Tag: histoire

  • Une autre histoire de la littérature roumaine

    Une autre histoire de la littérature roumaine

    En 2020, en pleine pandémie, un effort collectif considérable et précieux s’est matérialisé à travers le vaste ouvrage en cinq volumes intitulé «Encyclopédie des imaginaires» et publié aux Editions Polirom. Réalisée par des écrivains et des universitaires, l’ouvrage prend la perspective de l’imaginaire pour traiter de cinq domaines de la culture roumaine : la littérature, l’histoire, la religion, la linguistique et les arts. Concept qui dépasse la notion d’imagination ou de fantaisie – considérée comme créatrice d’illusions, de fictions ou de mondes fictifs – l’imaginaire est devenu un objet d’étude académique depuis de nombreuses années en Roumanie ; on l’apprend de Corin Braga, le coordonnateur du volume consacré à la littérature: « L’imaginaire est une fonction qui structure nos formes de connaissance, comme le font la raison et les sens. Il est très important pour comprendre comment nous nous rapportons au monde. Il y a un imaginaire social, il y en a un collectif, mais il existe aussi des imaginaires individuels. À leur tour, ces imaginaires collectifs peuvent être divisés en catégories: imaginaire littéraire, historique, du théâtre, artistique. Il existe même un imaginaire religieux et un autre géographique, voire même un imaginaire linguistique. C’est ainsi que nous avons structuré cette encyclopédie en ses cinq volumes. Le premier volume renvoie à l’imaginaire littéraire, donc aux représentations qui structurent les visions et les univers imaginaires des pièces de théâtre, romans et poèmes qui constituent la littérature roumaine. »

    Le volume sur l’imaginaire littéraire contient 20 chapitres écrits par 20 auteurs différents, sous la coordination de Corin Braga. Le premier chapitre fait référence au folklore, à une littérature décrite du point de vue des images qui créent l’univers particulier des créations populaires. Il s’agit donc d’une approche différente de l’histoire littéraire traditionnelle, ordonnée selon le critère chronologique, ou de celle thématique, ordonnée autour de quelques idées, explique Corin Braga. « Les histoires littéraires couvrent généralement des périodes plus ou moins longues, selon les centres d’intérêt – des siècles ou des courants littéraires – et on parle ainsi de la littérature ancienne, de la littérature du XVIIIe siècle, de l’illuminisme, du romantisme et de la littérature de la période de la Révolution de 1848, pour en arriver à l’époque des grands classiques et à la littérature de l’entre-deux-guerres et à celle de l’après-guerre. Mais, dans la perspective de cette encyclopédie d’imaginaires et de concepts, sans laisser de côté la chronologie traditionnelle, nous avons structuré la matière d’une manière différente: en constellations de symboles qui circulent à travers les époques, passant d’un courant littéraire à l’autre et que l’on retrouve aussi bien au XVIIIe siècle qu’au XXe. Par exemple, après ce premier chapitre consacré à l’univers du folklore, nous avons un autre article consacré à l’imaginaire religieux dans la littérature roumaine. Et nous partons de textes qui sont plus religieux que littéraires, écrits par Dosoftei et Antim Invireanul aux XVIIe et XVIIIe siècles, et nous arrivons jusqu’au XXe siècle avec tous les écrivains qui ont trouvé l’inspiration dans la religion. Là, je fais référence aux «Psaumes» de Tudor Arghezi, aux poèmes de Lucian Blaga, d’Ioan Alexandru ou de Vasile Voiculescu. Nous nous sommes intéressés aux constellations de symboles qui composent un système, car ils ne sont pas rassemblés au hasard, pour voir comment ils évoluent jusqu’à présent. »

    La littérature d’inspiration historique, par exemple, bénéficie de la même approche que la littérature religieuse dans «L’Encyclopédie des imaginaires roumains». La diachronie n’est pas totalement abandonnée, l’évolution dans le temps est également observée, mais les catégories trop limitatives – qui ne permettent pas la transgression de certains concepts – sont brisées, explique le professeur des universités Corin Braga: Nous avons plusieurs articles consacrés à l’illuminisme et à l’imaginaire rationnel et culturel des illuministes. Un autre chapitre traite de l’imaginaire levantin, balkanique, d’inspiration orientale de notre littérature, un autre qui renvoie à l’imaginaire romantique ou un autre qui renvoie à l’imaginaire du décadentisme. Prenons, à titre d’exemple, le courant romantique et ses phases: il a une forme de préromantisme, une forme de romantisme militant ou de la Révolution de 1848, avec Eminescu nous atteignons le grand romantisme, ayant en lui un grand romantique de la taille de Novalis ou de Byron. Mais ensuite les influences ou les thèmes romantiques – comme le rêve, la bien-aimée ou les fantômes – se retrouvent toujours dans notre littérature, même après la dissipation du romantisme. On les retrouve, par exemple, chez l’écrivain contemporain Mircea Cărtărescu. Il utilise une imagination onirique et des représentations de rêves qui dérivent quelque part d’Eminescu. De la même manière, il y a eu un groupe de poètes oniriques qui, à travers Leonid Dimov et Dumitru Țepeneag, revendiquait la grande rêverie romantique, même s’il avait ses propres définitions.

    Par conséquent, «L’Encyclopédie des imaginaires roumains» offre non seulement une nouvelle approche de l’histoire de la culture roumaine, mais aussi de nouvelles interprétations du lien entre le présent et le passé dans la littérature, et bien plus que cela. (Trad. : Felicia Mitraşca)

  • Le musée du communisme de Târgoviște

    Le musée du communisme de Târgoviște

    Une
    incursion dans la très complexe histoire de la ville de Târgoviste
    (dans le sud de la Roumanie) ne serait jamais complète sans une
    halte dans un des plus récents musées de la ville : le musée
    du Communisme, aménagé dans l’ancienne base militaire située près
    de la gare. Nous écoutons Ovidiu Cârstina, directeur du Complexe
    national muséal de la Cour princière parler de ce musée et de son
    histoire : « Certes,
    il est de notoriété qu’en décembre 1989, les époux Ceausescu ont
    été jugés et exécutés à Târgoviste, dans un bâtiment
    construit au début du 20e
    siècle pour abriter l’Ecole de cavalerie – un projet initié par
    le roi Carol Ier.
    L’école a fonctionné jusqu’en 1947, pour devenir ensuite base
    militaire, soit l’Unité militaire UM 01417 de Târgoviste. »

    Sachez
    que la ville de Târgoviste est surtout connue pour son héritage
    moyenâgeux, pour les lieux de culte et les ruines des cours
    princières datant des 15e
    et 16e
    siècles, lorsque la ville était la capitale de la Valachie. Ovidiu
    Cârstina nous fait part de l’idée derrière la création de ce
    musée : « Vu l’intérêt croissant des touristes étrangers, nous avons
    ouvert ce musée en 2013, suite à une décision du Conseil
    départemental de Dâmbovita de permettre au grand public d’accéder
    à cet espace étroitement lié à notre histoire récente. C’est un
    endroit qui invite à réfléchir aux événements de 1989 et à
    notre situation actuelle et à ce que nous voulons devenir à
    l’avenir. Tous ceux qui franchiront le seuil de cette exposition que
    nous avons nommé « Les métamorphoses d’un lieu de la mémoire »,
    découvriront un intérieur entièrement préservé depuis le moment
    du procès et de l’exécution des Ceausescu. L’exposition est
    toutefois consacrée à l’idée de la métamorphose parce que nous
    avons souligné la longue histoire de cet espace depuis l’époque de
    l’Ecole de cavalerie et jusqu’au moment 1989. Notre grande chance a
    été la délocalisation de la base militaire et la conservation
    parfaite de ses locaux depuis 1990. »


    Le
    procès et l’exécution du couple dictatorial Nicolae et Elena
    Ceausescu a eu lieu dans les circonstances des événements
    révolutionnaires de Roumanie, déroulés du 16 au 25 décembre 1989.
    La condamnation à mort a été prononcée par un tribunal militaire
    exceptionnel. Les époux Ceausescu ont été placés en détention à
    Târgoviste, dans les locaux de cette facilité militaire, du 22
    décembre 1989, lorsqu’ils avaient perdu le pouvoir et fui Bucarest
    et jusqu’au 25 décembre lorsqu’ils furent exécutés. Ovidu
    Cârstina explique ce que les touristes peuvent voir actuellement :« Pratiquement, le visiteur, le touriste, découvrira 3 espaces
    intérieurs qui ont été réaménagés en décembre 1989, du jour au
    lendemain, pour ainsi dire : il s’agit d’une pièce où les
    officiers du renseignement traitaient la correspondance spéciale et
    dans laquelle ils ont été obligés d’introduire 3 lits pour
    pouvoir héberger le couple dictatorial et leur garde de corps, un
    l’officier de la Securitate, l’ancienne police politique. Ce dernier
    les a accompagnés constamment, sans savoir qu’ils n’allaient pas
    rentrer à Bucarest et qu’ils allaient séjourner à Târgoviste du
    22 au 25 décembre, soit 4 jours et 3 nuitées. L’espace dans lequel
    a eu lieu leur procès est assez familier pour de nombreux Roumains,
    qui ont visionné le procès des Ceausescu la nuit du 25 au 26
    décembre 1989. En plus, l’espace dans lequel il a été reçu pour
    quelques minutes après le moment de la visite médicale avant le
    procès est également reconnaissable. S’y ajoute l’extérieur, et là
    je parle précisément du mur devant lequel les deux ont été
    exécutés par balles et qui a été mis en valeur par les soins des
    restaurateurs, pour que les visiteurs puissent voir les traces que
    le peloton d’exécution a laissées. Certes, l’exposition proprement
    dite est liée au désir des gens de découvrir cet espace, qui
    s’inscrit dans toute une série de lieux symboliques de l’histoire du
    communisme roumain parmi lesquels figurent la Maison du Peuple. Je
    vous laisse découvrir dans les cahiers d’impressions ce que les
    visiteurs pensent actuellement de la manière dont ce procès fut
    mené, de l’exécution des époux Ceausescu et de ce qu’elle a
    signifié pour la Roumanie ces 30 dernières années. »

    Voilà
    donc autant d’arguments pour franchir le seuil du musée du
    Communisme de Târgoviste, une occasion de faire une incursion
    inédite dans l’histoire récente de la Roumanie, de découvrir un
    endroit symbolique, chargé aussi de controverses. Un voyage pour le
    moins pas comme les autres. (trad.Alex Diaconescu)

  • La présence russe sur le territoire roumain durant la Grande Guerre

    La présence russe sur le territoire roumain durant la Grande Guerre


    La première
    guerre mondiale a vu la Roumanie rejoindre le camp des Alliés à
    l’été 1916. Défaite vers la fin de la même année par les
    Puissances Centrales, l’armée roumaine se voyait obligée
    d’abandonner la partie sud du territoire national, soit l’ancienne
    province historique de Valachie, avec la capitale, Bucarest, pour se
    retirer vers l’Est, en Moldavie, où elle comptait poursuivre le
    combat, aux côtés du million de militaires russes, mobilisés pour
    l’occasion. L’année suivante pourtant, en 1917, la Russie était
    frappée par des troubles internes qui allaient déboucher sur la
    Révolution bolchévique du mois d’octobre. L’armée russe,
    secouée à son tour par ces bouleversements, était dans un état de
    déliquescence.


    L’historien
    Șerban Pavelescu, chercheur à l’Institut d’études politiques
    de Défense et d’Histoire militaire, et auteur du volume intitulé
    « L’allié ennemi », vient d’éditer les mémoires
    inédits des deux généraux russes, Nikolai A. Monkevitz și
    Aleksandr N. Vinogradski, participants au front roumain durant les
    années 1917- 1918. A travers la plume de ces généraux se dessine
    l’atmosphère qui régnait pendant ces années-là, et c’est
    l’occasion d’apprendre beaucoup de choses sur la nature des
    relations humaines qui avaient cours en cette période, ou encore sur
    les nouvelles du front. Șerban Pavelescu explique la délicate
    position tenue par la Roumanie, prise en tenaille entre deux géants,
    l’ennemi allemand et l’allié russe : « La
    Roumanie s’était montrée d’emblée réticente à s’allier à
    la Russie. Il y avait un certain passif, issu de l’histoire de
    cette relation compliquée. La Roumanie s’était d’abord liée
    par un pacte secret à l’Autriche-Hongrie et à l’Allemagne en
    1883, l’objectif en étant de contrer justement le poids de ce
    voisinage menaçant que représentait le colosse russe. D’un autre
    côté, une fois la Première guerre mondiale éclatée, nous
    voulions nous allier à la France et à la Grande-Bretagne et, à
    partir de là, par le jeu des alliances, la Roumanie s’est vu
    obligée à s’allier aussi avec la Russie. »


    L’aventure
    d’une alliance pas comme les autres, qui évoluait sur la corde
    raide, parfois sous respiration artificielle, maintenue en vie grâce
    aux pressions de la France, qui avait besoin de cette alliance sur le
    front de l’Est. Șerban Pavelescu : « Les
    relations entre les deux commandements militaires, roumain et russe,
    ont été correctes au départ, même si elles n’ont pas été
    dépourvues d’aléas. Mais l’alliance militaire avait plutôt
    bien fonctionné, sans défection majeure, et cela jusqu’à la
    révolution russe du mois de février 1917. Certes, la présence et
    les démarches entreprises en ce sens par la Mission militaire
    française, dirigée par le général Henri Mathias Berthelot, ont
    compté pour beaucoup. Car la Mission française avait, d’une part,
    entrepris de former les contingents de l’armée roumaine, mais elle
    faisait beaucoup aussi en matière de bonnes offices, pour faire
    fonctionner au mieux l’alliance roumano-russe. La Mission française
    surveillait le transport des équipements, des munitions et des
    fournitures militaires, qui devaient nourrir le front, en arrivant
    par une route détournée, qui traversait la Russie, depuis la
    ville-port de Mourmansk.
    Et
    des membres de la Mission françaiseétaient
    présents tout au long de cette route, à chaque nœud ferroviaire,
    s’inquiétant de ce que le matériel arrive au complet à
    destination. »

    Malgré
    tout, les suspicions roumaines et l’arrogance russe, qui
    entichaient cette alliance de raison, n’avaient pas disparu comme
    par enchantement pour autant. Șerban Pavelescu :« Lorsqu’ils
    étaient entrés en guerre, les Russes l’avait dit haut et fort aux
    Français : pour eux, le front roumain était un non-sens, car
    indéfendable. La demande roumaine et l’engagement pris par les
    Alliés de maintenir en vie le front sud leur semblaient carrément
    intenables. Les Russes avait d’ailleurs fixé leur ligne de front
    idéale le long de la rivière Siret, excluant du coup le territoire
    roumain. Ensuite, il est clair que l’armée russe avait réagi avec
    beaucoup de lenteur, au moment où l’armée roumaine était aux
    prises avec les armées ennemies dans les Carpates, ensuite pour
    tenir le front sur les rivières Jiu et Olt. Qui plus est, les Russes
    montrèrent tardivement le bout de leur nez lors de la bataille de
    Bucarest, alors que pour la défense de la Dobroudja ils n’avaient
    envoyé que quelques unités de sacrifice, parmi lesquelles s’était
    notamment distinguée l’héroïque division serbe, qui a perdu la
    moitié de ses effectifs, sans pour autant arrêter l’avancée de
    l’ennemi. »


    Et
    s’il était évident que l’alliance roumano-russe n’était pas
    toujours au beau fixe, les volumes de mémoires des deux généraux
    montrent la bonne préparation des militaires russes engagés sur ce
    front, une armée qui disposait, paraît-il, de nourriture,
    d’armement et de munitions, et qui avait été préservée des
    conséquences des pandémies de grippe espagnole et de typhus ayant
    sévi à l’époque. Mais la révolution du mois de février 1917
    allait tout bouleverser. La propagande bolchévique avait commencé à
    faire son lit parmi les soldats russes, conduisant à la
    désorganisation des unités et de la chaîne de commande, sur fond
    de délitement de la discipline militaire. Et c’est ainsi que
    l’offensive lancée par les armées allemande et austro-hongroise à
    l’été 1917 sera arrêtée finalement par les efforts surhumains
    déployés par la seule armée roumaine, alors que dans le Nord, en
    Ukraine, des unités entières de l’armée russe désertaient et
    rendaient leurs armes face à l’ennemi. Șerban Pavelescu décrit
    l’impact de la révolution russe sur les relations entre les deux
    alliés, devenus très vite ennemis :« L’armée
    russe devient du jour au lendemain un allié très peu fiable et peu
    sûr pour les Roumains. Pas plus tard qu’à l’automne 1917,
    l’armée russe arrive à être carrément perçue comme armée
    ennemie par les autorités roumaines. En effet, une grande partie des
    troupes russes se trouve derrière le front, concentrée près de la
    ville de Iaşi, dans la zone de Nicolina. Et là, les agissements des
    bolcheviques, des comités révolutionnaires qu’ils avaient montés
    suite à la révolution d’octobre 1917, menaçaient directement les
    structures politiques et l’administration roumaine, refugiés dans
    la ville de Iasi, après l’occupation de Bucarest par les troupes
    des Puissances centrales, fin 1916. L’hiver 1917/1918 verra les
    troupes roumaines obligées de réagir à l’encontre de son ancien
    allié, pour le forcer à quitter le territoire national, et
    l’empêcher d’emporter les armes et les munitions destinées au
    front. Et c’est ainsi qu’en 1918, l’armée roumaine mènera
    plusieurs opérations de guerre contre des bandes de soldats russes,
    devenues entre temps des milices révolutionnaires, occupées à
    mettre à feu et à sang les zones qu’elles occupaient. »


    La
    fin de la guerre trouvera la Roumanie et la Russie, anciennement
    alliées, épuisés. Mais elle les retrouvera surtout engagées dans
    des voies de société différentes. L’une s’engagera sur la voie
    de la dictature communiste, l’autre sur celle de la démocratie
    libérale. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

  • “La naissance du colonialisme vert”

    “La naissance du colonialisme vert”

    Cette semaine nous allons discuter d’un ouvrage très intéressant intitulé La naissance du colonialisme vert . Pour en finir avec le mythe de l’Eden africain, avec son auteur qui est historien et maître de conférence à Rennes . Dans ce premier volet nous allons voir que la question de la nature est loin d’être nouvelle, qu’elle a donné lieu à des impositions qui remontent à l’époque de la colonisation.



  • Les plus beaux musées de Târgovişte

    Les plus beaux musées de Târgovişte


    Chers amis, aujourdhui nous vous invitons à découvrir la ville de Târgovişte via ses musées. Sise à 80 km de Bucarest, dans le sud du pays, cette ville a été trois siècles durant la capitale de la province roumaine de Valachie. Doù son riche patrimoine culturel et historique. Les ruines de la forteresse et de la Cour princière sont un important repère de la ville.



    En fait, elle réunit tout un Ensemble de musées de la Cour princière, dont nous parle Ovidiu Cârstina, son directeur : « Nous sommes très heureux de vous accueillir aujourdhui et de faire connaître au monde entier tout ce que Târgovişte peut offrir dun point de vue culturel et touristique. Lhéritage de cette ville est incontestable, il est lié à une histoire fabuleuse compte tenu ne serait-ce que du fait que 300 années durant, elle a été la capitale de la Valachie. Son patrimoine est riche non seulement par ses bâtiments historiques, mais aussi par lhistoire écrite, par les documents qui y ont été imprimés. Et pour cause, cest à Târgovişte que furent imprimés les premiers livres de lespace roumain et de lEurope du sud-est à compter de lannée 1508. Qui plus est, bien quelle cesse dêtre capitale en 1714, la ville continue sa tradition militaire, mise en valeur dans les deux conflagrations mondiales. Et il ne faut pas oublier non plus les livres imprimés à Târgovişte dans le domaine de la culture. »



    Nous avons demandé à Ovidiu Cârstina de nous présenter les musées qui forment lEnsemble de musées de la Cour princière de Târgovişte : « En ce moment, le Complexe muséal national de la Cour princière de Târgovişte réunit 15 musées et la Grotte de Ialomiţa du massif de Bucegi. Elle se trouve tout près de la ville et cest un monument de la nature très important. Voilà donc, les touristes peuvent découvrir la culture de la ville et aussi profiter de la nature et des montagnes avec tout ce que les monts de Bucegi offrent, dont le plateau de Padina-Peștera ou les fameuses formations rocheuses appelées le Sphynx ou Babele (les Vieilles femmes). De retour dans la ville, les visiteurs peuvent découvrir la Cour princière avec ses principaux monuments : la Tour de Chindia, la Grande église princière et les ruines des deux palais princiers. Cest un endroit très spécial, car on peut voir les différentes étapes de la construction de ces monuments et lempreinte laissée par chaque voïvode et par chaque siècle. Et je me dois de vous parler aussi de la richesse des musées de Târgovişte. Nous vous invitons au Musée de limprimerie et du livre roumain ancien qui recèle une impressionnante collection de livres. Puis, le Musée dhistoire vous montrera tout ce que cet espace a signifié depuis le Paléolithique jusquà la Grande Union (des Principautés roumaines) de 1918. Allez voir aussi le Musée dart, accueilli par un bâtiment monument très intéressant, construit en 1895 par des bâtisseurs italiens (…) Je vous invite également au Musée des écrivains de Dâmboviţa, qui présente une exposition très spéciale dans la maison musée de lécrivain Ioan Alexandru Brătescu-Voinești. Elle vous fera découvrir entre autres la poète et écrivaine Elena Văcărescu, la dynastie des hommes de lettres de la famille Văcărescu et la génération appelée « lEcole des prosateurs de Târgovişte ». On peut y admirer des objets personnels de lécrivain Ioan Alexandru Brătescu-Voinești et de Ion Heliade-Rădulescu, un autre grand nom de la culture roumaine. »



    Nous continuons notre balade à travers Târgovişte et nous arrivons dans le centre historique de la ville qui recèle de petits joyaux darchitecture dans ses ruelles paisibles. Ovidiu Cârstina nous en parle : « Jinvite tout visiteur à se promener dans la ville et à découvrir son centre historique. Cest une zone très intéressante, pas trop étendue, mais qui rappelle le fait que Târgovişte avait été surnommée la Florence de la Valachie par lécrivain Mircea Horia Simionescu. Il y a des restaurants ouverts dans des bâtiments historiques, des églises datant du Moyen Age, du 17e et du 16e siècles. On peut y visiter le musée Vasile Blendea. Il abrite une grande partie des créations laissées par lartiste à la ville : art graphique, peintures et sculptures. Dailleurs, Vasile Blendea est un nom important de la culture roumaine, car il avait été ami de Brancusi. Ils sétaient rendus ensemble à Paris, sauf que Blendea est rentré au pays. Mais ils avaient passé leur enfance ensemble et leur lien était très fort. Toujours au centre-ville, rue Bărăției, il y a une toute petite maison très coquette. Cest latelier de Gheorghe Petrașcu. Lartiste a vécu une bonne partie de sa vie à Târgovişte, attiré par le charme de la ville. Cest pourquoi, dans ses toiles, cette ville est tout à fait impressionnante. Ces œuvres nous rappellent que cest une ville où la culture abonde. Et ce nest pas tout. On peut y visiter aussi le Musée de lévolution de lhomme et de la technologique au Paléolithique, un concept très intéressant. Le musée recèle des objets vieux de 10.000 ans, découverts sur le territoire de la Roumanie, qui vous transporteront dans le passé pour vous faire découvrir les débuts de notre existence en tant quêtres humains. »



    Et on ne saurait conclure notre balade dans cette ancienne capitale valaque sans faire une petite halte recommandée par Ovidiu Cârstina : « Moi je ne me limiterais pas à Târgovişte, je ferais une incursion dans les alentours de la ville, puisquà seulement 4 km se trouve le monastère de Dealu, lendroit où est inhumée la tête du prince Michel le Brave et où sont enterrés de nombreux autres princes valaques. Ce monastère est un autre symbole de la culture roumaine, car cest là que furent imprimés les premiers livres roumains en 1508, 1510 et 1512 par le moine Macarie, celui qui allait devenir plus tard le métropolite de la Valachie ».



    Voilà, chers amis, autant de raisons de visiter la ville de Târgovişte, symbole de lhistoire et de la culture roumaines. (Trad. Valentina Beleavski)




  • Arlette Coposu

    Arlette Coposu

    Les femmes ont souffert dans les prisons communistes autant que les hommes. Ce fut le cas parmi beaucoup d’autres d’Arlette Coposu, l’épouse du détenu politique Corneliu Coposu, qui a purgé 14 ans de prison en raison de ses convictions et de celles de son époux. Arlette Coposu a été tout aussi intègre, intelligente et dévouée que son célèbre époux, l’homme politique Corneliu Coposu.

    L’histoire de la vie de Corneliu Coposu a été amplement racontée et analysée après la chute du communisme en 1989. Il est d’ailleurs un modèle de la renaissance de la démocratie roumaine et de la souffrance dignement assumée durant l’époque communiste. Secrétaire personnel du grand homme politique roumain Iuliu Maniu durant l’entre deux guerres, Corneliu Coposu a passé 17 ans et demi dans les prisons communistes, de 1947 à 1964, dont 8 ans en isolement. En décembre 1989, alors que la révolution anti-communiste était en plein déroulement, ce fut lui qui aux côtés de plusieurs survivants des prisons communistes, ont rebâti le Parti national paysan chrétien démocrate. Mais Arlette Coposu est moins connue du grand public. Victime des horreurs du communisme, la destinée d’Arlette a été encore plus injuste que celle de son époux, surnommé Seniorul »/« Le Sénior », par ses camarades de parti d’après 1989. Après l’arrestation de Corneliu Coposu le 14 juillet 1947, Arlette a été évacuée de leur maison et a dû s’installer chez sa belle famille. En 1950, aux côtés de sa sœur, France, Arlette a été a été arrêtée et condamnée à 14 ans de prison, étant accusée d’espionnage en faveur de la France. Sa sœur, France, meurt en prison et Arlette, même si elle survit au système carcéral communiste, meurt en 1966 emportée par un cancer, deux ans seulement après sa mise en liberté et les retrouvailles avec son époux. Après le décès de sa femme, Corneliu Coposu ne s’est jamais remarié et n’a pas eu d’enfants.

    Arlette Marcovici, future Arlette Coposu, est née en 1915 à Constanta, sur la côte roumaine de la mer Noire. Son père était le général Ion Marcovici et sa mère d’origine franco-suisse s’appelait Jeanne Huser. Arlette a eu trois sœurs : Odette, issue du premier mariage de son père, France et Antoinette. La famille Marcovici possédait à Constanta un hôtel sur la côte qui s’appelait « Hotelul Francez »/ « L’hôtel français » et ce fut là qu’Arlette Marcovici et Corneliu Coposu se sont rencontrés pour la première fois en 1941. Ils se sont mariés le 24 octobre 1942 et ont vécu ensemble pendant seulement 5 ans, jusqu’à l’arrestation de Corneliu.

    Beaucoup de gens parlent de ce que Corneliu Coposu a signifié dans l’histoire de la Roumanie, et il a certainement été une personnalité remarquable. Certains historiens pensent que la démocratie en Roumanie aurait été beaucoup plus difficile à reconstruire si son personnage n’avait pas survécu au régime communiste. Mais pour mieux connaître la personnalité d’un homme de la taille du « Senior », il est très important d’aller au-delà du personnage politique et de regarder de plus près ses sensibilités et ses proches. Ionuț Gherasim, président de la fondation «Corneliu Coposu», a présenté un portrait de l’épouse de Corneliu Coposu, Arlette, réalisé par Flavia Bălescu-Coposu, sa belle-sœur : « Le nom d’Arlette est entré dans la maison de notre famille d’une façon aussi soudaine que surprenante. C’était au printemps 1941, quand nous nous étions réfugiés loin de chez nous. Mon père était revenu de Bucarest où il avait assisté à une réunion avec l’archevêque Andrea Casulo, le nonce papal. Après la conférence, mon père a rencontré Cornel, qui était accompagné d’une jeune femme blonde aux yeux bleus. Elle parlait la plus belle langue roumaine, le roumain littéraire, sans aucun accent provincial. Elle avait un visage lumineux et un regard direct. Papa nous a dit qu’il était sûr qu’elle serait l’épouse de Cornel. Sur le calendrier, leur mariage a duré 24 ans, mais ils n’ont vécu ensemble que 6. Elle a vécu peu de temps à nos côtés, mais nous l’avons aimée, admirée, elle était vraiment l’incarnation du nom Arlette (« Honneur ») tel qu’il apparaît dans le dictionnaire: compétente, active, sympathique, généreuse, attentive, sérieuse, créative, tempéramentale. »

    L’historienne Andreea Mâniceanu est l’autrice d’une biographie consacrée à Arlette Coposu. Pour l’écrire, elle a passé des dizaines d’heures en compagnie de Flavia Bălescu-Coposu et de Rodica Coposu, les sœurs de Corneliu Coposu et les belles-sœurs d’Arlette Coposu, qui ont raconté des tas de choses sur la relation entre les Corneliu et Arlette, elle a vu des photos et des documents des archives familiales. Le résultat en est un volume de micro-histoire dont Andreea Mâniceanu est très contente, car elle a réussi à trouver pour son héroïne une place dans l’histoire récente de la Roumanie et dans la galerie des femmes qui ont défendu leur honneur contre le mal et ont trouvé la force de regarder vers l’avenir : «Une histoire de vie est continuée. C’est une histoire de vie car Arlette Coposu était un exemple de dignité et de simplicité. C’était une femme extraordinaire, son courage et sa foi étaient inébranlables. En regardant la photo prise le jour de sa sortie de prison, après 14 ans de tourment dans les geôles communistes, Arlette trouve la force de sourire. C’est une photo sur laquelle une femme, après plus d’une décennie de souffrance, trouve cette force de continuer à regarder avec optimisme vers l’avenir. Si ce n’était que cela et son histoire a mérité de ne pas être oubliée par l’histoire. »

    La tragédie d’Arlette Coposu est peu connue des Roumains d’aujourd’hui. Mais justice lui a été tout de même rendue, d’une certaine manière, à travers les deux bustes de son mari et le nom d’un boulevard, à Bucarest, et à travers d’autres monuments du pays. (Şt.B)

  • Voyage au département de Neamţ

    Voyage au département de Neamţ

    Aujourd’hui nous voyageons dans le nord-est de la Roumanie, plus précisément dans le comté de Neamţ. Les nombreux monuments historiques et religieux, mais aussi les superbes paysages à retrouver dans la région de collines et de montagne du département de Neamţ constituent autant de raisons de visiter cette contrée de la région historique de Moldavie. Qui plus est, dans cette région, vous aurez l’occasion de visiter la réserve de bisons d’Europe et de faune des Carpates Dragos Voda, un endroit idéal pour les familles avec enfants, mais aussi pour les passionnés de photographie.

    Le premier document qui évoque cette ville date de 1388 et parle de « la pierre de Noël ». En fait, Piatra Neamţ s’est développé notamment après l’installation de la Cour princière du voïvode Etienne le Grand, (1457 – 1504). De nos jours, ses ruines sont à retrouver dans le centre historique de la ville. Piatra Neamţ est un important point de départ soit pour les itinéraires qui mènent à la station de Durău, soit vers les merveilleuses Gorges de Bicaz, ou vers Târgu Neamţ, suivant la route des monastères, comme on l’appelle.

    Alina Ferenţ, du centre national de promotion et d’information touristique Piatra Neamţ : « Piatra Neamţ est une ville qui propose de nombreuses variantes de loisirs aux touristes, qu’il s’agisse de passionnés du tourisme culturel, d’aventure ou historique. Il existe de nombreuses attractions à découvrir, tant dans la ville qu’aux alentours. Sur une quarantaine de kilomètres à la ronde, les touristes peuvent choisir parmi une multitude d’excursions. Vous auriez l’occasion de découvrir des monastères vieux de plusieurs siècles, qui préservent des musées dont les collections réunissent des objets de culte de très grande valeur, des livres anciens ainsi que des ateliers dans le cadre desquels travaillent des moines et des religieuses. Des repas traditionnels y sont également organisés. Donc les passionnés du tourisme œcuménique bénéficient d’une offre richissime. Les passionnés de nature et d’aventure seront ravis d’apprendre que la ville de Piatra Neamţ est entourée de montagnes où ils auront la possibilité d’entreprendre de nombreuses randonnées à travers des réserves naturelles à part. Le lac Cuejdel est un lac assez récent qui peut devenir la destination d’une telle randonnée sauvage. Les Gorges du Bicaz, uniques en Roumanie, avec des rochers hauts de plus de 300 mètres, qui bordent la route, offrent un véritable spectacle naturel. Le département de Neamţ accueille la réserve de bisons d’Europe de Dragoş Vodă, près de la ville de son chef-lieu. Neamţ est l’unique département de Roumanie, où il y a des bisons d’Europe élevés en conditions de liberté et de semi-liberté, dans un enclos d’acclimatation et au Zoo. Des bisons d’Europe en liberté peuvent être observés au cours d’un safari dans une région située à seulement 30 kilomètres de la ville de Piatra Neamţ. Après un tour des musées et du centre historique, les touristes se dirigent vers les alentours et en soirée ils rentrent pour profiter de l’atmosphère paisible d’une ville de montagne, mais avec d’excellentes conditions d’hébergement ».

    Agapia est un des monastères les plus visités du comté de Neamţ. Il s’agit d’un édifice datant de 1647. Ce qui suscite l’intérêt des visiteurs à Agapia, c’est la peinture intérieure de l’église et les icônes plus ou moins grandes. L’église a été peinte dans le style néoclassique de l’époque. Le grand peintre roumain Nicolae Grigorescu était âgé de seulement 20 ans lorsqu’il a réalisé ces peintures à partir de gravures en noir et blanc et suivant le modèle de plusieurs chefs d’œuvre de la Renaissance. Poursuivons notre itinéraire aux côtés d’Alina Ferenţ du Centre national de promotion et d’information touristique de Piatra Neamţ. « A Piatra Neamţ il y a aussi un parc aquatique qui attire en été des visiteurs de toute la région de Moldavie. Il y a aussi une télécabine dont le point de départ se trouve près de la gare et qui arrive jusqu’au mont Cozla, d’où un panorama superbe s’ouvre sur sur la ville. Le massif de Ceahlău est également visible. Celui-ci se trouve aussi dans le département de Neamţ et des itinéraires touristiques le traversent. On peut monter jusqu’au sommet de Toaca et même passer une nuit au chalet de Dochia. Il y a nombre de raisons pour lesquelles les touristes peuvent venir visiter la ville de Piatra Neamţ et le département de Neamţ. C’est une région qui préserve soigneusement ses traditions. S’y ajoutent les loisirs modernes, dont des Via Ferrata dans les Gorges de Sugau dans les Gorges de Bicaz. »

    Les personnes intéressées par les objets d’artisanat et d’ethnographie devraient commencer par une visite au Musée d’ethnographie de Piatra Neamţ, affirme Alina Ferenţ, du Centre national de promotion et d’information touristique de Piatra Neamţ : « Il est très beau et vient d’être restauré. Les touristes peuvent y découvrir les traditions roumaines, structurées sur les quatre saisons. S’y ajoutent les nombreux musés du village qui possèdent des collections d’objets du monde paysan roumain. Nous organisons un festival qui s’appelle « Le Coffre de dot », d’habitude à la fin mai, et qui réunit des artisans de tout le pays. Ils s’installent dans le centre-ville et confectionnent et vendent des objets traditionnels. Le musée Popa, dans la localité de Târpesti, située près de la maison-musée de l’écrivain roumain Ion Creangă, possède aussi une collection à part d’objets artisanaux. Des rencontres avec les artisans sont également possibles dans le cadre d’une réunion au Centre de culture et d’arts Carmen Saeculare, où un groupe de femmes confectionnent des vêtements d’après des modèles de jadis. »

    Alina Ferenț, du Centre national de promotion et d’information touristique Piatra Neamţ, affirme que la contrée a aussi une identité gastronomique spécifique :« Tout le monde sait que la Moldavie préserve ses recettes anciennes. Certaines ont été améliorées et réinventées. Parmi nos plats traditionnels, rappelons la fricassée moldave, les soupes aigres faites avec du borş, eau de son fermenté dans des barriques en bois, à la manière dont il était préparé par nos grands-parents. Un autre produit du terroir est la truite fumée dans des branches de sapin, spécifique aux régions de montagne. Elle est préparée par tous les élevages de truites de la région, assez nombreux d’ailleurs. Dans les restos à spécifique traditionnel, vous pouvez goûter aux gâteaux appelés « Poale-n brâu » (« jupes retroussées »). Enfin, les visiteurs intéressés par la cuisine moderne seront également gâtés, puisqu’ils découvriront par exemple de nombreux plats végétaliens crus. »Voici donc autant de raisons d’inclure cette contrée dans vos projets de vacances en Roumanie. (Trad. : Alex Diaconescu)

  • La tour de feu

    La tour de feu

    Une tour circulaire, légèrement plus large à sa base, formée de trois couches, comme un gâteau : un haut parterre, orné de briques grises, est surmonté de 16 colonnes qui se rejoignent en arcs sur les trois premiers étages. Ensuite deux étages un peu en retrait, qui font place à un balcon-terrasse entourant la construction sur ces deux derniers niveaux. Enfin, cerise sur le château, une construction étroite et légère aux allures de nid-de-pie des navires d’autrefois.

    Au départ, sa fonction était celle-là même : un poste d’observation pour détecter les incendies, d’où le nom de Foișorul de foc ou bien la Tour de feu. Cette construction, la plus haute de Bucarest à la fin du 19e et au début du 20e, remplaçait une autre, la Tour de Colțea, démolie en 1888, car jugée trop fragile. L’actuelle tour a été conçue au départ avec une double fonction, tour de guet, mais aussi château d’eau. La construction a été finalisée en juillet 1891, mais il a fallu attendre près d’un an pour commencer à l’utiliser.

    L’Usine d’eau de Liège, qui devait fournir le réservoir d’eau, le livre avec un retard de quelques mois. Après son installation, nouvelle déconvenue et de taille : les pompes de Grozăvești, les plus puissantes de la capitale, n’arrivent pas à faire monter l’eau jusqu’en haut du réservoir. On renonce alors à utiliser le bâtiment comme château d’eau. Il servira, de 1892 à 1936, de caserne pour la brigade de pompiers n°5. Jusqu’en 1910, la Tour de feu joue aussi son rôle de tour de vigie. Ses 42m de haut et sa position centrale en font le lieu idéal pour surveiller la ville et observer rapidement le départ d’un incendie.

    Même si l’apparition du téléphone rend cette fonction obsolète, l’immeuble continue à accueillir la brigade de pompiers jusqu’à ce qu’ils déménagent dans une caserne plus moderne, construite à proximité de la Gare d’Obor. La tour reste largement inusitée de ’36 jusqu’en ’61, quand on décide de la transformer en… musée des pompiers. Des travaux d’aménagement démarrent alors, pour démonter le réservoir qui occupe tout le haut de l’immeuble et aménager, à la place, trois étages : le 4e niveau, sous la forme d’un balcon circulaire intérieur, et les niveaux 5 et 6, que l’on munit de balcons extérieurs. L’escalier central en colimaçon est tourné à 180 degrés et prolongé jusqu’en haut et un ascenseur est également installé. Le poste de vigie est transformé en lanterneau en verre qui permet aux visiteurs d’admirer le panorama de la ville.

    Inauguré en 1963, le Musée des pompiers est toujours là aujourd’hui, mais 57 ans d’activité ininterrompue l’ont rendu quelque peu obsolète. Déjà l’accès s’avère un peu difficile. Situé plus ou moins au milieu d’un rond-point, une fine barrière en métal l’entoure et des écriteaux comme on en voit partout à Bucarest tentent de garder les passants à distance : Atenție, cade tencuiala / Attention, chutes de plâtre. Une fois à l’intérieur, on met du temps à comprendre l’agencement des lieux. Comme la visite se fait du haut en bas, on monte les six niveaux, pour ensuite faire le tour de chaque étage – littéralement, puisqu’on est dans une tour – avant de descendre à l’étage d’en-dessous. De grandes vitrines cachent plutôt qu’elles ne montrent engins et uniformes de pompiers militaires, civils ou bénévoles. Casques, drapeaux, médailles, pompes manuelles ou motorisées, tuyaux, extincteurs, accessoires divers, maquettes, documents d’archive… Une fine poussière semble recouvrir tous les objets.

    En arrivant dans chaque salle, l’éclairage jusqu’alors éteint est allumé par le personnel. Le simple fait que ce musée existe a quelque chose d’irréel et de précieux. Tout l’oppose aux grands musées, aujourd’hui presque cliniques, qui ressemblent à s’y méprendre à des cubes blancs. Non, la Tour de feu de Bucarest n’a rien d’un contenant sans âme. Ce lieu nous donne l’impression d’être dans un phare au milieu de la ville, qui cache le trésor d’un collectionneur fou. Et si les balcons extérieurs sont aujourd’hui interdits d’accès, espérons que cela changera à la fin des travaux de conservation et de restauration qui devraient démarrer bientôt. Espérons aussi que la Tour de feu gardera son âme et restera un de ces petits musées que l’on se réjouit de découvrir au cours d’une promenade sans but. (Elena Diaconu)

  • Du panthéon de l’entrepreneuriat roumain : Dumitru Mociorniță

    Du panthéon de l’entrepreneuriat roumain : Dumitru Mociorniță

    A compter de 1878, une fois l’indépendance acquise, l’économie
    roumaine prend son véritable essor. Les crédits externes contribuent largement
    à la création du système bancaire et des établissements nationaux du crédit,
    censés transformer en réalité les initiatives des entrepreneurs autochtones. L’industrie
    roumaine naissante peut même se targuer d’avoir largement bénéficié d’un accès
    préférentiel aux crédits, grâce notamment aux marges bénéficiaires qu’elle
    s’avère capable d’engranger très vite. Une nouvelle catégorie sociale verra
    ainsi le jour. Il s’agit de la classe de l’entrepreneur roumain, des personnes
    généralement courageuses et capables, qui feront vivre l’industrie roumaine.
    Parmi eux, quelques noms sortent du lot. Max Auschnitt, Ion Gigurtu, Nicolae
    Malaxa, Aristide Blank, mais aussi, sans aucun doute, Dumitru Mociorniță, l’un
    des industriels roumains les plus talentueux du début du 20e
    siècle.


    Né en
    1885, dans une famille modeste, Mociorniță est l’exemple même de l’autodidacte,
    pour lequel la recette du succès ne réside pas dans l’origine sociale, mais
    dans ses aptitudes natives, dans l’éducation acquise au fil des ans, et dans
    l’appui des comparses influents. En 1997, le Centre d’histoire orale de la
    Radiodiffusion roumaine enregistrait la voix de Ionel Mociorniță, le fils de
    Dumitru Mociorniță, qui détaillait les conditions qui ont conduit au succès de
    son père : « Mon père, Dumitru Mociorniță, était fils de paysan pauvre,
    originaire du village de Ţintea du département de Prahova. Il a quitté la
    maison familiale, et le pays, dès la fin de ses études primaires, et n’est
    rentré qu’après avoir achevé à succès les Hautes Etudes Commerciales de Paris,
    premier de sa promotion de 400 étudiants. Il rentre pour revoir sa famille, et
    c’est à cette occasion qu’il rencontre ma mère, fille de l’industriel Grigore Alexandrescu,
    fondateur de l’industrie roumaine de la maroquinerie et de la chaussure. Mon
    grand-père avait fondé une petite fabrique en 1862. Et c’est ainsi que mes
    parents ont uni leurs destins. Mon père a d’abord collaboré avec son beau-père,
    jusqu’en 1923, puis il s’est lancé à son compte. Il obtient un prêt de la Banque
    générale de Roumanie, puis, aidé par Vintilă Brătianu, futur président du Parti
    national libéral, et par son beau-père, Gargaran, il achète deux hectares de
    terrain, situés près de Bucarest, et il fonde sa propre entreprise de
    maroquinerie, qui va développer plusieurs filières au fil des ans, dont
    notamment la chaussure, la sellerie, les articles de voyage et ainsi de
    suite. »


    En effet, en 1923, Dumitru
    Mociorniță fonde sur un terrain vague, à la périphérie de Bucarest, la fabrique
    qui portera son nom. Il achète en crédit-bail des machines, ramenées depuis
    l’Allemagne et l’Angleterre. Très vite, il deviendra le plus important
    fabricant de chaussures de Roumanie de l’entre-deux-guerres. Et il prépare ses
    fils pour prendre les rênes de sa société, demeurée toujours une affaire de
    famille, malgré son essor rapide. Ionel Mociorniță : « Notre formation, la mienne et celle de mon frère, avait débuté
    lorsque nous avions atteint l’âge de 11 ans. L’on rentrait de l’école à 14h00,
    on faisait nos devoirs, et puis nous devions apprendre le métier. Mon père estimait
    que nous ne pouvions pas diriger une entreprise à moins d’en connaître les
    moindres rouages. Et je crois qu’il avait raison. Ainsi, nous n’avons pas eu
    une vraie enfance, et encore moins une enfance dorée. Pendant les grandes
    vacances, au lieu d’aller en villégiature à la montagne, à Predeal, ou au bord
    de la mer Noire, à Eforie par exemple, deux endroits où la famille avait des maisons
    de vacances, il nous envoyait en stage, dans des ateliers de tanneurs ou des
    fabriques de maroquinerie à l’étranger. C’est ainsi que je suis arrivé à
    travailler à Fribourg, à Grenoble et ailleurs. J’avais tout appris sur le tas.
    On a même passé l’examen pour devenir compagnons du métier devant les
    syndicats. »


    La
    qualité des produits de la marque Mociorniță faisait l’unanimité de la clientèle.
    En 1945 cependant, l’occupation soviétique et l’arrivée des communistes au
    pouvoir allaient sonner le glas de cette belle aventure industrielle familiale.
    Le 11 juin 1948, la fabrique de Dumitru Mociorniţă allait être nationalisée. Depuis
    des années déjà, son patron se faisait d’ailleurs traiter de fasciste, et la
    presse communiste l’accusait de soutenir le mouvement légionnaire, d’extrême
    droite. Ionel Mociorniță évoque cette période sombre, et tient à défendre
    l’image de son père : « Mon père avait été libéral, puis il a cessé de faire de la
    politique, alors même que I. G. Duca et Gheorghe Tătărescu, deux anciens
    premiers-ministres libéraux, lui avaient proposé de rejoindre leurs cabinets
    respectifs. En 1938, il se retrouve néanmoins sur la liste des sénateurs nommés
    par le roi Carol II, au moment où ce dernier avait instauré sa dictature
    personnelle. Mon père ne pouvait pas se dédouaner, mais il nous avait défendu
    de parler du roi à la maison. D’un autre côté, il est vrai qu’il était admiré par
    les légionnaires. Leur leader, Corneliu Codreanu, donnait mon père en exemple
    dans ses discours. Mais mon père n’a jamais rencontré Codreanu en personne, il
    ne lui avait jamais parlé. Lorsque les fascistes roumains ont pris le pouvoir,
    le général Antonescu et ses alliés légionnaires, un ingénieur, originaire de
    Sibiu, était descendu dans son entreprise, et il dit à mon père :
    « Monsieur Mociorniță, je viens d’être envoyé par le mouvement légionnaire
    pour procéder à la roumanisation de l’usine ». C’était pour confisquer les
    avoirs des Juifs et pour les mettre à la porte. A cela, mon père, devant les 40
    personnes qui étaient présentes à cette scène, a pris le gars par les épaules,
    et lui a montré la porte. Ce fut cela, sa connivence avec les
    légionnaires. »


    A l’arrivée des communistes, Dumitru
    Mociorniță se refuse à quitter le pays. Ses biens seront nationalisés, deux de ses
    deux fils feront de la prison politique. Lui-même, gravement malade, s’éteint
    en 1953, à 68 ans. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

  • Cent ans depuis la mort de Constantin Dobrogeanu-Gherea

    Cent ans depuis la mort de Constantin Dobrogeanu-Gherea

    Le 7 mai 1920 s’éteignait à Bucarest,
    dans sa 64e année, Constantin Dobrogeanu-Gherea, sans doute le plus
    important penseur marxiste roumain du 19e siècle. De son vrai nom
    Solomon Katz, Gherea est né en 1855 dans la ville de Slavianka, située dans
    l’Ukraine d’aujourd’hui, dans une famille de commerçants juifs. La famille Katz,
    bien intégrée, faisait partie de la classe moyenne de la société russe de
    l’époque. Avec un père brasseur et un frère médecin, le futur Constantin
    Dobrogeanu-Gherea suit des études universitaires à Kharkov, où il entre en
    relation avec les mouvements révolutionnaires russes, marqués souvent par la pensée
    des anarchistes. Il prend part au mouvement estudiantin de 1874, qui tenta
    d’essaimer l’idée de la révolution parmi les paysans.

    Poursuivi par la police
    du Tsar, Constantin Dobrogeanu-Gherea trouve d’abord refuge en Roumanie, à
    Iaşi, l’ancienne capitale de la principauté de de Moldavie, ensuite en Suisse,
    où il se mettra en relation avec les groupes des révolutionnaires russes. Rentré
    en Roumanie, il s’occupe du trafic de littérature révolutionnaire subversive,
    qu’il s’ingénie à transporter en sous-main de Iasi vers la Russie. En parallèle,
    il s’adapte à son nouveau pays, et obtient la nationalité roumaine en 1890,
    alors même que, fait remarquable, l’octroi de cette nationalité aux allochtones
    était alors conditionné par leur appartenance à la religion chrétienne
    d’Orient. Il ne prendra pour nom celui de Constantin Dobrogeanu-Gherea que
    lorsqu’il s’affirmera en tant que critique littéraire, au moment où il mettra
    les bases, en tant que cofondateur, du Parti social-démocrate ouvrier roumain,
    soit en 1893.


    Accompagnés par Călin Cotoi, de
    l’Université de Bucarest, essayons de remonter le parcours de l’aventure
    roumaine de celui qui deviendra le plus important penseur socialiste roumain du
    19e siècle. Călin
    Cotoi : « Dobrogeanu-Gherea a eu une vie assez aventureuse. A un certain moment,
    en 1877, il se fait enlever par la police secrète du Tsar, pour se retrouver en
    Sibérie. Il s’évade, puis, via la Norvège, il regagne la Roumanie. Il
    abandonnera par la suite son attachement à la perspective anarchiste, et
    devient l’un des représentants de poids de l’orthodoxie marxiste, partisan du
    penseur marxiste allemand Karl Kautsky. Il traduit son ouvrage, intitulé
    « Le programme d’Erfurt », tout en essayant d’adapter les préceptes
    de Marx à la réalité de cette société agraire, située à la périphérie de
    l’Europe, qu’était la société roumaine de l’époque ».


    Polyglotte
    averti et doté d’un sens aigu de l’observation, Constantin Dobrogeanu-Gherea deviendra
    très vite un terrible diagnosticien des maux qui rongent la société paysanne de
    Roumanie. Il écrira « La nouvelle servitude paysanne », ouvrage de
    référence pour le mouvement socialiste roumain naissant. Călin Cotoi : « Gherea n’était pas le seul penseur de gauche de son époque. Ces
    mouvances de la gauche roumaine étaient travaillées à l’époque par le désir
    d’adapter la pensée marxiste aux réalités locales, qu’il s’agisse de cette
    Roumanie un peu excentrée par rapport à l’Europe occidentale ou encore du sud
    de la Russie, soit de ces régions charnière entre l’Empire russe et l’Europe. Gherea
    faisait donc partie de ce courant de pensée plus ample, censé repenser et
    adapter le socialisme au profit d’une société périphérique et agraire.
    L’héritage le mieux connu qu’il nous a légué tient en fait en cette
    expression : la nouvelle servitude paysanne. C’est le titre de son
    ouvrage, qui demeure une référence dans les sciences sociales et dans
    l’histoire de l’évolution sociale de la Roumanie. Dans ce livre, il donne la
    réplique à Constantin Stere, ancien partisan, tout comme Gherea, du mouvement
    des Narodniki. Et il essaye d’expliquer pourquoi la pensée socialiste prend
    tout son sens dans le contexte roumain, s’érigeant même en tant qu’unique
    pensée progressiste adaptée à la
    région ».


    Et
    parce que les idées devaient bien trouver un champ d’application politique, il
    s’attelle à fonder, avec d’autres, en 1893, le Parti social-démocrate des
    ouvriers de Roumanie. Călin Cotoi : « Le Parti social-démocrate des ouvriers de Roumanie fait dès le départ
    face à toute une série de défis. Il y avait tout d’abord la question de la
    nationalité roumaine, qu’une partie de la classe ouvrière, encore balbutiante, ne
    détenait pas. Les ouvriers comptaient parmi eux beaucoup de Juifs, des
    Hongrois, des Allemands, des Roumains citoyens de l’Empire d’Autriche-Hongrie.
    Et, sur ce fond, surgissaient de façon régulière des crises à caractère
    antisémite, au sein même de la classe ouvrière. Des crises que le parti
    social-démocrate de Gherea essaiera d’atténuer. Finalement, le parti implosera,
    suite à ce genre de situations inextricables. Gherea, qui était lui-même
    d’origine juive, venait juste de recevoir la nationalité roumaine. Et il refuse
    de se laisser couler avec son bébé, le parti. Il va donc trouver la parade en
    s’investissant dans la culture roumaine, devenant l’un de ces critiques
    littéraires dont l’opinion faisait autorité dans l’époque, surtout une fois la
    rupture avec Titu Maiorescu, l’autre grand critique littéraire du moment,
    consommée. Et voilà comment l’un des plus importants penseurs politiques de son
    époque fera reconnaître son nom par la postérité : non pas grâce à son
    activité politique, ni même grâce à ses traités en sciences sociales, mais
    surtout grâce à son œuvre de critique littéraire. »


    Au mois
    de novembre 1917, à la faveur de la Révolution d’octobre, le régime bolchévique
    faisait son entrée dans l’histoire. Avec lui, Gherea, assez âgé, selon les normes
    de l’époque, prendra ses distances. Călin Cotoi croit savoir que l’attitude de
    Constantin Dobrogeanu-Gherea ne fut pas tant dictée par des considérations
    d’âge, mais plutôt infléchie par l’évolution de sa pensée politique, par son
    adhésion à un socialisme démocratique, plutôt que révolutionnaire. Călin Cotoi : « Constantin Dobrogeanu-Gherea a toujours été un social-démocrate, adepte
    de Kautsky. Selon ce dernier, la mouvance bolchévique s’avérait une sorte
    d’hérésie. Pourtant, Gherea garde ses contacts. Il parle à Racovski, son fils
    même adhère au mouvement bolchévique, mais lui, il essaye de s’aménager une
    sorte d’espace de liberté, une sorte d’autonomie. Il restera fidèle au mouvement
    social-démocrate inspiré par le modèle allemand. »


    100 ans
    après, l’héritage laissé par Constantin Dobrogeanu-Gherea dans l’évolution de
    la pensée de gauche en Roumanie ou encore à l’égard de l’état social de la
    paysannerie roumaine de l’époque, demeure toujours essentiel. (Trad. Ionuţ Jugureanu)



  • Microbes, maladies et épidémies dans l’espace roumain au 19e siècle

    Microbes, maladies et épidémies dans l’espace roumain au 19e siècle

    Les microorganismes et les maladies qu’ils produisent et qui ont engendré des pandémies, sont apparus à la suite du développement de la médecine. Ils ont été à l’origine d’une réorganisation des politiques sanitaires et ont modifié les comportements sociaux. Au 19e siècle, la société roumaine s’est confrontée à un ennemi qui refaisait surface périodiquement depuis des siècles : la peste. Mais d’autres ennemis invisibles et inconnus jusque-là se manifestaient avec une force destructrice, tel le choléra.

    Le médecin, anthropologue et professeur des universités Călin Cotoi, de l’Université de Bucarest, nous aide à examiner cette nouvelle apparition, qu’était le microorganisme, dans le mental collectif roumain. Quand les Roumains ont-ils appris l’existence des microorganismes générateurs de pandémies ? Ecoutons Calin Cotoi : « Une partie des Roumains commencent à comprendre ces choses-là en même temps que le reste du monde : c’est-à-dire après la découverte, par Pasteur, de la fermentation lactique et puis de celle alcoolique. Ensuite, Pasteur montre qu’il n’y a pas de génération spontanée, c’est-à-dire que les petites bestioles n’apparaissent pas du néant. Le reste de la population de la Roumanie, hormis celle impliquée dans la réforme sanitaire et médicale, connait un retard assez important dans cette connaissance. Ce n’est que vers la fin du 19e siècle et le début du 20e que le microbe devient une image plus répandue dans l’espace roumain. »

    Les craintes des Roumains du 19e siècle n’étaient pas moins importantes que celles de l’homme médiéval. Călin Cotoi affirme que, dans l’Europe du 19e siècle, l’ennemi microbiologique change. La peste est déjà de l’histoire passée et un nouvel ennemi invisible surgit, à savoir le choléra. « La peste sévit dans les principautés roumaines jusqu’en 1830 environ. Au 19e siècle, la peste de Caragea a tué beaucoup de Roumains. Mais la maladie la plus intéressante et la plus importante à mon sens pour l’espace roumain au 19e siècle fut le choléra. Certes il y en a eu d’autres, mais ce fut le choléra qui modifia radicalement la structure politique et sociale des principautés roumaines. Je dirais, exagérant un peu, que la Roumanie moderne est une des créations du choléra, des épidémies européennes de choléra. C’est une des maladies les plus créatives du point de vue social au 19e siècle et elle est très différente de la peste de ce point de vue. Le choléra a dépassé le corridor sanitaire des Habsbourg pour migrer de ses foyers en Inde jusqu’à Paris, Londres et en Amérique du Nord, modifiant en profondeur tant l’espace social occidental qu’en quelque sorte par ricochet l’espace des bouches du Danube. »

    Ce n’est pas du tout un secret le fait que les épidémies et les pandémies ont été génératrices de changements dans l’histoire de l’Humanité. Le choléra n’en fait pas exception. Călin Cotoi explique que l’application de la quarantaine dure, c’est-à-dire de 40 jours, au cours de laquelle tout transport de marchandises et de personnes était arrêté directement sur les bateaux ou bien à des postes de quarantaine au bord du Danube, a provoqué une progression de l’autorité de l’Etat roumain. « L’Etat roumain a créé des lieux de quarantaine sur la rivière Prut, mais surtout sur le Danube. Les quarantaines de l’époque sont très solides, mais, justement, elles arrivent à provoquer des crises. L’Etat roumain dépendait de plus en plus du commerce des céréales, qui lui assuraient les sources de financement et d’existence et ce commerce était mis en danger par une quarantaine trop dure. Il y a donc toujours une tension entre la liberté du commerce et le danger du choléra. Je crois que c’est à partir de ce dilemme que la Roumanie est née. »

    Au début du 19e siècle, l’Europe était frappée par le choléra, une maladie nouvelle, inconnue, impossible à combattre avec les moyens disponibles à l’époque. La modernisation et l’européanisation de l’espace roumain ont facilité l’arrivée des solutions et des traitements disponibles dans les pays plus avancés, explique Călin Cotoi. « Le choléra dépasse facilement les anciens corridors sanitaires érigés notamment contre la peste et, dans d’autres endroits du monde contre la fièvre jaune, et arrive à dévaster une Europe qui connaissait un fleurissement commercial, industriel et urbain. L’Europe est surprise par la virulence du choléra. Elle agit contre cette maladie inconnue créant des systèmes de gouvernance, des systèmes médicaux et d’enregistrement des maladies, de théories sur la relation entre le milieu social et la maladie. Ensemble, tous ces éléments créent un autre visage et une autre forme de l’administration et de la gouvernance européennes. Ces modèles d’hygiène publique, de politiques publiques arrivent aussi en Roumanie pour transformer en quelque sorte la société. Des modèles internationaux de réaction à cette maladie affreuse et inconnue sont répliqués en Roumanie aussi. Mais elles y connaissent malheureusement un échec, en grande partie à cause de la fracture entre les milieux urbain et rural. Dans les villes, des mesures d’hygiène publique sont introduites mais dans les campagnes, l’échec est tout à fait visible. »

    Les microorganismes et les pandémies du 19e siècle n’ont pas été uniquement générateurs de malheur et de mort dans l’espace roumain, comme ce fut le cas au cours de siècles précédents. Les contacts avec le monde occidental européen ont rendu possible l’éradication des maladies dans un espace roumain caractérisé auparavant par le pessimisme et par le fatalisme. (Trad : Alexandru Diaconescu)

  • Des histoires au cœur de la Transylvanie

    Des histoires au cœur de la Transylvanie

    C’est de cette manière que notre histoire
    d’aujourd’hui pourrait commencer. Nous voilà arrivés, chers amis, en
    Transylvanie, au cœur de la région qui s’étale entre les cités de Sibiu, Făgăraş
    et Sighişoara, la deuxième aire protégée la plus vaste de Roumanie. « Ici,
    on vient pour visiter et on y reste pour toujours », ce sont les mots par
    lesquels débute un film documentaire parlant justement de cet endroit magique,
    du photographe mentionné et des vacanciers qui choisissent d’en faire leur chez
    soi. Pour plus de détails sur cette production, passons le micro au réalisateur
    Mihai Moiceanu, photographe et vidéographe : « Mon film raconte l’aventure d’un couple
    d’Allemands, salariés d’une multinationale, que j’avais rencontrés 15 ans
    auparavant, quand je les ai accompagnés pendant un séjour en Roumanie. Et
    puisqu’ils étaient passionnés de photographie, je leur ai proposé plusieurs
    tours photographiques privés. Et comme ils sont tombés sous le charme de la
    Transylvanie, ils ont fini par y acheter une ancienne propriété en ruines, sur
    les lieux de laquelle ils ont fait construire une très belle pension, où ils
    mènent, depuis, leur vie de tous les jours. »





    Issu d’une campagne de promotion, déroulée l’année
    dernière, en partenariat avec l’Association de Tourisme écologique Roumanie et
    avec la Fondation pour le partenariat, le documentaire de Mihai Moiceanu s’est
    proposé de promouvoir le tourisme vert en Roumanie, en faisant découvrir au
    public la région dite des Collines de Transylvanie. Pourquoi cet
    endroit précis ? Le réalisateur, Mihai Moiceanu, raconte : « L’un des atouts de la Transylvanie est
    justement cette vie rurale qui s’y déroule depuis des centaines d’années. Il y
    a ensuite de nombreux monuments peu connus, mais spectaculaires du point de vue
    de la construction et de la position géographique. On ne saurait oublier les
    communautés rurales très intéressantes qui continuent à préserver leurs
    traditions et qui attendent les touristes pour des vacances actives. Cela veut
    dire qu’à part les objectifs touristiques connus, les vacanciers se verront
    offrir la possibilité de découvrir la véritable vie à la campagne, avec son
    rythme particulier, ses coutumes ou encore ses plats à base d’ingrédients issus
    d’une agriculture biologique.»





    Considérée l’une des régions les plus pittoresques d’Europe centrale et
    orientale, la Transylvanie, dont le nom signifie, en latin, « au-delà des
    forêts », s’enorgueillit d’un riche patrimoine culturel et naturel à découvrir
    en toute saison. Outre les belles églises fortifiées, notons aussi l’existence
    de plusieurs édifices religieux en pierre datant du début du XXème siècle et
    dont les fresques sont attribuées à la famille de maçons Zugravu, connus pour
    leur style moralisateur d’interprétation des scènes bibliques. Le réalisateur Mihai Moiceanu nous parle aussi des protagonistes de son
    documentaire: « Cela fait plusieurs
    années que j’organise des tours photographiques à travers la Roumanie, à
    l’intention aussi bien des photographes amateurs que des professionnels.
    Ensemble, on part à la découverte de différents endroits, communautés ou
    traditions. La plupart de ceux qui m’ont accompagné une fois, ont choisi de
    répéter l’expérience, ce qui fait qu’on a fini par devenir amis. Mon film a été
    commandé pour ainsi dire par ceux de l’Association de tourisme écologique de
    Roumanie qui voulait faire la promotion des régions de tourisme vert de chez
    nous. Et comme les collines de Transylvanie figurent parmi les destinations de
    tourisme respectueux de la nature, je leur ai proposé de réaliser un
    documentaire qui raconte l’histoire de cette famille allemande. Une approche
    qui a cartonné auprès du public. »





    Le film « Les Collines de Transylvanie » attire le public
    plutôt par la simplicité et la beauté des images que par le sensationnel. Mihai
    Moiceanu renchérit: « La plupart des touristes qui
    visitent la Roumanie ne sont pas forcément émerveillés par des paysages
    formidables, comme cela aurait été le cas si on parlait des Alpes, mais par
    cette communion entre l’homme et la nature. Par la façon dont la nature se mêle
    aux traditions et au quotidien. C’est un des aspects qui fait la différence. Un
    autre élément renvoie à la préservation des coutumes et de la vie simple,
    proche de la terre. Trouver une civilisation qui se conduit selon des règles
    d’il y a 50 ou 70 ans, c’est ça qui impressionne les touristes. »





    Disons à la fin que tout en vous invitant à chercher à voir le documentaire
    de Mihai Moiceanu, on vous invite aussi à vous rendre un jour en Transylvanie pour voir de vos propres yeux les merveilles dont on vient de parler. (Trad. Ioana Stăncescu)

  • 75 ans depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

    75 ans depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

    Le monde sortait durablement traumatisé du carnage qu’avait représenté la Deuxième guerre mondiale. La période immonde, située entre 1939 et 1945, avait donné la mesure du règne de l’inhumanité. Aux tragédies du front s’ajoutèrent les tragédies des camps et des déportations. Aux idéologues de la haine tombèrent victimes, en égale mesure, militaires et civils. Le summum de l’horreur qu’a représenté l’Holocauste, avec ses 6 millions de victimes juives, donne la mesure de l’époque. Le 9 mai 1945, avec la capitulation de l’Allemagne nazie, l’Europe retrouvait, enfin, la paix. Une fin heureuse, en quelque sorte.

    Pourtant les fruits de cette paix n’ont pas été les mêmes dans toute l’Europe. Alors que l’Occident retournait, petit à petit, à une vie normale, l’Europe centrale et de l’Est, y compris la Roumanie, se retrouvait soumise à l’occupation soviétique, forcée d’expérimenter, pour un demi-siècle, le régime communiste. Avec Vladimir Tismăneanu, professeur de sciences politiques et spécialiste de l’histoire du communisme à l’Université de Maryland, aux Etats-Unis, nous essayons de déceler les places occupées par le Bien et le Mal pendant cette Deuxième guerre mondiale : « Ma lecture des faits s’inspire surtout d’auteurs tels que Hannah Arendt, Arthur Koestler et George Orwell. Il ne s’agissait pas à proprement parler d’une lutte entre un bien absolu, mettons celui incarné par les démocraties de la coalition antifasciste, et un mal absolu, comme l’on pourrait croire. Dans la coalition antifasciste nous retrouvons l’Union soviétique stalinienne, un empire totalitaire, initialement alliée de l’Allemagne nazie. On peut à la limite parler d’un bien relatif. Le bien absolu est sans doute un concept qui fait défaut dans l’histoire histoire. De l’autre côté, nous retrouvons l’Axe nazi, la coalition léguée contre l’Internationale communiste. Pour la petite histoire, lors de la visite rendue par Molotov à Berlin, au mois de novembre 1940, Hitler ou quelqu’un de son entourage avait proposé à Molotov de rejoindre ce pacte anticommuniste. Alors que le siège de l’Internationale se trouvait à Moscou. Cela en dit long. J’avais repris dans un de mes livres le concept lancé par le philosophe polonais Leszek Kolakowski, le « diable dans l’histoire ». Eh bien, l’URSS était ce diable alors, un diable qui semblait moins dangereux, moins enclin à l’expansionnisme, un diable dont l’Occident avait besoin. »

    Mais toute guerre qui s’achève compte à la fin un certain nombre d’Etats victorieux puis, de l’autre côté, des Etats vaincus. Qui a gagné, qui a perdu, finalement, cette guerre ? Vladimir Tismăneanu : « Du côté des vaincus comptons déjà les partis, les gouvernements, les mouvements à l’idéologie fasciste. Le fascisme a été défait, et cela est fondamental. Réécrire l’histoire après coup, cela se fait dans certains endroits, parfois en Roumanie aussi, cela est mu par la volonté de réhabiliter divers courants fascistes, de nouveaux fondamentalismes de type tribaliste, collectiviste, raciste. C’est que ces gens n’ont rien compris au dénuement politique, militaire et éthique de cette guerre. D’un autre côté, l’on observe l’apparition d’une sorte de syndrome post Yalta. C’est que la moitié de l’Europe, l’Europe centrale et de l’Est s’est retrouvée occupée par l’Armée rouge. L’Occident aurait-il pu repousser les Soviets ? On ne peut pas faire des supputations là-dessus. Ce qui est certain c’est que l’occupation soviétique n’est pas le résultat d’un abandon ou d’une trahison de l’Occident à l’égard de cette partie de l’Europe, mais d’une situation de fait, une conséquence du théâtre des opérations. »

    Pendant cette guerre, la Roumanie s’est d’abord retrouvée du côté de l’Axe, ensuite dans la barque des Nations Unies. A la Conférence de Paix de Paris, la Roumanie s’est retrouvée dans le camp des vaincus. Qui plus est : dans le camp des pays occupés et communisés par l’URSS. Comment se fait-il, pourquoi ce sort ingrat ? Vladimir Tismăneanu : « Le glissement de la Roumanie sur la pente d’un régime totalitaire d’extrême droite, tel qu’il a été depuis le 6 septembre 1940 et jusqu’au 23 août 1944, est en partie imputable à la crise de la démocratie libérale. La Roumanie peut, certes, se targuer d’avoir connu une démocratie véritable, fonctionnelle, respectueuse de la constitution. Une démocratie qui a succombé finalement sous les coups de butoir des extrémistes des tous bords, de droite comme de gauche. Deux premiers-ministres avaient été assassinés à l’époque par des commandos fondamentalistes de type hitlérien, le crime semblait devenir une arme politique. Et puis, la classe politique démocrate n’a pas su faire preuve d’assez de résilience face aux attaques répétées des extrémistes. Le glissement de la Roumanie dans le giron des extrémismes n’a pas été une fatalité, mais le résultat logique d’une suite d’erreurs. »

    Quelles leçons en retirer ? Vladimir Tismăneanu encore: « Les illusions fondées sur les issues proposées par un système idéocratique, sur une dictature inspirée par une idéologie, sont funestes. A court terme, à moyen terme, mais surtout à long terme. L’on vit cela de nos jours, avec la crise de la Covid. Je ne suis pas des ceux qui pensent à un acte criminel mûrement réfléchi par la République populaire de Chine. Mais le secret, le mystère qui a entouré l’affaire sont des éléments spécifiques, caractéristiques des systèmes totalitaires. On l’a déjà expérimenté lors de l’accident nucléaire de Tchernobyl. S’il y avait une leçon à retenir de la Deuxième guerre mondiale, eh bien, ce serait celle-ci : ne jamais marchander la liberté, la vérité, la confiance. Ne jamais les laisser impunément attaquées, humiliées, foulées aux pieds. »

    75 ans plus tard, l’on ne vit sans doute pas dans le meilleur des mondes. Mais l’on vit du moins dans un monde mieux vacciné contre les tentations des fondamentalismes. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

  • Mircea Eliade

    Mircea Eliade

    Mircea Eliade a été, sans l’ombre d’un doute, une des grandes personnalités de la culture roumaine du vingtième siècle. L’éclectisme de ses passions, depuis l’histoire des religions et jusqu’à son engouement pour la littérature de fiction, ont fait de lui un auteur complexe, dont les thèses faisaient autorité à l’Université de Chicago, où il a été le titulaire de la chaire de l’Histoire des religions, de 1956 et jusqu’à sa mort, survenue en 1986.

    Né le 9 mars 1907, à Bucarest, dans une famille aux origines moldaves, de la ville de Tecuci, Mircea Eliade se distingue déjà parmi ses camarades de classe. Il suit ses humanités au lycée « Spiru Haret », creuset de bon nombre de personnalités culturelle roumaines de l’entre-deux-guerres, parmi lesquelles mentionnons l’écrivain et journaliste Arșavir Acterian, l’écrivain et le poète Haig Acterian, le philosophe Constantin Noica ou encore le critique d’art Barbu Brezianu. Entiché de sciences naturelles, tout autant que d’alchimie et d’occultisme à l’époque de son adolescence, il se découvre une passion pour la littérature, à travers la découverte de l’œuvre monumentale d’Honoré de Balzac, auquel il voue un véritable culte, puis d’un contemporain, Giovanni Papini. Etudiant en Lettres et en Philosophie, Mircea Eliade soutient sa thèse, à l’Université de Bucarest, sur Tommaso Campanella, poète et philosophe utopiste italien.

    Polyglotte sans complexes, Eliade deviendra l’un des historiens des religions les plus influents de son temps. Il signera plus de 30 ouvrages, traduits en 18 langues, portant notamment sur la persistance de la pensée mythique dans les sociétés modernes, sur la relation entre le sacré et le profane, sur le mythe des origines ou encore sur la pensée de type cyclique de l’homme traditionnel. Mais Eliade s’avère également un littéraire prolifique, auteur de 12 romans, dont « La nuit bengali » et « La forêt interdite » demeurent les plus connus. Enfin, Mircea Eliade est un mémorialiste passionné, témoin d’une génération culturelle d’exception, confrontée aux vicissitudes de l’époque mouvementée qu’elle est obligée de traverser. Eliade a par ailleurs été l’un des premiers orientalistes roumains. En effet, très jeune, il tombe amoureux de l’Inde, où il débarque de 1928, et qu’il ne quittera qu’en 1933. C’est là qu’il apprend le sanscrit et qu’il devient familier d’une spiritualité orientale foisonnante, au milieu d’une société imprégnée de sens religieux. C’est de son expérience indienne qu’il trouve l’inspiration de son premier roman, « La nuit bengali », dont le personnage principal, Maitreyi, n’est autre que la fille de son hôte et maître spirituel.

    A son retour d’Inde, Eliade soutiendra sa thèse de doctorat sur les techniques du yoga. L’archive d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine recèle un document exceptionnel : l’interview de Mircea Eliade, réalisée en 1970 par Monica Lovinescu, célèbre critique littéraire et dissidente anticommuniste, chroniqueuse littéraire à la radio Free Europe. Dans son interview, Mircea Eliade parle de sa période indienne comme d’une période charnière, qui l’aidera à comprendre le sens de l’histoire, soit le dialogue des cultures. Son voyage passionnant à travers le monde des mythes et des croyances religieuses avait commencé là-bas, en Inde : « Depuis mon retour d’Inde, j’avais compris les limites du provincialisme culturel occidental. J’ai compris qu’il fallait nouer, surtout après la Deuxième guerre mondiale, des ponts entre les diverses cultures- occidentale, orientale, cultures archaïques. Qu’il n’existe pas de meilleure introduction à une autre culture que de comprendre ses traditions, la structure religieuse de cette culture. L’histoire des religions me semblait dès lors une première étape pour comprendre l’altérité, les autres cultures, dans une démarche respectueuse de l’autre, d’égal à égal, dans une démarche de dialogue. Et j’ai eu alors la certitude que mes recherches, mes ouvrages, allaient trouver un public réceptif, intéressé et attentif, parce que la réalité historique me donnait raison. »

    Mircea Eliade s’est voulu un savant total, dans l’acception ancienne du terme, avant le cloisonnement de la science, de la philosophie et des lettres, dans leurs prés carrés respectifs. Certes, mieux connu pour ses recherches en l’histoire des religions, pour sa carrière universitaire aux Etats-Unis où il fonda, avec l’Allemand Joachim Wach, la Divinity School, Eliade garda le contact avec sa langue natale pendant ses longues décennies d’exil grâce à l’œuvre de fiction qu’il s’attacha à écrire. C’est par la littérature qu’il retournait régulièrement à ses origines roumaines, selon ses propres termes : « En faisant de la littérature, je retourne à mes origines, ce qui est normal au fond. J’utilise, pour écrire ma littérature, ma langue maternelle. J’ai besoin, pour ma santé mentale, d’écrire en roumain, de rêver en roumain. Je pourrais me traduire moi-même en français ou en anglais. Je pourrais probablement écrire directement mon œuvre de fiction dans ces langues, mais il est plus important pour moi ce désir intime que j’ai de garder le contact avec cette langue, avec ma propre histoire, soit l’histoire d’un Roumain qui a vécu et travaillé autant en Roumanie qu’à l’étranger. »

    Quant au monde d’aujourd’hui, à la désacralisation rampante, et considéré par d’aucuns comme un monde vidé de sa substance religieuse, Mircea Eliade y décelait le sacré enfoui dans notre quotidien, un sacré qui restera omniprésent aussi longtemps que les hommes en auraient besoin :« Le besoin d’entendre une histoire, l’histoire mythique des origines, celle qui raconte le commencement du monde et de l’homme, les débuts de l’organisation sociale et ainsi de suite, cela fait partie de nos besoins fondamentaux. Ce besoin relève d’une structure de notre inconscient collectif. Je ne pense pas que l’homme puisse exister en tant que tel s’il était dépourvu de cette capacité d’écoute, de ce besoin de connaitre l’histoire, la sienne et celle du monde, au milieu duquel il est apparu. » Avec l’avènement du régime communiste en Roumanie, Mircea Eliade est forcé à l’exil en 1945. Il vivra d’abord à Paris et, après 1957, à Chicago, où il mourra le 22 avril 1986, laissant derrière lui une œuvre monumentale. Après la chute du communisme en Roumanie, il sera reçu post mortem à l’Académie roumaine, en 1990. (Trad. Ionuţ Jugureanu)

  • Le festival du film d’histoire de Râsnov

    Le festival du film d’histoire de Râsnov

    La 12e édition du Festival du film d’histoire organisé à Râşnov, petite ville saxonne sise aux pieds du massif Postăvaru, dans les Carpates méridionales, se déroule en 2020 aussi, malgré la situation spéciale créée par la pandémie de coronavirus. Etant donné qu’il s’agit d’une année bien particulière, le programme de l’actuelle édition du festival du film d’histoire est également inédit, nous assure Mihai Dragomir, le directeur exécutif du Festival du film d’histoire. « Nous nous sommes adaptés dans le sens où, cette année, nous avons prévu deux éditions du festival. Il s’agit de deux éditions plus restreintes, afin de pouvoir respecter toutes les restrictions et les mesures sanitaires. Le programme initial, celui auquel nous avons travaillé depuis cet hiver était beaucoup plus riche, mais des modifications ont malheureusement dû être opérées. L’édition qui se déroule du 17 au 26 juillet propose 18 projections et 9 concerts, tous en plein air, déroulés sur la place de l’Union de Râsnov, dont la capacité maximale est de 250 places. La seconde édition aura lieu du 21 au 30 août et sa programmation sera un peu plus riche, avec une quarantaine de projections de film, parmi lesquels les documentaires inscrits dans la compétition, et des concerts qui devraient se dérouler à l’intérieur de la cité fortifiée saxonne. Pour le reste, afin de compenser les effets de la distanciation sociale, une grande partie de la programmation sera disponible aussi en ligne. Ceux qui pour différentes raisons ne peuvent pas se rendre à Râşnov resteront à nos côtés, même si en réalité ils sont toujours à distance. »

    Reste à souligner le fait que tout le programme du festival, tant celui en ligne que celui classique est gratuit. Mais les spectateurs pourront suivre en ligne uniquement les concerts et les débats tenus sur les sujets des films, chose valable tant pour l’édition de juillet que pour celle d’août, a précisé le directeur exécutif, Mihai Dragomir : « Pour l’édition du 17 au 26 juillet, nous avons prévu deux films par soirée. Vu que les projections ne se déroulent pas dans des salles de cinéma classiques, nous avons décidé qu’elles s’achèvent à 1heure 30 – 2 heures de la nuit. Plusieurs films nouveaux figurent à l’affiche, aux côtés de chefs-d’œuvre du cinéma international. Parmi les nouvelles productions, je mentionnerais « Un homme appelé Ove », une histoire de Suède, puis le film « Le cardinal », une leçon d’histoire sur les souffrances du cardinal catholique roumain Iuliu Hossu dans les prisons communistes. Nous sommes très contents de dire que l’équipe de tournage, y compris le réalisateur Nicolae Mărgineanu, sera présente à la projection. Projeté en présence de l’historien Nicolae Pepene, « Marie, reine de Roumanie » est un autre film, réalisé l’année dernière, qui parle de ce que la reine Marie a réussi à accomplir en général. Comme d’habitude, un Cinéconcert est également prévu, un projet distinctif de notre festival. Cette année, le film « L’indépendance de la Roumanie », réalisé en 1912, sera projeté dans le cadre du festival, avec un accompagnement sonore assuré en direct par le groupe Foley’Ala. La projection du film documentaire « Creativ », un documentaire sur deux musiciens de jazz fameux de Roumanie est prévue pour la fin du festival. Qui sont ces deux musiciens, c’est une des surprises du Festival. Samedi sera présenté en première un film documentaire consacré au vénérable comédien Constantin Codrescu, qui sera présent au festival, entouré de ses amis et de ses admirateurs. »

    Rappelons que la seconde partie de la 12-e édition du festival du film et d’histoires de Râşnov se déroulera du 21 au 30 août.