ionut Jugureanu)

  • La présence des statères dans la province de Dobroudja

    La présence des statères dans la province de Dobroudja

    Des monnaies de l’Antiquité

     

    Le statère est un terme générique qui désigne en numismatique diverses monnaies en or ou en argent frappées dans l’Antiquité, et qui ont été utilisées dans toute l’Europe à partir du 4e siècle avant J-C. Leur usage sera attesté dans la région du bas Danube et de la Dobroudja d’aujourd’hui, cette région de Roumanie située entre le Danube et la mer Noire. Les numismates distinguent généralement les statères classiques, frappés à l’époque de la Grèce antique et qui ont circulé dans l’Europe de sud-est, des statères frappés par Alexandre le Grand ou Lysimaque.

     

    Mais l’usage des statères s’est répandu dans la Dobroudja d’aujourd’hui grâce aux colonies grecques établies tout au long du pourtour de la mer Noire, partie prenante du monde grec. Le royaume du Pont, royaume antique situé sur la côte méridionale de la mer Noire, arrive au faîte de sa puissance au 2e siècle av J-C sous le règne de Mithridate VI du Pont, adversaire implacable de l’empire roman. Et ce sont bien les statères frappés par ce roi qui auront cours dans la région de Dobroudja.

     

    Des monnaies frappées par Alexandre le Grand 

     

    Emanuel Petac, numismate et chercheur à la Bibliothèque de l’Académie roumaine, explique :

    « Vers le milieu du 3e siècle avant J-C, la région de la mer Noire se voit carrément inondée par une quantité immense d’or. Il s’agit des statères frappés par Alexandre le Grand, que l’on retrouvera à Histria, à Callatis, à Odessos (la ville de Varna, dans la Bulgarie actuelle), à Mesembria. L’on retrouve aussi les statères frappés par Lysimaque à Istros, Tomis, Byzantion, Odessos, Mesembria, mais aussi à Tyras. Tout cela à cause d’un certain contexte géopolitique, qui est celui de la guerre déclenchée entre la cité de Byzantion d’une part et les cités d’Istros et de Callatis de l’autre. » 

     

    La circulation monétaire diminue fortement dans la région après la mort du roi Lysimaque, survenue en 281 av J-C. Emanuel Petac :

    « Autour de l’an 200 l’on constate la disparition des pièces d’or, des pièces d’argent. Ces statères frappés au milieu du 3e siècle avaient circulé de manière intensive jusqu’aux années 220-218, pendant cette époque où les colonies grecques payaient un lourd tribut au Royaume celtique de Tylis. Ce dernier s’écroule à la suite d’une attaque des Thraces, ce qui fait qu’après l’an 200 des nouvelles émissions de statères se font rares, très rares. »  

     

    Les statères de type Lysimaque

     

    Les statères de type Lysimaque frappés à la cour du roi Mithridates et découverts à Istros pèsent en moyenne 8,18 grammes et datent du temps de la première guerre déroulée entre le Royaume du Pont et l’empire roman, soit entre 88 et 86 av J-C. Mais les archéologues découvriront non seulement des statères, mais aussi des inscriptions qui nous renseignent sur le type de commerce dont les statères constituaient la monnaie d’échange.

     

    Emanuel Petac :   « La cité d’Histria avait contracté un prêt financier de 100 statères auprès d’un créditeur de Byzantion, un prêt qu’elle s’est avérée incapable de rembourser. Le créditeur meurt entre-temps et la créance tombe aux mains de son fils. A la veille des guerres de Mithridate, le royaume du Pont avait caressé l’espoir de nouer une alliance avec d’autres cités. La cité d’Histria envoie alors une délégation, à la tête de laquelle se trouvait un nommé Meniskos, et qui doit passer forcément par Byzantion. Cette délégation de négociateurs arrive à Byzantion, où elle se voit arrêter et emprisonner en vertu de la créance impayée, arrivée à échéance. La délégation entière, y compris Meniskos, sera emprisonnée, selon les sources, pendant une longue période à Byzantion. L’on peut supposer qu’il s’agit de plusieurs années. Finalement, Diogène, le stratège du roi Mithridates intervient et paye la dette de la cité d’Histria. Aussi, ce n’est qu’à la suite du remboursement par un tiers de la dette contractée que Byzantion libère la délégation retenue en otage. Cela prouve donc que la cité d’Histria était en cette période-là incapable de récolter une telle somme par ses propres moyens, alors que cent ans auparavant elle disposait de telles quantités d’or qu’elle pouvait frapper sans peine des milliers de statères. »   

     

    Les statères grecs découverts tout au long du pourtour de la mer Noire témoignent à n’en pas douter du dynamisme de l’espace économique des colonies grecques de la région pendant les deux derniers siècles avant J-C.  (Trad. Ionut Jugureanu)

  • L’officiel du parti communiste roumain, le journal Scânteia /L’étincelle

    L’officiel du parti communiste roumain, le journal Scânteia /L’étincelle

    La presse à l’époque communiste

     

    Si la liberté de la presse était garantie depuis 1789 par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, force est de constater que les régimes totalitaires, qu’ils soient d’extrême droite ou d’extrême gauche, se sont évertués à n’en faire qu’une bouchée. Ainsi, la quasi-totalité de la presse des démocraties soi-disant populaires instaurées après 1945 par l’Armée rouge dans les Etats d’Europe centrale et de l’Est se soumettait aux ukases idéologiques du parti communiste. Mais ce dernier disposait souvent également de son propre quotidien, considéré comme la voix officielle du régime.

     

    Aussi, à l’instar du quotidien « Pravda », « La vérité », en URSS, l’on voit paraître « Rabotnichesko Delo », « Les Réussites ouvrières » en Bulgarie, « Rudé Právo » ou « La justice rouge » en Tchécoslovaquie, « Neues Deutschland » ou « La nouvelle Allemagne » en RDA, « Trybuna Ludu » ou la « Tribune du peuple » en Pologne, « Borba » ou « La lutte » en Yougoslavie. En Hongrie, la presse écrite sera dominée par le quotidien « Szabad Nép », les « Hommes libres » entre 1942 et 1956, puis par « Népszabadság » , « La liberté du peuple » entre 1956 et 2016. En Roumanie, la voix du Parti communiste roumain se faisait entendre grâce à son officiel Scânteia, « l’Eticelle ».

     

    La voix du Parti Communiste Roumain

     

    Fondé en 1931, alors que le Parti communiste roumain avait été mis hors la loi depuis un bon moment à cause de son programme résolument antinational, son officiel paraîtra de façon irrégulière jusqu’en 1940. Son nom s’inspirait du journal en exil de Lénine intitulé Iskra, l’Etincelle, paru entre 1900 et 1905. L’Etincelle des communistes roumains paraîtra pour la première fois au grand jour, officiellement, le 21 septembre 1944, après l’occupation le 30 août 1944 de Bucarest par l’Armée rouge. Le critique d’art Radu Bogdan, né en 1920, sympathisant communiste, fut l’un des membres de la première équipe de rédaction de L’étincelle roumaine lors de sa réapparition de 1944.

     

    Les débuts du journal Scânteia

     

    Dans son interview de 1995, conservée par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, Radu Bogdan se rappelait les premiers pas de cette nouvelle vie de l’officiel communiste roumain. :

     « Cinq personnes ont été chargées par le parti de la parution de ce premier numéro. Matei Socor a été nommé responsable de ce petit noyau de rédacteurs, dont faisaient encore partie Pavel Chirtoacă, l’ingénieur Solomon, Radu Mănescu et Iosif Ardelean. Ce dernier sera ultérieurement nommé responsable du département de censure. L’ingénieur Solomon avait pour sa part des responsabilités plutôt administratives. Quant à moi, j’avais certes à l’époque des velléités de journaliste. Mais j’avais du mal à trouver mes marques. Et c’est à ce moment que j’entends que Radu Mănescu allait lancer un journal. Je me présente et je postule. L’on m’invite sans peine à faire du bénévolat. C’était encore la période romantique, la période de grands idéaux. Mon premier travail a été celui de correcteur. Je travaillais avec Mirel Ilieşiu, metteur en scène. Et c’est ainsi que j’avais pris part à la parution du premier numéro de l’Etincelle. »

     

    Discréditer la démocratie et les partis historiques

     

    Mais l’officiel du parti communiste devient rapidement le fer de lance des pourfendeurs du régime démocratique roumain. Des intellectuels de gauche, idéalistes et opportunistes mélangés, faisaient de leur mieux pour discréditer la démocratie et les partis historiques. Parmi ces journalistes de la premières heure un personnage s’est démarqué entre tous par sa violence de langage. Il s’agit de Silviu Brucan, celui qui, après la chute du régime communiste fin 1989, s’érigera comme l’un des idéologues du régime postcommuniste de Ion Iliescu et de son Front du Salut national.

     

     

    Radu Bogdan se rappelait dans son interview de l’atmosphère d’effervescence qui était celle de la presse de l’après-guerre, une presse de plus en plus dominée par l’organe de presse du Parti communiste roumain, dirigé par le sociologue Miron Constantinescu :

     « Le compositeur Matei Socor n’est demeuré qu’un jour à la tête de l’Etincelle. Il prit ensuite ses fonctions à la tête de la Radio, devenant son directeur-général. Peu de jours après la parution du premier numéro de l’Etincelle, à sa tête fut nommé par le parti Miron Constantinescu, vieux communiste, récemment libéré. L’on travaillait dur au début, l’on passait nos nuits à la rédaction, l’on se reposait sur des matelas jetés à même le sol. Cette première rédaction du journal avait emménagé dans les locaux de l’ancien journal de Pamfil Seicaru, Curentul. Pendant tout un temps, j’ai aussi assuré la sécurité personnelle du nouveau rédacteur en chef, Miron Constantinescu. J’étais en quelque sorte sa garde de corps. Je n’avais pourtant pas d’arme sur moi, c’était plus pour faire semblant, pour se donner de l’importance. Mais comme il allait tous les jours au siège de la Confédération générale du travail et qu’il ne voulait pas circuler tout seul en rue en ces temps troubles, je l’accompagnais. J’avais une belle carrure, j’étais plutôt grand. Heureusement, on n’a jamais eu d’accroc avec qui que ce soit, mais j’ai été son ombre durant plusieurs mois. »   

     

    Durant les années qui ont suivi et jusqu’au mois de décembre 1989, l’Etincelle a été le porte-voix de la propagande communiste, le fer de lance de cette presse asservie, dont l’objectif principal était de cacher les malversations et les abus du régime et l’enfreinte régulière des droits fondamentaux. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • La Sécuritate et le KGB en divorce

    La Sécuritate et le KGB en divorce

     

    Le général Neagu Cosma, ancien chef de la direction de contrespionnage de la Securitate, racontait dans une interview de 2002, conservé par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, le contexte de la rupture consommée entre la Securitate et le NKVD, ce dernier devenu entre-temps le KGB. Ecoutons-le :

    « Tant que les Soviétiques étaient là, avec leurs conseillers, avec leurs agents aux manettes aussi bien au niveau politique qu’au niveau des services secrets, les choses étaient claires. Les décisions se prenaient au Kremlin. L’on exécutait les ordres, comme lors des arrestations en masse. Le rôle du conseiller soviétique, un officier du KGB, était d’indiquer au commandant roumain la conduite à tenir, les mesures à prendre.  Il y avait des conseillers soviétiques en poste auprès des ministres, auprès des commandants. Lorsqu’un ministre ou un commandant devait prendre une décision, le conseiller soviétique était consulté. Il donnait son avis. L’on pouvait l’appliquer ou non. Mais c’était son rôle. Mais cela était vrai en théorie. Dans la pratique, les conseillers soviétiques se mêlaient de tout. Ils dirigeaient tout, jusqu’aux réseaux d’espionnage. »

    Suffoqué par l’omniprésence des conseillers soviétiques, les dirigeants roumains essayeront de trouver la parade.  Neagu Cosma :

    « A un certain moment, le ministre de l’Intérieur, Drăghici, excédé, nous fait réunir et nous ordonne : « Camarades, occupez-les ! Ils aiment aller à la pêche, ils aiment se promener, faire des randonnées, ils aiment peut-être les femmes et la vodka. Offrez-leur ce qu’ils aiment, éloignez-les, faites en sorte à ce qu’ils ne soient pas tout le temps sur notre dos ». A l’époque, c’était juste après le soulèvement hongrois de 1956, on avait 6 conseillers soviétiques dans notre direction. Ils étaient tout le temps là, récoltaient des informations, mais ne jouaient pas un rôle bien défini.  Ils étaient devenus vraiment agressifs, intrusifs. Selon la convention entre les deux gouvernements ils auraient dû fournir un seul conseiller, en poste auprès du commandant. En revanche, là, ils étaient à 6. Venus épauler soi-disant le conseiller officiel. Ils voulaient en fait tout contrôler, c’était la seule et véritable raison de leur présence chez nous. »

    Au début des années 1960 pourtant, le premier-secrétaire du Parti communiste roumain, Gheorghiu-Dej, amorce un éloignement contrôlé par rapport au centre de pouvoir situé au Kremlin. Néanmoins, pour y parvenir il fallait tout d’abord neutraliser le réseau de contrôle soviétique qui agissait en Roumanie et dont les conseillers constituaient le fer de lance. Et dans ce contexte, c’est au Centre de documentation de la Securitate, petite structure discrète de 5, 6 officiers et coordonnée par Neagu Cosma, auquel revient la périlleuse mission de neutraliser le réseau soviétique infiltré à tous les niveaux de pouvoir à Bucarest. Neagu Cosma :

    « On commence par rédiger un tableau reprenant les membres de leur réseau. Des noms et quelques adnotations. Il s’agissait de la liste des premiers agents venus en 1944 avec les chars soviétiques, ceux qui avaient été racolés par les Soviétiques parmi les prisonniers de guerre roumains. Puis les agents que les Soviétiques avaient fait parachuter derrière les lignes pendant la guerre. Cette première liste fut présentée au patron du parti, Gheorghiu-Dej ». 

    La stratégie qui s’en est suivie fut aussi simple qu’efficace. Les espions roumains racolés par les Soviétiques ont été contacté discrètement par les officiers de Neagu Cosma. On les informa que les services roumains connaissaient leur activité mais que l’on n’allait pas prendre des mesures à leur encontre à condition qu’ils cessent toute action hostile aux intérêts de leur pays. Faute de quoi ils risquaient de se voir inculper de haute trahison. La plupart ont accepté le marchandage. Neagu Cosma :

    « Dans la première phase il s’est agi d’une liste de 180 espions répandus dans tout le pays. D’autres noms y figuraient encore, mais on n’était pas certain. Des Roumains partis étudier à Moscou et qui s’étaient mariés à des femmes russes. Il y avait des indices qui nous laissaient supposer qu’ils auraient pu être racolés par les services soviétiques, mais l’on n’était pas sûr. Mais ces femmes russes, on les soupçonnait fortement. On les a mises sous écoute. Ce qui n’était pas une mince affaire, car toutes étaient mariées à des militaires qui détenaient de hautes fonctions dans l’armée et dans les services secrets, mais aussi à des pontes du parti. Pourtant, progressivement, tous ces gens ont été éloignés des poses à responsabilités. Qu’on ait pu ou non établir une quelconque accointance avec le KGB. »    

    Malgré tout, si la Securitate est parvenue à échapper progressivement au contrôle instauré par le KGB sur ses agents et sur ses structures, elle n’en est pas moins demeurée l’institution crainte et honnie par l’ensemble des Roumains, et ce jusqu’à la chute du régime communiste, fin 1989. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Le destin du responsable communiste Vasile Luca

    Le destin du responsable communiste Vasile Luca

    Occupés vers la fin de la Seconde Guerre mondiale par l’Armée rouge, les Etats d’Europe centrale et de l’Est se sont progressivement vus mis sous la férule soviétique. Les régimes communistes ont accaparé le pouvoir, avec à leurs têtes des personnages inféodés à Moscou. L’issue des luttes intestines au sein des nomenklaturas nationales était souvent tranchée au même endroit, et le sort des perdants était rarement enviables. Vasile Luca, figure de proue du parti communiste roumain avant la guerre, se verra propulser aux plus hauts sommets du pouvoir après 1945. Ce qui ne l’empêchera pas de se voir déchu à la suite d’une dispute avec le secrétaire-général du parti, Gheorghiu-Dej, et de finir sa vie dans les geôles du régime, dans la prison d’Aiud, en 1963.

    Né en 1898 dans une famille d’origine magyare, à Covasna, dans cette province de Transylvanie encore partie de l’empire d’Autriche-Hongrie, Vasile Luca rejoint le mouvement révolutionnaire communiste dirigé par Bela Kun en 1919. Devenu cheminot après la répression de la révolution magyare par les troupes roumaines, Vasile Luca poursuit son engagement communiste cette fois au sein du parti communiste roumain. Tête de file de la grève des mineurs de Lupeni de 1929, puis du mouvement gréviste de la vallée Jiului en 1933, Vasile Luca grimpe les échelons du parti, devenant secrétaire des organisations communistes à Brasov d’abord, puis à Iasi. Retenu à plusieurs reprises, arrêté et condamné à diverses peines de prison, on le retrouve incarcéré en 1940 en Bessarabie, après une tentative échouée de traversée de la frontière qui séparait la Roumanie de l’Union soviétique. Il sera libéré au mois de juin 40 par les troupes soviétiques qui viennent d’occuper la Bessarabie et la Bucovine du Nord à la suite du pacte germano-soviétique et de l’ultimatum adressé par Moscou à Bucarest. Devenu citoyen soviétique, député au Soviet suprême de l’Union soviétique pendant la guerre, élevé au grade de major dans l’Armée rouge, il sera chargé d’organiser la division « Tudor Vladimirescu », composée de prisonniers roumains tombés aux mains des Soviétiques et qui auront à jouer un rôle essentiel dans la soviétisation de l’armée roumaine d’après 1945.

     

    Vasile Luca, l’une des figures de proue de l’aile moscovite du parti communiste

    Après la fin de la guerre, occupée par l’Armée rouge, la Roumanie se verra imposer un gouvernement communiste à sa tête. Aussi, Vasile Luca devient, avec Ana Pauker, l’une des figures de proue de l’aile moscovite du parti communiste roumain. Le 5 novembre 1947 il devient ministre des Finances au gouvernement dirigé par Petru Groza, qui n’hésite pas à l’encenser à l’occasion. Ecoutons Petru Groza, ancien président de Conseil :

    « L’arrivée de madame Ana Pauker à la tête du ministère des Affaires étrangères et de monsieur Vasile Luca à la tête des Finances mais aussi, plus récemment, de monsieur Emil Bodnaras à la direction de la Défense nationale représentent des moments fastes pour le développement plus soutenu de notre démocratie populaire. Les changements survenus au sein de l’équipe gouvernementale ont grandement contribué à l’amélioration de notre politique économique et financière, indispensable dans la consolidation de notre régime démocratique et pour la stabilisation de notre monnaie nationale ».  

    Quelques années plus tard pourtant, l’aile du parti dirigée par son premier-secrétaire Gheorghe Gheorghiu-Dej allait démarrer une chasse sans pitié à l’encontre des membres de l’aile moscovite du parti. Au mois de mai 1952, Vasile Luca se voit accusé de déviationnisme droitier et sera exclu du parti. Au mois d’août de la même année, il sera arrêté, jugé, puis condamné à la peine capitale pour haute trahison. Une peine commuée plus tard en travaux forcés à perpétuité.

     

    La réunion du comité central du parti communiste roumain de 1952

    Vlăduț Nisipeanu, jeune communiste à cette époque, remémorait, en 1999, pour le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, la réunion du comité central du parti communiste roumain de 1952, où Vasile Luca sera excommunié du parti et ses instances dirigeantes. Ecoutons-le :

    « Je me souviens très bien cette réunion à la suite de laquelle Vasile Luca et Ana Pauker ont été déchus de leurs fonctions, puis arrêtés. Je n’avais que 19 ans à l’époque, je n’étais pas membre du comité central et n’ai donc pas participé personnellement à la réunion. Mais j’ai été interpellé par tout ce remue-ménage au sein du parti. On avait reçu l’ordre de décrocher leurs portraits. Je m’y suis exécuté, mais ne voulais pas détruire leurs tableaux. Je me disais que peut-être que le vent allait tourner, et qu’il va falloir les raccrocher à nouveau. Je les ai alors décrochés, les ai posés face au mur, puis je les ai entreposés au grenier. Ensuite, le secrétaire de notre organisation nous a convoqué à une réunion pour nous expliquer de quoi il retournait. C’est lui qui nous informa officiellement de l’issue de la guerre qui s’était déclenchée à la tête du parti, des accusations de déviationnisme qui pesaient sur le groupe Pauker-Luca. La vérité ? Nul ne la connaissait. Mais qui allait chercher la vérité ? Personne sans doute. Finalement, les tableaux furent jetés à la poubelle, bon débarras. Quant à Ana Pauker et Vasile Luca, ils furent emprisonnés, jugés et condamnés pour haute trahison ».    

    Ce n’est qu’en 1968 que Nicolae Ceaușescu, le nouvel homme fort du régime, réhabilitera la mémoire de Vasile Luca dans sa tentative de réhabiliter la mémoire de bien d’autres victimes communistes de son prédécesseur, Gheorghiu-Dej.

  • Le parti communiste et la réforme agraire en Roumanie

    Le parti communiste et la réforme agraire en Roumanie

    La propriété privée, démonisée par les communistes

     

    Selon les thèses de Marx, il fallait bien que dans un Etat communiste la propriété des moyens de production soit commune, et que ces derniers deviennent la propriété des producteurs et des usagers. Démonisée, la propriété privée était perçue comme la source du Mal, celle-là même qui était à la base de l’exploitation de l’homme par l’homme, selon la propagande officielle du régime. Et il n’y avait aucune raison à ce que les choses aillent autrement dans le monde rural, où la terre représentait le principal moyen de production. La patrie du communisme, l’URSS donne le ton dès 1918, alors même que la Nouvelle politique agricole promue par Lénine en 1921 allait toutefois admettre l’existence de certaines formes de propriété privée dans l’agriculture. Mais la mort de Lénine, survenue en 1924, sonnera aussi le glas d’une autre forme de propriété que collective dans l’agriculture soviétique. Aussi, après la Seconde Guerre mondiale, les pays devenus satellites de l’URSS s’empresseront d’emboîter le pas au grand frère soviétique.

     

    Les débuts de la réforme agraire en Roumanie

     

    La destruction de la propriété privée dans l’agriculture, appelée réforme agraire pour la cause, se profile en Roumanie dès le 6 mars 1945, lors de l’installation sous la pression des Soviétiques du premier gouvernement roumain contrôlé par les communistes. Avant même cela, au mois de janvier 1945, le Front national démocrate, soit l’alliance politique dirigée par les communistes, encourageait les paysans à occuper de force les terres et confisquer les propriétés qui dépassaient les 50 hectares. La chose fut légiférée par le gouvernement Petru Groza le 23 mars 1945. Les propriétaires qui détenaient des fermes dépassant les 50 hectares allaient s’y voir déposséder sans dédommagements, non seulement d’une partie de leur propriété mais encore des machines agricoles censées travailler cette terre. La mesure, aussi brutale qu’elle soit, faisait partie du programme des communistes, décidés d’en découdre avec la propriété privée et d’éliminer ce qu’ils appelaient l’exploitation des paysans par les grandes propriétés terriennes.

     

    Instabilité et violence 

     

    Dans la pratique toutefois, la destruction de la grande propriété a mené non seulement à d’innombrables exactions, brutalités et violences, mais aussi à une baisse marquée de la production agricole et à la déstructuration de l’agriculture roumaine. Le climat marqué par l’instabilité, l’arbitraire et la violence a été noté plus tard même par les membres de la nomenklatura, tel Ion Paicu.

     

    Dans une interview passée en 1971 et conservée par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, Ion Paicu se souvient des pratiques auxquelles il avait assisté lors de l’application de la réforme agraire dans le département Mehedinți, situé dans le sud-ouest de la Roumanie :

    « Nous avions des difficultés dans l’application de la réforme agraire. Les propriétaires terriens s’y opposaient de manière décidée, parfois l’arme au poing, au partage des terres. Certains, tels un nommé Istrătescu du village de Bâcleş, puis Bumbaru de Malovăţ, mais aussi Ionică Ionescu, un type qui avait tué un militaire soviétique lorsque des unités de l’Armée rouge étaient passées dans les parages, faisaient opposition. Ceux-là ont pris pour leur grade. Nous avons réuni des groupes de choc, des ouvriers, parce que les paysans craignaient trop pour s’en prendre à eux. Sachez qu’en l’absence du soutien de la classe ouvrière, les paysans ne seraient pas parvenus à faire appliquer la réforme agraire. Ce n’est que grâce aux ouvriers, dirigés par le parti communiste, que nous sommes parvenus à mettre au pas les propriétaires terriens et à faire appliquer la réforme agraire. »

     

    Attirer la sympathie des paysans

     

    Certes, en promouvant la réforme agraire, le parti communiste entendait s’attirer de premier abord la sympathie des paysans. Mais le dogme communiste n’entendait pas s’arrêter en si bon chemin. Faire passer de main la propriété, tout en continuant à laisser les terres aux mains des particuliers était loin d’être l’objectif ultime des communistes.

     

    L’ancien syndicaliste Tudor Constantin, interviewé en 2003 par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, détaille à son tour la manière dont cette réforme a été appliquée dans une région agraire située à 60 Km au sud-ouest de Bucarest, près de la ville d’Oltenița  :

    « Ecoutez, j’ai reçu un lopin de terre lors de la réforme agraire de 1945. Parce que j’étais vétéran de guerre. Puis, ils me l’ont pris. Tous ceux qui possédaient dans notre commune des terrains agricoles ont dû le céder à l’Etat. Il y avait un parti, le Front des agriculteurs. C’étaient des alliés des communistes. Et il y en avait chez nous deux, trois qui étaient inscrits dans ce parti. Ils ont pris la tête d’un groupe de paysans et sont allés dans les champs pour prendre possession des terres du propriétaire du coin. Ce sont eux qui ont marqué et réparti les parcelles aux uns et aux autres. Ils n’avaient aucune compétence pour ce faire ni aucune légitimité. Puis les paysans ont pris possession de leur lopin et l’ont travaillé comme si c’était le leur jusqu’à la collectivisation de l’agriculture ».   

     

     

    La mise en œuvre de la réforme agraire de 1945 a duré jusqu’à 1949. Mais cette réforme ne fut qu’en leurre. Car dès que les communistes se sont vus seuls maîtres à bord ,après l’abdication forcée du roi Michel le 30 décembre 1947, ils ont montré leur vrai visage et mis en œuvre leur véritable dessein. Car cette première réforme fut rapidement suivie par la collectivisation de l’agriculture, autre euphémisme pour marquer la confiscation des terres jusqu’au moindre lopin par l’Etat. Aussi, l’agriculture socialiste venait de naître. (Trad Ionut Jugureanu)

  • La flotte militaire roumaine durant la Seconde Guerre mondiale

    La flotte militaire roumaine durant la Seconde Guerre mondiale

    L’histoire de la flotte militaire roumaine démarre au milieu du 19e siècle

     

    L’histoire de la flotte militaire roumaine démarre au milieu du 19e siècle, après l’union des deux Principautés danubiennes, lorsque la Moldavie et la Valachie décident de réunir non seulement leurs destinées mais aussi leurs flottes commerciales fluviales. Se trouvant sous souveraineté ottomane et sans issue à la mer, les deux principautés n’avaient pas eu jusqu’alors ni le droit, ni l’utilité de constituer des flottes militaires. Ce n’est qu’après 1878, lorsque la Dobroudja, province côtière à la mer Noire, entre dans la composition de l’Etat roumain, que sera constituée la première flotte militaire du royaume de Roumanie.

     

    Mais la flotte fluviale participa déjà à la guerre russo-turque de 1877-1878, menant des opérations au long du Danube. Aussi, les bâtiments roumains commandés par Nicolae Dumitrescu-Maican et Ioan Murgescu ont installé des barrages à travers le fleuve, attaquant les bâtiments de guerre ottomans, bombardant les positions ottomanes au long du fleuve et faisant couler deux monitors ottomans.

     

    Devenue la Marine militaire du royaume de Roumanie après 1878, elle ne cesse de se développer.

     

    Aussi, en 1907 l’on voit entrer au service quatre monitors et huit vedettes fluviales censés surveiller la navigation au long du Danube et défendre la frontière fluviale de la Roumanie. Dans les années de la Grande Guerre, cette flotte fluviale engage le combat lors de la bataille de Turtucaia de 1916, puis intervient pour évacuer les unités roumaines acculées par les forces bulgaro-allemandes sur la rive droite du fleuve. L’année suivante la flotte militaire danubienne qui agit sous la commande de Constantin Bălescu bombarde les positions de l’artillerie allemande basée à Tulcea, avant de mater la rébellion des matelots russes dans le delta du Danube.

     

     

    Après la fin de la guerre le programme d’armement de la flotte militaire roumaine se poursuit sans répit. Les destroyers Mărășești, Mărăști, le Roi Ferdinand et la Reine Marie, le premier sous-marin roumain Le Dauphin, enfin le vaisseau-école Mircea entrent tour à tour au service.

     

    La Seconde Guerre Mondiale

     

    Durant la Seconde Guerre mondiale, la Marine militaire roumaine engage le combat avec deux grandes unités : la division maritime et la division fluviale. La première disposait de 4 destroyers, 3 torpilleurs, 3 dragueurs de mines, 1 sous-marin, 3 vedettes, 8 remorqueurs et d’une flottille d’hydravions. La division du Danube comprenait 7 monitors et 6 vedettes. Le littoral roumain de la mer Noire était par ailleurs défendu par un barrage de mines, distant de 12 miles des côtes, et par un système d’artillerie de côtes. Vu le déséquilibre des forces en présence, la flotte militaire roumaine adopte une tactique défensive pendant les premières phases des opérations. Le 26 juin 1941, peu de jours après l’entrée en guerre de la Roumanie aux côtés de l’Allemagne nazie contre l’Union soviétique, une guerre mue par le désir de libérer la Bessarabie et la Bucovine annexées par ultimatum une année auparavant par les Soviets, les destroyers Marasti et Reine Marie soutenus par l’artillerie des côtes parviennent à faire couler Moskva, le navire amiral de la flotte russe de la mer Noire, et endommager le destroyer Kharkov.

     

    Avec le déplacement du front vers l’Est, loin dans le territoire soviétique, la flotte militaire roumaine concentre ses efforts pour soutenir les opérations militaires des troupes au sol qui avaient encerclé et donnaient l’assaut à Odessa et Sébastopol. Depuis lors et jusqu’à l’armistice du 23 août 1944, les navires soviétiques ne mettront plus jamais en danger les côtes roumaines. La guerre sous-marine faisait en revanche rage. La dernière grande opération impliquant la flotte de guerre roumaine a été représentée par l’évacuation en catastrophe des troupes roumaines et allemandes encerclées par les Russes en Crimée. L’ « opération 60.000 » selon son nom de code est parvenue à sauver des mains de l’ennemi 36.000 militaires roumains, 584.000 allemands, 720 slovaques, évacuant en outre 25.000 prisonniers de guerre soviétiques. .

     

    La Roumanie passe dans le camp des alliés

     

    Après le passage de la Roumanie dans le camp des alliés qui a eu lieu le 23 août 1944, la marine militaire roumaine entre sous la coupe des Soviétiques et les militaires roumains seront fait prisonniers.

     

    Lors de son interview donnée en 1999 pour le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, l’officier Nicolae Koslinski, fils de l’amiral Gheorghe Koslinski, mort en détention comme prisonnier politique en 1950 dans le camp d’Aiud, raconte l’expérience qu’il avait vécue dans la nuit du 4 au 5 septembre 1944 au bord de la vedette Le Volcan.

     

    Nicolae Koslinski : « Vers 4h30 du matin, l’on entend du bruit dehors. Je sors du lit, prend mon révolver et sors de la cabine. Le télégraphiste de planton m’annonce l’arrivée des Russes. Ils entrent dans la salle commune où l’on s’était réunis, je leur souhaite la bienvenue en russe, ils se montrent un peu étonnés, puis exigent qu’on leur rende nos armes. Je lève les bras en air mais refuse de sortir le révolver, mis dans la poche de mon pantalon. Un sous-officier russe approche, nous contrôle à tour de rôle. Comme par miracle, il ne s’est pas rendu compte que j’avais mon arme sur moi. Enfin, ils nous intiment l’ordre de quitter le navire et de nous réunir à la gare maritime. »  

     

     

    Les bâtiments de guerre roumains sont confisqués par les Russes et amenés en l’URSS.

     

    Dans des circonstances non élucidées, la canonnière Dumitrescu et le sous-marins le Marsouin coulent en route. Ce n’est que quelques années plus tard que le gouvernement soviétique retournera au gouvernement communiste de Bucarest 23 bâtiments de guerre, dont des destroyers, des torpilleurs et des canonnières provenant de la flotte confisquée, des navires devenus obsolètes et souffrant de l’absence de manutention dans l’intervalle. A remarquer toutefois que la vaillance des marins roumains se manifesta bien au-delà de l’eau et de la guerre, certains s’engageant à corps perdu dans les rangs de la résistance anticommuniste, tel l’amiral Horia Macellariu. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Ana Pauker

    Ana Pauker

    Il fut un temps où le simple fait d’évoquer le nom de Ana Pauker faisait frissonner l’interlocuteur. Dans l’histoire du régime communiste roumain, cette femme de poigne, militante de la première heure, membre du premier gouvernement rouge installé à Bucarest, occupe une place certainement à part.

     

    Ses origines et son parcours politique

     

    Née en 1893 dans le département de Vaslui, situé à l’est de la Roumanie, au sein d’une famille juive orthodoxe, comptant un grand-père rabbin, Hana Rabinsohn, mieux connue sous le nom d’Ana Pauker, rencontre en France celui qui deviendra son mari et le père de leurs trois enfants, Marcel Pauker, juif né à Bucarest et communiste radical, engagé au sein de l’Internationale communiste.

     

    Devenue agent soviétique, arrêtée et condamnée d’abord en 1922, puis en 1935, elle sera libérée, puis expulsée en 1941 en l’URSS à la suite d’un échange de prisonniers. Durant sa détention, son époux, Marcel Pauker, avait été exécuté, en 1938, à Moscou, lors des purges staliniennes, accusé d’espionnage à la solde de l’Occident. Pendant la guerre, Ana Pauker prendra la tête du groupe des militants communistes roumains réfugiés à Moscou, connus sous la dénomination de « faction moscovite » du parti communiste roumain.

     

    Son portrait dressé par les Soviétiques

     

    C’est en 1994 que le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine invite à son micro le docteur Gheorghe Brătescu, gendre d’Ana Pauker, qui fait revivre le temps d’une interview la personnalité contrastée de sa belle-mère.

     

    Gheorghe Brătescu commence par citer une caractérisation réalisée par les Soviétiques :

    « Dans ce document, rédigé en 1946, les Soviétiques soulignent que la « camarade Pauker est une idéologue chevronnée, bénéficiant d’une grande influence au sein du parti communiste roumain. Que c’est elle qui dirige dans les faits les travaux du comité central du parti. Que son image jouit aussi d’une notoriété importante au sein des Roumains, grâce à sa longue période de militantisme communiste déroulé dans des périodes hostiles. Qu’elle dirige par ailleurs le groupe parlementaire des communistes au sein du parlement roumain, tout en assurant les liens entre les communistes roumains et les autres partis membres de la coalition au pouvoir à Bucarest. Le document soviétique met également en exergue sa place de premier ordre au sein de la Fédération Démocratique Internationale des Femmes. Mais ce même document se montre plus critique à son égard, estimant qu’Ana Pauker ne fait pas assez pour raffermir le parti communiste roumain sur le plan idéologique et du point de vue organisationnel ».    

     

    Le sort tragique d’Ana Pauker

     

    La fin de la Seconde Guerre mondiale et l’occupation de la Roumanie par l’Armée rouge ouvre un boulevard aux communistes. Elue secrétaire du Comité central du parti communiste roumain, Ana Pauker deviendra la première femme ministre des Affaires étrangères de la Roumanie après l’abdication contrainte du roi Michel, le 30 décembre 1947.

     

    Pourtant, au début des années 1950, la lutte intestine au sein du parti communiste roumain, à l’instar des autres partis communistes du bloc soviétique, fait rage. En 1952, le secrétaire-général du parti, Gheorghe Gheorghiu-Dej, tentant d’éliminer les concurrents potentiels, démarre une vague d’épurations à la tête du parti. Ana Pauker et Vasile Luca, autre membre de premier plan de la faction moscovite du parti, seront les premiers visés. Accusés de déviationnisme et de sabotage, les deux anciens caciques communistes seront emprisonnés. Lucrețiu Pătrășcanu, autre communiste marquant et autre possible contre candidat de Dej à la tête du parti, sera lui exécuté.

     

    En 1953, Ana Pauker sera pourtant libérée mais contrainte de garder son domicile. L’année suivante, elle se verra exclue du parti. Vers la fin de sa vie, survenue en 1960, elle travaillera comme traductrice de français et d’allemand pour la maison d’édition officielle du parti. Elle fera partie de l’équipe de traducteurs chargés de la première édition parue en langue roumaine des œuvres complètes de Karl Marx et Friedrich Engels.

     

    Le changement de régime n’aide pas à la réhabilitation de son image

     

    L’arrivée au pouvoir de Nicolae Ceausescu en 1965 a été marquée par la volonté du nouveau leader de réhabiliter la mémoire de certains communistes de la première heure déchus par son prédécesseur, Gheorghiu-Dej. Ce ne fut pourtant pas le cas d’Ana Pauker, qui demeura encore le paria du régime à l’avènement duquel elle avait tout donné.

     

    Gheorghe Brătescu :

    « L’on n’a jamais tenté sa réhabilitation politique. Même le poste auquel on l’avait reléguée, son travail de traductrice se déroulait dans des conditions indignes. Elle vivait comme une pestiférée. Tant qu’il avait été en vie, l’ancien secrétaire-général du parti, Gheorghiu-Dej, la craignait. Elle était potentiellement sa principale concurrente politique. Ce n’est qu’après 1968 que l’on a timidement commencé à mentionner son nom. Pour l’anecdote, en 1961, soit un an après sa mort, on lui a retiré tous les titres et les décorations reçus. C’est dire combien fut-ce sa mémoire était crainte par ses anciens camarades ».   

     

    Une femme isolée à la fin de sa vie

     

    Peu de ses anciens amis osaient encore la contacter dans la période 1953-1960. L’un de ces rares amis a été l’avocat Radu Olteanu, un des défenseurs des communistes lors des procès des années 1930, l’autre, une ancienne collègue de cellule.

     

    Gheorghe Brătescu :

    « Cette camarade de prison, Maria Andreescu, une ouvrière, était la seule qui osait lui rendre encore visite sans réserve. Les autres maintenaient des relations plus distantes. A ses obsèques furent pourtant présents quelques-uns de ses anciens camarades, dont le premier secrétaire-général du parti communiste roumain, un traître opportuniste, Gheorghe Cristescu. Mais il se devait être présent, représentant l’ancien mouvement socialiste qui donna naissance au parti communiste roumain ».

     

    Aveuglée par les idéaux d’une société de justice sociale, sourde devant la terreur par laquelle cette dernière entendait s’instaurer, Ana Pauker fut un de ces enfants dévorés sans pitié par la révolution qu’elle avait pourtant appelée de tous ces vœux.  (Trad Ionut Jugureanu)

  • Nicolae Titulescu et la diplomatie roumaine dans l’Europe des années ’30

    Nicolae Titulescu et la diplomatie roumaine dans l’Europe des années ’30

    Les enjeux de la diplomatie

     

    Il vaut mieux que les diplomates, et surtout les diplomates qui représentent les intérêts de petits Etats, soient agiles, fin prêts à déceler bien avant les autres la tournure que peuvent prendre les événements, de déchiffrer la volonté des Grandes Puissances et tout risque d’un possible changement du rapport des forces existant. Pour y parvenir, les petites nations ont donc tout intérêt à propulser les plus brillants de leurs diplomates dans des postes clés au niveau international. Ce fut ainsi la position de la diplomatie roumaine dans la période de l’entre-deux-guerres, une diplomatie qui propulsa à deux reprises l’un de ses plus brillants diplomates, Nicolae Titulescu (1882-1941), à la tête de la Société des Nations.

     

    A la fin de la Grande Guerre

     

    La fin de la Grande Guerre fut loin de marquer le début d’une ère de concorde universelle. Les Etats vaincus, l’Allemagne en premier, étaient loin en effet d’adhérer de bon cœur aux conditions du traité de Versailles, matérialisées par de lourdes pertes territoriales et de coûteuses réparations de guerre. La création en 1919 de la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU d’aujourd’hui, représenta un moment l’espoir de pouvoir négocier et résoudre les différends qui séparaient les nations autour d’une table et non plus sur le champ de bataille. La Roumanie, bénéficiaire du traité de Versailles, avait bien entendu tout intérêt à faire fonctionner la nouvelle architecture européenne agencée autour de la Société des Nations.

     

    Nicolae Titulescu

     

    Juriste de formation, Nicolae Titulescu est né à Craiova, capitale de l’Olténie, région historique située au sud de la Roumanie d’aujourd’hui. Il fera sa carrière politique au sein du parti Conservateur-démocrate, position qui lui offre la possibilité de soutenir l’entrée de la Roumanie dans la Grande Guerre aux côtés de la France. Après la guerre, on le retrouve ministre plénipotentiaire à Londres, avant de prendre les manettes de la politique extérieure de la Roumanie, entre 1928 et 1936, au sein de plusieurs gouvernements de Bucarest. Dès 1921, Nicolae Titulescu est nommé délégué permanent de la Roumanie auprès de la Société des Nations. Aussi, à deux reprises, en 1930 et en 1931, il sera élu à la tête de la principale institution internationale de l’entre-deux-guerres.

     

    Iosif Igiroșianu a été un des diplomates roumains formés par Nicolae Titulescu. Dans son interview enregistrée en 1997 et conservée par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, Igiroșianu explique l’influence étonnante dont jouissait à l’époque le dignitaire roumain.

     

    Les mérites de Titulescu

     

    Iosif Igiroșianu: « Vous savez, la Roumanie a été le seul Etat qui avait pu ouvrir une légation à Genève auprès de la Société des Nations. Le gouvernement suisse avait donné son accord en signe de reconnaissance pour Nicolae Titulescu. Parce que Titulescu avait fait de la Suisse la plaque tournante de la diplomatie mondiale. Il parvenait à organiser la plupart des réunions et des conférences internationales en Suisse, et c’est bien lui qui a donné une assise internationale à la ville de Genève. »  

     

    Aussi, dans la hiérarchie du ministère des Affaires étrangères de Bucarest, le représentant de la Roumanie auprès de la Société des Nations occupait une place singulière. Habilité de négocier directement avec les Grandes Puissances, Bucarest attendait à ce qu’il se crée un solide réseau personnel parmi les hommes politiques et les diplomates les plus influents du moment. Une influence personnelle dont la nation dont il était issu pouvait bénéficier directement ou de manière plus subtile.

     

    Titulescu, un médiateur international respecté

     

    Mais Titulescu s’avère être bien davantage que le représentant de la Roumanie auprès de la Société des Nations, parvenant à s’ériger en un médiateur international unanimement respecté. Ami de Pierre Laval, premier ministre de la France de l’époque, Titulescu avait été convié de trouver un arrangement lors d’une dispute qui risquait d’empoisonner les relations entre Londres et Paris, dont les vues divergeaient de plus en plus au sujet de la question des garanties de sécurité que les deux capitales devaient exiger de Berlin. Jusqu’alors, depuis la fin de la Grande Guerre, les gouvernements français et britannique avaient été sur la même longueur d’onde sur le sujet. La signature des Accords de Locarno, imposée à l’Allemagne en 1925, était censée assurer la sécurité collective en Europe et les frontières des voisins de l’Allemagne. Mais la Grande-Bretagne plaidait désormais pour un assouplissement des conditions imposées à Berlin, un assouplissement auquel la France, craignant de voir une résurgence du militarisme allemand, s’y refusait à tout prix. La situation risquait de s’empoisonner davantage entre Londres et Paris, la première soupçonnant à son tour la capitale française de visées expansionnistes, de vouloir dominer l’Europe plus encore que ne pouvait le faire Berlin en l’état.  Et c’est dans ce climat délétère qui risquait de s’installer entre les deux capitales qu’apparaît la figure lumineuse de Nicolae Titulescu.

     

    Iosif Igiroșianu : « Ni Londres, ni Paris ne souhaitaient initier des négociations directes. Aucune partie ne voulaient être perçue par l’autre partie comme demandeuse. Elles avaient donc besoin d’un intermédiaire qui puisse prendre le pouls des uns et des autres, qui puisse négocier et proposer un arrangement, rapprocher les points de vue divergents. Or Titulescu, qui avait été ambassadeur à Londres pendant de longues années et qui s’était bâti une solide réputation auprès de l’establishment anglais, était la personne idéale dans le contexte. »

      

    La carrière brillante du diplomate roumain prend fin en 1936, lorsqu’il se voit déchargé de ses responsabilités et limogé par le roi Carol II, qui lui demande de quitter le pays. Il s’établit d’abord en Suisse, puis vit en France. Même en exil, Titulescu continue à travers des conférences et des articles de plaider pour conserver la paix. Il meurt à Cannes en 1941 des suites d’une longue maladie. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Le début des émissions de la BBC diffusées en langue roumaine

    Le début des émissions de la BBC diffusées en langue roumaine

    La section roumaine de la BBC voit le jour en 1939

     

    Dans l’univers de la radio, BBC demeure un repère, synonyme d’intégrité et de professionnalisme du journalisme radio. Moins connue, la section roumaine de la BBC occupe pourtant une place à part dans l’histoire centenaire de la radio publique britannique. Son lancement, au mois de septembre de l’année 1939, était justifié eu égard les eaux troubles que traversait le monde à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Depuis lors, la section roumaine de la BBC n’a plus cessé d’émettre, d’autant que la fin de la guerre n’a pas pas ramené la paix mais une autre guerre, la Guerre froide.

     

    En 1997, le Centre de l’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine a eu le privilège d’interviewer Liviu Cristea, l’un des premiers journalistes de la Section roumaine de la BBC, journaliste et chroniquer à la radio britannique entre 1939 et 1971.

     

    Il conte les débuts de cette aventure journalistique :

    « C’est la légation de la Roumanie à Londres qui avait recommandé quelques personnes pour travailler à la section roumaine de la BBC à ses débuts. La BBC avait commencé à tester aussi la qualité du signal, voulait s’assurer que l’émission était réceptionnée en Roumanie, que la qualité des voix des chroniqueurs radio convenait. La première équipe comprenait 4 personnes : Niculae Gheorghiu, fonctionnaire au ministère des Finances de Bucarest qui se trouvait à Londres pour raisons professionnelles, Ion Podrea, prof d’histoire, envoyé en mission à Londres par l’Institut de recherches en histoire Nicolae Iorga, moi, juriste en formation en droit comparé, enfin un jeune étudiant de l’Ecole polytechnique de Londres, Jose Campus. Ce fut la première équipe de rédaction de la section roumaine de la BBC ».

     

    La rédaction change de locaux durant les conflits

     

    A ses débuts, l’émission de la BBC en langue roumaine ne comprenait qu’un bulletin d’information d’une quinzaine de minutes, reprenant les principales nouvelles véhiculées par la presse britannique et par la presse internationale. La guerre venait de commencer. Devant l’avancée des troupes allemandes, les Polonais se réfugiaient en masse en Roumanie, certains cherchant à se frayer par la suite un chemin vers l’Europe occidentale. Notre rédaction était abritée par la Broadcasting House de Portland Place, au centre de Londres. C’est de là que partit pour la première fois l’annonce en roumain « Ici, Radio Londres ». Puis, lorsque les bombes allemandes ont avarié le bâtiment, le service a dû déménager dans un hôtel, avant d’élire domicile sous le toit d’une ancienne patinoire de Londres.

     

    Liviu Cristea remémore dans son interview les dures années de guerre :

    « Très rapidement, les voix des chroniqueurs sont devenues une source fiable et indispensable d’information censée redonner espoir pendant les sombres moments de la guerre. Au micro de la section roumaine se sont succédés des scientifiques, des hommes politiques, des éditorialistes, des écrivains, des syndicalistes, des professeurs, des militants, des combattants de la guerre de l’ombre, des militaires, des prisonniers de guerre. Après le début de la guerre, les nouvelles que l’on diffusait étaient vérifiées, mais jamais censurées à proprement parler. La rédaction centrale de la BBC rédigeait la plupart des articles, que nous traduisions et adaptions ensuite au profit des auditeurs roumains. La revue de la presse se concentrait sur les nouvelles régionales. Il y avait aussi des articles de fond, des journalistes de premier plan qui plaçaient les événements dans leur contexte. »

     

    L’information était contrôlée 

     

    Les exigences de la guerre faisaient en sorte que le contrôle de l’info devait être exercé par les organes de surveillance. Liviu Cristea :

    « Il existait ce que l’on appelait le monitoring service, soit un service qui écoutait les émissions qui étaient diffusées dans les différentes langues par la BBC. L’on devait s’en tenir au texte qui avait été précédemment approuvé par le rédacteur en chef. L’on n’avait pas le droit de s’en écarter. Trois types travaillaient dans ce service : George Campbell, le docteur Morrison, enfin un ancien employé d’une société pétrolière britannique, autrefois active en Roumanie ».   

     

    Une rencontre pas comme les autres

     

    C’est dans les locaux de la BBC que Liviu Cristea avait croisé l’un des grands personnages de l’histoire du 20e siècle, le général de Gaulle :

    « Près du concierge, j’ai remarqué un officier qui avait du mal à se faire comprendre. Un officier français, en uniforme. Je lui ai proposé mes services d’interprétariat. Il a eu l’air quelque peu vexé et m’a répondu assez sèchement : « Je suis le général de Gaulle, je viens du front et j’ai un rendez-vous. Je suis en retard de 5 minutes, et je ne comprends pas pourquoi personne ne m’attend et pourquoi l’on me retient ici. » J’ai compris plus tard de qui il s’agissait, de cet héros et chef de file de la résistance française. De celui qui deviendra le premier leader de la France d’après la guerre ».

     

    La section en langue roumaine de la BBC vient souffler ses 85 bougies. Ce n’est pas peu de chose, car cette vénérable institution de presse garda haut le flambeau de la liberté pour de nombreux Roumains pendant toutes ces années. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • L’affaire Culianu

    L’affaire Culianu

    C’était vers 13h00 le 21 mai 1991, que le corps gisant sans vie de l’éminent historien des religions, le professeur Ioan Petru Culianu, était trouvé dans les toilettes de l’Université de Chicago. A seulement 41 ans, la vie et la carrière prolifique de l’érudit roumain avaient été coupées net d’une balle tirée derrière sa tête. 35 années plus tard le nom de l’assassin et les raisons de cet assassinat horrible demeurent jusqu’à ce jour recouverts de mystère.

     

    Qui était Ioan Petru Culianu?

     

    Né dans la ville de Iași, le 5 janvier 1950, au sein d’une vieille famille d’intellectuels patriotes, Ioan Petru Culianu suivit des études approfondies en philologie, avant d’entamer des études en histoire des religions, une fois émigré en Italie en 1972. Remarqué par le célèbre historien de religions Mircea Eliade, Culianu suivra ce dernier et le rejoindra à Chicago, où il s’établira en 1986. Auteur de plus de 20 recueils spécialisés en histoire des religions mais aussi de romans de fiction, sa disparition brutale et mystérieuse fera pour un bon moment les choux gras de la presse roumaine et étrangère.

     

    Des hypothèses autour de sa mort

     

    Par ailleurs, 17 auteurs se lanceront à leur tour au fil des ans dans des hypothèses, des plus crédibles aux plus farfelues. Aussi, on verra tour à tour être mis sur la sellette des supposés agents de l’ancienne police politique du régime communiste sombré un an et demi plus tôt, la Securitate, et des membres d’extrême droite de la diaspora roumaine.

     

    Le dernier livre paru sur le sujet, œuvre de l’historien américain des religions Bruce Lincoln, ancien élève de Mircea Eliade, intitulé « Secrets, mensonges et conséquences : Le passé caché d’un grand érudit et le meurtre non résolu de son protégé », lance une nouvelle hypothèse.

     

    L’historien des religions Moshe Idel, professeur à l’Université de Jérusalem explique :

    « Vous savez, j’ai un jour rencontré le président roumain d’alors, Emil Constantinescu. Et j’ai soulevé devant lui la question de ce crime irrésolu. Il a haussé simplement les épaules et m’a avoué son impuissance. Il y avait ces deux hypothèses qui étaient véhiculées à l’époque : un assassinat commandité soit par la Securitate, soit par des membres de la Garde de Fer réfugiés à l’Ouest après la guerre. Les enquêtes diligentées par le FBI n’avaient rien donné. Alors, il ne nous reste qu’à attendre un miracle. Que quelqu’un, impliqué dans cet assassinat, témoigne volontairement à la fin de sa vie ou qu’il laisse un témoignage posthume sur les circonstances de cette mort atroce. Mais entre-temps les services roumains d’informations sont demeurés muets. Ils n’ont jamais daigné infirmer formellement les accusations dont ils avaient été accablés. »

     

    Des efforts pour savoir la vérité

     

    L’historien Sorin Antohi, qui a pris part avec Moshe Idel au récent débat au sujet de l’assassinat du professeur Culianu, ajoute à son tour :

    « La famille de Culianu a fait de son mieux pour trouver la vérité. Cela n’a rien donné. Des cinéastes américains ont tenté d’avoir accès aux informations classifiées par les enquêteurs, mais sans plus de succès. Les autorités américaines ont déclassifié, il est vrai, certains dossiers. Ces derniers ont même été publiés en accès libre sur internet. Mais en rendant anonymes la plupart des informations publiées. »  

     

    Une nouvelle hypothèse

     

    Dans son livre, Bruce Lincoln lance une nouvelle hypothèse, à savoir le rôle joué par Christinel Eliade, la femme de Mircea Eliade, dans cet assassinat. Une hypothèse contestée sans une certaine réserve par le professeur Moshe Idel :

    « Vous savez, dans un article paru en 1998, j’avais parlé d’une famille inconnue de Chicago. Dans son livre, Bruce Lincoln cite cet article de journal. Néanmoins, je n’ai jamais connu personnellement Christinel, la femme de Mircea Eliade. Ce que je sais de source sûre néanmoins c’est qu’elle avait des vues résolument antifascistes. Or, l’hypothèse de Lincoln est qu’elle haïssait Ioan Petru Culianu. A l’appui de sa thèse, il montre une photographie où Christinel Eliade regarde Culianu d’une drôle de façon. Il avait par ailleurs connu et rencontré Christinel. Il la connaissait sans doute mieux que moi. Je ne puis cependant trop me fier à son hypothèse, qui mêle Christinel Eliade à l’assassinat de Culianu. Elle me semble assez invraisemblable, mais je ne puis l’infirmer de manière absolue non plus. »

     

    Quoi qu’il en soit, la fin violente de l’érudit Ioan Petru Culianu demeure encore et toujours un mystère irrésolu, trois décennies et demi après avoir été assassiné. Un mystère qui ne cesse d’agiter les eaux troubles de l’histoire récente de la Roumanie postcommuniste. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Les monuments roumains restaurés de Bessarabie

    Les monuments roumains restaurés de Bessarabie

    Le 27 mars 1918, la Bessarabie, cette partie orientale de la Moldavie, réintègre la Roumanie, après avoir été annexée par la Russie en 1812 à la suite de la guerre russo-ottomane. L’occupation russe de plus de cent ans de cette partie historique de la Moldavie qu’était la Bessarabie s’était traduite, surtout après 1830, par une politique de russification à outrance de la population locale. 22 années plus tard, en juin 1940, à la suite du Pacte germano-soviétique, la Russie, devenue l’Union soviétique, annexe à nouveau la Bessarabie. Une année plus tard, en 1941, la Roumanie, alliée de l’Allemagne nazie, reprend la Bessarabie. Cette dernière réintègre l’Etat roumain jusqu’en 1944, lorsque l’Armée rouge, passée à l’offensive après la défaite allemande de Stalingrad, l’occupe à nouveau. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’on voit l’Union soviétique, victorieuse, occuper non seulement la Bessarabie, mais toute l’Europe centrale et orientale, imposant rapidement à ces pays des gouvernements communistes, inféodés à Moscou. Entre 1945 et 1989, la brutalité de la répression soviétique se déchaîne sans frein en Bessarabie. Ses habitants subissent la déportation, les transferts de population, une violation systématique des libertés et des droits fondamentaux. Le vaste processus de soviétisation s’évertuait à créer ce que les idéologues du régime appelaient l’homme soviétique, cet individu déraciné, sans histoire et sans origines. Pour parvenir à leurs fins en Bessarabie les idéologues soviétiques avait pris pour cible la Roumanie, la roumanophilie et la roumanophonie de la population locale. L’expression « fascistes roumains » était présente dans toute référence au pays de souche de ces nationaux roumains, devenus soviétiques à cause du rouleau compresseur de l’histoire.

     

    De la soviétisation à la chute de l’URSS

    Parmi les premières victimes du processus de soviétisation ont figuré les monuments publics qui faisaient de près ou de loin référence à l’identité, à l’histoire, aux origines roumaines des habitants de Bessarabie. Les statues et les symboles faisant référence aux personnalités historiques et culturelles roumaines ont été démolis, détruits et remplacés par des statues et symboles érigés à la gloire de l’occupant soviétique.

    Mais depuis 1991, année de l’effondrement de l’Union soviétique, cet empire du mal pour reprendre l’appellation consacrée de l’ancien président américain Ronald Reagan, la République de Moldova a recouvert son indépendance. Depuis lors, beaucoup de Moldaves se sont lancés dans une quête éperdue de leurs racines, de leurs origines, dans une tentative de recouvrir l’identité nationale de leur parents et grands-parents. L’une des premières mesures réparatrices initiée à cet égard par la République de Moldova a visé la suppression des monuments soviétiques et la reconstitution des monuments détruits par le régime de l’occupant soviétique après 1944.

    C’est dans ce contexte qu’une exposition comprenant 28 monuments restaurés représentant souverains, héros, soldats et religieux roumains, mais aussi diverses personnalités culturelles contemporaines, a été inaugurée à Bucarest. L’exposition a ouvert ses portes en présence de Iuliana Gorea-Costin, ambassadrice de la République de Moldova à Bucarest. Ecoutons-la :

     

    « La bataille qui se livrent la lumière et l’obscurité est intense et sans cesse renouvelée. Une lutte pour affirmer notre identité. C’est une bataille pour recouvrir notre histoire, notre langue, notre littérature. Les gens ont manifesté pendant des mois sur la place de la Grande Assemblée Nationale. La nation moldave se trouve à la croisée des civilisations, et nous, les membres d’une même nation, avons besoin de mieux nous connaître. Et en même temps, nous devons unir nos forces pour survivre de la manière la plus intelligente qu’il soit dans cet espace. »

     

     

    Le combat de la société civile et des ONG

    Depuis 1991, les organisations civiques de la République de Moldova ont entrepris des actions pour rétablir les monuments roumains d’origine et pour informer l’opinion publique des atrocités commises par l’occupant soviétique. C’et ainsi que fut inauguré en 2016, à Chisinau, la capitale de la petite république de Moldova, le Monument des Trois Martyrs, copie conforme du monument homonyme, érigé dans la période de l’entre-deux-guerres à l’initiative de l’homme politique Pantelimon Halippa. Le monument avaient été érigé à la mémoire de trois personnalités moldaves, combattants et héros de l’idée nationale : le prêtre et écrivain Alexei Mateevici (1888-1917), l’avocat, journaliste et chanteur Simion Murafa (1887-1917) et l’ingénieur topographe Andrei Hodorogea (1878-1917). Les trois sont morts au cours de la terrible année 1917, tués, le premier par le typhus, les deux derniers par une bande de criminels bolcheviques.

    En 1923, le Monument des Trois Martyrs est inauguré à l’initiative de la Société « Tombes des héros tombés au cours de la guerre », en la présence du chef de la mission militaire allié, le général français Henri Berthelot. Une dalle de pierre, érigée à la verticale, mettait en évidence les figures en bas-relief, tournées en bronze, des trois héros. Un aigle en bronze anoblissait le piédestal du monument, en dessous duquel l’on pouvait lire l’épitaphe : Apôtres de Bessarabie, martyrs de la Sainte Cause Nationale. Le monument de trois mètres de haut était couronné des armoiries de la Roumanie, cadrées par un chêne et une branche de laurier, exécutées en bronze. A la veille de l’annexion de la Bessarabie en juin 1940, l’armée roumaine démonte les bas-reliefs représentant les visages d’Alexei Mateevici et de Simon Murafa et les envoie à Bucarest. En 1962, les restes du monument sont détruits par l’armée soviétique. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Les relations diplomatiques entre la Roumanie et le Vatican

    Les relations diplomatiques entre la Roumanie et le Vatican

    L’espace roumain, majoritairement chrétien-orthodoxe de nos jours, a longtemps été un espace d’interférence spirituelle et religieuse. La coexistence multiconfessionnelle des chrétiens est attestée depuis le Moyen Âge, les sources rapportant des informations sur la présence de minorités aux côtés des majorités : catholiques aux côtés des orthodoxes, réformés et évangéliques aux côtés des catholiques et des orthodoxes, gréco-catholiques et catholiques romains aux côtés des réformés et des orthodoxes. La présence catholique la plus ancienne, l’archidiocèse d’Alba Iulia, remonte au XIe siècle. C’est dans la cathédrale catholique romaine de la ville d’Alba Iulia que le gouverneur de Transylvanie et régent de Hongrie Iancu de Hunedoara, le père du roi de Hongrie Matei Corvin, de religion catholique et d’origine roumaine, décédé de la peste en 1456, est enterré. La première présence catholique dans l’espace extra-carpatique roumain est l’œuvre des royaumes de Hongrie et de Pologne. Des évêchés catholiques ont été fondés en Moldavie et en Valachie au 13e siècle, à Siret, dans le nord, puis à Milcov, au détour des Carpates, enfin celui de Severin, à la rencontre des Carpates avec le Danube, au 14e siècle. Jusqu’à la montée de l’Empire ottoman dans le sud-est de l’Europe à la fin du 14e siècle, catholiques et orthodoxes, bien que souvent divisés, ne cessaient de se revendiquer comme faisant partie du même monde chrétien. A l’instar des dernières croisades, où l’on put voir se nouer des alliances entre des rois et des princes catholiques et orthodoxes, les coalitions anti-ottomanes des 17e et 18e siècles ont coopté des armées de toutes les confessions chrétiennes.

     

    Les conséquences du déclin de l’Empire Ottoman

    À mesure que l’influence ottomane au nord du Danube décline à partir du 18e siècle et que les idées occidentales progressistes pénètrent dans les principautés de Moldavie et de Munténie, la présence catholique devient plus marquée. Les deux premiers rois de Roumanie, issus de la dynastie Hohenzollern-Sigmaringen, Carol Ier et Ferdinand Ier, sous lesquels l’État roumain moderne fut constitué, puis élargi à la fin de la Grande Guerre, étaient de confession catholique. En 1883, pendant le pontificat du pape Léon XIII, l’archidiocèse catholique romaine de Bucarest est créé. Par la lettre apostolique “Praecipuum munus” du 27 avril 1883 qui élève le vicariat apostolique de Munténie au rang d’archevêché, le pape signifiait l’importance accordé au nouvel État roumain, devenu royaume en 1881.

    Mais ce n’est qu’à la fin de la Première Guerre mondiale, en 1920, que le royaume de Roumanie et le Vatican jettent les bases de leurs relations bilatérales. Dès 1927, année de la signature du concordat entre le Vatican et le royaume de Roumanie, la pratique du culte catholique sera garantie. L’accord stipulait, entre autres, la reconnaissance juridique de l’Église catholique en Roumanie, le préalable pour la nomination des chefs du culte catholique de Roumanie à ce qu’ils aient la citoyenneté roumaine, le droit de l’Église d’ouvrir des écoles, des hôpitaux, des orphelinats et d’autres institutions sociales et éducatives.

     

    L’instauration du régime communiste après le Seconde Guerre mondiale

    A la fin de la Seconde Guerre mondiale, vaincue et occupée par l’armée soviétique, la Roumanie est complètement asservie par le nouveau régime communiste. La politique anti-occidentale du régime de Bucarest mène à la dénonciation du concordat de 1927, le 17 juillet 1948. La rupture unilatérale des relations diplomatiques avec le Vatican attirait la suppression des églises catholiques en Roumanie et la persécution des fidèles. Alors que les religieux catholiques étrangers ont été expulsés, les religieux roumains sont venus grossir les rangs des prisonniers politiques. Mère Clara, de son nom laïc Ecaterina Laszlo, entrée au couvent à l’âge de 13 ans, a été condamnée à 15 années de prison, dont elle en a purgé 14. En 2003, elle a raconté au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, comment, alors qu’elle était administratrice du bâtiment de la Nonciature Apostolique de Bucarest, a été évacué à la hâte la nonciature à la suite de la décision des autorités roumaines de rompre les liens diplomatiques avec le Saint-Siège. Ecoutons-la :

    « Son Excellence O’Hara, le régent du nonce apostolique, a été convoqué au ministère des Affaires étrangères et informé que lui et ses collaborateurs doivent quitter le pays dans les 48 heures, mais qu’il avait le droit de confier la garde du bâtiment de l’ambassade à l’ambassade de don choix. Parce que la Suisse était neutre, il a choisi ce pays. O’Hara a été accusé d’espionnage pour le compte du pape. Et au bout de 48 heures, il a dû quitter le pays. La coutume voulait que l’on organise une réception d’adieu lors du départ d’un ambassadeur. Et à minuit, à la fin de la réception, tout le bâtiment a été scellé, il ne restait qu’une porte d’accès au sous-sol pour les sœurs, pour nous qui vivions encore là, puis une petite maison dans la cour, où habitaient trois moines. Nous sommes sortis avec des bougies allumées à la porte principale, c’est par là que tous les diplomates sont sortis et c’est alors que la clé de la nonciature a été remise aux Suisses. »

    Inexistantes entre 1948 et 1989, les relations entre la Roumanie et le Vatican ont été rétablies le dernier jour de l’an 1989, le 31 décembre, neuf jours après la chute de la dictature communiste. Depuis lors les liens entre le Saint-Siège et l’Etat roumain n’ont cessé de se développer avec comme point d’orgue la première visite d’un pape dans un pays orthodoxe. Cela s’est passé en 1999, lorsque le pape Jean-Paul II embrassait à son arrivé le sol roumain.

    (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Le Plan Z

    Le Plan Z

    Un contexte mitigé

     

    Occupés après 1945 et soumis à des régimes communistes inféodés à Moscou, les pays d’Europe centrale et orientale ne disposaient pratiquement d’aucune stratégie de défense nationale, étant à la merci de l’Union soviétique. Un grand frère soviétique qui n’a pas hésité à occuper la Hongrie en 1956 et la Tchécoslovaquie en 1968 pour tuer dans l’œuf les tentatives réformistes des dirigeants communistes locaux. Se sentant menacée également par une possible agression soviétique, la Roumanie, seul Etat du bloc communiste ayant condamné l’invasion de la Tchécoslovaquie, chercha à élaborer un plan de défense nationale, agencé autour de ce que le dirigeant roumain de l’époque, Nicolae Ceaușescu, a appelé la doctrine militaire de « guerre populaire ».

     

     

    Un plan pour mettre à l’abri la famille dirigeante

     

    Le général Neagu Cosma, qui a travaillé dans les structures de sécurité du régime d’avant 1989, dévoilait en 2002 dans une interview conservée par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine, les détails de ce que la presse allait appeler le Plan Z. Un plan conçu dès le départ dans la logique de toute stratégie de sécurité nationale.

     

     

    Neagu Cosma : « L’on avait analysé tout d’abord un bon nombre de plans concernant les possibilités d’évacuation de l’administration, du commandement des opérations militaires ainsi que du commandant suprême dans l’éventualité d’une guerre. Certains ont prétendu par la suite que ces plans étaient conçus pour que Ceausescu et sa famille puissent se mettre à l’abri. Ce que je puis vous répondre c’est que les plans de sauvetage et d’évacuation de Ceausescu dans l’éventualité d’une invasion militaire respectaient les règles habituelles prévues dans de telles situations par n’importe quel Etat au monde. Ceausescu était le commandant suprême de l’armée, et dans n’importe quelle armée et dans n’importe quel pays, le commandant et le commandement doivent disposer d’un plan d’évacuation, pour qu’ils puissent continuer d’exercer leurs missions en sécurité. »

     

    Qu’est-ce que “Le Plan Z” ? 

    Baptisé Rovine IS 70, le plan Z visait à assurer la survie des éléments essentiels de l’État roumain dans des circonstances extrêmes.

     

    Neagu Cosma : « Le plan reçut finalement le nom de code Rovine IS 70. Après l’effondrement du régime communiste fin 1989, la presse l’appela le plan Z. Le plan était censé être mis en œuvre lorsque, à la suite d’un acte d’agression dirigée contre la Roumanie, apparaissait le danger imminent d’occupation temporaire de la capitale et d’une partie du territoire. En l’absence de ce plan, une occupation aurait paralysé la lutte de résistance armée. Il fallait donc pouvoir assurer le sauvetage efficace du commandant suprême et du commandement militaire. Selon ce plan de sauvetage, Nicolae Ceauşescu devait être exfiltré du siège du Comité Central du parti communiste par le tunnel qui relie le bâtiment du Comité Central à l’ancien Palais Royal qui se situe juste en face. »

     

     

    Une stratégie en 8 points

    Le plan organisait, entre autres, la guérilla, le sabotage, le retrait de l’armée jusqu’à la frontière avec la Yougoslavie et la sauvegarde de Ceaușescu et de la direction de l’armée dans l’éventualité d’une invasion soviétique. Conçu en 8 points, il a été amélioré au fil des années.

     

    Neagu Cosma : « Il fallait tout d’abord s’assurer que la radio et la principale chaîne de la télévision publique puissent continuer d’émettre. Préparer et mettre en place les équipes chargées du sabotage des troupes de l’envahisseur. Evacuer ensuite le quartier général et le commandant suprême, soit exfiltrer Ceaușescu du siège du Comité Central du parti communiste, au cas où ce dernier aurait été encerclé. L’on avait par ailleurs planifié de concevoir un détecteur des radiations nucléaires à l’Institut de recherches en Physique atomique de Măgurele. Il fallait aussi sécuriser les routes situées au sud des Carpates tout comme les voies de passage qui traversaient les Carpates en vue de leur utilisation en cas de retraite précipitée. Le plan précisait également le lieu de redéploiement des institutions essentielles au bon fonctionnement de l’Etat dans l’éventualité de l’occupation de la capitale par l’ennemi. Une autre mesure prévoyait la mise en place d’une commission mixte composée du ministre des Transports, du chef de la section organisation du Comité Central du parti communiste et des spécialistes pour étudier et présenter des propositions visant à réguler le trafic ferroviaire et routier entre Bucarest et Timisoara dans l’éventualité d’une agression militaire. Enfin, les documents qui relevaient de la sécurité nationale avaient été microfilmés, pour être facilement transportables au besoin, et la méthode de cryptage qui servait aux communications secrètes allait être changée ».

     

    L’échec du Plan Z

    Mais l’impopularité croissante du régime et le cynisme du couple Ceaușescu ont fait que le plan Z se soit avéré inapplicable au mois de décembre 1989, échouant à protéger la liberté et la vie de Nicolae Ceaușescu, victime cette fois de la fureur des masses populaires révoltées.

     

    Neagu Cosma : « Ça n’a pas marché à ce moment-là, parce qu’il n’y avait plus personne pour l’appliquer. En 1989, plus personne n’était disposé à mettre en œuvre ce plan de sauvetage du dictateur, pas même un seul, car ils en avaient tous marre. Même les officiers de sa garde rapprochée ont fait défection. Le vent avait tourné, et ils avaient senti cela. C’est pourquoi le Plan Z, comme on l’a finalement appelé, n’a pas été déclenché. Il n’avait plus personne qui soit disposé à l’appliquer. »

     

    Au mois de décembre 1989, le régime communiste implosa, et les structures censées assurer la protection de son leader l’abandonnèrent. Aussi, la Roumanie tournait la page de 45 années de dictature communiste. (Trad. Ionut Jugureanu)