Category: Pro Memoria

  • La section roumaine de Radio Prague

    La section roumaine de Radio Prague

    La radio avait révolutionné la communication du 20e
    siècle. Elle abolissait les frontières, rapprochait les gens, réduisait les
    distances. L’écho laissé par des événements lointains traversait d’un coup le
    globe entier. Aussi, les émissions en langue roumaine que les différentes radios
    étrangères commençaient à proposer facilitaient aux Roumains la connaissance d’autres
    réalités, d’autres sociétés, d’autres points de vue. Ce fut ainsi de Radio
    Prague, dont les premières émissions en langues étrangères voient le jour dès
    1927. Et la langue roumaine ne pouvait demeurer longtemps ignorée par les
    rédacteurs pragois. En effet, la longue histoire commune, partagée sous la
    couronne des Habsbourg par les Tchécoslovaques d’une part, par les Roumains de
    Banat, de Transylvanie, de Maramures et de la Bucovine de l’autre, ne pouvait laisser
    Radio Prague indifférente du sort de ces derniers. Longtemps partenaires du
    même combat pour une autonomie grandissante au sein de l’empire d’Autriche-Hongrie,
    ces deux Etats, issus du Traité de Trianon de 1920, la Tchécoslovaquie
    indépendante et la Grande Roumanie, devenaient des alliés naturels pour
    contenir les visées révisionnistes, allemandes et magyares notamment, formalisant
    leur communauté d’intérêts jusqu’à constituer la Petite Entente au début des
    années 20. Après la Seconde Guerre mondiale, les deux Etats, tombés dans l’escarcelle
    soviétique, vont renouer leurs liens radiophoniques sous un autre jour. C’est
    ainsi que la Radiodiffusion tchécoslovaque redémarrera ses émissions en langue
    roumaine le 1er octobre 1946. Ce soir-là, à 19H00, et pour une demi-heure
    seulement, le roumain résonnera dans les studios de Radio Prague, sis à 12 rue Vinohradska,
    dans la capitale tchécoslovaque.


    Et c’est en 2000 que Gerhard
    Bart, l’ancien chef du service roumain de Radio Prague, racontait son
    expérience à la tête du service pragois pour le Centre d’histoire orale de la
    Radiodiffusion roumaine. Ecoutons-le :




    « La grille de nos
    émissions en langue roumaine comprenait un quart d’heure de nouvelles, suivies
    de diverses émissions. Après la guerre, il y avait beaucoup d’échanges, de
    délégations commerciales, culturelles, des missions organisées entre la
    Roumanie et la Tchécoslovaquie. L’on essayait d’enregistrer des interviews, de relater
    les résultats de ces entrevues. Il nous fallait mettre en exergue l’amitié, l’unité
    de vues que nos deux peuples partageaient. »




    La rédaction de la radio
    tchécoslovaque en langue roumaine était loin d’être pléthorique. Elle comptait
    en tout et pour tout deux rédacteurs/traducteurs, soient Gerhard
    Bart
    et sa collègue, une dame plus âgée, née en Roumanie. Gerhard Bart :




    « On était deux. Ma
    collègue, Elena Ofciacikova, était née en Roumanie. Son père avait été diplomate
    en poste à Bucarest, et ce n’est qu’à la fin de la guerre qu’elle avait rejoint
    la Tchécoslovaquie avec sa famille. Elle avait forcément une excellente
    maîtrise du roumain, et c’est à deux qu’on s’organisait pour cette diffusion
    radio quotidienne d’une demi-heure en langue roumaine. Les nouvelles, on les
    recevait en tchèque, et il fallait bien-sûr les traduire en roumain. C’est
    toujours nous qui devions nous acquitter de cette tâche. Mais l’on s’appuyait
    également sur bon nombre d’étudiants roumains, bénévoles, qui étudiaient ici, à
    Prague, et qui pouvaient nous épauler de temps à autre, soit pour enregistrer
    une interview, voire pour lire les nouvelles sur les ondes, surtout lorsque l’un
    de nous deux était absent pour cause de maladie. »




    Selon Gerhard Bart, la Radiodiffusion tchécoslovaque n’avait
    pas encore subi les affres de la mainmise du régime communiste dans les années
    1946-48. Les choses prendront cependant un tournant dramatique après 1948. Gerhard
    Bart :




    « Avant le coup de
    Prague, le coup d’état perpétré par les communistes le 25 février 1948, nous jouissions
    d’une assez grande liberté d’expression. L’on ne faisait pas de politique sur nos
    ondes. Après cela, les choses ont changé. Il fallait construire le socialisme,
    montrer la supériorité de cette société que l’on était en train de construire.
    La Tchécoslovaquie devenait une république de démocratie populaire, tout comme était
    devenue la Roumanie après l’abdication forcée du roi Michel, le 30 décembre
    1947. On était devenu des pays frères et, évidemment, nos émissions devaient refléter
    les nouvelles réalités politiques et idéologiques de nos pays ».




    A partir de
    1949, les transmissions quotidiennes en langue roumaine de Radio Prague étaient
    ramenées à un quart d’heure, avant qu’elles ne passent à la trappe, pour des
    raisons politiques. Gerhard Bart :




    « La fin des
    émissions en langue roumaine a une raison simple. La Roumanie était devenue une
    démocratie populaire, elle avait embrassé la voie de la construction du
    socialisme, on n’avait plus besoin de l’en convaincre. La décision politique portant
    sur la fin des transmissions vers les autres pays du bloc communiste, la
    Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie, nous avait été communiqué au
    mois de juin 1949. Les efforts de notre propagande allaient dorénavant viser en
    priorité les pays occidentaux, le temps d’antenne des émissions destinées à la France,
    à l’Angleterre et, surtout, aux Etats-Unis, allait être décuplé ».




    Voilà
    comment la Radiodiffusion tchécoslovaque, mue par les priorités idéologiques et
    de propagande du régime soviétique mit de manière prématurée un terme à l’aventure
    de la section roumaine de Radio Prague. Mais l’amitié réelle qu’unissait les
    deux peuples, roumain et tchécoslovaque, allait se poursuivre tout au long de
    leur histoire, et les moments charnières de cette histoire commune, tel le
    printemps de Prague de 1968 ou la chute des régimes communistes en Europe de l’Est
    de 1989, n’ont fait que la renforcer. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • L’esclavage dans l’espace roumain durant l’Antiquité

    L’esclavage dans l’espace roumain durant l’Antiquité

    Aussi étrange et inacceptable que cela puisse nous paraître aujourd’hui,
    punie de nos jours par le droit international et les législations nationales,
    la pratique de l’esclavage n’avait rien d’inacceptable dans l’Antiquité. En
    outre, et en dépit de l’image que cette pratique renvoie dans l’imaginaire
    collectif de nos jours, l’esclavage dans l’Antiquité ne revêtait pas toujours
    dans la réalité les formes les plus extrêmes.


    Aussi, si la pratique de l’esclavage semble avoir été utilisée de tous
    temps, partout dans le monde, sa présence fut pour la première fois attestée
    dans l’espace roumain lorsque s’installent les premiers colonies grecquessur le pourtour de la mer Noire, entre le 8e
    et le 6e siècle avant J.C. Ces colons entrent forcément au contact
    des Gètes, ce peuple barbare selon les Grecs, qui vivait dans l’espace
    carpato-danubien-pontique. Et c’est parmi leurs voisins gètes que les colons
    grecs recruteront la main d’œuvre qu’ils utiliseront dans l’agriculture, dans
    les mines, l’artisanat et dans les travaux publics de construction de leurs
    cités.


    Les archéologues ont essayé de comprendre les relations qui prévalaient
    entre les colons grecs des premiers temps et les populations locales. Dragoș
    Hălmagi, de l’Institut d’Archéologie « Vasile Pârvan » de l’Académie
    roumaine croit pour sa part que les Gètes avaient un statut de
    « population dépendante » envers les Grecs. Ecoutons-le :


    « Dans la région du Pont-Euxin, c’est ainsi qu’ils appelaient la
    mer Noire, les Grecs n’ont pas fait appel aux esclaves. Même s’il y avait un
    commerce d’esclaves, en Thrace tout comme chez les Scythes, que l’on connaît
    grâce aux écrits des contemporains qui sont parvenus jusqu’à nous et aux
    sources archéologiques. Or, les esclaves étaient employés par les Grecs
    notamment en tant que main d’œuvre utilisée dans l’agriculture. Platon et
    encore Aristote prônaient l’emploi d’esclaves d’origines diverses, qui ne
    parlent pas la même langue. C’était une précaution censée empêcher les esclaves
    à se rebeller, censée rendre une possible rébellion improbable. Dans notre cas,
    les colonies grecques étaient entourées par des populations gétiques. En faire
    des esclaves devait s’avérer compliqué. Il est dès lors probable à ce que les
    Grecs se soient pris autrement. Des inscriptions font d’ailleurs état des
    communautés où Grecs et barbares vivaient ensemble »


    Selon Dragoș Hălmagi, l’esclavage dans
    l’Antiquité ne revêtait pas les formes extrêmes qu’il connaitra que bien plus
    tard dans l’histoire. Dragoș Hălmagi :


    « Les traces laissées par les esclaves ne
    diffèrent pas beaucoup pour l’archéologue de ceux laissées par les hommes
    libres. Les tombes sont plus modestes, avec moins de vases et d’objets en métal
    à l’intérieur. Mais ces distinctions sont minimes. Très peu d’éléments nous
    indiquent si l’on a à faire à une tombe d’homme libre ou à celle d’un esclave.
    Par ailleurs, souvent les esclaves adoptaient les coutumes, les traditions, la
    façon de s’habiller de leurs maîtres. »


    Le statut des populations dépendantes mentionnées par l’archéologue Dragoș
    Hălmagi peuvent se confondre toutefois au statut d’esclaves. Ces populations
    fournissaient la main d’œuvre, dont le statut demeure assez incertain pour les
    chercheurs. Aussi, si les colonies grecques installées autour de la mer Noire
    ne semblent pas avoir eu recours aux esclaves pour fournir une main d’œuvre
    bonne marché à l’agriculture, leur présence est mieux attestée dans l’artisanat
    et les travaux publics, notamment dans la construction des places fortes. Mais
    les sources grecques ne font pas mention de l’utilisation des Gètes en tant
    qu’esclaves. Davantage encore, à partir du 4e siècle avant J-C, les
    sources hellènes commencent à parler de Scythes, de Sarmates, de Thraces. Une
    mosaïque hétéroclite de diverses ethnies dont le pouvoir était exercé tour à
    tour par l’un ou l’autre de leurs leaders militaires. Dragoș Hălmagi appuie sa
    thèse par les paroles du poète latin Ovide, en exile à Tomis, l’actuelle ville
    de Constanta, au 1er siècle avant notre ère :


    « Le premier auteur qui
    mentionne la présence des populations Gètes sur ce territoire est Ovide. Mais
    il ne parle pas que des Gètes, mais « de bon nombre d’autres populations
    de souche ». Maintenant, il nous est difficile de comprendre s’il
    entendait épater son auditoire lorsqu’il livrait ce genre d’informations, ou si
    ces informations recouvraient une réalité. Dans certains passages de ses
    écrits, les Gètes et les Sarmates sont nominalisés ensemble, comme s’il
    s’agissait d’un même peuple, sont ceux qui savent manier l’arc, dit-il. Il
    prétend aussi avoir appris la langue des Gètes et des Sarmates, comme s’il
    s’agissait d’une seule et unique langue. »

    Quoi
    qu’il en soit, il est certain qu’à l’instar de ce qui sépare l’homme de
    l’Antiquité de l’homme des temps modernes, la conception de l’esclavage du
    premier devait recouvrir une réalité bien différente de ce qu’elle allait
    recouvrir des siècles plus tard. (Trad.
    Ionut Jugureanu)

  • Les premières automobiles de l’espace roumain

    Les premières automobiles de l’espace roumain

    Nous vous invitons à découvrir les débuts
    de l’automobilisme en Roumanie. Malgré ses retards en termes de développement,
    la Roumanie a été assez bien synchronisée aux inventions occidentales dans le
    domaine de l’automobile.


    Tout comme en Europe et aux Etats-Unis, les
    premières voitures dotées de moteurs à vapeurs, similaires à ceux des
    locomotives, font leur apparition dans l’espace roumain vers la afin du 19e
    siècle. Il s’agissait de ce que les Roumains de l’époque appelaient des
    carrosses à moteur. D’ailleurs, en 1880, l’ingénieur Dumitru Vasescu a rejoint
    les inventeurs qui essayaient de perfectionner le nouveau véhicule, en créant
    une auto à vapeurs qui portait son nom et qui a même circulé dans les rues de
    Paris. En 1906, cette automobile arrivait aussi à Bucarest, mais, après
    quelques voyages, son sort demeura inconnu.


    La première voiture à circuler, en 1889,
    sur les routes roumaines a été une 4CV de la marque Peugeot. Son propriétaire
    était évidemment une personne richissime, puisque le prix d’une voiture était
    tout simplement immense. Pourtant, le nombre des voitures commença à augmenter
    vers la fin du 19e siècle.


    En 1895, trois habitants de la ville de
    Craiova, dans le sud de la Roumanie, ont importé trois 12 CV du constructeur
    automobile Benz. En 1898, une autre Peugeot circule à Bucarest, ensuite une
    autre, à Tecuci, en Moldavie, au centre-ouest de la Roumanie actuelle.
    Egalement en Moldavie, à Falticeni, un tricycle à moteur fait sensation. La
    première voiture américaine à rouler en Roumanie a été une Oldsmobile, en 1898.
    Ses premiers déplacements sur les boulevards bucarestois ont été amplement
    commentés par une presse roumaine stupéfaite et très critique à l’égard de la
    dangereuse vitesse maximale de 15 km à l’heure.


    Associées au sport, ces premières
    automobiles étaient surtout un moyen de s’amuser. C’est pourquoi leurs
    propriétaires étaient aussi des sportifs connus. Les premiers véhicules
    utilitaires font également leur apparition au début du 20e siècle. Le médecin
    Toma Tomescu, par exemple, en avait un dont il se servait pour visiter ses
    patients.




    Mais l’automobiliste roumain le plus connu
    de la première moitié du 20e sicèle a été le prince George Valentin Bibescu,
    l’époux de l’écrivaine et diplomate Martha Bibescu, descendant des familles
    Bibescu et Brancovin. Il connu notamment comme fondateur de l’Automobile club
    roumain. Attiré et passionné par tout ce qui était nouveau, GV Bibescu a
    importé en Roumanie une Mercedes, modèle crée à l’époque par l’entreprise
    Daimler à bord duquel il a voyagé de Genève à Bucarest, parcourant 1827
    kilomètres en 73 heures de voyage au cours de 12 jours. Un voyage normal de nos
    jours, une véritable aventure routière à l’époque. Mais malgré son esprit
    d’aventure, GV Bibescu allait être le deuxième propriétaire d’automobile de
    Bucarest.



    Ce fut l’industriel Bazil Assan à immatriculer à Bucarest, capitale du Royaume
    de Roumanie, la première voiture en 1900. Il s’agissait d’une auto à moteur à
    combustion interne fabriquée à Liège en Belgique. Il s’agissait d’un carrosse
    sans chevaux qui portait avec fierté la plaque d’immatriculation B1. Fâché de
    ne pas être le premier propriétaire bucarestois de voitures, le prince Bibescu
    a tout fait pour que sa voiture la deuxième à être immatriculée à Bucarest,
    reçoive la plaque d’immatriculation 0B. Il a pris sa revanche en 1904,
    lorsqu’il fonda l’Automobile club roumain, dont il était le président alors que
    Bazil Assan était le vice-président. Le but de la création de l’ACR était
    d’encourager le goût pour le déplacement à quatre roues motorisées, ainsi que
    la création d’une industrie automobile roumaine. Ce qui plus est l’ACR
    promettait aussi de soutenir les droits des automobilistes.



    D’ailleurs, le nombre de propriétaires de véhicules a constamment augmenté
    depuis le début du 20e siècle et jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Si
    jusqu’en 1906, le nombre des importations de voitures s’élevaient de 150, il
    augmenta à 447 en 1909 et à 850 en 1912. En 1939, le nombre de voitures
    immatriculées en Roumaine était de 25.800. Vers la fin de la guerre, en 1944,
    moins de 10 mille voitures particulières existaient encore en Roumanie et leur
    nombre n’a fait que baisser après l’installation du communisme.



    Mais les Roumains n’ont pas été uniquement propriétaires de voitures aux débuts
    de ce moyen de transport, mais ils ont même fabriqué des autos. La première
    fabrique de voitures s’appelait Marta et elle fut fondée en 1908, à Arad, en
    Transylvanie, territoire qui faisait partie à l’époque de l’empire de
    l’Autriche Hongrie. C’était en fait une succursale de la fameuse compagnie
    américaine Westinghouse. C’est toujours ici que furent produits les premiers
    bus à rouler sur les routes de la Roumanie actuelle.



  • A Doftana, derrière les barreaux

    A Doftana, derrière les barreaux

    Trop
    souvent, les régimes totalitaires fondent leur légitimité sur les persécutions,
    réelles, mais le plus souvent imaginaires, dont certains de leurs membres, et surtout
    leurs futurs leaders prétendent avoir été victimes de la part des régimes
    démocratiques. Le régime communiste roumain n’a pas dérogé à la règle, portant
    aux nues, une fois arrivé au pouvoir, le passé mythologique de ses leaders. Un
    passé parsemé d’actes de bravoure et de souffrances injustes et injustifiées, le
    plus souvent confectionnées de toutes pièces, par des biographes qui se trouvaient
    à la solde du régime. Aussi, pour étayer ses dires, le régime transforma d’anciens
    pénitentiaires où des membres du parti communiste, parfois condamnés pour
    terrorisme, avaient exécuté leurs peines dans les années 20 ou 30 du siècle
    dernier, en musées.






    Le
    pénitentiaire Doftana, ouvert en 1895, et situé à 120 Km au nord de Bucarest, a
    été un de ces lieux. Cette prison, connue comme la Bastille roumaine, avait en
    effet été utilisée dans les années 1930 en tant que prison politique, ayant
    accueilli aussi bien des communistes que des membres du mouvement d’extrême droite,
    la Garde de Fer. Corneliu Zelea Codreanu et Horia Sima, deux des leaders marquants
    du mouvement fasciste roumain, y avaient été emprisonnés. Mais Doftana fut surtout
    la prison où avaient été incarcérés des meneurs communistes qui, quelques
    années plus tard, deviendront les hommes forts du régime installé, avec l’aide
    des Soviétiques, à la tête du pays. Ces communistes de la première heure, tels Gheorghe
    Gheorghiu-Dej, futur premier-secrétaire du parti, Chivu Stoica, Alexandru
    Moghioroș, Gheorghe Apostol, ont été bientôt rejoints par leurs plus jeunes
    collègues, Nicolae Ceaușescu et Grigore Preoteasa.






    C’est
    ainsi que le musée-prison de Doftana ouvre ses portes en 1949, 4 années à peine
    après l’instauration, le 6 mars 1945, du premier gouvernement communiste,
    dirigé par Petru Groza. Destiné à conforter la légitimité du nouveau pouvoir et
    surtout de certains de ses leaders, le régime d’alors n’avait pas lésiné sur
    les moyens. Des associations antifascistes et prosoviétiques ont rejoint le
    projet. L’historien Cristian Vasile, chercheur à l’Institut d’histoire Nicolae
    Iorga de l’Académie roumaine, avait étudié la manière dont le régime avait transformé
    l’ancienne prison en arme de propagande.




    Cristian Vasile : « Le tremblement de
    terre du 10 novembre 1940 avait fortement endommagé le bâtiment de la prison.
    Les lieux sont vidés et l’endroit tombe en ruines depuis lors et jusqu’en 1948.
    C’est l’année où les communistes détiennent le contrôle absolu sur le pays, l’opposition
    politique avait été liquidée, le roi Michel contraint à l’exile. Et le régime
    communiste prend alors possession des ruines de la prison, et fait reconstruire
    le bâtiment, parfois depuis les fondations. Un investissement conséquent pour l’époque,
    des sommes colossales. L’on a retrouvé les comptes, les fiches comptables des travaux
    contractés à l’occasion ».








    Doftana était
    en effet censée devenir la vitrine du régime, cette preuve qui devait être mise
    en avant après la réécriture de l’histoire opérée par les communistes, les nouveaux
    maîtres du pays.








    Cristian Vasile : « Avant 1965, la prison-musée mettait en avant la cellule du
    camarade secrétaire-général Gheorghiu-Dej. Après sa mort, survenue en 1965,
    viendra le tour de la cellule du camarade Nicolae Ceaușescu, le nouvel homme
    fort du régime, d’être vénérée par le musée. Mais s’agissait-il d’un véritable
    musée d’histoire ? On peut se le demander. Quoi qu’il en soit, à partir du
    mois de mars 1945, Doftana est élevée au statut de musée national et des rapprochements
    forcés sont fait avec la Révolution française et la véritable Bastille. Aux
    yeux du régime communiste et de sa propagande ce que la Bastille avait été pour
    l’Ancien Régime, Doftana l’avait été pour le pouvoir réactionnaire de la
    bourgeoisie. Mais à vrai dire, il ne s’agissait pas d’un véritable musée d’histoire,
    même si le parti communiste avait pour ambition de créer un musée du parti,
    avec Doftana en tant que fer de lance, et d’accréditer l’idée qu’il s’agissait
    du véritable musée national d’histoire de la Roumanie. Mais cette initiative
    avait pour finir été abandonnée. »








    Aussi, Doftana devient très vite le
    haut lieu de pèlerinage du régime. Les écoliers se voient emmenés en car pour
    visiter les lieux, les cérémonies des Jeunesses communistes ou des pionniers y sont
    accueillies à bras ouverts. Un véritable culte de ce lieu voit le jour à
    travers des œuvres musicales, chorales ou symphoniques, telle « La prise
    de Doftana » poème symphonique d’Alfred Mendelsohn, composé en 1950. Ilie
    Pintilie, membre proéminent du comité central du parti, mort à Doftana lors du
    tremblement de terre de 1940, a longtemps été promu comme drapeau de la résistance
    communiste.






    Par ailleurs, l’historien Cristian
    Vasile souligne combien les luttes fratricides au sein du parti communiste
    décidaient de la place qu’occupait l’une ou l’autre des figures marquantes du
    parti au sein du musée :




    « Ștefan
    Foriș, secrétaire-général du parti durant la guerre, écarté en 1944, puis tué
    par ses compagnons en 1946, n’y figurait pas. Pătrășcanu, victime plus tardive
    des luttes intestines, faisait partie du comité d’initiative du musée de 1947.
    Il occupait la 4e place dans le panthéon au moment de l’inauguration
    du musée. Le premier était Dej, secrétaire-général du parti communiste, suivi par
    Teoharie Georgescu, Luca, Pătrășcanu enfin. Quelques mois plus tard, au mois de
    février 1948, Pătrășcanu est écarté de ses fonctions au sein du parti, avant d’être
    emprisonné et condamné à mort. Toute trace de lui disparaît aussitôt du musée
    Doftana. En 1952 viendra le tour d’Ana Pauker. Même manège. L’ogre dévore ses
    enfants. Viendra ensuite le tour de Luca, puis de Teohari Georgescu. »








    Le prison-musée de Doftana ferme
    ses portes en 1990, après la chute du régime communiste. Balayé par l’histoire,
    le parti n’a plus les moyens d’inventer son histoire. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Ceaușescu : portrait intime

    Ceaușescu : portrait intime

    Pour
    toute dictature, la propagande demeure une arme redoutable. Chargée de bâtir une
    image d’ouverture d’un système, par définition clos et opaque, de renforcer la
    popularité de l’homme fort du régime, les messages distillés par la propagande
    heurtent souvent le sens commun. Pour dénicher la vérité au milieu de tous ces
    mensonges, il existe une recette aussi simple qu’efficace : accréditer tout
    simplement le contraire de ce que la propagande s’efforce de nous faire croire.
    Et pour saisir la personnalité véritable du dernier dictateur communiste
    roumain, Nicolae Ceaușescu, il ne faut certainement pas déroger à la règle.


    Peu de
    ses contemporains peuvent prétendre avoir connu et côtoyé de près et dans la
    durée Nicolae Ceausescu. Sorin Cunea, journaliste à la radio Free Europe, le
    média le plus craint par le régime d’alors, car démontant avec précision les rouages
    de sa propagande, avait suivi de près l’évolution de l’ancien leader roumain
    lors des visites officielles qu’il effectuait à l’étranger. Dans l’interview que
    Sorin Cunea donna en 1998 au Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion
    roumaine, il avoue s’être renseigné au
    sujet du programme du dictateur roumain dans la presse de propagande du régime.
    C’est ainsi qu’il put suivre à la trace Nicolae Ceausescu à 12 occasions, lors
    de ses visites à l’étranger. Aussi, lors d’une visite officielle effectuée par
    le président roumain en Allemagne de l’Ouest, M. Cunea se rappelle quelques détails
    qui ne manquent pas de piquant. Ecoutons-le :

    « Dans
    le programme du couple présidentiel, en déplacement en Allemagne de l’Ouest, figurait
    la visite de la société Bayer. Vous savez, Nicolae Ceausescu s’évertuait de promouvoir
    la carrière politique de sa femme, et pour ce faire le régime tentait d’asseoir
    sa légitimité en lui confectionnant une couverture bidon, de scientifique de
    taille mondiale. Elle était soi-disant spécialisée en chimie. Alors, leurs
    hôtes allemands avaient cru bon d’insérer dans son programme une visite à
    Leverkusen, dans une des usines Bayer. Vu que la presse n’avait pas accès aux
    discussions officielles, Noel Bernard, le directeur de la section roumaine de
    Radio Free Europe, m’avait chargé de suivre la visite officielle de la « première
    dame ». Et là, en marge de cette visite, je me suis rendu compte de ce que
    devait être l’attitude du parfait propagandiste. Parce qu’au sein de la
    délégation roumaine, je pus à un certain moment apercevoir ce que nous savions tous
    être leur poète de cour, le poète officiel de la famille Ceausescu, un certain
    Adrian Paunescu. Et puis, à un certain moment, la délégation s’arrête dans une
    salle de réunions, pour que Mme. Ceausescu puisse entendre les explications de ses
    hôtes. J’ai pu alors dévisager à envie ce Paunescu. Il était assis juste en
    face de sa patronne, et lui buvait les paroles. Il avait son calepin et prenait
    des notes mais d’une manière tellement ostentatoire, tellement ridicule, qu’on
    comprenait d’emblée qu’il voulait à tout prix se faire remarquer par sa
    patronne, pour son servilisme sans doute. »


    Sorin
    Cunea faisait partie de cette rédaction de la radio Free Europe, devenue le
    mouton noir du régime communiste de Bucarest. De ce fait, lors de certaines
    visites, la délégation officielle roumaine faisait de son mieux pour empêcher ses
    journalistes d’effectuer leur travail. Une scène du genre eut lieu lors de la
    visite de Nicolae Ceausescu en Turquie, à Ankara. Sorin Cunea :


    « Lorsqu’on
    nous annonça que la presse pouvait entrer, j’ai pris mon magnétophone à l’épaule,
    et j’essaye d’y pénétrer. Tous les journalistes présents y entrent, moi l’on m’arrête
    net. Et un mec de la délégation s’adresse en moi, en roumain, preuve qu’il me
    connaissait, il savait qui j’étais. Et il me dit : « Arrêtes de
    pousser ainsi, gardes tes distances, n’approches pas ton micro de camarade
    président ». Je reste éberlué sur le coup, je ne dis rien, mais lorsque Ceausescu
    commence son discours, je m’approche et lui mets le micro devant la bouche,
    comme à l’accoutumée. Mais quelles manières quand même ! »


    Interrogé
    s’il n’avait jamais eu l’occasion d’interviewer l’ancien dictateur roumain,
    Sorin Cunea répond :


    « Non, mais je lui ai une fois posé
    une question. C’était lors d’une conférence de presse, à Bonn, et j’étais assis
    juste devant lui, au premier rang, car je voulais à tout prix que la chaine de télévision
    officielle de Bucarest, qui filmait tout, me fasse passer dans leur JT. Je lui avais
    posé une question, et il y avait répondu. Lors d’une autre conférence de
    presse, à Vienne cette fois, c’était sa deuxième visite officielle dans la
    capitale autrichienne, même manège. J’étais assis au premier rang, et je pus scruter de près les
    deux. Il y avait lui, et sa femme, Elena. Et je pus remarquer qu’à chaque fois
    qu’il répondait à une question des journalistes, il la cherchait du regard. Comme
    s’il avait besoin de son approbation. Et elle acquiesçait à ses dires. C’était
    visible, et assez saisissant. »


    Mais
    la personnalité orgueilleuse et capricieuse du dictateur pouvait exploser à
    tout moment, même en public. Sorin Cunea :


    « Toujours
    à Bonn, il devait répondre à une question relative à
    la
    Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe
    . Il formule sa réponse,
    et son interprète, venu de Bucarest, la traduit, et il finit en ajoutant ses
    mots « en Europe ». Pour que l’on sache de quoi l’on parle. Et ni d’une ni
    deux, le goujat se tourne vers son interprète et l’interpelle en pleine
    conférence de presse. Il avait entendu un mot qu’il n’avait pas prononcé :
    Europe. Alors que le gars n’avait fait que reprendre la titulature complète de
    la conférence. D’ailleurs, dans ce registre anecdotique, une manie qu’il avait
    avant d’entrer en conférence de presse était de dégainer son peigne de sa poche,
    pour arranger sa coiffure. C’est dire. »

    L’image
    de dieu vivant que la propagande officielle du régime communiste avait tenté d’instiller
    à l’époque de son règne dans la conscience collective laissa progressivement la
    place à une image plus proche de la réalité, à la suite du renversement du
    régime fin 89. La personnalité mesquine et orgueilleuse du vieux dictateur
    couvrit pour l’histoire l’image factice et reluisante que sa propagande avait
    tenté, à perte, d’accréditer. (Trad Ionut Jugureanu)

  • Ces Juifs sauvés de la Shoah

    Ces Juifs sauvés de la Shoah

    En dépit de la Solution finale mise en œuvre par le tout-puissant régime
    nazi durant la Seconde Guerre mondiale, la vie de bon nombre de juifs d’Europe
    a pu être épargnée grâce au courage et à la détermination de ceux qui ont
    décidé de ne pas accepter l’impensable, des ceux qui n’ont pas voulu admettre à
    ce que des millions d’innocents soient persécutés, voire massacrés, en vertu de
    ces critères, imaginés par les nazis, que sont l’origine ethnique, la race ou
    la religion. Certains Roumains n’ont pas été en reste. Au péril de leur
    liberté, de leur vie parfois, ils ont pris le parti des opprimés, de ces parias,
    ainsi qu’étaient perçus les juifs à l’époque. L’un des ces hommes a été Emil
    Tomescu, capitaine dans l’armée roumaine pendant la Seconde Guerre mondiale,
    devenu colonel en réserve e au moment où sa voix sera enregistrée, en 1997, par
    le Centre d’Histoire orale de la Radiodiffusion roumaine. En 1942, le capitaine
    Tomescu avançait avec ses troupes dans la ville d’Odessa, prenant son quartier
    dans l’hôtel de maître que le propriétaire de droit, un Français, avait
    abandonné. Emil Tomescu :


    « Nous avions trouvé les volets fermés et les portes condamnées. Je
    m’inquiète sur les raisons de cette situation auprès des troupes qui montaient
    la garde. Et un soldat m’informe qu’à l’intérieur se trouvaient enfermés des
    juifs. Et que toutes les semaines, un magistrat militaire venait lever l’un ou
    l’autre des ceux qui étaient enfermés sur place, et qui disparaissait à jamais.
    J’avais appris que ceux-là étaient tout simplement tués, d’un coup de révolver,
    et sans autre forme de procès. Je fis ouvrir les portes, et ce que j’avais pu
    trouver à l’intérieur était indescriptible. Des squelettes vivants. Des gens
    affamés depuis des semaines, qui ne s’étaient pas lavés depuis leur arrivée,
    c’était terrible. Une des pièces de la maison était transformée en toilette.
    J’ai donné l’ordre à ce que l’on chauffe de l’eau dans de grands chaudrons,
    qu’on fasse sortir ces gens, qu’ils puissent se laver. J’ai ordonné à ce qu’on
    les nourrisse. J’ai par la suite organisé le fonctionnement de ce lieu de
    détention pour que les gens puissent y vivre de façon humaine. J’avais organisé
    la popote, certaines des femmes détenues allaient dorénavant cuisiner.
    Malheureusement, on m’a vite muté. On m’envoya au front. Sans doute, quelqu’un
    dans la hiérarchie avait été dérangé par mes agissements. »


    Aristina Săileanu, originaire de Târgu Lăpuș, petite localité située dans le
    nord de la Transylvanie, région annexée par la Hongrie le 30 août 1940 à la
    suite du Second arbitrage de Vienne, se rappelait, à l’occasion d’une interview
    passée en 1997, la manière dont son père avait caché une famille juive dans sa
    cabane, en pleine forêt. Aristita Saileanu :


    « Notre maison se trouvait à Râoaia, à 14 kilomètres de Lăpuşul Românesc,
    dans un endroit plutôt isolé. Et il m’envoie dans une nuit, c’était la nuit du
    15 vers le 16 avril, accompagnée par un de ses gens, pour accompagner une
    famille juive. J’avais pris les enfants. On les emmena dans la forêt, on leur
    fit ériger une cabane en terre, on leur donna tout ce qu’ils avaient besoin
    pour y demeurer des mois. C’était dangereux. Si les Allemands l’apprenaient,
    nous serions bons pour la potence ».


    Gheorghe Moldovan, originaire de la ville de Blaj, racontait en 1997 l’action
    de solidarité qu’avait mené son association pour aider les juifs enfermés dans
    le camp de transit situé au long de la route Perşani-Lădeni-Braşov :


    Voici le témoignage de Gheorghe Moldovan


    « Ce camp déjà avait un statut à part. C’était un fait plutôt un camp
    de travail. Dans les autres parties de la région, il y avait des rafles, et les
    juifs étaient menés dans des camps de transit, avant d’être envoyés dans les
    camps d’extermination. Les juifs de Blaj en revanche allaient dans des camps de
    travail. C’était une manière de leur sauver la vie, d’éviter la déportation. On
    organisait aussi des passages de la frontière. Je crois avoir croisé à
    plusieurs reprisesRaoul
    Wallenberg, ce diplomate suédois en poste à Budapest, qui a sauvé près de
    20.000 juifs de Hongrie. C’était un homme grand, d’allure distinguée. Il
    m’avait une fois serré la main et remercié personnellement. »


    Sonia Palty, d’origine
    juive, se rappelait en 2001, de la mise à mort de l’agronome Vasilescu, qui
    avait payé de sa vie pour avoir aidé des juifs. Sonia Palty :


    « Nous étions enfermés dans un camp de
    travail. Mais n’avaient droit à manger que ceux qui allaient au travail. Or, la
    plupart étaient malades, ils avaient la grippe, des diarrhées, des rhumatismes.
    L’on était au mois de décembre, à l’approche de Noël. L’on crevait de faim. Et
    ce Vasilescu, qui était le chef de la ferme où l’on devait travailler, a décidé
    de donner à manger à tout le monde : femmes, enfants, malades, à tous ceux
    qui s’y trouvaient enfermés, même à ceux qui ne pouvaient pas aller travailler
    donc. Le lendemain, l’on reçut l’ordre de préparer nos valises, pour aller à la
    gare. On devrait aller en déportation à Bogdanovka, en Ukraine, près de la
    rivière Boug. Et le lieutenant Capeleanu sort sa cravache et commence à frapper
    à droite et à gauche. Mais Vasilescu lui prend la main, et l’arrête net. Mais
    ce Capeleanu va rédiger une note informative à sa hiérarchie. Il y dénonce
    Vasilescu, son attitude amène envers nous, les juifs enfermés, et l’agronome,
    le pauvre, reçoit l’ordre de mobilisation. Ils l’envoient au front, où il sera
    tué, lors de la bataille de Stalingrad. Voilà ce qui lui avait coûté de nous
    aider ».



    La résistance des anonymes de toutes nations et origines face à l’innommable
    barbarie qu’a été la Solution finale représente cette indispensable lueur, la
    seule qui maintien éveillée la flamme de l’humanisme lorsque le mal le plus
    total semble gagner le monde. Une lueur maintenue, parfois, au prix de sa vie. (Trad. Ionut
    Jugurureanu)

  • Le roi Carol II et la crise qui a précédé le début de la Seconde Guerre mondiale

    Le roi Carol II et la crise qui a précédé le début de la Seconde Guerre mondiale

    Dès la signature du
    Traité de Trianon, censé mettre un terme à la Grande Guerre et jeter les bases
    d’une paix durable en Europe, la Roumanie n’a eu de cesse de se voir confronter
    aux visées révisionnistes des deux Puissances décidées à en découdre qu’étaient
    l’Allemagne et surtout l’URSS, mais également de ses voisins, sortis défaits de
    la Grande Guerre : la Hongrie et la Bulgarie. C’est ainsi que le 26 juin 1940,
    pratiquement au lendemain de l’armistice signé par la France devant l’Allemagne
    nazie, le gouvernement soviétique adressait deux ultimatums coups sur coups à
    la Roumanie, lui enjoignant de céder la Bessarabie et la partie nord de la
    Bucovine. La 30 août 1940, le second arbitrage de Vienne, concocté par l’Allemagne
    nazie et l’Italie fasciste, décidait l’annexion par la Hongrie de la moitié
    nord de la Transylvanie aux dépens de la même Roumanie. Enfin, le 7 septembre
    1940, par le traité de Craiova, les mêmes Puissances imposaient à la Roumanie
    la cession de la Dobroudja du Sud au profit de la Bulgarie. Aussi, en l’espace
    de seulement 3 mois, la Roumanie se voyait dépouillée de plus d’un tiers de son
    territoire et de sa population. Le désastre externe n’a pas tardé d’avoir des
    retombées en termes de politique intérieure. Acculé de toutes parts, le roi
    Carol II se voit ainsi contraint à quitter le trône en faveur de son fils, le roi
    Michel. Par ailleurs, le régime d’extrême-droite, national-légionnaire et pro
    allemand, dirigé par le général Ion Antonescu, prenait au même moment les rênes
    du pays.


    1940
    marque la fin d’une époque. Le règne de dix années du roi Carol II, dont les
    deux dernières marquées par l’empreinte de son régime personnel, s’achève avec
    fracas. Personnage haut en couleur, intelligent et manipulateur, orgueilleux, avide
    de pouvoir, entouré d’une camarilla d’hommes d’affaires plutôt louches et peu
    regardants, Carol II laisse aux historiens le soin de démêler un héritage pour
    le moins controversé. Car en dépit des griefs qu’on pourrait facilement imputer
    au souverain déchu, dans sa vie privée ou dans l’exercice de ses fonctions
    constitutionnelles, il n’en est pas moins que son règne marque une époque de
    grande prospérité. La capitale du royaume, Bucarest, avait été réorganisée, en
    suivant pour cela les principes censée régenter la vie d’une ville moderne. La
    vie culturelle du royaume s’épanouissait, le rôle de l’Etat dans cet essor n’étant
    point négligeable.


    Gheorghe Barbul secrétaire personnel de celui qui acculera le roi Carol II à quitter le
    trône, le futur maréchal Ion Antonescu, avait été interviewé à cet égard, en
    1984, par l’historien Vlad Georgescu, sur les ondes de radio Free Europe. L’interview,
    conservée par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine,
    constitue un important témoignage sur la personnalité du monarque déchu, dressé
    par un contemporain avisé, bien que peu enclin à faire l’apologie du roi. Ecoutons
    la voix de Gheorghe Barbul, enregistrée en 1984 :


    « Ion Antonescu, celui qui deviendra le Duce
    roumain, appréciait que la monarchie constituât une institution indispensable
    pour la stabilité du jeune Etat qu’était la Roumanie à l’époque. Il avait cette
    formule selon laquelle seule la monarchie était en mesure de préserver l’Etat
    de l’influence des démagogues. Un Etat où, prétendait le marchal, les propriétaires
    terriens avaient été remplacés par les « propriétaires de voix ». La
    maréchal faisait de la sorte la distinction entre la Roumanie d’avant la Grande
    Guerre, où les propriétaires terriens constituaient la classe dirigeante, et la
    Roumanie post 1920. C’est pour cette raison que le maréchal, bien qu’ennemi
    personnel du roi Carol II, n’acceptait pas à ce qu’on s’attaque à la monarchie,
    même pas à la personne du souverain. Il craignait l’instabilité. Vous savez, le
    roi Carol II avait déjà contribué à fragiliser le trône lorsqu’il avait renoncé
    au trône pour vivre son amour impossible, avant de revenir sur sa décision,
    détrôner son fils mineur, et remonter sur le trône. Or, le maréchal Antonescu
    ne souhaitait pas voir ces coups de force se reproduire. En cette période, deux
    acteurs politiques importants, le Parti national paysan et la Garde de Fer
    souhaitaient le départ du roi Carol II, et le remplacement de ce dernier par
    son fils, le roi Michel. Pas le maréchal Antonescu, car il craignait de trop l’instabilité
    que de telles agissements ne manqueraient pas de provoque
    r ».


    Dans une interview
    passée en 1995, le juriste Radu Boroș, ancien prisonnier politique,
    reconnaissait à son tour le rôle joué par le roi Carol II dans l’essor de l’économie
    nationale, plus particulièrement dans le domaine de l’aviation, durant les
    années 30 du siècle précédent :


    « A
    mes yeux, le roi Carol II demeure un grand souverain. Et je crois que si les
    Roumains l’avaient mieux compris et mieux suivi, la Roumanie aurait accompli
    davantage de progrès dans beaucoup de domaines. Le roi s’était personnellement
    impliqué dans l’organisation et le développement de l’industrie, de l’administration
    publique, dans plein de domaines. Vous savez lorsqu’il était monté sur le trône,
    dans le domaine de l’aviation, c’était le désert. Pendant la Grande Guerre, l’on
    s’était servi de quelques appareils de vol importés et de quelques ballons à
    air chaud. A l’époque, l’aviation c’étaient les ballons. L’on était loin d’avoir
    des avions de combat, des avions de chasse et de bombardement. C’est le roi qui
    avait décidé de nous doter d’une véritable aviation militaire. Grâce à cela,
    des unités industrielles ont été créés, l’IAR à Brasov, où l’on a construit le
    premier appareil de chasse roumain, IAR 14, qui, dans les années 37-38, était l’un
    des meilleurs au monde. C’est toujours le roi qui a donné le coup de pouce
    indispensable à l’essor de l’aviation civile. Le roi avait une vision. Il avait
    compris la place qu’allait occuper l’aviation dans les prochaines décennies et
    avait aidé à la constitution de la première compagnie roumaine d’aviation.
    Avant cela, il n’y avait une qu’une société mixte, la Compagnie franco-roumaine
    de navigation aérienne, créée en avril 1920par le comte Pierre Claret de Fleurieu. »


    Malgré
    tout et en dépit du bon souvenir que le règne du roi Carol II avait laissé chez
    certains de ses contemporains, la figure du souverain demeure encore aujourd’hui
    tachetée par ses agissements politiciens et affairistes, et surtout par l’échec
    de sa politique interne et externe, soldé en fin de compte par l’amputation d’un
    tiers du territoire national à la veille de la Seconde Guerre mondiale. (Trad. Ionut
    Jugureanu)

  • Le club de football Rapid de Bucarest

    Le club de football Rapid de Bucarest

    Rapid Bucarest est sans doute le
    club de football de première division qui peut se targuer d’une existence aussi longue
    que riche. Fondé il y a cent ans, en 1923, le club a longtemps joui d’une notoriété
    sans pareil, due autant à ses origines populaires, ouvrières, qu’au fait d’avoir
    survécu à l’arrivée des communistes au pouvoir, en 1945, lorsque bon nombre de
    clubs de tradition sont passés à la trappe. Mieux encore,
    cette équipe populaire a peu bénéficié des faveurs du régime honni, la famille
    Ceausescu et les caciques du régime privilégiant plus volontiers les clubs de Steaua
    ou de Dinamo de Bucarest, les deux fondés après 1945, et qui se trouvaient dans
    le giron du ministère de la Défense, respectivement de l’Intérieur. Pourtant,
    dans ses cent années d’existence, le Club de foot Rapid de Bucarest est malgré
    tout, parvenu à remporter à 3 reprises le championnat, 13 fois la Coupe de
    Roumanie, et 4 fois le Trophée des champions. Au plan international, il est arrivé dans les quarts de finale de la coupe UEFA de la saison 2005-2006,
    remportant à 2 reprises la Coupe des Balkans des clubs.


    L’histoire
    du club démarre en 1923, lorsque les cheminots bucarestois des Ateliers Grivita
    parviennent à convaincre le patronat de subventionner la création d’une équipe
    de foot. L’historien Pompiliu Constantin, auteur de l’ouvrage « Rapid și
    rapidismul », soit « Le club de foot Rapid et ses supporters » en traduction
    française, parle de cette double naissance du club : le 11 et le 25 juin 1923,
    selon les sources. Quoi qu’il en soit, le mois de juin de l’année 1923 allait
    voir la naissance de CFR Bucarest, un club de foot qui sera aimé, adoré, porté
    aux nues par des générations d’habitants du quartier populaire de Giulești, par
    des générations de cheminots, avec leurs gosses. Au milieu des années 1930, le CFR
    Bucarest change de titulature pour devenir le club de foot Rapid, qui adopte
    du coup sa bannière blanc-bordeaux. Le club établit d’abord ses quartiers en
    louant le stade d’ONEF, avant d’avoir, à partir de 1936 son propre stade, érigé
    dans son quartier d’élection, le quartier Giulesti, de Bucarest. Sous la
    pression des communistes, le club change à nouveau de nom en 1944, pour
    redevenir « le CFR club », ensuite « La Locomotive », avant
    de recouvrir la titulature qui l’avait consacrée, FC Rapid, en 1958.

    Un
    club de tradition certes, mais aussi un club extrêmement populaire. Sur les
    raisons de cet amour qui a défié le temps se penche l’historien Pompiliu
    Constantin :


    « La
    fin des années 30 marque la fin de certains club nés dans la période de l’entre deux guerres
    : Carmen, Macabi, Venus. Dans
    ce contexte, bon nombre de leurs supporters deviennent des inconditionnels du
    FC Rapid. Et la popularité du club ne fait que monter. Des articles sportifs des
    années 50 estimaient à près d’un million le nombre de ses supporters. Pourtant,
    dans la période de l’entre-deux-guerres, d’autres équipes, telles Venus et
    Ripensia étaient plébiscitées par les amateurs du ballon rond. Mais les choses
    changent avec la guerre et avec l’arrivée des communistes au pouvoi
    r ».


    Aussi,
    après 1945 le FC Rapid devient la coqueluche des classes populaires amatrice du
    jeu au ballon rond. Pompiliu Constantin :


    « A
    ce moment, le FC Rapid devient le chouchou incontesté du public, sans aucun
    doute. Le régime communiste avait besoin de cette vitrine du sport de masses, issue
    du monde ouvrier, de cet ouvrier vaillant, sportif, optimiste et efficace.
    Certains caciques du régime communiste des années 50 soutiennent ouvertement le
    club. Bien que cheminot à l’origine, le secrétaire-général du parti, Gheorghe
    Gheorghiu-Dej, s’était tenu à l’écart des passions du stade. Mais d’autres
    pontes du régime, tel Gheorghe Apostol, deviennent des inconditionnels de l’équipe
    de Giulesti, jusqu’à essayer de contourner le règlement, et tenter de maintenir
    l’équipe lorsqu’elle rétrograde en seconde division parce que… trop populaire.
    Le piston politique ne suffira pas pour lui faire éviter la déchéance, une
    déchéance brève pourtant, car elle revient la saison suivante en Ligue 1. »


    Les rivaux
    d’autrefois, tels les clubs de foot le Venus et le Progrès de Bucarest, le Ripensia
    de Timișoara, ou encore le FC Petrolul de Ploiești se débattaient dans l’anonymat.
    Les nouvelles étoiles montantes du régime, la Steaua de Bucarest et le Dinamo
    de la même ville, finissent pourtant par avoir raison de la vieille dame du
    quartier Giulesti. Ces nouvelles venues, fer de lance de l’identité répressive
    du régime, car porte-drapeaux sportifs des ministères communistes de la Défense
    et de l’Intérieur, peinent à faire l’unanimité au sein des amoureux du ballon
    rond. Les tribunes du stade de Giulesti tonnent parfois, au grand dam de la
    Securitate, la police politique du régime, des slogans anti-communistes. Pompiliu
    Constantin croit pourtant qu’il ne s’agissait pas tant d’un anti-communisme viscéral
    des supporters rapidistes, mais plutôt des manifestations de joie ou de dépit
    conjoncturelles, au gré des victoires et des défaites de FC Rapid contre les
    équipes de Steaua ou de Dinamo. Pompiliu Constantin :


    « Cette
    période est marquée par l’apparition d’un esprit de corps des tifosis de Rapid,
    agencés autour du rejet du système. Les performances de l’équipe n’étaient plus
    au rendez-vous, elle était souvent reléguée dans les bas-fonds du classement en
    Ligue 1, parfois en National 2. Les tifosis mettent la mauvaise performance de
    leurs préférés sur le compte des magouilles dirigées dans les sphères raréfiées
    du pouvoir communiste. Et en réalité, ce n’est pas tout à fait faux. Beaucoup
    de matchs sont décidés par les caciques du régime, par la famille Ceausescu,
    derrière les portes fermées. Cela, les supporters l’apprennent d’une manière ou
    d’une autre. Et de là jusqu’aux slogans anticommunistes que l’on pouvait
    entendre de manière récurrente dans les tribunes du stade dans les années 80, notamment
    lors des matchs contre les équipes de Steaua ou de Dinamo, il n’y avait qu’un
    pas
    . »


    A
    cent ans depuis sa création, le football club Rapid de Bucarest caracole encore
    vers le podium de la première division et semble regarder l’avenir avec sérénité. (Trad
    Ionut Jugureanu)

  • La Radio Deutsche Welle

    La Radio Deutsche Welle

    Le
    nombre de chaînes radio étrangères qui ont diffusé des émissions en langue
    roumaine au fil du temps est assez conséquente. Parmi celles-ci, l’une s’était
    distinguée à l’époque de la guerre froide notamment : la radio publique
    allemande, la Deutsche Welle. Cette chaîne commence à émettre depuis Bonn, la
    capitale de l’Allemagne de l’Ouest, le 3 mai 1953. Dans son discours d’inauguration,
    le président allemand d’alors, Theodor Heuss, avait résumé la mission de la
    nouvelle radio publique allemande en utilisant le terme, en français, de
    détente. Cette volonté de réconciliation s’affirmait ainsi d’emblée et marqua par
    la suite l’histoire de ce porte-voix de la République fédérale d’Allemagne.


    Dix
    années plus tard, en 1963, la Deutsche Welle allait
    inaugurer ses émissions en langue roumaine. L’historienne Tatiana Korn avait
    quitté la Roumanie en 1962 pour s’établir en Allemagne fédérale, après avoir épousé
    un Saxon originaire de Roumanie. Reconvertie au journalisme, elle fit partie de
    la rédaction roumaine de Deutsche Welle de 1963 et jusqu’en 1993. Interviewée
    en 1998 par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine sur son
    expérience de journaliste au sein de la rédaction roumaine de la radio publique
    allemande, Tatiana Korn racontait :


    « La Deutsche Welle était la voix de l’Allemagne d’après
    la guerre, censée présenter les réalités de ce pays dans toute leur diversité. Evidemment,
    il était impossible de lancer tout de suite des émissions dans les différentes
    langues étrangères, à destination de ces publics. Les premières rédactions en
    langues étrangères visaient les transmissions vers le continent noir, vers les
    pays africains, puis vers l’Asie, l’Amérique, l’Amérique latine. Au fil du
    temps et à fur et à mesure que la guerre froide devenait de plus en plus
    chaude, la Deutsche Welle a pris la décision de fonder la rédaction de l’Europe
    de l’Est, à commencer par la section soviétique, suivie de près par la section
    destinée à la Yougoslavie, à la Hongrie, enfin à la Roumanie et à la Bulgarie,
    fondées début 1963.
    »


    Mais
    les débuts d’une entreprise d’une telle envergure sont forcément difficiles. Tatiana
    Korn :


    « L’on
    était tout d’abord à court de ressources humaines, des gens qui puissent
    travailler dans la rédaction roumaine de radio Deutsche Welle. On avait ainsi démarré
    avec seulement une demi-heure de transmission quotidienne en langue roumaine. Il
    fallait maîtriser parfaitement les deux langues : le roumain et l’allemand.
    Il fallait parler un roumain sans accent. Parler sur les ondes en utilisant un
    roumain avec un fort accent bavarois était impensable. Il fallait aussi avoir
    des qualités de speakerine radio. Vous savez, cela va peut-être voue étonner,
    mais il n’y a pas grand monde qui soit capable de parler correctement à la
    radio. Et puis, il y avait des difficultés d’ordre technique. Transmettre sur
    les ondes courtes à de telles distances, en l’absence d’antennes relais, s’apparentait
    semble-t-il à une mission impossible. »



    En dépit de ces
    embûches inhérentes, la section roumaine s’était progressivement étoffée, même
    si au départ les bénévoles, qu’il s’agisse des traducteurs spécialisés en technologie,
    en médecine, en culture ou en politique avaient endossé un rôle significatif. Des
    journaux édités en Roumanie atterrissaient sur la table de la section roumaine,
    car ses rédacteurs se devaient d’être mis au courant du langage et du style
    utilisés par la presse officielle roumaine de l’époque. Par ailleurs, la
    politique de ressources humaines de la radio Deutsche Welle éliminait la
    possibilité à ce que d’anciens membres ou sympathisants nazis ou communistes puissent
    rejoindre la rédaction. De ces premiers rédacteurs en langue roumaine que la
    radio Deutsche Welle allait consacrer, rappelons les noms de Nadia Șerban, Ioana
    Exarhu, Elisabeta Panaitescu, Mihai Negulescu, Virgil Velescu. Une fois passées
    les maladies d’enfance, le programme en langue roumaine de radio Deutsche Welle
    allait couvrir 3 émissions d’une heure chacune au quotidien.

    Le programme comprenait
    dix minutes d’actualités, suivies d’émissions culturelles, scientifiques, de chroniques
    diverses, que Tatiana Korn aimait se rappeler avec nostalgie :

    « La
    première transmission du jour démarrait à midi. Ce n’était pas idéal pour l’audience
    qui nous visions. Toutefois, l’on s’était rendu compte que ces émissions
    touchaient tous ceux qui n’étaient pas actifs, les retraités notamment. Et ces
    derniers parlaient autour d’eux de ce qu’ils entendaient sur nos ondes, suscitant
    l’intérêt de leur entourage. En fait, nous ne pouvions pas émettre à d’autres
    heures, à cause de la grille de répartition des fréquences. Mais cela s’était
    finalement avéré une bonne chose, d’autant que la qualité de la réception était
    meilleure le jour que le soir, c’est une caractéristique des transmissions sur
    ondes courtes. Vous savez, les satellites et tout cela, on n’en connaissait pas
    à l’époque
    ».




    Parmi les chaînes
    radio occidentales qui ont transmis en langue roumaine durant la guerre froide,
    radio Free Europe a occupé une place particulière dans le cœur des auditeurs qui
    se trouvaient enfermés derrière le rideau de Fer. Mais radio Deutsche Welle a
    été la voix de l’Allemagne occidentale de l’après-guerre. Une voix forte,
    distinctive et décente, articulée par de grands professionnels du journalisme d’expression
    roumaine. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • L’héritage latin des Roumains

    L’héritage latin des Roumains

    Mais la contribution d’autres ethnies dans la formation de la nation roumaine d’aujourd’hui ne saura évidemment être ignorée. Davantage encore, les chercheurs s’attachent de comprendre au mieux la trace laissée par ces sources multiples dans l’imaginaire collectif, à travers les structures sociales qu’elles avaient développé à un moment donné, par exemple. Le président en exercice de l’Académie roumaine, l’historien Ioan-Aurel Pop, prône une approche critique face au concept d’identité nationale. Ecoutons-le :« Il faudrait essayer de comprendre un peu mieux qui on est, ce qu’on est, ce que nous avons hérité de nos ancêtres. Il faudrait accepter de mettre en doute les idées reçues. Mais une chose est sûre : nous sommes parvenus à durer, nous ne nous sommes pas laissés fondre dans les populations, dans les ethnies avec lesquelles nous avons eu de longues périodes de cohabitation : les Huns, les Gépides, les Avares, les Petchenègues, les Cumins. Et cela même en dépit de notre taille, car nos Etats ont toujours été d’une taille plutôt dérisoire, nous sommes parvenus à durer et à nous développer. »

    Mais, au fond, qui sommes-nous, nous, les Roumains ? Ioan-Aurel Pop : « A cette question, je répondrais que nous pouvons nous définir par notre langue, par nos patronymes, par la manière dont nous avons embrassé le christianisme. Et ces éléments nous rattachent à l’Occident. En revanche, si l’on regarde la nature du culte orthodoxe pratiqué en Roumanie, l’emploi de la langue slavonne et de l’alphabet cyrillique dans la pratique religieuse et dans les actes officiels issus au Moyen Âge, l’on se rend compte de notre appartenance à l’espace byzantin et de l’influence exercé par l’espace slave. Néanmoins, la latinité de la langue roumaine demeure un élément essentiel de notre identité nationale, surtout dans cette partie du monde ».

    Et il est vrai que partager une même langue définit souvent l’appartenance à une même nation. Ioan-Aurel Pop ajoute que les voyageurs étrangers qui visitaient l’espace roumain au Moyen Age remarquaient souvent la conscience des habitants de leur appartenance à un espace de latinité : « Les sources, il faut les prendre telles quelles. Sans faire de tri. En tant qu’historien, si j’aime avoir une image d’ensemble mettons du 16e siècle, je prends l’ensemble de sources, et j’essayes de reconstituer le puzzle. Je n’arriverai certainement pas à remplir toutes les cases, et dans ce cas je peux aussi me lancer dans des supputations, mais l’idée est de disposer d’autant de sources que possible. Prenez, le voyageur Francesco della Valle racontait avoir été hébergé une nuit par les moines du monastère Dealu. L’on est en 1536. Et c’est là qu’il apprend pour la première fois l’histoire de l’arrivée des légions romanes du temps de l’empereur Trajan dans ce pays. Je n’ai pas de raison de mettre en doute la véridicité de ses dires. D’autant que je peux les corroborer avec ce que racontent d’autres voyageurs qui racontent à peu près la même histoire, « un tel me disait que les Roumains sont des Romans à l’origine ». »

    C’est d’ailleurs autour de cette origine latine commune que s’était constitué le sentiment national et c’est toujours autour de la latinité qu’a été bâti l’Etat moderne au 19e siècle. Mais la conscience collective de l’appartenance à cet espace de latinité existait depuis bien plus longtemps, selon le président de l’Académie roumaine : « Les fils lettrés de boyards arrivent à étudier dans les écoles jésuites polonaises. C’est là qu’ils apprennent l’origine latine des Roumains et de leur langue. Ils rentrent ensuite au pays, et travaillent au développement de cette conscience commune, agencée autour de la latinité. C’est donc grâce aux érudits, aux intellectuels que cette conscience a pu être bâtie de la sorte. La chronique de Cantacuzène faisait déjà mention de ces deux moments fondateurs distincts : la conquête par les légions romanes de Trajan de la Dacie, ensuite, un millénaire plus tard, la descente de Rodolphe Bessaraba dit le Noir, le fondateur de la principauté de Valachie aux dépens des Hongrois. Maintenant, c’est à se demander si les moines du monastère Dealu dont je parlais tout à l’heure faisaient partie de ces érudits. Une chose est certaine : ils avaient très bien accueilli Francesco della Valle et ses comparses italiens, qui ont été bluffés par la générosité de cet accueil. Ensuite, au 17e siècle, voyez cette délégation suédoise essayer de nuer des contacts avec la noblesse magyare d’Oradea et de Cluj, en utilisant le latin. Peine perdue. Les nobles magyares ne connaissaient que le hongrois. Mais ensuite, dès que les Suédois traversent les Carpates vers le sud, ils s’aperçoivent que d’un coup tout le monde parlait le latin, même les paysans. Un latin vulgaire certes et truffé de mots d’emprunt, mais un latin qui leur était compréhensible. Ils entendent lapte pour lactis, le lait, ils entendent noapte pour noctis, la nuit. Et lorsqu’ils demandent aqua, de l’eau, on leur rapporte apa. »

    L’origine latine de la langue roumaine, souvent contestée par ceux qui ne voyez pas leur intérêt dans cette continuité de l’existence de ce que deviendra la nation roumaine dans l’espace roumain, demeure malgré tout l’incontestable liant de l’identité nationale. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Invalides, orphelins et veuves de guerre dans la Roumanie de l’entre-deux-guerres

    Invalides, orphelins et veuves de guerre dans la Roumanie de l’entre-deux-guerres

    A la fin de la Grande Guerre, le royaume de Roumanie
    venait de doubler aussi bien son territoire que sa population. Mais la victoire
    dans les tranchées a été payée au prix fort. L’un des plus douloureux revers de
    la médaille a sans doute été l’énorme cortège d’orphelins, de veuves et d’invalides
    de guerre, une population s’élevait à près de 12% de ce qu’était la population
    de la Grande Roumanie d’après la Première Guerre mondiale. Certes, l’Etat se
    sentait redevable à ces victimes collatérales d’une guerre sans pitié, mettant
    en place des dispositifs censés améliorer leur sort.


    Maria Bucur,
    professeure à l’université Indiana
    de Bloomington, aux Etats-Unis, spécialiste en histoire, en études de genre, et
    tout particulièrement en histoire de la guerre et en histoire de l’eugénie,
    pense que cette population nombreuse des victimes collatérales de la Grande Guerre
    avait changé les mentalités et le concept de citoyenneté dans la Grande
    Roumanie de l’entre-deux-guerres. Maria Bucur : « L’Etat roumain a
    été transformé de manière radicale, après avoir pris des décisions en faveur
    des vétérans, des veuves et des orphelins de guerre. De nouvelles institutions
    sont apparues, de nouvelles politiques publiques ont été mises en œuvre. Par
    ailleurs, dès 1919, l’on voit apparaître le vote universel. Et ces forces
    conjuguées changent radicalement le discours public au sujet de la citoyenneté
    notamment. L’on voit apparaître de nouvelles revendications, de nouvelles
    attentes de la part de ces citoyens qui veulent que l’Etat prenne ses
    responsabilités. Et le succès ou l’échec de ces politiques publiques a à son
    tour généré de nouvelles dynamiques au sein de lu champ politique, au sein de l’espace
    public. »


    Malheureusement,
    les statistiques manquent, et le nombre exact des personnes touchées par ces
    politiques publiques demeure encore inconnu pour les chercheurs d’aujourd’hui. Maria
    Bucur : « Vous savez, après
    la guerre, la population du royaume avait presque doublé. Les vétérans des
    territoires rattachés à la Roumanie à la suite du traité de Trianon figurent
    dans les statistiques du nouvel Etat roumain. Mais leur nombre exact demeure un
    mystère. Les Etats qui avaient juridiction sur ces territoires avant 1919
    utilisaient des formules de calcul différentes que celles qu’allait utiliser la
    Roumanie de l’entre-deux-guerres. Les statistiques que l’on utilise nous,
    chercheurs, sont les statistiques roumaines du début des années 20. Et puis,
    vers 1935, la commission spécialement mandatée pour vérifier l’exactitude des
    chiffres est arrivée à conclure que les statistiques officielles d’alors étaient
    inexactes. Selon mes estimations, la Roumanie devait comprendre près d’1,5
    millions de vétérans, dont 200.00 invalides, et je me réfère à la définition de
    l’invalidité qui prévalait dans l’époque, auxquels s’ajoutent plus de 700.000 veuves
    et orphelins de guerre confondus. »


    Mais quels
    ont été au fond les effets de ces politiques publiques mises en place par
    l’Etat roumain censées réparer les torts occasionnés par la guerre à ces
    victimes collatérales ? Maria Bucur : « Il faut dire que
    la générosité des autorités roumaines envers ses anciens combattants, ses
    invalides, ses orphelins et ses veuves de guerre a été plutôt exemplaire. Il y
    a eu certes un régime d’allocations qui a été mis en place, mais en sus de cela,
    la législation permettait à toutes ces catégories l’accès gratuit à l’éducation,
    aux soins médicaux, au transport ferroviaire, au bois de chauffage. La réforme
    agraire entamée à la fin de la Première guerre mondiale avait également
    privilégié l’accès à la terre des anciens combattants. Grâce à cette
    législation, ils avaient en outre un accès privilégié à certains monopoles d’Etat,
    prendre en gestion les kiosques dans les gares ou se faire embaucher dans
    certaines administrations publiques, par exemple. Si l’on regarde de près, l’on
    se rend compte que l’ensemble de ces dispositifs dépassait en ampleur ceux mis
    en œuvre par l’Etat français au bénéfice de ces mêmes catégories, alors que la France
    avait constitué un modèle de bonnes pratiques pour la Roumanie lors de la
    conception de ses dispositifs ».



    La « loi
    de la reconnaissance », telle qu’avait été connue cette loi dans l’époque,
    avait surtout pris soin de ne pas faire de discrimination entre les citoyens de
    la Roumanie d’avant-guerre et ceux provenant des provinces rattachées à la
    Roumanie à la suite du traité de Trianon. Maria Bucur : « La reconnaissance
    publique n’a fait déjà aucune distinction entre les soldats qui avaient
    combattu sous le drapeau roumain, et ceux qui avaient combattu sous d’autres
    étendards. Même ceux qui avaient combattu contre la Roumanie jouissaient des
    mêmes droits, pour autant qu’ils avaient acquis la citoyenneté roumaine, prouvant
    ainsi leur attachement à cet Etat. Voyez-vous, en Yougoslavie par exemple, il
    en allait autrement. Les anciens combattants croates ne jouissaient pas des
    mêmes droits que leurs homologies serbes. »



    Maria Bucur pense
    toutefois que l’élan de générosité de l’Etat roumain avait aussi d’autres
    raisons que celles déclarées. Ecoutons-la : « La Roumanie avait
    choisi d’aborder de manière pragmatique cette question. Evidemment, beaucoup de
    roumanophones de Transylvanie avaient combattu sous le drapeau austro-hongrois.
    Mais ils n’avaient évidemment pas le choix. Or, se refuser d’intégrer cette
    population de vétérans aurait entraîné des conséquences catastrophiques, provoquant
    une rupture entre les provinces nouvellement rattachées et l’ancien royaume de
    Roumanie d’avant la guerre. La classe politique l’avait compris et a agi en
    conséquence. Un autre aspect de la question était constitué par le droit des
    minorités nationales. Personnellement, j’interprète l’esprit de cette loi comme
    un sorte de pacte d’intégration, une main tendue par le législateur à tous les
    citoyens roumains, de quelques origines qu’ils soient. Un pacte qui tente de forger
    une citoyenneté solidaire, loyale et engagé. »


    Les
    dispositifs mis en place par l’Etat roumain pour dédommager les victimes
    collatérales de la Grande Guerre sans doute été un modèle à succès. Il n’empêche
    que dans sa mise en œuvre, certaines faiblesses de l’administration ont pu diminuer
    l’exemplarité de la lettre et de l’esprit de cette loi. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Politique raciale et eugénisme en Roumanie

    Politique raciale et eugénisme en Roumanie

    L’attitude des sociétés à l’égard des
    ceux considérés comme différents a depuis toujours constitué un sujet sensible pour
    l’historiographie contemporaine. Si des voix s’élèvent pour demander justice face
    aux crimes et aux abus du passé, l’on sait pertinemment que, le temps aidant,
    la probabilité que les vrais coupables soient encore punis pour leurs méfaits
    passés, devient de moins en moins vraisemblable.


    Le fascisme et le communisme, ces deux
    totalitarismes qui ont empoisonné l’histoire du vingtième siècle ont aussi
    donné la mesure de la démesure avec laquelle les hommes peuvent traiter, ou
    plutôt maltraiter, leurs semblables. Car ces deux régimes recèlent en eux le gène
    de la répression et du génocide. Le nazisme et le communisme, même s’ils se
    situaient à l’opposé d’un point de vue idéologique, se sont souvent inspirés l’un
    l’autre dans l’usage de la force, de la violence, de l’arbitraire, jusqu’à en
    arriver aux camps d’extermination nazis et au Goulag soviétique. En Europe et même
    en Amérique du Nord, le vingtième siècle a vu apparaître des courants de pensée
    qui justifiaient la stérilisation obligatoire des personnes handicapées. Et la
    Roumanie est loin d’avoir été épargnée par ces idées mortifères. Des
    propositions de politiques publiques de stérilisation ont visé à un moment ou à
    un autre non seulement les personnes handicapées, mais encore les juifs, les
    roms, ou les homosexuels. Des médecins, des biologistes, des anthropologues,
    des scientifiques de diverses spécialisations ont rejoint les idéologues d’extrême-droite
    pour appuyer de tout le poids que la science pouvait offrir les folies mortifères
    promues par ces derniers. Et, dans ce cadre, l’eugénisme s’était érigé comme la
    seule et véritable « science », destinée à écarter des communautés humaines
    tous ceux que la pensée dominante appréciait comme étant différents, « défectueux »
    de naissance.


    Le Palais du Parlement de Bucarest a
    récemment accueilli une réplique du procès intenté à l’un des plus importants
    promoteurs de l’eugénisme en Allemagne nazie,Ernst Rüdin. Il s’est agi d’une réplique du procès intenté
    au scientifique suisse au siège des Nations-Unies le 31 janvier 2023 et
    organisé par le Social Excellence Forum pour des jeunes de 15 à 24 ans, issus de
    différents pays, dont la Roumanie. Ernst Rüdin qui
    a vécu entre 1874 et 1952, fut un psychiatre, généticien et eugéniste d’origine
    suisse, considéré par les historiens comme étant le père de l’eugénisme nazi. En
    2023, il ne s’agissait bien évidemment pas d’un vrai procès en justice du
    généticien suisse, mort depuis belle lurette, mais plutôt d’une mise en scène
    symbolique réalisé au bénéfice des plus jeunes.

    Marius Turda, professeur en histoire
    de la médecine à l’université Brooks d’Oxford, en
    Angleterre, et l’un des plus réputés historiens de l’eugénisme, répondait à la
    question de savoir si ce dernier a été juste une forme isolée d’expression du
    nazisme ou s’il ne s’était plutôt inscrit dans un courant de pensée bien plus
    vaste que cela.


    « Des lois de stérilisation de diverses
    catégories ont été en vigueur dans plusieurs pays à l’époque. Les Etats-Unis
    ont procédé à des stérilisations forcées bien avant l’Allemagne nazie. Mais les
    Etats-Unis ne s’étaient pas dotés d’une loi fédérale pour ce faire. Chaque Etat
    régissait en la matière comme il l’entendait. Mais sachez qu’avant 1933, l’année
    de l’arrivée au pouvoir d’Hitler, 30 Etats américains s’étaient déjà dotés des
    lois prévoyant la stérilisation obligatoire. On estime à près de 80.000 le
    nombre de gens stérilisés de force entre 1910 et 1980 aux Etats-Unis
    ».


    Marius Turda s’est aussi penché sur le rôle joué par les médecins et les
    scientifiques roumains dans la mouvance de l’eugénisme international de l’époque,
    et dans la promotion de la stérilisation obligatoire :


    « En effet, des scientifiques roumains ont joué
    un certain rôle dans la promotion de cette approche. En 1935, la Société
    roumaine pour l’eugénisme et l’étude de l’hérédité, fondée et dirigée par le
    célèbre savant Gheorghe Marinescu, s’est constitué en tant que membre fondateur
    de la Fédération latine des sociétés d’eugénique. Certains scientifiques
    roumains se montrent favorables aux stérilisations obligatoires. Dès 1912 déjà,
    le gynécologue Constatin Andronescu suggère l’introduction du certificat
    prénuptial, et la stérilisation des malades mentaux. En 1921, Ioan Manliu, un
    autre médecin roumain, acquis aux théories eugéniques allemandes et états-uniennes,
    suggérait la stérilisation obligatoire de tous ceux qu’il appelait les
    dégénérés roumains. En 1931, le même médecin suggère qu’il faudrait stériliser
    entre 5 et 6 millions de Roumains, avant de pouvoir constater une amélioration
    visible de la « race ». Et la même année, le Congrès neurologique,
    psychologique, psychiatrique et endocrinologique, dont les travaux ont été
    dirigés par le professeur Constantin Parhon, avait proposé au ministre de la
    Santé de l’époque l’introduction d’une loi de stérilisation volontaire. Enfin,
    en 1940, c’est le tour des populations roms d’en être visées.
    »

    La cour de justice symbolique érigée
    au sein du palais du Parlement roumain a condamné Ernst Rüdin à la perpétuité, déclaré
    coupable des trois des quatre chefs d’accusation qu’on lui imputait. Et avec
    lui, espère-t-on, les idées mortifères qui ont fait souffrir des centaines de
    milliers de gens innocents. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • 30 années d’histoire de Radio Roumanie

    30 années d’histoire de Radio Roumanie

    L’histoire du dernier siècle peut être sans doute investiguée en outre grâce aux archives radiophoniques, témoin fidèle des terribles soubresauts de l’histoire récente. Aussi, si durant les années noires du communisme, le degré de véracité de l’histoire orale conservée dans les archives demeure sujet à caution, après 1989, après la fin du communisme, cette source historique commence à retrouver toute sa place. Le premier patron de la Radiodiffusion roumaine d’après 1989, Eugen Preda, posait ainsi, en 1993, les bases des archives d’histoire orale de la vénérable institution de presse.

    La journaliste et historienne Mariana Conovici a fait partie de cette première équipe d’historiens qui a commencé à confectionner les archives d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine. A son micro se sont succédés des témoins oculaires privilégiés des deux guerres mondiales, des exactions du communisme, des historiens et des savants, des victimes et des complices des bourreaux, des hommes politiques et des anonymes.

    Aujourd’hui, Mariana Conovici se rappelle la période exaltante de ces débuts : « Eugen Preda, le directeur de la Radiodiffusion de l’époque, était historien, il avait un doctorat en histoire. Il s’agissait d’un véritable érudit, toujours très bien informé. Il avait pris part au Congrès international des historiens qui s’est tenu à Bucarest en 1980, et qui avait remis dans ses droits l’histoire orale. Il était donc au fait de l’importance de cette dernière parmi les autres sources historiographiques pertinentes. Et puis, en 1992, nouvelle réunion internationale, cette fois dans la ville de Sinaia, et c’est alors qu’il a pris cet engagement de constituer les archives audios, d’immortaliser la voix de certains des grands témoins de notre histoire récente. »

    Le livre du sociologue et historien britannique Paul Thompson, intitulé « The Voice of the Past », « Les voix du passé » en traduction française, a constitué le modèle de départ du projet des archives audio de la Radiodiffusion roumaine.

    Mariana Conovici : « La liberté nous a permis d’approcher la vérité historique d’une manière différente. L’on découvrait les nuances, l’on découvrait les contrevérités qu’on nous avait servis sous l’apparence de la vérité absolue pendant le communisme. L’on a pu ainsi approcher les gens, la petite histoire, les drames et les tragédies personnelles qui font à la fin la grande histoire. Ce fut comme un bain de vérité. J’entrais avec mon micro dans la vie et dans l’intimité des gens, et j’arrivais non seulement à mieux comprendre leur vécu, mais à mieux me comprendre, moi et le monde qui m’entourait, grâce à cet exercice de vérité. Car je pouvais alors me mettre à leur place. Ce qui n’était pas de tout repos. »

    Mariana Conovici et son équipe, composée en tout et pour tout de 5 journalistes, sont parvenues à conjuguer de manière heureuse histoire orale et journalisme radio. C’est grâce à leur travail que le public roumain a pu approcher des pans de l’histoire récente, cachés jusqu’alors.

    Mariana Conovici : « Par ce genre d’interview que l’on utilise dans l’histoire orale, on interroge l’histoire. L’objectif d’une telle démarche consiste souvent à réaliser une étude, une recherche historique. Mais ce n’était pas notre objectif. Nous n’avions pas le désir de suivre cette voie. Notre objectif était de partager avec nos auditeurs ce que nous venions de découvrir, de faire entendre la voix de ces témoins privilégiés de l’histoire, grâce à des programmes hebdomadaires. C’était cela notre vocation. Il y avait une démarche civique dans cette approche, et c’est toujours le cas lorsqu’il s’agit d’utiliser cet outil de l’histoire orale, où que ce soit. Mais j’avais dû batailler ferme pour garder la place de notre rubrique dans la grille de programmes de l’époque. J’avais moi-même des doutes. Est-ce que la société roumaine était suffisamment mûre pour ce que nous proposions ? Je n’en savais strictement rien, mais on se disait que s’il y avait ne fut-ce que dix auditeurs qui pouvaient raisonner avec ce qu’ils venaient d’entendre de la bouche de tel ou tel témoin de notre histoire récente, c’était déjà ça » .

    « Histoire vécue » a été le titre de la célèbre émission radiophonique. Et les auditeurs, roumains et étrangers, sont allés jusqu’à plébisciter le pari des réalisateurs. « Les interviews d’histoire orale n’enrichissent généralement pas de manière décisive les connaissances des historiens. Mais elles font revivre l’atmosphère d’une époque, rappellent des détails méconnus, mettent de la chair sur le squelette des connaissances, font vivre l’émotion des témoins, des ceux broyés par la marche de l’histoire. Et la puissance du message qu’arrive à transmettre la victime d’un épisode historique est sans nulle pareille. Prenez cette interview qui ne durait que 20 minutes, et que j’avais prise à une dame qui avait été arrêté alors qu’elle n’avait pas encore 14 ans. C’était à la fin de la dernière guerre mondiale. Elle faisait partie d’un groupe de jeunes que les nazis avaient amené en Allemagne, et puis aussi en Autriche, les soumettant aux travaux forcés. C’était une enfant. Et tout au long de ces 20 minutes d’interview, elle racontait toute l’angoisse provoquée par le déplacement, et toute la panique qui l’avait surprise lors d’un bombardement subi près de Vienne, où elle avait dû se réfugier dans un champ, cachée par un arbre, pour avoir la vie sauve. Vous savez, toute l’horreur de la guerre était concentrée dans ces 20 minutes d’interview de cette enfant, qui avait été arrachée à ses parents et jetée en plein milieu de la folie de l’histoire ».

    Les archives d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine se sont étoffées avec le temps. Ceux qui avaient passé les premières interviews ne sont plus de ce monde depuis belle lurette. Mais leurs voix résonnent encore et toujours dans les oreilles, et surtout dans les consciences des auditeurs de ces émissions hors normes. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • Limes dacicus – les frontières de la Dacie

    Limes dacicus – les frontières de la Dacie


    Les frontières physiques ont depuis toujours été érigées pour
    protéger, en prenant souvent pour alliées les barrières que la nature avait soulevé
    devant celui d’en face. La plus ancienne frontière conservée dans l’espace
    roumain est ce que les archéologues et les historiens appellent le « limes
    dacicus ». Longue de près de mille kilomètres, située dans la partie nord
    de la Transylvanie d’aujourd’hui, c’est la frontière que Rome avait bâtie pour protéger
    la Dacie fraîchement conquise. Une frontière qui a traversé deux mille ans d’histoire.


    L’historien et archéologue Ovidiu Țentea du Musée National d’Histoire explique : « Limes dacicus représente cette frontière censée
    protéger la Dacie romaine, conquise par Trajan, en 106 de notre ère et qui
    restera dans l’escarcelle de Rome durant 160 ans. Limes dacicus délimitait les
    frontières physiques et administratives de cette province romaine. Des traces
    de la frontière physique ont survécu jusqu’à nos jours. Une frontière qui suit
    un tracé complexe, et il s’agit probablement de la plus longue frontière de ce
    type de tout l’empire romain. En même temps, les Romains ne pensaient pas que
    leur empire pouvait avoir une limite. Le limes était donc perçu plutôt une limite
    administrative, une limite provisoire, avant de nouvelles conquêtes. Il
    matérialisait les accords, des accords qu’il fallait bien les transposer sur le
    terrain, en cette frontière. On le fait de nos jours aussi. Une bande de
    terrain vierge sépare les territoires des Etats. »







    Prenons
    maintenant la carte de la Roumanie actuelle pour suivre avec notre guide, l’historien
    et archéologue Ovidiu Țentea, le tracé de cette frontière romaine. Ovidiu
    Tentea : « Nous remarquons l’existence
    de deux lignes de défense, qui ont chacune eu leur rôle lors des périodes
    différentes. A l’intérieur de la frontière romaine, l’on retrouve la région des
    mines aurifères des monts Apuseni. Sur le terrain, on retrouve les castres
    romains d’Apulum (la ville actuelle d’Alba Iulia) et de Potaissa (la ville
    actuelle de Turda), qui seront toutefois érigés un peu plus tard. La frontière
    devait ensuite se poursuivre un peu plus à l’ouest, traversant les départements
    actuels de Cluj et de Salaj, dans la région Porții Meseșene. On suit ensuite son
    tracé vers l’Est, on traverse les montagnes, le défilé Rucăr-Bran, pour arriver
    sur le territoire des départements actuels Argeș et Teleorman, rejoindre
    ensuite le Danube. L’on retrouve ici le limes transalutanus ».









    Mais au
    fond, comment marquaient les Romains cette frontière sur le terrain ? Ovidiu
    Țentea : « Dans l’Antiquité,
    les frontières étaient plutôt des routes à caractère militaire, parcourues par
    les troupes. Il y avait parfois une sorte de matérialisation de la frontière
    sur le terrain, mais parfois aussi cette frontière pouvait ne pas être
    saisissable. Dans le Banat, l’on a retrouvé deux de ces routes antiques de
    frontière. Au départ, elles n’étaient pas fortifiées. Puis, au temps des empereurs
    Trajan et Hadrien, deux lignes de fortifications sont érigées au long de ces
    routes. A la fin du 2e siècle, la frontière se déplace, et l’on perd
    quelque peu ses traces. Mais la partie la plus spectaculaire de cette frontière
    est celle qui est située dans le nord-ouest de la Transylvanie, qui traverse
    les départements de Cluj, Sălaj, et Bistrița, où l’on retrouve encore des ruines des tours de garde, des réseaux de
    routes, le réseau des tours de défense, des fortifications censées abriter les
    troupes. Il s’agissait d’un système de défense complexe, et qui a été bien
    documenté ».









    Le
    limes dacicus était certes une frontière, mais une frontière dès le départ
    provisoire, car l’empire romain avait pour vocation de repousser sans fin ses
    limites. Ovidiu Țentea : « En
    suivant la frontière vers le nord-est, puis vers l’Est, les traces se font
    discrètes. L’on suppose que la frontière suivait par l’intérieur le contour des
    Carpates, frontière naturelle, se limitant à fermer, à contrôler le passage des
    ceux qui traversaient les défilés. Au début de la conquête romaine de la Dacie,
    les troupes devaient être présentes en nombre. C’était pendant la première
    moitié du 2e siècle et jusqu’à la crise dans laquelle a été plongée
    l’empire romain lors des guerres marcomanes. Pendant cette période, il est
    probable à ce que les troupes romaines présentes en cette province eussent
    diminuer. Il s’agissait d’une période marquée par les troubles, l’empire se voyant
    secoué de toutes parts. Mais la diminution des effectifs militaire a dû se
    poursuivre même après la fin des guerres marcomanes, s’agissant d’une tendance
    de fond, présente dans tout l’empire romain. Au début du 2e siècle aura
    lieu la première réorganisation de cette province conquise de Dacie. L’on se
    trouve durant le règne de Trajan. Il s’agissait d’organiser militairement la
    province. Mais c’est l’empereur Hadrian qui procédera à l’organisation administrative
    de la province en plusieurs entités : Dacia Superior, Dacia Inferieur et, plus
    tard, Dacia Porolisensis. La Dacie d’avant la conquête romaine se voit donc
    séparée en trois provinces distinctes, ayant chacune à leur tête un gouverneur.
    Enfin, une nouvelle et dernière réorganisation de cette province aura lieu lors
    du règne de Marc Aurèle. »







    Limes
    dacicus a été la première frontière connue ayant traversée l’espace roumain. Les
    traces qui sont parvenues jusqu’à nos jours font aujourd’hui partie du
    patrimoine historique et archéologique de l’humanité. (Trad. Ionut Jugureanu)

  • La législation psychiatrique et son évolution dans l’espace roumain

    La législation psychiatrique et son évolution dans l’espace roumain

    Les maladies psychiatriques ont depuis toujours soulevé nombre de questions de nature éthique aux sociétés humaines quelles que soient les époques. Trop souvent pourtant, ces sont les malades qui ont fait les frais de l’incompréhension de leurs contemporains eu égard la nature du mal qui les rongeait. L’espace roumain n’a pas constitué non plus un havre de compréhension à l’égard de ce que l’on appelait, il y a peu de temps encore, les « fous ». La justice s’employait pourtant à prévoir les causes et à diminuer les effets des actes commis par ces derniers. L’histoire de la jurisprudence des pays roumains montre toutefois comme tendance lourde la décriminalisation des infractions commises par les malades psychiques. Les premiers codes de loi dont les principautés roumaines s’étaient dotées, en 1646 pour la Moldavie, sous le règne de Basile Lupu, en 1652 pour la Valachie, sous le règne de Matei Basarab, traitent de cette question.

    Le psychiatre Octavian Buda, professeur en histoire de la médecine à l’Université de médecine et de pharmacie Carol Davila de Bucarest détaille le point de vue du législateur de l’époque. Octavian Buda : « Il ne s’agit pas à proprement parler de lois constitutionnelles, même pas d’un code pénal. Il s’agit toutefois d’un recueil de textes légaux censés réglementer diverses activités, y compris en matière juridique. Concernant leur approche dans la matière qui nous occupe, ce qui me semble remarquable est que ces textes légaux précisent qu’un criminel qui montrent des signes apparents de folie ne pourra pas être puni d’office et qu’il faille d’abord évaluer son état de santé mentale. Prenez, je lis dans le texte d’origine, qui dit ceci : « si untel était fou au point de tuer son père ou son fils, qu’il soit exonéré de toute peine, car la peine de la folie dont il est atteint lui suffira ». Bref, au-delà de ce cas précis, il s’agissait en fait de prendre en considération l’état mental du coupable ».

    Le 18e siècle c’est le siècle des Lumières. Grâce aux princes souverains phanariotes, les idées des Lumières d’abord, les réformes législatives ensuite, débarquent dans l’espace roumain. Octavian Buda : « Certains princes phanariotes mettront au point une législation largement compréhensive. Tel Alexandru Ipsilanti en 1780. Callimachi și Caragea ensuite, en 1817. Les princes souverains phanariotes avaient cette coutume d’inviter des médecins étrangers à s’établir à leur cour. Nous sommes à l’aurore de la modernité roumaine, dans la première moitié du 19e siècle, lorsque les sciences connaissent le début de ce qui sera un essor jamais connu jusqu’alors ».

    Les pays roumains sont en effet gagnés par la fièvre de la modernité au début du 19e siècle. Le Règlement organique, soit la première constitution qu’ils aient connue, a été adopté en 1831-1832. Il poursuivait l’œuvre législative déjà engrangée par les législations antérieures. Octavian Buda : « Le Règlement organique jette tout d’abord les bases d’une institution qui précède la création du Collège des médecins, la Commission des médecins, qui s’attache à réguler et à organiser la pratique médicale, en délivrant le droit d’exercice. Cela fait que nul ne pouvait plus exercer à moins d’avoir obtenu le droit d’exercice délivré par cette Commission. Il y avait des médecins expatriés d’origines grecque et italienne qui exerçaient déjà dans l’espace roumain à l’époque. Cette élite médicale devra dorénavant composer et s’adapter à son public, offrir ses services et s’avérer capable de communiquer avec une population rurale assez traditionaliste et plutôt réticente face aux pratiques médicales nouvelles ».

    La première institution de soins psychiatriques sera fondée en 1838, et s’appellera l’hospice Mărcuța. Octavian Buda : « C’était durant le règne d’Alexandre Ghica que les choses commencent à prendre leur forme. L’hospice Mărcuța est fondé alors que l’institution monastique entre sous l’autorité du ministère de l’Intérieur. Et c’est au sein de ce ministère que l’on commence à comprendre la nécessité de fonder une telle institution. Mărcuța est tout d’abord dirigé par le docteur Minis, médecin d’origine grecque, qui avait suivi sa formation en médecine en Allemagne, à Leipzig. Ensuite, ce sera le tour du docteur Nicolae Gănescu de prendre sa direction, qui avait suivi la faculté de médecine d’Kharkov. Ce médecin mettra ce que l’on peut appeler les bases de l’intervention psychiatrique. L’on est déjà autour de 1850. Partisan de l’ergothérapie, le docteur Nicolae Gănescu impose l’emploi de méthodes plus humaines pour la contention des patients, il utilise des sangles en laine, pour éviter de faire mal au patient. Il essaye aussi d’utiliser les ondes électromagnétiques dans ses traitements, des machines et des techniques modernes. L’époque du docteur Nicolae Gănescu sera ensuite suivie par celle d’Alexandre Suțu, issu de la célèbre famille homonyme de princes phanariotes. Il pouvait se targuer des études suivies à Athènes et Paris. Ce médecin publiera en 1877 son tome intitulé « L’aliéné devant la médecine et la société », qui constitue de fait le premier traité de psychiatrie sociale et judiciaire ».

    Reconnue en tant qu’Etat indépendant en 1878, la Roumanie poursuivra la mise au point de ses politiques sanitaires et judiciaires adéquates. Et la psychiatrie gagne progressivement ses galons pour devenir une branche à part entière de la médecine. (Trad. Ionut Jugureanu)