Category: Pro Memoria

  • Opération villages roumains

    Opération villages roumains


    Vers la fin des années 80, le régime communiste roumain dirigé par Nicolae
    Ceaușescu s’était donné pour mission de transformer de fond en comble le plan d’aménagement
    du territoire du pays, selon un plan dit de « systématisation des villages
    roumains ». Cette politique visait notamment une mise en coupe réglée du monde
    rural par la destruction de l’habitat traditionnel. De 7 à 8.000 villages
    étaient voués à disparaître à terme, sur les 13.000 que la Roumanie comptait à l’époque,
    et tout cela pour un motif des plus fallacieux : augmenter la superficie
    cultivable du pays, et accroître de la sorte la production agricole. Quant aux
    villes, elles étaient loin d’échapper à la folie destructrice du « Grand leader
    », qui semblait être devenu fou. En effet, des quartiers entiers étaient voués
    à la destruction, pour laisser place nette à la mise en place de la vision
    urbanistique d’inspiration nord-coréenne de Nicolae Ceausescu. La capitale,
    Bucarest, n’était pas en reste, devenant la première victime du projet
    pharaonique. Et ce projet fou prenait corps dans un pays paralysé par l’hyper
    centralisme économique, et gangréné par la pénurie devenue chronique des produits
    de base et des biens de consommation.


    Dans ce contexte délétère, si les opposants internes
    potentiels, paralysés par la crainte de l’appareil répressif du régime, avaient
    du mal à faire entendre leur voix, la diaspora roumaine et l’Europe tout
    entière se sont mobilisées. C’est ainsi que fin 1988 est fondée en Belgique l’association
    Opération villages roumains, qui s’était donné pour mission la sauvegarde de quelques 13.000 villages voués à disparaître selon les plans du pouvoir en place.Le mouvement s’étend rapidement, et des filiales de l’association
    essaiment en France, aux Pays-Bas, en Suisse, en Suède, au Royaume-Uni, en Italie,
    en Espagne, en Norvège et au Danemark. La société civile européenne se lève
    comme un seul homme pour faire barrage face aux visées destructrices du régime
    Ceausescu. Trois personnalités de la diaspora roumaine, le dissident Dinu
    Zamfirescu, avocat et ancien détenu politique, l’activiste et journaliste Ariadna
    Combes, fille de la dissidente Doina Cornea, et l’historien Mihnea Berindei
    deviennent les chevilles ouvrières du mouvement. Un mouvement toutefois qui
    dépasse largement les frontières de la diaspora roumaine, car il bénéficie de l’appui
    de nombreux journalistes, photographes, avocats et architectes, notamment
    belges et français, et qui jetterons les bases de l’Opération villages roumains.


    Le dissident Dinu Zamfirescu a été interviewé en 2003
    par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine. Ancien membre du
    parti national libéral d’avant l’arrivéeau
    pouvoir des communistes, réfugié en France depuis 1975, journaliste à la
    section roumaine de la BBC, il raconte les débuts de l’Opération villages
    roumains. Ecoutons-le :


    « Cela faisait déjà deux années que
    nous alertions l’opinion publique au sujet du danger que guettait le sort des
    villages roumains. L’on rédigeait des pétitions, on en parlait, mais cela ne
    faisait pas bouger les lignes. On était trois, tous roumains d’origine : Mihnea
    Berindei, Ariadna Combes et moi. On allait de ville en ville,
    en France, puis de pays en pays, à travers l’Europe, pour parler de cette
    question ardue. Tout cela pendant deux années. Et puis, nous sommes débarqués
    en Hongrie au mois de juin 1989, à l’occasion des obsèques populaires et
    nationales organisées lors de la réinhumation de la dépouille d’Imre Nogy, et
    de celles de ses amis, assassinés par les Soviétiques après la répression de la
    révolte magyare de 1956. Ce fut un tournant. Et puis, en France, l’on
    tenait parfois jusqu’à 6 conférences en une journée. On allait dans les écoles,
    dans les forums, un peu partout. On faisait de même au Royaume-Uni, en Belgique,
    en Italie. Ariadna était allée parler en Norvège. Moi, j’avais pris mon bâton
    de pèlerin, et suis allé au Danemark. Et puis, tout doucement, l’on constate
    que la sauce commence à prendre. Nous étions de plus en plus sollicités.
    Surtout à Paris, où il y avait un centre de l’association Médecins du monde, un
    centre qui bénéficiait de l’appui du gouvernement socialiste français d’alors, et
    qui nous a beaucoup aidé. C’est grâce à leur aide que nous avions les moyens
    pour nous déplacer, pour organiser ces conférences. Nous représentions à l’époque
    la Ligue roumaine des droits de l’homme. »


    Dinu Zamfirescu avait milité pour l’arrêt des
    destructions entamées par le régime communiste roumain dirigé par Nicolae
    Ceausescu jusqu’à la fin sanglante de ce dernier, fin décembre 89. Mais les actions
    de solidarité menées par l’Opération villages roumains se poursuivront bien
    au-delà de cette date. Le village roumain, exsangue et maltraité pendant les décennies
    de communisme, avait besoin de cette bouffée d’air frais et de cet élan de
    solidarité venus d’Occident. Dinu Zamfirescu :


    « Après la chute du régime Ceausescu,
    nous avons tout de suite commencé à organiser des convois humanitaires. Le
    premier convoi, accompagné par Ariadna Combes et Mihnea Berindei a été embarqué
    au bord d’un avion militaire français, qui a atterri en Bulgarie le 26, ou le
    27 décembre. Moi, j’avais atterri à Bucarest, le 28, ou le 29 décembre 89, au
    bord du premier avion Air France qui avait pu se poser sur place. Parce que l’aéroport
    a été zone de combat durant des jours. J’étais accompagné par une journaliste
    française, membre de la Ligue roumaine des droits de l’homme, et spécialiste des
    questions roumaines. Mon père vivait encore. Je l’appelle pour l’avertir de mon
    arrivée, je ne voulais pas qu’il subisse une crise cardiaque. Ensuite,
    accompagné de cette journaliste, je vais directement chez lui. Cela faisait des
    années que je n’avais plus mis les pieds dans mon pays natal. Il y avait partout
    des points de contrôle, des barrages. Mais avec nos passeports français, on
    nous laissait passer. Les gens étaient gais, enthousiastes, euphoriques. Les
    gens, dès qu’ils apercevaient le passeport français, nous lançaient des « Vive
    l’amitiés franco-roumaine ! Vive la France ! ». C’était enivrant. »


    L’Opération villages roumains s’est érigé en un exemple
    de solidarité européenne face aux abus d’un régime totalitaire. Les villages
    roumains furent finalement préservés, s’avérant bien plus durables que le
    régime politique qui avait un moment envisagé leur destruction. L’entêtement d’une
    poignée de femmes et d’hommes a fait mouche, montrant du coup la puissance de
    la société civile confrontée à la barbarie des régimes totalitaires. (Trad. Ionut
    Jugureanu)



  • La coopération au développement de la Roumanie

    La coopération au développement de la Roumanie

    L’un des changements majeurs qu’a eu lieu après la fin de la Deuxième guerre
    mondiale a été le processus de décolonisation. Les anciennes métropoles ont bien
    été, tour à tour, forcées de reconnaître l’indépendance de leurs anciennes
    colonies. Pourtant, ces nouveaux Etats indépendants, moins développés et
    souvent peu préparés à prendre en charge la gestion de leur pays, ne pouvaient éviter
    de tomber victime aux convoitises des deux blocs, l’Est et l’Ouest, alors que
    la guerre froide battait son plein. Aussi, le bloc socialiste, grand
    pourfendeur du colonialisme, ne pouvait évidemment pas se désintéresser du sort
    de ce que les politologues appelleront dans les années 80 le Sud global. Et c’est
    dans ce contexte que les Etats socialistes développeront leurs propres
    politiques en matière de coopération au développement. Certes, cachées bien
    sous les bonnes intentions clamées haut et fort, l’ambition des Etats
    socialistes de remplacer l’influence exercée encore par les anciennes métropoles
    sur leurs anciennes colonies était transparente.


    La Roumanie socialiste de Nicolae Ceausescu ne pouvait pas être en
    reste. A partir des années 70, elle part ainsi résolument à la conquête du tiers
    monde, suivant en cela une stratégie où la coopération en développement trouvait
    toute sa place.

    L’historienne Mia Jinga, de l’Institut pour
    l’investigation des crimes du régime communiste et pour la mémoire de l’exile
    roumain, analyse avec beaucoup de lucidité la politique internationale de la Roumanie
    des années 1960-1980.


    « L’intervention déployée par la Roumanie dans ce
    cadre ratisse large, de l’aide humanitaire d’urgence, et jusqu’aux dispositifs
    de coopération en développement consacrés. Au début, il s’agit surtout d’offrir
    de l’aide d’urgence en cas de catastrophes naturelles : sécheresse, inondations,
    tremblements de terre. Par la suite, l’intervention de la Roumanie se diversifie,
    visant l’aide humanitaire apportée aux populations qui se trouvaient dans des régions
    touchées par des conflits armés, aux camps de réfugiés, et jusqu’à l’aide
    humanitaire, voire militaire apportée aux mouvements de libération. Il s’agit d’un
    genre d’interventions utilisées aussi bien par d’autres Etats du bloc
    socialiste que par certains Etats occidentaux. La coopération en développement
    de la Roumanie s’est par la suite diversifiée encore davantage, prenant la
    forme des bourses et des subventions octroyées aux étudiants étrangers en
    provenance de certains Etats amis du tiers monde, des stages subventionnés
    destinés aux spécialistes, du soutien apporté à divers projets de développement,
    des dons d’équipements, de l’expertise ».



    En 1979 déjà, la Roumanie étendait son
    réseau de coopération en développement sur trois continents. En Amérique, des
    pays tels le Pérou, la Martinique, la république Dominicaine le Nicaragua et le
    Mexique bénéficiaient des largesses du gouvernement de Bucarest. En Afrique, c’était
    le Bénin, l’Ethiopie, le Soudan, le Burundi, le Mozambique, le Sénégal, la République
    centrafricaine, la Mauritanie, la République du Cap Vert, la Namibie, la Guinée-Bissau,
    cependant qu’en Asie il y avait le Yémen et le Liban. Mia Jinga ne manque pas
    de remarquer combien, derrière les mécanismes d’aide au développement mis en
    place par la Roumanie, le calcul politique n’était jamais loin. Ce fut le cas de l’aide apporté par l’Etat roumain au groupe
    marxiste intitulé l’Union du peuple africain du Zimbabwe, partie prenante dans
    la guerre civile qui ravagea la Rhodésie entre 1964 et 1979.

    Mia Jinga : « Chaque domaine de cette coopération au
    développement était entiché de visées politiques. Il y avait certes aussi de l’aide
    humanitaire classique, en cas de calamités, des aliments de première nécessité,
    des médicaments, de l’aide médicale. Et j’avais choisi d’étudierl’aide
    apportée par la Roumanie à l’Union du peuple africain du Zimbabwe, parce que je trouve qu’il s’agit
    d’un cas d’école pour comprendre la manière dont les choses fonctionnaient. Par
    exemple, en 1979, cette organisation avait bénéficié d’un soutien qui s’était élevé
    à 9,5 millions de lei, sachant que l’intervention financière s’élevait à près
    de 250.000 lei par action. »



    Mia Jinga explicite encore le mécanisme utilisé
    par la Roumanie pour venir en aide aux pays en développement : « J’ai analysé de près ce projet d’aide
    humanitaire, comprendre ses tenants et aboutissants. Est-ce qu’il s’agissait d’une
    initiative de l’Etat roumain, ou s’agissait-il plutôt d’une réponse apportée à
    une demande formulée par le bénéficiaire de la coopération. Et dans les
    situations que j’avais étudiées, je dois dire qu’il fallait une requête
    formulée en bonne et due forme par le bénéficiaire principal pour que le
    processus s’enclenche. La requête était en général signée par le leader du
    mouvement, parfois à la suite d’une entrevue qu’il avait eue avec Nicolae Ceausescu.
    Après avoir reçu la demande, c’était le tour de la Section des relations externes
    du Comité central du Parti communiste de formuler une réponse, positive ou
    négative, qu’elle devait arguer. Cette note comprenait en outre l’historique
    des relations avec le bénéficiaire potentiel, l’aide apportée par la Roumanie,
    une évaluation des conséquences éventuelles qu’une fois octroyée, l’aide en
    question pourrait provoquer. Il y eu des situations où la Roumanie était près d’intervenir,
    mais la situation internationale l’avait dissuadée. Quoi qu’il en soit, c’est
    Nicolae Ceausescu qui avait toujours le dernier mot. Il y avait aussi des
    situations particulières, le Viêtnam par exemple. Il pouvait demander n’importe
    quelle somme, l’avis était toujours favorable. A un certain moment, Ceausescu s’était
    énervé tout de même, il commence à dire que la Roumanie soutient depuis dix
    années le Vietnam, et qu’il est grand temps à ce que les Vietnamiens commencent
    eux aussi à travailler un peu ».



    La Roumanie socialiste, à l’instar des
    autres Etats du bloc communiste, a mené une politique d’aide au développement
    volontariste, mais une politique dont le critère principal était constitué par l’appartenance
    idéologique du bénéficiaire. Aussi, le continent Noir avait constitué un bénéficiaire
    de choix, Nicolae Ceausescu faisant de ce continent son principal pivot en
    matière de politique étrangère. (Trad. Ionut Jugureanu)





  • La Constitution de la Grande Roumanie : le centenaire

    La Constitution de la Grande Roumanie : le centenaire

    La victoire des Puissances de l’Entente
    à l’issue de la Grande Guerre avait ouvert la voie à la matérialisation du
    principal dessein national des Roumains depuis un siècle : l’union de
    toutes les provinces où ils constituaient la population majoritaire et où ils
    pouvaient faire valoir leurs droits historiques dans un même Etat. Aussi, au
    mois de mars de l’année 1918, la Bessarabie, soit la partie est de la Moldavie
    historique, annexée par la Russie en 1812, plébiscitait l’union avec le royaume
    de Roumanie. Aux mois de novembre et décembre de la même année, mettant à
    profit le délitement de l’empire d’Autriche-Hongrie, ce fut le tour des
    provinces de la frontière ouest, le Banat, la Bucovine et la Transylvanie, de
    décider leur union avec le royaume de Roumanie. La Grande Roumanie, rêve
    séculaire, venait ainsi de voir le jour.


    En 1866,
    lorsqu’accédait sur le trône de l’Etat roumain nouvellement constitué par l’union
    de la Valachie à la Moldavie, le prince souverain Carol de Hohenzollern-Sigmaringen,
    une première constitution avait été adoptée par l’Assemblée constituante. Sept
    constitutions se sont succédées depuis lors, constituant chacune le miroir du
    régime politique qu’elle entendait régenter. La constitution fondatrice de 1866,
    inspirée de la constitution belge de 1830, avait mis les bases de la monarchie
    constitutionnelle censée créer la fondation du nouvel Etat roumain. La constitution
    de 1923 fut celle de la Grande Roumanie, la constitution de la réunification
    pacifique des provinces historiques roumaines dans un seul et unique Etat. La
    constitution royale de 1938 entendait en revanche graver dans le marbre le
    régime d’autorité personnelle du roi Carol II. Les constitutions qui se sont
    succédées, celles de 1948, de 1952 et de 1965 entendirent donner corps et
    légitimité au régime communiste insaturé à l’issue de la Seconde guerre
    mondiale sous la pression de l’occupation du pays par l’Armée rouge. La
    dernière en date, toujours en vigueur, la constitution adoptée suite au référendum
    de 1991, rétablit la démocratie, la séparation des pouvoirs, et le respect des
    droits fondamentaux de cette Roumanie qui venait de se débarrasser du régime de
    la dictature communiste.


    Mais
    la constitution adoptée en 1923, et qui sera publiée le 29 mars 1923 dans le
    Journal officiel, a été de l’avis de spécialistes la forme la plus aboutie en matière
    de droit constitutionnel roumain. Elle incarna le désir d’avenir démocratique d’une
    nation réunie pour la première fois dans un même Etat, à l’issue d’une guerre
    meurtrière soldée par près de 500.000 victimes. L’Académie roumaine et l’ambassade
    de la république d’Italie à Bucarest avaient décidé de marquer ensemble, lors d’un
    événement commun, le centenaire de l’adoption de cette constitution. Le
    président de l’Académie roumaine, l’historien Ioan-Aurel Pop, nous explique l’importance
    de l’événement :


    « Vous
    savez, la Roumanie s’était déjà dotée d’une première constitution en 1866. Mais
    les réalités d’après 1918 étaient bien différentes, et il fallait dès lors mettre
    à jour la loi fondamentale. Certains diront même que la Roumanie s’était dotée
    tardivement d’une constitution. Cela n’est absolument pas exacte. L’Italie s’est
    dotée d’une première constitution seulement en 1861, à la suite de la
    réunification des Etats italiens, en reprenant beaucoup de la constitution de
    1848 de Palerme. Une constitution doit en effet refléter la réalité de son
    époque. Et c’est ce que la Roumanie avait fait, à l’instar des autres Etats
    européens.
    »


    L’histoire
    constitutionnelle roumaine de 19e est d’ailleurs fascinante à plus d’un
    titre. Le droit coutumier de l’époque laisse peu à peu la place au droit formalisé,
    façonné par les nouvelles valeurs de la modernité, portées par la Revolution française.
    Parmi ces dernières : le vote populaire. Ioan-Aurel Pop :


    « Vous savez, la constitution, on nous enseigne
    cela sur les bancs de l’école, est la loi fondamentale des Etats. J’ajouterais :
    des Etats modernes. Parce qu’on ne trouve pas de constitution au Moyen Age, Or,
    dans l’espace roumain, nous avons déjà le Règlement organique de 1831-1832 pour
    la Valachie et la Moldavie, voire le Diploma Leopoldinum de 1861 dans le cas de
    la Transylvanie. Mais ces règlements d’ordre constitutionnel n’étaient pas tant
    l’expression de la nation, mais plutôt la volonté de la Puissance occupante ou suzeraine.
    Alors, la première constitution véritable est bien celle de 1866. Et elle s’est
    inspirée d’un modèle extrêmement avancé à l’époque, celui de la monarchie
    constitutionnelle prévue par la constitution belge de 1830.
    »


    Les
    changements de frontières et les grands changements enregistrés à l’issue de la
    Grande Guerre appelait forcément à une nouvelle loi fondamentale. Ioan-Aurel
    Pop à nouveau :


    « La Roumanie de 1918 avait doublé, sinon
    triplé son territoire et sa population. Il fallait donc émettre un nouveau
    pacte. Un pacte que seule la constitution était en mesure d’assumer en l’occurrence.
    Et cette constitution de 1923 a été l’une de plus avancée en matière de démocratie
    de tout le Sud-est européen. Le document affirmait la Roumanie comme un Etat
    national, unitaire, indivisible, et dont le territoire était inaliénable. C’était
    la constitution de l’unification, mais elle a fait long feu ».


    En
    effet, la constitution de 1923 tombera rapidement vite victime de l’appétit des
    régimes autoritaires : le fascisme et le communisme. En 1938 d’abord, elle
    sera remplacée par un ersatz de constitution, qui proclamait le régime
    personnel du roi Carol 2. Rétablie après la guerre, elle sera remplacée en 1948
    par le régime communiste. Ioan-Aurel Pop :


    « Après moins de deux décennies, en 1938, la Roumanie
    se dota d’une nouvelle constitution. Rétablie en 1944, elle sera suspendue fin
    1947. Ce n’est qu’après la chute du régime communiste, en 1991, que la nouvelle
    constitution, expression de la volonté de la nation roumaine qui venait de
    recouvrir sa liberté, s’inspirera de celle de 1923. »


    Fêter
    le centenaire de la constitution de 1923 est un acte de justice rendu à ce
    document qui avait pour un temps incarné les hautes valeurs morales de cette
    nation roumaine qui s’était retrouvée rassemblée entre les frontières d’un même
    Etat : le sien. (Trad Ionut Jugureanu)

  • Jeunesse, tourisme et éducation dans la Roumanie socialiste

    Jeunesse, tourisme et éducation dans la Roumanie socialiste

    C’est un beau jour de 6 mars 1945 que, sous la pression de la présence
    des chars de l’Armée rouge, s’installait à Bucarest le premier gouvernement à
    majorité communiste, dirigé par l’avocat Petru Groza. Un gouvernement qui ne
    tardera pas à mettre la Roumanie en coupes réglées à la botte de l’URSS, et à
    embrasser l’idéologie chère aux Soviétiques. La période noire qui suivit après
    la fin de la guerre et qui marqua l’instauration du régime communiste dans le
    pays ne laissait pas beaucoup de temps ni de ressources pour les loisirs. Mais
    dès 1960, le revirement économique se traduisit également par un revirement,
    timide et balbutiant à ses débuts, du tourisme. L’on parlait alors d’un
    tourisme éducatif, modèle importé de l’Union Soviétique, où le loisir des
    masses ouvrières constituait à la fois un privilège offert par le parti, et une
    bonne occasion pour que ce dernier fasse instiller sa propagande.


    C’était l’époque des expéditions « Cutezătorii », « Les
    Braves » en traduction française, nom inspiré de la revue de jeunesse
    homonyme, et destinées aux enfants de secondaire.

    L’universitaire Diana
    Georgescu, de University College London, spécialiste du Sud-est européen
    détaille le concept qui prévalait à l’époque :


    « Les années 60, au moment où la compétition est lancée, c’était
    une période marquée par les réformes, par des changements, par un certain
    renouveau. Et ce souffle nouveau était ressenti aussi par les organisations de
    jeunesse, celle de pionniers en premier lieu. L’association des pionniers, qui encadrait
    politiquement les enfants de 7 à 14 ans, s’autonomise, prend son assise, échappant
    peu à peu de la tutelle des Jeunesses communistes, réservées aux plus grands,
    de plus de 14 ans. L’association des pionniers obtient ainsi ses propres
    statuts, et sera dorénavant dirigée par un président, deux vice-présidents, tout
    en mettant sur pied différentes commissions sur des thématiques d’intérêt, dans
    les domaines du sport, de la culture de la science. »


    Pour mobiliser les candidats aux
    expéditions des « Braves », le régime n’hésitait pas de prendre comme
    source d’inspiration l’organisation des scouts de l’ancien régime, plagiant
    jusqu’à leur slogan, inspiré d’un discours de l’historien Nicolae Iorga dédié aux scouts, selon lequel « L’objectif
    de l’organisation était de vous faire voir, au-delà de la lettre écrite, la
    beauté du monde naturel ».


    Les expéditions des Braves se déroulaient dans les monts Carpates, sous
    la belle étoile au long des rivières, ou encore dans le delta du Danube. Les
    camps organisés entendaient mêler le plaisir des activités sportives et d’aventure
    déroulées en pleine nature à l’apprentissage des sciences naturelles, de la
    géographie, de l’histoire et de la culture roumaine. Ce que le régime appelait l’éducation
    patriotique, soit une entrée en matière dans l’idéologie communiste destinée
    aux plus jeunes. Et le régime avait mis les petits plats dans les grands pour que
    cette aventure soit aussi attrayante que possible pour les jeunes pousses. L’organisation
    des expéditions ne laissait ainsi rien au hasard. Des concours dotés de prix, le
    journal de bord de l’expédition, l’organisation en équipes où se mélangeaient les
    éducateurs aux enfants, les collections du matériel didactique et de divers
    artéfacts réalisés à l’occasion charmaient et motivaient les enfants
    participants.

    Diana Georgescu :


    « Les expéditions constituaient une activité de
    loisir, certes, mais les participants s’investissaient à fond. Prendre part à une
    telle expédition demandait de l’effort. Un effort financier certes, mais aussi
    une capacité à s’y investir physiquement. Une telle aventure durait de 3
    semaines à un mois. Les participants ne pouvaient pas utiliser des moyens de
    transport en commun, une fois au point de départ. Il fallait marcher à pied,
    dormir sous la belle étoile ou sous la tente, se débrouiller avec les moyens de
    bord. Il fallait se débrouiller pour arriver à manger ? C’était une formule
    qui faisait la part belle à la débrouille ».



    L’on estime que durant ses plus de 20 années d’existence, à cette
    formule ont participé plus de 30.000 équipes, et près de 500.000 pionniers. Diana
    Georgescu avait rencontré l’un des participants de l’époque, qui lui a livré,
    avec le recul du temps, son ressenti :


    « J’avais pris une interview d’un type qui avait
    raconté l’expérience sur son blog. Il parlait d’une expédition des Braves,
    déroulée en 1978, dans les monts Ceahlău. Et il parlait de l’effet que lui a fait de vivre cette
    aventure. Il parlait comme d’une drogue, d’une expérience forte, partagée avec
    les autres. De retour au bercail, ils étaient devenus inséparables. Ils se
    revoyaient sans cesse, ressassant les mêmes histoires, les mêmes aventures. Les
    liens créés durant l’expédition devenaient extrêmement forts et durables. Les
    accompagnateurs aussi n’étaient pas moins marqués par l’expérience. Et ils
    débutent toujours leurs récits de la même manière : « J’étais jeune,
    j’aimais les enfants ». J’avais adoré la réponse d’une prof de Satu Mare, qui
    s’était retrouvée à la tête d’une équipe mixte, formée par des enfants
    roumanophones et magyarophones. Et elle parlait de sa mission comme d’une vocation,
    elle voyait cela comme une tentative de recouvrir sa dignité d’enseignante, de
    guide pour ces enfants, une dignité dont les profs avaient été privés par le
    régime qui leur imposaient de faire leur métier d’enseignant en ayant toujours
    pour objectif d’embrigader les enfants, de les faire acquiescer aux mantras du
    régime. Mais là, elle se sentait libre, elle pouvait donner libre cours à sa vocation.
    Il s’agissait de vivre, de se débrouiller, de partager, d’être solidaire, de s’entraider.
    C’était la vraie vie. Mais c’était cela le véritable projet politique, le
    véritable dessein politique des initiateurs. Car les gens intégraient,
    intériorisaient malgré tout les valeurs du régime, tout en se sentant libres. »


    Les expéditions des Braves se sont essoufflées, tombées en désuétude
    après la fin du régime communiste, fin 1989. Le ressenti de ce vécu survit
    cependant encore dans les mémoires des participants et dans les souvenirs qu’ils
    ont encore gardé de l’aventure. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • L’association Pro Transylvanie

    L’association Pro Transylvanie

    Le 30 août 1940, à la suite du Second arbitrage de Vienne, la Roumanie se voyait dépecée, forcée de céder la moitié nord de la Transylvanie à la Hongrie, après avoir été contrainte de céder, deux mois plus tôt, la Bessarabie et le nord de la Bucovine à l’URSS. Une semaine plus tard, le 6 septembre 1940, viendra le tour du sud de la Dobroudja, cédé lui à la Bulgarie, suite au traité de Craiova. Mais de tous ces rapts territoriaux, la perte du nord de la Transylvanie était telle une blessure béante au cœur de tous les Roumains. Le nord de cette province historique cédée en 1940 à la Hongrie comptait, selon le recensement de 1930, 2.400.000 habitants, dont 50% ethniques roumains et 38% ethniques magyares, répandus sur un territoire couvrant 43.492 kilomètres carrés. Mais le Second arbitrage de Vienne n’avait que faire de la réalité. Mus par le seul désir de faire table rase du Traité de Versailles et des suites de la Grande Guerre, l’Allemagne, l’Italie et la Hongrie n’avaient de cesse de chambouler les équilibres et de tordre la réalité pour satisfaire leurs seuls intérêts.

    Les suites de la cession territoriale du nord de la Transylvanie furent dramatiques pour bon nombre de ses habitants. En effet, les persécutions et les exactions perpétrées par les autorités de Budapest à l’encontre notamment des juifs et des Roumains ont mis sur les routes de l’exile près d’un demi-million parmi ces derniers. Réfugiés dans une Roumanie exsangue, ces transylvains n’abandonneront jamais le dessein de retrouver un jour leurs foyers. Et c’est en poursuivant cet objectif que le 15 novembre 1940 un groupe de jeunes intellectuels transylvains décident de fonder l’association Pro Transilvania, élisant à sa tête, en tant que président d’honneur, Iuliu Maniu, personnalité politique hors du commun, et président du parti National Paysan. Une association qui n’a eu de cesse de combattre le rapt territorial consenti par le Second arbitrage de Vienne, à travers notamment la diffusion d’émissions de radio destinées aux Roumains qui continuaient à vivre dans cette partie de la Transylvanie passée sous autorité magyare.

    Le professeur Victor Marian, ancien membre de l’association, racontait en 1997 son expérience, lors d’une interview passée pour le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine. Ecoutons-le : « Il faut savoir qu’il s’agissait d’une radio clandestine. On était constamment poursuivi. Et il fallait donc changer constamment d’endroit. L’on avait commencé à émettre depuis Brasov, 41 rue du Château. Par la suite on est allé dans les montagnes qui surplombent la ville de Brasov, à Tampa. On avait déniché une bergerie abandonnée et on s’y était installé. Quant aux rédacteurs, il y avait Leon Bochiş, qui était la tête pensante et la cheville ouvrière du projet. Ensuite, Lucian Valea, Iustin Ilieş et moi-même. Me concernant, je n’ai pu collaborer que jusqu’au milieu de l’année 1942. Ensuite, j’ai eu mon poste d’enseignant dans la ville de Brasov, et mes disponibilités ont diminué ». L’émetteur de la radio « La Roumanie libre », ainsi qu’ils avaient intitulé leur poste, pouvait couvrir 100 Km à la ronde.

    Les informations en provenance des territoires occupés étaient acheminées aux rédacteurs grâce à des courriers discrets. Victor Marian : « Le système était bien mis au point. Et notre radio émettait assez loin. Il y avait des gens de Cluj, ville qui se trouve à 230 km à vol d’oiseau, qui arrivaient à écouter nos émissions. L’on changeait l’endroit d’où on émettait, mais c’était de plus en plus haut. Ce fut d’abord à Tampa, puis sur la montagne Piatra Mare, à Postavaru, ensuite dans les monts Fagaras. Mais à l’époque je ne faisais déjà plus partie de l’équipe. Mais Leon Bochis, on était de bons amis, et il me tenait informé. Et puis, les autorités les avaient pistés lorsqu’ils émettaient depuis les monts Fagaras, et ils ont dû abandonner le matériel et partir en catastrophe. Depuis lors le poste a cessé d’émettre. »

    L’association Pro Transilvania avait aussi édité un journal, intitulé « Ardealul », la Transylvanie, censé lui aussi conserver l’espoir au sein des Roumains qui vivaient en cette partie occupée de leur Transylvanie. Victor Marian : « Le journal était dirigé par Anton Ionel Mureşanu. On nous mettait au courant de l’évolution du front, et de l’évolution de la situation internationale. Nous étions donc informés des démarches entreprises par Iuliu Maniu à Stockholm, à Ankara, à Caire et dans d’autres capitales, pour plaider la cause de cette partie occupée de la Transylvanie. Et nous pouvions informer à notre tour nos auditeurs, sur nos ondes. On craignait surtout les Allemands, qui détenaient des appareils performants de radiolocalisation, et on les craignait surtout lorsqu’on diffusait des informations qui faisaient état de notre volonté de sortir de l’alliance qui nous liait à eux. Et lorsqu’on se sentait pistés, on pliait tout de suite bagage. »

    La diffusion des émissions de la radio « La Roumanie libre » avait cessé en 1942, lorsque les Allemands avaient le vent en poupe et que la poursuite des transmissions mettait en danger la vie des membres de l’association Pro Transilvania. Sous les conseils de Iuliu Maniu, la technique de transmission avait été abandonnée dans les montagnes, alors que ceux qui avaient fait vivre ce poste ont dû fuir en catastrophe. A la fin de la guerre cependant, le vent tourne à nouveau, et le nord de la Transylvanie réintégrera les frontières roumaines à la suite du traité de paix de Paris de 1947. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Luttes pour le pouvoir et assassinats politiques au sein du parti communiste roumain

    Luttes pour le pouvoir et assassinats politiques au sein du parti communiste roumain

    La soif de pouvoir attire autant qu’elle
    n’abime. Pour y accéder, certains sont prêts à tout. Et l’histoire des guerres,
    des assassinats politiques, les coups d’Etat, la manipulation du vote populaire
    sont là pour nous y renseigner. Fondé le 8 mai 1921, le parti communiste
    roumain fut interdit peu après son apparition et vivota en illégalité pendant
    la période de l’entre-deux-guerres, souvent grâce aux financements occultes en
    provenance de l’URSS, via la Troisième Internationale. Mais la vie interne de
    ce parti ne fut pas très pacifique, et des luttes intestines finir par décimer
    jusqu’au sens propre du terme ses dirigeants. En effet, sur les sept dirigeants
    que le parti communiste roumain compta pendant cette période, trois, Elek
    Köblőș, Vitali Holostenko et Alexander Ștefanski, tombèrent victimes durant la
    Grande Terreur, orchestrée par Staline dans les années 30.

    A la fin de la Seconde
    Guerre mondiale pourtant, le vent tourne à nouveau à la faveur des communistes.
    Occupée par l’Armée rouge, la Roumanie se voit imposer un gouvernement d’extrême
    gauche dès le mois de mars 1945. Il n’empêche, les bonnes habitudes demeurent toujours
    d’usage. Ștefan Foriș, le président en exercice du parti, sera ainsi tué à
    coups de barre de fer par les hommes de main de son rival, le secrétaire-général Gheorghe Gheorghiu Dej, celui qui prendra d’autorité
    les rennes du parti, puis du pays tout entier, jusqu’à sa mort, survenue en
    1965. C’est alors qu’une lutte de succession acharnée sera à nouveau
    déclenchée. En lice, notamment Gheorghe Apostol, favori de Gheorghe
    Gheorghiu-Dej, tari déjà par la maladie, et Nicolae Ceausescu, celui qui
    remportera finalement la mise avec le fauteuil de premier-secrétaire, Janoș Fazekaș, un vieux routier du parti, remémorait dans
    une interview donnée en 1997 et conservée par le Centre d’histoire orale de la
    Radiodiffusion roumaine, la lutte de pouvoir déclenchée par l’ouverture de la
    succession à la tête du parti communiste roumain. Janoș Fazekaș :« La
    fin prochaine de Gheorghiu-Dej a été durement ressentie par le parti. Je l’appréciais
    beaucoup, alors même que je critiquais certaines de ses décisions. Lui aussi,
    il manifestait une certaine sympathie envers moi, envers les jeunes cadres du
    parti en général. Et c’est sa fille, Lica, avec laquelle j’étais ami, qui m’avait
    aidé à lui rendre visite lorsqu’il se trouvait sur son lit de mort. Il est mort
    chez lui, il n’est pas mort à l’hôpital. Et dans ces moments-là, il était pratiquement
    réuni là tout le bureau politique du comité central du parti. Ceauşescu ne
    voulait pas me laisser entrer, je ne faisais pas partie du premier cercle du
    pouvoir. Mais Lica était parvenue à imposer ma présence, et on me fit entrer.
    Et je pus alors assister aux derniers moments que Gheorghe Gheorghiu-Dej a
    passé sur cette terre. »


    Mais
    la guerre de succession s’est déclenchée au sein du parti aussitôt que la mort prochaine
    du leader déclinant avait été pressentie comme inévitable. Et Nicolae
    Ceausescu, son futur successeur à la tête du parti, n’a pas tardé à se placer dans
    block starts. Janoș Fazekaș à nouveau : « Ceausescu prend la parole au chevet de Dej,
    pour promettre fidélité envers le socialisme et militer pour l’unité du parti
    et pour la prospérité de la nation. En fait, en déclarant cela de la sorte, Ceausescu
    posait ses ambitions, il nous avertissait sur ce qu’il entendait faire dans la
    position qu’il convoitait, celle de leader suprême. Mais lui, il savait qu’il n’était
    pas désiré par certains. Le premier-ministre de l’époque, moi et d’autres
    encore, on privilégiait la solution Apostol. Par ailleurs, Gheorghiu-Dej avait
    proposé Maurer en tant que premier-secrétaire du parti. Mais ce dernier n’avait
    pas accepté. Français par sa mère, Allemand par son père, il prétendit qu’il
    fallait un ethnique roumain pour diriger le pays, un gars du pays. Alors Dej s’était
    tourné vers Apostol, et Maurer avait endossé la proposition.
    »


    Malgré
    les mauvaises auspices sous lesquelles s’annonçaient ses ambitions, Nicolae
    Ceausescu arrive à retourner la situation en sa faveur. Janoș Fazekaș :« A
    la fin des obsèques, Maurer et Bodnaras convoquent le Bureau politique, censé
    convoquer à son tour le Comité central du parti. Maurer arrive le premier, nous
    attendions déjà dans la salle des réunions, et demande la convocation du Comité
    central du parti pour faire élire Gheorghe Apostol comme successeur de
    Gheorghiu-Dej au poste de premier-secrétaire. A ce moment-là, Ceausescu s’énerve
    et commence à houspiller contre Apostol. Bien qu’il eût semblé être d’accord
    avec cette candidature avant les obsèques. Devant tant de mauvaise foi, Maurer
    s’énerve à son tour, et demande à Ceausescu de poser sa candidature si c’est ainsi.
    Et Ceausescu saute sur l’occasion, et attrape la perche tendue par Maurer. Ce
    dernier n’aurait pas dû se laisser emporter par la ruse de Ceausescu. Mais le
    parti communiste roumain n’était pas un parti démocratique. Ni notre parti
    communiste, ni d’autres partis communistes d’ailleurs, ce n’est pas la démocratie
    interne qui régissait leur fonctionnement ».


    Le
    programme de départ de Nicolae Ceausescu, jeune leader ambitieux d’apparence
    plutôt libérale, avait propulsé le personnage sur le devant de la scène
    politique à la mort de Gheorghiu-Dej et à la tête du parti communiste. Au fil
    du temps pourtant, les espoirs qu’il avait initialement suscité durant les
    premières années de son règne ont été noyés par sa soif démesurée d’un pouvoir exercé
    de manière discrétionnaire aux dépens de la grande majorité des Roumains. (Trad.
    Ionut Jugureanu)

  • La présence américaine en Roumanie durant la seconde moitié des années 1940

    La présence américaine en Roumanie durant la seconde moitié des années 1940

    Avec l’entrée de la Roumanie dans le giron de l’Allemagne nazie fin 1940, les relations entre la Roumanie et les Etats-Unis ont connu une détérioration constante, surtout après l’entrée de la Roumanie dans la guerre contre l’URSS. Alors que les relations entre les deux pays, les Etats-Unis et la Roumanie, étaient dépourvues de points d’achoppement particuliers, le fait de se retrouver dans des camps opposés durant cette guerre ne pouvait pas ne pas les affecter.

    Pourtant, et en dépit de ces événements, les deux Etats essayent de conserver un minimum de contacts bilatéraux durant toute la guerre. Un tel exemple a constitué le camp des prisonniers américains, notamment aviateurs, établi près de la localité Geamana dans le département Arges, et dont parlait en 2004 Gheorghe M. Ionescu, américanophile et ancien membre du parti National-Paysan, au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine :« Vous savez, il y a eu une bataille aérienne juste dans le ciel au-dessus de la commune. Des avions américains ont été abattus par les Allemands. 8 militaires américains sont malgré tout parvenus à s’échapper en parachute d’un B-26. C’était un bombardier qui comptait un équipage de 8 personnes. Sur ces huit-là, 4 étaient déjà morts lorsqu’ils avaient touché le sol, les quatre autres étaient juste blessés. Le vent les avait porté dans une forêt, près du village de Cireşu. L’alarme avait été donnée, et l’on nous a demandé d’aller les chercher. L’on prétendait que c’étaient des méchants. Je n’y suis pas allé. Les gars de sécurité civile y sont finalement allés, les militaires, les gars de la mairie. Mais les Américains sont sortis d’eux-mêmes des bois, et se sont rendus sans faire d’histoires. On les a embarqués dans deux équipages, et on les a emmenés à l’hôpital de Pitesti. C’est là qu’on les a soignés, guéris, ils en sont sortis complètement rétablis. »

    Avec un fair-play certain, ces ennemis de conjoncture que furent les anglo-américains n’ont pas hésité à reconnaître le bon traitement dont bénéficiaient les prisonniers de guerre en Roumanie. Gheorghe M. Ionescu :« Sur ses ondes, Radio Londres avait remercié nommément le docteur Nelecu, le chirurgien en chef de l’hôpital où avaient été soignés les prisonniers américains « pour les soins qu’il leur avait prodigué ». Après s’être rétablis, ces prisonniers ont rejoint le camp de prisonniers de guerre de Predeal, où là encore ils furent extrêmement bien traités. Ils tenaient des conférences, jouaient au tennis, ils étaient plutôt comme en vacances dans une station de montagne que dans un camp de prisonniers en temps de guerre. Les quatre victimes de la bataille aérienne ont été enterrées dans le cimetière de Lăceni, leurs funérailles ont été organisés dans l’église de Badea Cârstei. Ils étaient munis de leurs médaillons où il était mentionné le nom, le régiment auquel ils avaient appartenu, l’âge, enfin toutes ces données qui auraient facilité l’identification d’une personne. »

    Une semaine après le changement de régime du 23 août 1944, lorsque Bucarest avait rejoint le camp des Alliés, les Américains sont venus et ont récupéré les dépouilles, pour les amener à Oklahoma, d’où ils étaient originaires.

    Gheorghe Barbul, le secrétaire personnel du maréchal Ion Antonescu, le Duce roumain, mentionnait lors d’une interview de 1984 sur les ondes de Radio Free Europe les négociations déroulées en catimini durant la guerre entre les Roumains et les Américains, dans le dos des Allemands : « Le premier contact direct avec les Américains avait été réalisé à Stockholm par Rădulescu, le chef de cabinet de Mihai Antonescu, ministre des Affaires étrangères de l’époque. Son interlocuteur était un envoyé personnel du président Roosevelt en Europe. Ce dernier n’avait pas de qualité officielle. Le président américain n’utilisait pas les canaux diplomatiques officiels pour négocier séparément avec les alliés des Allemands, pour ne pas s’attirer les foudres des alliés. Le résultat de ces contacts avait été synthétisé par Mihai Antonescu de la manière suivante : les Américains s’inquiétaient de savoir où exactement les deux armées, soviétique et anglo-américaine, allaient faire jonction sur le sol européen. Et de fait, ce genre de raisonnement confortait le maréchal Antonescu dans son analyse qui faisait qu’en résistant le plus longtemps aux Soviétiques, la Roumanie servait les intérêts des Anglo-Américains. »

    Après la défaite de l’Allemagne nazie, la Roumanie s’est tournée vers la diplomatie américaine, seule en mesure selon elle de préserver le pays du rouleau compresseur des communistes, propulsés au pouvoir par les armées soviétiques d’occupation. Des espoirs fous se faisaient alors jour, certains nourrissant l’espoir d’un débarquement des anglo-américains dans les Balkans. Il s’agissait évidemment d’une illusion.

    Radu Campeanu, un des leaders du parti libéral, mentionnait dans une interview donnée en 2000 le peu d’influence de la diplomatie américaine dans les affaires intérieures de la Roumanie d’après-guerre : « Nicolae Penescu, secrétaire-général du parti national-paysan, m’avait raconté un épisode qui s’était déroulé fin 1944. Le parti national-paysan, par peur de la répression des communistes qui venaient de prendre le pouvoir, conservait une partie de ses archives sensibles chez un certain monsieur Melbourne, officier de liaison de la mission américaine en Roumanie. Et une fois, au café, ce Melbourne leur avait avoué : les officiels américains disposaient d’une marge de manœuvre réduite pour intervenir en Roumanie. Il fallait s’entendre avec les Soviétiques, il fallait se tourner vers eux et trouver un terrain d’entente. Et Penescu se rend ensuite chez Maniu, le président de son parti, pour rapporter les propos de Melbourne. Et vous savez quelle a été la réaction de Maniu ? Il prit sa main et lui dit : nous, on va poursuivre comme avant. C’est-à-dire sans conclure le pacte avec le diable, avec les communistes ».

    Et même si les aléas de l’histoire ont fait que la Roumanie et les Etats-Unis se soient à nouveau retrouvés dans des camps politiques opposés de 1945 à 1989, leurs relations bilatérales ont redémarré sur de meilleurs auspices une fois que la Roumanie est parvenue à se libérer de la dictature communiste et de l’influence soviétique. (Trad Ionut Jugureanu)

  • Radio Caire

    Radio Caire


    La
    guerre demeure encore et toujours comme une sorte de menace sourde dans la
    mémoire collective des gens d’aujourd’hui. Et même si notre sécurité s’est
    beaucoup renforcée ces dernières décennies, grâce notamment à des structures de
    sécurité collective telle l’OTAN, la guerre demeure une occurrence encore possible,
    envisageable, et cela après 78 ans depuis la fin de la plus terrible des
    guerres connues par l’humanité : la Deuxième guerre mondiale.


    Et
    il faut dire que si les guerres ne peuvent être remportées que sur le champ de
    bataille, le moral des troupes et de la population civile restée derrière le
    front demeure un élément essentiel, autant que la qualité des armes déployées sur
    le front. Les médias ne se sont forcément pas dédouané d’endosser le rôle qui
    leur revenait pendant cette dernière grande conflagration mondiale. Et la radio,
    média de masse par excellence, ne fut pas en reste. Car c’est sur les ondes
    radio que furent portées, perdues ou remportées, les terribles batailles de l’information,
    mais aussi de la désinformation.


    Pendant la Deuxième
    guerre mondiale, la Roumanie avait rejoint l’Axe Rome-Berlin-Tokyo devant
    lequel se dressait l’alliance formée notamment par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne
    et l’URSS. Les deux blocs cherchaient chacun à dérouter et à démoraliser l’ennemi,
    en utilisant pour ce faire des émissions radio transmises dans la langue de l’ennemi.
    Les émissions du service roumain de Radio Caire, financé par les Britanniques, constituent
    à cet égard un cas d’école. La Roumaine Livia Deakin-Nasta,
    traductrice et rédactrice radio, avait rejoint en 1941 la rédaction roumaine de
    Radio Caire. C’est que son père, le juriste Liviu Nasta, était un proche de l’ambassadeur
    britannique en poste à Bucarest avant l’entrée de la Roumanie en guerre contre
    l’URSS, Burton Berry. Née à Bucarest en 1916, diplômée de la Faculté des
    langues romanes, Livia Deakin-Nasta se rappelle ses débuts en tant que rédactrice
    radio dans une interview enregistrée en 1998, et conservée par le Centre d’histoire
    orale de la Radiodiffusion roumaine.


    « C’est
    au mois de février 1941 que j’avais quitté la Roumanie. Mon père venait de se
    faire arrêter par le régime fasciste d’alors, et c’est avec l’aide des Français
    et des Américains que je suis parvenue à quitter le pays. Je suis allée d’abord
    à Budapest, ensuite à Belgrade. Mais j’ai dû quitter Belgrade, lorsque les Allemands
    avaient envahi le pays. Je suis donc partie pour la Grèce, pour arriver ensuite
    au Caire, ville qui abritait le deuxième commandement militaire allié. Le
    premier était basé à Londres, le second au Caire. »


    Et c’est en Egypte
    que Livia Deakin-Nasta s’engage corps et âme aux côtés
    des Alliés, en suivant en cela les options politiques de son père, devenu
    résistant, un des ceux grâce auxquels les Britanniques étaient tenus informés
    des mouvements des troupes allemandes et soviétiques. Radio Caire venait d’être
    fondée au mois d’avril 1941, juste après l’arrivée de Livia dans le nord de l’Afrique.
    Embauchée par le poste de radio, dirigé à l’époque par le lord Runciman, Livia fut
    tout de suite nommée lieutenant, et reçut pour pseudonyme le nom de Jane Wilson.
    Radio Caire avait ouvert à l’époque des services en langues roumaine, bulgare,
    italienne et grecque. Livia Deakin-Nasta :


    « J’occupais
    le studio à partir de 23h30. L’émission comprenait 10 minutes d’actualités de
    guerre, ensuite 5 minutes de d’infos. Les Italiens suivaient au micro, mais il
    était rare qu’ils rédigent à l’avance ce qu’ils devaient lire au micro. Les
    Italiens se plantaient dans mon bureau, et prenaient des notes, en traduisant
    librement du roumain en italien. Finalement, ils avaient appris un roumain impeccable.
    Par la suite, je suis tombée malade, et la section roumaine s’est étoffée avec
    une nouvelle recrue, Elena, une dame extrêmement gentille. Elle était trois-quarts
    roumaine, un quart suisse. Et puis, en 1942, lorsque les Allemands se sont
    approchés du Caire, la rédaction a dû déménager au Liban. Nous transmettions depuis
    le Liban. Ensuite, depuis Jérusalem, que l’on n’a quittée qu’au printemps 1943. »


    Livia Deakin-Nasta se
    rappelle encore la manière dont la section roumaine de radio Caire
    rédigeait ses bulletins, en prenant appui sur les infos fournies par le Bureau
    de presse de l’armée britannique :


    « Le
    Quartier-général nous offrait des informations brutes. On les traduisait, on
    les travaillait, en supprimant toutes les informations qui pouvaient rendre compte
    des mouvements des troupes, ensuite l’on s’asseyait sur les sièges d’un cinéma
    en plein air, et l’on rédigeait les textes qu’on allait envoyer sur les ondes.
    Les textes étaient rédigés à la main, on n’avait pas le temps de les dactylographier.
    Les papiers étaient brûlés tout de suite après les avoir lu. Surtout en 1942,
    lorsque les Allemands s’étaient approchés, on a dû brûler toutes les archives. Il
    y avait alors un bordel pas possible. Vous savez, la guerre n’est pas un jeu d’enfants »
    .


    Mais le travail de journaliste
    de la lieutenante Livia Deakin-Nasta ne constituait qu’une partie de la mission
    qu’elle avait choisi d’endosser. En effet, elle encodait en transmettait en code
    Morse bon nombre de messages adressés aux groupes d’agents alliés infiltrés en
    Roumanie. Fin 1944, après que la Roumanie eut rejoint le camp allié, la mission
    de la rédaction roumaine de radio Caire prit fin et, avec cela, une page de
    cette presse de guerre fut tournée. Le monde allait dorénavant devoir affronter
    d’autres défis, et d’autres pages d’histoire attendront d’être rédigées. (Trad. Ionut
    Jugureanu)

  • La mémoire d’un quartier disparu : Uranus

    Le centre actuel de
    Bucarest qui abrite notamment l’imposant bâtiment du parlement, la Place de la constitution,
    et les sièges des principales institutions de l’Etat a été érigé au début des
    années 80 selon les plans pharaoniques de Nicolae Ceausescu sur les ruines d’un
    quartier paisible, détruit à coups de pelleteuses et des bulldozers. En effet,
    il y a 40 ans, l’on pouvait encore parcourir ce charmant quartier Uranus,
    tellement typique du vieux Bucarest. L’on pouvait y voir les bâtiments du vieil
    Arsenal, un stade, des églises et de petites maisons pittoresques, bordant des
    ruelles pavées, étroites, érigées en pente. 90% de ce quartier partira en poussière
    dans les années 80 pour faire place nette à la dernière folie du régime
    communiste de Nicolae Ceausescu : bâtir le centre administratif de son
    pouvoir.


    L’historienne Speranța Diaconescu travaillait
    en 1975 à l’Office du Patrimoine culturel de Bucarest. Et c’est en cette
    qualité qu’elle avait pu suivre de près la destruction systématique du paisible
    quartier. Son interview, enregistrée en 1997, a été conservée par le Centre d’histoire
    orale de la Radiodiffusion roumaine. Ecoutons-la :


    « Uranus
    était un quartier historique de Bucarest. Le musée d’histoire de Bucarest avait
    voulu cartographier la zone. Il devait le faire, cela faisait partie de sa
    mission, car il fallait faire connaître aux générations futures ce qu’avait été
    en ce lieu. Et puis, les équipes de cartographes du musée ont étendu leur
    action pour couvrir toutes les zones qui allaient être démolies dans la ville
    de Bucarest selon le nouveau plan d’urbanisme concocté par le régime. Pour conserver
    la mémoire de ce qu’avait été Bucarest avant les destructions volontaires
    ourdies par le régime. Alors, voyez-vous, le musée d’histoire de Bucarest
    détient grâce à cela les fiches de tous les bâtiments démolis dans les années
    80 à Bucarest, qu’il s’agisse de simples maisons modestes ou de véritables hôtels
    particuliers. Les informations reprises dans ces fiches rendent aussi de la
    situation socio-professionnelle des propriétaires, des locataires. C’est une
    photographie, peut-être pas suffisamment détaillée, mais une photographie de ce
    Bucarest disparu. »


    Les urbanistes, les
    architectes de l’époque étaient bel et bien au fait de l’énormité de la
    démarche destructrice du régime. Certains ont bataillé ferme pour tenter de
    sauver ce qui pouvait l’être. Speranța Diaconescu :


    « Lorsque
    les travaux de démolition avaient démarré, nous agissions en vertu du décret-loi
    120 de 1981. L’on pouvait essayer de sauvegarder certains éléments de patrimoine,
    certains éléments de décoration. Un vitrail par exemple, une porte, des parties
    entières d’un bâtiment qui nous semblaient faire partie du patrimoine culturel.
    Mais l’on se trouvait devant le rouleau compresseur des ordres politiques. Il
    fallait faire vite. L’on nous disait : allez commencer à faire l’inventaire
    des bâtiments qui se trouvaient en tel endroit. On y allait, on commençait à
    faire l’inventaire, et puis les bulldozers se pointaient le lendemain, ou le
    surlendemain. Parfois, l’on n’arrivait même pas à accomplir les démarches
    administratives nécessaires pour commencer l’inventaire que les bâtiments que l’on
    devait répertorier étaient déjà à terre. Il était rare que l’on dispose d’une
    semaine pour effectuer notre travail. C’était tout bonnement insensé »
    .


    De fait, la folie
    destructrice du régime n’avait que faire des réticences des spécialistes. Speranța
    Diaconescu à nouveau :


    « Il
    m’est arrivé de faire l’inventaire de certains hôtels particuliers. C’étaient
    de véritables palais. Je me souviens encore de certains vitraux, des portes
    anciennes des miroirs ou que sais-je encore. Et si aujourd’hui, je parvenais à
    répertorier ce qu’il fallait sauvegarder, il n’était pas rare à ce que je
    constate que les démolitions avaient débuté le lendemain exactement là où j’aurais
    voulu conserver des choses. Et je me suis alors rendu compte que, grâce à nous,
    le régime se donnait bonne conscience, mais qu’en fait, nos efforts ne servaient
    à rien. L’on était mains et poings liés.
    »


    Après la chute du régime
    communiste fin 1989, Nicolae Ceausescu, renversé et tué pendant les heures terribles
    de la révolution, avait été tenu pour seul et unique responsable de la destruction
    des pans entiers du patrimoine architectural de la capitale roumaine. Pourtant,
    il n’aurait rien pu faire seul, en l’absence de la complicité de ses ouailles. Speranța
    Diaconescu :


    « Je
    suis navré, mais vous savez, pour ma part, Nicolae Ceausescu, aussi primitif et
    insensé qu’on a pu le voir, était un mec rusé. Suffisamment rusé pour qu’il
    signe les décrets qui devaient sauvegarder certaines parties de la ville de la
    destruction toujours après que ces les travaux de démolition avaient été réalisés
    sur le terrain. En fait, les décrets de démolition portaient généralement sur
    des superficies très vastes. Il revenait ensuite à ce qu’un autre décret
    exempte des effets du premier les monuments, les éléments de patrimoine. Et sur
    ce décret, Ceausescu apposait sa signature toujours trop tard, lorsque les
    démolitions avaient été déjà accomplies, lorsque tout avait été rasé. Or, ces
    manigances ne pouvaient s’accomplir en l’absence de la complicité de certains,
    prêts à tout faire pour mettre en œuvre au plus vite les désirs de destruction
    du dictateur.
    »


    De nos jours, seule
    une petite partie de l’ancien quartier Uranus, l’un de plus beaux quartiers du
    vieux Bucarest, peut encore être admirée par le passant. Mais l’image de ce
    quartier détruit par le régime communiste est sauvegardée encore dans la mémoire
    de ses anciens locataires, dans leurs albums photo, mais aussi grâce aux
    articles de presse, aux expositions et aux films qui ont été tournés dans ce
    lieu une fois paisible et poétique de la capitale roumaine. (Trad.
    Ionut Jugureanu)

  • 1918, vue de l’autre côté du lorgnon

    1918, vue de l’autre côté du lorgnon

    La Première guerre mondiale, ou la Grande Guerre comme l’avait appelée les
    contemporains, qui jusqu’alors n’avaient pas connu un conflit militaire d’une
    telle ampleur, a donné naissance à des milliers d’ouvrages, de récits et d’analyses
    de toutes sortes. L’immense mobilisation de ressources matérielles, l’immense
    dégât que la guerre avait provoqué, la perte de millions de vies humaines peuvent
    être difficilement compréhensibles par les gens d’aujourd’hui. Les utopies du
    temps avaient en effet mobilisé des foules enthousiastes, parties à la guerre comme
    si elles allaient à la fête, alors qu’elles allaient trop souvent à une mort quasi
    certaine.


    La Roumanie s’était tenue à l’écart durant
    les deux premières années de la guerre, pour ne la rejoindre qu’à l’été 1916,
    du côté de l’Entente. Pendant la première partie du combat, en 1916, seule, et prise
    en tenaille entre les forces austro-allemandes venues du Nord et les forces
    bulgares venues du sud, l’armée roumaine bat en retraite, abandonnant la
    capitale, Bucarest, dans les mains ennemies. L’année suivante, en 1917,
    appuyée par l’armée russe et surtout par la mission militaire française, dirigée
    par le général Berthelot, l’armée roumaine fait barrage et parvient à mettre en
    échec les attaques des armées prussienne et austro-hongroise. Enfin, après la
    victoire de l’Entente de 1918, les Roumains, qu’ils soient du royaume de
    Roumanie d’avant 1914, de Transylvanie, de Bessarabie ou encore du
    Quadrilatère, se voient enfin réunis dans un même Etat. L’année 1918 est dès
    lors devenue l’année d’un rêve séculaire transformé en réalité. C’est l’année
    du triomphe des nations au détriment des empires. L’année des commémorations de
    tous les sacrifices, de tous ceux tombés sur l’autel de la cause nationale.

    Mais les vaincus de la Grande
    Guerre avaient tout perdu, ou presque. L’ancien empire d’Autriche-Hongrie disparaissait,
    et les deux Etats issus de ses ruines, l’Autriche et la Hongrie, voyaient leurs
    frontières rétrécir comme peau de chagrin. L’ouvrage coécrit par deux
    historiens magyars, Nándor Bárdi et Judit Pál, et intitulé « Au-delà des
    tranchés. Comment vécurent les magyares de Transylvanie la Grande Guerre et le
    traité de Trianon » reprend des témoignages des contemporains et des
    documents d’archive. L’historien Daniel Cain nous introduit dans l’atmosphère
    qui prévalait au début de la guerre. « Les auteurs renvoient à un article de presse qui a représenté une
    voix singulière dans le paysage médiatique roumain de l’époque. C’était fin
    1914, début 1915. Il s’agit de la Une d’une revue économique qui posait la
    question dans ces termes : Bon, nous allons entrer en guerre, supposons
    que nous allons la gagner, reprendre la Transylvanie et parvenir à acter la
    création de la Grande Roumanie. Et après ? Quel modèle administratif
    allons-nous proposer aux transylvains ? Avons-nous la capacité de
    remplacer l’élite administrative transylvaine, majoritairement magyarophone,
    avec une élite roumanophone ? Mais ce genre de discours quelque peu
    pessimiste était plutôt singulier dans la presse roumaine du temps. La plupart
    s’évertuait en effet de démontrer combien il serait aisé d’intégrer la
    Transylvanie au royaume de Roumanie. »


    Toujours pendant ces premiers mois de guerre, l’on voit encore combien l’idée
    que la guerre qui venait de débuter allait être brève et son issue rapide
    prévalait dans les esprits. Une idée partagée par l’ensemble des Européens, et
    qui les a fait se lancer dans la guerre avec la plus grande légèreté. Une idée
    profondément fausse. Daniel Cain : « Avant l’entrée de la Roumanie en guerre, on
    était en début de l’été 1916, il y a eu deux incidents majeurs, les deux dans
    la capitale, à Bucarest. Il s’est agi tout d’abord d’une grande explosion à l’Arsénal,
    puis une autre dans une fabrique de munitions sise dans le quartier Dudesti. La
    presse du lendemain vilipendait les autorités, les accusant de négligence, d’avoir
    laissé les espions agir impunément et faire 300 victimes. C’était le nombre de
    victimes de ces deux explosions. Mais les journaux, notamment le quotidien
    Adevarul, poursuivaient avec cette remarque : autant que le nombre de victimes
    que nous allons compter pour reprendre la Transylvanie. Or, cela était insensé.
    Les journalistes laissaient ainsi entendre que la guerre allait être une
    promenade de santé, une sorte de guerre de pacotille, avec un nombre dérisoirede victimes. »


    Daniel Cain n’hésite pas à mettre en doute certaines assertions reprises
    dans le volume des historiens magyares :« Cet ouvrage offre en effet certaines
    réponses. Il offre certainement la perspective de Monsieur-tout-le-monde, des
    gens de la rue, de petites gens. Il nous fait connaître divers points de vue.
    Des gens qui vivaient dans l’incertitude du lendemain, parfois dans la peur. Il
    nous offre aussi la perspective des ceux qui vivaient dans les régions de
    frontière, et qui se sont réveillés un beau matin sous occupation étrangère. Des
    gens qui voient déserter l’administration qu’ils avaient connue, qui assistent
    impuissants à son remplacement, avant que les choses ne changent à nouveau, à
    quelques semaines ou à quelques mois d’intervalle. Une situation surannée ».


    Mais au-delà de diverses perspectives que l’on peut avoir au sujet de la Grande
    Guerre, l’ouvrage « Au-delà des tranchés » demeure une merveilleuse œuvre
    de mémoire, faisant défiler devant nos yeux les opinions des vainqueurs, mais
    surtout des vaincus, des ceux pour qui la guerre s’était au fond mal terminée.
    (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Quelques moments de l’histoire de la presse roumaine

    Quelques moments de l’histoire de la presse roumaine


    Le rôle de la presse dans l’évolution de la société
    moderne a été tellement énorme, qu’en parler n’est que lui faire justice. Aussi,
    les premiers journaux quotidiens parurent dans l’espace roumain voici près de 200
    ans, vers la fin des années 1820. Mais la première publication roumaine, parue à
    Iasi, et éditée en langue française, est sans nulle doute « Courier de la
    Moldavie ». Dans son premier numéro, issu en 1790, elle informait ses
    lecteurs des actualités moldaves, sans oublier les nouvelles d’ailleurs. La
    récente exposition, abritée par la Bibliothèque de l’Académie roumaine et intitulée La presse roumaine entre tradition et modernité, entend retracer les 200 années d’histoire de presse
    roumaine. Le choix du lieu de l’exposition n’est pas anodin. En effet, la
    Bibliothèque de l’Académie conserve les plus importantes collections de quotidiens
    et de revues parus dans l’espace roumain depuis l’apparition de la presse
    écrite, soit plus de 8,5 millions d’exemplaires.


    La
    commissaire de l’exposition, Daniela Stanciu, relève au public présent à l’inauguration
    le rôle essentiel que joue cette presse roumaine pour l’historiographie
    contemporaine. Ecoutons-la :


    « Vous
    savez, lorsque l’on parle presse écrite, il ne faut pas entendre juste magazines
    et quotidiens, mais encore périodiques, revues de spécialité, parfois même les
    actes des conférences. Cela fait que l’on peut retracer l’histoire moderne d’une
    nation en puisant tout simplement dans ces sources riches d’information. C’est
    l’histoire écrite, à chaud, par ces témoins privilégiés qu’ont depuis toujours
    été les journalistes. Prenez les reporters, qui puisent leurs informations à la
    source, au plus près de l’événement. Et leurs reportages, qui rendent compte au
    mieux de l’ineffable de ce quotidien d’un autre temps, et dont l’on soupçonne à
    peine l’existence. Prenez encore la manière dont sont relayés les grands soubresauts
    de l’histoire, ne fut-ce que pour avoir un aperçu de la manière dont ils ont
    été perçus par ceux qui les traversaient et qui en étaient directement
    concernés. Ces reportages et articles, relus après des décennies, voire des
    siècles, rendent au mieux compte de ce que les Français appellent « l’air
    du temps » ».


    Mais
    l’apparition et l’essor de la presse écrite ont bien évidemment été depuis
    toujours liés au développement technologique. L’apparition de l’imprimerie a représenté
    un saut décisif pour le développement d’une presse écrite rapidement accessible
    à son public. Daniela Stanciu :


    « C’est
    grâce à l’apparition de l’imprimerie que la presse écrite est née, et a pu ensuite
    répandre avec célérité l’information. Avant elle, il n’y avait que ce que l’on connait
    sous l’appellatif de feuilles volantes, soit des feuilles détachées, manuscrites,
    imprimées ou copiées à la machine à écrire. Et dans notre exposition, vous
    allez pouvoir admirer ces feuilles volantes, qui ont été mises en valeur dans l’espace
    réservé aux parutions de presse écrite du 19e siècle. Voici la
    feuille volante qui annonce le lancement du quotidien Le courrier de Bucarest,
    devenu ultérieurement Le courrier roumain. Ou encore la feuille volante de la
    Proclamation d’Islaz, qui reprenait le programme politique révolutionnaire de
    1848, apprécié par certains comme étant la première constitution roumaine. La
    feuille volante encore qui renseigne de la fondation de l’imprimerie de la Métropolie,
    en 1859. Enfin, celle reprenant et diffusant le discours du prince souverain Alexandru
    Ioan Cuza, devant l’Assemblée constituante, en 1860, moment où l’on avait acté
    l’union de la Moldavie et de la Valachie, et la fondation de l’Etat roumain.
    Enfin, la feuille volante distribuée par le roi Carol 1er, au moment
    où il décidé d’envoyer ses troupes traverser le Danube, pour recouvrir la
    pleine indépendance de l’Etat roumain envers la Sublime Porte. »


    Mais
    qu’allons-nous trouver dans cette exposition intitulée « La presse roumaine,
    entre tradition et modernité » ? Daniela Stanciu, commissaire de l’exposition
    abritée par la Bibliothèque de l’Académie roumaine, nous renseigne :


    « Des
    parutions des célèbres quotidiens « Adevarul », « La vérité »
    en traduction française, fondé en 1871, et « Dimineata », « Le
    matin », fondé en 1900. Mais l’exposition présente aussi des inédits.
    Telle la revue intitulée « Le musée National. Gazette littéraire et industrielle »,
    parue en 1836, où l’on découvre, pour la première fois, une rubrique météo,
    nichée en dernière page de chaque numéro. C’est encore cette revue qui publie
    la correspondance entre ces deux grands poncifs de la révolution de 1848, Constantin
    Negruzzi et Ion Heliade Rădulescu, le premier originaire de Valachie, le second
    de Moldavie, deux pays encore séparés à l’époque. Vous pourrez voir aussi « Claponul. Feuille
    populaire et humoristique », parue en 1877, rédigée d’un bout à l’autre
    par un seul homme, le célèbre écrivain Ion Luca Caragiale. Six numéros parurent
    de cette revue, mais c’est dans cette revue que Caragiale publia pour la
    première fois quelques-unes de ces nouvelles, où il faisait connaître au public
    sa vision sur le risible de la politique politicienne. Les numéros d’Adevarul,
    La vérité, contiennent les premières correspondances de l’étranger publiées par
    un quotidien roumain. C’est encore le premier journal qui introduit la
    caricature de presse dans ses pages. La rédaction d’Adevarul s’est muni au fil
    du temps d’une bibliothèque propre, d’une maison d’édition, d’une archive
    extrêmement riche et même du premier palais, propriété de la rédaction d’un
    journal. Les journalistes de ce quotidien étaient bien rétribués, et c’était un
    vrai privilège de faire partie de sa rédaction. »


    Ces
    deux cents ans d’histoire de presse écrite roumaine constituent un héritage du
    passé autant qu’une promesse d’avenir. Confrontée au défi de l’internet et de
    la digitalisation, aux nouvelles technologies et aux nouveaux médias, la presse
    écrite fait encore et toujours son petit bout de chemin, malgré vents et marées. (Trad.
    Ionut Jugureanu)

  • L’histoire des relations bilatérales entre la Roumanie et la Corée du Nord

    L’histoire des relations bilatérales entre la Roumanie et la Corée du Nord


    La Roumanie socialiste de Nicolae
    Ceausescu d’avant 1989 avait noué d’excellentes relations politiques, diplomatiques
    et commerciales avec la Corée de Nord de Kim Ir Sen, grâce notamment à la convergence des vues de leurs
    deux leaders, mais aussi à leurs intérêts économiques complémentaires. En effet,
    si la Roumanie cherchait des débouchés commerciaux hors l’Europe, la Corée de
    Nord tentait, elle, le rapprochement avec l’un des Etats européens du bloc communiste.


    Le colonel Emil
    Burghelea avait rejoint en 1970 et pour plusieurs années son poste d’attaché
    militaire de Bucarest à Pyongyang. Interviewé en 2000 par le Centre d’histoire
    orale de la Radiodiffusion roumaine, il a été un témoin direct de l’essor
    remarquable des relations bilatérales entre la Roumanie et la Corée du Nord. En
    effet, si la Roumanie n’exportait dans le pays asiatique avant 1970 que des
    camions de marque Bucegi, fabriqués à Brașov, et des pièces détachées, la Corée
    de Nord s’avérait assoiffée de toutes technologies industrielles, désireuse qu’elle
    était de bâtir sa propre industrie nationale.

    Emil Burghelea appelait dans son interview, avec une certaine nostalgie, l’enthousiasme
    des Coréens, et leurs prouesses en matière de débrouille, mais aussi certaines
    de leurs pratiques commerciales déloyales. :


    « Vous savez, ils avaient mis au point la production des aciers
    spéciaux à usage militaire dans des conditions terribles. L’on se demandait
    comment ils y parvenaient, alors que nous, l’on devait faire appel à l’expertise
    des Occidentaux, en payant grassement pour avoir accès à de telles
    technologies. Mais, d’un autre côté, ils étaient plutôt rompus aux pratiques
    commerciales déloyales. Prenez les tours d’usinage, ces machines-outils qu’ils
    importaient de chez nous, et qui étaient fabriqués dans nos usines d’Arad ou de
    Brasov, auxquels ils enlevaient l’étiquette « Fabriqué en Roumanie »,
    pour la remplacer par la leur, et les exporter en Corée du Sud. Nous, l’on
    faisait comme si de rien n’était. Et puis, on leur a monté aussi beaucoup de
    cimenteries. »



    La priorité de l’industrie
    nord-coréenne portait déjà à l’époque sur la construction d’un complexe industriel
    militaire moderne et puissant, l’économie nord-coréenne étant subordonnée à la
    doctrine militaire du pays. Emil Burghelea:


    « Ils étaient assoiffés de technologie. Ils étaient par exemple intéressés
    par nos chantiers de Mangalia. Ils étaient intéressés par tout ce qui touchait
    à l’aviation, aux chars, à l’artillerie. Ils avaient construit d’impressionnants
    batteries d’artillerie côtières, qui étaient entièrement cachées. L’on ne
    pouvait rien apercevoir depuis le large, rien depuis la terre. Les canons
    étaient enfouis sous la terre, pouvaient résister à une frappe nucléaire au
    besoin. Une véritable prouesse technologique. Nous, les Roumains, pouvions nous
    enorgueillir d’une certaine avancée en matière de technologie militaire à l’époque.
    Nous disposions d’une certaine tradition aux usines de Resita, où nous
    fabriquions ce canon antichar formidable de 75 mm, et puis d’autres encore. A
    Brasov, l’on avait démarré la fabrication d’hélicoptères militaires, des lance-roquettes
    multiples, de conception soviétique. Alors les Nord-Coréens y étaient forcément
    intéressés. Leurs représentants se rendaient parfois chez Ceausescu, lui sollicitaient
    l’accès à telle ou telle technologie, pour la fabrication de telle ou telle
    arme. Et Ceausescu, bon prince, comme toujours avec eux. Ensuite, on les
    faisait visiter nos usines, nos chaînes de production d’armes, et ils prenaient
    des notes. On a envoyé aussi des spécialistes qui les ont aidés de bâtir des répliques
    de notre Maison de l’Armée de Brasov chez eux ».




    Avoir la technologie
    est une chose. Savoir en faire bon usage en est une autre. Le colonel Emil
    Burghelea :


    « C’étaient des braves. Leur slogan était « Un contre cent ».
    Ils se voyaient entourés d’ennemis nombreux, et ils leur fallaient apprendre à
    les combattre, alors qu’ils se trouvaient en infériorité numérique. lls avaient
    développé aussi la pratique des arts martiaux, la discipline était au top. Des
    soldats très bien entraînés. Ils entraînaient les jeunes depuis qu’ils étaient
    encore sur les bancs de l’école. Le Palais des pionniers de Pyongyang disposait
    d’espaces spécialement dédiés à l’entraînement militaire de jeunes. Ils
    apprenaient le maniement et l’entretient des armes de poing et des fusils d’assaut
    ».


    Mais la bonne
    entente entre les Roumains et les Nord-Coréens allait dans les deux sens. En
    effets, les Roumains disposaient d’un accès privilégié aux matières premières nord-coréennes.
    Emil Burghelea :


    « Nos exportations en matière technologique n’était pas gratuits non
    plus. L’on avait besoin de leur charbon, de leur tabac, du poisson, du minerai
    de fer. Ceausescu avait certes ses visées de nature politique, mais il n’était
    pas des ceux qui perdent au change. L’essor de notre industrie avait besoin des
    matières premières nord-coréennes. Il ne s’agissait pas que d’une collaboration
    de nature militaire »




    Mais les relations
    bilatérales florissantes d’autrefois ont été jetées aux oubliettes après la
    chute du régime communiste en Roumanie. Le divorce idéologique entre les deux
    Etats a vite fait de mettre un terme à la poursuite des échanges militaires, technologiques
    et commerciaux être la Roumanie et la Corée de Nord. (Trad. Ionut Jugureanu)





  • 90 ans depuis les grèves des cheminots du mois de février 1933

    90 ans depuis les grèves des cheminots du mois de février 1933

    Dans les années 1929-1933 le monde était secoué par la Grande
    Dépression, provoquée par le krach boursier newyorkais débuté en ce fameux
    Jeudi noir, le 24 octobre 1929. La longue et douloureuse crise économique qui s’en
    est suivie mit à rude épreuve le niveau de vie de nombreuses catégories sociales,
    et secoua les démocraties du monde entier. La Roumanie fut à son tour
    profondément touchée. Face aux coupes sombres opérées par le patronat, les ouvriers
    tentaient de se défendre au moyen des grèves et des mouvements de
    protestations. Ce fut le cas de la grève initiée par les mineurs de Lupeni, en
    1929, suivie plus tard par les grèves des cheminots, de janvier-février 1933, un
    mouvement déclenché par les cheminots travaillant dans les ateliers « Grivița »,
    de Bucarest. Une grève qui marqua les esprits des contemporains, et qui sera utilisée
    plus tard, après 1945, par les communistes roumains, pour légitimer leur assise.


    Une première
    phase de cette grève des cheminots démarra à l’appel des syndicats, et se
    déroula entre le 31 janvier et le 2 février 1933. À la suite des négociations
    enclenchées avec le patronat, certaines revendications, dont des augmentations
    salariales, furent satisfaites. Pourtant, les leaders syndicaux communistes,
    souvent instrumentalisés par les ukases de l’Internationale communiste, ne se satisferont
    pas de si peu. Les revendications à caractère politique commencent à supplanter
    les revendications purement sociales. Après des jours de blocage des
    négociations, le 16 févier 1933, le gouvernement décide d’intervenir en force,
    envoyant les troupes, appuyées par des gendarmes, pour déloger les quelques 4.000
    grévistes, barricadées dans l’enceinte des Ateliers des chemins de fer. Des
    coups de feu sont tirés. A la suite de l’intervention, 7 grévistes sont morts,
    15 autres sont blessés. 160 grévistes seront arrêtés et condamnés par la suite
    à diverses peines d’emprisonnement.


    Le régime
    communiste instauré après 1945 utilisera intensément cette grève à des fins de
    propagande. En effet, le secrétaire-général du parti d’après 1945, Gheorghe
    Gheorghiu-Dej, était l’un des meneurs de la grève des cheminots de 1933. Les
    recherches historiques démarrés après la fin du régime communiste jettent aujourd’hui
    une autre lumière sur les tenants et les aboutissants du mouvement gréviste des
    cheminots de 1933. Dans les archives du Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion
    roumaine, nous avons retrouvé l’interview passée en 1998 par Constantin Negrea, jeune ingénieur à l’époque des grèves
    de 1933 au sein des ateliers des chemins de fer « Grivita », qui ont
    été au cœur du mouvement. Negrea commence son interview en rappelant les
    origines du mouvement, démarré en 1931, et qui s’était à l’époque déjà soldé
    par deux victimes.

    Constantin Negrea :


    « A partir de 1931
    les choses se gâtent. On se voyait menacé par les coupes salariales, alors que
    les prix augmentaient. Alors, le 29 janvier 1931, l’on démarre la grève. On
    manifeste aussi. A partir de 16h00, on se dirige vers les ateliers « Grivita »,
    en criant des slogans, pour marquer notre opposition aux coupes salariales. Les
    troupes de gendarmes nous encadraient. Et puis, lorsqu’on approche du pont Grant,
    les troupes tirent, pour nous disperser. Les coups de feu ont fait deux
    victimes, dont un certain Craciun, menuisier de son état, et un juif, un certain
    Schwartz, qui était juste de passage, qui venait de la ville d’Oradea pour se
    marier, à Bucarest. Deux victimes donc ».


    Deux années
    plus tard, en 1933, le mouvement démarre par des marches de protestation. Mais
    les syndicats, plus aguerris, changent de stratégie. Constantin Negrea, témoin des événements :


    « Au lieu d’aller
    manifester et protester dans les rues de la capitale, nous avons choisi de nous
    barricader au sein des Ateliers. Et l’on enclenchait la sirène toutes les 30
    minutes, pour nous faire entendre. Nous nous sommes organisés par groupes. On
    était des syndicalistes. Et il a été décidé à ce que l’on aille manifester le
    15 février, alors qu’il y avait un froid terrible ce jour-là. On était sorti
    dans la cour des Ateliers, où l’on avait érigé une barricade, faite de sacs de
    sable. On avait du sable à disposition, parce qu’on avait commencé à aménager un
    petit parc dans la cour des Ateliers. Et l’on se chauffait à des feux de camp.
    Puis, l’on aménagea une autre barricade, à l’aide de poutres en bois pour
    bloquer une autre entrée, située à l’arrière ».




    En dépit de la
    radicalisation croissante du mouvement, certains grévistes se montrèrent
    réticents face à l’entêtement de leurs leaders. Constantin Negrea :


    « Une fois que le
    soir est tombé, certains nous firent part de leurs craintes. Il y en avait un,
    Mogos, qui travaillait à l’usine, y en avait un autre encore, et ils nous disaient :
    « Nous allons perdre notre gain-pain ». Ils étaient plus âgés. Mais nous,
    les jeunes, on était des jusqu’au-boutistes, nous ne voulions pas reculer. Ensuite,
    moi, avec mon groupe, on était sorti dans la cour des Ateliers vers 17h00. La
    sirène était notre métronome. On gardait les barricades, les entrées. On voyait
    bien que l’on était cerné par les troupes. Et à 17h45 précises, elles ont
    ouvert le feu. Les gendarmes ont tiré pour tuer. Six des nôtres sont alors tombés
    raide morts sur le coup, touchés par balles. »




    La grève des cheminots
    du mois de février 1933 a représenté un tournant dans la lutte syndicale
    ouvrière roumaine. En dépit de la confiscation idéologique opérée après coup
    par le régime communiste, le mouvement montra la capacité et la puissance
    collective des ouvriers décidés à s’opposer à tout prix à la dégradation de
    leurs conditions de vie et de travail. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Mircea Carp centenaire

    Mircea Carp centenaire

    Peu d’hommes ont la chance d’atteindre le centenaire. Et peu parmi ces derniers ont eu la chance d’avoir été au milieu des événements de leur temps, à leur contact direct, tel le journaliste radio Mircea Carp, une des chevilles ouvrières qui ont fait la célébrité de la section roumaine de radio Free Europe. Mircea Carp a soufflé ses 100 bougies le 28 janvier 2023. Il a traversé le vingtième siècle, marqué pour son pays par les deux guerres mondiales, par la montée du fascisme et du communisme, enfin par la chute du communisme et les années d’une transition mouvementée. Il traverse ce siècle en journaliste, en homme de mémoire et de principes, en professionnel du métier. Officier de formation, ayant combattu durant la Seconde guerre mondiale, il fuit en 1948 clandestinement la Roumanie, occupée par les chars soviétiques, pour s’exiler d’abord en Autriche, avant de rejoindre les Etats-Unis. C’est là qu’il embrasse la profession de journaliste radio, d’abord dans la rédaction de la Voice of America, avant de rejoindre, en 1978, Radio Free Europe, où il restera jusqu’à sa retraite, survenue en 1995. Et c’est la voix inoubliable de Mircea Carp qu’accompagnait tous les jours l’ouverture des programmes de la section roumaine de Radio Free Europe, sur les notes de la Rhapsodie roumaine de Georges Enesco, avec ces mots : « Aici e Radio Europa Liberă! », « Ici Radio Free Europe ».

    En 1997, le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine enregistrait le témoignage de Mircea Carp, qui racontait à l’occasion son expérience radio dans la rédaction de la Voice of America. Dans le fragment que nous avons sélectionné pour vous, Mircea Carp nous parle de ce que l’on connaissait à l’époque de la tragédie des détenus politiques anticommunistes roumains. Mircea Carp : « Nous avions connaissance de ce qui se passait dans le pays, dans les prisons politiques, de cette tragédie. Il fallait toutefois faire attention à ce que nous envoyions sur les ondes. Toute info se devait être confirmée de deux sources indépendantes et fiables, avant de pouvoir être diffusée. C’était la règle à l’époque, et c’est toujours la règle pour la Voice of America. Nous recevions une foule d’infos en provenance du pays, dont certaines semblaient tellement incroyables. Nous connaissions bien le régime d’extermination qui avait cours dans les prisons politiques roumaines, mais il fallait bien vérifier les détails : les noms, les dates, les endroits où telle ou telle exaction avait eu lieu, telle ou telle tragédie. Il y avait des témoins oculaires qui nous envoyaient ces informations, mais parfois ils pouvaient se tromper sur une date ou un quelconque détail. Nous étions donc sur nos gardes. Et puis, dès que l’on avait la confirmation de l’info en question d’une autre source, évidemment elle était diffusée sur nos ondes. Les sources demandaient souvent l’anonymat, vous comprenez aisément la raison. Nos informateurs, souvent des transfuges, avaient toujours leurs familles au pays, et ils craignaient tout naturellement pour leur sécurité ».

    En 1978 Mircea Carp quitte Voice of America pour rejoindre la rédaction roumaine de radio Free Europe, où il dirigera pendant des années l’émission politique à grand succès de public, intitulée « Le programme politique ». Mircea Carp : « Avant mon arrivée dans la rédaction de radio Free Europe, le ton des rubriques était plutôt terne. Je sais manquer de modestie en affirmant cela, mais je crois fermement que je suis parvenu à imposer au sein de cette rédaction un style plus dynamique, plus américain, en écourtant la durée des transmissions en direct, en utilisant des interviews prises à diverses personnalités à travers le monde, enfin en ouvrant la porte de la rédaction aux voix de l’exile roumain. La rédaction s’était ressaisie, et nous agissions comme si l’on avait compris que la fin des régimes communistes approchait. On était incisif, tenace, on était passé à l’offensive pour ainsi dire. La section roumaine agissait comme si l’on se trouvait sur le front, l’on dénonçait cette situation, devenue intolérable, d’une population appauvrie et brimée par le régime de Nicolae Ceausescu. On dénonçait des situations particulières, peu connues du grand public. Et nos auditeurs étaient souvent ébahis par la précision des informations fournies, et cela en dépit de la censure imposée par le régime. Et nous ratissions large, depuis les questions économiques et jusqu’aux questions de nature militaire, en passant par les questions culturelles. Nos auditeurs c’étaient les Roumains, ceux qui vivaient à l’intérieur des frontières, et qui ne disposaient pas d’autres sources alternatives pour s’informer et pour démonter la propagande déployée par le régime. Et ces auditeurs étaient enthousiastes. Radio Free Europe parlait en leur nom, et pour eux. Au nom de ces gens brimés, muselés, qui enduraient silencieux la folie de la dictature. Ils se retrouvaient dans nos émissions, dans nos voix. Ils retrouvaient les informations et la vérité que le régime s’efforçait d’étouffer à tout prix ».

    Du haut de ses 100 ans, Mircea Carp peut s’enorgueillir d’avoir écrit l’une des pages d’or de l’histoire de la presse radio roumaine, aux côtés d’autres noms célèbres de cette rédaction roumaine de la Radio Free Europe, tels Noel Bernard, Monica Lovinescu, Virgil Ierunca, Vlad Georgescu, ou encore Neculai Constantin Munteanu. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Le tricentenaire Dimitrie Cantemir

    Le tricentenaire Dimitrie Cantemir

    Le type d’homme politique à la
    fois qui soit également un homme de culture et un érudit a fait son chemin
    depuis l’Antiquité, depuis l’empereur romain Marc Aurèle, qui vécut au 2e
    siècle de notre ère. Niccolo Machiavelli dans son célèbre ouvrage sur la bonne
    gouvernance, intitulé « Le Prince », affirmait d’ailleurs que le prince
    érudit saura toujours trouver les meilleures solutions pour sa principauté.
    Dans l’histoire des pays roumain, le voïvode valaque Neagoe Basarab, qui régna
    au début du 16e siècle, se distingua nettement de ses pairs par sa
    grande érudition. Mais le plus connu dans ce rayon fut sans nul doute le
    voïvode moldave Dimitrie Cantemir, qui laissa en héritage une œuvre riche, aux
    contours vastes, couvrant des intérêts aussi variés qu’étendus, tels l’histoire,
    la géographie, la morale, les sciences politiques et jusqu’à la musique.


    en 1673, fils du voïvode Constantin Cantemirde Moldavie, Dimitrie Cantemir a bénéficié d’une éducation pour le moins soignée, typique pour son rang d’héritier
    de prince souverain. Aussi, à partir de 14 ans, il suit sa formation à
    Constantinople, où il vivra jusqu’à ses 37 ans. C’est là qu’il commence à rédiger
    son œuvre vaste, dont Le divan ou la dispute du sage avec le monde ou
    le jugement de l’âme avec le corps,Descriptio Moldaviae, Histoire de l’agrandissement et
    de la décadence de l’empire ottoman, ou encore L’histoire des hiéroglyphes, tout comme Histoire
    moldo-valaque (ébauche en latin, 1714-1716), Chronique de l’Antiquité des
    Romano-Moldo-Valaques (en roumain, 1717) ou encore La Vie de Constantin
    Cantemir dit le Vieux, prince de Moldavie, en latin.


    En
    1714, à 41 ans, Dimitrie Cantemir est élu membre de l’Académie royale de Berlin.
    Ses travaux en histoire seront utilisés par des historiens de renommée mondiale,
    tel l’Anglais Edward Gibbon (1737-1794), lors de la rédaction de son ouvrage L’Histoire
    de la décadence et de la chute de l’Empire romain, ou encore par l’Américain
    Allen G. Debus (1926-2009).


    Dimitrie
    Cantemir monte une première fois sur le trône de la principauté de Moldavie en 1693,
    à 20 ans, à la mort de son père. Mais son règne est morganatique, la Sublime
    Porte n’ayant pas adoubé son élection, réalisée, selon la coutume, par le
    conseil de grands boyards, mais nécessitant l’accord de Constantinople, étant
    donné les relations de vassalité qui reliaient à l’époque la Moldavie à l’empire
    Ottoman. Et ce n’est que 17 ans plus tard, en 1710, qu’il montera sur le trône
    une seconde fois. Se rangeant du côté des armées russes de Pierre le Grand lors
    de la guerre russo-turque de l’année suivante, il perdra le trône et devra se
    réfugier en Russie, à la cour de Pierre le Grand, dont il devient un proche
    conseiller, à la suite de la défaite russe de Stanilesti, devant les Ottomans. Il
    s’éteindra en Russie, en 1723, à 50 ans.


    A
    350 ans depuis sa naissance et à 300 ans depuis sa mort, l’année 2023 a été
    proclamée l’année Cantemir. Une excellente occasion pour mettre en valeur les
    manuscrits et les livres rares abrités dans les collections de la Bibliothèque de
    l’Académie roumaine nationale lors d’une exposition consacrée au grand voïvode
    et érudit Dimitrie Cantemir. L’académicien Răzvan Theodorescu nous en dira
    quelques mots :


    « Nous
    avons beaucoup de documents et d’informations sur Cantemir. Mais il en reste
    autant à découvrir. Je me souviens d’un colloque organisé il y a quelques années
    par l’Académie royale de Bruxelles sur l’esprit européen dont Cantemir était un
    des précurseurs. Nous, les Roumains, avons donné au monde cet esprit
    encyclopédique, cet européen avant la lettre. Et il nous faut être fiers. N’oublions
    jamais que « Descriptio Moldaviae » a été rédigé par Cantemir à la
    demande de Berlin, qui s’intéressait à cette partie d”Europe. Il y avait un
    intérêt marqué de la Prusse pour cette partie orientale de l’Europe, d’où cette
    commande. Cantemir était un Européen. Moldave, éduqué à Constantinople, devenu
    prince russe, un encyclopédiste. Il devient membre de l’Académie de Berlin en
    sa qualité de prince russe. C’était par son entremise, en sa qualité de prince
    russe, que la Prusse avait choisi d’envoyer un message de rapprochement au tsar
    Pierre le Grand. Il était sans doute l’homme de culture le plus important de l’empire
    russe de son temps. C’est donc lui qui fut choisi. Cantemir réunit en sa
    personne et à travers son œuvre ces espaces épars, la culture ottomane et la
    culture russe. Et c’est dans ce sens qu’il s’avance en Européen avant la lettre. »


    Constantin
    Barbu, éditeur de l’œuvre de Dimitrie Cantemir, nous parle des manuscrits
    présents dans le cadre de l’exposition qui lui a été consacrée :


    « Dimitrie
    Cantemir nous a laissé en héritage près de 200 œuvres. Nous avons réédité jusqu’à
    présent 104 volumes. Nous sommes aussi parvenus à reconstituer deux manuscrits,
    présents aussi bien dans les collections moscovites que bucarestoises. L’exposition
    a par ailleurs été enrichie par des manuscrits inédits, complètement ignorés
    jusqu’à présent. Regardez aussi, les deux chapitres manuscrits de « Descriptio
    Moldaviae ». C’est l’écriture du sinologue allemand
    Gottlieb Siegfried Bayer, professeur à l’université de
    Saint-Pétersbourg. Des manuscrits conservés en Russie, mais aussi à l’Académie
    de Berlin. Ceux que vous voyez viennent de Berlin.
    »

    L’année
    Cantemir constitue l’opportunité rêvée pour mettre en lumière une personnalité
    roumaine exceptionnelle, remarquable, d’envergure européenne. (Trad Ionut
    Jugureanu)